Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Depuis la fermeture du TPIY le 31 décembre 2017, le Mécanisme alimente ce site Internet dans le cadre de sa mission visant à préserver et promouvoir l’héritage des Tribunaux pénaux internationaux.

 Consultez le site Internet du Mécanisme.

Lord David Owen

Lord David Owen, diplomate et responsable politique britannique, était vice-président pour l'Union Européenne de la Conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie de 1992 à 1995. Il est le co-fondateur de deux plans de paix pour la Bosnie-Herzégovine le «plan  Vance-Owen » et le plan  «Owen-Stoltenberg »- qui ont tous deux échoué au cours de l’année 1993.

Devant la Chambre, Lord David Owen fait part de  son opinion sur la personnalité de Slobodan Milošević.

« C’était un communiste, pas sur le modèle soviétique, mais ce n'était sûrement pas un démocrate. Il agissait dans le secret, il adaptait son action aux circonstances et la modifiait souvent. Et si la Yougoslavie avait déjà modifié ses structures, elle était tout de même restée sur le fond un pays autoritaire… »

« Mais il contrôlait Belgrade, c'était quand même la personnalité de proue à Belgrade. Il n'était pas président que de nom. Il avait un pouvoir réel. »

Lord David Owen a été appelé à la barre par la Chambre, en tant que témoin au procès de Slobodan Milošević. Lord Owen a décrit en détails ses nombreux contacts avec lui entre 1992 et 1995,  alors qu’il était co-président de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie (avec le diplomate américain Cyrus Vance, et plus tard, avec le diplomate suédois Thorvald Stoltenberg). Cette conférence avait été mandatée pour tenter de négocier un accord de paix qui mettrait un terme à la guerre en Bosnie-Herzégovine.

Pour Owen, il ne faisait aucun doute que Milošević dirigeait les Serbes de Bosnie au début de la guerre. Selon lui, il était évident que Milošević soutenait l’effort militaire des Serbes de Bosnie depuis le début, et qu’ils n’auraient pas pu atteindre leurs objectifs sans son aide. Il l’a confié à la Chambre en ces termes : « (…) je pense que l'armée des Serbes de Bosnie n'aurait pas pu survivre à partir du moment où la Bosnie-Herzégovine a été reconnue en tant que pays indépendant [en 1992] par le Conseil de sécurité, si elle n'avait pas bénéficié de l'appui de l'ex-Yougoslavie.»

L’embargo international sur la fourniture d’équipement militaire et l’approvisionnement en produits pétroliers en Bosnie-Herzégovine en est un bon exemple. Malgré la possibilité qu’avait Milošević de fermer la frontière orientale avec la Serbie, tenue par les Serbes de Bosnie, celle-ci est demeurée poreuse. Pour Owen, c’était Milošević qui « fermaient les yeux » sur les infractions commises, et qui à partir de septembre 1994 « veillait [aussi] à ce que les éléments clés du point de vue approvisionnement et appui logistique, atteignent bien [le Commandant des Serbes de Bosnie] le général Mladić [par la suite mis en accusation par le Tribunal pour crimes de guerre]. » Expliquant le soutien de Milošević aux Serbes de Bosnie, Owen a déclaré, « Il ne voulait pas d'un conflit se terminant par une défaite.  »

D’après Owen, la mise en place du blocus constituait une opportunité essentielle, qui n’a pas été prise. Si cela avait été le cas, selon lui « cela aurait permis de rétablir la paix en Bosnie deux ans avant la date où cela a eu lieu. Cela aurait permis de sauver un grand nombre de vies(…)et de réduire de beaucoup le nettoyage ethnique. » 

Entre janvier et juin 1993, Owen a cherché à faire accepter aux parties du conflit l’accord qu’il avait élaboré avec Cyrus Vance. Le plan dit « plan de paix Vance-Owen » prévoyait la division de la Bosnie-Herzégovine en dix régions semi autonomes. Owen a affirmé qu’à cette époque, Milošević  exerçait un fort contrôle sur l’armée des Serbes de Bosnie.

À titre d’exemple, Owen s’est souvenu de l’intervention de Milošević auprès du commandant des Serbes de Bosnie Ratko Mladić, pour éviter que l’enclave musulmane de Srebrenica ne soit prise par les Serbes de Bosnie, au printemps 1993. Le 18 avril, Owen s’est entretenu avec Milošević par téléphone. À ce sujet, il a dit à la Chambre « J'ai rarement entendu Milošević parler avec autant d'exaspération et autant d'inquiétude. Il craignait que, si les troupes des Serbes de Bosnie pénétraient à Srebrenica, cela ne provoque un bain de sang…» Owen a affirmé que l’attaque avait été abandonnée grâce à l’intercession de Milošević.

Owen a toutefois déclaré qu’à plusieurs reprises, Milošević n’avait pas utilisé son influence sur les Serbes de Bosnie pour parvenir à des résultats positifs. Selon lui Milošević a notamment laissé échouer le plan de paix Vance-Owen au printemps 1993. Même si  Milošević  montrait qu’il était favorable au plan, Owen avait le sentiment qu’il ne voyait probablement le plan que comme une solution temporaire, en faisant le pari que les entités serbes finiraient par fusionner, et en comptant également sur le fait que les forces serbes s’empareraient des territoires qu’elles convoitaient.

L’Assemblée des Serbes de Bosnie a rejeté le plan de paix Vance-Owen en mai 1993. Pour  Owen, ceci était du au fait que Milošević n’avait pas fait usage de son pouvoir politique. « Cela a été une erreur fondamentale du président Milošević de ne pas utiliser son pouvoir incontestable pour imposer aux Serbes de Bosnie ces mêmes règlements. S'il l'avait fait, ceci aurait été dans l'intérêt supérieur du peuple serbe dans sa totalité. »

Pour Owen, au cours de l’année 1993, les Serbes de Bosnie ont commencé à se dégager de l’emprise de Milošević et se sont sentis suffisamment en confiance pour définir leur propre politique, laquelle allait fréquemment à l’encore de celle de leur parrain politique. Owen a déclaré que Milošević rencontrait sans aucun doute davantage de résistance de la part des dirigeants serbes de Bosnie, et que leur président Radovan Karadžić, le président de l’Assemblée Momčilo Krajišnik (tous deux inculpés par le Tribunal par la suite), et particulièrement le commandant militaire Ratko Mladić, disposaient de plus d’autonomie au sein du pouvoir des Serbes de Bosnie. Owen a toutefois declaré « Je persiste à croire qu'il [Milošević] avait le pouvoir suffisant et nécessaire pour imposer un accord ». Même si pour Owen Milošević était sincèrement exaspéré parce que ses auxiliaires ne respectaient pas sa volonté. « Il y avait toujours ce refus de sa part de les forcer à accepter l’accord, de l’imposer.»

Dans son témoignage, Owen a également parlé de ce qu’il savait du siège de Sarajevo, affirmant que la ville aurait pu être prise par les Serbes à n’importe quel moment, mais qu’elle était retenue par les Serbes comme un outil commode pour négocier sur la Bosnie orientale.

Considérant avec recul son travail de médiation auprès du dirigeant serbe, Owen dépeint Milošević comme un négociateur, un homme capable de mensonges éhontés et particulièrement habile pour tester la détermination de la communauté internationale à imposer des solutions. La tactique de Milošević consistait à tirer profit de chaque manque de décision et à gagner du temps en faisant durer les négociations.

David Owen a débuté sa carrière politique en 1960, lorsqu’il est entré au Parti travailliste. En 1977, âgé de 38 ans, Owen est devenu le plus jeune Secrétaire d’Etat de l’histoire du Royaume-Uni. En 1981, il a quitté le Parti travailliste, étant en désaccord avec la tendance de plus en plus à gauche du parti, avant de devenir l’un des fondateurs du Parti social démocrate britannique. En 1992, il est devenu Membre du Parlement, a été nomme « pair » et est entré à la Chambre des Lords. La même année, Lord Owen a été nommé vice-président pour l’Union Européenne de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie, et a occupé ce poste jusqu’en 1995. A son retour du Royaume-Uni, il est devenu Président honoraire de l’Université de Liverpool. David Owen a publié un livre intitulé « The Balkan Odyssey » dans lequel il a relaté en détails ses efforts en tant que médiateur  en ex-Yougoslavie.

Lire le témoignage complet de Lord David Owen du 3 novembre 2003 et du 4 novembre 2003.