Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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Historique

En créant le Tribunal en 1993, le Conseil de sécurité de l’ONU a pris une décision aussi novatrice qu’ambitieuse pour répondre au conflit qui se déroulait alors en ex Yougoslavie, et aux crimes qui y étaient perpétrés. Mais, si le Statut, concis, présenté par le Conseil de sécurité était clair quant aux crimes relevant de la compétence du Tribunal, il n’existait quasiment aucun précédent pour guider, sur un plan pratique, les travaux du premier tribunal international créé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et les procès de Nuremberg et de Tokyo. Les « pionniers » du Tribunal ont dû mettre en place un système pénal international unique, en partant pour ainsi dire de zéro.

Lorsque les premiers juges sont arrivés au Tribunal en novembre 1993, il n’y avait ni règlement de procédure, ni affaire, ni procureur. Il fallait rapidement recruter un personnel compétent et expérimenté. Les fonctionnaires, issus de systèmes de droit différents, ont dû mettre en commun leur expérience et leurs méthodes de travail pour mettre en place une juridiction pénale internationale efficace. Les opposants au Tribunal, tout comme ses partisans, étaient sceptiques quant à son succès.

Quand le premier procureur a été nommé en août 1994, les juges avaient adopté une première version du règlement de procédure et de preuve et le procureur adjoint avait défini l’organisation du Bureau du Procureur, recruté les premiers enquêteurs et commencé à mener des enquêtes dans des régions parfois dangereuses.

Enquêter sur des crimes de guerre n’est pas un travail de police ordinaire. Les crimes dont s’occupe le Bureau du Procureur sont d’une ampleur considérable et ont souvent été commis dans de vastes régions. Certains se sont poursuivis pendant de longs mois et ont été minutieusement organisés. Ils ont impliqué des soldats de métier, des policiers, des paramilitaires, des dirigeants politiques ou de simples civils. Les témoins sont également très divers : des victimes, des survivants, des experts, des membres de la communauté internationale ou des personnes bien informées, ayant été mêlées de près aux événements. Le Tribunal a été créé pour se concentrer sur les crimes les plus graves et sur les principaux responsables. Ses enquêtes se sont donc, dans la mesure du possible, intéressées en priorité aux dirigeants, qui pouvaient être considérés comme les principaux responsables de ces crimes, car même les chefs d’État ne sont pas au-dessus des lois.

Les premières années : 1993-1997

Les premiers enquêteurs ont rencontré une difficulté importante : enquêter sur les crimes commis en Croatie (de 1991 à 1995) et en Bosnie-Herzégovine (de 1992 à 1995), alors que les conflits y faisaient encore rage. La force de protection des Nations Unies (FORPRONU), déployée dans chacun de ces États, n’était pas en mesure d’assurer leur sécurité sur le terrain et les belligérants refusaient souvent de leur permettre de se rendre sur les lieux présumés des crimes ou de rencontrer les témoins.

Pendant ces premières années, le Bureau du Procureur s’est appuyé sur les travaux de la Commission d’experts de l’ONU, commission d’enquête mise en place par le Conseil de sécurité, dont le rapport faisait état des crimes commis en Bosnie-Herzégovine (BiH) et en Croatie. Le Bureau du Procureur a également obtenu des informations des États et de nombreuses organisations non gouvernementales et agences humanitaires, présents dans la région pendant le conflit. Les médias nationaux et internationaux constituaient une autre source d’information. Néanmoins, il était impératif que les enquêteurs puissent rencontrer les victimes et les survivants afin de recueillir leurs témoignages, qui seraient par la suite utilisés devant le Tribunal.

Nombre de ces premiers témoins avaient fui la Bosnie après avoir été détenus dans des camps et avoir fait l’expérience du « nettoyage ethnique ». Beaucoup évoquaient, dans des récits déchirants, leur tragédie personnelle, leur souffrance et leur deuil. Dans la plupart des pays où ces témoins s’étaient réfugiés, les autorités n’avaient pas l’habitude de coopérer avec les procureurs et les enquêteurs internationaux, et peu de mécanismes juridiques étaient en place. Les premières années, le Bureau du Procureur a donc déployé beaucoup d’efforts pour conclure les accords nécessaires pour permettre à ses enquêteurs d’interroger les témoins et de recueillir leurs déclarations.

Le Procureur a personnellement investi beaucoup de temps et d’énergie pour asseoir la crédibilité de ses services et obtenir la coopération des États. De nombreux observateurs de la communauté internationale et diplomatique doutaient de la capacité du Tribunal à fonctionner efficacement et à obtenir des résultats. Dans certaines régions de l’ex Yougoslavie, on refusait tout simplement de reconnaître la légitimité du Tribunal et on faisait obstruction à ses enquêtes. Même si, lors de la création du Tribunal, tous estimaient qu’il ne pourrait y avoir de paix durable sans que les criminels de guerre soient traduits en justice, dans les faits, de nombreuses personnes ou institutions refusaient de fournir des informations, de produire des éléments de preuve ou de témoigner.

Le TPIY tenait à montrer que les poursuites internationales étaient une réalité. Ses premières enquêtes concernaient les attaques atroces et généralisées, menées à dans la région de Prijedor, au nord-ouest de la Bosnie, contre des Musulmans et des Croates. La première affaire portée devant le Tribunal concernait plus particulièrement les crimes commis dans les camps de détention d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje, dirigés par des Serbes. Duško Tadić, mis en cause dans cette affaire, était alors détenu en Allemagne pour des faits similaires. Le Procureur, invoquant la primauté du TPIY sur les juridictions nationales, a demandé que cet accusé soit transféré à La Haye.

Si Duško Tadić a été le premier à être jugé par le Tribunal, Dragan Nikolić, commandant du camp de Sušica, en Bosnie, créé par les forces serbes en juin 1992, a été le premier à être mis en accusation, le 4 novembre 1994. Leurs procès allaient montrer que ces deux hommes étaient des individus cruels au service des autorités serbes de Bosnie, qui avaient torturé et assassiné des civils musulmans de Bosnie, mais qui ne faisaient pas partie des dirigeants politiques ou militaires. Au début, tout le monde attendait que le Tribunal dresse ses premiers actes d’accusation, mais celui-ci n’avait pas rassemblé suffisamment d’éléments de preuve pour mettre en cause les dirigeants qui avaient orchestré les campagnes criminelles. C’est pourquoi les premiers accusés traduits devant le Tribunal étaient, pour la plupart, des personnes, ayant occupé des fonctions intermédiaires ou subalternes, qui avaient été identifiées par des survivants ou des témoins oculaires comme étant les auteurs des crimes commis dans les camps ou des lieux de détention similaires. Néanmoins, cette approche « pyramidale », selon laquelle les subordonnés étaient les premiers à répondre de leurs actes, allait avec le temps permettre aux enquêteurs de préparer le procès de leurs supérieurs, qui étaient les véritables architectes des crimes.

L’affaire Dragan Nikolić met en lumière l’un des principaux problèmes rencontrés par le Tribunal, surtout au cours des premières années : son incapacité à arrêter les suspects et l’obstruction systématique de certaines parties à ses enquêtes. Dragan Nikolić, mis en accusation en 1994, n’a été arrêté et transféré au Tribunal qu’en 2000. Suite à la mise en accusation en 1995 des dirigeants militaire et politique, Ratko Mladić et Radovan Karadžić, les autorités serbes de Bosnie ont systématiquement cherché à entraver le travail du Tribunal. Elles n’étaient pas les seules à refuser d’arrêter et de transférer les suspects ou de s’acquitter de leurs obligations envers le Tribunal. La Croatie et la Serbie ont toutes deux entravé les travaux du Tribunal et les autorités de Belgrade ont fait ouvertement preuve d’une hostilité persistante à l’encontre du TPIY.

La mise en accusation de Ratko Mladić et Radovan Karadžić, moins de deux ans et demi après la création du Tribunal, a montré à quel point celui-ci avait avancé dans ses enquêtes et préparé des dossiers solides contres les dirigeants militaires et politiques.

Les conflits en Bosnie-Herzégovine et en Croatie ont pris fin avant la fin de l’année 1995. L’année suivante, 1996, année de la paix en Bosnie-Herzégovine, a été très importante dans l’histoire du Tribunal. Pour la première fois, les enquêteurs du Bureau du Procureur ont pu avoir accès aux lieux présumés des crimes. Les progrès les plus marquants ont été accomplis dans le cadre de l’enquête de grande ampleur menée à Srebrenica sur les faits survenus pendant et après la chute de la « zone de sécurité » des Nations Unies en juillet 1995.

En dépit du refus des autorités, serbes notamment,de reconnaître que des crimes avaient été commis, les enquêteurs du Tribunal se sont appuyés sur les témoignages des survivants, les photographies prises par satellite, les conclusions des archéologues, des anthropologues, des équipes cynophiles et d’autres équipes de la police scientifique, ainsi que sur d’autres rapports d'experts, pour réunir les preuves des exécutions de masse et de l’existence des charniers. Ils ont découvert des dizaines de fosses communes, contenant les restes de milliers de civils. Un grand nombre de victimes avaient eu les mains attachées dans le dos avec du fil de fer, les yeux bandés et avaient été tuées d’une balle dans la nuque. Les éléments de preuve rassemblés pendant les exhumations, qui ont débuté pendant l’été 1996, ont été essentiels pour mettre en accusation les personnes qui ont par la suite été jugées et reconnues coupables pour leur rôle dans le génocide perpétré par les Serbes à Srebrenica. Plus de dix ans après, les autorités bosniaques continuent ce travail d’exhumation, faisant de terribles découvertes, tandis que Ratko Mladić et Radovan Karadžić, inculpés en 1995 par le Tribunal pour avoir conçu et supervisé le génocide de Srebrenica, étaient toujours en liberté jusqu'à l'arrestation de Karadžić en juillet 2008.

Peu de temps après la fin du conflit en Bosnie-Herzégovine, la communauté internationale a demandé au Bureau du Procureur, en février 1996, de contribuer à la restauration de la paix en jouant également un rôle dans les procès pour crimes de guerre menés devant les tribunaux bosniaques. Conformément à la procédure dite des «Règles de conduite », aucun mandat d’arrêt contre une personne soupçonnée de crimes de guerre ne pouvait être délivré par un tribunal bosniaque sans l’accord du Bureau du Procureur du TPIY. Celui-ci examinait les dossiers pour déterminer si les allégations étaient solides et les preuves suffisantes. Cette procédure a permis de mettre un terme aux arrestations illégales et arbitraires et de rétablir la liberté de circulation dans tout le pays. Le Bureau du Procureur a maintenu cet « arrangement » temporaire pendant plus de huit ans, jusqu’en 2004, époque à laquelle les autorités compétentes de Sarajevo ont pris la relève.

À la fin de l’année 1996, le Tribunal avait fait des progrès considérables : des dizaines de personnes soupçonnées de crimes de guerre avaient été mises en accusation. Or seulement un petit nombre d’entre elles avaient été remises au Tribunal. L’IFOR, force opérationnelle de l’OTAN chargée du maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine, qui avait remplacé la FORPRONU, avaient clairement dit que, pendant la durée de son mandat, elle ne rechercherait ni n’arrêterait aucune personne soupçonnée par le Tribunal. Ce n’est qu’en 1997, pendant l’été, avec le remplacement de l’IFOR par la SFOR (force multinationale de stabilisation) que le climat politique a changé et que les arrestations ont été possibles. Contrairement à ce qu’avaient redouté certains stratèges militaires durant les premières années, ces arrestations n’ont pas créé d’instabilité ni ligué la population contre les forces internationales présentes en Bosnie-Herzégovine.

Le changement d’attitude des forces internationales s’est produit à peu près à l’époque où le Procureur a adopté une nouvelle stratégie pour permettre au Tribunal d’obtenir la remise d’un plus grand nombre de suspects et empêcher ceux-ci de se soustraire à la justice. Au lieu d’annoncer publiquement chaque nouvelle mise en accusation, le Procureur de l’époque, Louise Arbour, a adopté une attitude plus proche de celle de la plupart des autorités judiciaires nationales : elle a choisi ne plus révéler le nom des suspects aux médias et aux organismes publics et de ne communiquer celui-ci qu’aux forces de police chargées d’appréhender les suspects et de les remettre au Tribunal. Dès lors, le Bureau du Procureur a pu compter sur la SFOR et sur d’autres forces internationales pour arrêter et transférer les accusés, et a communiqué à celles-ci le nom des personnes inculpées dans des actes d’accusation placés « sous scellés ». Cette politique a porté ses fruits et plusieurs suspects ont été arrêtés. D’autres, craignant d’être appréhendés, se sont livrés de leur plein gré.

La maturité : 1997-2004

À la fin de l’année 1997, le Tribunal avait atteint une maturité qui a surpris nombre d’observateurs. Il avait montré que le droit international humanitaire n’était pas une discipline purement théorique, mais pouvait effectivement être appliqué. L’organisation a continué de se heurter à plusieurs obstacles importants, tels que le fait que certains États, certaines entités ou d’autres organisations, continuent à protéger les fugitifs et à dissimuler des éléments de preuve. Mais le Bureau du Procureur a poursuivi son travail d’enquête, lequel a abouti à d’autres mises en accusation, tout en présentant ses dossiers dans les procès, toujours plus nombreux.

La maturité du Tribunal ainsi que sa crédibilité croissante ont permis au Bureau du Procureur d’obtenir plus d’informations et de réunir d’autres éléments de preuve. Le Procureur du TPIY a pu également concentrer son action sur les plus hauts dirigeants, et non plus seulement sur les auteurs directs des crimes ou les subalternes, qui avaient constitué jusqu’alors la majorité des personnes mises en accusation. Au fil des ans, les enquêteurs et les membres du Bureau du Procureur chargés des procès ont recueilli un très grand nombre de témoignages et rassemblé un nombre considérable d’éléments de preuves. Les analystes ont affiné leur connaissance du conflit, de la hiérarchie et des chaînes de commandement, des politiques et des objectifs mis en œuvre par les acteurs clés du conflit. Des observateurs internationaux sont venus témoigner de leurs expériences au contact des dirigeants à l’époque des faits. Bon nombre d’autres témoins, dits « du premier cercle », se sont fait connaître et se sont dit prêts à dire la vérité, et des centaines de milliers de documents, enregistrements vidéos et éléments de preuve photographiques ont été rassemblés.

À partir de 1997, de nombreux précédents ont été créés, autant au sein du Tribunal qu’en dehors de ses salles d’audience. Les Chambres ont prononcé leurs premières condamnations pour les crimes commis en Bosnie-Herzégovine, contre des accusés issus de toutes les parties : Serbes, Croates et Musulmans. Le Procureur a connu son premier échec, avec l’acquittement de Zejnil Delalić, en novembre 1998. En outre, indépendamment de la volonté du Tribunal, un accusé est mort lors d’une tentative d’arrestation par la SFOR (Simo Drljača, 1997). En juin 1997, le suicide de Slavko Dokmanović au quartier pénitentiaire des Nations Unies a porté un nouveau coup dur au Bureau du Procureur et au Tribunal dans son ensemble. Slavko Dokmanović s’est pendu dans sa cellule, au terme de son procès, à la veille du prononcé du jugement.

Le travail du Tribunal a également été affecté par le refus constant des autorités de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine et du régime de Belgrade de coopérer avec le Tribunal. Les autorités serbes ont non seulement dissimulé des preuves, mais aussi refusé de fournir des documents aux enquêteurs du Tribunal qui tentaient d’établir la vérité sur les crimes dont des Serbes étaient présumés responsables. La Croatie a, dans une certaine mesure, davantage coopéré, mais elle a également refusé de fournir de nombreux documents clés et n’a pas voulu reconnaître le mandat du Procureur concernant les crimes qu’aurait commis l’Armée croate contre des Serbes en 1995, lors des opérations « Flash » et « Storm ».  

En 1998, le Bureau du Procureur a dû relever un nouveau défi, avec la montée des violences au Kosovo. À cette époque, trois ans après les conflits armés en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, de nombreux rapports faisaient état de nouveaux crimes relevant de la compétence du Tribunal. Dans l’espoir de favoriser un règlement pacifique du conflit au Kosovo, le Procureur Louise Arbour a confirmé publiquement en mars 1998 que toute violation grave du droit humanitaire au Kosovo relevait de la compétence du Tribunal et que celui ci était habilité à enquêter sur ces crimes.

Les autorités de Belgrade ont refusé catégoriquement que le Bureau du Procureur enquête sur les atrocités commises au Kosovo, faisant valoir que ces événements étaient le résultat de dissensions internes avec des « terroristes ». Après avoir été informée d’un massacre commis à Račak en janvier 1999, Louise Arbour a tenté de se rendre au Kosovo en passant par l’ex-République Yougoslave de Macédoine, mais les autorités serbes ont refusé de lui délivrer un visa. Le Procureur a certes essuyé là un échec, mais cet événement et la confrontation avec les autorités de Belgrade ont été largement relayés dans les médias et ont finalement aidé le Tribunal à accomplir sa mission. De retour à La Haye, Louise Arbour a déclaré, sans équivoque, qu’elle enquêterait sur le massacre de Račak « avec ou sans l’accès au territoire. »

Les événements du Kosovo devaient revêtir une grande importance pour le Bureau du Procureur, à bien des égards. Alors que les bombardements de l’OTAN sur la République fédérale de Yougoslavie (RFY) et les violences au Kosovo faisaient encore rage, le Procureur a délivré un acte d’accusation contre le Président de la RFY, Slobodan Milošević. Pour la première fois dans l’Histoire, une cour internationale de justice engageait des poursuites contre un chef d’état dans l’exercice de ses fonctions.

Le 12 juin 1999, les enquêteurs du Tribunal se sont rendus au Kosovo sous la protection de membres de la force de l’OTAN (KFOR). Quelques jours plus tard, des spécialistes de la police scientifique, prêtés au Tribunal par des États Membres, sont arrivés au Kosovo pour procéder aux premières exhumations un peu partout dans la province. L’ampleur de ces travaux et la rapidité de leur exécution étaient sans précédent. Pour la seule année 1999, 2 108 corps ont été découverts dans 195 lieux différents. Des bases opérationnelles temporaires ont été établies en Albanie, au Kosovo et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine et, en peu de temps, des milliers de témoins ont été interrogés.

Avec le conflit au Kosovo, le Bureau du Procureur a été confronté à une situation inédite. Dans la mesure où des États Membres de l’OTAN étaient parties au conflit armé, leurs représentants pouvaient avoir à répondre de leurs actes devant le Tribunal. Le Bureau du Procureur a commencé à recevoir des plaintes de sources différentes, ainsi que des éléments donnant à penser que des soldats de l’OTAN, voire des dirigeants de cette organisation, avaient pu commettre des crimes relevant de la compétence du Tribunal pendant la campagne de l’OTAN contre la RFY.

Le Procureur a considéré qu’il était de son devoir d’examiner ces plaintes et allégations, et, après avoir examiné attentivement les rapports présentés par son équipe, a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête. Carla Del Ponte a déclaré que, bien que des erreurs aient été commises par l’OTAN, elle était convaincue que la population civile n’avait pas été délibérément prise pour cible et que les frappes aériennes de l’OTAN étaient dirigées contre des objectifs militaires légitimes. Le Procureur a également estimé que, compte tenu de la situation tout à fait inédite pour le Tribunal, elle devait s’exprimer publiquement. Le rapport du Bureau du Procureur sur la question a donc été rendu public.

>> A lire : le rapport du Procureur sur la campagne de bombardement de l'OTAN (en anglais) >> A lire : le communiqué de presse du 13 juin 2000 (en anglais)

Pendant les premières années, les organes du Tribunal se sont surtout employés à bâtir l’institution, mais vers 2000, le Procureur a dû s’interroger sur la manière de conclure un jour ses activités, le Tribunal étant une institution ad hoc. Le Bureau du Procureur ne pouvait tout simplement pas continuer indéfiniment à ouvrir de nouvelles enquêtes.

Peu de temps après avoir pris ses fonctions de Procureur, en septembre 1999, Carla Del Ponte a présenté le premier rapport d’évaluation sur la fin des enquêtes du Bureau du Procureur. En décembre de cette année-là, elle a annoncé publiquement qu’il restait environ 36 enquêtes, concernant près de 150 suspects, qui seraient terminées à la fin de l’année 2004. Cette date a ensuite été retenue comme la date butoir de fin des enquêtes dans le cadre de la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal, sanctionnée par le Conseil de sécurité. Certaines enquêtes ont dû être interrompues, le Procureur devant faire passer certains affaires en priorité afin de respecter la date butoir.

Par ailleurs, il s’est avéré que les crimes relevant de la compétence du TPIY n’avaient pas cessé avec la fin du conflit au Kosovo. Suite à l’éclatement d’un conflit armé entre les forces gouvernementales et des groupes organisés de rebelles albanais dans l’ex République yougoslave de Macédoine (ARYM) en 2001, le Procureur du TPIY a décidé d’user de ses pouvoirs pour enquêter sur les allégations de crimes commis par les deux parties au conflit. Le fait que le Tribunal exerce sa primauté dans ces affaires a été contesté par les tribunaux de l’ARYM et une audience consacrée à la question du dessaisissement des juridictions macédoniennes au profit du TPIY s’est tenue devant une Chambre de première instance du Tribunal le 25 septembre 2003. Cinq affaires de crimes de guerre, au stade de l’enquête, ont été déférées au TPIY. L’une d’entre elles a abouti à une mise en accusation devant le Tribunal tandis que les autres ont été renvoyées aux autorités macédoniennes.

Le 29 juin 2001, le transfèrement de Slobodan Milošević, Président de la RFY, au quartier pénitentiaire du TPIY, a constitué une date historique pour le Tribunal. Carla Del Ponte a qualifié cet événement d’« étape importante pour la justice internationale ».

L’été 2001 a également été marqué par un autre événement historique : la première condamnation pour génocide prononcée par le TPIY. Le général Krstić a été déclaré coupable pour son rôle dans le génocide commis à Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine, en juillet 1995. Cette condamnation a été une grande victoire pour le Bureau du Procureur, car le génocide est considéré comme l’un des crimes les plus difficiles à prouver. Les tentatives pour établir qu’il y avait eu un génocide dans d’autres régions de Bosnie-Herzégovine, telles que les municipalités de Brčko et de Prijedor, s’étaient auparavant soldées par un échec.

En 2001, Carla Del Ponte a redéfini les priorités du Bureau du Procureur et de la Division des enquêtes en mettant les moyens de cette division au service de ses premiers substituts, et ce, dans le but de faire avancer la préparation des actes d’accusation visant les plus hauts dirigeants et de soutenir le travail de l’Accusation au stade de la préparation des affaires, du procès et des procédures en appel.

Jusqu’en 2000, presque tous les actes d’accusation dressés par le Bureau du Procureur concernaient des crimes dont les victimes étaient essentiellement bosniaques. Sur une quarantaine d’actes d’accusation, les seules exceptions visaient les responsables présumés des crimes commis à Zagreb et Vukovar (dont les victimes étaient Croates) et dans le camp de Čelibići, à Konjic, en Bosnie-Herzégovine (dont les victimes étaient Serbes de Bosnie) ou les dirigeants de Belgrade pour les crimes commis contre des Albanais du Kosovo. Dans les premiers temps, la grande majorité des accusés étaient Serbes, même si l’on comptait aussi une dizaine de Croates de Bosnie dans les premiers accusés.

Les autorités serbes et croates ont, à plusieurs reprises, accusé le Bureau du Procureur de faire preuve de préjugés ethniques et de ne pas reconnaître les souffrances de toutes les parties au conflit. Le Bureau du Procureur a toujours insisté sur le fait que les observateurs devaient se garder de tout commentaire et attendre que tous les actes d’accusation aient été délivrés. À partir de 2001, les enquêtes du Bureau du Procureur concernant de hauts dirigeants soupçonnés de crimes commis contre des Croates et des Serbes ont commencé à porter leurs fruits, et plusieurs actes d’accusation ont été confirmés pour les crimes commis par les forces croates dans la « poche de Medak » et pendant l’opération « Storm », les atrocités commises par les moudjahiddin en Bosnie centrale, les meurtres de civils croates de Bosnie à Grabovica et Uzdol, en Bosnie Herzégovine, et les crimes commis par des membres de l’Armée de libération du Kosovo contre des Albanais du Kosovo et des civils serbes.

De 2002 à 2004, le Bureau du Procureur a connu une période d’intense activité. Le nombre des affaires, au stade de la mise en état, du procès ou de l’appel, a augmenté considérablement, essentiellement grâce à l’arrivée des juges ad litem, qui a permis au Tribunal de mener de front quasiment deux fois plus de procès. Pendant la même période, le Bureau du Procureur a travaillé d’arrache-pied pour respecter la date butoir de fin 2004, marquant la clôture de ses enquêtes et la présentation de ses derniers actes d’accusation. Sur le plan diplomatique, le Bureau du Procureur a déployé beaucoup d’efforts pour convaincre les États de respecter l’obligation internationale qu’ils ont de coopérer avec le Tribunal.

Cette période a également été marquée par une série de plaidoyers de culpabilité, qui ont contribué à alléger la charge de travail, toujours croissante. De septembre 2001 à janvier 2004, le Bureau du Procureur est parvenu à conclure des accords sur le plaidoyer de culpabilité avec 14 accusés, contre lesquels il avait réuni des preuves accablantes. Biljana Plavšić a été la première dirigeante à reconnaître publiquement sa culpabilité. Certains auteurs de crimes, comme Milan Babić ou Dragan Obrenović, ont fourni à l’Accusation des informations d’une valeur inestimable et ont accepté de témoigner contre d’autres accusés.

L’achèvement des travaux du Tribunal : depuis 2004

Le TPIY est une institution temporaire et ad hoc. Depuis plusieurs années, il s’emploie à terminer ses travaux. La stratégie d’achèvement qu’il a définie suppose notamment de renvoyer certaines affaires aux juridictions nationales et de leur transmettre des éléments de preuve.

En décembre 2004, le Procureur du TPIY a signé les derniers actes d’accusation. Ceux-ci ont été confirmés et rendus publics au printemps 2005. Il s’agissait de la première échéance fixée par la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal. Dès lors, le Bureau du Procureur a pu se consacrer pleinement aux affaires au stade de la mise en état, aux procès et aux appels. Cette stratégie a pour objectif de conclure les procès en première instance dès que possible après la fin de l’année 2010, et les procédures en appel au cours des deux années suivantes.

La confirmation des derniers actes d’accusation a mis fin à bon nombre de conjectures : Qui faisait l’objet d’une enquête ? Qui se trouvait sous le coup d’un acte d’accusation ? Existait-il encore des « actes d’accusations secrets » ? Cela étant, la question des accusés encore en fuite reste extrêmement préoccupante. Le soutien politique de la communauté internationale et les pressions exercées par celle-ci ont toujours compté pour le Tribunal, et la perspective pour les États de l’ex-Yougoslavie d’entrer dans l’Union européenne (UE) a constitué jusque-là le moyen le plus efficace pour obliger ceux-ci à coopérer avec le TPIY.

La décision de l’UE de subordonner les négociations d’adhésion à la coopération avec le TPIY a permis d’obtenir des résultats sans précédent pour ce qui est des arrestations et de la reddition des accusés. En l’espace de six mois, de fin 2004 au début 2005, plus de 20 accusés ont été transférés au Tribunal pour y être jugés. Fin 2008, il ne restait plus que deux accusés encore en fuite: Ratko Mladić et Goran Hadžić.

Les dates butoir fixées par la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal approchant, un certain nombre de mesures ont été prises pour accélérer les procès. Les équipes de l’Accusation ont réexaminé et rationalisé leurs dossiers afin de réduire au maximum la durée de la présentation des moyens à charge, et de se concentrer sur les principaux chefs d’accusation.

Dans certaines affaires, les juges ont ordonné à l’Accusation de resserrer son dossier, contre l’avis du Procureur. Les substituts du Procureur ont présenté le plus souvent possible des déclarations écrites pour éviter d’appeler à la barre un très grand nombre de témoins. Chaque fois que possible, il y a eu jonction d’instances, et trois procès, concernant chacun six accusés au moins, sont actuellement en cours. En juillet 2007, pour la première fois dans l’histoire du Tribunal, 26 accusés étaient jugés en même temps.

Parallèlement, le Bureau du Procureur continue de mener des enquêtes dans le cadre des procès en cours, en première instance ou en appel. Aujourd’hui encore, de nouveaux témoins se présentent et l’ouverture des archives nationales révèle de nouveaux éléments de preuve. Une grande partie des éléments de preuve a été mise à la disposition des tribunaux de la région, et de nombreuses affaires ont été renvoyées aux autorités des pays de l’ex-Yougoslavie, tout particulièrement à la Chambre spéciale chargée de juger les crimes de guerre à Sarajevo, dont la création a largement été rendue possible par la stratégie d’achèvement des travaux du TPIY. Les membres du Bureau du Procureur ont participé à la création d’une division spécialisée dans les affaires de crimes de guerre au sein du parquet de Bosnie-Herzégovine et ont aidé celle-ci à relever le défi qui consiste à instruire une affaire renvoyée par une autre juridiction. Le Bureau du Procureur continue de transmettre ses preuves aux procureurs de la région et à les faire profiter de son expérience.

Le TPIY va toutefois devoir achever ses procès. Il est très inhabituel de fermer une institution judiciaire, mais c’est un exercice auquel le Bureau du Procureur et les autres organes du Tribunal devront se livrer au cours des années à venir. Il est donc essentiel d’obtenir sans délai l’arrestation et le transfert des derniers fugitifs. C’est à cette condition que les hauts dirigeants auront été jugés comme il se doit.

Il est également important que le Tribunal puisse compter sur un soutien politique sans faille pour achever ses travaux. Au fil des années, le Procureur s’est constamment employé à obtenir l’arrestation des accusés, la communication d’éléments de preuve et, d’une manière générale, la coopération et le soutien des États et des organisations non gouvernementales pour garantir la réussite des procès. Ces activités diplomatiques se poursuivront jusqu’à la fin des travaux du Bureau du Procureur.

Les poursuites pénales internationales sont à présent une réalité. De grandes choses ont été accomplies et il faut que cette dynamique se poursuive jusqu’à la fin du Tribunal.