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Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Momir Nikolic

Communiqué de presse
CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 2 décembre 2003
CC/P.I.S./806f


Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Momir Nikolic

 

 

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ère instance I composée des Juges Liu Daqun (Président), Volodymyr Vassylenko, et Carmen Maria Argibay, tel que lu le Juge Président:

La présente audience est consacrée au prononcé du jugement en l’espèce. Ce qui suit n’est qu’un résumé du jugement écrit, dont il ne fait pas partie intégrante. Le texte écrit du jugement sera mis à la disposition des parties et du public à l’issue de l’audience.

*****

L’audience tenue aujourd’hui a pour objet de condamner Momir Nikolic pour sa participation aux persécutions commises après la chute de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995.

Rappel de la procédure et Accord sur le plaidoyer

Momir Nikolic, Serbe de Bosnie âgé de 48 ans, a été mis en accusation par le Bureau du Procureur le 26 mars 2002 pour différents crimes : génocide, persécutions et extermination. Arrêté par la SFOR le 1er avril 2002, il a été transféré au Tribunal, où il est depuis en détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies. Momir Nikolic a été mis en accusation conjointement avec trois autres accusés et la date d’ouverture de son proccs était fixée au 6 mai 2003.

Avant l’ouverture du procès, l’Accusation et la Défense ont présenté à la Chambre de première instance une requête conjointe aux fins d’examen d’un accord sur le plaidoyer conclu entre Momir Nikolic et l’Accusation le 6 mai 2003. Aprcs deux jours d’audiences consacrées au plaidoyer et une modification apportée ŕ celui-ci, la Chambre de première instance a accepté le plaidoyer de Momir Nikolic pour un chef de crimes contre l’humanité, celui de persécutions, sanctionné par les articles 5 h) et 7 1) du Statut, et l’a déclaré coupable de ce chef.

En application de l’accord sur le plaidoyer, l’Accusation a demandé que soient retirés les autres chefs d’accusation, ce qui a été fait par la suite. En outre, dans l’accord sur le plaidoyer, Momir Nikolic a accepté de témoigner dans d’autres affaires portées devant le Tribunal, notamment dans celles ayant trait ŕ Srebrenica. En septembre 2003, Momir Nikolic a témoigné dans le proccs de ses deux anciens coaccusés huit jours durant.

Du 27 au 29 octobre 2003 se sont tenues des audiences consacrées au prononcé de la sentence, au cours desquelles sept témoins ont déposé à la barre et quatre déclarations écrites ont été admises en application de l’article 92 bis du Règlement.

L’accusé ayant plaidé coupable en application d’un accord sur le plaidoyer, la Chambre de première instance s’est penchée sur la place faite aux accords sur le plaidoyer dans les affaires de violations graves du droit international humanitaire. La Chambre de première instance conclut, après mûre réflexion, que les plaidoyers de culpabilité faisant suite à un accord peuvent aider le Tribunal dans ses activités et dans l’accomplissement de sa mission. Elle considère néanmoins que, compte tenu des obligations qui incombent au Procureur et aux chambres de première instance aux termes du Statut du Tribunal, la décision de conclure un accord sur le plaidoyer ou d’accepter un tel accord doit être prise avec la plus grande prudence.

Les faits

L’accord relatif au plaidoyer a été déposé, accompagné d’un exposé écrit des faits concernant le crime et la part qu’y a prise Nikolic. La Chambre de premicre instance va se fonder sur l’exposé des faits et l’acte d’accusation, dont Nikolic a reconnu la véracité, pour fixer la peine. Les faits qui y sont décrits sont les suivants.

Le crime de persécutions, visé au chef 5 de l’acte d’accusation, a été consommé par :

— le meurtre de milliers de civils musulmans de Bosnie, hommes, femmes, enfants et personnes âgées ;

— le traitement cruel et inhumain de civils musulmans de Bosnie, qui a notamment pris la forme de sévices corporels graves à Potocari et dans des centres de détention à Bratunac et à Zvornik ;

— la terrification des civils musulmans de Bosnie à Srebrenica et à Potocari ;

— la destruction des biens et effets personnels des Musulmans de Bosnie ; et

— le transfert forcé de Musulmans de Bosnie de l’enclave de Srebrenica.

C’est la population civile fuyant l’enclave de Srebrenica après l’attaque et la prise du pouvoir par les Serbes qui en a été victime.

À Potocari, les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été séparés des hommes en âge de porter les armes. Ceux-ci ont été détenus, tandis que leurs épouses et leurs enfants étaient placés à bord d’autocars et transférés de force en territoire sous contrôle musulman. Ce transfert forcé s’est accompagné d’actes de terreur, d’humiliations et d’actes d’une extrême cruauté.

Les hommes détenus ont été emmenés de Potocari pour ętre exécutés. De męme, les hommes qui avaient fui Srebrenica dans « la colonne » ont été faits prisonniers et retenus, jusqu’à ce qu’ils soient exécutés. Sur le trajet Bratunac — Zvornik, les noms qui désignaient autrefois des hameaux, des communes, des lieux du savoir, de culture, de travail ou des traits géographiques désignent désormais des lieux de massacre : la rivière Jadar, la vallée de la Čerska, l’entrepôt de Kravica, l’école de Petkovci, le centre culturel de Pilica, et les villages de Tišca et Orahovac. Ŕ la ferme militaire de Branjevo, quelque 1 200 hommes musulmans de Bosnie qui avaient été capturés dans la colonne ont été exécutés à l’arme automatique. Plus de 7 000 hommes au total ont été tués.

La peine : finalités de la sanction

La Chambre de première instance a examiné les principes et les finalités de la peine à la lumière du mandat du Tribunal. Elle a conclu que les principes gouvernant la peine dans les systèmes nationaux, à savoir la dissuasion, la rétribution et la réinsertion, sont applicables à l’échelon international, même si dans ce cas, la portée et l’objet de chacun peuvent néanmoins être différents.

Gravité des infractions

Passant en revue les éléments à prendre en considération dans la sentence, la Chambre de première instance a tout d’abord considéré la gravité des infractions, sachant qu’il lui fallait prendre en compte les circonstances propres à l’affaire, ainsi que le mode et le degré de participation de Momir Nikolic au crime.

La Chambre de première instance fait observer que le crime de persécution est, par essence, grave. Sa singularité vient de ce qu'il exige une intention discriminatoire spécifique de la part de l’auteur, et c’est pourquoi ce crime est considéré comme extrêmement grave. En l’espèce, la gravité de l’infraction est mise en évidence par les actes de persécution dont Momir Nikolic a été reconnu coupable.

Les crimes commis après la chute de l’enclave de Srebrenica ne sont malheureusement que trop connus. Le massacre ou le transfert forcé de la population musulmane de cette région de Bosnie orientale en à peine plus d'une semaine a atteint un degré de sauvagerie et de bestialité sans précédent dans le conflit en ex-Yougoslavie, qui avait pourtant déjà coûté de trop nombreuses vies.

Momir Nikolic n’ignorait pas les crimes commis au lendemain de la chute de Srebrenica. Au contraire, il semble avoir joué un rôle de premier plan dans ces agissements criminels, qui se sont étendus de Potocari ŕ Bratunac et ŕ Zvornik. Momir Nikolic se trouvait ŕ l’hôtel Fontana lors des trois réunions durant lesquelles le sort de la population musulmane a été décidé. Il n’a pas soulevé la moindre objection lorsqu’il a appris qu’il avait été prévu de déporter les femmes et les enfants musulmans en territoire musulman, et de séparer, d’incarcérer et, enfin, de tuer les hommes musulmans. Plutôt que de s'y opposer, Momir Mikolic a recommandé des lieux de détention et d’exécution possibles. Le 12 juillet 1995, Momir Nikolic se trouvait ŕ Potocari, oů il a vu de ses propres yeux que les hommes étaient séparés de leur famille, il a entendu les pleurs des enfants qui voyaient leurs pères emmenés, il a vu la peur dans les yeux des femmes qui étaient poussées sans ménagement dans les autocars qui les attendaient, alors qu'elles savaient quel serait le sort réservé aux pères, maris et fils, et qu’elles ne pouvaient changer le cours des choses. S’il s'est présenté comme le coordinateur de différentes unités opérant à Potocari, il n’a rien fait pour mettre un terme aux exactions, aux humiliations, aux séparations ou aux exécutions.

Momir Nikolic est retourné ŕ Potocari le 13 juillet 1995 et, selon ses termes, a estimé que « tout se passait bien » ; et les déportations se sont poursuivies comme les séparations. Il s'est chargé des dispositions en maticre de sécurité pour le général Mladic et, lorsqu'ils se sont rencontrés, il lui a indiqué qu'il n'y avait « aucun problcme ». Le même jour, Momir Nikolic a vu des colonnes de prisonniers en marche vers leurs lieux d’exécution. Plus tard dans la soirée, il était présent lorsque trois autres personnes impliquées dans les exécutions ont ouvertement parlé du massacre. Les modalités de l’opération ont été discutées en détail, afin de faciliter l’exécution du projet. Momir Nikolic s’est impliqué dans la mise en oeuvre du projet afin d’en assurer la réalisation des objectifs.

De plus, durant les mois qui ont suivi les exécutions, Momir Nikolic a coordonné l’opération consistant ŕ exhumer les cadavres des Musulmans pour les réinhumer ailleurs. Le soutien qu’il a apporté ainsi sans relâche a permis de faire disparaître des éléments de preuve déterminants, et de nombreuses familles ignorent encore où peuvent se trouver leurs proches disparus.

La Chambre de première instance considère qu’il conviendrait de prononcer à l’encontre de Momir Nikolic une peine de l’ordre de 20 ans d’emprisonnement, si l'on ne tient compte que de la gravité du crime dont il a été reconnu coupable, du rôle qu’il y a joué et de la part qu’il y a prise, et de la grille générale des peines appliquées dans l'ex-Yougoslavie et au Tribunal international. La Chambre s’attachera à présent à déterminer s'il existe des circonstances aggravantes ou atténuantes en l’espèce et, le cas échéant, quelle en sera l’incidence sur la peine qu’encourt Momir Nikolic.

Circonstances aggravantes

L’Accusation fait valoir que la Chambre de première instance devrait tenir compte de trois circonstances aggravantes en l’espèce : i) l’autorité exercée par Momir Nikolic, ii) le rôle joué par celui-ci, et iii) la vulnérabilité des victimes et le caractère odieux des crimes commis. La Défense de Nikolic fait valoir qu’il n’y a pas en l’espcce de circonstances aggravantes, puisque celles invoquées par l'Accusation sont subsumées sous la gravité générale de l'infraction.

La Chambre de première instance considère que Momir Nikolic, en tant que chef de la sécurité et du renseignement, occupait un poste de responsabilité. Alors qu’il avait pour fonctions d’exécuter les ordres et non pas d’en donner, Momir Nikolic dirigeait les activités de la police militaire de la brigade de Bratunac, et coordonnait également les activités d’autres unités, ce qui était important pour l’exécution des actes criminels sous-jacents commis ŕ la suite de l'attaque contre Srebrenica. Le rôle joué par Momir Nikolic et les fonctions qu’il a exercées, si ce n’était pas en sa qualité de commandant, n’en revętaient pas moins une grande importance pour l’opération meurtricre qui se déroulait.

La Chambre de première instance considère que le caractère odieux des crimes est subsumé sous la gravité générale de l’infraction.

La Chambre de première instance souligne en particulier la vulnérabilité des victimes, notamment des femmes, des enfants, des personnes âgées, ainsi que des hommes capturés. Tous se trouvaient démunis et ont fait l'objet de traitements cruels lorsqu’ils étaient aux mains de ceux qui les avaient capturés. Dans ces conditions, la Chambre considère qu’il s’agit là d’une circonstance aggravante s'agissant de la perpétration de ces actes criminels.

Circonstances atténuantes

L’Accusation estime que les circonstances atténuantes que la Chambre de première instance devrait retenir sont le plaidoyer de culpabilité, la reconnaissance de responsabilité, les remords exprimés, la coopération fournie au Bureau du Procureur, et la bonne moralité de l’accusé avant les faits. En plus de ces éléments, la Défense de Nikolic avance que la reddition volontaire de l’accusé, sa bonne conduite au quartier pénitentiaire des Nations Unies et sa situation personnelle constituent des circonstances atténuantes lui donnant droit à une importante réduction de peine.

La Chambre de première instance estime ainsi que le plaidoyer de culpabilité constitue une circonstance atténuante importante, parce qu’il a contribué à établir la vérité, à favoriser la réconciliation, et parce que Momir Nikolic accepte d’assumer une responsabilité pénale individuelle pour son rôle dans le crime de persécutions. Si la Chambre considcre la plaidoyer de culpabilité comme une circonstance atténuante, c’est également parce qu’il a permis d’éviter que certains témoins soient contraints de venir déposer à propos d’événements traumatisants et douloureux. Cela est particulièrement appréciable dans le cas de Srebrenica, à propos duquel l’Accusation a présenté de nombreux actes d’accusation, et pour lequel la présence de ces témoins sera probablement requise dans des procès à l’avenir.

Enfin, la Chambre de première instance observe que d’autres accusés ont été récompensés pour avoir plaidé coupables avant l’ouverture du procès, ou dans ses débuts, permettant ainsi d’économiser les ressources du Tribunal. La Chambre apprécie les économies réalisées, mais estime qu’elles ne sauraient revêtir une importance excessive dans une affaire de cette envergure, où le Tribunal s’emploie à exécuter la mission qui lui a été confiée par le Conseil de sécurité — et, partant, par la communauté internationale — : celle de rétablir la justice en ex-Yougoslavie à travers des procédures pénales équitables et conformes aux normes internationales des droits de l’homme, en respectant pleinement les droits des accusés et les intérêts des victimes.

S’agissant de la coopération fournie, la Chambre note que Momir Nikolic a eu des entretiens avec l’Accusation, qu’il a témoigné ŕ charge dans certaines affaires et qu’il a fourni à l’Accusation des informations dont elle ne disposait pas auparavant. Elle retient que l’Accusation considère qu’il a pleinement coopéré. Pour évaluer le concours fourni, la Chambre de première instance a également pesé la véracité du témoignage de Momir Nikolic au proccs Blagojevic, et a tenu compte des nombreux cas où l’accusé est resté évasif dans ses propos. Elle en conclut que sa volonté de coopérer ne s’est pas entièrement concrétisée pour tous les événements, vu les fonctions qu’il exerçait et sa connaissance des événements.

La Chambre de première instance a soigneusement examiné les remords exprimés par Momir Nikolic, et les excuses qu’il a présentées aux victimes, ŕ leurs familles, et aux Musulmans de Bosnie pour sa participation au crime de persécutions. Elle a pris bonne note des raisons avancées par l’accusé afin d’expliquer pourquoi il a plaidé coupable et pourquoi il a, dans le cadre des négociations relatives au plaidoyer, fourni de fausses informations à l’Accusation. Sachant que les circonstances atténuantes doivent être établies sur la base de l’hypothèse la plus probable, la Chambre de première instance retient les remords exprimés comme une circonstance atténuante, mais ne peut leur accorder un poids important.

La Chambre de première instance a en outre retenu les circonstances atténuantes suivantes : Momir Nikolic n’a pas exercé de discrimination avant la guerre, il était un membre respecté de sa communauté, et il s’est bien comporté en prison. Enfin, la Chambre a pris en compte sa situation familiale.

Conclusions

Momir Nikolic reconnaît sa responsabilité pour les actes criminels par lesquels il a concouru ŕ la commission de ces crimes. Il a coopéré avec l’Accusation et exprimé ses remords aux victimes. Il est probable que son plaidoyer de culpabilité aura des effets bénéfiques sur toutes les communautés de l’ex-Yougoslavie, et il se peut qu’il ait ouvert la voie à la réconciliation. En fixant la peine, la Chambre de première instance a tenu compte de tous ces éléments.

Comme on l’a dit, Momir Nikolic a pris une part active aux crimes commis ŕ Potocari, Bratunac et Zvornik. Il n’a pas essayé de se dérober ŕ ses fonctions officielles ou de prendre ses distances pendant ces jours fatidiques. De son propre aveu, il s’est montré trcs actif — et même activiste — afin que l’opération se poursuive et soit, selon ses propres mots, un « succès ».

La Chambre de première instance a pris en compte les crimes commis de juillet à novembre 1995 dont Momir Nikolic été déclaré coupable, sous la qualification de persécutions, ainsi que le degré et le mode de sa participation ŕ la commission de ces crimes. Elle a accordé un juste poids ŕ chaque circonstance atténuante ou aggravante. Ainsi qu’elle l’a toujours rappelé aux parties et à l’accusé, la Chambre n’est pas liée par leurs recommandations en matière de peine. La Chambre a soigneusement examiné les conclusions des parties, et les peines proposées. Elle estime toutefois qu’elle ne peut accepter ni la peine proposée par la Défense, ni celle requise par l’Accusation, car aucune des deux ne rend compte de l’ensemble du comportement criminel dont Momir Nikolic a été déclaré coupable.

Monsieur Nikolic, veuillez vous lever.

Ayant dûment pesé l’ensemble de ces éléments, la Chambre de première instance vous condamne à 27 ans d’emprisonnement. La durée de détention préventive à déduire de cette peine est de 610 jours à la date du présent jugement portant condamnation, auxquels s’ajoutera toute période supplémentaire de détention dans l’attente d’un éventuel jugement en appel.

 

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Le texte intégral du jugement est disponible sur le site Internet du Tribunal, ainsi que sur
demande auprès des Services d’Information publique
(en anglais seulement, provisoirement).

 


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