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Résumé de l'arrêt rendu dans l’affaire le procureur c/ Pavle Strugar


CHAMBER D'APPEL

 

La Haye, 17 juillet 2008


Résumé de l'arrêt rendu dans
    l’affaire le procureur c/ Pavle Strugar


Veuillez trouver ci-dessous le résumé de l'arrêt, tel que lu par le Juge Vaz :

La présente audience est consacrée à l’affaire Le Procureur c. Pavle Strugar. Comme indiqué dans l’Ordonnance portant calendrier du 18 juin 2008, la Chambre d’appel est réunie aujourd’hui pour procéder au prononcé de l’Arrêt dans cette affaire en application de l’article 15bis du Statut et de l’article 117(D) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal.

Conformément à l’usage du Tribunal, je ne donnerai pas lecture du texte de l’Arrêt, à l’exception de son Dispositif. Après avoir rappelé les principales questions soulevées dans le cadre cette procédure, je ferai état des conclusions de la Chambre d’appel. Je tiens à souligner que le résumé qui suit ne fait pas partie intégrante de l’Arrêt. Seul fait autorité l’exposé des conclusions et des motifs de la Chambre d’appel que l’on trouve dans le texte écrit de l’Arrêt, dont des copies seront mises à la disposition des parties à l’issue de l’audience.

***

Les faits donnant lieu aux présents appels se sont produits pendant la campagne militaire menée par les troupes de l’ancienne Armée populaire yougoslave (la « JNA ») dans la région de Dubrovnik (Croatie) en octobre, novembre et décembre 1991. Selon le Jugement rendu le 31 janvier 2005 par la Chambre de première instance II, dans le cadre d’une attaque ordonnée par Strugar contre Srđ, le 3e bataillon de la 472e brigade motorisée avait bombardé la vieille ville de Dubrovnik. La Chambre de première instance a conclu que ces unités étaient subordonnées au 2e groupe opérationnel (le « 2e GO ») dont le Général Strugar a pris le commandement le 12 octobre 1991. La Chambre a estimé que ce bombardement était délibéré, qu’il ne constituait pas une riposte aux positions croates ou d’autres positions militaires, réelles ou supposées, et qu’il avait causé des dommages considérables à la vieille ville. Elle a en outre constaté que le bombardement de la vieille ville avait fait deux morts et deux blessés, aucune des victimes ne participant activement aux hostilités. Sur cette base, la Chambre de première instance a condamné Strugar à une peine unique de huit ans d’emprisonnement pour les chefs d’accusation suivants :
- le chef 3 : attaque contre des civils aux termes des articles 3 et 7 3) du Statut ;
- le chef 6 :  destruction ou endommagement délibéré de biens culturels aux termes des articles 3 d) et 7 3) du Statut.

Les deux parties ont interjeté appel contre le jugement de première instance. A la demande des parties, la Chambre d’appel a autorisé le retrait de ces appels le 20 septembre 2006, puis la réouverture du procès en appel le 7 juin 2007. M. Strugar demande à la Chambre d’appel de l’acquitter de tous les chefs d’accusation retenus contre lui, ou alternativement, d’ordonner un nouveau procès ou de réduire substantiellement la peine qui lui a été infligée. Il demande également à la Chambre d’appel de surseoir aux procédures judiciaires le concernant en raison du fait qu’il était, et est toujours, inapte à être jugé. Le Procureur demande le rejet de tous les motifs d’appel avancés par Strugar et soulève trois motifs d’appel dans lesquels il allègue des erreurs de droit et de fait concernant l’étendue de l’obligation de Strugar de prévenir le bombardement illégal de la vieille ville, des erreurs relatives au cumul des déclarations de culpabilité et à la peine.

Avant de passer en revue ces motifs d’appel, il convient de rappeler brièvement les critères applicables à l’examen en appel. Les appels formés contre les jugements sont des procédures « de nature corrective » qui ne donnent pas lieu à un procès de novo. Ainsi, il ressort de l’article 25 du Statut que le rôle de la Chambre d’appel se limite à corriger les erreurs de droit qui invalident une décision et les erreurs de fait qui ont entraîné un déni de justice. En ce qui concerne les erreurs de fait, il est de jurisprudence constante que la Chambre d’appel n’infirme pas à la légère les conclusions de fait dégagées par une Chambre de première instance. Par conséquent, la Chambre d’appel n’infirmera ces constatations que lorsqu’aucun juge des faits raisonnable n’aurait pu parvenir à la même conclusion ou lorsque celle-ci est totalement erronée. Quant à la détermination de la peine, la Chambre d’appel ne révise une peine que si la Chambre de première instance a commis une erreur manifeste dans l’exercice de ses larges pouvoirs discrétionnaires ou a dérogé aux règles de droit applicables.

La Chambre d’appel peut d’emblée rejeter, sans avoir à les examiner sur le fond, les arguments présentés par une partie qui n’ont aucune chance d’aboutir à l’annulation ou à la réformation de la décision attaquée. Enfin, il convient de rappeler que la Chambre d’appel dispose d’un pouvoir discrétionnaire inhérent pour déterminer quels sont les arguments qui méritent une réponse motivée par écrit et rejettera donc sans examen approfondi les arguments qui sont manifestement mal fondés.

Je vais maintenant passer à l’examen des moyens d’appel soulevés par les parties.

La Chambre d’appel a tout d’abord décidé d’examiner le 5e motif d’appel présenté par Strugar dans la mesure où il y allègue son inaptitude à être jugé, puisque son acceptation pourrait rendre les autres motifs d’appel sans objet.
Dans sa décision du 26 mai 2004, la Chambre de première instance a conclu que l’aptitude à être jugé était une question qui, tout en étant indubitablement liée à l’état physique et mental de l’accusé, ne se limitait pas seulement à établir si un trouble donné est présent, mais qu’il convenait plutôt de déterminer si l’accusé était capable d’exercer efficacement ses droits dans le cadre de la procédure engagée contre lui. Après avoir analysé les arguments des parties à ce sujet ainsi que les nombreuses sources juridiques pertinentes en la matière, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance n’a pas commis d’erreur en définissant le standard applicable à la détermination de l’aptitude à être jugé. En effet, le critère d’une telle détermination doit être celui de la participation rationnelle permettant à l’accusé d’exercer son droit à un procès équitable au point qu’il soit capable de participer à son procès de manière effective et d’avoir une compréhension des éléments de procédure essentiels.

Ensuite, la Chambre d’appel est également en accord avec l’application par la Chambre de première instance du standard juridique aux faits de la présente affaire. Plus particulièrement et au vu des conclusions ci-dessus, la Chambre d’appel convient avec la Chambre de première instance que le rapport préparé par l’expert de la Défense a fixé à tort un niveau de compréhension trop élevé pour apprécier l’aptitude à être jugé en soutenant notamment que l’accusé devait avoir la capacité de comprendre pleinement le déroulement des débats au procès et les éléments de preuve pour opposer une véritable défense. A cet égard, la Chambre d’appel souligne que l’aptitude à être jugé doit être distinguée de l’aptitude à assurer soi-même sa défense.

S’agissant des griefs faits par Strugar à la Chambre de première instance de ne pas avoir tenu compte de son état de santé général, la Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance a souligné, à juste titre, qu’un diagnostic ne suffisait pas à lui seul pour déterminer si une personne était ou non apte à être jugée. Par conséquent, au lieu d’examiner chaque maladie, présumée ou avérée, dont souffrait l’accusé à l’époque, elle a correctement centré son analyse sur les conclusions et les appréciations concernant les facultés de ce dernier relatives à l’exercice effective de ses droits.

Au vu de l’ensemble des éléments au dossier, la Chambre d’appel confirme les conclusions de la Chambre de première instance selon lesquelles Strugar comprenait la nature des accusations portées contre lui, le déroulement des débats et les éléments de preuve dans le détail, et pouvait témoigner et donner des instructions à ses conseils. Par conséquent, la Chambre d’appel conclut que Strugar, souffrant certes d’un certain nombre de troubles somatiques et mentaux, était apte à être jugé étant donné qu’il bénéficiait de l’assistance de conseils qualifiés. Le cinquième motif d’appel soulevé par Strugar est donc rejeté dans son intégralité.

Examinons à présent les premier et troisième motifs d’appel, dans le cadre desquels Strugar fait valoir que la Chambre de première instance a commis un certain nombre d’erreurs de faits.

Premièrement, la Chambre d’appel rejette sans examen approfondi plusieurs des arguments de Strugar concernant les détails des opérations de combat menées par la JNA dans la région de Dubrovnik en octobre et novembre 1991 parce qu’ils sont manifestement infondés. En ce qui concerne l’argument selon lequel la Chambre de première instance a conclu à tort que l’élément moral nécessaire pour établir sa responsabilité de supérieur hiérarchique en application de l’article 7(3) du Statut était rempli, la Chambre d’appel est d’avis qu’il était raisonnable pour la Chambre de première instance de conclure que l’Amiral Jokic avait mené une enquête sur les événements de novembre 1991 et que Strugar avait connaissance du bombardement de la veille ville de Dubrovnik en octobre et en novembre 1991. Par conséquent, ce grief est rejeté.

Deuxièmement, en ce qui concerne les erreurs alléguées en rapport avec les événements des 3 et 5 décembre 1991, la Chambre d’appel rejette sans motivation détaillée les arguments de Strugar concernant la conduite des négociations avec les Ministres croates, le rôle joué par l’amiral Jokić dans les événements du 5 décembre 1991, les réalités militaires de la JNA et le témoignage du lieutenant-colonel Jovanović parce qu’ils sont manifestement infondés. En ce qui concerne l’ordre d’attaquer Sr|, la Chambre d’appel conclut que Strugar n’a pas démontré que les constatations de la Chambre de première instance étaient déraisonnables. Notamment, il n’a pas démontré comment le fait que la Chambre de première instance n’ait pas clarifié le contenu de l’ordre d’attaquer Srđ affecte sa condamnation ou sentence. Le contenu exact de cet ordre n’affecte pas les conclusions de la Chambre de première instance selon lesquelles Strugar a ordonné cette attaque, avait la capacité matérielle de prévenir et de mettre fin au bombardement de la vieille ville et avait les moyens de communiquer avec ses subordonnés au cours de l’attaque. La Chambre d’appel conclut également que Strugar n’a pas démontré que l’appréciation portée par la Chambre de première instance sur les témoignages de Com Doyle et du colonel Svičević était déraisonnable. Par conséquent, ce grief est rejeté.

Troisièmement, eu égard aux erreurs alléguées relatives aux événements du 6 décembre 1991. La Chambre d’appel rejette sans examen approfondi les arguments de Strugar concernant le témoignage du capitaine de frégate Handžijev et les propriétaires des bâtiments endommagés dans la vieille ville parce qu’ils sont manifestement infondés. La Chambre d’appel estime par ailleurs que Strugar n’a pas démontré que les conclusions de la Chambre de première instance concernant les rapports préparés par l’amiral Jokić et le capitaine Nešić, les positions de tir croates ou la présence d’armes lourdes croates dans la vieille ville le 6 décembre 1991 et le rapport du témoin expert Janko Viličić étaient déraisonnables. En ce qui concerne la conversation de Strugar avec le général Kadijević, la Chambre d’appel conclut que Strugar n’a pas montré qu’aucun juge des faits raisonnable n’aurait pu arriver aux conclusions de la Chambre de première instance, notamment qu’il avait connaissance du risque réel et sérieux de voir l’artillerie répéter son comportement antérieur et commettre des infractions semblables. En ce qui concerne la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle il est très improbable qu’il n’ait pas reçu des rapports sur l’attaque contre la vieille ville, la Chambre d’appel est d’avis que la Chambre de première instance a établi de manière raisonnable que le 2e GO avait la structure organisationnelle fondamentale pour lui permettre de contrôler des opérations de combat et qu’il recevait des rapports de combat des unités qui lui étaient directement subordonnées. La Chambre de première instance a par ailleurs établi de manière raisonnable et étayée les nombreux moyens par lesquels Strugar aurait pu obtenir des informations sur l’attaque contre Srđ. Enfin, en ce qui concerne le statut de Mato Valjalo et d’Ivo Vla{ica, la Chambre d’appel estime qu’un juge des faits raisonnable aurait pu conclure au-delà de tout doute raisonnable qu’en sa qualité de chauffeur au service de la cellule de crise de la municipalité de Dubrovnik, Mato Valjalo ne participait pas activement aux hostilités lorsqu’il a été blessé. Par ailleurs, bien qu’il aurait été préférable pour la Chambre de première instance de le faire de manière plus explicite, la Chambre d’appel est d’avis que la Chambre de première instance a établi au-delà de tout doute raisonnable que Mato Valjalo et Ivo Vla{ica étaient, à cette époque, des civils. Par conséquent, ce grief est rejeté.

Quatrièmement, pour ce qui est des allégations d’erreurs concernant le manquement de Strugar à l’obligation qu’il avait de prévenir les crimes, la Chambre d’appel rejette sans examen approfondi les arguments relatifs à la structure de commandement du 2e GO parce qu’ils sont manifestement infondés. En ce qui concerne la capacité matérielle de prévenir les crimes, contrairement à ce qu’affirme Strugar, la Chambre de première instance ne l’a pas confondu avec la position qu’il occupait au sein de la structure de commandement. Pour chacune des conclusions qu’elle a tirées concernant l’autorité de jure que Strugar exerçait sur les forces ayant participé au bombardement de la vieille ville, la Chambre de première instance s’est fondée sur des exemples montrant que l’autorité de jure qu’il exerçait au sein de la structure de commandement du 2e GO se matérialisait aussi dans ses pouvoirs de fait. Par ailleurs, compte tenu de ses autres conclusions, notamment celles portant sur la structure du 2e GO et sur les moyens dont Strugar disposait pour obtenir des informations supplémentaires concernant l’attaque contre Srđ, la Chambre d’appel considère que les conclusions tirées par la Chambre de première instance selon lesquelles Strugar n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour mettre fin, à tout le moins, au bombardement illégal de la vieille ville étaient raisonnables. Par conséquent, ce grief est rejeté.
Cinquièmement, concernant des erreurs alléguées relatives aux événements du 6 décembre 1991, la Chambre d’appel rejette sans motivation détaillée les arguments de Strugar concernant sa capacité matérielle de punir les crimes et les promotions et décorations des personnes impliquées dans le bombardement de la veille ville parce qu’ils sont manifestement infondés. En ce qui concerne son manquement à l’obligation de prendre des mesures suite aux événements du 6 décembre 1991, la Chambre d’appel est d’avis qu’il était raisonnable pour la Chambre de première instance de conclure que le Général Kadijevi} a accepté la suggestion de l’amiral Joki} de mener une enquête sur les événements du 6 décembre 1991 et que l’enquête menée par ce dernier s’est avérée une imposture. Une majorité de la Chambre d’appel, les Juges Meron et Kwon étant en désaccord, est également d’avis que Strugar savait que cette enquête était une imposture et que ce dernier n’était pas en fait exclu du processus d’enquête mené par l’amiral Joki}. Cette majorité conclut donc qu’il était raisonnable pour la Chambre de première instance de conclure que Strugar était à tout le moins disposé à accepter une situation dans laquelle il ne serait pas directement impliqué, confiant de fait à son subordonné immédiat, l’amiral Jokić, le soin d’ouvrir une enquête et de prendre des mesures et des décisions d’ordre disciplinaire ou autre. Par conséquent, ce grief est rejeté.

Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel rejette, à la majorité,les premier et troisième motifs d’appel de Strugar.

Au titre de son deuxième motif d’appel, Strugar soutient tout d’abord que la Chambre de première instance a conclu à tort qu’il existait un lien de subordination. La Chambre d’appel rappelle que le pouvoir qu’a le supérieur hiérarchique de donner des ordres ne permet pas automatiquement d’établir que ce dernier exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés, mais il s’agit d’un élément pertinent pour établir le contrôle effectif. Comme la Chambre d’appel l’a jugé dans l’Arrêt Halilović, les ordres en question devront être examinés soigneusement en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve, afin de déterminer le degré de contrôle exercé sur les auteurs des crimes. La nature des ordres que le supérieur peut donner, la nature du pouvoir qu’il détient en la matière et le fait que ses ordres soient ou non suivis d’effets sont des éléments qui doivent être pris en considération pour déterminer s’il avait la capacité matérielle de prévenir les crimes ou d’en punir les auteurs. À cet égard, compte tenu de la nature des ordres que Strugar avait le pouvoir de donner, de la nature des négociations pour lesquelles il était habilité à représenter la JNA, de celle de ses fonctions en tant que commandant du 2e GO, du fait que ses ordres étaient effectivement suivis et que le système de justice militaire fonctionnait encore à l’époque des faits, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance a raisonnablement retenu que Strugar avait la capacité matérielle de prévenir le bombardement illicite de la vieille ville et de punir ses subordonnés. Par conséquent, la Chambre de première instance a appliqué correctement la condition de l’existence d’un lien de subordination aux faits de l’espèce. Ce grief est donc rejeté.
Dans la deuxième branche de ce motif d’appel, Strugar avance que la Chambre de première instance a tiré des conclusions erronées s’agissant de l’élément moral du crime d’attaque contre des civils et de destruction ou endommagement délibéré de biens culturels, notamment en ce qui concerne les conclusions sur l’intention directe. La Chambre d’appel rappelle que, pour en être tenu pénalement responsable, l’auteur d’une attaque contre des civils doit avoir agi intentionnellement. En d’autres termes, l’élément moral requis pour ce crime est établi lorsque les actes de violence qui constituent ce crime ont été intentionnellement perpétrés contre des civils, que ces derniers aient été visés délibérément ou que l’auteur des actes  ait été totalement indifférent à leurs conséquences. Par conséquent, cette définition englobe les notions d’intention directe et d’intention indirecte évoquée par la Chambre de première instance et Strugar. En ce qui concerne l’élément moral du crime de destruction ou endommagement délibéré de biens culturels, il est établi si la destruction ou l’endommagement visaient des biens culturels intentionnellement (c’est-à-dire soit délibérément, soit avec le dol éventuel). En l’espèce, compte tenu de la totalité des éléments de preuve, la Chambre de première instance était convaincue que les auteurs de l’attaque du 6 décembre 1991 avaient agi sciemment, en ayant conscience des conséquences de leurs actes et en voulant qu’elles se produisent. Strugar n’a pas démontré en quoi ces conclusions sont déraisonnables. Le grief est par conséquent rejeté.

Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel rejette le deuxième motif d’appel de Strugar dans son intégralité.
Pour ce qui est du premier moyen d’appel du Procureur, la Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère qui convenait s’agissant de l’élément moral requis à l’article 7 3) du Statut en concluant qu’avant l’attaque contre Srđ lancée aux premières heures du 6 décembre 1991, Strugar ne savait pas et n’avait pas de raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre un crime. Plus particulièrement, la Chambre de première instance s’est trompée en estimant que le fait que Strugar ait su que ses forces risquaient de bombarder illégalement la vieille ville ne suffisait pas pour conclure qu’il possédait l’élément moral requis par l’article 7 3) du Statut, et que pour cela, il devait savoir qu’il existait une « réelle probabilité » ou un « risque réel et sérieux  » que ses forces bombardent la vieille ville. La Chambre de première instance a estimé à tort que l’élément moral requis par l’article 7 3) exigeait de rapporter la preuve que le supérieur savait que ses subordonnés risquaient très probablement de commettre des crimes. À ce propos, la Chambre d’appel rappelle que pour tenir un supérieur responsable sur la base de l’article 7 3) du Statut, il suffit de prouver qu’il savait que ses subordonnés pourraient commettre des crimes. Ayant conclu que la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en appliquant un critère juridique erroné, la Chambre d’appel doit appliquer le critère qui convient aux faits constatés par la Chambre de première instance et déterminer si elle est elle-même convaincue, au-delà de tout doute raisonnable, que Strugar disposait, avant le début de l’attaque contre Srđ, d’informations suffisamment alarmantes, au sens entendu par le critère « avait des raisons de savoir ». Selon la Chambre d’appel, la seule conclusion que l’on pouvait raisonnablement tirer au vu des constatations faites par la Chambre de première instance est que, ayant été mis en garde contre le risque d’une attaque et alerté de la nécessité d’ouvrir une enquête, Strugar avait des raisons de savoir, au sens de l’article 7 3) du Statut, que ses subordonnés étaient sur le point de commettre des crimes, mais n’a rien fait pour les prévenir. Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel accueille le premier motif d’appel du Procureur.

En son deuxième motif d’appel, le Procureur soutient que la Chambre de première instance a versé dans l’erreur en refusant de cumuler les déclarations de culpabilité prononcées pour les chefs d’accusation 4 (dévastation non justifiée par les exigences militaires), 5 (attaques illégales contre des biens de caractère civil) et 6 (destruction ou endommagement délibéré de biens culturels). La Chambre d’appel note qu’après avoir conclu que chacune des infractions comportait en théorie des éléments nettement distincts faisant défaut aux autres, la Chambre de première instance a jugé que les chefs 4 et 5 n’apportaient pas vraiment d’éléments nettement distincts compte tenu des circonstances dans lesquelles ces crimes avaient été commis. La Chambre d’appel considère qu’en appliquant le critère Čelebići aux « circonstances particulières » de l’espèce, la Chambre de première instance a commis par là même une erreur de droit. La Chambre d’appel réforme le Jugement en conséquence et prononce une déclaration de culpabilité pour le chef 4 et 5. Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel accueille le deuxième moyen d’appel du Procureur.

Examinons enfin les motifs d’appel relatifs à la peine formulés par les deux parties : le quatrième motif d’appel de Strugar et le troisième motif d’appel du Procureur. Strugar prétend que la Chambre de première instance a commis une erreur en comparant sa condamnation à celle de Miodrag Jokić, en n’attachant pas aux excuses qu’il a présentées l’importance qu’elles méritent et en n’accordant pas suffisamment de poids à certaines circonstances atténuantes. Le Procureur soutient que la Chambre de première instance s’est trompée en comparant la condamnation de M. Strugar à celle de Miodrag Jokić et en estimant que les excuses présentées par M. Strugar constituaient une circonstance atténuante. En ce qui concerne la comparaison de la peine de Strugar avec celle infligée à Miodrag Jokić, la Chambre d’appel souligne que, conformément à sa jurisprudence constante, la comparaison entre l’affaire Strugar et l’affaire Jokić n’est que l’un des éléments dont la Chambre de première instance a tenu compte pour fixer la peine. La Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance a eu raison d’accorder un poids limité à la peine infligée à Jokić. En effet, pour la Chambre d’appel, il existe des différences importantes entre l’affaire Strugar et l’affaire Jokić. La Chambre d’appel conclut donc que les parties n’ont pas montré que la Chambre de première instance avait commis une erreur manifeste en faisant brièvement référence à l’affaire Jokić. En ce qui concerne la déclaration de Strugar à la fin de son procès, la Chambre d’appel comprend que la Chambre de première instance a estimé que Strugar avait exprimé, dans sa déclaration, la peine qu’il ressentait pour les victimes, et non les remords qu’il éprouvait. En effet, la Chambre de première instance a simplement dit qu’elle était convaincue que l’accusé était sincère, en soulignant expressément qu’elle n’était pas d’accord avec ce qu’il avait dit dans sa dernière phrase. La Chambre d’appel estime que la conclusion de la Chambre de première instance sur ce point était parfaitement raisonnable, sachant que Strugar n’avait à aucun moment reconnu le caractère moralement blâmable de ses actes. Enfin, la Chambre d’appel estime que Strugar n’a pas démontré que la Chambre de première instance n’avait pas pris en compte tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés pour apprécier ces circonstances atténuantes, ni qu’elle avait commis une erreur d’appréciation concernant le poids à accorder aux circonstances atténuantes. Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel rejette le quatrième motif d’appel de Strugar et le troisième motif d’appel du Procureur.

Cela conclut l’examen de la Chambre d’appel des motifs d’appel avancés par les parties et je vais passer à l’analyse de l’impact des conclusions de la Chambre d’appel sur la sentence imposée par la Chambre de première instance.

Premièrement, la Chambre d’appel a conclu à l’erreur de la Chambre de première instance s’agissant de l’étendue de la responsabilité pénale de Strugar faute d’avoir prévenu le bombardement de la vieille ville de Dubrovnik. Bien que la Chambre d’appel ait effectivement étendu cette responsabilité de 7 heures du matin à minuit le 6 décembre 1991, elle considère, pour des raisons exposées dans son arrêt, que la Chambre de première instance a tenu compte de l’endommagement causé pendant cette période additionnelle. La Chambre d’appel considère par conséquent que cette erreur est sans impact sur la sentence de Strugar.

Deuxièmement, en ce qui concerne le prononcé de condamnations au titre des chefs 4 et 5, la Chambre d’appel convient, comme le soutient le Procureur, que ces déclarations de culpabilité sont fondées sur la même conduite criminelle et n’ajoutent rien à la gravité des crimes commis par Strugar.

Enfin, la Chambre d’appel note que, lors de l’audience en appel, la Défense a soutenu que l’état de santé de Strugar s’est considérablement détérioré depuis le rendu du jugement de première instance. La Chambre d’appel considère qu’elle a la compétence pour prendre en compte des éléments de preuve à cet égard compte tenu du fait qu’elle a à se prononcer sur la peine suite aux erreurs constatées dans le Jugement de première instance. Après avoir examiné les éléments de preuve pertinents, la Chambre d’appel considère que la détérioration de la santé de Strugar depuis le rendu du Jugement de première instance doit être prise en compte en tant que circonstance atténuante. Par conséquent, la Chambre d’appel impose à Strugar une nouvelle sentence de sept ans et demi d’emprisonnement.

Dispositif

Je vais maintenant donner lecture du Dispositif de l’Arrêt rendu par la Chambre d’appel.
Monsieur Strugar, veuillez vous lever, je vous prie.
Voici le Dispositif de l’Arrêt :

Par ces motifs, LA CHAMBRE D’APPEL,

EN APPLICATION de l’article 25 du Statut et des articles 117 et 118 du Règlement de procédure et de preuve,
VU les écritures respectives des parties et leurs exposés au procès en appel le 23 avril 2008,
SIÉGEANT en audience publique,
REJETTE tous les moyens d’appel soulevés par Pavle Strugar, les Juges Meron et Kwon exprimant leur désaccord concernant le troisième moyen d’appel qui porte sur le manquement à l’obligation de prendre des mesures pour empêcher les faits qui se sont produits le 6 décembre 1991,
ACCUEILLE le premier moyen d’appel soulevé par l’Accusation concernant l’étendue de l’obligation qu’avait Pavle Strugar de prévenir le bombardement de la vieille ville,
ACCUEILLE le deuxième moyen d’appel soulevé par l’Accusation et DÉCLARE, en application de l’article 7 3) du Statut, Pavle Strugar COUPABLE du chef 4 (dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, violation des lois ou coutumes de la guerre punissable aux termes de l’article 3 du Statut), et du chef 5 (attaques illégales contre des biens de caractère civil, violation des lois ou coutumes de la guerre punissable aux termes de l’article 3 du Statut),
REJETTE le troisième moyen d’appel soulevé par l’Accusation,
REMPLACE la peine de huit ans d’emprisonnement prononcée par la Chambre de première instance par une peine de sept ans et demi d’emprisonnement, la période passée en détention étant déduite de la durée totale de la peine, en application de l’article 101 C) du Règlement,
ORDONNE, en application des articles 103 C) et 107 du Règlement, que Pavle Strugar reste sous la garde du Tribunal international jusqu’à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires pour son transfert vers l’État dans lequel il purgera sa peine.

Le Juge Shahabuddeen joint une opinion individuelle.

Les Juges Meron et Kwon joignent une opinion dissidente conjointe.

Monsieur Strugar, vous pouvez vous asseoir.

Monsieur le Greffier, veuillez, je vous prie, distribuer les copies de l’arrêt aux parties.

Avant de conclure, je tiens très brièvement à remercier tous ceux qui ont contribué au bon déroulement cette affaire pour leurs efforts constructifs.
La séance est levée.



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International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia

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