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Cinq hauts responsables serbes reconnus coupables de crimes commis au Kosovo, un acquitté

Communiqué de presse
CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 26 février 2009
NJ/MOW/PR1306f

Cinq hauts responsables serbes reconnus coupables de crimes commis au Kosovo, un acquitté


La Chambre de première instance III du Tribunal a déclaré aujourd’hui cinq anciens dirigeants politiques et hauts responsables de l’armée et de la police de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) et de la Serbie coupables de crimes contre l’humanité, commis au Kosovo en 1999.

L’ancien Vice-Premier Ministre de la RFY, Nikola Šainović, le général des forces armées de la RFY (VJ), Nebojša Pavković, et le général Sreten Lukić qui était à la tête des forces de police serbes ont chacun été condamnés à 22 ans d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre.

Le général de la VJ, Vladimir Lazarević, et le chef de l’état-major général, Dragoljub Ojdanić, ont été reconnus coupables d’avoir aidé et encouragé un grand nombre d’expulsions et de transferts forcés d’Albanais du Kosovo. Chacun d’entre eux a été condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement.

Milan Milutinović, ancien Président de Serbie, a été acquitté de tous les chefs d’accusation.

Ce jugement est le premier rendu par le Tribunal concernant les crimes qui auraient été commis par les forces de la RFY et de la Serbie contre la population albanaise du Kosovo lors du conflit qui s’est déroulé dans la région en 1999.

Les six accusés devaient répondre des crimes commis dans le cadre de la campagne de terreur et de violence qui aurait été dirigée contre les Albanais du Kosovo au début de l’année 1999. Selon le Procureur, chacun des accusés avait participé à une entreprise criminelle commune qui avait pour but, entre autres, de modifier la composition ethnique du Kosovo pour maintenir le contrôle serbe sur cette province. Ce but devait être atteint par des moyens criminels se traduisant notamment par des expulsions, des meurtres, des transferts forcés et des persécutions à l’encontre de la population albanaise du Kosovo.

Au vu des éléments de preuve présentés au procès concernant des lieux de crimes situés dans 13 municipalités du Kosovo, la Chambre de première instance a conclu qu’une campagne de violence généralisée avait été menée contre les civils albanais du Kosovo lors des bombardements aériens menés par l’OTAN en RFY le 24 mars 1999. Cette campagne a été menée par l’armée et les forces du ministère de l’Intérieur (MUP) sous le contrôle des autorités de la RFY et la Serbie, responsables des expulsions massives de civils albanais du Kosovo de leurs maisons, ainsi que des meurtres, des violences sexuelles et des destructions délibérées de mosquées.

« Ce sont  les actions délibérées de ces forces au cours de cette campagne qui ont  provoqué le départ d’au moins 700.000 Albanais du Kosovo pendant cette courte période allant de la fin du mois de mars au début du mois de juin1999», a déclaré le Juge Iain Bonomy à l’audience, qu’il présidait.

Il a été établi que ces crimes avaient été commis dans 13 municipalités du Kosovo : Orahovac/Rahovec, Prizren, Srbica/Skenderaj, Suva Reka/Suhareka, Peć/Peja, Kosovska Mitrovica/Mitrovica, Priština/Prishtina, Ðakovica/Gjakova, Gnjilane/Gjilan, Uroševac/Ferizaj, Kačanik/Kaçanik, Dečani/Deçan et Vučitrn/Vushtrria.

La Chambre de première instance a conclu que ces crimes avaient été perpétrés pour mettre en œuvre une entreprise criminelle commune dont l’objectif était « le recours à la violence et à la terreur afin de forcer un nombre significatif d’Albanais du Kosovo à partir de chez eux et à passer la frontière pour permettre aux autorités de l’État de garder le contrôle du Kosovo ».

Cette « campagne généralisée de violence [a été] menée contre la population albanaise du Kosovo de mars à juin 1999» et a « été conduite de façon organisée, à l’aide de moyens considérables fournis par l’État», a conclu la Chambre.

La Chambre de première instance a énuméré d’autres éléments corroborant l’existence d’une entreprise criminelle commune : « les événements qui ont abouti au conflit ; le fait d’armer les civils non albanais du Kosovo  tout en désarmant les Albanais du Kosovo ; la rupture des négociations cherchant à mettre un terme à la crise au Kosovo au moment où les Accords d’octobre étaient violés par la FRY et les autorités serbes ; la dissimulation des corps d’Albanais du Kosovo  tués par les forces de la VJ et du MUP.»

La Chambre de première instance a conclu que Nikola Šainović, Nebojša Pavković et Sreten Lukić avaient tous participé à l’entreprise criminelle commune, et avaient largement contribué à sa mise en oeuvre.

La Chambre de première instance a jugé que Nikola Šainović était  « l’un des collaborateurs les plus proches de [Slobodan] Milošević », l’ancien Président de la RFY, « qui avait toute confiance en lui » et qu’il était l’ « un des membres essentiels » de l’entreprise criminelle commune.

« C’était un dirigeant puissant au sein du gouvernement de la RFY qui, non seulement transmettait les informations à Miloševič et communiquait les instructions de Milošević à ceux qui se trouvaient au Kosovo, mais exerçait aussi une grande influence sur les évènements dans la province et était habilité à prendre des décisions», a déclaré le Juge Bonomy.

Alors qu’il savait que des crimes étaient commis par les forces de la VJ et du MUP, Nikola Šainović « a omis de faire usage de son autorité considérable au Kosovo »  pour y mettre un terme, ni pris l’initiative de le faire.

Nikola Šainović a été reconnu coupable d’expulsion, de transfert forcé, de meurtre et de persécutions constitutifs de crimes contre l’humanité ou de violations des lois ou coutumes de la guerre. Il a été condamné à 22 ans d’emprisonnement.

Nebojša Pavković était le commandant de la 3e armée de la VJ, qui comprenait le Corps de Priština et le Corps de Niš, et avait par conséquent « une autorité de commandement de jure et de facto considérable sur les forces de la VJ au Kosovo en 1998 et en 1999 ».

 « Il ne fait aucun doute que sa contribution à l’entreprise criminelle commune a été significative puisqu’il a utilisé les forces de la VJ à sa disposition pour terroriser et brutalement expulser les civils albanais du Kosovo de chez eux », a conclu la Chambre.

Nebojša Pavković pouvait raisonnablement prévoir les meurtres, les violences sexuelles et la destruction ou l’endommagement délibéré de mosquées perpétrés par les forces de la VJ et du MUP. Il a pourtant « n’a pas toujours pleinement rendu compte de la situation et a parfois minimisé la gravité des méfaits criminels qu’il mentionnait dans ses comptes-rendus envoyés à l’État-major du commandement suprême».

Nebojša Pavković a été reconnu coupable d’expulsion, de transfert forcé, de meurtre et de persécutions constitutifs de crimes contre l’humanité ou de violations des lois ou coutumes de la guerre. Il a été condamné à 22 ans d’emprisonnement.

La Chambre de première instance a conclu que Sreten Lukić « le commandant de facto  des forces du MUP au Kosovo du milieu de l’année 1998 au milieu de l’année 1999, et la courroie de transmission entre les actions menées sur le terrain par le MUP au Kosovo et les politiques et plans globaux décidés  à Belgrade ». La Chambre a jugé qu’il était de ce fait un membre important de l’entreprise criminelle commune.

Les éléments de preuve ont permis de conclure que Sreten Lukić avait une connaissance précise de la situation au Kosovo, et qu’il était informé des allégations concernant les crimes commis par le MUP dans la province. La Chambre a toutefois estimé que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que Sreten Lukić avait pris part à la dissimulation de ces crimes et au transport clandestin des corps de civils albanais vers d’autres endroits de Serbie.

Sreten Lukic a été reconnu coupable d’expulsion, de transfert forcé, de meurtre et de persécutions constitutifs de crimes contre l'humanité ou de violations des lois ou coutumes de la guerre. Il a été condamné à 22 ans d’emprisonnement.

S’agissant de Dragoljub Ojdanić, la Chambre de première instance a conclu qu’en sa qualité de chef de l’état-major général, il « exerçait le commandement et le contrôle de toutes les unités et [de tous] les organes de la VJ ». 

La Chambre n’a pas estimé que Dragoljub Ojdanić avait été animé de l’intention d’expulser les Albanais du Kosovo. Elle a cependant jugé : « [Dragoljub] Ojdanić a aidé concrètement, encouragé et soutenu moralement les membres de la VJ dont les intentions de commettre des actes d’expulsion et de transfert forcé lui étaient connues. Son comportement  a eu un effet important sur le fait que des membres de la VJ ont effectivement commis de tels crimes dans certains des lieux mentionnés dans l’acte d’accusation ».

Sur la base de ces constatations, la Chambre a conclu que Dragoljub Ojdanić avait aidé et encouragé un grand nombre des expulsions et des transferts forcés rapportés dans l’acte d'accusation. Il n’a toutefois pas été reconnu coupable de meurtre et de persécutions.

Dragoljub Ojdanić a été reconnu coupable d’expulsion et de transferts forcés constitutifs de crimes contre l’humanité et condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement.

Le général Vladimir Lazarević, commandant du Corps de Priština, n’avait pas forcément connaissance du « processus de prise des décisions politiques qui se faisait généralement à Belgrade » et « n’a pas non plus participé aux réunions de haut niveau qui se tenaient à Belgrade », a conclu la Chambre. Toutefois, Vladimir Lazarević encourageait la commission des crimes perpétrés par les forces de la VJ et du MUP au Kosovo, au cours d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre les Albanais du Kosovo. Il a par conséquent été reconnu coupable d’avoir aidé et encouragé un grand nombre d’expulsions et de transferts forcés retenus contre lui dans l’acte d'accusation. Vladimir Lazarević a été condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement.

La Chambre a conclu que l’Accusation n’avait pas établi que l’ancien Président de Serbie, Milan Milutinović, avait contribué de façon significative à l’entreprise criminelle commune, ni qu’il exerçait un contrôle effectif sur les actions des forces de la VJ et du MUP au Kosovo.

Milan Milutinović n’exerçait aucun contrôle direct sur la VJ, qui était une institution fédérale, a conclu la Chambre. « Dans la pratique, [Slobodan] Milošević, parfois appelé le “ Commandant Suprême ”, était la personne qui avait l’autorité réelle sur la VJ pendant la campagne de l’OTAN ».

Milan Milutinović a donc été acquitté de tous les chefs d’accusation retenus contre lui dans l’acte d'accusation.

La durée de la période que chaque accusé a passée en détention préventive sera déduite de la durée totale de sa peine.

Outre le jugement qu’elle a rendu aujourd’hui, la Chambre de première instance a invité les parties à présenter des écritures concernant trois des lieux de crimes allégués pour lesquels l’Accusation n’avait pas été autorisée, en application de l’article 73 bis D) du Règlement de procédure et de preuve, à présenter des éléments de preuve au cours du procès.

Le 11 juillet 2006, la Chambre avait décidé — jusqu’à nouvel ordre — que les éléments de preuve relatifs à Racak/Reçek, à Padalište/Padalishte et à la prison de Dubrava/Dubravë ne seraient pas présentés pour « rendre le procès plus rapide sans pour autant nuire à son équité ». Dans cette même décision, la Chambre a fait remarquer qu’elle « n’entendait pas suggérer que les événements qui se [sont] produits dans les trois lieux susmentionnés [sont] moins importants que les autres faits reprochés aux Accusés ou [ne sont] absolument pas emblématiques ».

La Chambre de première instance a invité aujourd’hui les parties à présenter tout argument qu’elles pourraient faire valoir à ce sujet dans un délai de 14 jours.

L’affaire Milutinović et consorts a constitué l’une des affaires les plus importantes et les plus complexes dont le Tribunal a été saisi. Le procès s’est ouvert le 10 juillet 2006 et a pris fin le 27 août 2008. La Chambre a entendu les témoignages de  235 témoins au total, et a admis plus de 4 300 pièces à conviction.

Au total, le Tribunal a engagé des poursuites contre neuf des plus hauts responsables de la RFY et de la Serbie pour les crimes commis au Kosovo par les forces serbes en 1999.

L’ancien président yougoslave Slobodan Milošević était le premier chef d’État en exercice à être mis en accusation pour crimes de guerre, lorsque le Tribunal l’a inculpé en 1999 pour les crimes qui auraient été commis au Kosovo. Il a comparu devant le Tribunal de 2002 à 2006 pour répondre de ces crimes, ainsi que pour d’autres crimes commis en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, mais il est décédé de mort naturelle juste avant que son procès ne prenne fin et qu’un jugement ne soit rendu.

Vlajko Stojiljković, haut responsable de la police, proche de Milošević, a été mis en accusation mais s’est suicidé à Belgrade en 2002. Le procès de Vlastimir Đorđević, ancien ministre adjoint du ministère de l’Intérieur serbe et chef de la sécurité publique a débuté le 27 janvier 2009. Il s’était soustrait à la justice jusqu’à son arrestation en juin 2007.

Depuis sa création, il y a quinze ans, le Tribunal a mis en accusation 161 personnes pour violations graves du droit humanitaire perpétrées sur le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 2001 et a clos les procédures concernant 116 d’entre elles.
 

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Version complète du résumé du jugement:
http://www.icty.org/x/cases/milutinovic/tjug/fr/090226resume.pdf

Version complète du jugement (en anglais):
http://www.icty.org/x/cases/milutinovic/tjug/en/jud090226-e1of4.pdf - Volume 1 sur 4
http://www.icty.org/x/cases/milutinovic/tjug/en/jud090226-e2of4.pdf - Volume 2 sur  4
http://www.icty.org/x/cases/milutinovic/tjug/en/jud090226-e3of4.pdf - Volume 3 sur 4
http://www.icty.org/x/cases/milutinovic/tjug/en/jud090226-e4of4.pdf - Volume 4 sur 4


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