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Anto Nobilo acquitté d’outrage au Tribunal dans l’affaire Aleksovski

Communiqué de presse
CHAMBRE D’APPEL
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 30 mai 2001
XT/P.I.S./595f


Anto Nobilo acquitté d’outrage au Tribunal dans l’affaire Aleksovski

Le 30 mai 2001, la Chambre d’appel composée des Juges Hunt (Président), May, Robinson, Pocar et Fassi Fihri, a rendu son Arrêt relatif à l'appel de la décision portant condamnation pour outrage au tribunal interjeté par Anto Nobilo.

La Chambre a fait droit à l’appel interjeté par M. Anto Nobilo et a ordonné au Greffier de lui rembourser la somme de 4 000 florins néerlandais, payée à titre d'amende sur décision de la Chambre de première instance.

Les faits et la procédure

Alors qu’il était l’un des conseils de la Défense du General Blaškić et lors de la nouvelle audition, en septembre 1998, d’un témoin à décharge déposant au procès de Tihomir Blaškić, Anto Nobilo a demandé l’autorisation de soumettre une carte établie par un témoin qui avait déposé au procès Aleksovski (portant également sur les événements de la vallée de la Lašva).M.Nobilo a divulgué le nom de ce témoin, qu'il a présenté comme étant un témoin ayant comparu au procès Aleksovski, et il a demandé au témoin de l'affaire Blaškić d'indiquer la profession de cette personne. La Chambre de première instance saisie de l'affaire Aleksovski avait pourtant accordé des mesures de protection qui concernaient notamment l’identité du témoin, son visage et sa profession.

Le 25 septembre 1998, l'Accusation a déposé une requête confidentielle, faisant valoir à la Chambre de première instance que l’ordonnance de protection du témoin avait été violée, afin que la Chambre puisse demander des explications à M. Nobilo, conformément à l’article 77(A) et (F) du Règlement de procédure et de preuve (Outrage au Tribunal).

Le 11 décembre 1998, la Chambre de première instance I, composée des Juges Rodrigues, Président, Vohrah et Nieto-Navia, a conclu qu’Anto Nobilo avait divulgué des informations relatives au procès de Zlatko Aleksovski devant la Chambre de première instance, et, ce faisant, « violé en connaissance de cause » une ordonnance qui interdisait pareille divulgation. La Chambre de première instance a par conséquent jugé qu’Anto Nobilo s’était rendu coupable d’outrage au Tribunal et lui a imposé le versement d’une amende de 10 000 florins, dont 6 000 en sursis pendant une année, période au cours de laquelle, il ne devait se rendre coupable d'aucun autre outrage au Tribunal (voir le communiqué de presse n°375 paru le 15 décembre 1998).

Le  18 décembre 1998, Anto Nobilo a déposé une demande confidentielle aux fins d'interjeter appel de la condamnation pour outrage prononcée par la Chambre de première instance, devant des juges de la Chambre d’appel (Juges May [Président], Wang et Hunt), qui ont fait droit à cette requête le 22 décembre 1998.
 

L’arrêt

Pour la Chambre d’appel, la question qui se posait en l’occurrence était de savoir si la Chambre de première instance avait commis une erreur de droit ou de fait en concluant que M. Nobiloavait violé ladite ordonnance «en connaissance de cause» et en le déclarant, de ce fait, coupable d'outrage au Tribunal.

La Chambre d’appel a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une connaissance effective de l’ordonnance pour la violer en connaissance de cause et qu’il suffisait que la personne accusée d’avoir violé l’ordonnance ait fait preuve d’aveuglement délibéré. La Chambre d’appel a défini l’aveuglement délibéré  comme « [l]aconnaissance de l'existence d'un fait particulier dans les cas où il est établi que l'accusé soupçonnait l'existence de ce fait (ou savait que son existence était fortement probable) mais s'est abstenu de vérifier son existence pour pouvoir la nier (ou parce qu'il préférait l'ignorer). » La Chambre d’appel a conclu que l’aveuglement délibéré était « aussi blâmable » que la connaissance effective.

La Chambre a conclu que rien n'indiquait qu’Anto Nobilo avait fait preuve d'un aveuglement délibéré. L'Accusation était convenue qu'il avait été dit à M. Nobilo que la carte en question était un document public présenté lors d'une audience publique ». « Cela a bel et bien pu lui donner l'impression que tout ce qui se rapportait à cette carte était public », a estimé la Chambre d’appel. « En dépit du fait que de nombreux témoins protégés comparaissent en audience publique, il ne vient pas immédiatement à l'idée qu'il y a des raisons de soupçonner ou de fortes chances qu'un témoin comparaissant en audience publique fasse l'objet de mesures de protection ». La Chambre a souligné que si le témoin en question était une victime, on pourrait peut-être faire valoir qu'un conseil rompu aux pratiques du Tribunal « saurait qu'une ordonnance aux fins de mesures de protection a pu être délivrée en faveur de ce témoin ». La Chambre d’appel a toutefois rappelé que le témoin protégé « n'était pas une victime », notant que M. Nobilo l’avait décrit comme étant un témoin expert cité par l'Accusation, ce qui n'a pas été contesté. « Bien que certains témoins experts aient déjà fait l'objet d'ordonnances aux fins de mesures de protection, on ne voit pas immédiatement pourquoi ils auraient besoin habituellement de mesures de protection et rien ne permet de soupçonner que tous les témoins experts peuvent faire l’objet de mesures de protection », a déclaré la Chambre. « Il ne saurait y avoir aveuglement délibéré quant à l'existence d'une ordonnance sans qu'il soit démontré, avant toute chose, que la personne en cause soupçonnait ou pensait qu'une telle ordonnance existaitSi, en jugeant que M. Nobilo s'était «délibérément» abstenu de se renseigner comme il le devait, la Chambre de première instance entendait conclure à son aveuglement délibéré quant à l'existence de l'ordonnance qu'il a violée, la Chambre d'appel, elle, est convaincue que rien ne justifie pareille conclusion», a ajouté la Chambre. « Rien ne permet de conclure (et la Chambre de première instance s'est en tout état de cause gardée de conclure) que si M. Nobilo s'est abstenu de se renseigner sur l'existence de l'ordonnance en question, c'est parce qu'il souhaitait pouvoir la nier ou préférait simplement l'ignorer ».

La Chambre d’appel a en outre exprimé ses vues sur la question importante de savoir si l'Accusation devait également établir l'intention de violer ou d'ignorer l'ordonnance en question. Elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’établir que la personne accusée avait cherché à violer l’ordonnance et qu’il était suffisant de prouver que l’accusé avait « agi avec une indifférence totale quant au fait de savoir si elle violait par son acte une ordonnance particulière ».

Enfin, la Chambre d’appel a noté qu’à aucun moment pendant l'audience, la Chambre de première instance n'avait formulé d'accusation précise contre M. Nobilo et précisé si la nature de l'outrage, qu'elle lui reprochait, était celle que dénonçait l'Accusation dans sa requête. La Chambre d’appel a également noté qu’il n'y a jamais eu de discussion sur ce qui constituait une violation «en connaissance de cause» d'une ordonnance. « Il est [donc] essentiel, lorsqu'une Chambre engage elle-même une action pour outrage, qu'elle précise la nature de l'accusation avec la même précision que celle requise pour un acte d'accusation, et donne aux parties la possibilité de discuter des points à établir. C'est ainsi seulement qu'une personne accusée d'outrage pourra bénéficier d'un procès équitable », a déclaré la Chambre.

Le Juge Patrick Robinson a joint à l’arrêt une opinion individuelle, dans laquelle il déclarait  qu’il « approuv[ait] en tous points la décision de la Chambre en l'espèce » mais ajoutait qu’il ne croyait pas « qu'il y avait lieu, dès le début, d'engager une telle procédure ». « Bien que les questions juridiques soulevées en l'espèce soient très importantes, un temps considérable a inutilement été consacré à cette question », a-t-il  conclu.

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Une copie du texte intégral de l’arrêt peut être consultée sur demande.
L’arrêt est également consultable dans la section du site Internet consacrée aux jugements.
 

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