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Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Darko Mrdja : l'accusé condamné à 17 ans d'emprisonment

Communiqué de presse
 CHAMBRES
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 31 mars 2004
JH/S.I.P./835f


Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Darko Mrdja :
l'accusé condamné à 17 ans d'emprisonment

 

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ère instance I composée des Juges Alphons Orie (Président), Amin El Mahdi et Joaquín Martín Canivell, tel que lu à l’audience de ce jour par le Juge Président :

RÉSUMÉ DU JUGEMENT

1. Nous nous réunissons ce jour afin de prononcer le jugement portant condamnation de Darko Mrdja pour sa participation au meurtre d’environ 200 civils et aux actes inhumains (sous forme de tentative d’assassinat) commis contre 12 autres civils ŕ Koricanske Stijene, en Bosnie-Herzégovine, le 21 août 1992.

2. Ce qui suit n’est qu’un résumé du jugement écrit et n’en fait pas partie intégrante. Le texte complet du jugement sera mis à la disposition du Procureur, des avocats de la Défense et du public à l’issue de l’audience.

3. Nous rappellerons brièvement le contexte et les faits de la cause avant de passer en revue les facteurs pris en compte pour fixer la peine.

Le contexte et les faits de la cause

4. Darko Mrdja est né le 28 juin 1967 ŕ Zagreb, en Croatie. Il a grandi à Tukovi, dans la municipalité de Prijedor, en Bosnie-Herzégovine, et a travaillé non loin de là à la mine d’Omarska. En 1992, lors du conflit en Bosnie-Herzégovine, il était membre d’une unité spéciale de la police dénommée « escouade d’intervention », placée sous le contrôle des autorités serbes de Prijedor.

5. Le 26 avril 2002, le Juge Liu a confirmé l’acte d’accusation établi par le Procureur à l’encontre de Mrdja, qui comprenait à l’origine trois chefs d’inculpation :

i) extermination en tant que crime contre l’humanité (chef d’inculpation 1) ;

ii) meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre (chef d’inculpation 2) ;

iii) actes inhumains en tant que crime contre l’humanité (chef d’inculpation 3).

6. Le 13 juin 2002, Mrdja a été arręté, puis transféré au quartier pénitentiaire du Tribunal. Le 17 juin 2002, il a comparu devant le Tribunal et a plaidé non coupable.

7. Une année plus tard, le 24 juillet 2003, Darko Mrdja a conclu avec le Procureur un accord sur le plaidoyer aux termes duquel le Procureur a retiré le chef d’inculpation 1 avec le consentement de la Chambre de première instance, Mrdja reconnaissant, quant à lui, sa responsabilité pour les meurtres et les actes inhumains (sous forme de tentatives d’assassinat) reprochés sous les chefs d’inculpation 2 et 3, et s’engageant à coopérer avec le Procureur. Lors de l’audience du 24 juillet 2003, Mrdja a, en conséquence, plaidé coupable des crimes visés aux chefs d’inculpation 2 et 3 de l’acte d’accusation. La Chambre de première instance a accepté ce plaidoyer de culpabilité après s’être assurée qu’il avait été fait délibérément, en connaissance de cause, qu’il n’était pas équivoque et qu’il existait des éléments factuels suffisants pour établir les crimes et la participation de Mrdja ŕ ceux-ci.

8.Voici à présent un résumé des faits dont Mrdja a été reconnu coupable, tels qu’ils sont décrits dans l’accord sur le plaidoyer.

9. En août 1992, la Bosnie-Herzégovine était la proie d’un conflit armé, qui s’est traduit par une attaque généralisée et systématique contre la population civile non serbe de la municipalité de Prijedor. Mrdja a reconnu que les crimes dont il a plaidé coupable s’inscrivaient dans le cadre de cette attaque généralisée et systématique.

10. Le 21 août 1992, Mrdja faisait partie de l’« escouade d’intervention » de Prijedor, que nous venons de mentionner. Ce jour-là, dans l’exercice de ses fonctions officielles de policier, il a participé à l’escorte d’un convoi organisé de civils musulmans et d’autres civils non serbes, qui a quitté Tukovi et le camp de Trnopolje, dans la région de Prijedor, en direction de la municipalité de Travnik. Ce convoi se composait d’autocars et de camions chargés de civils.

11. Sur la route longeant la rivière Ilomska, le convoi s’est arrêté en un lieu situé entre Skender Vakuf et le mont Vlasic. Là, Mrdja et d’autres membres de l’escouade d’intervention se sont activement employés, en exécution d’ordres reçus, à séparer les hommes en âge de porter les armes du reste du convoi. Mrdja a lui-même sélectionné des hommes du convoi, sachant pertinemment qu’ils allaient être tués. Un grand nombre d’hommes, estimés à plus de 200, ont dû monter à bord de deux autocars.

12. Mrdja et les autres membres de l’escouade d’intervention ont conduit les hommes séparés du reste du convoi à Koricanske Stijene, à bord des deux autocars. Les hommes de l’un des autocars ont reçu l’ordre d’en descendre et ont été menés au bord de la route, qui surplombait un précipice. Ils ont alors reçu l’ordre de s’agenouiller puis ont été abattus. Les hommes qui se trouvaient dans l’autre autocar en ont été sortis par petits groupes de deux ou trois personnes, et ont eux aussi été abattus. De concert avec les autres membres de l’escouade d’intervention, Mrdja a participé directement et personnellement au débarquement, ŕ la surveillance, à l’escorte, à la fusillade et au meurtre de ces hommes non armés à Koricanske Stijene. À l’exception de 12 hommes qui ont survécu au massacre, tous ceux qui se trouvaient à bord des deux autocars ont été tués.

13. Nous allons à présent exposer succinctement les éléments pris en compte pour évaluer la gravité des crimes perpétrés. Nous évoquerons ensuite brièvement les circonstances aggravantes et atténuantes applicables en l’espèce.

La gravité des crimes

14. Pour déterminer la gravité des crimes, nous avons tenu compte de l’ampleur et de la nature générale des infractions commises, du rôle joué par Darko Mrdja ainsi que des conséquences des crimes sur les victimes et leurs familles.

15. S’agissant de l’ampleur des crimes, il n’a pas été possible de déterminer le nombre exact de civils que Mrdja a lui-męme tués. Sa participation à un massacre à grande échelle qui a coûté la vie à 200 civils environ ne fait toutefois aucun doute.

16. Quant au rôle qu’il a joué, Mrdja n’était certes pas le « maître d’śuvre » des crimes. De concert avec d’autres membres de l’escouade d’intervention, il a agi en exécution d’ordres de ses supérieurs. Nous considérons toutefois que le fait d’avoir participé personnellement à la sélection des civils qui allaient être tués, puis à leur meurtre et à la tentative d’assassinat contre 12 d’entre eux, sachant qu’une attaque généralisée et systématique contre des civils était en cours, rend les crimes dont il a à répondre particulièrement graves.

17. Nous avons enfin mesuré la gravité des crimes commis par Mrdja ŕ la lumière de leurs conséquences sur les victimes et leurs familles. Pour ce faire, nous avons examiné les déclarations de certains survivants des massacres, présentées par le Procureur. Nous avons également entendu deux témoins lors de l’audience du 22 octobre 2003 : M. Mujkanovic, rescapé des crimes, et Mme Karabasic, Présidente de l’Association Izvor des femmes de Prijedor. Il en est ressorti que les crimes ont eu des répercussions sérieuses sur les familles des victimes, ce qui ajoute à leur gravité. Quant à leurs conséquences sur les victimes elles-mêmes, nous avons été convaincus au-delà de tout doute raisonnable que la plupart de ces personnes se sont vu infliger des souffrances sensiblement plus grandes que celles habituellement endurées par les victimes de meurtres et d’actes inhumains, et nous avons retenu l’intensité de ces souffrances comme une circonstance aggravante.

18. En guise de conclusion, nous disons que la peine doit refléter toute la cruauté et l’inhumanité dont Darko Mrdja a fait preuve en participant directement à la fusillade de plus de 200 civils qui tous, sauf 12, ont été tués.

Les circonstances aggravantes et atténuantes

19. En plus du facteur d’aggravation de la peine mentionné précédemment en relation avec les conséquences des crimes sur les victimes, nous avons retenu deux circonstances aggravantes invoquées par le Procureur : la vulnérabilité des victimes et la position d’autorité de Mrdja. S’agissant de la premičre, nous estimons que le fait que les victimes étaient des civils ne peut être considéré en soi comme une circonstance aggravante, étant donné qu’il s’agit déjà d’un élément constitutif du crime de meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre, et de celui d’actes inhumains en tant que crime contre l’humanité. Nous estimons en revanche que le fait qu’un nombre considérable de victimes étaient précédemment détenues dans des camps, et étaient donc particulièrement vulnérables, doit être considéré comme une circonstance aggravante. Nous avons également retenu la position d’autorité de Darko Mrdja en tant que policier comme une circonstance aggravante, sans toutefois lui accorder beaucoup de poids.

20. La Chambre de première instance a par ailleurs examiné les circonstances atténuantes, sept au total, alléguées par le Procureur et la Défense, à savoir la contrainte et l’obéissance aux ordres de supérieurs hiérarchiques, la coopération avec le Procureur, le plaidoyer de culpabilité, les remords de Mrdja, sa situation personnelle, le temps écoulé entre les crimes et le procès, enfin l’obligation pour Mrdja de purger sa peine en dehors de l’ex-Yougoslavie, où il vivait avec sa famille.

21. S’agissant de la contrainte, nous estimons que la Défense n’a pas démontré que Mrdja aurait payé de sa vie le fait de ne pas exécuter les ordres de ses supérieurs, ou que cela aurait, à tout le moins, eu pour lui des conséquences graves. Nous concédons que les circonstances difficiles qui régnaient au moment des faits peuvent avoir exercé une certaine influence sur le comportement criminel de Mrdja, mais nous n’admettons pas qu’elles étaient telles que Mrdja n’avait d’autre choix que de participer au massacre d’environ 200 civils. En l’absence de toute preuve convaincante permettant d’établir que Darko Mrdja se serait clairement désolidarisé du massacre au moment des faits, nous n’avons pas pu retenir la contrainte comme circonstance atténuante. En concluant de la sorte, nous avons pleinement pris en compte l’âge de Mrdja et son rang peu élevé.

22. S’agissant du fait d’avoir agi en exécution d’ordres de supérieurs, facteur qu’aux termes de l’article 7 4) du Statut du Tribunal, les juges peuvent, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, considérer comme un motif de diminution de la peine, nous estimons que les ordres en vertu desquels Mrdja a agi étaient si manifestement illicites que l’accusé devait forcément savoir qu’ils violaient les lois les plus élémentaires de la guerre et les principes fondamentaux d’humanité. Le fait que Mrdja n’ait pas agi de sa propre initiative mais se soit conformé à de tels ordres ne justifie donc aucune atténuation de la peine.

23. S’agissant de la coopération de Mrdja avec le Procureur, nous nous rangeons ŕ l’avis de ce dernier, qui affirme qu’elle a été substantielle, et nous la retenons à titre de circonstance atténuante.

24. Nous estimons également que le plaidoyer de culpabilité de Mrdja aide ŕ l’établissement de la vérité autour des crimes commis à Koricanske Stijene et peut contribuer à promouvoir la réconciliation entre les peuples de Bosnie-Herzégovine. Nous notons, accessoirement, que ce plaidoyer a permis de faire l’économie d’un long procès et d’éviter qu’un grand nombre de victimes et de témoins ne doivent venir témoigner devant le Tribunal. Nous considérons donc le plaidoyer de culpabilité comme une circonstance atténuante.

25. Quant aux remords, nous estimons que ceux exprimés par Mrdja sont sincères et méritent d’être pris en compte comme facteur d’atténuation de la peine.

26. S’agissant de la situation personnelle de Mrdja — en particulier du fait qu’il a grandi dans des circonstances difficiles, qu’il s’est bien comporté en détention et que, depuis les événements d’août 1992, il s’est marié et a eu deux enfants, dont l’un souffre d’une maladie chronique — nous estimons que cette situation doit, dans sa globalité, être considérée comme un facteur de diminution de peine, qui n’a toutefois que peu de poids.

27. S’agissant du long laps de temps écoulé entre les crimes et le procès, nous notons que la Défense semble confondre cette question avec celle du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. La violation de ce droit ne peut toutefois être invoquée dans la présente affaire, puisqu’un tel droit ne prend effet qu’à partir du moment où un accusé a été officiellement mis en accusation par le Tribunal, ou arrêté. Or, Mrdja a été mis en accusation le 26 avril 2002 et arrêté le 13 juin 2002, soit moins de deux ans avant le début des audiences. Nous sommes de plus d’avis que pour des crimes du type de ceux reprochés en l’espèce, d’une gravité telle qu’elle justifie leur imprescriptibilité, une période de presque douze ans entre la commission des crimes et la fixation de la peine n’est pas d’une longueur telle qu’il faille la considérer comme une circonstance atténuante.

28. Enfin, nous reconnaissons que pour Mrdja, l’obligation d’exécuter sa peine dans un pays autre que celui oů réside sa famille, et dont il ne parle pas la langue, peut représenter une épreuve supplémentaire. Ce facteur doit être pris en compte dans la fixation d’une peine appropriée, mais ne constitue pas en soi une circonstance atténuante.

Monsieur Mrdja, veuillez vous lever.

29.Nous avons dûment analysé les éléments permettant de déterminer avec précision la gravité des meurtres, constitutifs de crimes de guerre, et des actes inhumains (tentatives d’assassinat), constitutifs de crimes contre l’humanité, dont vous avez été déclaré coupable. La peine qui vous est infligée doit être proportionnelle à toute la gravité, la cruauté et l’inhumanité du massacre qui a coûté la vie à environ 200 civils et infligé des souffrances considérables aux survivants et aux familles des victimes. Nous considérons comme des circonstances aggravantes la vulnérabilité spéciale des victimes au moment où ces crimes ont été commis, et les souffrances particulièrement grandes que vous leur avez infligées. Votre position d’autorité en tant que policier a également été retenue comme une circonstance aggravante, d’un poids toutefois limité. Nous avons, en outre, tenu compte de la plupart des circonstances atténuantes que vous avez invoquées : vous avez coopéré de façon substantielle avec le Procureur, vous avez plaidé coupable et vous avez exprimé des remords. Votre situation personnelle et familiale a elle aussi été prise en compte. Nous avons, en revanche, rejeté les arguments que vous avez invoqués s’agissant de la contrainte, du fait d’avoir agi sur les ordres de supérieurs, et du temps écoulé depuis la commission des crimes.

30. Darko Mrdja, la Chambre de première instance vous condamne à 17 années d’emprisonnement. La durée de votre détention préventive, soit 658 jours, sera déduite de cette peine.

31. L’audience est levée.

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Le texte intégral du jugement est disponible sur demande aux Services d’Information Publique ainsi que sur le site Internet du Tribunal.


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