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1 Le vendredi 2 avril 2004

2 [L'audience sentencielle]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

6 --- L'audience est ouverte à 9 heures 04.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur l'Huissier, Monsieur le

8 Greffier, je vous prie de citer l'affaire, s'il vous plaît.

9 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

10 les Juges, il s'agit de l'affaire IT-03-72-S, l'Accusation contre Milan

11 Babic.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

13 Je souhaite la bienvenue à tout chacun dans ce prétoire. Lorsque je dis

14 tout un chacun, cela s'adresse à vous également, Monsieur Babic. Simplement

15 pour éviter de faire la présentation, je m'adresse à vous Monsieur

16 Fogelnest, Monsieur Mueller et nous avons fait la présentation des parties,

17 de part et d'autre. L'Accusation, Mme Uertz-Retzlaff, M. Whiting et Mme

18 Bauer.

19 Je tiens à vous rappeler, Monsieur Kovacevic, vous êtes le témoin qui est

20 revenu, et vous êtes toujours tenu par la déclaration solennelle que vous

21 avez faite hier. Je tiens à vous le rappeler hier. Il se peut qu'il y a

22 encore quelques questions que l'on souhaite vous poser et je crois que

23 l'Accusation a précisé qu'elle souhaitait encore poser une question. Il ne

24 s'agit peut-être pas de la dernière, je vous prie.

25 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Non, il y a un point et non pas une

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1 question. Le point qui a été soulevé par vous-même hier.

2 LE TÉMOIN: DRAGO KOVACEVIC [Reprise]

3 [Le témoin répond par l'interprète]

4 Interrogatoire principal par Mme Uertz-Retzlaff : [Suite]

5 Q. [interprétation] Monsieur le Témoin, lorsque le président, Monsieur le

6 Juge Orie, vous a parlé de votre connaissance des faits, à propos des

7 victimes en Croatie, vous avez répondu qu'il y avait des rumeurs à cet

8 égard, et vous avez dit, vous-même -- vous avez constaté ceci sur les

9 médias électroniques croates. Est-ce que vous entendiez par là que vous

10 avez vu ceci à la télévision ?

11 R. Ce que j'entendais cela comprenait la télévision également. C'est cela

12 je voulais dire; néanmoins, je dois dire que l'image était mauvaise. On

13 recevait effectivement l'image, mais elle n'était pas bonne.

14 Il y a un point qui est assez important, il me semble. C'est qu'à l'époque,

15 il y avait une campagne de propagande, et voir même une guerre de

16 propagande entre les médias croates et serbes, il était difficile de

17 distinguer de faire la part des choses. Il y avait beaucoup de rumeurs qui

18 circulaient à l'époque et, si on écoutait les médias, il devenait très

19 difficile de savoir s'il s'agissait simplement d'élément d'information,

20 s'il s'agissait de fournir des explications supplémentaires ou de brouiller

21 les pistes. Je crois que cette guerre de propagande et ces éléments doivent

22 être pris en compte. Il était très difficile de savoir, à l'époque, de

23 faire la part des choses et de connaître la vérité, eu égard à tout ce qui

24 était diffusé dans les médias.

25 Q. Je vous remercie. Vous avez également dit que, plus tard, vous avez dit

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1 que la couverture était assez réaliste. Vous avez fait mention de réfugiés

2 qui ont pris la parole devant la caméra. Faites-vous allusion ici aux

3 réfugiés croates, qui se sont exprimés devant la caméra croate ?

4 R. Oui. Ce sont bien là les réfugiés que j'ai évoqués.

5 Q. Vous avez dit qu'après, la couverture était assez réaliste. A quelle

6 époque pensiez-vous, à ce moment-là ? Quand vous dites "plus tard", de

7 quelle époque s'agit-il ?

8 R. Plus tard, lorsque les choses sont apparues plus clairement, certains

9 des éléments présentés étaient véridiques et correspondaient à la vérité.

10 Mais certains éléments seulement. J'entends élément d'information, et la

11 situation était telle que l'on pouvait faire établir la distinction entre

12 les éléments de propagande, et les reportages en tant que tels. On

13 constatait qu'il y avait véritablement, à ce moment-là, des reportages qui

14 correspondaient à la réalité.

15 Q. La question que je vous ai posée est la suivante. De quelle période

16 s'agit-il, s'il vous plaît ?

17 R. Il m'est très difficile d'établir une date. Je faisais allusion à

18 l'ensemble à toutes les périodes du conflit. Par exemple, les médias

19 croates donnaient toujours des reportages sur Vukovar, les victimes civiles

20 et les réfugiés qui fuyaient la Krajina au cours de l'année 1991. Par

21 conséquent, pendant toute la durée du conflit, c'était quelque chose que

22 l'on pouvait constater en raison des circonstances que j'ai déjà, ou à

23 cause des circonstances que je vous ai déjà décrites. Si je dois vous

24 donner une date exacte, de savoir s'il s'agissait, je ne sais pas s'il

25 s'agissait du moment où les événements se sont produits, ou d'une date

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1 ultérieure.

2 Q. Je souhaite vous poser des questions maintenant à propos de ces

3 reportages -- le contenu de ces reportages, et je sais très bien que c'est

4 difficile d'en donner le plus tard. Je souhaite que vous portiez votre

5 attention sur la visite que vous avez faite avec M. Babic, à Kostajnica en

6 1995, parce que vous aviez eu vent des rumeurs à propos de meurtres qui

7 avaient été commis dans ces villages. Est-ce que vous entendez par là les

8 villages de Bacin, Dubica et Cerovljani ?

9 R. Oui, sans aucun doute, ce sont ces villages là qui étaient des villages

10 dans la région de Kostajnica et Dubica.

11 Q. C'était des renseignements que vous aviez obtenus à propos de ce

12 mariage en 1995. Était-ce quelque chose que vous avez appris pour la

13 première fois, ou n'y avait-il que M. Babic qui était au courant ?

14 R. Je dois dire que c'était des éléments d'information tout à fait

15 nouveaux pour moi car je n'étais pas au courant de ces faits-là, et je n'ai

16 jamais vu de reportage à ce propos dans les médias.

17 Q. Pour ce qui est des meurtres commis à Skabanj, et Nadin, vous souvenez-

18 vous avoir vu les reportages à la télévision à ce propos en 1991 ?

19 R. J'ai vu un reportage à la télévision croate. Maintenant, je ne sais pas

20 s'il s'agit de l'année 1991, ou 1992. Je me souviens simplement qu'au cours

21 de ce reportage, ils ont décrit la manière dont les victimes ont été

22 emmenées dans la ville de Zadar, et remises à leurs familles. Reportage

23 dont je me souviens, c'est le reportage dont je me souviens, mais je ne

24 peux pas vous dire s'il s'agit d'un reportage diffusé à la fin de l'année

25 1991, au début de l'année 1992, mais un tel rapport a effectivement été

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1 diffusé par la télévision.

2 Q. Vous souvenez-vous de reportage à la télévision portant sur des

3 meurtres ?

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais vous interrompre, Madame Uertz-

5 Retzlaff, car je pense que le point qui était soulevé ici est de savoir si

6 M. Babic, oui ou non, avait pris connaissance de ses meurtres.

7 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, tout à fait.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si nous regardons les faits, sur la base

9 des faits admis, M. Babic a nié sa connaissance de ces meurtres à ce

10 moment-là, à savoir, si un meurtre, en particulier, a été couvert par la

11 télévision. C'est là que se trouve l'élément pertinent. Je crois que

12 l'élément essentiel du témoignage de ce témoin est que ces meurtres, quels

13 que soient les villages, dont lesquels ils ont été commis, ont été montrés

14 à la télévision croate. Je me demande quelle pertinence vous pouvez faire

15 valoir si vous abordez tous les détails et dire qu'un meurtre a été montré

16 à la télévision et qu'un autre non. Pouvez-vous un petit vous concentrez

17 sur la pertinence de ces éléments-là plutôt ? Je ne sais pas si nous devons

18 poursuivre dans cette ligne-là ?

19 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Monsieur le Président, je vais vous

20 dire pourquoi j'estime que ces questions sont pertinentes. Je souhaite ne

21 pas le faire néanmoins devant le témoin.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons, par conséquent, demander au

23 témoin, M. Kovacevic, de quitter le prétoire pendant quelques instants pour

24 que nous puissions débattre de cette question juridique. L'Huissier va vous

25 accompagner.

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1 C'était simplement vous souhaitiez que le témoin quitte le prétoire.

2 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, tout à fait.

3 [Le témoin se retire]

4 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Nous avons dit que ce qui avait été

5 présenté à la télévision constituait un élément important et M. Babic

6 aurait peut-être pu voir ces reportages à la télévision également. Nous

7 avons vérifié les dires de M. Babic lors de l'entretien --

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

9 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] -- que nous avons eu avec lui à

10 propos des meurtres, et à propos de sa connaissance de ces événements et de

11 son accès aux médias. Mme Bauer a vérifié l'intégralité du compte rendu

12 d'audience de 1 200 pages. Il y a peut-être quelque chose qui lui a

13 échappé, mais avec les mots clés, il aurait certainement dû retrouver les

14 éléments pertinents. Nous avons découvert que M. Babic au cours de

15 l'entretien a répondu à la question qui lui avait été posée à propos de

16 meurtres précis, chose qu'il a nié, il a nié avoir eu connaissance de ces

17 meurtres à l'époque.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

19 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Il nous a expliqué lorsqu'il a

20 entendu le rapport détaillé de ces meurtres, par exemple, le mariage qu'a

21 évoqué le témoin. C'est que d'autres éléments d'informations qu'il a

22 obtenus du témoin à une date ultérieure, ainsi que d'une autre personne.

23 Nous avons également vérifié sa connaissance des médias. Nous avons

24 constaté qu'aucune mention n'est faite des dires de M. Babic où il

25 précisait qu'il niait avoir eu tout accès aux médias croates. C'est quelque

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1 chose que M. Mueller a déclaré au cours de la comparution initiale. Nous

2 n'avons aucune mention dans le texte de cela.

3 Ce que nous avons est, en fait, un commentaire de M. Babic qui dit tout le

4 contraire dans son entretien 00376, cassette 2 à 14, pages 6 à 8. Il fait

5 allusion ici à une connaissance des faits généraux, ce qui lui avait été

6 rapporté, et il mentionne en particulier les médias serbes et les médias

7 croates, que les deux médias ont présenté des reportages simultanément sur

8 des événements complètement différents, voir contraire.

9 Il précise, en particulier : "D'un autre côté, les médias croates

10 précisaient toujours que c'étaient les Serbes, les Chetniks." Je crois que

11 cette situation en particulier est importante. Il s'agit d'une discussion à

12 propos des événements qui ont eu à Kijevo.

13 M. Babic a pu voir les médias croates et les reportages à la télévision

14 croate. M. Mueller a commis une erreur ici.

15 Ce que je voulais établir, c'était de savoir si le témoin, c'est pour cela

16 que je lui pose cette question en particulier, je lui demande si ces

17 meurtres étaient couverts par les médias parce que

18 M. Babic n'a jamais déclaré qu'il n'avait pas accès aux médias croates.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que dans les faits qui ont été

20 établis, rien n'est précisé sur l'accès des médias par

21 M. Babic, à ma connaissance. Cependant, il est précisé très clairement que

22 M. Babic n'avait à ce moment-là aucune connaissance des meurtres en

23 question. Les choses se présentent de la façon suivante maintenant. M.

24 Babic avait accès aux médias, avait remarqué que les reportages étaient

25 contradictoires entre les médias serbes et les médias croates, et que s'il

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1 n'avait aucune connaissance de ces meurtres, c'est qu'il n'a pas cherché à

2 avoir d'autres explications étant donné le poste qu'il occupait à ce

3 moment-là. Bien sûr, son manque de connaissance à propos de ces meurtres

4 est peut-être perçu quelque peu différemment s'il s'agit là des faits

5 présentés et qui constitue le fondement de ces faits admis.

6 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Je souhaite ajouter quelque chose si

7 vous me le permettez. M. Babic n'a pas nié le fait qu'il savait que le

8 nettoyage ethnique était en cours et que des hommes étaient tués. M. Babic

9 a nié avoir eu connaissance de l'accusation de meurtre. C'est quelque chose

10 que je souhaite établir avec le témoin. Je souhaite savoir quels reportages

11 avaient été diffusés sur les meurtres en question.

12 Un autre point : nous n'avons pas donné ces renseignements à la Chambre de

13 première instance car nous aurions dû présenter trop de pièces de l'affaire

14 Milosevic. Dans l'affaire Milosevic, il y a un certain nombre de plaintes

15 déposées par le gouvernement croate, ou des plaintes déposées par les

16 reporteurs de la MCCE ont été présentées, soit au président de Serbie, M.

17 Milosevic; ou M. Jovic, de la présidence d'Yougoslavie à l'époque; ou

18 présentées aux généraux de la JNA, et c'est Adzic, Kadjevic ou Raseta, et

19 ces plaintes n'ont pas été déposées auprès des gouvernements de Krajina et

20 de SAO, car c'est la communauté internationale niait à l'époque l'existence

21 de ces entités. Ceci nous porte à croire que M. Babic dit la vérité.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je dois lire la page 13 de l'annexe en

23 pièce jointe à l'accord de plaidoyer. On peut lire ce qui suit : "Eu égard

24 au meurtre pour lequel il est accusé au paragraphe 15(a) de l'acte

25 d'accusation, Milan Babic ne savait pas que ces meurtres étaient commis à

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1 l'époque, mais d'après ce qu'il avait observé, il savait que de tels

2 assassinats étaient sans doute la conséquence inévitable de la poursuite

3 des objectifs de l'entreprise criminelle commune à la compagne de

4 persécution."

5 Il ne s'agit pas exactement des mêmes termes utilisés lorsqu'on confirme sa

6 connaissance des meurtres, hormis ceux pour lesquels il est accusé au

7 paragraphe 15(a) de l'acte d'accusation. Mais, si l'Accusation et la

8 Défense sont d'accord pour dire que M. Babic à l'époque n'avait pas

9 connaissance des meurtres tels qu'ils sont précisés au paragraphe 15(a),

10 peut-être qu'il n'avait pas connaissance du fait que des non-combattants

11 étaient tués, à savoir, des civils au cours du nettoyage ethnique, et du

12 transfert forcé de civils de la région. Ceci nous permet d'éclaircir un

13 point qui se trouve à la page 13.

14 Tel que je viens de l'exprimer, les choses sont comme suit d'un accord

15 commun entre les parties; la Défense et l'Accusation ?

16 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui. C'est ainsi que nous comprenons

17 les choses.

18 M. FOGELNEST : [interprétation] Ceci a toujours été la position de la

19 Défense.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Soit nous n'avons pas lu le texte

21 suffisamment attentivement, car j'ai constaté que M. Babic savait que de

22 tels meurtres étaient la conséquence, c'est l'inévitable, ce qui n'est pas

23 la même chose que de dire que ces meurtres, qui ont été commis, étaient à

24 l'origine d'eux. Il ne s'agit pas de la même chose. Si l'une ou l'autre

25 partie peut me dire exactement où, dans les faits établis, on peut

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1 retrouver le fait qu'il avait pris connaissance de ces meurtres ou qu'il

2 avait connaissance de ces meurtres.

3 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Dans les faits établis, on a précisé

4 qu'il n'avait pas connaissance des meurtres, mais nous n'avons pas fait

5 allusion à d'autres meurtres car ceci n'est pas vraiment stipulé dans

6 l'acte d'accusation. Nous avons simplement fait référence aux meurtres

7 cités dans l'acte d'accusation --

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

9 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] -- mais nous n'avons pas fait

10 référence à d'autres meurtres.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais maintenant regarder l'acte

12 d'accusation.

13 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Au chef 1, les chefs d'accusation au

14 paragraphe 15, nous faisons référence ici aux meurtres de Croates et non-

15 Serbes. Ce qui suit après est une liste des meurtres commis et pour

16 lesquels il est accusé.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce que vous dites, c'est qu'il n'était

18 pas au courant de ces meurtres, mais il savait que des civils étaient tués

19 dans d'autres endroits. Mais, dans le cadre de ce nettoyage ethnique, c'est

20 ainsi que la Défense et l'Accusation comprennent cet élément-là.

21 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

22 M. MUELLER : [interprétation] Pardonnez-moi, mais --

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La manière dont je comprends les choses,

24 on nie que M. Babic était au courant aux meurtres cités au paragraphe

25 15(a), meurtres énumérés au paragraphe 15(a). Ensuite, sous paragraphes 1 à

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1 4, aux chefs 1 à 4, des chiffres et des situations particulières sont

2 évoquées. Il savait que des civils étaient tués ailleurs. Je dois dire dans

3 le cadre du nettoyage ethnique mais pas particulièrement dans ces endroits

4 à cette époque-là.

5 M. MEULLER : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

7 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Peut-être que je souhaite faire une

8 observation supplémentaire. Sa connaissance de la situation, j'entends M.

9 Babic, d'après sa déclaration, il savait que des gens étaient tués. Il

10 savait que des civils étaient tués mais d'après lui, ils étaient tués au

11 cours d'une attaque en tant que tel. Il ne savait pas qu'ils étaient

12 exécutés ou assassinés après l'attaque. C'est là que l'élément est très

13 différent. Il a dit, précisément, très clairement, qu'il savait que des

14 gens avaient été tués -- des civils avaient été tués au cours de l'attaque,

15 mais il ne savait pas que ces gens ont été tués, de façon délibérée, tel

16 que c'est précisé aux chefs d'accusation de meurtres qui sont portés contre

17 lui de façon très détaillée dans l'acte d'accusation. Je crois que la

18 différence se situe à cet endroit-là.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, ceci clarifie les choses. Est-ce

20 que l'on doit comprendre par là que M. Babic savait que les civils étaient

21 tués et que ce sont des dommages collatéraux qui justifiaient de l'action

22 militaire ? J'entends par là que ceci paraît vraiment affreux. Mais vous

23 tuez des civils de deux façons différentes, soit parce que vous utilisez un

24 équipement militaire qui n'est pas approprié pour une attaque donnée et

25 vous ne prenez pour cible personne précisément; et vous tuez des civils, où

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1 il s'agit de dommages collatéraux comme étant une suite logique d'une

2 action militaire mal menée. Bien sûr, vous pouvez également sauver la vie

3 des civils au cours de l'attaque et, ensuite, les tuer après.

4 Est-ce que je comprends que la mort de ces civils constituaient les

5 dommages collatéraux justifiés par une opération militaire ou est-ce qu'il

6 s'agit simplement de tirer sur un village où vivaient des civils, en

7 détruisant les maisons où vivaient des civils en même temps ?

8 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Le point de vue de l'Accusation est

9 le suivant. Je suppose que M. Mueller partage notre point de vue. M. Babic

10 dit clairement qu'il ne s'agit pas d'une opération militaire légitime, mais

11 d'une campagne de nettoyage ethnique, une attaque qui était illégale. Au

12 cours de cette attaque, des civils ont été tués.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Mueller.

14 M. MUELLER : [interprétation] Monsieur le Président, ceci est exact. La

15 raison pour laquelle je me lève est tout à fait différente. Je viens de

16 m'apercevoir qu'au compte rendu d'audience, les noms ont été échangés. Je

17 suis cité, Monsieur Fogelnest et Monsieur Mueller. Pardonnez-moi.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

19 M. MUELLER : [interprétation] Cela va pour le besoin du compte rendu

20 d'audience.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous demande de bien vouloir vérifier

22 au niveau des cassettes vidéo et de voir qui parlait à ce moment-là si

23 c'est possible. Je souhaite simplement préciser que M. Mueller est celui

24 qui a les cheveux davantage blanc et M. Fogelnest a moins de cheveux

25 blancs.

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1 M. FOGELNEST : [interprétation] Je suis tout à fait honoré que vous nous

2 confondiez tous les deux.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je voudrais simplement vérifier quel est

4 l'avis de mes collègues à ce sujet, au sujet qui nous intéressait alors.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre comprends mieux l'exposé des

7 faits de l'accord sur le plaidoyer. J'ai été un petit peu surpris que dans

8 le cadre de l'interrogatoire du témoin, l'on a vu réapparaître un certain

9 nombre de points d'accord pour lesquels je pensais qu'ils avaient été

10 réglés mais il s'avère maintenant que c'était une bonne chose puisque cela

11 nous a permis de tirer au clair certaines choses qui font partie de

12 l'exposé des faits de l'accord sur le plaidoyer. Il ne me semble pas qu'il

13 faille poser d'autres questions à ce témoin sur ce point en particulier.

14 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Je suis d'accord avec vous, Monsieur

15 le Président.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur l'Huissier, s'il vous plaît,

17 pourriez-vous faire entrer le témoin encore une fois ?

18 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kovacevic, il nous a fallu

20 tirer au clair un point. Nous l'avons fait et il n'y a pas lieu de poser

21 davantage de questions sur cela, au sujet de ce qu'on pouvait voir à la

22 télévision en 1991 et de ce que la télévision n'a pas montré.

23 Ceci étant dit, j'ai une autre question à vous poser. Cela concerne le

24 terme que vous avez utilisé hier, le terme "Zupan". Vous nous avez dit que

25 vous avez entendu ce mot se prononcer à deux reprises, et vous avez dit

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1 qu'il a été prononcé à l'encontre de M. Babic. Ce mot "Zupan" vous n'était

2 jamais arrivé de l'entendre auparavant, dans d'autres circonstances, dans

3 des circonstances qui n'avaient rien à voir avec M. Babic ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, permettez-moi de vous

5 préciser cela un petit peu. Je ne peux pas être vraiment très concis. Cela

6 je ne peux pas le faire en en mot. Le mot "Zupan" est ce -- compte tenu des

7 circonstances dans lesquelles nous nous trouvions, ce signifiait traître,

8 traître des intérêts nationaux. Ce, en fait, d'où vient la signification de

9 ce terme ? Du fait que la République de Croatie a décidé de son

10 organisation administrative territoriale, en possédant à découpage par

11 comté, par zupanier, et un "Zupan", c'est celui qui dirige une entité

12 administrative dans le cas de ce découpage. Il se trouve à la tête d'une

13 zupanija [phon], d'un comté. Dans ce cas précis, le recours à ce terme ne

14 signifiait pas sur l'administrateur. Il signifiait traître car c'était un

15 terme très dénigrant, car l'on voit mal qui, dans la Krajina, aurait pu

16 porter ce terme. Si on l'a utilisé à l'adresse de M. Babic, c'était à lui,

17 en tant qu'en politique, quelqu'un qui se montrait prêt, soi-disant, à

18 servir l'état croate, à se mettre au service des Institutions croates.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je comprends pourquoi vous avez

20 interprété de cette manière-là le terme en question, mais la question que

21 je vous ai posée était différente. L'avez-vous entendu employé, dans la

22 même phrase au préalable, avant les deux occasions où vous avez entendu ce

23 terme adressé à M. Babic ?

24 LE TÉMOIN : A chaque fois qu'il est arrivé en Krajina, qu'il soit

25 nécessaire de négocier ou de coopérer, on s'est servi de ce terme. C'est un

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1 terme qui était utilisé. Hier, je vous ai cité deux exemples spécifiques.

2 Un cas, lorsque on a procédé à des modifications de la constitution,

3 lorsqu'il y a eu cette proposition formelle qui a été avancée au sujet de

4 la manière de modifier la constitution, et on a demandé qu'un ensemble de

5 municipalités soit organisé de manière particulière. A une deuxième

6 occasion, je l'ai entendu de la bouche de Mme Plavsic, je l'ai évoqué hier.

7 Mais, à chaque fois qu'il y avait des négociations ou des entretiens qui

8 portaient sur ce sujet, c'était un terme qui était employé. Aussi, il est

9 arrivé qu'on imprime des tractes ou des pamphlets, où M. Babic était traité

10 de cette manière.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous dites que, par écrit, on s'est

12 servi de ce terme de la même façon, et que, plus ou moins, c'était afin de

13 dire qu'en fait, M. Babic était quelqu'un qui s'était mis au service du

14 gouvernement croate, en tant que personne qui était à la tête d'un comté

15 croate. Aviez-vous jamais entendu la signification de ce terme avant le

16 conflit, ou était-ce un terme nouveau ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, avant le conflit, on n'entendait pas ce

18 terme. On a commencé à l'utiliser à la fin de 1990, c'est la première fois

19 que je l'ai entendu, moi-même. Il y avait à ce moment-là déjà une sorte de

20 conflit, ce n'était pas vraiment un conflit armé, déclaré. Mais, c'était

21 déjà une forme de conflit. Si vous me permettez d'ajouter quelque chose,

22 ceci devait empêcher M. Babic de participer aux négociations ou de

23 participer à ce processus politique, qui pouvait mener à une solution

24 politique, une solution qui comprendrait l'intégration de la Krajina au

25 sein de la Croatie.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kovacevic, de

2 m'avoir répondu.

3 Y a-t-il d'autres questions qui découlent des questions de la Chambre ?

4 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Non, il n'y en a pas de la part de

5 l'Accusation.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Monsieur Mueller.

7 M. MUELLER : [interprétation] La Défense n'a pas de questions.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puisqu'il n'y a plus de questions pour

9 vous, que ce soit de la part des parties ou de la Chambre, Monsieur

10 Kovacevic, je vous remercie d'être venu de loin à La Haye pour déposer ici,

11 pour répondre aux questions des deux parties et de la Chambre. Je vous

12 souhaite un bon retour chez vous.

13 Monsieur l'Huissier vous raccompagnera.

14 Maître Mueller.

15 [Le témoin se retire]

16 M. MUELLER : [interprétation] Monsieur le Président, c'est nobile officio

17 pour la Défense, n'est-ce pas, de dire quelques mots au témoin après qu'il

18 est parti, après qu'il a quitté le prétoire ? Je ne savais pas que c'était

19 dans les usages, mais, si la Chambre l'estime correcte ou approprié, je

20 vous demanderais une petite pause afin de le faire.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est plutôt un précédent devant ce

22 Tribunal --

23 M. MUELLER : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, mais c'est

24 ce qu'on m'a dit. Moi aussi, j'étais surpris que l'on me le dise, comme

25 vous semblez être surpris, aussi.

Page 185

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela fait un peu plus de deux ans que je

2 suis ici à ce Tribunal, et c'est la première fois que l'occasion se

3 présente, Maître Mueller. Mais si, pendant la pause suivante, vous avez la

4 possibilité de dire au revoir au témoin, je vous en prie, fait-le, ou

5 envoyez-lui un petit message de remerciement.

6 M. MUELLER : [interprétation] Je vous remercie, c'est une excellent idée.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais je pense que, pour le moment, il

8 n'y a pas lieu d'interrompre l'audience.

9 Je pense que nous arrivions au point ou nous pourrons entendre les

10 réquisitoires et plaidoiries des parties. Je devrais donner la possibilité

11 à M. Babic de s'exprimer.

12 M. FOGELNEST : [interprétation] Puis-je, s'il vous plaît, lui poser une

13 question, un instant ?

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je vous en prie.

15 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Monsieur le Président, un point

16 pratique. Les pièces à conviction n'ont pas encore été formellement versées

17 au dossier. Les pièces de l'Accusation, et en fait, nous les avons ici, et

18 nous avons les versions paginées.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, en fait, j'attendais plus ou moins

20 que l'on le fasse, et j'ai pris l'habitude, dans ma Chambre de première

21 instance, d'attendre toujours jusqu'à la fin pour le faire. Si nous les

22 avions versées hier, nous aurions eu à le refaire aujourd'hui.

23 Maître Fogelnest.

24 M. FOGELNEST : [interprétation] Il est prêt à prendre la parole.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si tel est le cas, Monsieur Babic, le

Page 186

1 moment est venu pour vous de vous adresser à la Chambre. Je vous en prie,

2 vous avez la parole.

3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

4 n'ai rien d'autre à dire. Si ce n'est que je regrette profondément ce que

5 j'ai fait. J'espère qu'en me présentant devant ce Tribunal, et qu'en disant

6 la vérité, je suis en mesure d'aider à ce que la réconciliation se fasse

7 entre les peuples des Balkans. Je me suis mis à la disposition de ce

8 Tribunal parce que je suis convaincu que c'est la seule institution qui

9 peut rétablir la paix dans mon pays. Je sais qu'un certain nombre de

10 personnes considèrent que je suis un traître; cependant, je crois qu'en me

11 présentant devant ce Tribunal, je serre les meilleurs intérêts de tous afin

12 que la vérité soit faite, soit dite. J'invite tous ceux qui connaissent les

13 événements, qui connaissent les faits sur ces événements, je les invite à

14 venir se présenter devant ce Tribunal et à dire la vérité, pour que la

15 vérité historique soit connue, et pour que les générations futures puissent

16 tirer une leçon de nos erreurs.

17 Je vous remercie de m'avoir écouté.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Babic.

19 Il n'est pas habituel, au sein de ce Tribunal, de poser des questions à

20 l'accusé au sujet des petites déclarations qu'il fait. Je ne vais pas

21 déranger à cette pratique; cependant, si vous aviez la sensation que vous

22 souhaiteriez expliquer pour quelles raisons vous n'avez pas adopté cette

23 même attitude, cette attitude de coopération avec le Tribunal avant l'année

24 2001 -- avant l'automne 2001, si vous voudriez dire quelques mots à ce

25 sujet, je vous invite à le faire.

Page 187

1 Si je vais vous poser une question, la question serait la suivante. A

2 l'automne de l'année 2001, pourquoi, lorsque vous avez vu votre nom citer

3 dans un acte d'accusation dressé à l'encontre de M. Milosevic, pourquoi, à

4 ce moment-là, et non pas avant, avez-vous fait cela ? Pourquoi n'avez-vous

5 pas fait ceci pendant les cinq années où vous étiez au courant de

6 l'existence du Tribunal et où les besoins historiques auraient été les

7 mêmes ?

8 Je vous invite à prendre la parole.

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je

10 dois dire d'emblée qu'avant l'an 2001, je n'osais pas le faire, et ce pour

11 la simple raison que j'étais un réfugié en Serbie. Je n'avais pas de pièce

12 d'identité, je n'avais pas de passeport, je ne pouvais pas quitter le pays.

13 Sur un plan formel, ce n'était pas possible. Peut-être m'aurait-on donné la

14 possibilité de sortir, mais je ne savais pas que faire de ma famille et je

15 n'étais pas prêt à avoir des entretiens avec le Tribunal, sans dire toute

16 la vérité que je connaissais, et cette vérité concernait les personnes très

17 puissantes en Serbie, au pouvoir en Serbie.

18 Je dois dire qu'il me semble que c'était, dès le début de l'an 2001, que

19 l'on m'a contacté pour que je dépose dans une autre affaire, au sujet de

20 l'opération Tempête en Croatie. Mais là, j'aurais déposé au sujet des

21 actions de la partie croate, pour ce qui est des expulsions des Serbes de

22 la Krajina, et cela vraiment je n'ai pas pu le faire pour les raisons que

23 je vous ai citées. Pour l'essentiel, j'estime que la vérité est une -- elle

24 doit comprendre toutes les parties qui ont pris part au conflit, et je n'ai

25 pas pu présenter simplement un fragment de cette vérité.

Page 188

1 [La Chambre de première instance se concerte]

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie de nous avoir fait

3 partager votre opinion là-dessus. Je vous prie de reprendre place, Monsieur

4 Babic.

5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il me semble que le moment est venu où

7 nous pouvons entendre les plaidoiries réquisitoires des parties. Madame

8 Uertz-Retzlaff, il vous faudra combien de temps, s'il vous plaît ?

9 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Je pense qu'il me faudra un peu plus

10 d'une heure.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un peu plus d'une heure.

12 La Défense, il vous faudra combien de temps aux deux conseils ensemble ?

13 M. MUELLER : [interprétation] Je dois dire que je n'ai pas encore poser la

14 question à mon collègue, mais je peux vous dire pour ce qui me concerne

15 qu'il me faudra 20 à 25 minutes.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Monsieur Fogelnest, pour être

17 équitable.

18 M. FOGELNEST : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas rédigé

19 mon discours par écrit. J'ai plus l'habitude de parler en m'appuyant sur

20 des notes. Je ne peux pas vous répondre de manière précise. Je n'ai pas

21 chronométré mon discours, mais je crois qu'à nous deux, nous ne dépasserons

22 pas le temps qu'a demandé Mme Uertz-Retzlaff. Je me limiterais à cela et je

23 vais essayer de terminer vite.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dans ce cas-là, je me propose que l'on

25 ne commence pas, tout de suite, puisque nous pourrions avoir des

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1 difficultés, parce qu'il nous faut nous arrêter vers 11 heures 20, à la

2 fois, pour les enregistrements et pour ce qui est des interprètes. Nous

3 n'aurions peut-être pas suffisamment de temps.

4 Je suppose que l'on fasse une pause de 15 minutes et nous allons reprendre

5 à 10 heures 05. A ce moment-là, vous allez faire votre inquisitoire, Madame

6 Uertz-Retzlaff, et, par la suite, nous aurons une petite pause après 11

7 heures, et la Défense prendra la parole pendant une heure à la fin. Je

8 pense que nous pourrons terminer à peu près, disons, vers 12 heures 15, 12

9 heures 30. Merci.

10 --- L'audience est suspendue à 9 heures 52.

11 --- L'audience est reprise à 10 heures 11.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Uertz-Retzlaff, vous avez la

13 parole.

14 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Merci.

15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, trouver une juste peine qui

16 soit acceptable aussi bien par les victimes des crimes et leurs proches,

17 que l'accusé ainsi que l'opinion publique en ex-Yougoslavie est une tâche

18 lourde et difficile qui incombe à la Chambre de première instance.

19 Au moment de faire une recommandation s'agissant de la peine appropriée et

20 a prononcé à l'encontre de l'accusé Milan Babic, je me trouve confronté à

21 une tâche difficile pour l'Accusation et pour moi-même. Environ 10 ans

22 après les faits, j'ai rencontré M. Babic pour la première fois et, pendant

23 de longues semaines, j'ai travaillé avec lui ici à La Haye ainsi qu'en

24 Serbie. Tout au long de cette période, il m'a donné l'impression d'être un

25 homme modéré, un homme rongé par le remords, qui regrettait d'avoir

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1 participé aux crimes commis. Il a reconnu sa responsabilité, il a plaidé

2 coupable et il nous a aussi communiqué des éléments de preuve inestimables

3 au sujet d'un grand nombre de questions des éléments de preuve qui vont

4 permettre au Tribunal dans son ensemble et au bureau du Procureur en

5 particulier de remplir son mandat. Tout ceci fait que la peine qui doit

6 être prononcée à son encontre doit être moins lourde qu'en temps normal.

7 Pourtant, M. Babic a commis des crimes et a participé à des crimes

8 extrêmement graves qui ont entraîné de grandes souffrances pour de très

9 nombreuses victimes.

10 Il s'agit d'une affaire dans laquelle nous sommes confrontés à deux

11 nécessités contradictoires. Il s'agit de trouver une peine appropriée pour

12 quelqu'un qui est responsable du plus graves des crimes qui soient, mais

13 quelqu'un qui a également beaucoup changé, qui s'est distancié des co-

14 auteurs de ces crimes, et qui, d'autre part, a entrepris des démarches très

15 importantes pour aider l'Accusation dans son enquête et pour aider les

16 Chambres de première instance à établir la vérité et à promouvoir la

17 réconciliation dans l'ex-Yougoslavie.

18 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ils vous appartient de trouver

19 le juste équilibre entre le châtiment de l'auteur de ces crimes

20 conformément à sa culpabilité, tout en encourageant d'autres personnes

21 placées dans la même situation que l'accusé à coopérer avec l'Accusation et

22 à assister les Chambres de première instance dans leur travail à l'avenir

23 pour établir la vérité.

24 Quant à moi, j'ai étudié avec beaucoup de soins cette question, et j'en ai

25 parlé avec le Procureur, avec mes confrères au sein de notre équipe, ainsi

Page 191

1 qu'avec d'autres membres du bureau du Procureur. L'Accusation a présenté sa

2 position dans un mémoire exhaustif. Il n'est pas dans mon intention de

3 répéter ce qui a déjà été couché sur le papier. Je vais plutôt m'attacher à

4 vous expliquer pourquoi l'Accusation fait la recommandation qui est la

5 nôtre.

6 Hier, j'ai vu que les médias affirmaient que l'Accusation allait demander

7 11 ans de prison, or ceci n'est pas exact. L'Accusation recommande une

8 peine inférieure à 11 ans d'emprisonnement. J'insiste ici sur le mot de

9 "inférieur."

10 Au sein du Tribunal, on assiste à une augmentation du nombre de plaidoyers

11 de culpabilité. J'ai essayé de m'inspirer de ces procédures. Je me suis

12 plus particulièrement penché sur les jugements portant sentence autour de

13 Srebrenica.

14 On peut commencer par le jugement Erdemovic. Vous vous souviendrez qu'en

15 juillet 1995, Erdemovic, accompagné de cet autre soldat, a abattu environ 1

16 000 Musulmans. Il a été condamné à cinq ans de réclusion. La Chambre qui a

17 prononcé sa peine a reconnu qu'il avait agi sous la contrainte, qu'il avait

18 agi conformément à des ordres, qu'il avait montré du remords et qu'il avait

19 coopéré de manière importante avec le Procureur.

20 Obrenovic, qui était chef d'état-major et commandant adjoint de la Brigade

21 de Zvornik en 1995 avait un poste de Commandement pendant les événements de

22 Srebrenica. Il a endossé la responsabilité de ce qui s'était passé, mais il

23 n'a participé que de manière limitée aux exécutions elles-mêmes. Il a été

24 condamné à 17 ans de réclusion.

25 Nikolic qui était à la tête des services de renseignements et de sécurité

Page 192

1 de la Brigade de Bratunac a été impliqué beaucoup plus avant dans la mise

2 en œuvre et la coordination des tueries de Srebrenica. Il a été condamné à

3 27 ans de réclusion. Obrenovic et Nikolic ont tous deux plaidés coupables,

4 et tous deux ont coopéré de manière significative avec l'Accusation. Tous

5 deux ont déposé dans d'autres affaires, pourtant la nature de leur

6 coopération et de leur sincérité n'était pas tout à fait identique.

7 Ce que l'on peut voir dans ces exemples que je viens de citer, c'est que la

8 culpabilité doit être évaluée sur une base individuelle et peut entraîner

9 des peines très différentes pour des coupables qui ont participé à un même

10 crime. Deuxièmement, ce que cela nous montre, c'est que la sincérité de la

11 coopération des personnes concernées peut entraîner une différence dans la

12 peine prononcée.

13 Examinons la peine prononcée contre Mme Plavsic. Elle faisait partie de la

14 même entreprise criminelle commune que Milan Babic. Tout comme M. Babic,

15 elle n'était pas à la tête de cette entreprise criminelle commune et son

16 influence sur les autres participants était limitée. Cependant, au niveau

17 régional, elle occupait une fonction importante. De février à mai 1992,

18 elle était co-présidente en exercice et membre de la présidence collective

19 et élargie de la Republika Srpska. Il s'agit d'un poste qui, en réalité,

20 n'est pas très différent de celui qui était occupé par M. Babic au sein de

21 la SAO de la Krajina et au sein de la république serbe de la Krajina. Dans

22 le cadre de ses fonctions politiques, Mme Plavsic partageait l'objectif,

23 qui était aussi celui de M. Babic, qui était la création d'un état commun

24 pour tous les Serbes. Elle partageait l'intention qui animait les

25 dirigeants serbes de Bosnie, à savoir, faire partir les populations non-

Page 193

1 Serbes des territoires de Bosnie de ce nouvel état serbe, soit avec leur

2 accord, soit par la force. Une fois qu'il est apparu clairement que cet

3 objectif ne pouvait être atteint qu'avec l'emploi de la violence, elle a

4 contribué de manière significative à cette campagne de persécutions qui a

5 touché 37 municipalités sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

6 Tout comme Milan Babic, elle n'a pas non plus participé à la conception et

7 à la planification de cette campagne.

8 Elle a eu un rôle moins important que d'autres dans son exécution lorsqu'on

9 examine les événements en Bosnie. On ne peut ignorer le fait que la

10 campagne de persécution à laquelle a participé Mme Plavsic était de nature

11 différente de celle dans laquelle était impliquée M. Babic. D'après le

12 jugement qui a été prononcé contre elle, on constate qu'il était mentionné

13 dans ce jugement, 59 meurtres dans des villages, 400 lieux de détention.

14 Des détenus ont été tués dans 38 lieux de détention, des milliers de

15 personnes ont été tuées dans les villages et dans les lieux de détention

16 qui figurent en annexe au jugement; cependant, la nature et la portée, des

17 expulsions, des meurtres, et la destruction était beaucoup plus grande.

18 Mme Plavsic a plaidé coupable et a été condamné à 11 ans de prison. La

19 principale circonstance atténuante qui est évoquée dans le jugement était

20 son plaidoyer de culpabilité, ses remords, sa reddition volontaire, son

21 comportement après les événements, ainsi que son âge. Or, la coopération

22 importante avec le Procureur n'a pas été mentionnée dans l'affaire Plavsic.

23 D'ailleurs jamais avant ou après le jugement, elle n'a déposé devant le

24 Tribunal.

25 L'Accusation a conscience que ce jugement n'aura pas de valeur en tant que

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1 tel pour les peines prononcées à l'encontre des autres membres de

2 l'entreprise criminelle commune. Chaque affaire est unique au Tribunal;

3 cependant, l'Accusation considère qu'il faut prendre en compte comme un

4 point de départ, la peine prononcée contre Mme Plavsic pour faire une juste

5 recommandation quant à celle qui conviendra de prononcer à l'encontre de M.

6 Babic.

7 Je veux maintenant parler de la gravité du crime commis. On en trouvera les

8 détails dans l'exposé des faits qui a déjà été rendu public. Il est inutile

9 pour moi que je revienne sur cela. De plus, mon confrère, M. Whiting, a

10 placé au centre de ces Déclarations liminaires, la gravité des crimes

11 commis. Je n'ai pas l'intention de reprendre ce qu'il a déjà dit hier en

12 détail.

13 Le crime, pour lequel M. Babic a été condamné, est exactement le type de

14 crime qui est mentionné par le conseil de Sécurité des Nations Unies et

15 pour lequel il se dit très alarmé dans sa résolution 808. Les événements,

16 qui ont eu lieu dans ce qu'on appelle la SAO de la Krajina, de août 1991 à

17 décembre 1991, sont un exemple classique de ce que l'on appelle souvent le

18 nettoyage ethnique. C'est justement à cause de ce type d'événements que le

19 conseil de Sécurité a mis en place notre Tribunal. La campagne de

20 persécution, qui a fait rage en SAO de la Krajina, ne constituait pas un

21 événement isolé ou aléatoire, mais il s'agissait d'un élément contraire

22 central dans le cadre d'un plan destiné à la création d'un nouvel état

23 serbe qui comprenait environ un tiers de la Croatie, des régions étendues

24 de Bosnie-Herzégovine, de Serbie, et du Monténégro.

25 Au centre de ce projet de création d'un nouvel état serbe, on trouvait la

Page 195

1 séparation et l'expulsion définitive des populations non-Serbes des

2 territoires concernés. Ceux qui étaient à l'origine de ce plan avaient

3 l'intention de le mettre en œuvre soit avec l'accord de ceux qui étaient

4 concernés, soit par la force.

5 Milan Babic, qui était l'homme politique et le responsable serbe au rang le

6 plus élevé en SAO de la Krajina, était favorable à l'objectif politique de

7 création d'un état commun pour tous les Serbes. Cependant, en 1990 et au

8 cours du premier semestre de 1991, il n'a pas donné son aval à l'emploi de

9 la force. Il s'est prononcé en faveur d'un accord politique. Comme nous l'a

10 dit le témoin, Kovacevic, M. Babic a rencontré des responsables croates au

11 cours de l'automne 1990, ceci afin de trouver une solution pacifique au

12 moment où la police avait mis en place un barrage autour de Milan Martic.

13 Du fait de son comportement à ce moment-là, il a été critiqué par des

14 Serbes beaucoup plus radicaux autour de Milan Martic et au sein du conseil

15 de la résistance nationale. Il a été qualifié de traître. Ces efforts pour

16 trouver une solution par le biais de négociations ont été réduits à néant

17 par les membres du conseil de la Résistance nationale et par Milan Martic

18 et ses amis.

19 Cependant, dans le même temps, M. Babic était conscient que les Serbes

20 étaient armés, et qu'ils se préparaient à des actes de violence. Il a été,

21 notamment, témoin des actions de provocation de ce qu'on appelait la

22 structure parallèle autour de Milan Markic, Frenki Simatovic, Jovica

23 Stanisic et d'autres. A partir d'août 1991, il a pris conscience de la

24 violence qui touchait les non-Serbes, en particulier, la population croate

25 dans la SAO de la Krajina. Il a constaté que la création d'un état serbe

Page 196

1 était maintenant entreprise par le billet de mesures violentes. Pourtant,

2 il a continué à évoluer au sein de la hiérarchie du pouvoir. Il a été à la

3 tête de la structure qui a contribué à cette campagne de persécution.

4 Oui, mon confrère m'a fait savoir que j'ai dit que M. Babic avait négocié

5 avec les Serbes en automne 1991. Je parle des Croates. Il s'agit de 1990.

6 M. Babic a continué à occuper ses fonctions politiques. Il a continué à

7 adopter une rhétorique nationaliste. Il a continué à coopérer avec Slobodan

8 Milosevic, avec des hauts responsables de la Belgrade, dont le ministre de

9 la Défense de la Serbie, les dirigeants Serbes de Bosnie, des militaires et

10 des policiers de haut rang, au sein de l'entreprise criminelle commune, en

11 particulier, Milan Martic, ainsi que des généraux de la Défense

12 territoriale et de la JNA.

13 La position importante occupée par Milan Babic, est une circonstance

14 aggravante; cependant, dans ce contexte, je dois dire qu'il convient de

15 faire la distinction entre son cas personnel et les autres membres de

16 l'entreprise criminelle commune, car il n'exerçait aucun contrôle sur les

17 forces qui mettaient en œuvre ladite campagne. Il n'était pas un des

18 principaux membres de l'entreprise criminelle commune. Il s'est fourvoyé.

19 Il a été manipulé, intimidé par les autres membres de l'entreprise

20 criminelle commune, en particulier, par Milan Martic et Slobodan Milosevic.

21 M. Whiting, dans ces déclarations liminaires, vous a expliqué quel était le

22 territoire qui intéressait M. Milan Babic. Vous avez pu voir sur une carte,

23 où se trouvait la SAO de la Krajina. Vous avez pu voir que c'était une

24 région où les Serbes étaient en majorité avant la guerre. Vous avez

25 également vu une carte plus petite avec différentes variations de bleu qui

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1 montre la composition ethnique de la région.

2 Cependant, au sein de ce territoire, il y avait des villes, des petites

3 villes et des villages, où la population était en majorité croate. Une

4 campagne de persécution a visé ces populations non-Serbes, de septembre à

5 décembre 1991. Les forces serbes ont tué 110 Croates et non-Serbes à

6 Dubica, Cerovljani et Bacin, sept personnes à Lipovaca, dix à Vukovici, 29

7 à Saborsko, 38 à Skabrnja,

8 7 à Nadin, 10 à Bruska, avec, au nombre des victimes, un Serbe qui se

9 trouvait pas hasard en visite dans le village, 26 personnes ont également

10 été tuées à Skabrnja.

11 M. Babic n'a pas eu connaissance de la perpétration de ces crimes au moment

12 où ils ont eu lieux. Il n'avait pas conscience de la portée de ces crimes

13 et des circonstances dans lesquelles ils s'étaient produits. Cependant, il

14 savait qu'il s'agissait là de l'issue probable de la campagne de nettoyage

15 ethnique.

16 Au cours de l'enquête, la question s'est toujours posée de savoir si M.

17 Babic a eu connaissance de la perpétration des crimes au moment où ils se

18 sont produits. Cependant, je pense que nous avons fait la lumière sur cette

19 question aujourd'hui. Nous savons que lorsqu'il s'est déplacé dans la

20 région, il a pu voir les dégâts qui étaient occasionnées. Il a pu se rendre

21 compte que la population croate avait disparu. Il savait que des civils

22 trouvaient la mort dans le cadre de la campagne de nettoyage ethnique.

23 Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'entrer dans les détails des

24 reportages et des articles qui sont parus dans les médias croates, parce

25 que nous en avons déjà parlés aujourd'hui. Nous avons fait la lumière sur

Page 198

1 cette question. Je ne vais pas m'y attarder. Cependant, je souhaiterais

2 mentionner une fois encore que des protestations, venant des Croates,

3 d'observateurs internationaux et de l'organisation, "Human Rights Watch",

4 ont été adressées au président de Serbie, à Jovic, ainsi qu'à la JNA, pas à

5 l'accusé.

6 D'août à novembre 1991, plusieurs centaines de Croates et de non-Serbes,

7 dont des civils, des policiers et des soldats, ont été détenus dans deux

8 lieux de détention à Knin, dans des conditions inhumaines. Ces personnes

9 ont également été soumises à des mauvais traitements. M. Babic avait

10 connaissance de l'existence de ces lieux de détention. Il a même été

11 impliqué dans les échanges des détenus. Les villages que j'ai mentionnés

12 lorsque j'ai évoqué les meurtres commis, ces villages ont été détruits. Les

13 populations non-serbes en ont été chassées. Les églises catholiques ont été

14 détruites. M. Babic a pu voir de ses yeux le résultat de la campagne de

15 nettoyage ethnique lorsqu'il s'est déplacé sur le territoire de la région.

16 M. Babic n'était pas à la tête des forces qui se sont rendues coupables de

17 ces exactions; cependant, il était de jure à la tête de la Défense

18 territoriale serbe de la SAO. Il ne faisait pas partie des structures

19 parallèles qui dirigeaient ces soldats en coordination avec la JNA, à

20 laquelle ils étaient subordonnés. D'ailleurs, il a souvent entré en conflit

21 avec cette structure, comme nous l'a dit le témoin Kovacevic; cependant, il

22 n'en reste pas moins que Milan Babic a coopéré avec ces forces pendant la

23 période visée à l'acte de l'accusation.

24 Nous avons, à l'appui de nos arguments, fourni la déclaration de nombre de

25 victimes de ces événements tragiques. Les atrocités qui ont été subies par

Page 199

1 ces personnes et les conséquences de ces atrocités dues à la campagne de

2 persécution, y sont décrites. Ceci reflète l'impact qu'ont eu ces crimes

3 sur la vie des anciens résidents des villages mentionnés.

4 L'Accusation, à dessein, n'a pas cité à la barre des témoins aux fins de la

5 présente audience, puisque ces témoins, qui sont aussi des victimes, ont

6 déjà dû venir déposer, notamment, dans l'affaire Milosevic. D'autres

7 devront revenir déposer. Comme nous l'a dit

8 M. Loncar, parler de ces souffrances peut être un processus de guérison, de

9 rétablissement pour une victime. Cependant, venir déposer ici au Tribunal,

10 c'est également une chose très difficile pour les témoins. Nous n'avons pas

11 voulu leur imposer cette épreuve.

12 Le Dr Loncar nous a parlé dans sa déposition des répercussions à cours et à

13 longs termes du point de vue physique et mental chez les victimes de cette

14 campagne de persécution. Il a parlé très justement des souffrances endurées

15 par ceux qui ont perdu des proches, par ceux qui ont perdu leurs foyers,

16 leurs biens, par ceux qui ont perdu la capacité de gagner leur vie, par

17 ceux qui ont subi la détention. Il nous a expliqué ce que cela voulait dire

18 pour un être humain d'être arracher à une vie pacifique auprès d'êtres

19 chers, pour se retrouver dans le désespoir, du déplacement. Là, on a

20 l'impression de ne plus avoir d'avenir. La nature des crimes commis et les

21 souffrances endurées par les victimes justifient une peine lourde. Il est

22 indiscutable que la gravité du crime commis est le facteur numéro un à

23 prendre en considération lorsqu'il s'agit de déterminer la peine.

24 Cependant, nous sommes ici dans une affaire qui sort de l'ordinaire,

25 puisqu'en l'espèce il existe des facteurs, des circonstances aggravantes

Page 200

1 importantes qui, selon moi, justifient qu'une peine beaucoup moins

2 importante soit prononcée, une peine inférieure à celle que j'ai évoquée au

3 début de mon intervention.

4 Je vais tout d'abord parler des circonstances qui ont entraîné la

5 participation de M. Babic à l'entreprise criminelle commune. Le témoin

6 Kovacevic nous l'a expliqué. Nous pouvons également le lire dans la

7 déclaration écrite faite par Mme Babic. Nous savons que

8 M. Babic était un homme attaché à sa famille, qui fréquentait de très

9 nombreuses quelle que soit leur appartenance ethnique avant la guerre. Il

10 avait des amis, il avait même des parents au sein de la communauté croate.

11 Il s'est engagé en politique, parce qu'il souhaitait sincèrement travaillé

12 au développement de la région de Knin. La prospérité de la région de Knin

13 était au cœur de ses activités politiques dès le départ. Tout au long de

14 son engagement politique, pendant la guerre et ensuite, M. Babic a mis au

15 centre de ses préoccupations la région de Knin. Il n'a eu aucune activité

16 dans d'autres régions de Croatie ou en dehors de la Croatie.

17 Cet intérêt manifesté pour la région de Knin a fait que

18 M. Babic a pris une voie qu'il qualifie lui-même d'ethno égoïste dans la

19 défense de la cause serbe, ce qui a entraîné une confrontation entre les

20 communautés ethniques, le conflit, la guerre et toutes les horreurs et les

21 atrocités qui ont eu lieu pendant cette guerre.

22 Je me suis interrogé, je me suis demandé ce qui pouvait transformer un

23 homme modéré en un ethno égoïste, comme il se qualifie lui-même, un homme

24 capable de participer aux actes qui lui sont reprochés. Déjà au cours de

25 nos premiers entretiens en Serbie,

Page 201

1 M. Babic lui-même, a parlé du fait que la campagne médiatique inlassable

2 venant de Belgrade d'une part, ainsi que les actions politiques du

3 gouvernement croate ont suscité chez lui, ainsi que chez beaucoup de Serbes

4 dans la région, un sentiment de crainte quant au sort qui était réservé à

5 la population serbe de Croatie.

6 A ce stade de mon intervention, je voudrais vous rappeler les propos tenus

7 par M. Babic, certains propos tenus pendant les entretiens que nous avons

8 eus avec lui.

9 Il s'agit en l'occurrence de la cassette portant référence V003557,

10 cassette numéro 2 sur un total de huit cassettes, pages 11 et 12, au cours

11 de la première journée de nos entretiens. M. Babic fait référence à un

12 discours qu'il a tenu au tout début de l'existence du SDS, lors de la

13 fondation du SDS, lors d'un meeting. A ce moment-là, il a parlé du désert

14 qui séparait Knin et Karlovac. Il a fait référence à des articles de presse

15 qu'il avait lus à l'époque dans des magazines de Belgrade, Politika

16 surtout. Des journaux qu'il a lus très fréquemment à partir de 1989. Il a

17 fait référence en particulier, à un article dont il se souvenait. On

18 mentionnait la destruction de l'église orthodoxe. Il a dit la chose

19 suivante, je cite : "Quand je me suis déplacé dans cette zone en bus." M.

20 Babic venait de Zagreb : "Je n'ai pas été impressionné par les lacs de

21 Plitvice et ses paysages. Chaque fois que j'entrais dans un village, qu'on

22 passait dans un village, je voyais une église détruite. Ceci m'a fortement

23 impressionné. C'est cette impression que j'avais lorsque j'ai parlé de

24 désert entre Knin et Karlovac."

25 Si on consulte la page suivante de la transcription de cet entretien, on

Page 202

1 voit que M. Babic a expliqué très clairement que ces églises détruites,

2 elles étaient là depuis très longtemps, depuis des dizaines d'années,

3 depuis la Deuxième Guerre mondiale. Soudain, il les voyait de nouveau, il

4 les revoyait comme pour la première fois.

5 L'Accusation et la Défense ont de concert présenté le rapport du Dr de la

6 Brosse, qui a parlé de la force de la propagande, et de la perfidie de la

7 machine de propagande de Belgrade. Le témoin expert, Dr Loncar, nous a

8 parlé des mécanismes psychologiques qui ont pu entrer en jeu dans le

9 processus de transformation qu'a connu

10 M. Babic. Le témoin, Kovacevic, nous a expliqué que c'était un langage de

11 haine qui prédominait à l'époque, que l'argumentation politique, les

12 discussions politiques ont été remplacées par l'action militaire et par des

13 actes de violences. Alors que M. Kovacevic a tourné le dos à cette

14 évolution de la situation, a tout simplement cessé toutes ses activités

15 politiques. M. Babic n'a pas choisi cette voie.

16 M. Babic a succombé à cette propagande. Il en est même devenu partie

17 intégrante; cependant, il ne faudrait surtout pas oublier l'influence très

18 grande qu'ont joué d'autres membres de l'entreprise criminelle commune, en

19 particulier, Slobodan Milosevic sur M. Babic pendant une certaine période,

20 la période la plus importante en réalité.

21 Ceux qui suivent l'affaire Milosevic peuvent se rendre compte du charisme

22 dégagé par cet homme, et peuvent comprendre qu'il ait pu influencer,

23 fourvoyer, radicaliser l'attitude de ceux qui l'entouraient. L'un de ceux-

24 ci, c'est Milan Babic. Comme nous le savons, parce que Babic nous l'a dit

25 lui-même, aussi parce que l'ambassadeur Galbraith l'a déclaré dans sa

Page 203

1 déposition que nous avons fournie à la Chambre de première instance, Babic

2 était effectivement intimidé par Milosevic, par Martic, par le capitaine

3 Dragan, ainsi que par d'autres participants à la structure parallèle dans

4 la SAO de la Krajina.

5 Si bien que j'estime qu'il convient de tenir compte de ce fait en faveur de

6 M. Babic, car ceci permet d'expliquer pourquoi il a été induit en erreur,

7 pourquoi on a vu son attitude se radicaliser. Ceci est dû en particulier à

8 la campagne de propagande; cependant, comme M. Babic nous l'a dit à partir

9 du août 1991, il s'est rendu compte de ce qui s'était passé. Il a vu que ce

10 n'étaient pas les Serbes de la SAO de la Krajina qui étaient en péril, mais

11 les non-Serbes. Il a expliqué dans son entretien et en déposant dans

12 Milosevic, pourquoi il avait continué à participer à cette entreprise,

13 pourquoi il n'avait pas tourné le dos à la politique comme le témoin

14 Kovacevic. Il a dit qu'à l'époque, il vivait pour la politique, qu'il

15 aimait être un personnage public. Il a été la victime de sa passion

16 personnelle pour la politique ainsi que sa vanité.

17 Sa femme, ainsi que le témoin, Kovacevic, nous le disent, pendant cette

18 période cependant, que M. Babic ressentait de l'angoisse, il éprouvait des

19 remords. En privé, il était bouleversé par le destin qui était réservé au

20 peuple croate. Il le disait en privé. Il a essayé de reprendre le contrôle

21 sur les forces qui étaient coupables du nettoyage ethnique, mais il n'y est

22 pas parvenu. Quand il n'y a pas parvenu, il a simplement cédé. Il a

23 continué à participer à l'entreprise criminelle commune.

24 D'autre part, M. Kovacevic nous a également expliqué que

25 M. Babic avait sans succès entrepris d'intervenir dans l'affaire de Kijevo,

Page 204

1 en l'occurrence la première affaire du nettoyage ethnique dans la SAO de la

2 Krajina; cependant, cette opération de nettoyage ethnique a bel et bien eu

3 lieu. M. Babic a continué à participer à l'entreprise criminelle commune.

4 M. Kovacevic nous a également précisé qu'à l'été 1991, il était difficile

5 pour M. Babic de se retirer, car le mouvement avait été lancé, que cela

6 aurait été considéré comme une trahison de la part des Serbes de la région.

7 S'il prenait la parole en public contre cette politique, il aurait perdu de

8 son influence. M. Kovacevic nous a également précisé que M. Babic traitait

9 des personnes proches de lui de façon équitable; néanmoins M. Kovacevic a

10 précisé - chose que je trouve tout à fait remarquable - que M. Babic a

11 suivi les principes directeurs de son parti politique. Je crois qu'il

12 s'agit là du fondement même de l'erreur commise par M. Babic et du fait

13 qu'il soit responsable au plan pénal. Nous constatons qu'il s'agit là de la

14 motivation personnelle de M. Babic et de sa participation à l'entreprise

15 criminelle commune. Il ne s'agit pas d'un nationalisme profondément ancré,

16 il ne s'agit pas de mouvement de haine contre le peuple croate, il ne

17 s'agit pas de s'enrichir sur un plan politique. Il a omis de se distinguer

18 en politique, il a omis de reconnaître l'élément criminel et ne voulait pas

19 être isolé parmi son peuple serbe. Il avait peur de perdre son influence

20 politique. Il avait peur qu'on le considère comme traître.

21 Son comportement après les conflits a été accepté comme étant un facteur

22 atténuant dans la décision dans l'affaire Plavsic. Permettez-moi, par

23 conséquent, de parler du comportement de M. Babic après la campagne de

24 persécution. Milan Babic s'est dissocié à partir de 1992, de Slobodan

25 Milosevic, Milan Martic, et d'autres membres de l'entreprise criminelle

Page 205

1 commune. Pour finir, il a eu la force d'endurer d'être qualifié de traître,

2 d'être passé en isolement, et de perdre sa place sur la scène politique.

3 L'Accusation avance que dans les années 1994 à 1995, Milan Babic, en tant

4 que ministre des Affaires étrangères de la RSK, a participé aux

5 négociations entre les Croates et les autorités de la RSK, encouragées et

6 facilitées par la communauté internationale.

7 M. Babic a fait des tentatives pour favoriser la cohabitation pacifique

8 entre les communautés croates et serbes. L'ambassadeur Galbraith a dit ce

9 qui suit à propos de M. Babic : "Néanmoins, je pensais qu'il s'agissait là

10 d'une figure éminemment charismatique parmi les membres de la RSK. Il avait

11 plus à cœur le dessein de son peuple que toute autre personne. C'était la

12 personne qui était très soucieuse du bien être de la population locale."

13 Pour ce qui est de la cohabitation, le témoin, Galbraith, a précisé que

14 Babic était ouvert d'esprit quant à l'idée d'une cohabitation entre les

15 Serbes et les Croates plus que d'autres personnes.

16 M. Kovacevic a parlé des tentatives de M. Babic pour essayer de négocier

17 une solution pacifique à la réintégration de la Krajina dans la République

18 de Croatie d'après le plan Z-4. Les négociations ont été échouées, étant

19 donné que Milan Martic ainsi que l'entité de Pale ont nié leurs efforts.

20 J'avance ainsi que M. Babic doit être reconnu pour le comportement qu'il y

21 a eu après le conflit.

22 Le point suivant que je souhaite aborder c'est celui de sa reddition

23 volontaire, son plaidoyer de culpabilité, et la réconciliation. Je vais

24 commencer par un bref résumé des faits.

25 Milan Babic a tout d'abord contacté le bureau du Procureur en août 2001. A

Page 206

1 ce moment-là, M. Babic n'était pas accusé; néanmoins, son nom avait été

2 évoqué de façon publique dans l'acte d'accusation porté contre M.

3 Milosevic. Peu de temps après, M. Babic a accepté de participer à un

4 entretien auquel on l'a convié en tant que suspect. Pendant un certain

5 nombre de semaines en novembre 2001, janvier, février, avril 2002, il a été

6 interviewé en Serbie. M. Babic a fourni des éléments importants portant sur

7 les agissements et ce qui avait été fait au sein de l'entreprise criminelle

8 commune en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. En même temps, il a révélé

9 qu'il avait participé à ces événements-là et était prêt à endosser cette

10 responsabilité. En novembre 2001, Milan Babic a témoigné pendant 12 jours

11 dans l'affaire Milosevic. Le 6 novembre 2003, Milan Babic a été accusé. Le

12 26 novembre, il s'est présenté volontairement pour sa comparution initiale.

13 A ce moment-là, il était disposé à plaider coupable. Le 27 janvier 2004, il

14 a plaidé coupable aux chefs d'accusation numéro 1, persécutions de l'acte

15 d'accusation, après quoi la Chambre de première instance l'a déclaré

16 coupable de persécutions.

17 Son plaidoyer de culpabilité était la conséquence d'un accord de plaidoyer

18 présenté par la Chambre de première instance, et quelque chose qui est du

19 domaine public.

20 Au cours de ce processus, à savoir, depuis le premier entretien, et la

21 constatation de la Chambre de première instance,

22 M. Babic était disposé à endosser la responsabilité de cela. La plupart des

23 personnes qui ont plaidé coupable devant ce Tribunal, ont été placées en

24 détention au quartier pénitentiaire, et pendant parfois de très très

25 longues périodes avant le plaidoyer de culpabilité. Bon nombre d'entre eux

Page 207

1 ont plaidé coupable que peu de temps avant le début du procès, voir même au

2 cours du procès, et ces personnes ainsi que leurs conseils avaient toute

3 connaissance des éléments de preuve qui étaient portés contre eux.

4 Les Chambres de première instance, y compris celle de Mme Plavsic, ont

5 reconnu que la reddition volontaire constituait une circonstance atténuante

6 devant ce Tribunal. La reddition volontaire signifiait que l'accusé dans ce

7 cas rendait volontairement au Tribunal à un moment où un acte d'accusation

8 a été porté contre eux ainsi qu'un mandat d'arrêt. M. Babic est allé

9 beaucoup plus loin. Il s'est présenté de son plein gré devant le Tribunal à

10 une époque où aucun mandat d'arrêt n'avait été lancé contre lui. Il s'est

11 présenté et s'est remis entre les mains de ce Tribunal. Ceci s'est fait en

12 Serbie au mois de novembre 2001, lorsqu'il a donné sa première interview en

13 sachant en toute connaissance de cause qu'il pouvait s'incriminer lui-même

14 et que ses propos pouvaient être utilisés contre lui dans son propre

15 procès.

16 M. Babic a endossé sa responsabilité très avant pour ces crimes. Il s'est

17 présenté de façon volontaire devant ce Tribunal, et sa déclaration de

18 culpabilité sont des éléments sans précédent devant ce Tribunal. C'est pour

19 cela que je parle ici d'un cas tout à fait particulier.

20 M. Babic n'a pas seulement plaidé coupable aux chefs de persécution. De

21 plus, dans une allocution publique, il a décrit ce à quoi il a participé.

22 Il a exprimé un remords sincère et il a demandé à d'autres de suivre son

23 exemple. L'importance de son plaidoyer de culpabilité et son expression de

24 son remords ont clairement été soulignées par le témoignage de l'expert, le

25 Dr Loncar. Dans son rapport écrit et son témoignage, le Dr Loncar a

Page 208

1 clairement indiqué quelle importance revêtait le plaidoyer de culpabilité

2 aux yeux de ses victimes. Il a précisé qu'une confession de ce type

3 présentait au plan moral des éléments très satisfaisants parce que l'auteur

4 porte finalement un nom et on reconnaît la souffrance des victimes par ce

5 biais. Le Dr Loncar a précisé qu'il s'agissait d'éléments qui favorisaient

6 la guérison, et permettaient d'oublier ce qui s'était passé par le passé.

7 On pouvait enfin commencer à se tourner vers l'avenir. Les aveux de M.

8 Babic exprimant la vérité à l'égard des victimes, réitèrent et corroborent

9 les dires des victimes depuis des années.

10 Le Dr Loncar a également souligné les effets que pouvaient avoir un

11 plaidoyer de culpabilité en faveur de la réconciliation. Il a clairement

12 indiqué que le message envoyé aux victimes était important qu'il s'agisse

13 d'une personne qui était à l'origine des crimes, et ceci pouvait permettre

14 à la nation serbe de suivre le même chemin, que ces concitoyens pouvaient

15 faire de même pour essayer d'oublier cette peur et les événements qui

16 s'étaient produits par le passé, que ceci ne soit pas répété, et ouvrait la

17 porte à la cohabitation. D'autre part, un plaidoyer de culpabilité peut

18 avoir une incidence sur le peuple serbe lui-même. Ceci donne l'occasion de

19 prendre des distances par rapport à leur dirigeant, de reconnaître les

20 crimes qui ont été commis en leurs noms seront portés à la connaissance du

21 public lui permettront de favoriser la réconciliation.

22 Alors que d'autres accusés dans de telles situations nient la vérité des

23 crimes qu'ils ont commis, et par conséquent, souhaitent falsifier

24 l'histoire, M. Babic en revanche a fait partie de l'équipe dirigeante, par

25 son exemple, il souhaite clairement, librement reconnaître son rôle dans ce

Page 209

1 crime. Des voix comme celles de M. Babic sont tout à fait nécessaires,

2 surtout si l'on tient compte des médias, de l'intelligentsia, du

3 gouvernement, et des représentants officiels des partis qui ont induit le

4 public en erreur, et qui font croire que ce Tribunal est une institution

5 illégale qui montrent du doigt simplement le peuple serbe pour les accuser.

6 C'est une opinion qui n'a pas la faveur des peuples en ex-Yougoslavie et ne

7 facilite pas réconciliation.

8 Pour tenter de réconcilier des peuples qui ont été en guerre, il faut faire

9 fasse au passé et ne pas essayer de le cacher. Les faits qui ont été commis

10 doivent être établis sur la base de conviction, et il faut reconnaître les

11 individus qui portent un nom, et il ne faut pas faire porter la

12 responsabilité collective au peuple serbe.

13 Pour toutes ces raisons, j'avance que M. Babic doit être reconnu pour le

14 comportement qu'il a eu au cours de la procédure devant ce Tribunal.

15 La coopération de Milan Babic est une circonstance atténuante. Il s'agit là

16 de mon point suivant que je souhaite aborder. Je vais d'abord parler de la

17 mission du Tribunal. A la suite des rapports portant cette violation grave

18 du droit international humanitaire produit sur le territoire de l'ex-

19 Yougoslavie, les Nations Unies ont demandé à ce que soit rédigé une

20 commission impartiale rédigée par des experts pour analyser la situation en

21 ex-Yougoslavie. Ce rapport provisoire fourni par la commission d'experts a

22 été présenté au conseil de Sécurité des Nations Unies en février 1993. Sur

23 la base du contenu de ce rapport, le conseil de Sécurité des Nations Unies

24 a voté une résolution, résolution 808, par l'intermédiaire duquel il

25 exprime son inquiétude, et sur les rapports incessants rédigés sur les

Page 210

1 violations généralisées du droit international humanitaire se produisant

2 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, y compris des rapports portant sur

3 des tueries en masse et la perpétration de cette pratique aboutissant au

4 nettoyage ethnique.

5 Le conseil de Sécurité a estimé que cette situation constituait une menace

6 à la paix internationale ainsi qu'à la sécurité internationale. Le 25 mai

7 1993, celle-ci aboutit que la résolution 827 en vue d'établir ce Tribunal.

8 Se faisant, le conseil de Sécurité est tout à fait convaincu que

9 l'Accusation des personnes responsables de violations graves du droit

10 international humanitaire contribuerait à la restauration et le maintien de

11 la paix.

12 L'établissement de la vérité par ce Tribunal constitue un élément très

13 important des efforts en vue de restaurer la paix et de maintenir la paix

14 en ex-Yougoslavie. Le mandat du TPY est de poursuivre les personnes

15 responsables de telles violations; et pour se faire, il est important de

16 révéler les différents faits, les différents événements qui très souvent

17 des individus et des états hésitent à faire. Le bureau du Procureur ne peut

18 que remplir sa mission s'il a à disposition un certain nombre d'éléments de

19 preuve. Eu égard à la poursuite des crimes commis par des auteurs et par

20 des gens qui occupaient des postes sur la scène politique très élevé sont

21 des éléments qui sont très difficiles à obtenir. Il est difficile d'obtenir

22 des éléments de preuve au niveau de la prise des décisions parmi ces

23 cercles politiques, au niveau surtout portant sur l'entreprise criminelle

24 commune et sur les auteurs de cette entreprise criminelle commune, ceux qui

25 ont participé et qui prennent leur distance par rapport à ce qui s'est

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1 produit sur le terrain. Par conséquent, si nous voulons découvrir la

2 vérité, le bureau du Procureur doit se reposer sur la coopération des

3 personnes qui ont été très proches du pouvoir. Il y a des témoins bien sûr

4 qui doivent coopérer avec l'Accusation et qui doivent parler de leur propre

5 participation dans cette entreprise commune, et s'incriminer eux-mêmes.

6 A l'Article 101(b) des Règles de procédure et de preuve, l'Article 101

7 tient compte de cet élément, et précise que la Chambre de première instance

8 tiendra compte de : "La coopération importante de la personne condamnée

9 avant ou après sa conviction avec l'Accusation."

10 Conformément à la jurisprudence de ce Tribunal, la coopération importante

11 dépend pour beaucoup de la qualité des informations fournies par l'accusé.

12 Ceci peut comprendre la remise d'éléments d'informations importants au

13 cours d'un témoignage à l'Accusation, la remise des éléments nouveaux,

14 l'identité, les noms des auteurs, la justification, la confirmation

15 d'éléments existants, la coopération future, y compris l'acceptation de

16 témoigner au nom de l'Accusation.

17 Dans notre jugement, la coopération fournie avec le bureau du Procureur par

18 Milan Babic constitue un élément très important à la lumière de l'Article

19 101.

20 L'Accusation, dans son mémoire portant sur le prononcé de la peine, a

21 clairement parlé justement de la nature de la coopération de M. Babic. Je

22 souhaite, par conséquent, parler de quelques détails à la Chambre de

23 première instance à ce propos, tout d'abord, pour ce qui est des

24 informations fournies par M. Babic au bureau du Procureur. M. Babic a

25 fourni au bureau du Procureur une déclaration très fouillée à propos des

Page 212

1 agissements de l'entreprise criminelle commune de M. Slobodan Milosevic en

2 1990 et jusqu'au mois d'août 1995. Ceci couvre la période de la guerre en

3 Croatie et en Bosnie-Herzégovine. D'après le compte rendu d'audience et sa

4 déclaration, cela couvre quelques 1 200 pages donnant en détail des

5 agissements de la conduite des membres de l'entreprise criminelle commune,

6 les organisations qui sont subordonnées, ainsi, en particulier, les

7 agissements à la conduite de M. Slobodan Milosevic. L'Accusation a fourni

8 cette déclaration sous forme électronique à la Chambre de première

9 instance. M. Babic a longuement parlé dans sa déclaration de son

10 installation dans un autre pays après avoir estimé que sa famille et lui-

11 même n'étaient plus en sécurité. Pour rafraîchir sa mémoire, il a fourni

12 différents documents qui ont clairement indiqué qu'il y avait des

13 conversations interceptées qui lui ont été soumises pendant sa préparation

14 en tant que témoin.

15 Il est important de noter qu'à ce moment-là, M. Babic a fourni sa

16 déclaration à l'Accusation sans autre promesse de récompenses ou davantage

17 pour lui. Il était tout à fait conscient du fait que ce qu'il disait

18 pouvait, en fait, être utilisé contre lui au cours de cette procédure.

19 Etant donné l'ampleur de la déclaration qu'il ait fournie, je souhaite

20 souligner le fait que certains éléments fournis par

21 M. Babic, comme vous le savez, ont été des éléments d'information très

22 importants, et fait montre de sa coopération avec le bureau du Procureur.

23 Il a fourni des éléments très détaillés sur l'organisation et les

24 agissements des dirigeants serbes en Croatie, y compris lui-même, entre

25 1990 et 1995, à l'appui donné par Belgrade, en particulier, Slobodan

Page 213

1 Milosevic, le MUP serbe, et la JNA. Il a également décrit 30 réunions

2 auxquelles il a participé avec Slobodan Milosevic, d'autres membres de

3 l'entreprise criminelle commune, y compris Radovan Karadzic. Les objectifs

4 et les agissements de l'entreprise criminelle commune ont été abordés au

5 cours de ces réunions. Dans sa déclaration très longue, M. Babic a expliqué

6 que la philosophie politique derrière les agissements des dirigeants en

7 Serbie, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Il les a explicités, et

8 comment ils s'y prenaient pour réaliser leurs objectifs et mettre en place

9 un nouvel état serbe.

10 M. Babic a fourni des éléments d'information tout à fait uniques sur la

11 coopération qui existait entre les différents membres de l'entreprise

12 criminelle commune et les territoires qui avaient été pris pour cibles, et

13 comment ils arrivaient à coordonner leurs actions. Il a décrit les attaques

14 des villes et des villages, les actes de persécution menés contre les non-

15 Serbes et les zones qui ont été prises pour cibles en Croatie, et qui se

16 sont poursuivis en Bosnie. M. Babic a décrit ce qu'il a vu dans ces pays.

17 Avec force de détail, il a parlé des forces armées qui ont pris part à cela

18 et des structures de commandement. M. Babic a fourni des éléments sur

19 l'armement des Serbes locaux en Croatie, et comment ils y ont participés, à

20 savoir, le MUP serbe, la JNA, et les dirigeants politiques de Serbie.

21 Un des points les plus importants portés à l'attention de ce Tribunal et

22 aux historiens est la participation de la JNA aux guerres qui ont fait rage

23 en Croatie et en Bosnie, en particulier ce qui a été avancé par la JNA. La

24 JNA a prétendu être simplement un tampon entre les groupes armées locaux en

25 guerre, et que la JNA n'est intervenu que pour défendre le territoire

Page 214

1 yougoslave et ses troupes. Ceci est quelque chose qui a été avancée dans

2 l'affaire Milosevic. Il est très important. On retrouve ceci dans le compte

3 rendu du procès. Je vais simplement parler maintenant de quelques extraits

4 de ces comptes rendus d'audience.

5 Au cours du témoignage de Borislav Jovic, un membre de la présidence de la

6 RSFY au cours des événements, Slobodan Milosevic a évoqué avec M. Jovic le

7 rôle qu'il a joué et sa participation dans la JNA en Croatie : "Il est vrai

8 que la JNA, hormis le fait qu'elle se protégeait et qu'elle se défendait, a

9 tenté d'empêcher que les conflits n'éclatent et a essayé de se mettre entre

10 les deux parties belligérantes simplement pour protéger le peuple serbe qui

11 était attaqué, et n'a pas elle-même participé à ces activités." Vous

12 trouverez ceci, si vous voulez vérifier le compte rendu d'audience, à la

13 page 29.282. Borislav Jovic, au cours de sa déclaration, a confirmé ceci.

14 Je vais vous donner les autres références du compte rendu d'audience dans

15 l'affaire Milosevic : 29.131, 29.149, 29.150, 29.252, 29.282 et 83, 29.288

16 à 29.293, et 29.298 à 29.299.

17 Dobrila Gajic-Glisic, l'ancien chef de cabinet du ministre serbe de la

18 Défense, a fait référence aux éléments suivants : "Les forces armées," à

19 savoir, le JNA, "ont dû être utilisé en Croatie parce que la formation

20 militaire Oustacha a commencé à massacrer la population civile. Il

21 s'agissait d'une répétition de l'histoire. La JNA a dû mettre en place une

22 zone tampon entre les Croates et la population locale."

23 M. Babic, dans son entretien, et plus tard dans son témoignage public, a

24 clairement indiqué que ceci n'est pas vrai, et que la JNA a pris le parti

25 des Serbes dans les zones prises pour cibles, a partagé les objectifs des

Page 215

1 dirigeants politiques, et s'est engagé à fond dans le nettoyage ethnique.

2 Il s'agit de la référence 27-900, ici.

3 M. Babic a également mis fin à ce mythe en vertu de quoi les Serbes

4 n'étaient que des victimes dans cette guerre, et qu'ils ne se sont que

5 défendus dans les territoires en question contre le génocide à la merci des

6 Croates et des Musulmans. Encore une fois, en tant qu'un exemple cité dans

7 l'affaire Milosevic, je souhaite lire à partir d'une déclaration de Veljko

8 Kadjevic, le secrétaire fédérale à la Défense nationale, du 3 octobre 1991.

9 Il s'agit d'une pièce utilisée dans l'affaire Milosevic; 328, intercalaire

10 14. Les références du compte rendu : 01587, 01588.

11 Faisant allusion à ce qu'il appelle le régime fasciste en Croatie, il

12 prétend : "Nous n'avions qu'un seul objectif, celui d'empêcher la

13 confrontation ethnique et d'empêcher que le génocide ne se répète, le

14 génocide du peuple serbe qui se terminerais par un bain de sang." Il

15 poursuit à ce moment : "L'armée ne souhaite rien d'autre que de prendre le

16 contrôle dans les régions en crise, de protéger le peuple serbe de la

17 persécution et de l'extermination, et de libérer les membres de la JNA

18 ainsi que de leurs familles."

19 M. Babic, dans son entretien ainsi que dans son témoignage public, a

20 clairement indiqué qu'il s'agissait là d'un élément de propagande très

21 puissant qui avait pour but de séparer les peuples en Yougoslavie, et de

22 créer une atmosphère de peur et de haine pour préparer le peuple serbe à

23 l'idée d'un nettoyage des territoires serbes. Il s'agissait là de

24 l'ancienne campagne de persécution.

25 J'ai également parlé de la perfidie de la propagande en œuvre, tel que cela

Page 216

1 a été exposé par l'expert DelaBrosse. J'ai parlé du peuple serbe qui se

2 sentait victime en ex-Yougoslavie, victime du génocide par le passé, dans

3 les années 1990. Reconnaissant qu'une campagne de persécution fût menée

4 contre les autres peuples en ex-Yougoslavie, à savoir, les Croates et les

5 Musulmans, est quelque chose qui est très difficile pour un certain nombre

6 de gens en Serbie et en Republika Srpska d'accepter. Il est difficile à

7 accepter cela. Si on regarde les évolutions récentes en Serbie,

8 l'Accusation avance que bons nombres de personnes réfutent encore ces

9 crimes pour lesquels ils sont accusés devant ce Tribunal. Je vais saisir

10 cette occasion pour faire mention des paragraphes 256 à 260 du jugement

11 portant la condamnation de Miroslav Deronjic, où la contribution à la

12 prévention du révisionnisme a été considérée comme un facteur atténuant.

13 Les faits fournis par M. Babic en audience publique minimisent la capacité

14 à d'autres révisionnistes de déformer les faits historiques et les

15 événements qui se sont produits sur les territoires appelés territoires

16 serbes dans les années 1990.

17 Bon nombre de ces informations fournies par M. Babic sont uniques en eux-

18 même, et constitueront des éléments très importants à d'autres poursuites

19 pénales devant ce Tribunal, y compris l'affaire Krajisnik, l'affaire

20 Martic, l'affaire Seselj, les affaires Stanisic et Simatovic, les affaires

21 Karadzic et Mladic, si ces derniers sont arrêtés et poursuivis devant ce

22 Tribunal. Il s'agit-là d'affaires extrêmement importantes devant ce

23 Tribunal où les auteurs serbes sont accusés, ceci le témoignage de M. Babic

24 fournira des éléments très importants dans ces affaires.

25 Je souhaite maintenant parler plus en détail du témoignage de M. Babic. M.

Page 217

1 Babic a fourni à l'Accusation des originaux et des éléments très

2 importants. Il s'agit là de plus de 150 documents qui ont été fournis et

3 pour lesquels M. Babic a donné des explications au cours de l'entretien.

4 Davantage documents également ont été fournis. Il y a eu d'autres documents

5 hormis ceux qui ont été présentés et authentifiés, et qui ont été présentés

6 dans l'affaire Milosevic, plus particulièrement des documents qui prouvent

7 le soutien financier et matériel fourni par Belgrade aux Serbes en Croatie

8 dans les années 1991 et 1995. Il a également authentifié et fait des

9 commentaires sur un nombre très important de conversations interceptées

10 entre les membres de l'entreprise criminelle commune, y compris lui-même,

11 Milosevic, Karadzic, Stanisic. Dans ces conversations qui portait sur

12 l'armement des Serbes dans ces territoires, les actions qui devaient être

13 prises pour duper les négociateurs internationaux, et les opérations

14 militaires sur le terrain.

15 De surcroît, il a fourni et authentifié des ordres donnés par l'armée, les

16 différents éléments qui révèlent l'idéologie derrière les opérations

17 militaires sur le terrain. M. Babic a fourni à l'Accusation l'identité et

18 les rôles joués par de nombreux auteurs impliqués dans des actions au sein

19 de l'entreprise criminelle commune, qui n'étaient pas connues du bureau du

20 Procureur avant cela, ou dont l'implication n'était pas connue. Je ne

21 m'étendrai pas là-dessus.

22 A présent, permettez-moi de parler du remords en tant que circonstance

23 atténuante. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je suis membre du

24 bureau du Procureur depuis presque neuf ans. Entre temps j'ai mené des

25 enquêtes. J'ai poursuivi dans toute une série d'affaires. J'ai toujours été

Page 218

1 beaucoup touchée par les déclarations et les dépositions des témoins : leur

2 niveau de traumatisation, leur souffrance physique et mentale à long terme,

3 en particulier, leur sentiment de culpabilité des années après les faits,

4 la culpabilité d'avoir survécu, la culpabilité de ne pas avoir été en

5 mesure de protéger leurs proches. Le Dr Loncar en a parlé également. En

6 même temps, j'ai pu m'entretenir avec de nombreux auteurs de crimes, qui

7 semblaient être tout à fait à l'abri de toute émotion. Ils ne semblaient

8 pas du tout être touchés par les souffrances qu'ils avaient provoquées. Ils

9 n'ont montré aucun remords. Ils ne se sentaient pas coupables. Ils

10 s'apitoyaient sur leur sort, et se prenaient eux-mêmes pour des victimes.

11 J'ai vu des cas de déni total et d'une attitude insultante à l'égard des

12 victimes, avec un léger mépris à l'égard des victimes, lorsqu'elles

13 s'effondraient dans le prétoire et pleuraient.

14 M. Babic est différent, et nous le savons. Nous savons de la part de lui,

15 de sa femme, du témoin Kovacevic, qu'il a éprouvé du remords et de la

16 culpabilité pendant que la campagne de persécution était encore en cours.

17 M. Babic, pendant l'affaire Milosevic, est ici, pendant son propre procès,

18 s'est prononcé très ouvertement, publiquement. Il a fait part de son

19 remords, et ce, de manière inconditionnelle. Il a fait part de son espoir,

20 que son accord sur son plaidoyer de culpabilité aide les peuples de l'ex-

21 Yougoslavie dans leur réconciliation.

22 Je suis convaincue que cette manifestation de remords n'est pas une

23 stratégie, d'une tactique, mais qu'il s'agit d'une attitude honnête.

24 L'Accusation estime qu'il faut la prendre en considération, puisque ceci

25 vient de quelqu'un qui a occupé à un moment donné des positions de

Page 219

1 dirigeant.

2 Comme je l'ai dit au début de mes propos, M. Babic a reconnu sa culpabilité

3 dans une affaire où il est poursuivi pour crime grave, pour lequel

4 normalement je n'hésiterais à demander une peine sévère. Je l'ai fait de

5 par le passé dans les affaires où j'ai agi comme Procureur. J'ai essayé

6 d'expliquer pourquoi je ne fais pas ce genre de requête dans cette affaire

7 qui est inhabituelle. Toutes les circonstances atténuantes en l'espèce, en

8 particulier, le plaidoyer de culpabilité de M.Babic et son remords et la

9 contribution qui est la sienne à la réconciliation, et en particulier, sa

10 coopération substantielle et significative avec le Tribunal, m'ont incité,

11 moi et mes collègues, à en tirer la conclusion qu'une peine différente doit

12 s'appliquer en l'espèce.

13 L'Accusation n'a pas recommandé une fourchette de peines, comme cela se

14 fait dans d'autres affaires, lorsqu'on propose une peine minimale. Nous

15 avons recommandé uniquement la peine maximale de 11 ans. Nous recommandons

16 que la peine qui sera prononcée soit inférieure à cela.

17 Comme je l'ai dit dès le départ, ceci est une tâche difficile, à savoir,

18 comment déterminer la peine juste pour M. Babic. Car, il convient d'une

19 part de prendre en considération la gravité des crimes et d'autre part, les

20 circonstances atténuantes. D'autre part, il faut envoyer le message juste à

21 ceux qui envisagent de prendre la même attitude que M. Babic, à savoir, de

22 prendre la responsabilité d'aider le Tribunal à accomplir sa mission.

23 J'espère que mes remarques seront utiles à la Chambre.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

25 Avant la pause, je demanderais une précision, s'il vous plaît. Je voudrais

Page 220

1 retrouver la bonne page. Il me semble que c'était en page 30. Il y a un

2 paragraphe qui ne me semble pas tout à fait clair. Je ne vous ai pas tout à

3 fait compris. Peut-être est-ce dû à ma mauvaise compréhension de l'anglais.

4 Vous avez dit à ce moment-là : "Dans la séquence suivante, lorsque l'on se

5 réfère à des pages suivantes de l'entretien, il a dit clairement que ces

6 églises détruites avaient été là depuis des décennies, depuis la Seconde

7 guerre mondiale. Il les a soudain vues comme s'il les voyait pour la

8 première fois." Ceci ne pas semblé tout à fait clair. Pouvez-vous le

9 préciser.

10 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Ce que je

11 souhaitais dire, c'est qu'il y a eu une campagne menée par les médias, une

12 campagne mise en place à Belgrade. Cette campagne déformait la réalité.

13 Elle a changé la réalité pour M. Babic à ses yeux. Comme il l'a dit lui-

14 même, il y avait des églises orthodoxes détruites depuis la Deuxième Guerre

15 mondiale. Il n'avait jamais prêté attention à celle-ci, puisqu'elle se

16 trouvait simplement là-bas. Après avoir lu, entendu ces choses, soudain il

17 les a vues. Il les voyait comme il ne les avait jamais vues, comme si

18 c'était quelque chose de nouveau.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends mieux. Il s'agit d'églises

20 qui n'ont jamais été réparées, restaurées.

21 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, tout à fait. Cela n'a jamais

22 posé de problèmes pour lui, auparavant. Soudain, c'est devenu quelque chose

23 qui l'a troublé.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je comprends maintenant.

25 [La Chambre de première instance se concerte]

Page 221

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons faire une suspension

2 d'audience jusqu'à 11 heures 40. Je m'attendrais à ce que la Défense, en

3 termine pas plus tard que 12 heures 45.

4 --- L'audience est suspendue à 11 heures 23.

5 --- L'audience est reprise à 11 heures 42.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de donner la parole à la Défense

7 pour qu'elle puisse faire sa plaidoirie, Madame Uertz-Retzlaff, j'ai une

8 question à vous poser, à savoir, aujourd'hui, nous avons parlé des

9 connaissances que M. Babic avait des meurtres de civils pendant les

10 attaques. Au paragraphe 15, de l'acte d'accusation, il n'y a pas mention

11 d'attaques spécifiques en paragraphe 15(a). Vous, vous avez fait une

12 distinction entre l'exécution des personnes qui étaient prises et tuées par

13 la suite, et ceux que vous avez appelé des civils ayant été tués pendant

14 une attaque. Si j'ai bien compris, vous envisagez une situation où on

15 attaque un village, on détruit une maison, il y a des civils qui sont tués

16 en tant que conséquence de cette attaque. Bien entendu, l'attaque est

17 quelque chose de très précis.

18 D'un point de vue juridique, est-ce que le meurtre de 5, 10, ou 30

19 personnes, qui ont été emmenées ensemble après l'attaque du village, qui

20 ont été exécutées sommairement. Est-ce que d'un point de vue juridique, ce

21 serait différent de la situation où on les tue, alors qu'ils se trouvent

22 toujours dans leurs maisons lorsque la maison est pilonnée ou rasée ? Est-

23 ce que vous pensez que là serait plus grave d'un point de vue juridique ?

24 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Tuer des personnes pendant une

25 attaque, disons lorsqu'il y a un pilonnage par des forces, lorsqu'on

Page 222

1 incendie des maisons, pour moi c'est un degré d'acte criminel différent.

2 C'est différent du fait lorsque l'on assemble des gens, on sépare les

3 hommes des femmes, par la suite, on tue les hommes sous les yeux de leurs

4 proches. Cette forme de meurtre, c'est quelque chose que nous avons

5 spécifié dans l'acte d'accusation particulier.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

7 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Nous opérons ces distinctions par

8 rapport à l'investissement criminel, eu égard à ce genre de meurtre.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Est-ce que je vous comprends bien,

10 lorsque j'interprète vos propos, en disant que le crime en tant que tel

11 n'est pas différent, mais la manière de laquelle le crime est commis, le

12 rend différent ? Lorsque vous rassemblez les gens et vous les tuez par la

13 suite sous les yeux de leurs proches ou d'autres habitants du village, les

14 circonstances sont différentes, mais dans les deux cas de meurtres.

15 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, c'est de la manière dont je le

16 vois.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

18 Maîtres Mueller et Fogelnest, vous avez dit que vous alliez vous partager

19 le temps qui a été imparti à la Défense. Qui prendra la parole en premier,

20 s'il vous plaît.

21 M. MUELLER : [interprétation] C'est moi.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie.

23 M. MUELLER : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

24 avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous demanderais juste quelques

25 secondes d'audience en privé.

Page 223

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous allons passer en audience à

2 huis clos partiel.

3 [Audience à huis clos partiel]

4 (expurgé)

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5 [Audience publique]

6 M. MUELLER : [interprétation] Tout simplement, je voulais que vous sachiez

7 quelle était la proportion de ces intimidations, et quelle aurait pu être

8 la portée des répercutions. Cela jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à ce prétoire

9 même.

10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai décidé d'être bref parce

11 que j'essaie d'éviter de donner l'impression de faire des excuses

12 inadéquates, de parler trop longtemps. D'autre part, tout ce qui est

13 pertinent pour vous, lorsque vous prendrez votre décision, vous a déjà été

14 communiqué.

15 Mme Uertz-Retzlaff, l'éminente représentante du bureau du Procureur, a

16 présenté et apprécié les arguments, de telle manière que les conseils de la

17 Défense n'auraient pas pu le faire mieux qu'elle. Elle s'est référée à la

18 qualité de la coopération qui a compris aussi la présentation des

19 documents, qui n'étaient pas connus des organes d'enquêtes, et qu'ils ne

20 leur étaient pas connus à ce moment-là, et que Milan Babic a su préserver

21 dans des circonstances dramatiques.

22 A présent, je voudrais formuler quelques commentaires au sujet dans tâches,

23 des fonctions de Milan Babic. Il était président de la région autonome de

24 Krajina et de la République Serbe de Krajina, mais ceci ne lui a pas donné

25 le pouvoir auquel on s'attendrait, habituellement et initialement, et qui

Page 225

1 était initialement supposé à son sujet de la part du bureau du Procureur.

2 Le résultat logique, et que le bureau du Procureur et la Défense avaient

3 différencié entre ces pouvoirs de facto et ces pouvoirs de jure. Cela se

4 reflète, je pense dans les mémoires des parties. Je ne voudrais pas

5 m'étendre là-dessus puisque nous avons déposé nos mémoires la semaine

6 dernière, et je ne voudrais pas répéter les mêmes arguments.

7 Mon collègue prendra la parole plus tard pour parler de la peine

8 appropriée, et il s'exprimera aussi au sujet d'autres aspects. Moi-même je

9 souhaite me polariser sur des faits et des circonstances qui à mon sens

10 sont les plus importantes, et qui me sont cher. Par exemple, celles-ci que

11 vous trouverez dans la déclaration de Mme Babic et aussi dans d'autres

12 déclarations écrites qui vous ont été communiquées parfois, leur teneur

13 n'est pas aussi claire comme on pourrait le souhaiter, il nous faut lire

14 entre les lignes.

15 Il serait redondant à présent de parler davantage des circonstances

16 atténuantes de manière générale, et en particulier, après ce que nous avons

17 entendu aujourd'hui de la part de Mme Uertz-Retzlaff, puisque je suis

18 certain que vous allez leur porter toute l'attention nécessaire.

19 En revanche, je voudrais me focaliser aujourd'hui sur les faits et les

20 circonstances extraordinaires eu égard au cas de M. Babic et sa

21 personnalité. Son aveux de culpabilité, son repentir, sa coopération et les

22 souffrances de Milan Babic lui-même et des membres de sa famille pendant

23 des années, en particulier, provoquées par ses mauvais agissements, mais en

24 partie aussi provoquées par des mauvais agissements des co-auteurs. Tels

25 sont les points sur lesquels je souhaite m'exprimer aujourd'hui devant

Page 226

1 vous. Son épouse nous a dit qu'il criait à haute voix dans son sommeil,

2 qu'il se réveillait brusquement, qu'il a passé de nombreuses nuits sans

3 sommeil, qu'il avait des cauchemars, et des rêves effrayants. D'après elle,

4 tout ceci a commencé dès 1991. Je ne parle pas seulement d'une personne qui

5 a peur de la peine, qui pourrait lui être infligée, et qui ne peut pas

6 trouver le sommeil, et qui souffre de maux de tête grave. Mais je parle

7 aussi d'un homme qui pendant longtemps a été confronté à un dilemme grave

8 et profond à cause de ce qu'il a fait, et à cause de ce qu'il se reprochait

9 d'avoir fait depuis ce moment-là.

10 A un moment, il s'est trouvé au croisement des chemins, et il a choisi la

11 mauvaise voie. Très vite, il a pris conscience de son erreur très grave, et

12 il a retrouvé la voie très juste, très rapidement. Mme Uertz-Retzlaff, je

13 lui suis très reconnaissant de l'avoir fait, a parler en détail de cela

14 aujourd'hui.

15 S'agissant de ses remords, et de son repenti, je tiens à dire le suivant :

16 Dès le départ, son propre sens des obligations morales l'a empêché de

17 contester les charges qui ont été portées contre lui. Il a toujours dit que

18 contester, les accusations portées à son encontre seraient impossibles,

19 compte tenu de ses propres interrogations morales. Il n'aurait pas pu vivre

20 avec cela, et il lui aurait été impossible de regarder ses enfants droit

21 dans les yeux. Tel est la personne que je connais. Tel est Milan Babic que

22 je connais.

23 S'il y avait encore des doutes quant à la sincérité de son repenti, il

24 faudrait revenir encore une fois aux symptômes somatiques dont souffre

25 Milan Babic, qui ont été décrits par sa femme. Il ne peut provenir que de

Page 227

1 la conscience qui l'a prise du fait qu'il a agi mal, et de ce dont il a

2 souffert énormément lui-même, et qui était dû à ce qu'il a qualifié lui-

3 même, comme étant de l'ethno égotisme.

4 Très vite il a retrouvé la voie de l'intégrité morale, et il a pris ses

5 distances avec ceux qui l'ont fourvoyé, dans leur entreprise criminelle

6 commune, et qui se sont servis de lui. Malheureusement, il était trop tard

7 d'effacer ce qui a été déjà fait, mais il a été capable de ne pas aggraver

8 sa propre culpabilité davantage, parce qu'il a changé de voie, et il s'est

9 détourné des objectifs visés par d'autres membres de l'entreprise

10 criminelle commune.

11 Il est naturel et logique que Milan Babic ait choisi de coopérer de manière

12 inconditionnelle, honnête et entière avec le bureau du Procureur. En

13 considérant que c'était un point de départ pour établir la vérité et pour

14 que lui aussi puisse trouver la vérité, en lui-même. C'était un processus

15 continu, qui a évolué dans le temps et qui s'est désigné comme tel dès les

16 premiers entretiens avec le bureau du Procureur en Serbie.

17 Il est particulièrement important de faire observer, qu'il a fait plus que

18 reconnaître simplement sa propre culpabilité et ses mauvais agissements. Il

19 a coopéré entièrement et en permanence avec les organes de l'ordre. Les

20 Juges de cette Chambre savent que cette coopération ne s'est toujours pas

21 terminée.

22 Ce n'est pas un secret de dire que Milan Babic a déposé pendant plusieurs

23 jours, en tant que témoin protégé, dans l'affaire Milosevic, mais qu'il a

24 décidé d'abandonner cette manière de déposer, et il a renoncé à ces mesures

25 de protection, il n'a plus caché son identité. Ceci aussi a fait partie de

Page 228

1 cette évolution personnelle qu'il a connue.

2 Il devait peser d'un côté la peur qu'il ressentait pour sa famille s'il se

3 déclarait publiquement et d'autre part la nécessiter de montrer qui il

4 était, en estimant qu'il était important d'établir la vérité, et de

5 promouvoir la réconciliation. Il ne fait aucun doute que Milan Babic

6 reconnaît sa co-responsabilité, dans la détresse, de l'agonie souffert par

7 des victimes de ces crimes inhumains. En tant que son conseil, je tiens à

8 tirer l'attention de cette Chambre sur l'agonie de sa famille et les

9 souffrances des membres de sa famille.

10 Cependant, en dernière instance la seule chose qui compte c'est le fait

11 qu'il a activement pris part au processus dont l'objectif est de révéler la

12 vérité. Si vous lui demandiez quels étaient ses sentiments, il vous

13 répondrait : "Ma famille et moi-même ressentant un soulagement immense,

14 c'est un grand soulagement pour nous."

15 En Serbie, beaucoup de personnes considèrent qu'il est un traître. Il est

16 également stigmatisé par l'église, en tant que traître, et il a été menacé

17 d'anathème. Les gens voient les choses en noir et blanc là-bas. Soit on est

18 soldat, soit on combat pour ce qu'on appelle la juste cause en d'autre

19 terme, la cause serbe on est traître ennemi. Il s'est retrouvé assis entre

20 deux chaises, et il a décidé d'opter pour le bien.

21 Le bureau du Procureur, et les conseils de la Défense, ses conseils sont

22 aujourd'hui les seuls qui parlent en son nom. Sincèrement nous espérons que

23 les liens étroits entre les membres de sa famille et lui même continueront

24 à lui fournir un appui dans ses moments difficiles, et que tous les membres

25 de sa famille qui souffrent d'isolement survivront à ce martyr et qu'un

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1 jour ils pourront se retrouver et vivre ensemble en famille.

2 Ceci m'incite à parler de la recherche de la vérité, et de la pacification,

3 et de la réconciliation. Milan Babic est le premier membre de l'entreprise

4 criminelle commune qui a trouvé à la fois le courage et la solidité, lui

5 permettant de déposer et de coopérer avec le bureau du Procureur. Il était

6 pleinement conscient du fait qu'il mettait en danger sa propre vie, ainsi

7 que la vie des membres de sa famille.

8 Il y a eu trois attaques à l'encontre de Milan Babic, en 1991 et 1992, et

9 heureusement il en a échappé. Ce processus de purification et de guérison,

10 l'accord sur le plaidoyer, qui s'ajoute à cette importante coopération le

11 rende très différent des autres qui sont soit passé aux aveux, pour ce qui

12 est de leur propre méfaits, soit qui ont fourni des informations de portée

13 limitée au bureau du Procureur. C'est le moment où l'accusé est prêt à

14 admettre sa culpabilité, a fait sa grande contribution à l'histoire. Je

15 suis certain que vous le prendrez en considération.

16 Je ne peux pas éviter de vous dire quelques mots de l'opinion publique, tel

17 qu'elle est aujourd'hui. A de nombreux endroits en ex-Yougoslavie elle est

18 réticente, et ce de manière obstinée à accepter la vérité, le remède

19 adéquat, et comme étant la thérapie appropriée qui mène au rétablissement

20 d'un pays, où le tissus social a été détruit et auquel, on a porté atteint

21 de manière aussi grave au cours de la décennie passée. C'est une des

22 raisons pour lesquelles je dois dire que je respecte Milan Babic

23 aujourd'hui en tant qu'individu qui a su retrouver le juste chemin, après

24 cette phase déplorable et horrible où il a erré de manière grave.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, Milan Babic n'est pas une

Page 230

1 figure historique de grande importance. Il était dirigeant serbe ou

2 président d'une entité politique serbe autoproclamée, appeler la région

3 autonome de la Krajina ou la République serbe de Krajina. Ce n'est pas cela

4 qui le rend important. Il est devenu une figure importante sur le plan

5 historique dans un contexte entièrement différent, et ce, en se présentant

6 si tôt, en fournissant des informations véridiques, et un grand volume

7 d'information en passant aux aveux, en faisant preuve de remords, en se

8 montrant prêt à coopérer et à comparaître devant ce tribunal. Il n'était

9 plus un petit politicien de dimensions problématiques, il est devenu par

10 là, une figure importante qui participe à la rédaction des pages d'histoire

11 véridiques.

12 Afin de trouver la vérité, aux fins de réconciliation et du rétablissement

13 de la paix, du développement pacifique des Balkans à plus long terme, il

14 peut servir d'exemple à d'autres.

15 Milan Babic a plaidé coupable le 27 janvier de cette année, non seulement

16 parce que d'autres l'avaient déjà fait, mais parce que c'était une décision

17 à laquelle il est arrivé lui-même, et Mme Uertz-Retzlaff l'a dit

18 aujourd'hui.

19 Dès le départ, cette relation qui nous liait, relation de client à son

20 conseil, m'a permis de me rendre compte qu'en son fort intérieur, Milan

21 Babic désirait que la vérité historique soit dite, et c'est cela qui lui a

22 permis de savoir qu'il fallait qu'il admette sa propre responsabilité.

23 Enfin, le 23 février 2002, à un moment donné, je pense que la portion

24 pertinente du compte rendu d'audience a été versée au dossier, la portion

25 de sa déclaration de ce jour-là.

Page 231

1 Plus tard, je veux dire ces jours-ci, Milan Babic ne souhaitait pas

2 attendre l'audience consacrée à la détermination de la peine afin de faire

3 part de ses remords, et afin de reconnaître sa culpabilité devant ce même

4 Tribunal. Il a décidé de le faire de manière inhabituelle. Déjà, pendant

5 son plaidoyer de culpabilité, le 27 janvier, il a fait à ce moment-là une

6 déclaration que nous savons. Tout ce qui sont prêts à entendre, et qui sont

7 prêts à accepter la vérité historique, seront profondément touchés, sinon

8 troublés, par le plaidoyer de M. Babic, et sa déclaration. Tout comme Mme

9 Plavsic, Milan Babic deviendra un exemple pour ce qui souhaite reconnaître

10 la vérité. Il va peut-être même au-delà; il montre à quel point la

11 contribution peut être considérable sur ce chemin de la recherche de la

12 vérité.

13 Quels sont les autres moyens ou remèdes que nous aurions à notre

14 disposition pour aider les populations des Balkans à cicatriser leurs

15 blessures, et à se réconcilier avec le passé, si ce n'est cette volonté

16 publiquement montré de leurs ex-dirigeants politiques, une volonté à

17 contribuer à la recherche de la vérité, à reconnaître leurs propres

18 culpabilités, à faire preuve de repentie ?

19 Les Balkans, qui ont été décrits par le Prix Nobel Ivo Andric, qui est

20 originaire de la même région, ces Balkans, ils ont été décrits par lui,

21 comme une région où la haine est endémique, où afin de pouvoir être

22 considéré comme un héro, il faut se salir les mains, il faut les tromper

23 dans le sang, une région où un comportement modéré et raisonnable est

24 souvent rejeté comme étant un comportement traître et lâche.

25 Cette manière d'établir la vérité et de rétablir la paix est très

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1 vulnérable, comme un oiseau qu'on tiendrait entre ses mains. Permettez-moi

2 d'ajouter quelques commentaires au sujet du mécanisme permettant de trouver

3 la vérité, qui, à mon sens, doit toujours commencer aussi vite que

4 possible, et qui est le fondement pour la réconciliation.

5 J'ai été heureux d'entendre les propos de l'ancien secrétaire d'état des

6 Etats-Unis, Dr Madeleine Albright, pendant l'audience consacrée à l'affaire

7 Plavsic, le 17 décembre 2003, lorsqu'elle a déclarée : "Je pense que la

8 réconciliation était l'objectif principal qui a présidé à la création de ce

9 tribunal." Mme Albright nous a demandé aussi, là je cite encore ces propos

10 : "De respectez ceux qui plaident coupables." C'est aussi elle qui a citée

11 les tâches de ce Tribunal, selon les priorités en disant que la

12 réconciliation et la punition étaient les deux premières tâches et, ensuite

13 qu'il fallait montrer clairement aux victimes que la justice existait.

14 D'une certaine manière, on peut dire qu'elle était l'un des pères

15 fondateurs de ce Tribunal en sa capacité de l'ambassadeur américain de

16 l'époque aux Etats-Unis [comme interprété].

17 Permettez-moi de me référer à une autre déclaration très importante, fait

18 par Dr Boraine, qui était co-président de la Commission de la vérité et de

19 la réconciliation sud-africaine. Il a dit que les systèmes de justice

20 pénales ne sont pas conçus uniquement afin de déterminer l'existence de la

21 culpabilité ou l'innocence, mais aussi afin de permettre la création d'une

22 société de paix, et pendant sa déposition dans l'affaire Plavsic, il a fait

23 part de sa conviction que le fait d'admettre sa responsabilité pour des

24 crimes graves peut avoir un impacte dramatique et extrêmement important sur

25 l'auteur et sur les victimes, ainsi que sur un société. C'est un facteur

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1 significatif pour le rétablissement de la paix, d'après Dr Boraine.

2 Ceci étant dit, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il est évident

3 que les déclarations de culpabilité, ainsi qu'une coopération très

4 importante avec le bureau du Procureur, sont les meilleures façons

5 d'atteindre les objectifs de ce Tribunal, et un instrument puissant qui

6 fonde la légitimité de ce Tribunal.

7 Je vous remercie de votre attention.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

9 Maître Fogelnost, vous avez la parole.

10 M. FOGELNEST : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

11 je serais sans doute plus bref que je l'avais prévu, essentiellement pour

12 une raison, c'est que Mme Uertz-Retzlaff a dit bien des choses que je

13 voulais dire, et comme vous pouvez y attendre, elle l'a dit de manière

14 beaucoup plus exhaustif et claire que moi-même je n'aurais pu le faire.

15 Permettez-moi de partager avec vous certaines réflexions, dont j'espère

16 qu'elles vous seront utiles dans le cadre de votre tâche si difficile.

17 Ce qui me frappe, c'est qu'une des contributions qui doit être apportée par

18 ce tribunal, c'est de fournir à l'humanité des moyens de comprendre comment

19 des choses comme les crimes contre l'humanité peuvent se produire. Cette

20 compréhension peut-être, permettra à l'espèce humaine d'empêcher que de

21 tels crimes ne se reproduisent plus à l'avenir. Pendant que nous sommes

22 réunis ici, aujourd'hui, il y a des cas des nettoyages ethniques au Soudan,

23 par exemple. Chaque semaine, des milliers sont déplacés, des femmes sont

24 violées, plusieurs milliers de personnes, 7,000 personnes ont été chassés

25 de leurs foyers. L'armée Soudanaise bombardent les survivants. La semaine

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1 dernière, encore, il y a eu des morts au Kosovo. J'espère, et je pense que

2 tout le monde partage mon opinion, j'espère que le travail accompli par ce

3 tribunal -- cela sera au moins un début, permettant de trouver cette

4 compréhension qui [imperceptible], aidera l'humanité à mettre un terme à ce

5 genre de pratique indigne.

6 L'une des leçons que l'on peut tirer de l'affaire Babic, c'est que ces

7 crimes ne sont pas dus simplement à la haine ou à la cupidité, parce que

8 Milan Babic ses manifestes n'étaient pas animés par la haine. Il n'était

9 pas non plus animé par la cupidité à la différence de certains. Il n'a pas

10 essayé de s'enrichir dans cette situation. Les renseignements que l'on peut

11 tirer de cette affaire, c'est que la crainte et la vanité peuvent également

12 jouer un rôle et entraîner de telles atrocités. La crainte, la peur s'est

13 une émotion irrationnelle qui est inspirée par la propagande. Encore

14 aujourd'hui, les gouvernements, les individus partout dans le monde pour

15 certains essaient de susciter la peur dans la population. L'enseignement

16 que nous devons tirer, c'est que si on agit parce qu'on a peur, à ce

17 moment-là, ce genre de choses peuvent se produire, ce genre d'actes peuvent

18 avoir lieu.

19 Quant à la cupidité, il ne s'applique pas à son cas. Ce qui s'est passé

20 avec Milan Babic résulte de sa crainte, de sa vanité, de son désir de

21 rester au pouvoir, de maintenir -- rester à son poste politique.

22 Aujourd'hui, il n'a plus rien. Il vit dans la pauvreté, et toute sa vie il

23 devra vivre avec ce sentiment de culpabilité pour ses méfaits. Vous l'avez

24 entendez lui-même, il a tout perdu, il a perdu sa patrie, son métier. Il

25 est fort probable que jamais plus il ne pourra voir sa mère, ni ses sœurs.

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1 Autre conséquence de ce qui s'est passé, c'est qu'il a imposé à son épouse

2 et à ses enfants les conséquences de ses actes, et il doit vivre avec cette

3 souffrance, car il est conscient de cela, car il devra vivre avec sa

4 famille en se cachant pendant toute son existence pour leur propre

5 sécurité. Je ne vais pas entrer dans les mesures qui ont été prises pour

6 les protéger, mais même si je devrais le faire, je ne pourrais pas vous le

7 dire, parce que les mesures de protections qui ont été mises en place sont

8 telles que mêmes nous les avocats, nous ne savons pas exactement en quoi

9 cela consiste. Quoi qu'il en soit, sa famille ne vit pas comme nous nous

10 vivons.

11 Il y a un élément qui constitue souvent les circonstances atténuantes,

12 c'est une période passée en détention, et le comportement d'un détenu, or

13 Babic n'est resté au quartier pénitentiaire que pendant quatre jours. Mais

14 ce qu'on pourra prendre en compte, même si cela a été fait précédemment,

15 c'est de voir quel a été son comportement dans le cadre où il a été

16 contraint de vivre lui et sa famille.

17 Il y a plusieurs années qu'il sait que ce qu'il attend, c'est de purger une

18 peine dans une prison complètement étrangère, dans un environnement qu'il

19 ne connaît pas, où il ne sera pas en mesure de communiquer avec le

20 personnel de la prison, ni avec ces codétenus. Il le fera en tant que

21 témoin protégé. Nous ne savons pas exactement ce que recouvre ces termes,

22 mais on peut penser sur la base de l'expérience que nous retirons de notre

23 propre système, qu'il sera mis à l'écart par les autres détenus, et il est

24 possible que cela lui fasse courir un danger. Il est possible qu'on soit

25 contraint de le mettre à l'isolement, et vivra dans une situation encore

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1 plus difficile que d'autres détenus placés dans la même situation.

2 Si le Tribunal décide, même si le Tribunal décidait qu'il ne devait purger

3 aucune peine de prison, tout ce que je viens de décrire suffirait à

4 dissuader quiconque de commettre les méfaits que ceux dont s'est rendu

5 coupable Milan Babic. Un autre renseignement que l'on doit tirer de cette

6 affaire, c'est que le Tribunal a confronté un principe juridique essentiel,

7 même si au départ c'était peut-être marqué par un point d'interrogation, il

8 est maintenant tout à fait clair que dans le droit international, une

9 personne qui a un poste politique, quelle que soit sa motivation, quelles

10 que soit les circonstances, quelles que soit les craintes qui l'animent, ne

11 saurait participé aux crimes tels que ceux qui ont été commis dans la

12 Krajina pendant qu'il était en poste. Même s'il s'agit simplement de

13 trouver un financement, même s'il s'agit simplement de signer des papiers,

14 non, ceci est inacceptable. Cela enfreint la loi, et ce principe a été

15 confronté ici, et plus que jamais, et plus que jamais auparavant.

16 Il est indéniable que dès que Milan Babic a appris quelle méthode on

17 mettait en œuvre pour arriver à établir cet état serbe, ou pour si l'on

18 veut protéger la population serbe. Une fois qu'il a appris quelles étaient

19 les méthodes utilisées, sa responsabilité morale et juridique était de

20 refuser de participer à ces actes criminels, or il n'a pas été à la hauteur

21 de cette responsabilité.

22 Tout homme politique qui a des responsabilités quel que soit le pays où il

23 exerce ses fonctions, doit en être bien conscient, et même s'il n'y a pas

24 de mécanismes en place, parce qu'on peut imaginer que les pays, que

25 certains pays refusent de signer les instruments juridiques qui les

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1 placeraient dans la juridiction d'un Tribunal international. En tout cas,

2 il a été clairement établi que ce genre d'activité est complètement

3 inacceptable.

4 Lui, il est resté à son poste, il a continué à exercer ses fonctions, il ne

5 s'est prononcé contre ce qu'il savait être contraire à la loi. Ses discours

6 nationalistes, bien qu'ils soient relativement modérés par rapport aux

7 autres, ont encore attisé la haine, et ont causé le mal. Que ceux qui

8 seraient tentés de prononcer de tels discours soient bien conscients des

9 activités du Tribunal.

10 Ce n'est pas un moyen de défense, on ne peut pas dire que oui, il aurait

11 risqué de perdre son poste ou, de toute façon, il aurait été remplacé par

12 quelqu'un qui aurait fait le travail. Cela n'est pas une thèse de défense

13 suffisante. Il ne suffit pas pour se défendre non plus de dire que l'on a

14 été victime de tentative d'assassinat parce que se sont des choses qui

15 arrivent.

16 Parfois, il n'est pas facile de faire ce qu'il faut faire, mais il faut

17 malgré tout le faire. Parce que si on ne le fait pas, on risque de se

18 retrouver placé dans la peau d'un criminel. C'est ce qui s'est passé ici,

19 c'est une des leçons que l'on peut tirer de ce procès.

20 Quelle peine convient-il de prononcer à son encontre ? Il est extrêmement

21 difficile de calculer la période de temps qui constitue une peine

22 appropriée. Je ne vais pas vous donner de chiffres. Pourquoi ?

23 Premièrement, toute recommandation que je vous ferais serait biaisée. Parce

24 que moi, j'ai rencontré Milan Babic en novembre, au cours des mois qui se

25 sont écoulés depuis, j'ai appris à le connaître, à le comprendre, à le

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1 respecter, à l'apprécier. Personnellement, je suis animé de sentiments ici,

2 or ce n'est pas sur la base de sentiments que doit décider le Tribunal vu

3 l'autorité et le prestige du Tribunal, on ne peut faire intervenir des

4 réactions émotionnelles lorsqu'il s'agit de prononcer une peine. Or, c'est

5 pourquoi je ne peux vous faire de recommandations.

6 Il convient d'examiner les facteurs qui entrent en jeu, mais comment est-ce

7 que cela peut se traduire pour déterminer la peine d'incarcération

8 appropriée ? Je n'en sais rien. C'est un travail qui doit être accompli, et

9 je ne vous envie pas cette responsabilité. Moi, je sais que je suis

10 complètement incompétent pour se faire je ne saurais même par où commencer,

11 comment évaluer un plaidoyer de culpabilité, quel poids lui accorder.

12 Est-ce que cela se traduit par une réduction de 20 %, 47 % de la peine ? Je

13 n'en sais rien. Je ne sais pas comment les Juges s'y prennent. ils ne

14 peuvent pas s'inspirer de ce qui a été fait précédemment, parce que cela ne

15 figure nulle part dans le règlement, ni dans le statut, dans la

16 jurisprudence non plus, nul n'explique quel poids accorder au plaidoyer de

17 culpabilité.

18 Un être raisonnable, ou des êtres raisonnables qui examinent, étudient les

19 mêmes faits en utilisant les mêmes facteurs, peuvent très bien les évaluer

20 de manière différente comme on l'a vu la semaine dernière. Dans une Chambre

21 de ce Tribunal, il y a deux Juges qui estimaient qu'il convenait de

22 prononcer une peine de 10 ans, alors que le troisième Juge en toute

23 conscience a estimé qu'il était de son obligation de dire que lui il aurait

24 aimé prononcer une peine, mêmes informations, mêmes facteurs. Or, pourtant

25 l'un des Juges n'était pas d'accord avec les deux autres. Si un seul des

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1 Juges avait changé d'avis, à ce moment-là, le condamné aurait vu sa peine

2 doublée. Il s'agit de toute sorte de concept qui entre en jeu, et je ne

3 peux pas vraiment vous donner de piste pour savoir comment les évaluer.

4 Il semble qu'ici, mais auparavant, permettez-moi de dire la chose suivante

5 : il n'y a aucun doute dans mon esprit, je sais que certains pensent,

6 certains affirment que quel que soit son rôle, quelles qu'étaient les

7 circonstances atténuantes, quelle qu'était la nature de sa contribution à

8 la restauration de la paix et à la réconciliation, il faudrait qu'il meure.

9 Il est indéniable qu'il y a des gens qui sont de cet avis. Quand j'ai

10 commencé à travailler dans ce procès, j'ai examiné ce qui s'était passé en

11 Nuremberg, et j'ai été frappé de voir que bon nombre des condamnés à

12 Nuremberg ont été pendus. Mais la communauté internationale a fait

13 énormément de progrès depuis. On a plus recours à ces peines barbares.

14 L'immense majorité des états de l'ONU ont aboli la peine de mort, et le

15 Tribunal exclut cette peine formellement et dès sa fondation. Si bien que

16 ceux qui estiment qu'il faudrait condamner M. Babic à mort, jamais ils ne

17 seront satisfaits du travail accompli par le Tribunal parce que nous en

18 tant que peuple civilisé, nous refusons la peine de mort.

19 A l'autre extrémité, je suis sûr qu'il y a des gens qui estiment qu'il a

20 déjà assez souffert. Que son rôle dans ces crimes, le courage dont il a

21 fait preuve, pour venir dire la vérité ainsi que toutes les circonstances

22 atténuantes sont tels qu'il convient de ne pas prononcer de peine

23 supplémentaire à son endroit. Je dois vous dire personnellement que c'est

24 ce que je ressens, mais je dois dire aussi que c'est un sentiment que

25 j'éprouve. Ce n'est pas de ce genre d'intervention que vous avez besoin

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1 pour vous décider. Il faut trouver une voie médiane. L'Accusation

2 recommande une peine inférieure à 11 ans d'emprisonnement. Mais on n'a pas

3 précisé pourquoi, et je me demande ce que l'on ressent du côté de

4 l'Accusation parce qu'ils ne nous en ont pas fait part.

5 Si on regarde le règlement, la jurisprudence, le statut, nulle part il

6 n'est dit qu'il convient d'ajouter foi ou de suivre les recommandations de

7 la Défense ou de l'Accusation. Vous êtes tout à fait libres de vous faire

8 votre propre idée, de prendre votre propre décision sur la base de

9 l'analyse de l'affaire, sur la base de votre conscience. Mais quelle charge

10 va sur vos épaules. Quelle charge énorme. Je suis vraiment content de ne

11 pas être à votre place.

12 Cette recommandation, pour une peine de moins de 11 ans de prison, nous

13 invite à faire une comparaison avec l'affaire Plavsic. Je ne vais pas

14 entrer dans tous les détails parce que Mme Uertz-Retzlaff l'a fait de

15 manière excellente; cependant, je voudrais mettre en exergue un certain

16 nombre de choses. M. Babic a plaidé coupable avant même d'être mis en

17 accusation, avant d'être arrêté. Biljana Plavsic l'a qualifié de traître,

18 entre parenthèses. Elle est venue au Tribunal pour la première fois pour sa

19 comparution initiale, le 11 janvier 2001. Son plaidoyer de culpabilité date

20 du 2 octobre 2002, c'est-à-dire, presque deux ans plus tard. Deux ans plus

21 tard, moment où elle était consciente qu'il était extrêmement probable

22 qu'elle allait être reconnue coupable.

23 S'agissant des rôles de l'un et de l'autre, de leur responsabilité

24 respective, au paragraphe 13 du jugement Plavsic, la Chambre a estimé

25 qu'elle avait adopté, qu'elle avait soutenu l'objectif du nettoyage

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1 ethnique. J'imagine que c'est aussi le cas de M. Babic, mais pas tout à

2 fait de la même manière, ni tout à fait dans les mêmes circonstances. Il

3 m'est difficile de traduire cela dans des mots, mais je pense que le

4 Tribunal, les Juges de la Chambre doivent en tenir compte au moment de

5 prononcer la peine.

6 Une partie de son comportement criminel, c'est le fait qu'il ait prononcé

7 des discours incendiaires. Il faut bien se rendre compte dans quelle

8 circonstance cela s'est produite, quelles étaient ses motivations. Pour ce

9 faire, j'inviterais les juges de la Chambre a examiné le rapport

10 DelaBrosse, en particulier les notes de bas de page 38, 45 et 151. Elle a

11 tenu des propos atroces, racistes, immondes. Demander à l'Accusation de

12 vous montrer les pires discours de M. Babic. Je ne vais pas en donner

13 lecture ici dans ce prétoire, mais je vous demande de lire ces discours et

14 vous verrez la nature des propos tenus. Vous verrez la nature de la haine

15 qui transparaît dans les propos de Mme Plavsic. Si bien qu'il faut ce

16 facteur que je viens de vous expliciter, il convient d'en faire un facteur

17 favorable à notre client.

18 Il y a également une question juridique, ou légèrement juridique qu'il

19 convient que j'aborde, et qui se trouve dans le mémoire de l'Accusation.

20 C'est son rôle de dirigeant qui constitue une circonstance aggravante.

21 Disons, en terme simple, qu'il faut se reporter à l'opinion récemment

22 donnée dans Mrdja, il y a deux jours seulement, selon lequel un rôle de

23 dirigeant politique et civil n'est pas en soi une circonstance aggravante,

24 parce qu'il faut se baser sur les éléments constitutifs de chaque affaire.

25 Les Juges dans cette affaire ont cité un certain nombre d'autres procès,

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1 mais je pense qu'il faut s'attacher aux détails et aux spécificités de

2 l'affaire.

3 La meilleure manière d'aborder la question c'est de se demander s'il était

4 dirigeant de l'entreprise criminelle commune ? Certes, si on dirige

5 l'entreprise criminelle commune, on peut considérer qu'il s'agit d'une

6 circonstance aggravante; cependant, si on parle simplement d'un dirigeant

7 politique qui a participé à l'entreprise sans en être à l'origine, à ce

8 moment-là, on ne peut pas considérer que ce soit une circonstance

9 aggravante.

10 La circonstance atténuante la plus importante, sans doute, c'est la

11 coopération qui, bien entendu, va de pair avec le plaidoyer de culpabilité,

12 qui va de pair, bien entendu, avec l'affirmation, l'allégation peut-être de

13 remords. Je pense que la jurisprudence est excellente à cet égard. Elle

14 doit décider elle-même, déterminer si les remords exprimés sont sincères.

15 Ceci montre que lorsqu'on coopère, après plaidoyer de culpabilité, il est

16 possible qu'on exprime des remords pour montrer que l'on a vraiment

17 coopéré, mais que, finalement, à y regarder de plus près ces remords ne

18 sont que larmes de crocodile.

19 Une fois encore la coopération substantielle est au cœur des débats, mais

20 inutile d'insister plus avant sur l'importance de cette coopération.

21 Cependant, au moment de déterminer la peine, à toute chose égale, si la

22 Chambre souhaite comparer Plavsic et Babic, elle peut le faire sachant que

23 chaque affaire est unique en son genre. Je ne saurais dire le contraire.

24 Mais il faut dire qu'elle a refusé. Elle a refusé. On peut exprimer des

25 remords, mais on n'a pas pour autant dire qu'il s'agissait là d'une

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1 circonstance aggravante. Ceci est débattu dans la jurisprudence, et

2 effectivement tout individu a le droit de prendre ce genre de décision.

3 Si j'avais été l'Accusation, j'aurais quant à moi estimé que cela avait

4 sapé tout ce qui a été fait précédemment. Je ne veux pas ici pointer un

5 doigt accusateur sur quelqu'un qui n'est pas là. Je pense, cependant, qu'il

6 faut tenir compte de cela au moment de décider de la peine à prononcer

7 contre M. Babic, parce que lui il est d'une sincérité totale. Il s'est

8 impliqué totalement dans ce qu'il a fait. Il a dit tout ce qu'il savait. Au

9 moment de faire des calculs pour déterminer comment cela se reflétait dans

10 sa peine, il faut en tenir compte que sa peine doit être nettement

11 inférieur à celle qui a été prononcé contre elle. Par "nettement", je ne

12 sais pas exactement comment -- ce que j'entends, mais ce que je veux dire,

13 c'est qu'il faut tenir compte absolument de ce facteur au moment de

14 déterminer sa peine à lui.

15 Hier, M. Whiting, et aujourd'hui Mme Uertz-Retzlaff -- je vais vous relire

16 les propos de M. Whiting, qui étaient tout à fait bien choisi. Je cite :

17 "Dans la recherche de la vérité, la vérité inconfortable ou difficile à

18 accepter, c'est que seul ceux qui ont joué un rôle dans les crimes peuvent

19 permettre d'arriver à la vérité, sur ce qui s'est effectivement produit, et

20 sur les responsables. Pour cette raison, ce qu'a fait l'accusé doit être

21 encouragé par le Tribunal, et d'autres qui occupaient les mêmes positions

22 doivent être encouragés à faire de même, et a comprendre qu'il est

23 important, qu'il est utile, d'endosser ces responsabilités de dire la

24 vérité." La peine que vous prononcerez à l'encontre de Milan Babic ira dans

25 ce sens, et donnera précisément ce message.

Page 244

1 Autre effet de cette peine prononcée, c'est que ce sera une manière pour

2 les Juges de dire : "Oui, voilà comment nous avons apprécié ce que vous

3 avez fait." Bien entendu, cela va sans dire, le plus la peine sera légère,

4 plus on encouragera ceux qui sont concernés, les intéressés, à se

5 présenter.

6 Je ne serais le répéter trop : même si le Tribunal devait faire preuve de

7 clémence à son égard, ceci ne diminuerait pas pour autant la gravité des

8 crimes dont il a été reconnu coupable. Il ne s'agit nullement, en

9 prononçant une peine clémente, de dire qu'il n'était pas responsable. Il

10 s'agit simplement de faire preuve d'humanité. Ceci, je pense, est assez

11 claire.

12 Pour finir, je vais citer des propos qui sans doute diront mieux que je

13 n'aurais pu le faire ce que je veux exprimer. Mardi dernier, l'opinion

14 relative à l'affaire Deronjic a été publiée, avec l'opinion séparée du Juge

15 Mumba, qui a dit, je cite : "La justice internationale dans des affaires

16 semblables à celle-ci, à celle du Tribunal, n'a pas pour objectif un

17 châtiment injuste. Si c'était le cas, l'humanité devrait oublier toute idée

18 de réconciliation et de paix, qui en est la conséquence inévitable.

19 J'estime, quant à moi, que le Tribunal n'est pas là pour effectuer un œuvre

20 de vengeance, et qu'on ne peut vaincre la haine par la haine. La vengeance

21 peut se manifester si on prononce une peine trop lourde à l'encontre d'un

22 accusé qui a plaidé coupable. J'estime humblement que la réinsertion, la

23 réhabilitation, après le trouble, peuvent permettre de réduire

24 l'instabilité politique et les conflits sur la planète."

25 Je remercie le Tribunal pour la possibilité qui m'a été donné de participer

Page 245

1 à ce procès historique. Je remercie le bureau du Procureur pour la manière

2 très honorable dont il s'est comporté. Je remercie Babic, car j'ai eu

3 l'honneur de représenter ces intérêts.

4 J'espère que mon intervention pourra être utile aux Juges dans la tâche

5 très difficile qui les attends.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Fogelnest.

7 J'ai une question à vous poser. Vous avez fait référence à une décision

8 récente, rendue dans l'affaire Mrdja, sur la reconnaissance des dirigeants

9 à des postes politiques importants, constituant une circonstance

10 aggravante.

11 M. FOGELNEST : [interprétation] Encore une fois, il ne s'agit pas de

12 l'affaire Mrdja.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, il s'agit de l'affaire Deronjic, au

14 paragraphe 195.

15 Je souhaitais simplement vérifier. Je vous ai posé la question pour pouvoir

16 vérifier.

17 Nous avons quasiment terminé cette audience portant sur le prononcé de la

18 peine.

19 Monsieur Babic, tout ceci vous concernait. La Chambre devra déterminer la

20 peine vous concernant. Souhaitez-vous ajouter quelque chose eu égard à ce

21 qui a été dit déjà aujourd'hui devant ce Tribunal ? Bon nombre de choses

22 sont déjà été dites. Vous avez la parole.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. J'ai dit que je

24 suis entre vos mains. Merci.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Babic.

Page 246

1 Nous devons prendre une décision sur la recevabilité des pièces versées par

2 l'Accusation au dossier. Aucune pièce n'a été versée par la Défense au

3 cours de cette audience.

4 Monsieur l'Huissier, je vous demanderais de bien vouloir nous donner les

5 numéros PS. Monsieur le Greffier, s'il vous plaît, ce qu'ils représentent,

6 de façon à ce que nous puissions nous prononcer là-dessus. Avant de se

7 faire, je vais demander à l'Accusation si la numérotation des paragraphes

8 est maintenant correcte. Est-ce que vous avez pu apporter mes indications

9 et corriger cela ?

10 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Mme Karper a une version corrigée

11 ici, et les paragraphes sont re-numérotés.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous, je vous prie, me les

13 remettre, par l'intermédiaire de l'Huissier ? Pourriez-vous les remettre,

14 Monsieur le Greffier, je vous prie.

15 Ceci remplacera, par conséquent -- oui -- non -- les déclarations que nous

16 avions déjà à notre disposition, dans la nouvelle version que vous nous

17 avez remise, il y a des nouveaux numéros ERN, parce qu'il s'agit d'un

18 document différent. Monsieur le Greffier, je vous demande de bien vouloir

19 annoncer les éléments qui ont été présentés ici, de façon que nous

20 puissions rendre notre décision.

21 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les

22 Juges, les pièces présentées hier par l'Accusation sont comme suit :

23 PS1 constitue la déclaration expurgée de cinq témoins.

24 PS2 est une carte de la Republika Srpska en 1993. PS2.11 [comme

25 interprété], traduction de cette carte. Pièce PS2.1B, le texte en version

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1 B/C/S de cette carte.

2 Les personnes parties, disparues, déplacées, personnes tuées en République

3 de Croatie pendant la guerre 1990-1994 [comme interprété].

4 PS4, extrait des citations de l'accusé Milan Babic lors de son témoignage,

5 et des entretiens avec le bureau du Procureur.

6 Pièce PS5 est la retranscription du témoignage de Peter Woodrow Galbraith

7 dans l'accusation contre Slobodan Milosevic, 25 et 26 juin 2003.

8 PS6, liste de documents présentés par M. Milan Babic au Procureur dans

9 l'affaire contre Slobodan Milosevic.

10 Pièce PS7, CD-ROM, retranscription intégrale du témoignage de M. Milan

11 Babic dans l'affaire IT-02-54-T, l'Accusation contre Slobodan Milosevic, et

12 entretien avec le bureau du Procureur.

13 Pour finir, la pièce PS8, le rapport de l'expert, Dr Mladen Loncar, y

14 compris son curriculum vitae.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] PS1 n'est pas la version qui a été

16 versée au dossier hier, mais PS1 est la version qui a été présentée par le

17 Greffier aujourd'hui. Il s'agit d'une nouvelle version, et la numérotation

18 des paragraphes est identique dans les différentes langues.

19 Etant donné qu'il n'y a pas d'objection, à cet égard, je ne m'y attendais

20 pas. Ces pièces sont par conséquent versées au dossier.

21 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Monsieur le Président, juste un point

22 que j'aimerais soulever, la pièce PS6 -- la pièce 6 doit comporter une

23 liste de documents, il me semble --

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Pièce communiquée, je ne crois pas

25 seulement --

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1 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Il s'agit de deux listes de

2 documents. Une de ces listes a été utilisée dans l'entretien, et l'autre au

3 cours du témoignage.

4 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous apporterons les corrections

5 nécessaires, Madame le Procureur.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ceci a été corrigé. La pièce 6, il

7 s'agit de deux listes qui ont été versées au dossier.

8 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Un seul point, une omission de ma

9 part. Le Dr Loncar, hier, m'a donné le titre de son ouvrage, et que j'ai

10 dans mon bureau. Il a également précisé qu'il nous enverrait par télécopie

11 lundi d'autres références à son interview, et à différentes sources

12 bibliographiques.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

14 Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] nous allons demander à ce que ces

15 titres, et cet ouvrage soit versé lundi.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est la Défense en est d'accord, cela

17 signifie que vous devriez faire votre demande par écrit auprès de la

18 Chambre pour qu'elle puisse tenir -- prendre en compte ces éléments

19 lorsqu'elle rendra sa décision portant sur la sentence. Bien sûr, la

20 Défense est en droit de s'y opposer.

21 M. MUELLER : [interprétation] Oui, tout à fait. Très bien.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Mueller.

23 C'est ce qui signifie que nous sommes arrivés à la fin de l'audience

24 portant sur le prononcé de la peine. La Chambre va rendre son jugement

25 portant sur la condamnation en temps et en heure, et présentera une

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1 ordonnance portant calendrier avant cela. Je ne peux vous dire combien du

2 temps cela nous prendra, nous allons analyser tout cela avec beaucoup de

3 sérieux et, de part et d'autres, les parties nous vous remercions, et nous

4 allons essayer de le faire le plus rapidement possible.

5 L'audience est levée.

6 --- L'audience sentencielle est levée à 12 heures 48.

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