Affaire n° : IT-02-60-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Devant :
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
31 août 2005

LE PROCUREUR

c/

VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC

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DÉCISION RELATIVE À LA NOUVELLE REQUÊTE DE DRAGAN JOKIC AUX FINS DU REPORT DE LA DATE LIMITE DE DÉPÔT DE SON MÉMOIRE D’APPEL

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Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils des Appelants :

Mme Cynthia Sinatra et M. Christopher Staker, pour Dragan Jokic
M. Vladimir Domazet, pour Vidoje Blagojevic

 

1. La Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international ») est saisie des appels interjetés contre le jugement rendu oralement le 17 janvier 2005 et par écrit le 24 janvier 2005 par la Chambre de première instance I dans l’affaire Le Procureur c/ Blagojevic et consorts n° IT-02-60 (le « Jugement »). Les deux appelants, Vidoje Blagojevic et Dragan Jokic, ainsi que l’Accusation ont interjeté appel.

2. Nous, Mohamed Shahabuddeen, avons été désigné Juge de la mise en état en appel en l’espèce en vertu de l’Ordonnance portant désignation de juges dans une affaire dont est saisie la Chambre d’appel, rendue le 14 février 2005.

3. Comme il a été indiqué plus en détail dans une décision antérieure1, « [l]a procédure en appel en l’espèce a pris du retard en raison de plusieurs reports nécessaires ». Le tout dernier report a été accordé dans la décision rendue le 21 juillet 2005, par laquelle le Juge de la mise en état en appel a octroyé 30 jours supplémentaires à Dragan Jokic pour déposer son mémoire d’appel le 13 septembre 2005 au plus tard2.

4. La Chambre d’appel est à présent saisie d’une nouvelle requête aux fins du report de la date limite de dépôt du mémoire d’appel (Supplemental Motion for Extension to File Appeal Brief), déposée par l’appelant Dragan Jokic le 12 août 2005 (la « Nouvelle Requête »), dans laquelle il demande un délai supplémentaire de 75 jours3. Dans sa réponse déposée le 22 août 2005, l’Accusation s’oppose à la demande de Jokic et indique que celui-ci n’a pas présenté de raisons légitimes expliquant pourquoi il n’est pas en mesure de déposer son mémoire d’appel dans le délai de 202 jours qui lui a déjà été accordé. L’Accusation fait également observer que, dans la Nouvelle Requête, l’appelant se contente, pour l’essentiel, de répéter les arguments que la Chambre avait déjà, dans sa décision du 21 juillet 2005, refusé d’admettre comme « motifs convaincants » justifiant un délai supplémentaire. L’appelant n’a déposé aucune réplique.

5. L’article 127 du Règlement de procédure de preuve du Tribunal international (le « Règlement ») dispose que « lorsqu’une requête présente des motifs convaincants », la Chambre d’appel peut « proroger ou raccourcir tout délai prévu par le Règlement ou fixé en vertu de celui-ci ». Dragan Jokic invoque deux raisons pour démontrer que cette condition est remplie. Tout d’abord, il demande à la Chambre d’appel de reconsidérer sa conclusion selon laquelle les éléments de preuve récemment découverts par l’Accusation (les « archives du corps de la Drina ») ne justifient pas de repousser la date limite de dépôt du mémoire d’appel. Enfin, il affirme que l’équipe chargée de sa défense a récemment engagé un nouveau coconseil qui a besoin de plus de temps pour prendre connaissance du dossier, des comptes rendus d’audience, des témoignages intéressant l’appel et des moyens de preuve récemment découverts dont la Défense entend demander l’admission en application de l’article 115 du Règlement.

6. La première raison invoquée par Dragan Jokic ne justifie aucun délai supplémentaire. Dans la décision récemment rendue le 21 juillet 2005, la Chambre d’appel a déjà indiqué que les archives du corps de la Drina ne faisaient pas partie du dossier de première instance, et que ces pièces ne présentaient d’intérêt pour le présent appel que si les parties pouvaient établir qu’elles devraient être admises en application de l’article 115 du Règlement. Dragan Jokic a plusieurs fois signalé qu’il avait l’intention de déposer une requête en application de l’article 115 quand l’Accusation aura fini de lui communiquer l’ensemble des archives du corps de la Drina4. Or la Chambre d’appel a déjà indiqué clairement que l’intention exprimée par un appelant de présenter, à l’avenir, une requête en application de l’article 115 du Règlement ne constitue pas un motif convaincant pour repousser la date limite de dépôt d’un mémoire d’appel5. Le report de cette échéance n’est pas non plus justifié parce qu’une partie des archives du corps de la Drina ne pourra être consultée par la Défense via le Système électronique de communication des preuves (EDS) avant fin septembre 20056 ni parce que la Défense a du mal à obtenir la traduction des documents relatifs aux archives du corps de la Drina récemment communiqués sur cédéroms. Si l’appelant dépose à l’avenir une requête aux fins de présenter des moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement, il pourra toujours invoquer le retard pris dans la traduction de certains documents pour justifier le dépôt de cette requête au-delà du délai imparti, à savoir 75 jours à compter de la date du Jugement. En tout état de cause, ce n’est qu’à ce stade de la procédure qu’il faudra traiter cette question.

7. En conséquence, la première raison invoquée par Dragan Jokic ne constitue pas un « motif convaincant » au sens de l’article 127 du Règlement. En outre, pour que sa demande de réexamen soit accueillie, l’appelant aurait dû « démontrer à la Chambre d’appel que le raisonnement de la décision [attaquée] comport[ait] une erreur manifeste ou que des circonstances particulières justifi[aient] son réexamen afin d’éviter une injustice »7. Or, l’appelant n’a rien démontré de tel.

8. De même, le fait d’avoir récemment engagé un coconseil ne constitue pas un motif convaincant justifiant un délai supplémentaire. Dragan Jokic avance que les nouvelles recrues de l’équipe de la Défense ont besoin de plus de temps pour prendre connaissance du dossier, des comptes rendus d’audience, des témoignages intéressant l’appel et des moyens de preuve récemment découverts dont la Défense demandera l’admission en application de l’article 115 du Règlement8. Toutefois, l’appelant n’explique pas pourquoi son conseil principal ne sera pas en mesure de terminer le mémoire d’appel 202 jours après que le Jugement a été rendu en anglais et 67 jours après que sa version en b/c/s a été communiquée à l’appelant. Le conseil n’a pas démontré qu’avant d’engager de nouvelles recrues, l’équipe de la Défense était incapable de tenir les délais. Mme Cynthia Sinatra, qui était conseil de la Défense pendant une partie du procès en première instance, a déposé l’acte d’appel où il est fait mention des erreurs alléguées dans le Jugement, et elle a en outre été assistée d’un juriste qui a une bonne expérience des recours formés devant le Tribunal. Le fait d’engager un nouveau coconseil pour examiner des moyens de preuve supplémentaires devrait, tout au moins, l’aider à se consacrer pleinement à la rédaction du mémoire d’appel afin de déposer celui-ci dans les délais. Ainsi, le fait d’engager de nouvelles recrues ne constitue pas un motif convaincant justifiant un délai supplémentaire.

9. En conséquence, aucun des arguments présentés par Dragan Jokic ne constitue un « motif convaincant » au sens de l’article 127 du Rcglement pour repousser de nouveau la date limite de dépôt de son mémoire d’appel.

Dispositif

La Nouvelle Requête de Dragan Jokic est REJETÉE.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 31 août 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état en appel
______________
Mohamed Shahabuddeen

[Sceau du Tribunal international]


1. Décision relative aux requêtes des appelants aux fins du report de la date limite de dépôt de leurs réponses au mémoire d’appel du Procureur, 31 mai 2005.
2. Décision relative aux requêtes de Vidoje Blagojevic et de Dragan Jokic aux fins du report de la date limite de dépôt de leurs mémoires d’appel, 21 juillet 2005, par. 23.
3. Voir Defence of Vidoje Blagojevic Motion for Extension of Time in which to file his Appellant’s Brief, déposé le 30 juin 2005 (« Requête de Blagojevic ») ; Dragan Jokic’s Motion for Extension of Time to File Appeal Brief, déposé le 2 juillet 2005 (« Requête de Jokic »).
4. Compte rendu de la conférence de mise en état du 17 juin 2005, p. 24 et 25 ; Appellant’s Supplemental Motion for Extension of Time to File Appeal Brief, 12 août 2005, par. 6.
5. Décision du 14 avril, p. 5.
6. Comme l’affirme l’Accusation – ce que Dragan Jokic ne conteste pas – le 5 juillet 2005, plus de 130 000 pages d’archives du corps de la Drina avaient, semble-t-il, déjà été communiquées à la Défense via le système EDS. Prosecutor’s Response to Jokic’s Supplemental Motion for Extension of Time to File Appeal Brief, 22 août 2005, par. 7.
7. Le Procureur c/ Galic, n° IT-98-29-A, « Décision relative à la demande de réexamen déposée par la Défense », 16 juillet 2004, p. 3 et 4.
8. Appellant’s Supplemental Motion for Extension of Time to File Appeal Brief, 12 août 2005, par. 6.