LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A
Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le Juge Carmen María Argibay
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
18 décembre 2003
LE PROCUREUR
c/
VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC
Le Bureau du Procureur :
M. Peter McCloskey
Les Conseils des Accusés :
M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic, pour Vidoje Blagojevic
M. Miodrag Stojanovic et Mme Cynthia Sinatra, pour Dragan Jokic
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A, (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») est saisie d’une requête déposée par l’Accusation le 17 novembre 2003 aux fins d’admettre au dossier des transcriptions de communications interceptées (la « Requête »1), requête à laquelle les conseils de Dragan Jokic (la « Défense ») ont répliqué par un document déposé sur autorisation de la Chambre le 12 novembre 2003 (la « Réplique » 2). La Chambre de première instance est également saisie d’objections soulevées par la Défense au sujet des interceptions (Objections to Intercept Evidence), déposées le 17 novembre 2003 (les « Objections »3), auxquelles le Procureur a répondu le 24 novembre 2003 (la « Réponse »4). Enfin, la Chambre est saisie d’une requête présentée oralement par le Procureur le 16 décembre 2003 aux fins d’admettre au dossier deux pièces à conviction (la « Requête orale »5).
Ayant examiné les conclusions et les arguments des parties, la Chambre de première instance rend sa Décision.
1. Par sa Requête, le Procureur demande l’admission au dossier des documents suivants :
1) des communications de la VRS interceptées (les « interceptions »), auxquelles ont été attribuées les cotes provisoires P170 à P317,
2) des cahiers manuscrits où les communications interceptées ont été transcrites par les opérateurs des unités d’interception de l’Armée de BosnieHerzégovine (l’ « ABiH ») et de l’Agence de recherche et de documentation de la Fédération de Bosnie Herzégovine (la « SDB »)6, auxquels ont été attribuées les cotes provisoires P322 à P345, et
3) un index annoté des interceptions en la possession de la SDB, auquel a été attribuée la cote provisoire P347.
Par sa Requête orale, le Procureur demande également l’admission au dossier de deux pièces à conviction liées aux interceptions : la pièce portant la cote provisoire P121B, qui est un cahier manuscrit d’une unité d’interception tactique de l’ABiH ayant opéré à Dekic en juillet 1995, et la pièce portant la cote provisoire P122B , constituée d’un ensemble de transcriptions manuscrites sur feuilles volantes, établies par une unité d’interception tactique qui a opéré à Gradina en juillet 19957.
2. La Défense s’est opposée à l’admission de ces pièces, au motif qu’elles n’ont pas l’authenticité et la fiabilité requises en application du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »8). Le conseil de Vidoje Blagojevic n’ont pas présenté de conclusions écrites sur l’admissibilité de ces pièces.
3. Dans sa Réponse aux Objections de la Défense, le Procureur affirme que les pièces dont l’admission est demandée dans la Requête satisfont aux conditions énoncées dans le Règlement.
4. Le Procureur se réfère à l’article 89 C) du Règlement et déclare que les éléments de preuve en question ont principalement trait à des communications entre des officiers et des soldats appartenant à l’état-major général de la VRS, au corps de la Drina et à des brigades subordonnées. Ces communications ont eu lieu pendant la chute de Srebrenica et pendant les semaines qui ont précédé et suivi. Le Procureur estime donc que ces éléments de preuve satisfont à la condition de pertinence posée par l’article 89 C) du Règlement9. Il considère que, prises dans leur ensemble, « les communications interceptées rendent compte de laparticipation militaire de la VRS à l’attaque de Srebrenica ainsi que des événements qui ont suivi, et constituent une part importante de la panoplie des éléments de preuve à charge à présenter »10.
5. Le Procureur affirme que la fiabilité des interceptions a été établie par des témoins qui ont travaillé durant la guerre comme superviseurs et opérateurs d’écoutes dans l’ABiH et la SDB, à Okresanica et Konjuh. À cet égard, le Procureur se réfère aux procédures utilisées pour écouter, enregistrer, transcrire et transmettre au quartier général les communications de la VRS, procédures qui, à son avis, « garantissent une exactitude et une fiabilité maximales »11. Le Procureur déclare que l’ABiH était très consciente de la nécessité de transcrire fidèlement les communications interceptées, car il arrivait fréquemment que celles -ci influent sur les décisions militaires stratégiques12. Le Procureur souligne également que les vingt-trois cahiers, dans lesquels les interceptions ont été initialement transcrites à la main, ont tous été authentifiés par des témoins qui y ont reconnu leur propre écriture et ont confirmé qu’elles avaient bien été transcrites à l’époque des faits, en 1995. S’agissant des communications interceptées par l’unité de la SDB à Okresanica, le Procureur se réfère au document portant la cote provisoire P347, qui comprend vingt-huit conversations à propos desquelles le témoin P118, chef de section à l’unité d’interception de la SDB à Okresanica, a confirmé qu’elles avaient bien été traitées par son unité en 199513.
6. Pour ce qui est de la fiabilité des interceptions, le Procureur signale l’existence au sein du Bureau du Procureur d’un projet connu sous le nom de « Intercept Project ». Dans le cadre de ce projet, les membres du Bureau du Procureur ont testé l’exactitude et la fiabilité des interceptions et des pièces connexes « en procédant de façon indépendante à une vérification de leur contenu »14. Ils ont en particulier comparé la « cohérence entre les cahiers de notes et les rapports dactylographiés », ils ont comparé et vérifié les interceptions à partir de documents et d’informations reçus d’autres sources, notamment « des images aériennes , des documents saisis auprès de la VRS et du Ministère de la Défense de RS ou obtenus par d’autres moyens auprès de ces organes, ainsi que des informations obtenues de la FORPRONU »15.
7. Le Procureur évoque également le parcours des cahiers originaux et affirme que « la règle du parcours est essentiellement une variante du principe selon lequel l’élément de preuve matériel doit être authentifié avant d’être admis au dossier »16. Il affirme en outre qu’aux termes de la Directive pour l’admission d’éléments de preuve17 (la « Directive ») « aucune exclusion n’est possible du simple fait que chacun des opérateurs n’a pas été appelé à témoigner en personne au cours du procès »18.
8. Enfin, le Procureur soutient que c’est au moment de déterminer le poids à accorder aux interceptions, et non pas au moment de décider s’il faut ou non les admettre au dossier, qu’il faut tenir compte de toutes considérations relatives à leur authenticité et à leur fiabilité.
9. La Défense avance que le Procureur n’a pas « établi l’existence d’indices suffisants de fiabilité »19. La Défense affirme qu’au lieu de présenter en l’espèce les enregistrements originaux des conversations interceptées, le Procureur « présente des preuves indirectes de la teneur des conversations qui auraient été transcrites par des inconnus ou par des membres du personnel qui ne transcrivaient pas fidèlement les conversations, avec un matériel peu performant et sans véritable formation en la matière »20. La Défense en conclut qu’il n’est pas possible de vérifier « la précision des enregistrements , la fiabilité du matériel, la fidélité des transcriptions ni l’exactitude des identifications à partir de la voix »21. À cet égard , la Défense prétend que « des éléments de preuve plus fiables sont à la disposition de l’Accusation » et que des témoignages de vive voix « montrent que la JNA, la VRS, l’IFOR, le HOV et les services de renseignements et de surveillance des Etats -Unis possédaient un matériel de surveillance plus perfectionné et plus efficace que le matériel de récupération de l’SABiHC »22. Elle prétend que « SlC’Accusation aurait pu, sur simple demande, obtenir d’autres éléments de preuve qui auraient permis d’établir l’authenticité et la fiabilité des pièces présentées » et que « SlC’absence de telles pièces justificatives en soi est suspecte »23.
10. La Défense avance que les juridictions nationales ont adopté une « attitude stricte » vis-à-vis des enregistrements audio, car les tribunaux nationaux « savent que les enregistrements peuvent être falsifiés »24. Elle affirme que les tribunaux ont ainsi mis l’accent sur « la nécessité de vérifier la totalité des facteurs : les qualifications de l’opérateur, l’état de fonctionnement du matériel, le détenteur de la bande d’enregistrement et l’identification des orateurs sur la bande d’enregistrement »25. À son avis, il ne suffit pas au Procureur de s’appuyer sur des témoignages26.
11. En conclusion, la Défense affirme qu’il est prématuré de statuer sur « l’admissibilité , la fiabilité et l’authenticité » des pièces susmentionnées tant que « tous les éléments de preuve ayant trait à leur fiabilité et à leur authenticité n’ont pas été produits ». Reprenant les termes de l’article 95 du Règlement, elle affirme également que ces éléments de preuve devraient être exclus car les moyens utilisés pour les obtenir entament fortement leur fiabilité et que leur admission irait à l’encontre d’un règlement équitable des questions portées devant la Chambre de première instance et porterait gravement atteinte à l’intégrité du procès.
12. En résumé, le Procureur n’est pas d’accord avec la Défense lorsqu’elle dit qu’il n’a pas été satisfait à la « règle du meilleur élément de preuve » car l’enregistrement audio original n’est pas disponible. À son avis, cette règle, telle qu’elle est énoncée dans la Directive « n’exige pas l’exclusion d’éléments de preuve à l’appui desquels il existe peut-être des pièces plus probantes ou qui peuvent, pour diverses raisons, ne pas être disponibles »27. Le Procureur fait remarquer que la Défense se trompe lorsqu’elle prétend que toutes les interceptions admises au dossier dans l’affaire Le Procureur c/ Radislav Krstic28 ont été communiquées sous leur forme audio originale et il affirme que « sur plus de 100 interceptions admises dans l’affaire Krstic, seule une était disponible »29.
13. Deux dispositions du Règlement sont particulièrement pertinentes au regard des arguments exposés par les parties en l’espèce. La première est l’article 89 du Règlement , qui dispose, en ses passages pertinents, que :
B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les règles d’administration de la preuve propres à parvenir, dans l’esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause.
C) La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante.
D) La Chambre peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable.
La seconde est l’article 95 du Règlement, qui prévoit que :
N’est recevable aucun élément de preuve obtenu par des moyens qui entament fortement sa fiabilité ou si son admission, allant à l’encontre d’une bonne administration de la justice, lui porterait gravement atteinte
14. La Chambre de première instance a adopté des principes directeurs régissant l’admission des éléments de preuve. Elle rappelle que ces principes « sont représentatifs de la jurisprudence du Tribunal et conformes à son Règlement de procédure et de preuve »30. Dans la Directive, les parties sont priées de garder à l’esprit « la distinction fondamentale qui existe entre l’admissibilité d’éléments de preuve documentaires et le poids qui leur est donné en vertu du principe de la libre appréciation des éléments de preuve »31. En d’autres termes , l’admission d’un document en tant qu’élément de preuve ne signifie pas en soi que les informations qui y sont contenues sont nécessairement une représentation exacte des faits32.
15. La disposition générale régissant l’admission des éléments de preuve est l’article 89 C) du Règlement. La Chambre de première instance fait observer que l’approche adoptée est clairement favorable à l’admission des éléments de preuve. Elle est d’avis qu’au moment de décider s’il faut admettre un élément de preuve au dossier , elle doit en déterminer la fiabilité, car si l’élément de preuve n’est pas fiable , il ne peut ni avoir valeur probante ni être pertinent33. Il est donc exclu en vertu de l'article 89 C) du Règlement34. En vue de déterminer la fiabilité des éléments de preuve, la Chambre de première instance en examinera tous les indices. Dans le cas de « déclarations » au sens large du terme, il s’agira notamment de vérifier si elles sont véridiques, volontaires et dignes de foi. Pour déterminer la fiabilité d’un élément de preuve, il faut également tenir compte des circonstances dans lesquelles il est apparu et de son contenu35.
16. La Chambre de première instance examinera la pertinence et la valeur probante des éléments de preuve dont l’admission est demandée. Elle fait observer qu’en application de l’article 89 D) du Règlement, un élément de preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable peut être exclu, même après avoir été admis.
17. Ces deux éléments, la pertinence et la valeur probante, ont un lien particulier . Un élément de preuve qui a « valeur probante » est un élément qui tend à prouver un point litigieux36. De l’avis de la Chambre de première instance, la pertinence exige donc implicitement une certaine force probante. Comme il est cité dans la décision de la Chambre de première instance dans l’affaire Le Procureur c/ Dusko Tadic, pour qu’un fait soit pertinent par rapport à un autre :
il doit exister entre eux une connexité, un lien qui permette de supposer par inférence que l’un existe si l’autre existe. Un fait n’est pas pertinent à l’égard d’un autre s’il n’a pas valeur probante réelle par rapport à l’autre37.
18. À cet égard, il est rappelé aux parties que, d’après la Directive, quand des objections sont formulées relativement à la question de l’authenticité, la Chambre de première instance :
suivra la pratique précédemment adoptée par le Tribunal, qui consiste à admettre des documents et des enregistrements vidéo, puis à décider du poids à leur accorder à la lumière de l’ensemble du dossier d’instance38.
La Chambre de première instance va maintenant examiner les éléments de preuve présentés en l’espèce par le Procureur à la lumière des objections formulées par la Défense .
19. La Chambre de première instance est d’avis que les pièces en question susvisées sont toutes pertinentes pour la présente espèce, au sens de l’article 89 C) du Règlement . Les pièces portent directement, du point de vue temporel et géographique, sur les événements qui, d’après l’Acte d’accusation, se seraient déroulés dans les municipalités de Bratunac et de Zvornik à l’époque des faits en 1995. Les pièces concernent également des communications qui auraient eu lieu entre des unités faisant partie de la chaîne de commandement de la VRS. Les pièces satisfont donc au critère requis pour être qualifiées de pertinentes.
20. S’agissant de la fiabilité et de la valeur probante des pièces, la Chambre de première instance va maintenant se livrer à un examen par catégorie d’éléments de preuve.
21. La Défense prétend que les interceptions ne sont ni fiables ni authentiques. La Chambre de première instance a entendu le témoignage de six superviseurs et opérateurs d’écoutes, qui ont travaillé au sein des unités d’interception du 2e Corps de l’ABiH , de la 21e Division de l’ABiH ou de la SDB à Okresanica et à Konjuh39. En outre, le compte rendu dans l’affaire Krstic des témoignages de trois opérateurs d’écoutes ayant servi dans ces unités a été versé au dossier en application de l’article 92 bis D) du Règlement40. La Chambre de première instance fait remarquer que ces témoins décrivent de façon pratiquement identique les méthodes de surveillance, d’écoute, de transcription et de traitement des communications interceptées de la VRS41. La façon dont sont décrites ces méthodes montre que les unités d’interception prenaient leur travail au sérieux et étaient conscientes de la nécessité de transcrire fidèlement les communications interceptées. Il est faux de prétendre, comme le fait la Défense , que les interceptions « auraient été transcrites par des inconnus ».
22. La Chambre de première instance a constaté que les superviseurs et les opérateurs d’écoutes avaient tous des parcours professionnels et des degrés de formation différents . Certains opérateurs d’écoutes s’intéressent depuis longtemps à la radio amateur et ont une formation technique solide42. De nombreux opérateurs d’écoutes ont obtenu une certification de radio professionnelle civile et militaire ou ont une expérience en tant que signaleur dans l’armée43. La Chambre de première instance constate que l’opérateur d’écoutes avec l’expérience la plus brève en interception a quand même assuré des roulements de sept jours dès mars 1995 et tout au long de la période qui nous intéresse44. Cinq témoins ont travaillé comme opérateurs d’écoutes à temps plein pour des durées allant de deux ans à trois ans et demi45. Les deux autres témoins ont travaillé comme opérateurs d’écoutes à partir d’août et de décembre 1994 respectivement, et durant la période qui nous intéresse46.
23. La Chambre de première instance a du mal à trouver, dans ces témoignages, une indication quelconque confirmant ce que prétend la Défense, à savoir que certains des opérateurs d’écoutes « transcrivaient les communications de façon peu fiable ». Il ressort cependant des témoignages qu’en raison des conditions électromagnétiques et géographiques de la zone couverte par les unités d’interception, il n’était pas toujours possible d’entendre l’intégralité des conversations ou tous les participants à une conversation. Toutefois, il ressort clairement des témoignages que les opérateurs d’écoutes à Okresanica et à Konjuh avaient l’habitude de réécouter, avec l’aide de leurs collègues, les enregistrements de communications jusqu’à ce qu’ils en déchiffrent les passages inaudibles. Si ces passages restaient inaudibles, les opérateurs l’indiquaient , dans leurs transcriptions, par des points de suspension47. La Chambre de première instance convient donc que certaines interceptions ne reflètent pas l’intégralité d’une conversation donnée, mais elle ne saurait être d’accord avec la Défense lorsque celle-ci affirme que c’est la preuve que les opérateurs d’écoutes « transcrivaient les communications de façon peu fiable ». Bien au contraire , les moyens employés montrent que les opérateurs d’écoutes étaient conscients qu’il était de la plus haute importance que les conversations soient fidèlement transcrites et que les supputations ne seraient pas acceptées48.
24. La Chambre de première instance s’est vue communiquer des éléments de preuve du « Intercept Project » du Bureau du Procureur, placé sous la direction du témoin Stephanie Frease49. Ce projet était axé sur le recueil et l’analyse de pièces relatives aux interceptions50. Il visait à déterminer la fiabilité des interceptions en les comparant les unes aux autres et en examinant la cohérence existant entre les cahiers manuscrits et les rapports rédigés sur ordinateur à partir de ces cahiers et transmis par l’unité d’interception à l’échelon supérieur51. Le but du projet était également de vérifier le contenu des interceptions en les comparant à d’autres documents, tels que les ordres et les rapports saisis à la VRS ou au Ministère de la défense de Republika Srpska, ou des documents émanant de la FORPRONU, tels que les images aériennes52. Le fait que les rapports de plusieurs communications interceptées par des unités à la fois à Okresanica et à Konjuh ne présentaient que de légères différences a confirmé la fiabilité des interceptions53. D’après le témoin Frease, le projet a permis de conclure que les interceptions étaient « absolument fiables »54.
25. La Défense a ensuite soutenu que le Procureur aurait dû présenter les enregistrements audio originaux, qui, d’après elle, sont à sa disposition, afin de prouver la fiabilité et l’authenticité des interceptions. Elle affirme également que, dans de nombreuses juridictions nationales, les tribunaux considèrent avec scepticisme les enregistrements , car ceux-ci peuvent être falsifiés55. La Chambre de première instance fait observer qu’aucune des parties n’est tenue, en application du Règlement, de présenter des éléments de preuve parfaits. Comme indiqué dans la Directive, il s’agit plutôt d’appliquer « la règle dite du ‘meilleur élément de preuve’ », ce qui signifie que « la Chambre se fondera sur le meilleur élément de preuve disponible dans les circonstances de l’espèce, et il est enjoint aux parties de produire leurs moyens de preuve en tenant compte de ce principe. »56 La Chambre de première instance souligne, dans la Directive, l’opinion qui émane de la jurisprudence et selon laquelle « le critère de l'admission de la preuve ne doit S…C pas être trop strict, car il arrive souvent que des documents faisant l'objet d'une demande d'admission n'aient pas pour but de prouver la culpabilité ou l'innocence de l'accusé, mais d'établir un contexte et de compléter l'image formée par les preuves déjà rassemblées »57. Certaines juridictions nationales sont peut-être sceptiques quant à la fiabilité des enregistrements, mais les dispositions du Tribunal régissant l’admission des éléments de preuve, telles qu’interprétées dans la Directive, sont quant à elles plus généreuses. Par conséquent, compte tenu des témoignages et des très nombreux éléments de preuve documentaires en l’espèce, la Chambre de première instance ne voit pas l’utilité d’avoir accès aux enregistrements audio originaux des interceptions . Dans le même ordre d’idée, la Chambre de première instance fait observer que l’affirmation de la Défense selon laquelle les opérateurs d’écoutes, qui ont témoigné en personne au procès, ne pouvaient reconnaître la voix à partir « d’écoutes continues » n’est pas pertinente au regard des requêtes considérées ici58.
26. La Chambre de première instance estime que pour les raisons susmentionnées, notamment en raison de leur degré de précision, de leur cohérence intrinsèque, ainsi que des méthodes employées pour intercepter les communications de la VRS, les interceptions sont, de prime abord, fiables et ont valeur probante au sens du Règlement. La Chambre de première instance n’estime donc pas nécessaire d’examiner l’objection de la Défense selon laquelle les interceptions ont été obtenues par des méthodes qui entament leur fiabilité.
27. Le Procureur demande l’admission de cahiers dans lesquels les conversations interceptées ont été transcrites à la main par les opérateurs d’écoutes. La Chambre de première instance note que ces cahiers n’ont pas été traduits en anglais. Comme elle l’affirme plus haut, la Chambre de première instance estime que ces cahiers sont pertinents pour l’espèce, mais elle ne pense pas qu’ils aient valeur probante sous leur forme actuelle non traduite. Elle constate en outre que le Procureur a présenté une traduction des interceptions qu’il considère pertinentes pour sa cause .
28. Le Procureur demande l’admission au dossier de l’index des interceptions, annoté et authentifié par le témoin P11859. La Chambre de première instance constate que l’index concerne les interceptions susvisées et qu’il est pertinent pour l’espèce. Elle ne voit aucune raison de douter de la fiabilité de cette pièce à conviction et estime que l’index l’aide à établir la fiabilité des transcriptions des communications interceptées par la SDB.
29. Enfin, le Procureur demande l’admission au dossier du cahier manuscrit où figurent les conversations interceptées par l’unité d’interception de l’ABiH à Dekic, ainsi que les transcriptions manuscrites des interceptions de l’unité d’interception de l’ABiH à Gradina. La Chambre de première instance est convaincue que les méthodes employées par les opérateurs d’écoutes pour intercepter les communications, compte tenu notamment de la nature
« tactique » des écoutes et de l’expérience des opérateurs d’écoutes, étaient suffisantes pour produire des transcriptions fiables. La Chambre de première instance note toutefois que les transcriptions des interceptions contenues dans ces pièces à conviction n’ont été traduites, dans le cas de la pièce à conviction P121B, que pour les jours compris entre les 11 et 20 juillet 1995 et, dans le cas de la pièce à conviction P122B, pour les jours suivants : 6 et 7, 11 et 12, et du 17 au 21 juillet 1995. La Chambre de première instance est donc d’avis que seules ces parties sont pertinentes et ont valeur probante en l’espèce.
30. Pour ces raisons, la Chambre de première instance :
4) fait droit à la Requête pour ce qui est de l’admission au dossier des interceptions , portant les cotes P170 à P317, et l’index annoté des interceptions, portant la cote P347, et leur attribue les numéros de pièce à conviction correspondants,
5) fait droit à la Requête orale pour ce qui est de l’admission au dossier des parties traduites des pièces à conviction P121B et P122B et leur attribue les numéros de pièce à conviction correspondants, et
6) rejette la Requête pour ce qui est de l’admission au dossier des cahiers manuscrits des transcriptions et rejette la Requête orale pour ce qui est de l’admission au dossier des parties non traduites des pièces à conviction P121B et P122.
Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.
Le 18 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)
Le Président de la Chambre de première instance
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Liu Daqun
[Sceau du Tribunal]