Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le Juge Carmen Maria Argibay
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
23 avril 2004
LE PROCUREUR
c/
VIDOJE BLAGOJEVIC
DRAGAN JOKIC
DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE CERTIFICATION D’UN APPEL INTERLOCUTOIRE CONTRE LE JUGEMENT RELATIF AUX DEMANDES D’ACQUITTEMENT PRÉSENTÉES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 98 BIS DU RÈGLEMENT
_______________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Peter McCloskey
Les Conseils des Accusés :
M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic pour Vidoje Blagojevic
MM. Miodrag Stojanovic et Branko Lukic pour Dragan Jokic
I. INTRODUCTION
1. La Chambre de première instance I, section A (la « Chambre de première instance »), du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») est saisie d’une requête (Prosecution’s Request for Certification of Interlocutory Appeal of the Trial Chamber’s Judgement on Motions for Acquittal pursuant to Rule 98bis) déposée le 15 avril 2004 (la « Requête »), par laquelle le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») prie la Chambre de première instance de certifier l’appel du « Jugement relatif aux demandes d’acquittement présentées en application de l’article 98 bis du Règlement » (le « Jugement ») rendu le 5 avril 2004, au motif que les questions soulevées dans la Requête satisfont aux conditions de l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »).
2. Par ce Jugement, la Chambre de première instance a partiellement fait droit aux demandes d’acquittement présentées par les Accusés en application de l’article 98 bis du Règlement1 et a, par conséquent, acquitté Vidoje Blagojevic des chefs 2 à 4 de l’acte d’accusation mettant en cause sa responsabilité pénale individuelle au sens de l’article 7 1) du Statut pour avoir planifié, encouragé, ordonné et commis les crimes visés, ainsi que des chefs 5 et 6 de l’acte d’accusation mettant en cause sa responsabilité pénale individuelle au sens de l’article 7 1) du Statut pour avoir planifié, encouragé et ordonné les crimes visés, et Dragan Jokic des chefs 2 à 5 de l’acte d’accusation mettant en cause sa responsabilité pénale individuelle au sens de l’article 7 1) du Statut pour avoir planifié, encouragé et ordonné les crimes visés. Elle a en outre rejeté certaines allégations factuelles figurant dans l’acte d’accusation.
3. L’article 23 du Statut porte sur les sentences rendues par la Chambre de première instance. Dans le cadre de la présente Requête, c’est l’article 98 bis du Règlement qui s’applique (« Demande d’acquittement »), lequel dispose ce qui suit :
A) Un accusé peut déposer une requête aux fins d’acquittement pour une ou plusieurs des infractions figurant dans l’acte d’accusation dans les sept jours suivant la fin de la présentation des moyens à charge et, dans tous les cas, avant la présentation des moyens à décharge en application de l’article 85 A) ii).
B) Si la Chambre de première instance estime que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation pour cette ou ces accusations, elle prononce l’acquittement, à la demande de l’accusé ou d’office*.
4. La disposition du Statut régissant la procédure en appel est l’article 25, qui est ainsi libellé :
1. La Chambre d’appel connaît des recours introduits soit par les personnes condamnées par les Chambres de première instance, soit par le Procureur, pour les motifs suivants :
a) erreur sur un point de droit qui invalide la décision ; ou
b) erreur de fait qui a entraîné un déni de justice.
2. La Chambre d’appel peut confirmer, annuler ou réviser les décisions des Chambres de première instance.
5. L’article 73 du Règlement (« Autres requêtes ») dispose ce qui suit :
A) Chacune des parties peut, à tout moment après que l’affaire a été attribuée à une Chambre de première instance, saisir celle-ci d’une requête, autre qu’une exception préjudicielle, en vue d’une décision ou pour obtenir réparation. Les requêtes peuvent être écrites ou orales au gré de la Chambre de première instance.
B) Les décisions relatives à toutes les requêtes ne pourront pas faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance a certifié l’appel, après avoir vérifié que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure.
C) Les demandes de certification doivent être enregistrées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée. Lorsque cette décision est rendue oralement, la requête doit être déposée dans les sept jours suivant ladite décision, à moins que :
i) la partie attaquant la décision n’ait pas été présente ou représentée lors du prononcé de la décision, auquel cas le délai court à compter du jour où la partie reçoit notification de la décision orale qu’elle entend attaquer ; ou
ii) la Chambre de première instance ait indiqué qu’une décision écrite suivrait, auquel cas le délai court à compter du dépôt de la décision écrite.
Dès lors qu’il est fait droit à la demande de certification, la partie concernée dispose de sept jours pour former un recours auprès de la Chambre d’appel.
6. L’article 108 du Règlement (« Acte d’appel ») dispose ce qui suit :
Une partie qui entend interjeter appel d’un jugement doit, dans les trente jours de son prononcé, déposer un acte d’appel, exposant ses moyens d’appel. L’appelant précise également l’ordonnance ou la décision attaquée, sa date de dépôt et/ou la page du compte rendu d’audience, la nature des erreurs relevées et la mesure sollicitée . La Chambre d’appel peut, s’il est fait état dans la requête de motifs valables , autoriser une modification des moyens d’appel.
7. L’Accusation a déposé sa demande de certification en application de l’article 73 du Règlement. L’article 73 B) dispose que les décisions relatives à toutes les requêtes ne pourront faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance a certifié l’appel, après avoir vérifié que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure. L’article 73 du Règlement a été modifié en 2001 et en 20022, de sorte que les décisions rendues en application de cet article ne peuvent plus faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance a certifié l’appel3.
8. La modification apportée à l’article 73 B) du Règlement lors de la vingt-troisième séance plénière, en avril 2001, incluait expressément les « décisions de rejet prises en vertu de l’article 98 bis, relatif aux demandes d’acquittement » dans la liste non exhaustive des « décisions » relatives à des « requêtes sur l’administration de la preuve et sur la procédure » qui ne peuvent faire l’objet d’un appel interlocutoire , sauf dans les cas où la Chambre de première instance en a certifié la nécessité 4. L’article 73 B), tel que modifié en avril 2001, disposait en outre que ces « décisions » ne pouvant faire l’objet d’un appel interlocutoire « pouvaient constituer des motifs d’appel du jugement final ». Les modifications apportées en juillet 2002 ont supprimé de l’article 73 du Règlement toute référence à l’article 98 bis. En outre, la version actuelle de l’article 73, ne fait plus référence à des décisions ne pouvant faire l’objet d’un appel interlocutoire mais pouvant constituer des motifs d’appel du jugement final.
9. La Chambre de première instance conclut que le paragraphe B) de l’article 73 du Règlement s’applique aux décisions rendues par la Chambre de première instance en application de cet article5.
10. L’Accusation demande la certification de l’appel du Jugement rendu en application de l’article 98 bis du Règlement. L’article 98 bis figure à la section 4 du chapitre sixième du Règlement, intitulée « Jugement ». Le Jugement contesté n’est donc pas une décision rendue en application de l’article 72 ou 73 du Règlement.
11. Lorsqu’il est fait droit, en tout ou en partie, à une requête déposée en application de l’article 98 bis du Règlement, la Chambre de première instance prononce l’« acquittement » (en anglais : shall order the entry of a judgment of acquittal) pour les infractions figurant dans l’acte d’accusation pour lesquelles elle estime que « les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation6 ». L’accusé est alors « renvoyé des fins de la poursuite par une juridiction de jugement7 » et est donc mis hors de cause s’agissant de l’infraction ou des infractions concernées .
12. Comme indiqué plus haut, la Chambre de première instance a prononcé l’acquittement des deux Accusés (« entered judgements of acquittal ») pour certaines formes de responsabilité, pratique dont la Chambre de première instance fait observer qu’il existe des précédents dans certaines affaires8. En outre, la Chambre de première instance a rejeté certaines allégations factuelles figurant dans l’acte d’accusation.
13. L’article 108 du Règlement dispose notamment qu’une partie qui entend interjeter appel d’un jugement doit, dans les trente jours de son prononcé, déposer un acte d’appel, exposant ses moyens d’appel9. Se fondant sur un sens clair du Règlement, et compte tenu des différentes modifications apportées aux articles 72 et 73, la Chambre de première instance estime que l’appel d’un jugement doit être interjeté en vertu de l’article 108 — et non de l’article 73 —, même lorsqu’il s’agit d’un jugement rendu en application de l’article 98 bis10.
14. La Chambre relève qu’une chambre de première instance a examiné des demandes de certification déposées en vertu de l’article 73 du Règlement concernant des jugements rendus en application de l’article 98 bis du Règlement11. Toutefois, la Chambre souscrit à la pratique adoptée dans l’affaire Le Procureur c/ Goran Jelisic, où les parties ont déposé un acte d’appel en application de l’article 108 du Règlement, à la suite d’un jugement rendu en application de l’article 98 bis12. Elle fait observer que, même si l’article 73 du Règlement a été modifié depuis cette affaire, les modifications apportées n’influent ni sur l’article 98 bis du Règlement ni sur la procédure qui doit être suivie pour interjeter appel d’un tel jugement.
15. La Chambre de première instance estime que l’Accusation a commis une erreur en introduisant sa requête en application de l’article 73 du Règlement. En conséquence, elle REJETTE la Requête.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 23 avril 2004
La Haye (Pays-Bas)
__________
Le Président de la Chambre de première instance
Liu Daqun
[Sceau du Tribunal]