Affaire no : IT-95-14-A
LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président

M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Asoka de Zoyka Gunawardana

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
23 mai 2003

LE PROCUREUR

C/

TIHOMIR BLASKIC
_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA « RÉPONSE PRÉLIMINAIRE ET REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE CLARIFICATION CONCERNANT LA DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE CONJOINTE DÉPOSÉE LE 24 JANVIER 2003 PAR HADZIHASANOVIC, ALAGIC ET KUBURA » _____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils de l’Appelant :

M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman

Les Conseils des Requérants :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon, pour Enver Hadzihasanovic
Mme Fahrudin Ibrisimovic et M. Rodney Dixon, pour Amir Kabura

 

I. INTRODUCTION

1. Le 27 janvier 2003, la Chambre d’appel a rendu sa décision relative à la requête conjointe aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic (la «  Décision I »), déposée devant la Chambre d’appel par les accusés Enver Hadžihasanovic , Mehmed Alagic et Amir Kubura (les « Requérants »). Le procès des Requérants n’a pas encore commencé. Par la Décision I, la Chambre d’appel a partiellement fait droit à la requête conjointe déposée par les Requérants et a ordonné que :

a) L’Accusation obtienne le consentement des sources ayant fourni les pièces confidentielles relevant de l’article 70 C) du Règlement et identifiées par celle-ci et par l’appelant Blaskic dans leurs écritures déposées à titre confidentiel devant la Chambre d’appel, avant de les communiquer aux Requérants ;

b) Le Greffe autorise les Requérants à avoir accès à l’ensemble des documents confidentiels, pièces et pièces à conviction versés dans l’affaire Blaskic, y compris les écritures confidentielles postérieures au procès, les mémoires d’appel, et les requêtes déposés en vertu de l’article 115 du Règlement dans le cadre de l’appel Blaskic jusqu’à la date de la présente décision, uniquement lorsque l’Accusation aura obtenu le consentement des sources les ayant fournis, conformément aux dispositions figurant au paragraphe a) ci-dessus - à l’exception 1) de la « Troisième requête de l’appelant aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en appel en vertu de l’article 115 du Règlement » (Appellant’s Third Motion to Admit Additional Evidence on Appeal Pursuant to Rule 115), déposée le 10 juin 2002, 2) de toute écriture relative à ladite requête, 3) des « Moyens et arguments à charge déposés en réplique à des éléments de preuve supplémentaires admis en appel » (Prosecution’s Rebuttal Evidence and Arguments in Response to Additional Evidence Admitted on Appeal ), déposés le 7 janvier 2003, et 4) de toute requête ou décision déposée à titre ex parte dans le cadre du présent appel.

Elle a également indiqué certaines mesures de protection à prendre eu égard aux pièces confidentielles auxquelles les Requérants devaient avoir accès.

2. Le 21 février 2003, l’Accusation a déposé la Réponse préliminaire et Requête de l’Accusation aux fins de clarification concernant la Décision relative à la Requête conjointe déposée le 24 janvier 2003 par Enver Hadžihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura » (la « Requête aux fins de clarification »). L’Accusation y déclare avoir pris des mesures pour se conformer à la Décision I, mais demande à la Chambre d’appel de clarifier deux points au sujet des points a) et b) du dispositif de la Décision I repris ci-dessus. Elle lui demande en outre des conseils sur la procédure à suivre pour traiter le nombre croissant de requêtes aux fins d’accès à des pièces confidentielles déposées « devant le Tribunal »1.

3. Le 21 mars 2003, les Requérants ont conjointement déposé une réponse (la « Réponse  »). Le 26 mars 2003, l’Accusation a déposé sa réplique (la  « Réplique »).

4. Par voie d’ordonnance rendue le 21 mars 2003, la Chambre de première instance a abandonné les poursuites contre l’accusé Mehmed Alagic, après avoir été informée de son décès survenu le 7 mars 2003.

II. LA REQUÊTE AUX FINS DE CLARIFICATION EST-ELLE RECEVABLE ?

5. Les Requérants font observer que la Requête aux fins de clarification a été déposée presque un mois après la Décision I2 et qu’ils sont en contact avec le Greffe pour prendre les dispositions nécessaires en vue d’obtenir les pièces confidentielles aussi rapidement que possible pour préparer leur procès3. Ils soutiennent qu’«  il n’y a pas de pratique reconnue permettant à une partie de répondre à une décision d’une chambre », et que la Décision I « est claire et doit être exécutée  »4. Ils ajoutent que rien dans le Statut , le Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») et les directives pratiques du Tribunal international, ou la Décision I en elle-même, ne fonde l’Accusation à répondre à la Décision I5, et que la Requête aux fins de clarification ne fera que retarder la procédure6. Ils font valoir que les points dont elle demande l’élucidation « soit sont clairement expliqués dans la Décision de la Chambre d’appel, soit peuvent être éclaircis entre les parties sans impliquer davantage la Chambre à ce stade »7. Ils font également observer que la Requête aux fins de clarification a été déposée hors délai, car toute requête aux fins d’infirmer ou de réexaminer la Décision I « en vue d’obtenir sa modification doit être déposée conformément aux règles régissant normalement les appels interjetés de décisions autres que les exceptions préjudicielles , à savoir l’article 73 du Règlement »8. L’Accusation rétorque que la Décision I ne lui imposait pas de délai d’exécution , qu’elle a pris les mesures nécessaires pour s’y conformer9, qu’elle cherche non pas à retarder la procédure, mais à obtenir des clarifications au sujet des garanties de protection et de confidentialité fondamentales offertes aux témoins et aux autres entités ayant participé ou apporté leur contribution à des procès devant le Tribunal10. Elle souligne que les Requérants ont déjà eu accès à des pièces confidentielles volumineuses de l’affaire Blaskic et que leur procès ne s’ouvrira pas « avant des mois  »11. L’Accusation affirme que « si les questions soulevées ne sont pas clarifiées, il sera quelque peu difficile ou problématique d’appliquer la Décision I » et qu’« SelleC a exécuté la décision de la Chambre d’appel dans la mesure de ses possibilités »12.

6. S’agissant de la Requête aux fins de clarification, la Chambre d’appel estime que, s’il est nécessaire d’élucider la Décision I, comme le prétend l’Accusation , une décision en vue de clarification serait dans l’intérêt des deux parties en l’espèce. Quant à la crainte des Requérants que leur procès ne soit retardé, il convient de noter que la Décision I ne fixe pas de date limite pour la communication de l’intégralité des pièces. L’Accusation a également pris certaines mesures en vue de communiquer des pièces en exécution de la Décision I et rien ne prouve qu’en demandant une clarification, l’Accusation cherche à retarder la procédure. En outre , il ne convient pas de considérer la Requête aux fins de clarification comme relevant de l’article 73 du Règlement. La procédure d’appel interlocutoire ne s’étend pas aux décisions rendues par la Chambre d’appel, car ni le Statut ni le Règlement ne prévoit de recours contre ces décisions. La Requête aux fins de clarification est dès lors recevable devant la Chambre d’appel dans la mesure où elle demande des éclaircissements à cette dernière. Lorsqu’elle examinera la requête, la Chambre d’appel s’attachera à déterminer si le point dont on demande la clarification est effectivement formulé en termes vagues dans la Décision I. Si tel est le cas, des éclaircissements seront fournis.

7. La Chambre d’appel fait également observer qu’il ressort de certains des arguments présentés dans la Requête aux fins de clarification que ce que souhaite en réalité l’Accusation, c’est qu’il soit procédé à un nouvel examen de la décision. À cet égard, la Chambre d’appel rappelle qu’une chambre « peut reconsidérer une décision lorsqu’elle est persuadée que sa décision antérieure n’est pas fondée et a entraîné un préjudice, et pas uniquement dans le cas où les circonstances auraient changé »13. Elle souligne en outre que «  SlCa décision d’une chambre de réexaminer ou non relève, en soi, du pouvoir souverain d’appréciation qui lui est reconnu »14. En ayant ces principes à l’esprit, la Chambre d’appel aborde à présent les arguments des parties.

III. POINT A) DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION I

A. Le point a) concerne-t-il les pièces confidentielles déposées avant , pendant et après le procès en première instance ?

8. L’Accusation déclare comprendre que 1) les Requérants demandent d’avoir accès à des pièces confidentielles (comptes rendus d’audiences et pièces à conviction) dans l’ensemble de l’affaire Blaskic, y compris la procédure en appel ; et 2) la Décision I autorise l’accès à des pièces confidentielles dans l’intégralité de l’affaire Blaskic, y compris l’appel15. Elle demande à la Chambre d’appel de préciser, dans l’intérêt des deux parties et du Greffe, si les obligations exposées au point a) du dispositif de la Décision I concernent les pièces confidentielles déposées avant, pendant et après le procès en première instance. Les Requérants répondent que la Décision I est claire sur ce point et qu’ils sont habilités à obtenir du Greffe l’accès à toutes les pièces confidentielles, y compris les mémoires et les décisions déposés durant la mise en état en appel16.

9. Au point a) du dispositif de la Décision I, figure l’expression « les pièces confidentielles relevant de l’article 70 C) du Règlement » L’article 70 C) dispose que :

Si, après avoir obtenu le consentement de la personne ou de l’organe fournissant des informations au titre du présent article, le Procureur décide de présenter comme éléments de preuve tout témoignage, document ou autres pièces ainsi fournis, la Chambre de première instance, nonobstant les dispositions de l’article 98, ne peut pas ordonner aux parties de produire des éléments de preuve additionnels reçus de la personne ou de l’organe fournissant les informations originelles. Elle ne peut pas non plus, aux fins d’obtenir ces éléments de preuve additionnels, citer cette personne ou un représentant de cet organe comme témoin ou ordonner leur comparution. Une Chambre de première instance ne peut user de son pouvoir aux fins d’ordonner la comparution de témoins ou d’exiger la production de documents pour obtenir ces éléments de preuve additionnels.

La Décision I, d’après son titre, porte sur une requête des Requérants « aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction » de l’affaire Blaskic. Cette expression réapparaît au point b) du dispositif. La Décision I est claire quant aux pièces confidentielles qui sont visées. La Chambre d’appel considère que rien dans l’article 70 du Règlement ne laisse entendre qu’il ne s’applique qu’à la phase de mise en état en appel. De par leur nature, les pièces visées par l’article 70 C), et forcément par l’article 70, peuvent apparaître au stade à la phase de mise en état, durant le procès ou au stade de l’appel. La Chambre d’appel estime donc que l’expression « les pièces confidentielles relevant de l’article 70 C) du Règlement » s’applique aux pièces relevant de l’article 70 et présentées à toutes les étapes d’une instance, y compris en appel.

B. Les pièces produites en application de l’article 70 C) du Règlement au nom de l’Appelant Tihomir Blaskic

10. L’Accusation affirme que si elle est bien placée pour contacter les sources ayant fourni les pièces confidentielles relevant de l’article 70 C) du Règlement dans le cadre de la présentation des moyens de l’Accusation, « elle ne l’est en revanche pas pour le faire au nom de l’Appelant Tihomir Blaskic »17. Les Requérants répondent que « cela va de soi »18. L’Accusation réplique qu’il est nécessaire de clarifier la Décision I, car elle « n’aborde pas la question des pièces relevant de l’article 70 du Règlement utilisées dans le cadre de la présentation des moyens de la Défense dans l’affaire Blaskic  »19.

11. Il apparaît que les parties s’accordent à dire que c’est au conseil de l’Appelant qu’il appartient de demander l’autorisation de divulguer des pièces relevant de l’article 70 du Règlement qui se trouvent en la possession de l’Appelant Blaskic . La Chambre d’appel note que la portée de l’article 70 du Règlement ne se limite pas aux informations pertinentes détenues par l’Accusation. L’article 70 F) du Règlement est clair à cet égard :

La Chambre de première instance peut ordonner, à la demande de l’accusé ou du conseil de la défense que, dans l’intérêt de la justice, les dispositions du présent article s’appliquent mutatis mutandis à des informations spécifiques détenues par l’accusé.20

12. Si, dans l’affaire Blaskic, il existe des pièces en la possession de l’Appelant Blaskic qui entrent dans le cadre de l’article 70 du Règlement, le point a) du dispositif de la Décision I s’applique à l’Appelant Blaskic (par l’intermédiaire de son conseil).

C. Le rôle du Greffe dans l’exécution du point a) du dispositif

13. L’Accusation fait valoir que, tandis qu’il incombe aux parties de déterminer , parmi les pièces de leurs dossiers, lesquelles relèvent de l’article 70 C) du Règlement, « c’est au Greffe et non pas à l’Accusation qu’il appartient de ‘communiquer’ aux Requérants les pièces du dossier de première instance et d’appel dans l’affaire Blaskic »21. Elle ajoute qu’ « il est souhaitable que toutes les pièces que les Requérants sont en droit de recevoir leur soient fournies par une seule source afin d’éviter la confusion et le non-respect involontaire des mesures de protection et expurgations éventuellement ordonnées  »22. Elle reconnaît que le libellé du point b) du dispositif de la Décision I est clair, mais estime que celui du point a) ne l’est pas23. Les Requérants répondent qu’« aucune partie n’a jamais contesté » le fait que c’est au Greffe qu’il appartient de fournir les pièces relevant de l’article 70 du Règlement une fois que les parties ont obtenu le consentement nécessaire, et qu’ils ont déjà contacté le Greffe en vue d’obtenir l’accès à toutes les pièces confidentielles24.

14. Aux termes du point b) du dispositif, le Greffe doit communiquer « toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic »25. L’article 70 du Règlement dispose qu’il appartient aux parties d’obtenir le consentement de la personne ou de l’organe ayant fourni les pièces relevant de l’article 70 du Règlement. Celles-ci peuvent ensuite être communiquées soit par la partie qui les détient, soit par le Greffe, à la demande d’une partie, après que celle-ci a informé ce dernier que les personnes ou organes ayant fourni lesdites pièces ont consenti à leur communication dans une autre affaire devant le Tribunal international. La partie concernée peut choisir entre ces deux formes de communication dans le respect de l’article 70 du Règlement. Mais en l’espèce, le libellé du point b) du dispositif ne laisse pas le choix : c’est aux parties d’obtenir le consentement des personnes ou organes ayant fourni les pièces relevant de l’article 70 du Règlement, et c’est au Greffe que les parties doivent demander l’autorisation de consulter les pièces après avoir obtenu le consentement nécessaire.

IV. DEMANDE DE CLARIFICATION AU SUJET DU POINT B) DU DISPOSITIF

A. Les écritures déposées à titre inter partes avant l’appel et les décisions rendues par la Chambre de première instance sont-elles couvertes  ?

15. L’Accusation fait observer que, « comme il ressort de son intitulé », la requête aux fins d’accès déposée antérieurement par les Requérants en l’espèce « ne porte que sur les comptes rendus des dépositions de témoins et sur les pièces à convictions », et qu’« elle ne précise pas si les écritures déposées durant la mise en état ou durant le procès en première instance font partie des pièces dont l’accès est sollicité »26. Elle ajoute que si la Décision I devait être considérée comme recouvrant toutes les écritures confidentielles et les décisions de la Chambre de première instance, « l’Accusation aurait besoin d’un délai supplémentaire pour examiner les écritures et décisions antérieures à la phase d’appel »27. Les Requérants répondent que la Décision I est claire sur ce point ; que l’Accusation n’a aucune raison de dire à la Chambre d’appel qu’elle part du principe que seuls les comptes rendus d’audience et les pièces à conviction antérieurs à la phase d’appel seront communiqués ; et qu’ils sont habilités à obtenir du Greffe l’accès à toutes les pièces confidentielles, y compris les écritures et décisions rendues durant la mise en état en appel28. Ils reconnaissent toutefois que la Décision I a refusé l’accès à certaines pièces, notamment des écritures et des décisions ex parte29. L’Accusation réplique que les Requérants n’ont pas répondu à ses arguments et que des clarifications sont nécessaires à cet égard30.

16. Le point b) du dispositif de la Décision I prévoit que le Greffe autorise les Requérants à avoir accès à l’ensemble des « documents confidentiels, pièces et pièces à conviction », notamment les mémoires d’appel et les requêtes aux fins d’admission d’éléments de preuve supplémentaires, sauf exceptions. La Décision ne se limite pas aux comptes rendus d’audience et aux pièces à conviction déposées au stade de la mise en état en appel. L’intitulé de la requête originale des Requérants, qui fait l’objet de la Décision I, comprend peut-être bien l’expression « toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction », mais le corps de la requête est plus explicite, en ce que les Requérants y sollicitent les mesures suivantes :

1. La délivrance d’une ordonnance enjoignant au Greffe de communiquer à la Défense dans l’affaire Hadžihasanovic et consorts toutes les pièces confidentielles de l’affaire Le Procureur c/ Blaskic déposées jusqu’à la date de la présente Requête, et d’autoriser la consultation et l’utilisation de tous les documents, pièces et pièces à conviction confidentiels dans les mêmes conditions que celles imposées au conseil de la Défense dans cette affaire, ainsi que toutes les autres pièces à conviction présentées dans l’instance contre le général Blaskic.

2. La délivrance d’une ordonnance enjoignant au Greffe de transmettre à la Défense dans l’affaire Hadžihasanovic et consorts tous les comptes rendus d’audience et toutes les pièces à conviction accessibles au public et confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Blaskic.

3. La délivrance d’une ordonnance enjoignant au Greffe de continuer de communiquer à la Défense dans l’affaire Hadžihasanovic et consorts toutes les pièces dont il question aux points 1 et 2 jusqu’à la clôture du procès en appel dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic31.

Au vu des mesures sollicitées, il ne fait aucun doute que les Requérants cherchent à obtenir davantage que les pièces versées au dossier avant et durant le procès en première instance. La Décision I traite les trois types de mesures sollicitées par les Requérants. Même l’Accusation a considéré que la première requête portait sur « toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction »32.

17. On ne sait pas exactement pourquoi l’Accusation a besoin d’un délai supplémentaire pour examiner les requêtes ou décisions de la phase de la mise en état en appel au cas où les Requérants se verraient autorisés à les consulter. Ces documents, déposés inter partes auprès du Greffe dans l’affaire Blaskic, seront communiqués aux Requérants par le Greffe, en exécution du point b) du dispositif de la Décision I, en tant qu’ils font partie du dossier d’appel (qui comprend le dossier de première instance)33. L’autorisation d’accès sera assortie des mesures de protection indiquées dans la Décision I, en plus des mesures de protection existantes ordonnées par la Chambre de première instance . En outre, la Décision I a été rendue par la Chambre d’appel après que la requête déposée par les Requérants lui a été renvoyée par le Président du Tribunal international en application de l’article 75 D) du Règlement tel que modifié le 28 décembre 2001 34. Il ne s’agit donc pas d’une affaire où il est demandé à l’Accusation de communiquer des documents. Cette partie de l’argumentation de l’Accusation est rejetée.

B. Les pièces déposées ex parte et les décisions rendues par la Chambre de première instance avant la procédure en appel sont-elles couvertes par la Décision I ?

18. L’Accusation fait remarquer que la Chambre d’appel, au point b) du dispositif de la Décision I, a refusé aux Requérants l’accès à « toute requête ou décision ex parte dans le cadre du présent appel » et soutient que cette restriction devrait s’appliquer aux documents similaires déposés durant la mise en état en appel 35. Elle entend, en l’espèce, agir sur cette base36. Si son analyse n’est pas la bonne, elle souhaite disposer d’un délai supplémentaire pour examiner ces pièces et déterminer si elles nécessitent de demander des mesures de protection supplémentaires37. Les Requérants se bornent à répondre que le point b) du dispositif est clair38.

19. La Chambre d’appel estime que les termes du point b) du dispositif sont clairs sur ce point et n’appellent pas de clarification. En outre, le point b) dispose seulement que le Greffe doit permettre aux Requérants de consulter les pièces expressément définies dans la Décision I. Il n’enjoint nullement à l’Accusation d’accorder l’accès demandé par les Requérants. Par conséquent, la Chambre d’appel rejette la demande de l’Accusation visant à obtenir un délai supplémentaire pour examiner les documents déposés ex parte durant la mise en état en appel.

C. Mesures de protection supplémentaires pour des témoins

20. L’Accusation soutient que

lorsque des parties se voient accorder l’accès aux comptes rendus de témoignages confidentiels, il convient a) de prendre contact avec les témoins et leur demander si leurs craintes pour leur sécurité s’en trouvent accrues et si elles justifient des mesures de protection supplémentaires, et b) d’expurger ces comptes rendus de toute référence à l’identité de ces témoins, qui permettrait de savoir qu’ils ont déposé devant le Tribunal39.

Elle fait valoir que « des décisions récentes en matière d’accès risquent d’entraîner des incohérences dans le traitement des témoins protégés40  », se référant en particulier à une ordonnance rendue par la Chambre d’appel dans l’affaire Kordic et Cerkez (l’« Ordonnance Ljubicic »)41. L’Accusation soutient que le même régime de protection que celui indiqué dans l’Ordonnance Ljubicic devrait être appliqué en ce qui concerne la requête des Requérants aux fins d’avoir accès aux pièces confidentielles de l’affaire Blaskic42.

21. Plus précisément, l’Accusation soutient que la Section d’aide aux victimes et aux témoins devrait joindre les témoins qui ont déposé à huis clos au procès Blaskic ainsi que tout gouvernement ou toute autre entité qui aurait consenti à le faire, et les consulter quant à la possibilité d’accorder aux Requérants l’accès à ces pièces43. Elle estime en outre que, pour les témoins ayant donné leur accord, les Requérants ne devraient obtenir l’accès aux pièces en question que lorsque le Greffe les aura expurgées de toute référence à l’identité des témoins permettant de savoir qu’ils ont déposé devant le Tribunal44. Elle considère également que la Section d’aide aux victimes et aux témoins est la mieux placée pour prendre contact avec la Défense, l’Accusation et les témoins qui ont déposé à l’audience 45. Elle estime en outre que c’est au Greffe qu’il incombe d’expurger les pièces en question, et que la suppression de toute référence à l’identité des témoins ne requiert ni qualification particulière ni connaissance de la procédure46. Elle ajoute que la Section d’aide aux victimes et aux témoins devrait prendre contact avec les témoins qui refusent que le compte rendu de leur témoignage soit communiqué sous quelque forme que ce soit pour les informer de la décision de la Chambre d’appel à cet égard, et que les comptes rendus de leurs dépositions « devraient alors être expurgés de toute référence à leur identité (le cas échéant) avant d’être communiqués au Requérant », qui devra alors fournir des motifs convaincants justifiant que les comptes rendus non expurgés lui soient communiqués47.

22. L’Accusation signale ensuite que si la Chambre d’appel décidait qu’en règle générale, les Requérants devraient avoir accès d’emblée aux pièces non expurgées , elle aurait besoin de davantage de temps pour examiner tous les témoignages et toutes les pièces à conviction afin de déterminer si des mesures de protection supplémentaires sont nécessaires48. Si les Requérants demandent une modification des mesures de protection qui accompagnent l’accès aux documents, la suppression des expurgations ou l’autorisation de prendre contact avec des témoins, l’Accusation tient à en être informée et à avoir une possibilité de répondre49.

23. Les Requérants répondent que demander le consentement des témoins ayant déposé à huis clos, envisager des mesures de protection supplémentaires et supprimer les éléments d’identification « sont de nouvelles propositions que l’Accusation n’avait pas soumises avant que la Chambre d’appel ne rende sa décision50  ». Ils font observer que l’Accusation n’a pas indiqué, dans sa Requête aux fins de clarification, quels témoins devraient bénéficier de mesures de protection supplémentaires 51. Ils soutiennent que l’Ordonnance Ljubicic ne concerne que l’accès à des pièces qui se rapportent à l’accusé Ljubicic 52. Ils considèrent également que la question de savoir si le Greffe est le mieux placé pour procéder aux expurgations ou s’il faudrait demander à la Section d’aide aux victimes et aux témoins de prendre contact avec les témoins dépasse le cadre du procès en cours, et que « les procédures et modalités pratiques internes entre les organes concernés du TPIY et les parties doivent être organisées et rationalisées53 ».

24. Dans sa réplique, l’Accusation admet que ses propositions sont nouvelles, dans la mesure où elles n’avaient « jamais été traitées par les parties avant » la Requête aux fins de clarification54. Elle concède que les pièces déposées précédemment « ne traitaient que du droit des Requérants à avoir accès à des pièces et de la portée de cet accès », et que « les questions relatives à la protection des témoins n’avaient pas été débattues55 ». Elle soutient également qu’à ce stade, il est éminemment souhaitable que la Chambre d’appel introduise une certaine cohérence dans le traitement des demandes d’accès à des pièces confidentielles, qui ne devrait pas varier d’un accusé à l’autre56.

25. La Chambre d’appel considère, et les parties en ont convenu, que les conclusions de l’Accusation dépassent le cadre d’une requête aux fins de clarification. La clarification vise le texte de la Décision I s’il est imprécis ou prête à confusion. Les propositions qui ne sont pas traitées par la décision parce que les parties ne les ont pas soumises avant que celle-ci ne soit rendue auraient dû faire l’objet d’une requête distincte.

26. La Chambre d’appel estime que, comme le montre l’Ordonnance Ljubicic, la préoccupation fondamentale sous-jacente s’agissant de la mise en place d’un régime d’accès plus élaboré est la même que celle qui sous-tend le dispositif de la Décision I, c’est -à-dire la nécessité d’équilibrer, d’une part, les droits de l’accusé (ou de l’appelant ) et, d’autre part, la protection des témoins et des victimes. On peut répondre à cette préoccupation en mettant en œuvre une protection plus ou moins étendue, mais les mesures employées à cette fin ne doivent pas être identiques. En l’espèce, les mesures de protection indiquées dans la Décision I s’ajoutent aux mesures existantes indiquées par la Chambre d’appel à la lumière des circonstances de l’affaire Blaskic. Selon la Chambre d’appel, cet ensemble de mesures de protection actuellement en vigueur dans la phase d’appel de l’affaire Blaskic suffit à protéger les témoins en empêchant que leur identité soit communiquée au public ou à des tiers, tels que définis dans la Décision I. De toute façon, l’ensemble des mesures de protection indiquées jusqu’à présent reste en vigueur à moins que la Chambre d’appel ne le modifie à la demande des parties. Comme le reconnaît l’Accusation57, il est peu probable que le refus de témoins protégés de consentir à ce que leurs dépositions soient communiquées aux Requérants soit respecté au mépris des droits de l’accusé. En effet, dès qu’une déposition est faite à l’audience, elle fait partie du dossier de l’instance, et donc des archives du Tribunal. L’utilisation d’un tel dossier dans un autre procès du Tribunal, voire éventuellement en-dehors du Tribunal, est soumise exclusivement aux mesures de protection existantes décidées par les Chambres en application du Règlement, compte tenu des préoccupations légitimes exprimées par les témoins avant leur déposition. Ces mesures de protection existantes peuvent cependant être modifiées en application de l’article 75 du Règlement afin de sauvegarder les droits des accusés comparaissant devant le Tribunal international.

27. Les demandes de l’Accusation qui sortent du cadre du point b) du dispositif de la Décision I sont rejetées.

V. PROPOSITION DE PROCÉDURE GÉNÉRALE POUR TRAITER LES REQUÊTES AUX FINS D’ACCÈS À DES PIÈCES CONFIDENTIELLES

28. Les conclusions de l’Accusation sur ce point découlent de celles exprimées au sous-titre C du point précédent. L’Accusation fait valoir que la procédure qu’elle propose pourrait contribuer à définir une procédure commune applicable à toutes les demandes d’accès à des pièces confidentielles afin de favoriser la cohérence et d’éviter la confusion qui pourrait résulter d’une communication involontaire de pièces sans mesures de protection appropriées. Les Requérants répondent que cette nouvelle procédure exigerait que « de nombreuses décisions soient annulées et fondamentalement révisées58 ». Ils ajoutent que la Décision I est claire et que le Greffe est sur le point de l’exécuter59. Ils demandent à la Chambre d’appel de rejeter la Requête aux fins de clarification .

29. S’agissant de la proposition de l’Accusation, la Chambre d’appel estime qu’il n’est sans doute pas opportun de fixer une pratique qui pourrait être suivie dans toutes les espèces. Lorsqu’elle donne son aval à une pratique, elle le fait toujours en tenant compte des circonstances de l’appel qui lui est soumis. Elle ne discutera donc pas davantage la proposition de l’Accusation.

VI. CONCLUSION

30. Par ces motifs, la Requête aux fins de clarification est accueillie dans la mesure où une clarification est nécessaire à l’exécution de la Décision I.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
____________
M. le Juge Theodor Meron

Le 23 mai 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête aux fins de clarification, par. 2.
2 - Réponse, par. 2.
3 - Ibid., par. 3.
4 - Ibid., par. 4.
5 - Ibid.
6 - Ibid., par. 5.
7 - Ibid., par. 7.
8 - Ibid., par. 8.
9 - Réplique, par. 4.
10 - Ibid., par. 5.
11 - Ibid., par. 6.
12 - Ibid., par. 8.
13 - Le Procureur c/ Zdravko Mucic et consorts, affaire n° IT-96-21-Abis, Arrêt relatif à la sentence, 8 avril 2003, Chambre d’appel, par. 49.
14 - Ibid.
15 - Requête aux fins de clarification, par. 6.
16 - Réponse, par. 13.
17 - Requête aux fins de clarification, par. 8.
18 - Réponse, par. 11.
19 - Réplique, par. 19.
20 - En vigueur depuis le 25 juillet 1997. Le procès dans l’affaire Blaskic a commencé le 24 juin 1997.
21 - Requête aux fins de clarification, par. 10.
22 - Ibid., par. 11.
23 - Ibid., par. 10.
24 - Réponse, par. 12.
25 - Décision I, par. 5.
26 - Requête aux fins de clarification, par. 15.
27 - Ibid., par. 18.
28 - Réponse, par. 13.
29 - Ibid.
30 - Réplique, par. 12.
31 - Requête conjointe de Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-T, 28 mai 2002.
32 - Réponse de l’Accusation, déposée à titre confidentiel le 12 juillet 2002.
33 - Voir le Certificat relatif au dossier de première instance, déposé parle Greffe en application de l’article 109 A) du Règlement, 13 avril 2000.
34 - Ordonnance du Président relative à la Requête de la Défense aux fins d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, le Président du Tribunal, 28 mai 2002.
35 - Requête aux fins de clarification, par. 19.
36 - Ibid., par. 20.
37 - Ibid., par. 21.
38 - Réponse, par. 13
39 - Requête aux fins de clarification, par. 24.
40 - Ibid., par. 25.
41 - « Ordonnance relative à la requête de Pasko Ljubicic aux fins d'avoir accès à des documents confidentiels, pièces jointes, comptes rendus d'audience et pièces à conviction dans l'affaire Kordic et Cerkez », affaire n° IT-95-14/2-A, 19 juillet 2002, Chambre d’appel.
42 - Ibid., par. 31.
43 - Ibid., par. 33.
44 - Ibid., par. 34.
45 - Ibid., par. 36.
46 - Ibid., par. 40.
47 - Ibid., par. 41.
48 - Ibid., par. 42.
49 - Ibid., par. 43.
50 - Réponse, par. 14 ; la « décision » désigne la Décision I.
51 - Ibid.
52 - Ibid., par. 16.
53 - Ibid., par. 17.
54 - Réplique, par. 17.
55 - Ibid.
56 - Ibid.
57 - Requête aux fins de clarification, par. 41.
58 - Réponse, par. 18.
59 - Ibid.