Affaire n° : IT-95-14-A
LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Fausto Pocar, Président
Mme le Juge Florence Mumba
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
8 décembre 2003

LE PROCUREUR

c/

TIHOMIR BLASKIC

___________________________________________

DÉCISION RELATIVE AUX POINTS SUR LESQUELS LES TÉMOINS DÉPOSERONT LORS DES AUDIENCES EN APPEL ET À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE RÉEXAMEN DE L’ORDONNANCE PORTANT CALENDRIER CONCERNANT LES AUDIENCES CONSACRÉES À LA PRÉSENTATION DES ÉLÉMENTS DE PREUVE

___________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils de l’Appelant :

M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman
M. Andrew Paley

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la notification relative aux points sur lesquels les témoins déposeront lors des audiences en appel (Notice Re Anticipated Subject Matter of Testimony of Witnesses on Appeal) (la « Notification »), déposée à titre confidentiel le 1er décembre 2003 par l’Appelant, dans laquelle ce dernier énumère, conformément à l’Ordonnance portant calendrier du 18 novembre 2003, les points sur lesquels déposeront les témoins cités à comparaître devant la Chambre,

VU la réponse de l’Accusation à la notification de l’Appelant relative aux points sur lesquels les témoins déposeront lors des audiences en appel (Prosecution’s Response to Appellant’s Notice Re Anticipated Subject Matter of Testimony of Witnesses on Appeal), déposée à titre confidentiel le 4 décembre 2003, par laquelle l’Accusation fait valoir, entre autres, que : a) l’Appelant produit des éléments de preuve sur des sujets entièrement nouveaux ; b) la phase d’évaluation prévue par l’article  115 du Règlement devrait se limiter à la vérification de la crédibilité des éléments de preuve que la Chambre d’appel a déjà admis ; c) « les termes de [l’Ordonnance portant calendrier du 31 octobre 2003] laissaient entendre que la portée de l’interrogatoire des témoins se limiterait aux sujets correspondant aux propositions que l’Appelant cherchait à avancer à partir des preuves au cours de la phase d’admission prévue à l’article 115 du Règlement »1 ; et d) « en interrogeant les témoins déposant aux audiences consacrées à la présentation des éléments de preuve, l’Appelant devrait se contenter de produire des preuves liées aux sujets correspondant aux propositions qu’il cherche à avancer à partir des comptes rendus ou des déclarations admis par la Chambre d’appel ... ou aux propositions que l’Accusation a soumises en réplique »2 ;

ATTENDU que l’Accusation conclut que, si l’Appelant avait voulu produire des témoignages sur tous les sujets énumérés dans sa Notification, il aurait dû recueillir des déclarations de témoins couvrant tous ces points et déposer, à leur sujet, une requête sur la base de l’article 115 ; l’Accusation aurait alors eu la possibilité de présenter des arguments relatifs à l’admissibilité de ces éléments de preuve et, dans le cas où ces derniers auraient été admis, de déposer des moyens de preuve en réplique, avant la phase d’évaluation prévue par la procédure3,

VU la réplique de l’Appelant à la Réponse de l’Accusation à la notification de l’Appelant relative aux points sur lesquels les témoins déposeront lors des audiences en appel (Appellant’s Reply to Prosecution’s Response to Appellant’s Notice Re Anticipated Subject Matter of Testimony of Witnesses on Appeal) (la « Réplique  »), déposée à titre confidentiel le 5 décembre 2003, dans laquelle l’Appelant avance que : a) les comptes rendus de dépositions des témoins ayant comparu dans l’affaire  Kordic ont été présentés pour démontrer qu’il y a, a priori, de bonnes raisons de penser que les conditions de l’article 115 du Règlement sont remplies , et non pour limiter les sujets devant être traités et admis en appel ; b) c'est sur la base de leurs connaissances personnelles, et non des témoignages de l’affaire  Kordic cités par l’Accusation, que les témoins comparaissant dans le cadre du présent appel devraient déposer sur certains sujets ; c) l’Appelant n’a jamais eu la possibilité d’explorer l'ensemble des informations de nature à le disculper que possédaient ces témoins ; d) après être entré en relation avec ces témoins et avoir examiné les résumés récemment fournis par l’Accusation, l’Appelant a appris que ces témoins possédaient davantage d’informations de nature à le disculper qu’il n’était apparu dans l’affaire Kordic ; et e) si l’interrogatoire des témoins devait se limiter aux sujets soulevés au stade où les éléments de preuve ont été présentées en application de l’article 115, la Chambre d’appel n’aurait pas enjoint à l’Appelant de déposer une notification des points devant être abordés4,

VU la requête de l’Accusation aux fins de réexamen de l’ordonnance portant calendrier concernant les audiences consacrées à la présentation des éléments de preuve et la requête aux fins d’ordonnances y afférentes (Prosecution’s Request for Re-Consideration of Present Scheduling Order for Evidentiary Hearing and Request for Related Orders) (la « Requête de l’Accusation aux fins de réexamen »), déposée le 4 décembre 2003, par laquelle l’Accusation fait valoir notamment ce qui suit  : a) aux fins des audiences consacrées à la présentation des éléments de preuve, il conviendrait que le temps prévu pour l’interrogatoire des témoins soit réparti de manière plus équilibrée ou « que l’Accusation dispose d'une durée relativement plus importante pour interroger les témoins »5, puisque le temps qui lui est alloué ne lui permettra pas de procéder à un interrogatoire complet, équitable et constructif ; b) à aucun moment l’Appelant n’a cherché à faire déposer les témoins lorsqu’il a présenté les comptes rendus des témoignages tirés de l’affaire Kordic ; c) les sujets sur lesquels doivent porter les témoignages ont été élargis de façon à inclure des éléments de preuve qui n’ont pas été admis  ; d) on peut appliquer l’article 89 F) du Règlement en demandant aux témoins s’ils apporteraient aux questions de la Chambre d’appel les mêmes réponses que dans leur déclaration6 ; et demande e) qu’« une ordonnance soit rendue pour interdire aux deux parties et à toute autre personne d’établir, durant la déposition d’un témoin, toute communication ou tout contact en rapport avec cette déposition »7,

VU la réponse de l’Appelant à la requête de l’Accusation aux fins de réexamen de l’ordonnance portant calendrier concernant les audiences consacrées à la présentation des éléments de preuve et à la requête aux fins d’ordonnances y afférentes (Appellant’s Response to Prosecution’s Request for Re-Consideration of Present Scheduling Order for Evidentiary Hearing and Request for Related Orders) (la « Réponse de l’Appelant à la requête de l’Accusation aux fins de réexamen »), déposée le 5 décembre 2003 , par laquelle l’Appelant indique que : a) il ne souhaitait pas présenter les comptes rendus d’audience au lieu des témoignages oraux et que les comptes rendus ont été produits « pour démontrer qu’il y a, a priori, de bonnes raisons de penser que la déposition de ces témoins est admissible en vertu de l’article 115 du Règlement  »8 ; b) dans leur déclaration, ces témoins se sont contentés de répondre aux questions liées à l’affaire Kordic  ; c) l’Accusation a récemment communiqué à l’Appelant des copies des notes de récolement relatives aux témoins cités à comparaître dans le cadre de cet appel et il en ressort, selon l’Appelant, que les témoins possèdent « beaucoup plus d’éléments de preuve de nature à le disculper que cela n’était apparu lors de leur déposition dans l’affaire Kordic »9 ; d) s’il est simplement demandé aux témoins de confirmer leurs déclarations antérieures faites dans l’affaire Kordic, l’Accusation les contre-interrogera sur les parties du témoignage qu’elle a elle-même obtenues et aura donc la maîtrise tant de l’interrogatoire principal que du contre-interrogatoire desdits témoins dans le présent appel ; e ) la demande de l’Accusation de disposer de davantage de temps pour le contre-interrogatoire n’est pas fondée ; f) quant à la demande de l’Accusation visant à interdire aux deux parties d'entrer en relation avec les témoins au sujet de leur déclaration , l’Appelant souligne qu’au cours du procès en première instance, les deux parties ont pu, lors des suspensions d’audience, rencontrer les témoins, et que l’Accusation ne justifie aucunement qu’il en soit autrement en appel10,

ATTENDU que, s’agissant de la demande de l’Accusation visant une meilleure répartition du temps pour l’interrogatoire des témoins lors des audiences consacrées à la présentation des éléments de preuve, conformément à l’Ordonnance portant calendrier du 2 décembre 2003, les périodes consacrées à l’interrogatoire seront ajustées le cas échéant,

ATTENDU que, s’agissant des témoins qui ont été cités à comparaître lors de l’audience s’ouvrant le 8 décembre 2003, la Chambre d’appel a pris en considération tous les comptes rendus pertinents produits par l’Appelant et les a admis comme ayant été déposés par l’Appelant,

ATTENDU que la comparution des témoins énumérés dans l’ordonnance du 31 octobre  2003 vise à évaluer les éléments de preuve produits par l’Appelant dans ses requêtes déposées en vertu de l’article 115 et admis par la Chambre d’appel,

ATTENDU que l’Appelant fait valoir que les éléments de preuve de nature à le disculper qui n’étaient pas contenus dans les déclarations des témoins lui ont été communiqués par l’Accusation le 28 novembre 2003seulement,

ATTENDU, en outre, qu’il est dans l’intérêt de la justice que ces éléments de preuve qui seraient de nature à disculper l’Appelant soient évalués en audience au moyen de l’interrogatoire des témoins,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la requête de l’Accusation aux fins de réexamen ; DÉCIDE que l’interrogatoire principal des témoins peut porter sur toute circonstance factuelle couverte par les éléments de preuve admis, ainsi que par les éléments de preuve qui seraient de nature à disculper l’accusé et qui figurent dans les résumés communiqués par l’Accusation le 28 novembre 2003, et DIT que l’Accusation n’est autorisée à se mettre en relation avec les témoins à aucun moment de leur déposition, et que l’Appelant peut les contacter durant l’interrogatoire principal, l’interrogatoire supplémentaire et après le contre- interrogatoire.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 8 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
________
Fausto Pocar

[Sceau du Tribunal]


1 - Prosecution’s Response to Appellant’s Notice, par. 3.
2 - Id., par. 39.
3 - Id., par. 38.
4 - Appellant’s Reply, par. 1 à 4.
5 - Prosecution’s Request for Re-Consideration, par. 3.
6 - Id., par. 5 à 11.
7 - Id., par. 23.
8 - Appellant’s Response to Prosecution’s Request for Re-Consideration, par. 2.
9 - Id., par. 3.
10 - Id., par. 6.