LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit: M. le Juge Claude Jorda, Président

M. le Juge Haopei Li

M. le Juge Fouad Riad

Assistée de: M. Jean-Jacques Heintz, Greffier-adjoint

Décision rendue le: 18 mars 1997

 

LE PROCUREUR

C/

TIHOMIR BLA[KI]


RENVOI A UN JUGE DE LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE
AUX FINS DE DÉLIVRER UNE ORDONNANCE DE SOIT-COMMUNIQUÉ


Le Bureau du Procureur:
M. Mark Harmon
M. Andrew Cayley
M. Gregory Kehoe
M. William Fenrick

Le Conseil de la Défense:
M. Anto Nobilo
M. Russell Hayman

 

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I,

VU la requête aux fins de délivrer une ordonnance de soit-communiqué à la République de Bosnie-Herzégovine exigeant la communication de moyens de preuve à décharge déposée le 28 février 1997 par le Conseil du Général Bla{ki} (ci-après dénommé la "Défense"),

ENTENDU les parties en leurs plaidoiries au cours des débats de l’audience du 12 mars 1997,

VU les dispositions des articles 21 du Statut du Tribunal (ci-après dénommé le "Statut") et 54 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après dénommé le "Règlement"),

ATTENDU que la Défense sollicite la délivrance, par la présente Chambre de première instance, en vertu des dispositions de l’article 54 du Règlement, d’une ordonnance de soit-communiqué adressée à la République de Bosnie-Herzégovine exigeant la production d’un ensemble de documents constituant des moyens de preuve à décharge dont elle allègue n’avoir pu obtenir la communication;

QU’elle soutient en premier lieu que ces documents sont censés être pertinents et constituer des moyens de preuve à décharge, indispensables dès lors à la préparation de la défense; en deuxième lieu qu’une ordonnance de soit-communiqué émanant d’un Juge est nécessaire pour éviter toute partialité de la part de l’État requis dans la collecte des éléments de preuve; en troisième lieu, qu’aux termes du paragraphe 4) (e) de l’article 21 du Statut du Tribunal, la Défense dispose des mêmes droits que l’accusation quant à la production des moyens de preuve;

ATTENDU sur ce dernier point, qu’il a été fait état à l’audience de l’existence et de l’état d’avancement d’une procédure ex parte pendante devant le Président de la Chambre de première instance II, Mme le Juge McDonald, diligentée par le Procureur aux fins d’obtenir une ordonnance de soit-communiqué;

QUE ce Juge, faisant droit à la demande du Procureur, a ainsi délivré le 15 janvier 1997 deux ordonnances de soit-communiqué respectivement adressées à la Bosnie-Herzégovine et au dépositaire des archives centrales de ce qui était le Ministère de la défense de la Communauté croate d’Herzeg Bosna, d’une part, à la République de Croatie et à M. G. [u{ak, Ministre de la défense de la République de Croatie, d’autre part;

QUE ce Juge a ensuite rendu plusieurs ordonnances, le 14 février, adressées aux deux Etats et officiels désignés, puis les 20, 24 et 28 février et 7 mars 1997 à la Bosnie Herzégovine et à son Ministre de la Défense, destinées à assurer l’exécution des ordonnances de soit-communiqué; que par ordonnance distincte du 20 février, ce Juge avait suspendu les effets de son ordonnance de soit-communiqué adressée à la Croatie; qu’enfin, en vertu d’une deuxième ordonnance rendue le 7 mars 1997, le Procureur ainsi que les Etats et officiels concernés ont été invités à déposer des mémoires relatifs à plusieurs questions théoriques de principe;

ATTENDU que l’existence de cette procédure ex parte est avérée et que les décisions ont été rendues publiques;

ATTENDU que si les parties se sont accordées sur le principe de la compétence de la présente Chambre pour qu’elle connaisse d’une telle demande et éventuellement y fasse droit en vertu de l’article 54 du Règlement, il apparaît toutefois souhaitable que cette dernière soit soumise au Juge déjà saisi dans le même dossier d’une demande connexe;

ATTENDU, en effet, qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice que ces deux demandes soient jugées ensemble et par le même Juge pour les motifs suivants:

ATTENDU, en premier lieu, qu’il convient d’assurer la cohérence de décisions relatives à des questions de nature similaire et d’en prévenir ainsi toute contrariété;

ATTENDU, en deuxième lieu, que si la Chambre, ayant retenu cette affaire, était conduite, au cours ou au terme de cette procédure et préalablement au procès au fond, à examiner des éléments de preuve communiqués à la Défense par le tiers détenteur, afin d’en apprécier la pertinence ou d’en évaluer le caractère à décharge, il pourrait être considéré qu’il résulte de cette prise de connaissance une contamination virtuelle susceptible de permettre aux parties de contester ensuite l’impartialité de ladite Chambre, notamment au moment du procès au fond;

ATTENDU, en troisième lieu, qu’à l’occasion de l’instance ex parte pendante devant le Président de la Chambre de première instance II, Mme le Juge McDonald a invité les parties - le Procureur et les Etats et officiels concernés - à déposer des mémoires relatifs à plusieurs questions théoriques de principe: le pouvoir d’un juge d’adresser une ordonnance de soit-communiqué à un Etat souverain, le pouvoir d’un juge d’adresser une telle ordonnance ou une requête à un haut fonctionnaire du gouvernement d’un Etat ainsi que les mesures qu’il convient de prendre en cas d’inexécution de telles décisions;

QU’il paraît préférable, à cet égard, que la demande soumise à la présente Chambre soit examinée et tranchée par le même Juge, à la lumière d’un débat et d’un échange d’écritures qui, élargis à la Défense, permettraient d’instaurer le contradictoire à l’égard de toutes les parties;

ATTENDU qu’il convient en conséquence, de renvoyer en l’état, au Juge saisi de l’instance diligentée par le Procureur le 10 janvier 1997, la connaissance et l’examen de la présente demande connexe, afin que soit assurée, dans un cadre contradictoire, une totale effectivité au respect des droits et garanties conférés en pleine égalité aux parties, par le Statut, notamment en son article 21;

PAR CES MOTIFS

La Chambre de première instance

STATUANT publiquement, contradictoirement et à l’unanimité,

RENVOIE en l’état, au Juge saisi de l’instance diligentée par le Procureur le 10 janvier 1997, la connaissance et l’examen de la demande formée par le Conseil du Général Bla{ki} aux fins de délivrer une ordonnance de soit-communiqué à la République de Bosnie-Herzégovine exigeant la communication de moyens de preuve à décharge;

DONNE INSTRUCTION au Greffe de transmettre sans délai la requête déposée le 28 février 1997 portant ladite demande, à Mme le Juge McDonald, Président de la Chambre de première instance II;

 

Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.

Fait ce dix-huit mars 1997,
A La Haye, Pays Bas.

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Claude Jorda

Président de la Chambre de
première instance I