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1 Le vendredi 3 mars 2000
2 [Jugement]
3 [Audience publique]
4 --- L’audience débute à 10 h 35
5 M. LE PRÉSIDENT : Monsieur le Greffier, voulez-
6 vous introduire l’accusé, s’il vous plaît ?
7 [L’accusé entre dans la Cour]
8 M. LE PRÉSIDENT : Bien !
9 Je voudrais d’abord m’assurer que les interprètes
10 m’entendent bien. Les cabines sont prêtes.
11 L’INTERPRÈTE : Bonjour, Monsieur le Président.
12 Nous vous entendons.
13 M. LE PRÉSIDENT : Bien !
14 Je voudrais, Monsieur le Greffier, que vous
15 appeliez l’affaire inscrite au rôle aujourd’hui.
16 LE GREFFIER : Il s’agit de l’affaire IT-95-14-T,
17 Le Procureur contre Tihomir Blaskic.
18 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bien !
19 L’identification des parties, s’il vous plaît.
20 Côté du Bureau du Procureur.
21 Me HARMON (interprétation) : Bonjour, Monsieur le
22 Président. Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour,
23 Messieurs les collègues. Je suis Mark Harmon, mes
24 collègues Gregory Kehoe et Me Cayley et Monsieur Simon
25 Hooper.
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1 Me HAYMAN (interprétation) : Bonjour, Monsieur le
2 Président. Bonjour, Messieurs les Juges. J’ai du plaisir
3 à vous rencontrer aujourd’hui. Je suis Russell Hayman et
4 Monsieur Anto Nobilo m’accompagne. Nous représentons les
5 intérêts du Général Blaskic.
6 M. LE PRÉSIDENT : Bien ! Nous pouvons donc à
7 présent commencer.
8 La Chambre rend aujourd’hui son jugement dans
9 l’affaire Le Procureur contre Tihomir Blaskic, l’accusé ici
10 présent.
11 Je précise que sauf indication contraire, je
12 m’exprime au nom de la Chambre que j’ai l’honneur de
13 présider et que la décision que nous rendons a été rendue à
14 l’unanimité. Le Juge Shahabuddeen a joint au jugement une
15 déclaration.
16 En introduction d’abord, je voudrais évidemment
17 remercier, remercier au nom de la Chambre, tous ceux qui
18 ont permis que ce procès important par le niveau
19 hiérarchique de l’accusé, difficile par la quantité
20 d’information recueillie à l’audience et la longueur de la
21 procédure, ait pu se dérouler dans les meilleures
22 conditions.
23 La Chambre tout d’abord implique plusieurs Juges
24 qui ont dû renoncer à participer au procès jusqu’à son
25 terme.
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1 Le Juge Deschenes, comme vous le savez, malgré son
2 engagement et son énergie, fut contraint de démissionner
3 pour cause de maladie et j’en profite pour remercier une
4 nouvelle fois le Juge Shahabuddeen d’avoir accepter de lui
5 succéder immédiatement dans les jours qui ont suivi son
6 élection, permettant ainsi que le procès commence à la date
7 prévue.
8 Je pense également, et nous pensons également, au
9 Juge Riad que la maladie aura écarté pendant plusieurs mois
10 du Tribunal. Ce n’est pas sans hésitation que la Chambre,
11 après avoir consulté les conseils de l’Accusation et de la
12 Défense ainsi que l’accusé, a demandé à le voir remplacer,
13 mais elle savait pouvoir compter sur le dévouement total du
14 Juge Rodrigues qui eut la lourde tâche de prendre
15 connaissance en très peu de temps de l’ensemble du dossier.
16 Je voudrais aussi que chacun soit conscient du
17 travail remarquable fourni par toutes ces personnes que
18 l’on oublie parfois mais qui jour après jour ont préparé
19 les comptes rendus, 18 000 pages en version française, 25
20 000 en version anglaise, qui ont filmé, qui ont enregistré
21 les audiences, édité ces enregistrements qui resteront pour
22 l’histoire, faire en sorte que les témoins soient protégés,
23 ont traduit des milliers de pages de documents, ont
24 interprété les débats, malgré la rapidité des déclarations,
25 y compris de celui qui vous parle, malgré le caractère
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1 technique des mots ou expressions employés, malgré les
2 reproches d’arrêter parfois manifestées lorsqu’une
3 expression était selon son auteur imparfaitement rendue.
4 Enfin, la Chambre tient à exprimer sa gratitude
5 pour l’aide précieuse qu’elle a reçue du greffe, bien sûr,
6 et puis également de Monsieur Olivier Fourmy, le juriste de
7 la Chambre, et de tous les assistants. Qu’ils en soient
8 profondément remerciés.
9 Je voudrais aussi rendre hommage aux conseils de
10 l’Accusation et aux conseils de la Défense pour leur
11 attitude remarquable tout au long du procès, manifestant
12 ainsi que la passion des débats n’exclut pas la courtoisie,
13 au moins à l’égard des Juges, et que la défense des
14 intérêts que l’on représente n’oblige pas au conflit
15 permanent. Les débats ont donc toujours été de grande
16 qualité et nous nous en félicitons.
17 Enfin, je ferais observer que l’accusé a déposé en
18 qualité de témoin pendant près de 12 semaines, y compris le
19 temps consacré au contre-interrogatoire et aux questions
20 des Juges. C’est à souligner que le Général Blaskic s’est
21 tout au long du procès toujours comporté avec déférence
22 envers les Juges.
23 Je voudrais aborder la longueur de la procédure
24 dans cette introduction générale.
25 Ce procès n’aura eu dans sa forme qu’un seul
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1 défaut – nous en sommes bien conscients que nous devons à
2 l’avenir réfléchir tous pour efforcer d’y remédier – c’est
3 sa longueur. Je rappellerais que commencés le 24 juin
4 1997, les débats ont été déclarés clos un peu plus de deux
5 ans après, le 30 juillet 1999.
6 Pendant ces quelques deux ans, la Chambre aura
7 entendu 158 témoins, reçu près de 1 500 pièces à
8 conviction, pour l’essentiel des documents écrits dont
9 certains comportent plusieurs centaines de pages. Les
10 parties ont remis des conclusions tellement détaillées
11 qu’aujourd’hui encore, la traduction en langue française
12 n’en est pas enregistrée au greffe.
13 Naturellement, la Chambre a tenu à reprendre
14 l’ensemble des éléments du dossier. Elle a vérifié tous
15 les arguments avancés, les a examinés entre eux, et à la
16 lumière bien sûr des pièces à conviction.
17 Elle note à cet égard que les parties lui ont
18 remis un assez grand nombre d’ordres ou de rapports émanant
19 de l’accusé, ordres dont chaque élément a son importance,
20 le contenu proprement dit du document naturellement mais
21 aussi ses destinataires, le jour, l’heure même de son
22 émission, et ses références lorsqu’elles existent, tout ce
23 qui permet de confirmer ou d’infirmer les déclarations des
24 témoins.
25 À cet égard, la Chambre ne peut que déplorer que
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1 toutes les informations disponibles ne lui soient pas
2 parvenues, notamment pour ce qui est des archives où
3 étaient, sont peut-être encore, gardées d’autres ordres ou
4 rapports émanant de l’accusé, de ses supérieurs ou de ses
5 subordonnés.
6 Elle doit se féliciter en revanche de l’attitude
7 de certains États non issus de l’ex-Yougoslavie ou de
8 certaines entités qui ont su faire preuve d’une véritable
9 coopération avec le Tribunal et ont, la Chambre le sait,
10 fourni aux parties de masses considérables d’information.
11 En total, il aura fallu sept mois à la Chambre
12 pour se prononcer, sept mois pour vérifier, élément de
13 preuve par élément de preuve, témoignage par témoignage, si
14 en dans quelle mesure la responsabilité du Général Blaskic
15 dans les faits qui lui sont reprochés était établie.
16 Avant d’expliquer, il convient sans doute de
17 rappeler les crimes qui lui ont été reprochés par
18 l’Accusation, rappeler aussi les principaux arguments de sa
19 défense.
20 La Chambre précisera ensuite dans quel cadre le
21 conflit en cause s’inscrit et comment il doit être
22 qualifié.
23 Puis, elle rappellera brièvement les faits, en
24 tout cas certains des faits les plus marquants du conflit.
25 Enfin, la Chambre présentera ses conclusions quant
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1 à la responsabilité de l’accusé au regard des crimes commis
2 et de leur caractère discriminatoire.
3 Les crimes reprochés à l’accusé. Tihomir Blaskic
4 est accusé d’avoir entre le 1er mai 1992 et le 31 janvier
5 1994 commis, ordonné, planifié ou aidé et encouragé un
6 crime contre l’humanité, de persécution, pour meurtres,
7 atteintes graves à l’intégrité physique, attaques contre
8 les agglomérations, destructions et pillages de biens,
9 traitements inhumains de civils, transferts forcés de
10 civils, des crimes contre l’humanité pour meurtres et
11 atteintes à l’intégrité des personnes, des infractions
12 graves aux Conventions de Genève et des violations des lois
13 ou coutumes de la guerre. Le chef 2 a été abandonné par
14 l’Accusation. Je n’en parlerai pas.
15 Ces violations aux lois ou coutumes de guerre
16 concernent des homicides, des atteintes graves à
17 l’intégrité physique, destructions et pillages de biens,
18 destructions d’édifices consacrés à l’enseignement ou à la
19 religion, traitements inhumains ou cruels infligés à des
20 détenus, y compris prise d’otages, et utilisation comme
21 boucliers humains, et tout ce, tout ceci, tous ces crimes
22 commis au préjudice de la population musulmane de Bosnie
23 centrale et notamment de la vallée de la Lasva, c’est-à-
24 dire plus précisément dans les municipalités de Vitez,
25 Busovaca et Kiseljak et dans une certaine mesure de Zenica.
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1 Il est également reproché au Général Blaskic de ne
2 pas avoir, sachant ou ayant des raisons de savoir que des
3 crimes étaient sur le point d’être commis ou l’avaient été,
4 il lui est reproché de ne pas avoir pris les mesures
5 raisonnables permettant de les empêcher ou d’en punir les
6 auteurs.
7 Ceci était le rappel des crimes qui sont soutenus
8 par l’Accusation.
9 À ces crimes, comment a répondu le Général
10 Blaskic ?
11 Le Général Blaskic a présenté une série
12 d’arguments que la Chambre évidemment ne peut ici que
13 rappeler sommairement mais qui ont été longuement exposés
14 tout au long du procès, plus spécialement d’ailleurs lors
15 du témoignage de l’accusé et naturellement dans les
16 conclusions finales remises à la Chambre.
17 Ces arguments touchent d’abord aux circonstances
18 de l’époque. Le Général Blaskic se trouvait selon lui dans
19 une position d’assiégé en quelque sorte, en butte aux
20 attaques des forces musulmanes, dont l’objectif des forces
21 musulmanes était de prendre le contrôle de la vallée de la
22 Lasva en séparant les municipalités les unes des autres.
23 Dans ces conditions et malgré ses efforts, il lui
24 était impossible d’assurer un système de commandement
25 approprié, notamment du fait de la difficulté de
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1 communiquer de l’une des municipalités à l’autre.
2 La Défense a souligné en outre que les exactions
3 commises par les forces musulmanes expliquent le
4 comportement désordonné des troupes croates, « troupes
5 croates » étant prises dans un sens général, lesquelles
6 n’étaient constituées pour l’essentiel que de soldats mal
7 entraînés, ayant tendance à obéir aux autorités locales
8 plutôt qu’à ses ordres.
9 Bien plus, les exactions commises auraient été le
10 plus souvent, notamment dans le cas de Ahmici, la ville de
11 Ahmici, ou pour le camion piégé de Stari Vitez, le fait
12 d’unités ne relevant pas de sa chaîne de commandement,
13 qu’il s’agisse de la police militaire ou d’unités spéciales
14 comme les Vitezovis.
15 En tout état de cause, le Général Blaskic n’aurait
16 jamais donné l’ordre de commettre des crimes.
17 L’attaque sur Grbavica, qui est un autre village,
18 démontre selon elle que lorsque l’accusé ordonne une
19 attaque, celle-ci s’organise dans le cadre des lois de la
20 guerre, les exactions ayant suivi cette attaque n’étant que
21 le fruit des actes commis par des civils animés d’un esprit
22 de vengeance et laissés libres d’agir de par la carence des
23 autorités de police.
24 Au demeurant, le Général Blaskic aurait toujours
25 pris soin de rappeler par de nombreux ordres écrits la
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1 nécessité du respect du droit humanitaire. Il ne lui
2 aurait pas été interdit de détenir des civils, ne serait-ce
3 que pour assurer leur protection.
4 Enfin, la Défense soutient que les lois
5 applicables à l’époque permettaient d’utiliser des équipes
6 de travail pour le creusement des tranchées.
7 Nous allons maintenant aborder les conclusions de
8 la Chambre.
9 Avant d’aborder la responsabilité de l’accusé
10 proprement dite, la Chambre tracera le cadre géographique,
11 politique et militaire de cette affaire et rappellera les
12 crimes spécifiques qui ont été perpétrés.
13 Le cadre général dans lequel s’est inscrit le
14 conflit est un cadre à la fois géographique, un cadre
15 politique et militaire.
16 La vallée de la Lasva, telle qu’elle est envisagée
17 dans l’acte d’accusation, est une zone qui se situe à
18 environ 30 kilomètres au nord-ouest de Sarajevo en Bosnie-
19 Herzégovine. Il s’agit d’une région qui est traversée par
20 une route qui suit du sud-est au nord-ouest le trajet
21 Sarajevo-Kiseljak, se poursuit vers Busovaca, et reprend
22 vers Vitez, puis vers Travnik. La distance séparant
23 Kiseljak de Vitez est d’environ 30 kilomètres. La route se
24 situe en contrebas des collines.
25 La Défense a présenté une maquette qui, si elle
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1 exagère les hauteurs des collines avoisinantes – la Défense
2 a précisé que les hauteurs avaient été multipliées par
3 trois – permet de se rendre compte de l’importance de cette
4 route pour toute la région, en particulier sur le plan
5 économique et militaire.
6 L’ensemble des municipalités de Vitez, Busovaca et
7 Kiseljak correspond à un espace étroit qui s’étendrait par
8 exemple de La Haye, Schiphol et Haarlem.
9 Cette région présente également une autre
10 particularité, c’est de comprendre une importante
11 population croate. Selon le recensement de 1991, les
12 populations musulmanes et croates se répartissaient de la
13 manière suivante. Pour la municipalité de Vitez, 11 514
14 musulmans et 12 675 Croates; pour la municipalité de
15 Busovaca, 8 451 musulmans et 9 093 Croates; pour la
16 municipalité de Kiseljak, 12 550 Croates et 9 778
17 musulmans; la ville de Zenica pour sa part comptait une
18 majorité de musulmans, 45 pour cent pour 16 et demi de
19 Croates.
20 S’agissant du cadre politique et militaire, la
21 Chambre estime que les crimes perpétrés dans la région que
22 nous venons d’évoquer ont été commis certes dans le
23 contexte d’un conflit armé entre musulmans et Croates de
24 Bosnie mais surtout dans le cadre d’un conflit armé
25 international.
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1 Au début de l’année 1992, Tihomir Blaskic est en
2 Vienne en Autriche après avoir démissionné de l’armée ex-
3 yougoslave, la JNA. En février 1992, il est, selon ses
4 déclarations, rappelé à Kiseljak, d’où il est originaire,
5 par le conseil municipal qui compte s’assurer de ses
6 services pour organiser la défense de la municipalité
7 contre les Serbes.
8 À son arrivée, Croates et musulmans coopèrent à
9 cette fin. Mais la situation se dégrade rapidement. Dès
10 le 8 avril 1992, les Croates de Bosnie, organisés au sein
11 de la Communauté démocratique de Herceg-Bosna, que nous
12 appelons désormais HZ-HB, qui avait été créée le 18
13 novembre 1991, donc ces Croates de Bosnie organisés de
14 cette façon instituent le HVO. On peut traduire Conseil de
15 défense croate, qui est une structure à la fois militaire
16 et politique.
17 Le lendemain, 9 avril 1992, les musulmans créent
18 la Défense territoriale, la TO, qui deviendra à la fin de
19 1992, l’armée musulmane de Bosnie-Herzégovine, ou encore,
20 la BiH.
21 Par ailleurs, je rappellerais que le 6 avril 1992,
22 la République de Bosnie-Herzégovine déclare son
23 indépendance. Dès le 7 avril, la Croatie reconnaît la
24 Bosnie-Herzégovine comme étant indépendante, mais en même
25 temps, la Croatie accorde la citoyenneté croate aux membres
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1 de la nation croate de Bosnie-Herzégovine qui en feraient
2 la demande.
3 Le 18 mai, le Conseil de Sécurité des Nations
4 Unies recommande l’admission de la République de Croatie
5 aux Nations Unies, et le 20 mai, celle de la République de
6 Bosnie-Herzégovine.
7 Au même moment, le Conseil de Sécurité demande que
8 cesse les interventions extérieures sur le territoire de la
9 Bosnie-Herzégovine et que les unités de la JNA ou celles de
10 l’armée croate – que nous appellerons la HV – s’y trouvant
11 s’en retirent ou se placent sous l’autorité du gouvernement
12 de Bosnie-Herzégovine, ou soient dissoutes, ou soient
13 désarmées. C’est la Résolution 752 du Conseil de Sécurité.
14 Nous sommes donc en mai 1992.
15 La présence de forces extérieures est donc avérée
16 d’une manière générale. Mais qu’en est-il de la région qui
17 nous préoccupe ?
18 Les éléments de preuve présentés offrent des
19 visions apparemment contradictoires et floues que la
20 Chambre s’est efforcée de clarifier. Il en résulte un
21 tableau assez simple malgré la diversité des situations
22 locales.
23 Comme la Chambre l’a indiqué, la vallée de la
24 Lasva est une zone où les Serbes ne représentent qu’une
25 minorité de la population mais les forces serbes ne sont
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1 guère éloignées. Elles sont à Jajce à l’ouest de Travnik.
2 Elles se rapprochent de Kiseljak au sud-est. Il faut tenir
3 le front. Il s’agit donc de contrôler les armes, de les
4 prendre où elles se trouvent dans les casernes de l’ex-JNA
5 comme à Kiseljak ou à Kaonik. Il faut ensuite les
6 distribuer et cela va être la source de conflits, conflits
7 qui vont être d’autant plus violents que les nationalismes
8 vont s’exacerber.
9 Certains Croates de Bosnie sont particulièrement
10 virulents. La HZ-HB, Communauté croate de Herceg-Bosna, je
11 le rappelle, connaît des dissensions internes entre les
12 partisans du multi-ethnisme, en tout cas d’une cohabitation
13 avec les musulmans, et les nationalistes croates les plus
14 durs. Ces derniers reçoivent incontestablement le soutien
15 de Zagreb.
16 Conflit international : c’est la caractéristique
17 du conflit en cause. Il s’agit bien d’un conflit armé
18 international.
19 La République de Croatie ne s’est pas contentée
20 d’un rôle de spectateur, ni même de chercher à seulement
21 protéger ses frontières. Elle est intervenue dans le
22 conflit opposant les musulmans et les Croates de Bosnie
23 centrale.
24 Rappelons : Franjo Tudjman et Slobodan Milosevic
25 se sont rencontrés en mars 1991 pour discuter d’un partage
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1 de la Bosnie-Herzégovine qui aurait conduit à la
2 disparition de celle-ci, au moins en tant qu’entité
3 distincte.
4 Selon un témoin de la Défense, la Croatie
5 nourrissait des ambitions sur les territoires considérés
6 comme croates de la Bosnie-Herzégovine depuis 150 ans.
7 Le nationalisme du Président Tudjman et ses
8 ambitions territoriales sont en tout état de cause apparus
9 évidents à nombre de ses interlocuteurs, qu’il s’agisse de
10 Lord Owen ou des témoins Paddy Ashdown, II et X, entendus
11 par la Chambre. Vous concevrez que nous sommes obligés de
12 protéger toujours par leur pseudonyme certains des témoins
13 qui sont venus jusqu’ici.
14 La Croatie, comme certains de ses officiers les
15 plus hauts gradés comme le Général Bobetko, l’Admiral
16 Domazet ou le Général Petkovic l’ont reconnu, a envoyé des
17 troupes au sud de la Bosnie-Herzégovine en territoire
18 bosniaque. Mais elle ne s’est pas limitée à cela.
19 Les éléments de preuve rappelés par la Chambre
20 dans son jugement le démontrent. Les troupes de l’armée de
21 Croatie, la HV, ont été repérées en de nombreuses endroits
22 du territoire bosniaque, y compris dans la vallée de la
23 Lasva.
24 Les documents montrent que de très nombreux
25 soldats de la HV ont servi au sein du HVO et des ordres
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1 leur avaient été donnés pour qu’ils retirent leurs insignes
2 de la HV et les remplacent par ceux du HVO. La plupart des
3 officiers du HVO étaient en fait des officiers de la HV.
4 Le Général Blaskic, qui faisait exception à l’époque,
5 n’est-il pas lui-même aujourd’hui inspecteur de
6 l’inspection générale de l’armée de la République de
7 Croatie. Cette présence des hommes fut renforcée par une
8 aide matérielle importante.
9 La Chambre convient qu’une certaine aide a pu
10 également être fournie par la Croatie à la Bosnie-
11 Herzégovine dans son ensemble, mais cette aide s’est tarie,
12 en tout cas dans la région pendant la période considérée,
13 alors que le montant de l’aide de la Croatie à l’ensemble
14 des structures de la Herceg-Bosna a été évaluée à 1 million
15 de marks allemands par jour.
16 Les objectifs des nationalistes croates de Croatie
17 étaient partagés à l’évidence par de nombreux membres du
18 HVO et de la Communauté croate de Herceg-Bosna : Mate
19 Boban, Président de cette communauté, bien sûr, mais aussi
20 Anto Valenta, Président du HDZ de l’Union démocratique
21 croate de Vitez, puis Président du HDZ pour la HZ-HB, dont
22 les écrits nationalistes sont révélateurs; Ignac Kostroman,
23 Secrétaire-Général de la HZ-HB; Dario Kordic, Vice-
24 président de la HZ-HB, dont les discours enflammaient les
25 Croates de Bosnie.
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1 La Chambre citera ici pour exemple le compte rendu
2 d’une réunion du 12 novembre 1991, signé « Mate Boban et
3 Dario Kordic ». Je cite :
4 « Le peuple croate de Bosnie-Herzégovine doit
5 enfin opter pour une politique active de déterminée en vue
6 de réaliser le rêve éternel : un État croate commun. »
7 Toujours est-il qu’il n’est pas admissible pour
8 ces nationalistes que les musulmans puissent vouloir
9 disposer d’une défense.
10 La Défense territoriale bosniaque, la TO, je l’ai
11 rappelé tout à l’heure, est créée le 9 avril 1992. Le 10
12 avril, Mate Boban proscrit cette TO sur le territoire de la
13 HZ-HB.
14 Le Général croate Roso confirme cela par un ordre
15 du 8 mai, et le 11 mai, Tihomir Blaskic met en œuvre cet
16 ordre en déclarant la TO, la Défense territoriale, illégale
17 sur le territoire de la municipalité ce Kiseljak, et nous y
18 reviendrons.
19 Abordons maintenant le conflit dans la vallée de
20 la Lasva, de mai 1992 d’abord à janvier 1993. Ensuite,
21 nous parlerons de l’embrasement de la vallée de la Lasva en
22 avril 1993. Mais entre ces deux périodes, nous ferons un
23 détour par un événement politique et diplomatique qui a
24 joué un rôle important : c’est le Plan Vance-Owen.
25 D’abord de mai 1992 à janvier 1993.
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1 Je voudrais savoir si je ne vais pas trop vite
2 pour les interprètes. Ça va ?
3 L’INTERPRÈTE : Ralentissez un peu, Monsieur le
4 Président.
5 M. LE PRÉSIDENT : D’accord. Bien !
6 De mai 1992 à janvier 1993. Ainsi, à compter de
7 mai 1992, les tensions entre les populations musulmanes et
8 croates vont croître, les incidents éclatant plus
9 particulièrement lorsqu’une partie croit pouvoir emporter
10 un gain tactique ou stratégique : contrôle d’un village,
11 d’une ville, d’anciens entrepôts militaires, d’une route.
12 Les provocations et les incidents se multiplient,
13 comme le fait de hisser le drapeau croate sur des bâtiments
14 publics ou l’enlèvement d’officiers d’origine croate.
15 L’on va assister aux premières destructions de
16 mosquées et de maisons musulmanes, aux premiers meurtres de
17 civils, aux premiers pillages. Sur un territoire étroit,
18 nous l’avons vu, on voit s’ajouter au mouvement de réfugiés
19 croates mais surtout musulmans, chassés de leurs terres par
20 les actions des forces serbes, les déplacements internes de
21 populations musulmanes chassées de leurs habitations par
22 les exactions croates.
23 L’accusé, alors le Colonel Blaskic – il est
24 toujours dit Général de l’armée de la République de Croatie
25 et c’est le grade sous lequel la Chambre le connaît –
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1 l’accusé donc est nommé commandant de la zone
2 opérationnelle de Bosnie centrale le 27 juin 1992.
3 Cette nomination est ordonnée par qui ? Par le
4 Général de l’armée de la République de Croatie, Ante Roso.
5 La zone opérationnelle comprend notamment –
6 conformément à l’ordre donné par qui ? Par un Général
7 croate, Milivoj Petkovic – cette zone comprend les
8 municipalités qui nous concernent aujourd’hui, celles de
9 Vitez, Busovaca et Kiseljak.
10 En août 1992, de sérieux incidents éclatent autour
11 du village de Duhri, au sud de Kiseljak, dont la mosquée
12 sera détruite.
13 À l’automne, la situation se dégrade rapidement.
14 Le HVO essaie de forcer les musulmans à remettre leurs
15 armes. Des coups de feu sont tirés à Vitez et dans les
16 environs.
17 Le 20 octobre 1992, les musulmans établissent un
18 barrage sur la route à hauteur de Ahmici. Selon eux les
19 musulmans, il s’agissait d’empêcher les troupes du HVO de
20 renforcer les positions croates à Travnik. Les Croates
21 pour leur part soutiennent que leurs forces montent au
22 front contre les Serbes à Jajce.
23 Quoiqu’il en soit, un soldat croate est tué, le
24 barrage est renversé et les armes des musulmans sont
25 confisquées. Les tensions restent vives. Alors que les
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1 forces en présence s’organisent, l’accusé crée des
2 brigades. Dans le cadre d’une structure militaire, l’armée
3 de Bosnie-Herzégovine crée son 3e corps, qui est basé à
4 Zenica.
5 J’ai dit que je ferais un détour par un élément de
6 diplomatie qui a joué son rôle : c’est le Plan Vance-Owen.
7 Le 2 janvier 1993 est présenté le Plan Vance-Owen.
8 Ce plan de paix définit entre autre une Bosnie-Herzégovine
9 décentralisée, organisée en 10 provinces, chacune
10 bénéficiant d’une autonomie substantielle et devant être
11 administrée par un gouvernement local démocratiquement élu.
12 Selon les déclarations d’un témoin de la Chambre,
13 toute la logique du plan correspondait à un partage du
14 pouvoir avec prédominance d’une nationalité dans certaines
15 zones mais pas pour autant dénégation des autres
16 nationalités. Le pouvoir devait s’exercer dans le respect
17 des minorités.
18 Il faut comprendre que la vallée de la Lasva se
19 retrouvait pour une grande partie dans la province 10, et
20 pour le reste de cette vallée, la partie sud de la
21 municipalité de Kiseljak, dans la province 7.
22 Le plan qui était prévu revenait à attribuer les
23 responsabilités principales dans la province 10 aux Croates
24 et aux musulmans dans la province 7 mais dans l’esprit des
25 nationalistes croates et notamment de Mate Boban, Président
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1 de la HZ-HB, de la Communauté croate de Herceg-Bosna, cela
2 signifiait que la province 10 était croate certes mais cela
3 signifiait aussi que des territoires qu’on considérait
4 comme historiquement croates selon lui allaient être inclus
5 dans la province 7 à majorité musulmane, ce qui n’était pas
6 acceptable à ses yeux. Il convenait en tout cas d’assurer
7 la domination croate dans les régions concernées.
8 Il faut bien dire que le Plan Vance-Owen n’a
9 jamais trouvé à s’appliquer en tant que tel sur le terrain,
10 mais les Croates et notamment les Bosno-croates, en
11 anticipant sa mise en œuvre, puis en voulant l’exécuter
12 unilatéralement, portent une lourde responsabilité dans le
13 déroulement du conflit.
14 Dès le 15 janvier 1993, Mate Boban adressait un
15 ultimatum aux musulmans, leur ordonnant notamment de
16 remettre leurs armes. Face à leur refus, les forces
17 croates engagèrent des actions destinées à mettre en œuvre
18 de force la croatisation des territoires. Des centaines de
19 musulmans furent arrêtés et pour beaucoup emprisonnés à
20 Kaonik dans les anciens entrepôts de la JNA. Nombreux sont
21 ceux qui furent battus. La plupart dut aller creuser des
22 tranchées, souvent dans des conditions inhumaines, exposés
23 au feu de l’ennemi, battus, voire tués, parfois servant de
24 boucliers humains.
25 Les efforts considérables déployés par la mission
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1 de contrôle de la Commission européenne, l’ECMM, et les
2 forces des Nations Unies de la FORPRONU permirent d’une
3 part la libération des prisonniers et d’autre part le
4 cantonnement du conflit.
5 Mais cette situation ne devait pas durer et nous
6 allons aborder, mes collègues et moi, la partie concernant
7 l’embrasement de la vallée de la Lasva en avril 1993.
8 Le 15 avril, les Croates, notamment par la voie de
9 Dario Kordic lors d’une réunion publique télévisée,
10 lançaient un nouvel ultimatum. Tihomir Blaskic déclarait
11 également à la télévision que des soldats du HVO avaient
12 été attaqués à Nadioci. Par ordre écrit, il ordonnait aux
13 brigades du HVO et à l’unité spéciale des Vitezovis de
14 riposter par le feu si elles étaient attaquées, puis aux
15 brigades du HVO et au 4e bataillon de police militaire de
16 se défendre contre ce qu’il appelait « les attaques
17 terroristes des musulmans ».
18 Le 16 avril à 1 h et demi du matin, le Colonel
19 Blaskic à l’époque émettait un ordre de combat destiné à la
20 brigade Vitez et aux unités indépendantes Tvrtko pour (je
21 cite) « prévenir les attaques des forces musulmanes
22 extrémistes. » Les formations concernées devaient être
23 prêtes (je cite) « à faire feu à 5 h 30 le 16 avril 1993 ».
24 De fait, le 16 avril 1993 à 5 h 30 du matin puis
25 dans les jours qui suivirent, la vallée de la Lasva
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1 devenait le théâtre de multiples crimes : civils tués ou
2 blessés, maisons incendiées, minarets abattus, mosquées
3 détruites, femmes et enfants séparés des hommes et n’ayant
4 d’autre choix que de fuir, femmes violées, hommes
5 emprisonnés, frappés, conduits pour creuser des tranchées
6 jusque sur le front.
7 Partout, le même scénario ou presque : une attaque
8 d’artillerie d’abord en n’utilisant sans aucune
9 préoccupation quant aux conséquences les moyens parfois
10 archisanaux – on a beaucoup parlé des BeBe bombes – puis
11 attaque de l’infanterie. Peu importe que l’objectif ait pu
12 présenter au moins partiellement un intérêt militaire, il
13 convient de faire en sorte qu’une fois le terrain conquis,
14 les musulmans ne puissent plus y vivre. C’est tellement
15 vrai que des villages qui n’étaient pas défendus et qui ne
16 constituaient pas un objectif militaire sont détruits.
17 Le 16 avril 1993 : Ahmici, un village dont la très
18 large majorité des habitants est musulmane, qui est connu
19 pour l’intensité de la pratique et de l’enseignement de la
20 religion musulmane, dont la plus grande des mosquées vient
21 d’être reconstruite, un village en hauteur qui surplombe la
22 route principale Busovaca-Vitez mais à quelque distance de
23 celle-ci, un village où il n’y a pas d’armée musulmane.
24 Il est 5 h 30 ce 16 avril : l’artillerie entre en
25 jeu. Les habitants croates sont partis la veille, la
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1 veille au soir. Seuls sont restés ceux qui sont armés et
2 veulent tuer : tuer les musulmans affolés qui sont
3 réveillés en plein nuit, sortent de chez eux pour fuir et
4 tombés sous les balles des soldats qui les attendent, des
5 musulmans, femmes, enfants et vieillards compris que l’on
6 sort de force de chez eux pour les tuer, des musulmans qui
7 se cachent sous leur lit dans leur cave qui meurent brûlés
8 vifs dans l’incendie de leur maison. Ces faits sont
9 connus.
10 La Défense a fini par admettre que ces faits
11 n’étaient pas contestables dans leur matérialité. La
12 Défense, après beaucoup de tergiversation, a fini par
13 clairement mettre au cause les troupes qui selon elle
14 auraient commis tous ces crimes : la police militaire et
15 notamment une unité spéciale de celle-ci, les Jokeris, dont
16 le commandant est Vladimir Santic, assisté de Anto
17 Furundzija, poursuivi par ailleurs devant ce Tribunal pour
18 des faits en relation avec cette attaque.
19 D’autres villages ou hameaux sont également
20 attaqués en même temps : Nadioci, Pirici, Santici, qui se
21 trouvent à proximité immédiate de Ahmici.
22 Le même scénario se reproduit dans les
23 municipalités de Busovaca. L’artillerie du HVO pilonne les
24 villages de Jelinak, Merdani, Putis.
25 Le 17 avril 1993, les soldats du HVO et les
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1 Jokeris entrent dans le village de Loncari et fouillent les
2 maisons musulmanes à la recherche des hommes en âge de
3 combattre et des armes. Toutes les maisons et les étables
4 appartenant à des musulmans sont incendiées. Toutes les
5 maisons des villages de Jelinak et Putis sont également en
6 feu. Les villages entiers sont en feu. Les femmes, les
7 enfants, les vieillards sont rassemblés puis chassés. Des
8 civils sont frappés.
9 Le 19 avril, c’est au tour du village de Ocehnici
10 d’être attaqué. Des civils sont tués, dont des femmes.
11 Toutes les habitations musulmanes sont incendiées.
12 C’est, il faut le constater, toujours la même
13 tactique qui est appliquée dans la municipalité de
14 Kiseljak. D’abord, au nord de la ville de Kiseljak, du 18
15 au 21 avril 1993, ce sont les villages de Behrici,
16 Gomionica, Gromiljak, Hercezi, Polje Visnjica, Rotilj,
17 Svinjarevo qui sont attaqués.
18 Le village de Gomionica subira de nouveaux assauts
19 en juin. Les maisons sont incendiées. Les mosquées de
20 Behrici et Gomionica sont détruites. Celles de Gromiljak
21 seront endommagées par un incendie. La mosquée de Visnjica
22 est pillée. De très nombreuses maisons musulmanes sont
23 brûlées. Les habitants sont chassés ou rassemblés pour
24 être détenus.
25 Sur ce point, il faut souligner que si certains
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1 furent conduits à la caserne de Kiseljak où les mauvais
2 traitements furent nombreux, un nombre plus important
3 encore, y compris des femmes et des enfants, fut conduit au
4 village de Rotilj. Il n’était pas possible de sortir de ce
5 village dans la mesure où les troupes croates contrôlaient
6 les routes d’accès et où des tireurs embusqués veillaient
7 pour anéantir toute tentative de fuite. Les conditions de
8 vie étaient difficiles, les musulmans manquant d’eau et de
9 nourriture et devant s’entasser dans les maisons musulmanes
10 restées intactes. Les hommes détenus furent contraints
11 d’aller creuser des tranchées, le plus souvent sur les
12 lignes de front, subissant en même temps des violences.
13 Au mois de juin 1993, c’est le sud de la
14 municipalité qui voit les mêmes crimes se reproduire : à
15 Grahovici, Han Ploca, Tulica. Là encore, des civils sont
16 tués et des maisons pillées et incendiées ou incendiées,
17 des hommes amenés prisonniers, battus, forcés de creuser
18 des tranchées.
19 Pour revenir à la municipalité de Vitez, il faut
20 aussi évoquer les attaques sur Vitez et notamment sur Stari
21 Vitez, qui est le quartier musulman de la ville, en avril
22 1993; sur Stari Vitez en juillet; sur Donja Veceriska et
23 Gacice en avril; et sur Grbavica en septembre 1993.
24 De ces attaques, la Chambre soulignera ici trois
25 éléments en particulier.
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1 Le premier c’est le recours à la terreur. Ainsi,
2 le 18 avril, c’est un camion bourré de centaines de kilos
3 d’explosifs qui explose à la limite de Stari Vitez, à
4 proximité d’une mosquée. Selon la Défense, cette action
5 aurait été décidée et menée par les Vitezovis commandés par
6 Darko Kraljevic.
7 Le second élément c’est que certaines attaques
8 pouvaient – la Chambre l’explique plus en détail, bien sûr,
9 dans son jugement – correspondre à une nécessité militaire.
10 Par exemple, une usine d’explosifs était située entre les
11 villages de Donja Veceriska et Gacice. Il n’en demeure pas
12 moins que même dans ce contexte, des civils musulmans ont
13 été tués, chassés et que des habitations musulmanes ont été
14 détruites sans que les circonstances le justifient.
15 De même, les observateurs se sont accordés à
16 reconnaître que l’attaque sur Grbavica – que l’accusé a
17 d’ailleurs reconnu avoir organisé – fut très bien menée,
18 mais les destructions qui ont suivi ne répondaient là
19 encore à aucune nécessité militaire.
20 Le troisième élément que la Chambre voudrait
21 souligner c’est que lors de l’attaque sur Vitez, les
22 responsables, les principaux responsables politiques et
23 intellectuels musulmans de la ville ont été arrêtés et
24 détenus, comme un membre de l’ECMM a pu le constater.
25 Enfin, la Chambre doit évoquer pour être complet
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1 le bombardement de la ville de Zenica le 19 avril 1993
2 lorsque plusieurs obus sont tombés vers midi hors de toute
3 zone présentant un quelconque intérêt militaire, provoquant
4 notamment la mort de nombreux civils.
5 Compte tenu des circonstances, la probabilité que
6 ce crime soit imputable au HVO apparaissait élevée.
7 Néanmoins, la Chambre considère que les éléments en sa
8 possession ne permettent pas de conclure à la
9 responsabilité de l’accusé dans cette attaque-ci, cette
10 attaque criminelle.
11 C’est la responsabilité de l’accusé que nous
12 allons aborder maintenant.
13 Pour tous les faits que je viens de narrer, autre
14 que le bombardement de Zenica, comment doit s’apprécier la
15 responsabilité de l’accusé ?
16 À titre préliminaire, la Chambre souhaite
17 souligner deux choses.
18 La première c’est qu’il n’est pas reproché à
19 l’accusé d’avoir lui-même commis le fait matériel
20 constituant le fondement de l’un quelconque des crimes
21 visés à l’acte d’accusation, en d’autres termes, il n’est
22 pas reproché au Général Blaskic d’avoir par exemple tué de
23 sa main un ou plusieurs musulmans.
24 La seconde observation c’est que dans sa réflexion
25 sur les crimes reprochés à l’accusé, la Chambre a bien pris
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1 note des circonstances de l’époque et notamment de la
2 possibilité que des crimes aient été commis par les forces
3 musulmanes.
4 À cet égard, la Chambre souligne que c’est elle
5 qui a souhaité entendre les commandants de la 7e brigade
6 musulmane dont le nom fut souvent associé à certains de ces
7 crimes. Il ne s’agit pas ici de les imputer ou non à telle
8 ou telle unité musulmane, mais la Chambre considère qu’elle
9 a reçu des preuves d’atrocités commises au préjudice de
10 civils croates et que les auteurs de ces crimes doivent
11 être poursuivis.
12 Toutefois, et c’est fondamental, la Chambre
13 dénonce l’argument qui voudrait excuser un crime par un
14 autre. La question essentielle qui se pose en réalité est
15 de savoir si d’une part le Général Blaskic a ordonné que
16 des crimes soient commis ou autrement failli à ses
17 obligations de supérieur hiérarchique et si d’autre part
18 ces crimes ont été commis dans le cadre d’une attaque
19 massive ou systématique contre la population civile
20 musulmane.
21 L’accusé a ordonné que des attaques soient
22 commises qui ont entraîné des crimes dont il est
23 responsable ou en tout cas en a aidé ou facilité la
24 commission, ou en tout état de cause n’a pas pris les
25 mesures raisonnables qui auraient permis de prévenir que
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1 des crimes soient commis ou même d’en punir les auteurs.
2 La Chambre doit dire à cet égard qu’à s’en tenir
3 aux seuls documents dont elle dispose, l’accusé a développé
4 une activité remarquable par sa quantité et sa variété.
5 Outre le domaine strictement militaire, le Général Blaskic
6 a pris des mesures touchant aussi bien à la protection des
7 civils qu’à l’acheminement de l’aide humanitaire au
8 relogement des Croates ou des musulmans. Que ceci soit
9 bien dit !
10 Mais cette intense activité apparente cache mal la
11 réalité des ordres qu’il adressait aux troupes sous son
12 autorité et les lacunes de son autorité quant au
13 comportement de ses propres troupes. L’analyse des faits
14 contredit ce que la Défense a présenté comme l’action d’un
15 officier hautement professionnel n’ayant jamais ordonné que
16 des crimes soient commis et ayant au contraire fait des
17 efforts incessants pour tenter d’empêcher ou de réparer des
18 crimes.
19 Parlons d’abord de l’autorité de l’accusé.
20 Il est symptomatique de relever que l’attention
21 entre les communautés n’a cessé de monter de mai 1992 à
22 janvier 1993. Pourtant, les seules mesures véritablement
23 efficaces qui sont prises par l’accusé consistent à mettre
24 en place une chaîne de commandement solide dans l’ensemble
25 des territoires dont il a la charge. Les nombreux ordres
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1 produits à l’audience démontrent amplement que l’accusé a
2 voulu asseoir l’autorité des forces croates dans la région
3 et sa propre autorité sur toutes ses forces.
4 Dès le 11 mai 1992, il signe par exemple un ordre
5 selon lequel (je cite) : « Les seules unités militaires
6 légales dans la région de la municipalité de Kiseljak sont
7 les unités du HVO. » Dans le même temps, (je cite
8 toujours) : « La TO » – c’est-à-dire la Défense
9 territoriale – « est considérée comme illégale dans cette
10 région. »
11 Au demeurant, l’accusé a revendiqué s’être efforcé
12 de professionnaliser une armée constituée de troupes mal
13 formées et a imputé les crimes à des éléments incontrôlés
14 ou ne relevant pas de son commandement.
15 Si les éléments de preuve confirment que le
16 Général Blaskic a effectivement eu le souci de bâtir une
17 véritable armée bien structurée, ils infirment, des
18 éléments de preuve infirment en revanche l’hypothèse du
19 manque ou de l’absence d’autorité hiérarchique. Au
20 contraire, les informations fournies tant par l’Accusation
21 que par la Défense montrent que l’accusé entendait
22 intervenir dans tous les domaines en s’adressant à toutes
23 les forces disponibles, y compris par exemple à la police
24 civile le cas échéant.
25 L’analyse des ordres qu’il a reçus ou qu’il a
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1 donnés montre que le Général Blaskic commandait toutes les
2 troupes du HVO mais également d’autres unités. De plus,
3 contrairement à son affirmation devant la Chambre, la
4 chaîne de commandement fonctionnait de manière
5 satisfaisante.
6 Quelles étaient ces troupes et les autres unités
7 qui étaient sous son autorité ?
8 La Défense a présenté un tableau expliquant
9 l’articulation des différentes unités entre elles et
10 notamment le fait que la police militaire ou certaines
11 unités indépendantes ou spéciales comme les Vitezovis ne
12 relevaient pas de l’autorité de l’accusé mais directement
13 du grand état-major à Mostar ou du ministère de la Défense
14 de la Communauté croate de Herceg-Bosna.
15 Si elles pouvaient être détachées – pour la
16 défense, bien sûr – si elles pouvaient être détachées ces
17 unités auprès du Général Blaskic pour des opérations
18 ponctuelles, il ne pouvait, dit-il, ni leur donner d’ordres
19 de combat, ni prendre de mesures disciplinaires à leur
20 encontre. En tout état de cause, l’autorité éventuelle du
21 Général Blaskic ne pouvait s’exercer qu’à compter du moment
22 où les forces concernées se plaçaient sous son
23 commandement.
24 La Chambre réfute catégoriquement ces arguments et
25 notamment le débat sémantique qui ferait qu’une unité
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1 détachée ne serait pas une unité rattachée et
2 réciproquement.
3 Prenons l’exemple de Ahmici. Selon
4 l’argumentation de la Défense et les explications de
5 l’accusé lui-même, la police militaire, dont je rappelle
6 que l’accusé a dit qu’elle était coupable des crimes commis
7 dans ce village, lui aurait été rattachée qu’à 11 h 42 le
8 16 avril 1993, date et heure de réception du rapport par
9 lequel cette unité se serait placée sous l’autorité du
10 Général Blaskic.
11 La réalité est toute différente. Plusieurs
12 éléments de preuve en attestent.
13 D’abord dès le 19 janvier 1993, le Général
14 Petkovic a ordonné que les Vitezovis soient subordonnés à
15 l’accusé et je cite : « à tous égards ».
16 Bien plus, le 15 avril 1993 à 15 h 00, juste avant
17 l’embrasement de la Bosnie centrale, les Vitezovis et la
18 police militaire sont détachés auprès du Général Blaskic
19 par ordre du même Général Petkovic.
20 Le 15 avril dans l’après-midi vers 17 h 00,
21 l’accusé organise, selon ses propres déclarations, une
22 réunion avec les commandants de la police militaire et des
23 Vitezovis. Le 15 avril à 10 h 00 du matin déjà, le Général
24 Blaskic avait adressé à la police militaire, aux Vitezovis
25 et aux brigades du HVO de la zone opérationnelle (je
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1 cite) : « un ordre préparatif de combat. » Cet ordre
2 demandait en particulier à la police militaire de veiller à
3 ce que les forces musulmanes ne barrent pas la route
4 principale reliant Travnik à Busovaca.
5 Le 15 avril à 15 h 45, l’accusé s’adresse à la
6 brigade du HVO de Vitez, la brigade Viteska commandée par
7 Mario Cerkez, et au 4e bataillon de police militaire et
8 leur ordonne notamment de passer au plus haut degré de
9 préparation au combat, « d’organiser » (je cite toujours)
10 « à tous les échelons un système de commandement sans
11 interruption et de se tenir prêt » (je cite toujours) « à
12 engager une action défensive.
13 Le 16 avril à 1 h 30 du matin, le Général Blaskic
14 émet un ordre de combat à la brigade Viteska ainsi qu’aux
15 unités indépendantes Tvrtko. Cet ordre leur dit d’occuper
16 la région de défense, bloquer les villages et empêcher
17 toute entrée et toute sortie des villages. Il précise que
18 les forces du 4e bataillon de police militaire, les forces
19 de la brigade Nikola Subic-Zrinjski, la brigade du HVO de
20 Busovaca et les forces de la police civile participeraient
21 aussi au combat.
22 L’ordre exige que les forces soient prêtes à faire
23 feu à 5 h 30, et à 5 h 30, Ahmici et de nombreux autres
24 villages sont attaqués. En quelques heures à peine, nous
25 le savons, une centaine de civils musulmans de Ahmici et
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1 des autres villages seront tués, brûlés, et des dizaines de
2 maisons incendiées.
3 Ainsi, le Général Blaskic a décidé… il a ordonné.
4 Il a lancé ses troupes, des troupes régulières du HVO, les
5 unités indépendantes ou spéciales Vitezovis et Tvrtko,
6 l’unité Jokeris et les troupes de la police militaire ou
7 même de la police civile à l’assaut de villes et de
8 villages dont la plupart n’étaient pas ou peu défendus, et
9 tout ce dans le but de faire de la vallée de la Lasva un
10 territoire croate.
11 Prenons les ordres que le Général Blaskic
12 adressait pour les combats dans la zone de Kiseljak.
13 Kiseljak. L’accusé a prétendu qu’il en était
14 isolé, qu’il avait des problèmes de communication et que
15 cela rendait difficile le bon fonctionnement de la chaîne
16 de commandement. J’y reviendrai.
17 Le 17 avril 1993 à 9 h 10, le Général Blaskic dit
18 à la brigade du HVO de Kiseljak d’organiser le bouclage de
19 certains villages et de prendre le contrôle de Gomionica et
20 de Svinjarevo.
21 Dans un deuxième ordre, le 17 avril à 23 h 45, il
22 ordonne la capture de ces deux villages. Il ordonne de
23 lancer une attaque et de prendre Bilalovac et il écrit au
24 commandant de la brigade qu’il faut utiliser la police
25 militaire et la police civile pour (je cite) « le
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1 nettoyage » – c’est le mot que le Général Blaskic emploie –
2 le nettoyage du terrain.
3 L’accusé veut être certain que ce nettoyage sera
4 bien fait. Alors dans ses ordres, il enflamme ses troupes
5 en leur clamant qu’à Zenica, les forces musulmanes
6 massacrent les Croates et les écrasent avec des chars et le
7 Général Blaskic confie à ses hommes une mission historique.
8 Il leur dit (je cite) : « Gardez à l’esprit que la vie des
9 Croates de la région de la Lasva dépend de votre mission.
10 Cette région pourrait devenir notre tombe à tous si vous
11 faites preuve d’un manque de résolution. »
12 Enfin, l’accusé n’est pas aussi préoccupé de la
13 qualité de ses subordonnés qu’il voudrait nous le faire
14 croire. La Défense a ainsi qualifié de mafiosi l’unité des
15 Zutis. C’est une unité de la brigade HVO Frankopan de Guca
16 Gora. Pourtant, le 4 juillet 1993, l’accusé nomme le chef
17 de cette unité comme adjoint aux forces actives de la zone
18 opérationnelle de Bosnie centrale. La même police
19 militaire qui selon les déclarations du Général Blaskic a
20 commis les crimes de Ahmici en avril 1993 sera utilisée
21 pour l’attaque sur Grbavica en septembre de la même année.
22 Comment fonctionnait cette chaîne de
23 commandement ?
24 Pour démontrer que l’accusé ne disposait pas des
25 moyens de communication permettant d’assurer le bon
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1 fonctionnement de la chaîne de commandement, la Défense a
2 pris argument en particulier de la situation d’isolement
3 dans laquelle l’accusé se trouvait dans son quartier
4 général de Vitez et de la faiblesse des effectifs
5 d’officiers qualifiés à sa disposition.
6 La Chambre est disposée à convenir que le Général
7 Blaskic a pu rencontrer des difficultés de communication,
8 au moins en apparence. De nombreux documents font ainsi
9 état de demandes d’escorte adressées par le Général Blaskic
10 à la FORPRONU pour se rendre par exemple de Vitez à
11 Kiseljak. Mais la Chambre dispose de plus d’éléments de
12 preuve qu’il ne serait nécessaire pour constater que la
13 chaîne de commandement fonctionnait de manière
14 satisfaisante.
15 Le Général Blaskic n’a pas déploré de manque de
16 communication avec ses supérieurs d’ailleurs mais plutôt
17 avec ses subordonnés. Ces difficultés sont au demeurant
18 loin d’être aussi importantes que l’accusé l’a prétendu.
19 La Chambre sait que des hélicoptères venaient à
20 Vitez. La Chambre peut accepter qu’il y avait relativement
21 peu d’équipement radio mais toutes les lignes téléphoniques
22 n’étaient pas coupées. Le Général Blaskic pouvait au
23 demeurant en plein conflit téléphoner par exemple
24 directement au commandant des forces adverses.
25 Plusieurs témoins ont attesté du contrôle des
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1 autorités croates sur les lignes téléphoniques dans toute
2 ou partie de la région. Il y avait – nous en avons la
3 preuve – des téléphones cellulaires.
4 Surtout, l’analyse des documents écrits est riche
5 d’enseignement. Il est intéressant de noter certaines
6 différences entre les mêmes documents selon qu’ils sont
7 produits par l’Accusation ou produits par la Défense.
8 Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans
9 l’incroyable quantité d’ordres et de rapports, à en juger
10 par les seuls numéros de référence dont la Chambre dispose,
11 que le Général Blaskic a reçus ou émis, et tout cela
12 fonctionnait fort bien.
13 Je reviens sur les événements de Kiseljak. Par
14 exemple, le Général a dit que les communications ne
15 fonctionnaient pas bien, et pourtant, le 17 avril à 9 h 10,
16 l’accusé à la brigade Ban Jelacic de Kiseljak de se
17 préparer et de lui adresser un rapport avant 23 h 30. Le
18 17 avril, il reçoit ce rapport. Le 17 avril à 23 h 45, le
19 Général Blaskic donne l’ordre d’attaque pour le 18 avril à
20 5 h 30. Le 18 avril à 5 h 30, l’attaque commence
21 effectivement.
22 La chronologie des faits vient ainsi confirmer le
23 caractère organisé des attaques en elles-mêmes et par le
24 fait que l’accusé ne prend aucune mesure après que, comme
25 il le reconnaît lui-même, il a eu connaissance des crimes.
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1 Prenons par exemple la période d’avril à août
2 1993. Le 15 avril, le Général Blaskic est à Vitez et prend
3 les ordres dont nous avons parlé. Le 16 avril à 1 h 30 du
4 matin, il donne ce qu’il appelle l’ordre de préparation au
5 combat.
6 Le 16 avril à 5 h 30 du matin, l’artillerie du HVO
7 entre en jeu à Vitez, Stari Vitez, Ahmici, Santici, Pirici,
8 Nadioci. Ce pilonnage est immédiatement suivi d’attaque
9 d’infanterie.
10 Le 16 avril dans la matinée, les forces commandées
11 par l’accusé attaquent dans la municipalité de Busovaca
12 vers Jelinak, Merdani et Putis.
13 Le 17 avril, les attaques se poursuivent et le
14 Général Blaskic prépare celle de la municipalité de
15 Kiseljak.
16 Le 18 avril aux toutes premières heures, de
17 nouveau l’artillerie entre en jeu, puis ce sont, selon un
18 schéma bien établi, des attaques d’infanterie sur
19 Svinjarevo, Gomionica, Visnjica. Je n’insiste pas.
20 Mais le 18 avril, pour briser la résistance des
21 musulmans de Stari Vitez, c’est un camion bourré de
22 centaines de kilos d’explosifs qui explose, et le 18 avril,
23 c’est l’attaque sur Donja Veceriska, et le 20 avril, c’est
24 l’attaque sur Gacice.
25 Vers le 20 avril, le Général Blaskic contrôle la
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1 situation. Il lui faut renforcer ses défenses. Il utilise
2 et va utiliser les détenus musulmans pour creuser des
3 tranchées, en particulier sur la ligne de front.
4 Le sud de la municipalité de Kiseljak est une zone
5 plus fragile car si l’on considère, pour simplifier, que le
6 Général Blaskic et ses forces se trouvent à l’ouest, des
7 forces serbes sont à l’est, mais les forces musulmanes sont
8 au nord et au sud.
9 L’accusé lance donc une nouvelle offensive en
10 juin, toujours selon le même schéma, artillerie puis
11 infanterie, et ce sont les villages de Grahovci, Han Ploca,
12 Tulica qui sont les victimes des exactions de ses troupes.
13 Et lorsque le Général Blaskic sait que des crimes
14 ont été commis, que fait-il ? Rien.
15 Je passerai ici sur son affirmation qu’il ignorait
16 tout de Ahmici jusqu’à ce que le Colonel Stewart de la
17 FORPRONU lui écrive pour lui faire part des horreurs qu’il
18 avait constatées et exige de lui une enquête.
19 Mais qu’a donc fait le Général Blaskic ? Aucune
20 enquête sérieuse. Une déclaration selon laquelle les
21 crimes auraient été commis par des forces serbes infiltrées
22 ou par des musulmans eux-mêmes.
23 Et devant la Chambre lorsqu’il témoigne, quand il
24 accuse, l’accusé, quand il accuse lui-même la police
25 militaire, les Jokeris en particulier, qu’apporte l’accusé
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1 comme éléments ?
2 Il omet de dire que le commandant des Jokeris, de
3 ces mêmes Jokeris qu’il accuse, ce commandant, Vladimir
4 Santic, a son bureau à l’hôtel Vitez dans son quartier
5 général, mais il affirme qu’il a demandé une enquête dès le
6 24 avril. En réalité, les témoins l’ont confirmé, le
7 Général Blaskic ne le fait que le 8 mai au plus tôt, et il
8 parle – je cite son ordre écrit du 10 mai – « des rumeurs »
9 (dit au 10 mai), « les rumeurs qui courent dans le public
10 concernant les événements de Ahmici ».
11 L’accusé a expliqué ensuite que rien ne s’est
12 passé, qu’il a fait un rappel, que le rapport qui lui a été
13 transmis par le service d’information et de sécurité était
14 incomplet. Pourtant, il n’en redemande un que le 17 août
15 1993 et il lui aurait finalement été répondu à lui le
16 Général Blaskic que les informations avaient été transmises
17 à Mostar, ce dont le Général Blaskic s’est contenté puisque
18 même lorsque de juin à octobre 1994, devenu chef d’état-
19 major adjoint du HVO en charge notamment d’enquêter sur les
20 crimes de guerre, il ne fera aucune démarche significative.
21 Finalement, aucun soldat du HVO, de la police
22 militaire, des Jokeris ou d’une quelconque unité n’aura
23 jamais été puni pour le massacre de Ahmici.
24 Je rapprocherai cette attitude d’un élément très
25 simple. En plein conflit le 16 avril, jour même de
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1 l’attaque sur Ahmici, le Général Blaskic adresse une
2 protestation à la FORPRONU parce qu’un blindé des Nations
3 Unies a renversé la clôture d’une église.
4 Il s’agit d’une attaque massive ou systématique
5 contre la population civile musulmane. Les éléments de
6 preuve présentés à la Chambre tant par l’Accusation que par
7 la Défense démontrent que le Général Blaskic a ordonné des
8 attaques et des actions qui ont entraîné des crimes dont il
9 est responsable et qui s’étaient inscrits dans une logique
10 de persécution de la population musulmane.
11 Il y a d’abord une volonté politique et ensuite
12 une politique de discrimination.
13 La volonté politique d’abord. Il convient en
14 premier lieu de rappeler que le HVO n’est pas qu’une
15 structure militaire. C’est aussi une structure civile qui
16 en tant que telle prend des décisions pour l’organisation
17 de la vie dans la cité.
18 Pour reprendre l’exemple de Kiseljak, la cellule
19 de crise municipale décide le 25 juin (je cite) : « Le
20 comité exécutif de l’assemblée municipal de Kiseljak prend
21 dorénavant l’appellation de Conseil de défense croate, HVO
22 de Kiseljak. » La même cellule de crise avait le 25 mai
23 annulé le compte de virement de la Défense territoriale et
24 ordonné l’ouverture d’un compte de virement pour le HVO de
25 Kiseljak.
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1 En acceptant de prendre ses responsabilités de
2 commandant HVO de la défense de Kiseljak mais surtout les
3 responsabilités de commandant HVO de toute la zone
4 opérationnelle de Bosnie centrale et de les exercer, le
5 Général Blaskic sait donc parfaitement que le cadre de son
6 activité n’est pas et ne peut pas être strictement
7 militaire.
8 Cette imbrication du militaire et du politique se
9 retrouve dans les ultimatums lancés en janvier 1993 par
10 Mate Boban et en avril 1993 par Dario Kordic. Leur mot
11 d’ordre ne s’arrête pas à revendiquer que les municipalités
12 de Vitez, Busovaca ou Kiseljak reviennent aux Croates mais
13 exigent aussi que les musulmans déposent leurs armes.
14 D’ailleurs, le Général Blaskic participe à de
15 nombreuses réunions publiques au côté d’hommes politiques
16 aux visions nationalistes avérées. De nombreuses
17 photographies en attestent, dont plusieurs permettent de
18 noter que ces politiques portent des uniformes militaires.
19 Le 22 septembre 1992 par exemple, l’accusé fait
20 partie de la présidence par intérim aux cotés de Dario
21 Kordic, Anto Valenta, Ignac Kostroman, de la réunion du HVO
22 des municipalités de Bosnie centrale à laquelle il
23 participe et au cours de laquelle, entre autres, les
24 participants demandent l’établissement d’une banque croate.
25 En fait, le Général Blaskic est en contact
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1 permanent avec les politiques. D’ailleurs, Anto Valenta a
2 son bureau à l’hôtel Vitez, quartier général de l’accusé,
3 qui est encore une fois très proche, et lors des
4 négociations avec la mission européenne ou la FORPRONU, le
5 Général Blaskic est souvent aux cotés d’Ignac Kostroman.
6 Un détail significatif. Le 25 mai 1993, l’accusé
7 écrivait une lettre avec Anto Valenta pour se plaindre
8 auprès de la FORPRONU que celle-ci, l’ECMM, le HCR ou le
9 CICR utilisaient trop de traducteurs musulmans.
10 Le Général Blaskic sait donc parfaitement quelle
11 est la politique poursuivie.
12 Et cette politique, quelle est-elle ?
13 C’est une politique de discrimination. Elle est
14 clairement discriminatoire à l’encontre des musulmans.
15 C’est en fait tout ce qui est musulman qui doit être
16 supprimé ou remplacé.
17 Je viens de parler du souhait formulé par les
18 participants à une réunion co-présidée par l’accusé au
19 cours de laquelle fut réclamée une banque croate. Il est
20 intéressant de noter que la banque musulmane de Vitez sera
21 détruite par une explosion la veille de l’ouverture de la
22 banque croate à Vitez.
23 Les musulmans sont systématiquement exclus des
24 organes de la vie politique, les lieux de culte musulmans
25 sont détruits ou au moins endommagés ou pillés, qu’il
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1 s’agisse des mosquées dont les minarets sont en particulier
2 méthodiquement détruits ou des centres religieux ou même
3 des lieux où les morts sont lavés avant d’être enterrés.
4 Finalement, la vie est rendue impossible aux musulmans
5 puisque leurs habitations sont détruites.
6 La Chambre souligne que ces destructions ne
7 doivent rien au hasard ou à de prétendus nécessités
8 militaires. Les maisons musulmanes ont été précisément
9 ciblées puisque comme le montre de nombreux documents, les
10 maisons croates voisines elles sont restées presque
11 toujours intactes.
12 La culpabilité.
13 Général Blaskic, je vais maintenant vous demander
14 de vous lever, s’il vous plaît.
15 [L’accusé se lève]
16 M. LE PRÉSIDENT : En définitive, Général Blaskic,
17 vous êtes reconnu coupable d’avoir commis l’ensemble des
18 crimes qui vous sont reprochés, à l’exception du
19 bombardement de la ville de Zenica.
20 Vous êtes coupable, Général Blaskic, d’avoir entre
21 le 1er mai 1992 et le 31 janvier 1994 ordonné dans les
22 municipalités de Vitez, Busovaca et Kiseljak, et notamment
23 dans les villes et villages de Ahmici, Nadioci, Pirici,
24 Santici, Ocehnici, Vitez, Stari Vitez, Donja Veceriska,
25 Gacice, Loncari, Grbavica, Behrici, Svinjarevo, Gomionica,
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1 Gromiljak, Polje Visnjica, Visnjica, Rotilj, Tulica, Han
2 Ploca et Grahovci, un crime contre l’humanité pour des
3 persécutions contre les civils musulmans qui se sont
4 traduits par des attaques contre des villes et des
5 villages; des meurtres et des atteintes graves à
6 l’intégrité physique; la destruction et le pillage de biens
7 et en particulier d’édifices consacrés à la religion ou à
8 l’enseignement; des traitements inhumains à l’égard de
9 civils et notamment à leur prise en otage et leur
10 utilisation comme boucliers humains; le transfert forcé de
11 civils.
12 Et par ces mêmes faits, comme la Chambre a dit
13 qu’il s’agissait d’un conflit armé international, vous avez
14 commis des violations des lois ou coutumes de la guerre qui
15 se sont traduites par des attaques illégales contre des
16 civils ou contre des biens de caractère civil; ou encore
17 des violations des lois ou coutumes de la guerre qui se
18 sont traduites par des meurtres; ou des infractions graves
19 qui sont sanctionnées par l’Article 2 du Statut concernant
20 les infractions aux Conventions de Genève qui se sont
21 traduites par des homicides intentionnels – je ne reprends
22 pas la numérotation des chefs d’accusation, vous le
23 trouverez dans le jugement – par des assassinats, par des
24 atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé.
25 Vous avez également commis… vous vous êtes rendu
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1 coupable d’infractions graves concernant des destructions
2 qui peuvent être traduites comme des violations des lois ou
3 coutumes de la guerre, des destructions de biens sur une
4 grande échelle, et ceci sans justification ou exigence
5 militaire, et par des pillages de biens publics ou privés.
6 Vous vous êtes rendu responsable des violations
7 des lois ou coutumes de la guerre notamment pour la
8 destruction et l’endommagement délibéré d’édifices
9 consacrés à la religion ou à l’enseignement.
10 Enfin, nombre de crimes ont été commis sous vos
11 ordres : des crimes liés à la détention des personnes qui
12 étaient sous votre garde après les combats, traitements
13 inhumains, traitements cruels, prises de civils en otages,
14 boucliers humains.
15 En tout état de cause, vous avez en tant que
16 supérieur hiérarchique, de toute façon, omis de prendre les
17 mesures nécessaires et raisonnables qui auraient permis
18 d’empêcher que ces crimes soient commis ou d’en punir les
19 auteurs.
20 Pour fixer votre peine, Général Blaskic, la
21 Chambre a tenu compte, comme elle l’explique dans son
22 jugement, de l’ensemble des circonstances qui peuvent être
23 considérées comme aggravantes ou atténuantes.
24 Vous étiez très jeune à l’époque des faits et vous
25 aviez la charge de la zone opérationnelle de Bosnie
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1 centrale. Les éléments de preuve présentés à la Chambre
2 permettent de cerner quel a été votre rôle. Ils font
3 également apparaître que vous ne devez pas seul porter la
4 responsabilité des atrocités commises, je le dis devant le
5 banc du Procureur.
6 Les faits que vous avez commis, Général Blaskic,
7 sont d’une extrême gravité. Ces actions de guerre menées
8 au mépris du droit international humanitaire, dans la haine
9 de l’autre, ces villages réduits à l’état de ruine, ces
10 maisons et ces étables incendiées et détruites, ces
11 personnes forcées de quitter leur foyer et ces vies
12 perdues, brisées, sont inacceptables.
13 La communauté internationale ne doit pas tolérer que de
14 tels crimes soient commis ou qu’ils soient perpétrés, quels
15 qu’en soient les auteurs, quels qu’en soient les motifs.
16 Si conflit armé il doit y avoir, il appartient à
17 ceux qui le décident comme à ceux qui le mènent de veiller
18 au respect des règles les plus élémentaires du droit des
19 gens et il appartient, bien sûr, aux juridictions
20 internationales, ce Tribunal aujourd’hui, demain la Cour
21 pénale internationale, de sanctionner comme il convient
22 tous ceux et surtout les plus hauts responsables qui
23 transgressent ces principes.
24 Ces règles, Général Blaskic, vous les avez
25 violées. Vous le savez.
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1 En conséquence, la Chambre vous condamne à la
2 peine de 45 années d’emprisonnement dont, bien sûr, il sera
3 déduit la période de détention pour le compte du Tribunal
4 que vous avez effectuée depuis le 1er avril 1996, jour de
5 votre arrivée à La Haye.
6 L’audience est levée. Vous pouvez vous asseoir.
7 --- L’audience est levée à 11 h 43
8
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