Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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5 Mardi 24 juin 1997

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9 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

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11 M. le Président. - Veuillez vous asseoir. Monsieur le greffier,

12 pouvez-vous faire entrer l'accusé, s’il vous plaît.

13 (L’accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d’audience.)

14 Je voudrais d'abord vérifier que la cabine d'interprétation est

15 prête, et que toutes les parties m'entendent bien ou entendent bien les

16 Juges. Mes collègues, monsieur le Procureur, le banc de la défense,

17 monsieur Tihomir Blaskic, m’entendez-vous bien ?

18 (Installation technique.)

19 M. Blaskic (interprétation) - Bonjour, monsieur le Président,

20 messieurs les Juges, je vous entends parfaitement.

21 M. le Président. - Je voudrais maintenant procéder à

22 l'identification des représentants des parties. Tout d'abord, le Procureur

23 qui est l’organe de la poursuite.

24 M. Harmon (interprétation). - Bonjour, monsieur le Président.

25 Bonjour, messieurs les Juges. Je m'appelle Mark Harmon. Je représente le

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1 bureau du Procureur, ce matin.

2 Je comparais avec mes collègues Andrew Cayley et Gregory Kehoe.

3 A ma gauche, se trouve M. Emile Devillebois. Je vous remercie, monsieur le

4 Président.

5 M. le Président. - Ce sera la composition, pendant toute la

6 durée du procès. Monsieur Harmon ?

7 M. Harmon (interprétation). - Il se peut qu'il y ait une

8 personne supplémentaire qui vienne représenter le bureau du Procureur. Il

9 s'agira de M. Douglas Stringer.

10 M. le Président. - Je me tourne vers la défense.

11 M. Hayman (interprétation). - Bonjour, messieurs les Juges. Je

12 m’appelle Russell Hayman. Je comparais avec mon confrère, M. Ante Nobilo.

13 Nous défendons M. Tihomir Blaskic.

14 M. le Président. - Monsieur Tihomir Blaskic, voulez-vous vous

15 lever ?

16 (M. Blaskic se lève.)

17 Vous allez très brièvement vous présenter devant le Tribunal, en

18 confirmant votre identité, votre âge, votre origine géographique, votre

19 résidence au moment de votre arrivée à La Haye, votre résidence en Croatie

20 et votre profession ?

21 Ce sera la seule fois où nous vous le demanderons, mais compte

22 tenu qu'il s'agit de l'ouverture du procès, je vous le demande. Pouvez-

23 vous nous préciser ces éléments, s'il vous plaît ?

24 M. Blaskic (interprétation) - Merci, monsieur le Président.

25 Je m'appelle Tihomir Blaskic. Je suis né le 2 décembre 1960 dans

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1 le village de Kiseljak. J'ai séjourné, avant mon arrivée à La Haye, à

2 Zagreb. J'ai terminé l'Académie militaire des Forces terrestres et je suis

3 officier de carrière de l'armée croate.

4 M. le Président. - Etes-vous marié et avez-vous des enfants,

5 Monsieur Blaskic ?

6 M. Blaskic (interprétation) - Oui, je suis marié depuis 1987.

7 J’ai deux enfants, un fils Dehanne âgé de 9 ans et un fils Ivan âgé de

8 1 an.

9 M. le Président. - Merci. Vous pouvez vous asseoir.

10 Je voudrais poser quelques questions préliminaires au moment où

11 s'ouvre ce procès du général Tihomir Blaskic.

12 Tout d'abord, je me tourne vers le banc du Procureur pour lui

13 demander que rapidement, avec l'aide du Greffe d’ailleurs, soit mis au

14 point un document unique concernant l'acte d'accusation modifié.

15 Je vous rappelle que l'acte d'accusation du général Blaskic a

16 été modifié à deux reprises, outre l'acte d'accusation initial qui

17 comportait le nom du général Blaskic, ainsi que six autres noms d'accusés.

18 L’acte d’accusation a été modifié une première fois pour

19 dissocier le cas du général Blaskic. Ensuite l'acte d'accusation, à la

20 demande de la défense, a dû être modifié sur un certain nombre de points.

21 Nous souhaiterions, mes collègues et moi-même, en liaison avec

22 le Greffe, l’établissement d’un document unique qui fasse la synthèse

23 définitive des accusations telles qu'elles ont été confirmées par le

24 Tribunal. Monsieur le Procureur ?

25 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, l'acte

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1 d'accusation qui est désormais le deuxième acte d'accusation modifié,

2 accuse le général Blaskic de vingt chefs d'accusation, trois pour crimes

3 commis contre l'humanité, six pour violations graves, onze chefs

4 d'accusations pour violations des lois et coutumes de la guerre.

5 Je n'ai pas un exemplaire du chef d'accusation sous les yeux,

6 mais cela couvre une période considérable de temps et se déroule sur trois

7 municipalités : Busovaca, Vitez...

8 M. le Président. - J'ai bien compris, Monsieur Harmon. Je ne

9 vous demande pas de commencer, j'ai d'autres points liminaires.

10 Je voulais simplement vous dire qu'à la suite de la décision du

11 Tribunal du 23 mai 1997, nous avons pris acte d'un certain nombre de

12 modifications, à la suite d'un débat contradictoire qui a eu lieu.

13 Au cours de ce débat, nous avons rendu cette décision qui

14 confirme un certain nombre d'accusations, et vous renvoie devant la

15 Chambre d'instance n° 2 pour, éventuellement, confirmer certaines autres

16 accusations. Je vous rappelle qu'il y a également un chef nouveau

17 d'accusation. Le Tribunal voudrait que, suite à cette décision, nous ayons

18 un document unique qui fasse la synthèse. Il sera fait soit par vous-même,

19 soit par le Greffe.

20 Monsieur le Greffier, d’après ce que m’a dit Mme le Greffier, ce

21 travail serait en cours en liaison avec le Procureur.

22 Le Tribunal demande tout simplement que la synthèse des

23 différentes décisions qui ont été prises sous l’acte d'accusation soit

24 faite. Pour l’instant, c’est tout. Le Tribunal aimerait disposer de ce

25 document. Vous pouvez vous asseoir, Monsieur le Procureur.

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1 Je voudrais également rappeler à chacune des parties que ce

2 procès s'ouvre aujourd'hui. Trois types de décision sont en cours. Elles

3 sont d'ordre préliminaire et pourront éventuellement avoir une incidence

4 sur le déroulement du procès.

5 Nous avons en cours, devant la Chambre de première instance

6 n° 2, présidée par Mme McDonald, un contentieux sur ce qu’on appelle les

7 procédures de subpoena duces tecum, qui doit être tranché par la Chambre

8 de Mme McDonald et qui peut avoir éventuellement une influence sur le

9 déroulement de la procédure, selon évidemment le sens qui sera donné à

10 cette décision.

11 Je le dis pour que le public, qui nous écoute, comprenne mieux

12 ce que pourra être le calendrier du procès Blaskic.

13 Nous avons également en cours -nous le savons depuis hier, c'est

14 cette Chambre qui doit rendre ces décisions, elle les rendra le plus

15 rapidement possible- une nouvelle décision sur la protection de certains

16 témoins, et une nouvelle décision sur certaines mesures concernant

17 certaines dépositions. Je n'en dis pas plus, puisque ces décisions doivent

18 être prises par la présente Chambre, mais ont fait l'objet de débats qui

19 ont été tenus à huis clos hier.

20 Je voudrais enfin signaler que le Tribunal est dépendant d'un

21 certain nombre de conditions matérielles. Tout le monde peut voir que

22 cette salle d'audience est particulièrement bien outillée, que toutes les

23 conditions y sont réunies pour assurer le procès dans les meilleures

24 conditions.

25 Malheureusement, nous n'avons qu'une salle d'audience et donc

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1 nous devrons la partager avec les autres procès qui sont en cours.

2 Le Tribunal est très chargé en ce moment. Les trois Chambres du

3 Tribunal sont occupées, la Chambre d'appel et l'autre Chambre de première

4 instance. Le Tribunal a même été obligé de procéder à la composition

5 supplémentaire d'une autre Chambre pour assurer le procès Celebici.

6 Nous serons donc obligés de procéder par séquences de deux

7 semaines. Tout ceci est su des parties, mais il convenait de le dire

8 publiquement pour qu'on ne s'étonnât pas des interruptions dans le procès

9 Blaskic.

10 Par ailleurs, le Tribunal essaie, en liaison avec les autorités

11 compétentes, de trouver une solution pour faire en sorte que ces problèmes

12 matériels n'influent pas trop sur le déroulement du présent procès.

13 A cet égard, j'ai une deuxième déclaration à faire. Il s'agit de

14 la durée de la procédure. Je crois -et je me tourne ici à la fois vers le

15 Procureur et vers la défense- que nous sommes tous attachés, dans un

16 Tribunal international qui se veut exemplaire et conforme aux standards

17 internationaux les plus élevés, conformément au pacte international de

18 1966 sur les droits civils et conformément à la Convention européenne des

19 Droits de l'homme, à assurer au général Blaskic un procès juste, équitable

20 et qui se tienne dans des délais raisonnables.

21 La procédure n'est pas dans la maîtrise totale des juges de ce

22 Tribunal. La procédure qui a été adoptée dans ce statut est une procédure

23 qui laisse une très grande marge d'initiative à l'accusation et à la

24 défense.

25 L'accusation et la défense savent ce que les juges doivent

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1 effectivement prendre comme initiative dans ce procès. Il n'en demeure pas

2 moins, Monsieur le Procureur, Maître Hayman, Maître Nobilo, qu'une grande

3 partie de la célérité de ce procès dépendra de la manière dont vous-mêmes

4 saurez à la fois déterminer les témoins qui vous sont nécessaires pour

5 vous, pour prouver les charges que vous imputez au général Blaskic. Pour

6 vous, Maître Hayman et Maître Nobilo, pour prouver l'innocence de votre

7 client. Cela dépend de vous.

8 Je voudrais quand même appeler votre attention sur le fait

9 qu'une justice qui n'aurait pas de fin et qui se poursuivrait sur un temps

10 indéfini et incertain, non seulement ne pourrait pas satisfaire l'opinion

11 internationale des pays civilisés qui nous regardent, mais n'assurerait

12 pas non plus dans des délais décents la possibilité et surtout le droit

13 qu'a l'accusé à avoir un procès qui se déroule dans des délais

14 raisonnables.

15 Je ne le dirai qu'une fois, aujourd'hui, publiquement : vous

16 citerez le nombre de témoins que vous souhaitez citer. Je vous dis

17 simplement que les juges de ce Tribunal qui ont la responsabilité de

18 conduire ces débats dans des conditions telles que les standards

19 internationaux de ce procès soient assurés et ceci est leur seul

20 responsabilité, n'hésiteront pas le cas échéant à intervenir pour faire en

21 sorte que les répétitions, les redites et les choses qui seraient trop

22 superflues -et cela dans un respect profond du débat contradictoire-

23 soient autant que possible, autant que possible, éradiquées.

24 Si tel n'était pas le cas, nous ne pourrions que le constater.

25 Mais à ce moment-là, chacun sera conscient de ses propres responsabilités.

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1 Je ne doute pas que de part et d'autre, sachant que l'Histoire nous

2 regarde, la postérité nous jugera, nous ayons à coeur d'assurer au général

3 Blaskic ce procès juste, équitable et dans des délais raisonnables

4 auxquels il a le droit et surtout auquel l'opinion publique internationale

5 a le droit d'avoir accès.

6 C'est dans ces conditions, Monsieur le Procureur que je vous

7 demanderai ce matin, avant même la présentation de votre accusation, que

8 vous nous disiez comment vous concevez le planning, le déroulement de ces

9 audiences à venir, en termes des temps d'accusation qui doivent démontrer

10 la culpabilité, le nombre de témoins par chef d'accusation. Etes-vous en

11 mesure de le faire soit aujourd'hui, soit dans les jours qui viennent ? Je

12 poserai la même question à Maître Hayman.

13 J'en terminerai en disant que le Tribunal est composé du juge

14 Fouad Riad, du Juge Mohamed Shahabuddeen et de moi-même qui, à la suite

15 d'une élection conforme au Statut du Tribunal, assure la présidence,

16 c'est-à-dire le juge Claude Jorda.

17 Voilà, le procès du général Blaskic peut donc s'ouvrir. Monsieur

18 le Procureur, vous avez la parole à la fois pour présenter votre

19 accusation et nous dire, en conclusion de votre accusation, comment vous

20 concevez la conduite des débats, puisque -et je ne vais pas vous le

21 rappeler- le Tribunal va essayer de planifier les choses pour que le

22 procès déroule dans des délais convenables.

23 Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

24 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, pour

25 répondre à votre question qui était de savoir comment nous allons mener

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1 les débats, permettez-moi de vous demander votre indulgence pour vous

2 présenter cela dans le cadre de mes remarques liminaires.

3 M. le Président. - Vous avez toute l'indulgence du Tribunal,

4 mais n'en abusez pas quand même. Allez-y.

5 M. Harmon (interprétation). - Fort bien. Puis-je poursuivre ?

6 Monsieur le Président, l'affaire dont vous, M. le Juge Riad et

7 M. le Juge Shahabuddeen auraient à connaître concerne les forces de

8 Croatie sous le contrôle de M. le général Blaskic qui ont fait l'objet

9 d'une épuration ethnique en Croatie au début des années 1990 par

10 l'utilisation de méthodes qu'aucune autorité militaire ne pourrait

11 tolérer.

12 Les méthodes illicites utilisées par ces forces avaient pour but

13 d'obtenir la majorité ethnique pour la Croatie en Bosnie centrale. Le

14 Bureau du Procureur va apporter la preuve de ce que ces méthodes utilisées

15 par Blaskic et ses subordonnés étaient de caractère systématique et

16 généralisée et étaient bien connues du général Blaskic.

17 De fait, ces méthodes étaient tout à fait efficaces. Des

18 villages musulmans entiers ont été rasés. Des populations entières ont été

19 éloignées, expulsées des territoires qu'il avait sous son contrôle.

20 Nous montrerons que le général Blaskic était un soldat

21 professionnel qui était parfaitement conscient de ses obligations au titre

22 du droit international, mais qu'il en fait fi, qu'il les a ignorées et

23 qu'il était déterminé à parvenir à la domination croate en Bosnie

24 centrale.

25 J'aimerais, au départ, parler du conflit lui-même. L'ex-

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1 Yougoslavie se composait de six Républiques et de deux provinces

2 autonomes. A la fin des années 80, début des années 90, des événements

3 sociaux et politiques ont abouti à la désintégration de cet Etat. Quatre

4 des Républiques, à savoir la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie

5 et la Macédoine ont proclamé leur indépendance.

6 Dans le sillage de ces déclarations d'indépendance, se sont

7 déclarées des guerres sanglantes et effroyables, surtout en Croatie et en

8 Bosnie-Herzégovine, alors que la République fédérative socialiste de

9 Yougoslavie essayait de nier ce droit à l'indépendance des peuples

10 constituant ces Républiques.

11 Portons notre attention sur la guerre en Bosnie. Les parties au

12 conflit étaient en général, mais pas à titre exclusif, divisées selon des

13 lignes de fractures ethniques. Il y avait les Serbes de Bosnie, sous la

14 direction de Karabdic et Mladic, qui voulaient découper à âme entité

15 indépendante connue sous le nom de Republika Srpska. La République

16 fédérative de Yougoslavie et son armée, la JNA, soutenaient cet effort.

17 Mais, du fait de la pression internationale qui s'est exercée,

18 la JNA a été retirée, du moins en théorie, de la Bosnie le 19 mai 1992. En

19 réalité, dans les faits, la JNA est demeurée en Bosnie-Herzégovine. Elle

20 s'est contentée de changer de nom. La machine de guerre de la JNA a été

21 finalement transférée à l’armée de la Republika Srpska, la VRS, et pendant

22 toute la guerre, Belgrade a continué à soutenir l'effort de guerre de la

23 VRS en équipement, en munitions et en armement. C'est la supériorité en

24 armement qui a donné aux Serbes de Bosnie un avantage décisif lorsque le

25 conflit a éclaté.

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1 S'opposant aux intentions serbes, se trouvaient les Croates et

2 les Musulmans de Bosnie. Ces deux groupes se trouvaient, à l'origine, sous

3 la direction du gouvernement central établi à Sarajevo. Le gouvernement

4 bosniaque n’était pas prêt à la guerre. Etant donné la supériorité en

5 armement des Serbes de Bosnie, ceux-ci ont pu gagner des portions

6 impressionnantes du territoire et se sont emparés du contrôle de parties

7 importantes de la Bosnie.

8 Les Croates de Bosnie ont marqué leur indignation, face à la

9 réponse molle du gouvernement bosniaque, devant l'agression des Serbes de

10 Bosnie et en 1991 et 1992, fut établie la communauté croate de Herceg-

11 Bosna, un quasi-Etat et le Conseil de Défense croate, manifestement pour

12 défendre les intérêts croates. Nous apporterons la preuve que les Croates

13 de Bosnie ont pu bénéficier d'un soutien considérable logistique ainsi

14 qu’en hommes de la direction politique et de l’appui diplomatique de la

15 Croatie dans ses efforts. Alors qu'à l'origine les Croates de Bosnie

16 s'étaient alliés aux forces du gouvernement central pour résister à

17 l'offensive serbe, cette alliance fut éphémère et s'est désintégrée. C'est

18 alors qu'éclata une guerre dans la guerre. C'était une guerre croato-

19 musulmane et ce sont ces événements-là, qui se sont produits en Bosnie

20 centrale, qui font l'objet du deuxième acte d'accusation modifié que vous

21 avez sous les yeux.

22 Pour replacer dans leur contexte les événements de la guerre

23 croato-musulmane, il est essentiel de bien circonscrire les parties en

24 conflit, les objectifs poursuivis par ces parties et aussi les structures

25 des commandements militaires.

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1 Au cours de ces remarques liminaires, je parlerai de l'unité ou

2 des unités militaires des Croates de Bosnie comme étant le HVO et lorsque

3 je parlerai de l'organisation militaire des Musulmans bosniaques, je

4 parlerai de l'Armija.

5 Pour bien comprendre les objectifs et les aspirations des

6 Croates de Bosnie, il faut tout d'abord revenir à l'une des anciennes

7 républiques qui constituaient l'ex-Yougoslavie, à savoir la république

8 socialiste de Croatie. En 1989, un nouveau parti politique a été

9 constitué. Ce parti politique s'est intitulé la Communauté démocratique

10 croate ou HDZ. Son dirigeant s'appelait Franjo Tudjman, Président actuel

11 de Croatie, un ancien partisan bien connu, un communiste et général de la

12 JNA. Le docteur Tudjman a rédigé le programme du HDZ, programme qui était

13 très nationaliste et affirmait entre autres que les Croates avaient le

14 droit à l'autodétermination dans leurs confins historiques.

15 En avril et en mai 1990, des élections pluripartistes se sont

16 tenues en Croatie et le HDZ en est sorti vainqueur, puisqu'il avait une

17 majorité de sièges à l'Assemblée. Le 30 mai 1990, les députés élus se sont

18 assemblés et ont désigné comme Président de la Croatie, Franjo Tudjman.

19 Stipe Mesic devenait le nouveau premier ministre.

20 A la suite des élections en Croatie, le parti politique HDS a

21 élargi ses activités à la Bosnie-Herzégovine. La Communauté démocratique

22 croate de Bosnie-Herzégovine, HDZ-BIH, a été constituée à Sarajevo le

23 18 août 1990. Au départ, elle était enregistrée en tant qu'association. Ce

24 fut le cas le 6 septembre 1990. Les objectifs que poursuivait ce parti des

25 Croates de Bosnie reprenaient notamment le droit à l'autodétermination

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1 pour les Croates de Bosnie, le droit à la sécession et la réalisation de

2 la souveraineté pour la Bosnie-Herzégovine. Le premier Président de ce

3 parti s'appelait Davor Perinovic. Mais il fut remplacé par Stjepan Kljuic.

4 M. Kljuic était un Croate modéré qui croyait en un état unique

5 pluriethnique pour la Bosnie-Herzégovine. Nous apporterons la preuve que

6 M. Kljuic a été évincé de la direction du parti par le Président Tudjman

7 et a fini par être remplacé par Mate Boban. Je vous expliquerai toute

8 l'importance que revêt ceci par la suite.

9 En novembre 1990, les premières élections pluripartistes se

10 déroulèrent en Bosnie-Herzégovine et engendrèrent la domination des partie

11 nationalistes. Il y avait le SDA, parti musulman, le SDS, parti des Serbes

12 de Bosnie, et le HDZ, le parti des Croates de Bosnie. A la suite de ces

13 élections, ces trois partis se partageaient le pouvoir au gouvernement et

14 à l'Assemblée. Alija Izetbegovic, dirigeant du SDA, a été désigné comme

15 étant le chef de la présidence qui se composait de sept membres et était

16 pluriethnique.

17 Le 25 juin 1991; la Croatie et la Slovénie se proclamèrent

18 indépendantes et une guerre s'ensuivit. Cette guerre fut terminée en

19 l'espace de dix jours, mais la JNA s'est retirée en Croatie où elle s'est

20 engagée dans une guerre sanglante et effroyable. Ces horreurs de la guerre

21 sont désormais inscrites en lettres de sang à tout jamais dans les annales

22 de l'Histoire. Les souffrances de ces peuples à Vukovar et ailleurs, la

23 destruction du patrimoine culturel comme à Dubrovnik ont provoqué des

24 commotions dans le monde entier et également chez les Croates de Bosnie

25 qui sont allés en Croatie, ont pris les armes pour défendre cet état

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1 naissant et leur patrie spirituelle.

2 Alors que la guerre faisait rage en Croatie, le parti politique

3 des Croates de Bosnie a compris ou estimé que le gouvernement central de

4 la Bosnie n'était pas suffisamment robuste dans ses rapports avec la JNA

5 qui faisait transiter ses troupes par la Bosnie, en route vers le front de

6 la Croatie, et a estimé que ce gouvernement central n'était pas

7 suffisamment fort par rapport aux Serbes de Bosnie qui ont déclaré

8 l'indépendance de zones autonomes en Bosnie-Herzégovine.

9 Cela a débouché sur l'établissement d'un quasi-Etat connu comme

10 étant la communauté croate d'Herceg-Bosna qui est née le 18 novembre 1991.

11 La capitale de cette nouvelle entité devait se trouver à Mostar.

12 Le HZ-HB, cette nouvelle entité, a retenu un certain nombre de

13 municipalités au sein de la Bosnie-Herzégovine que cette nouvelle

14 communauté estimait faire partie de la communauté Croate et reprenait, soi

15 dit en passant, les trois municipalités où les faits incriminés dans

16 l'acte d'accusation se produisirent

17 Nous parlons ici de Vitez et Kiseljak notamment.

18 Les pères fondateurs de cette nouvelle entité estimaient que les

19 Croates de Bosnie et leur avenir étaient liés à l'avenir de la nation

20 croate tout entière et insistèrent sur les responsabilités historiques qui

21 leur incombaient pour ce qui était de la défense des territoires ethniques

22 et historiques de la Croatie et des peuples croates en Bosnie-Herzégovine.

23 L'autorité suprême était la présidence et le Président de la

24 présidence s'appelait Mate Boban. Monsieur le Président, messieurs les

25 juges, Mate Boban était un Croate de Herzégovine qui était étroitement lié

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1 au Président Tudjman. Il prônait la séparation des Croates de la Bosnie-

2 Herzégovine de cette république de Bosnie-Herzégovine et prônait

3 l'intégration des Croates de Bosnie-Herzégovine à la Croatie.

4 Au début du mois de février 1992, Stjepan Kljuic a été évincé de

5 la direction du HDZ-BiH à la demande du Président Tudjman, lui succédant

6 après un léger temps de flottement, Mate Boban. Quelle est l'importance de

7 ce changement ? Cela a profondément modifié la philosophie qui animait ce

8 parti politique. Avant l'éviction de Stjepan Kljuic, le parti prônait

9 l'intégration des Croates de Bosnie en Bosnie-Herzégovine pour former un

10 seul état. Alors que Boban se trouvait désormais au gouvernail, le parti

11 voulait rattacher les Croates du territoire bosniaque à la Croatie ainsi

12 que leurs territoires. L'important aussi est que, le 8 avril à la suite de

13 la guerre qui avait éclaté en Bosnie-Herzégovine, la présidence de

14 l'entité a crée le Conseil de défense croate (HVO). Vous allez entendre

15 longtemps et souvent parler du HVO au cours du procès. Le HVO est l’aile

16 militaire de cette nouvelle entité. Le général Blaskic était officier du

17 HVO.

18 Le 13 juin 1992, des HVO municipaux ont été constitués et

19 devenaient les autorités exécutives municipales en Herzeg-Bosna, usurpant

20 par là le poste occupé par des civils qui avaient été élus

21 démocratiquement.

22 L'importance de tout ceci est que l'on a rejeté se faisant, un

23 modèle unitaire d'organisation de l'Etat pour la Bosnie-Herzégovine et le

24 Président Mate Boban a transformé le groupe militaire HVO en instance

25 suprême du pouvoir exécutif et de l'administration, dans cette entité,

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1 organe qui était uniquement responsable devant la présidence. En fait,

2 toute l'autorité qu'il y avait dans cet Etat dans l'Etat a été conférée au

3 HVO, à l’aile militaire. Il se créa ainsi un état totalitaire militaire.

4 J'aimerais désormais parler de la structure de commandement du

5 HVO. Avec votre permission, je demanderai qu'on branche le

6 rétroprojecteur.

7 M. le Président. - Pouvons-nous, monsieur le greffier, faire

8 baisser l’intensité lumineuse ? (Intervention des techniciens.)

9 M. Harmon (interprétation). - Messieurs les juges, les

10 structures de commandement du HVO étaient très claires. Les lignes et les

11 chaînes de commandement l'étaient aussi. Cela est très bien illustré par

12 ce document sur le rétroprojecteur. Au sommet de la structure de

13 commandement du HVO, se trouve le commandement suprême des forces armées.

14 C'est Mate Boban. Directement sous ses ordres, se trouve le

15 ministère de la Défense, dirigé par Bruno Stojic. Directement sous les

16 ordres du ministère de la Défense, se trouve l'état général du HVO dirigé

17 par M. Petkovic. Directement sous les ordres de cet état-major, se

18 trouvaient quatre zones opérationnelles dont deux se trouvaient en Bosnie-

19 Herzégovine, une autre en Posavina au nord du pays et la quatrième, en

20 Bosnie centrale.

21 C'est là qu’apparaît pour la première fois le général Blaskic.

22 Le général Blaskic était le commandant de la zone opérationnelle de Bosnie

23 centrale.

24 Nous poursuivons l'examen de ces structures vers le bas et nous

25 constatons que, pour ce qui est des zones opérationnelles, il y avait au

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1 sein de celles-ci des groupes opérationnels.

2 M. le Président. - Votre schéma indique « colonel

3 Tihomir Blaskic ».

4 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, vous avez

5 tout à fait raison. Cette ambiguïté provient du fait que le

6 général Blaskic est aujourd'hui un général, mais lorsqu'il était

7 commandant de cette zone opérationnelle, il avait le rang de colonel.

8 Nous poursuivons l'examen de cette structure. Sous les zones

9 opérationnelles, se trouvent des groupes opérationnels. Par exemple, le

10 général Blaskic avait sous ses ordres, dans sa zone opérationnelle, trois

11 groupes opérationnels qui chacun se composait de brigades centrées autour

12 des municipalités où elles étaient basées. Au cours du procès, vous

13 entendrez parler de Mario Cerkez, qui était le commandant de brigade à

14 Vitez. Vous entendrez parler de Dusko Grubesic qui était l’un des

15 commandants de brigade à Busovaca. Par conséquent, à l'examen de cette

16 structure, vous constaterez, messieurs les juges, que dans la hiérarchie

17 du HVO, le général Blaskic en occupait l’un des postes les plus élevés.

18 Dans le cadre des opérations en Bosnie centrale, il était le commandant

19 militaire suprême ou avec le rang le plus élevé.

20 Je crois que je n'ai plus besoin du rétroprojecteur. Merci.

21 Comment fonctionnait le HVO ? Un aspect essentiel du HVO était

22 l'unité de commandement. Ceci était fort bien traduit par le décret

23 relatif aux forces armées, promulgué en juillet 1992. Ce décret imposait

24 deux principes : d’abord, à l’égard des subordonnés, l'obligation de

25 mettre en oeuvre les décisions et d'exécuter les ordres donnés par les

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1 supérieurs hiérarchiques. Ce décret imposait également que les commandants

2 des forces armées soient responsables devant leurs supérieurs, pour ce qui

3 est de leurs activités de commandement et de contrôle.

4 Soi dit en passant, messieurs les juges, ce même décret de 1992

5 exigeait aussi que les forces militaires, lors des opérations de combat,

6 respectent les lois et coutumes de la guerre internationales, les blessés

7 et les ennemis capturés, protègent la population et respectent les autres

8 dispositions du droit international humanitaire.

9 Permettez-moi d'évoquer rapidement un autre aspect dans ces

10 structures militaires : les Musulmans de Bosnie à la tête desquels se

11 trouvait un Musulman de Bosnie, le Président Alija Izetbegovic qui était

12 le dirigeant du Parti politique SDA. Son gouvernement voulait parvenir à

13 une société élue démocratiquement et pluri-ethnique. Et de fait, de

14 nombreux Croates de Bosnie étaient favorables à ce concept et soutenaient

15 le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine.

16 Lorsque la guerre éclata en Bosnie-Herzégovine, il y avait un

17 problème, à savoir le fait que l'armée de Bosnie-Herzégovine n'existait

18 pas. Je parlerai de l'Armija, mais celle-ci est née de ce qui restait des

19 forces de défense territoriale, TO, qui étaient pour l'essentiel des

20 forces de défense locale, qui avaient été une des composantes de

21 l'ancienne JNA et qui étaient un des grands principes de la doctrine

22 défendue par Tito de la défense populaire généralisée.

23 A l'origine, cette Armija se composait d'unités de défense

24 établies autour des municipalités, mais cela n'était pas très

25 opérationnel. Cela a fait que les Musulmans de Bosnie se sont réorganisés

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1 et ont composé une structure constituée de cinq corps et de brigades

2 subordonnées, dont chacun de ces corps opérait dans des régions

3 particulières de la Bosnie. Le Commandant suprême était Alija

4 Izetbegovic.

5 Les événements qui se sont déroulés et qui sont mentionnés dans

6 l'acte d'accusation se sont déroulés dans la zone d'opération du troisième

7 corps basé à Zenica. Il était commandé par le général Enver

8 Hadzihasanovic. Cette zone opérationnelle était très grande en

9 superficie allant, au Nord, jusqu'à Tesanj, au Sud jusqu'à Gorni Vakuf et,

10 à l'Est, jusqu'à Sarajevo. Les lignes de front s'étendaient sur près de 4

11 ou 500 kilomètres. Ces forces occupaient ce qui restait de l'épine dorsale

12 de la Bosnie-Herzégovine, après la guerre.

13 Cette zone reprenait une zone d'une grande importance

14 stratégique, la vallée de Lasva où beaucoup des faits incriminés dans

15 l'acte d'accusation se sont produits.

16 Se trouvait aussi dans la zone opérationnelle du troisième

17 corps, la zone opérationnelle de Bosnie centrale qui se trouvait sous le

18 commandement de Blaskic.

19 Des trois forces militaires en présence en Bosnie, l'Armija

20 était la moins bien équipée, la moins bien approvisionnée. Pourquoi ? Cela

21 tient à deux facteurs. D'abord au fait qu'ils ne disposaient pas d'alliés

22 régionaux prêts à les approvisionner en armement et en équipement comme

23 c'était le cas pour la Croatie et la Serbie. Puis, à l'époque, il y avait

24 un embargo international en place.

25 Par conséquent ce troisième corps et les autres corps de

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1 l'Armija étaient paralysés par une pénurie en approvisionnement en armes

2 et en munitions.

3 Le général Hadzihasanovic, qui viendra déposer au procès, vous

4 dira qu'il avait quelque 87 000 soldats sous ses ordres au troisième

5 corps, mais qu'à peine un tiers de ces 87 000 hommes avait des armes. Par

6 exemple dans une brigade de 12 000 hommes, il n'y avait que 3 ou

7 400 armes, à savoir des armes d'infanterie, des fusils-mitrailleurs et des

8 fusils de chasse. La situation était à ce point désespérée que par

9 exemple, quand un soldat quittait le front, il devait y laisser son arme

10 de telle sorte que celui qui allait le remplacer ait au moins une arme.

11 Le général Hadzihasanovic vous dira qu'au cours de cette année

12 1993, certains soldats n'avaient que dix balles. D'autres en avaient

13 trente ou cinquante au maximum. Il n'y avait alors plus rien pour lutter

14 contre l'ennemis.

15 Etant donné ces restrictions, l'Armija a essayé de tenir ce

16 front avec les Croates contre leur ennemi mutuel : les Serbes. Le général

17 Blaskic va peut-être affirmer au procès, Messieurs les Juges, que

18 l'Armija a été à l'origine du conflit, à Vitez, à Busovaca et à Kiseljak.

19 M. Hayman (interprétation). - Objection. C'est un argument. Il

20 ne devrait pas y avoir d'argument dans des remarques liminaires.

21 M. le Président. - Maître Hayman, laissez le Président et les

22 Juges diriger le débat. Il s'agit pour l'instant d'un exposé introductif.

23 L'accusation fait l'exposé à la base de son accusation, sous réserve de ce

24 qu'en pensent mes collègues.

25 (Les juges, assis, se concertent.)

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1 M. le Président. - Maître Hayman, le Tribunal n'accepte pas

2 votre intervention. L'accusation doit présenter son accusation.

3 Par contre, nous demandons au Procureur qu'il essaie de

4 présenter de la façon la plus lisse possible et sans mettre en jeu des

5 sources de discussion possible, or de quoi nous aurons des incidents de

6 cette nature. Ce que je dis à la défense, en accord avec mes collègues,

7 c'est que l'accusation ici a le droit, dans le temps et avec les modalités

8 qu'elle juge utiles, d'exposer toute l'accusation.

9 Il est bien certain que cette accusation ne peut pas être

10 neutre, comme le ferait un juge. Nous n'en sommes pas là. L'accusation

11 expose évidemment l'intégralité des charges qui pèsent.

12 Si à chaque fois que le Procureur expose une charge, la défense

13 doit se lever en disant que c'est un argument, je m'opposerai à ses

14 opposition. Par contre, je demande au Procureur de faire en sorte que tout

15 ce qui est argumentaire soit reporté à la partie postérieure à l'exposé de

16 son accusation. Voilà.

17 Monsieur le Procureur, vous poursuivez.

18 M. Harmon (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

19 Président. Comme je le disais, la poursuite apportera la preuve que ce

20 n'est pas l'Armija qui a été à l'origine du conflit, en avril 1993, dans

21 les municipalités de Vitez, Busovaca et Kiseljak, parce que ce n'est pas

22 comme cela que se sont produits les faits.

23 Etant donné la situation d'une fragilité extrême dans laquelle

24 se trouvait l'Armija en Bosnie centrale étant privée d'armes et de

25 munitions, alors qu'on avait un front de 4 ou 500 kilomètres et devant

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1 l'Armija un ennemi agressif, l'Armija ne voulait pas ouvrir un deuxième

2 front avec le HVO.

3 C'est dans ce contexte que le HVO a fait monter la tension en

4 Bosnie centrale pour aboutir aux événements décrits dans l'acte

5 d'accusation.

6 Ayant délimité et précisé les parties au conflit, j'aimerais

7 désormais parler du général Blaskic.

8 Il est né dans la municipalité de Kiseljak en 1960, une des

9 municipalités où les faits incriminés auraient eu lieu. A l'âge de 17 ans,

10 il est entré à l'académie militaire de Belgrade et il en est sorti

11 quelques années plus tard. Il est alors allé à l'académie militaire des

12 forces terrestres de Belgrade, pendant quatre ans. Il y a étudié toute une

13 série de sujets militaires, notamment le droit militaire.

14 Il est sorti de l'académie en 1993, avec le grade de sous-

15 lieutenant. Il était affecté Ljubljana où il a donné des cours à des

16 réservistes militaires, à des étudiants de l'académie militaire.

17 En 1997, il était promu au rang de capitaine. Il a quitté la

18 JNA en août 1991, alors qu'il était promu capitaine. Il est allé à Vienne

19 où il est resté plusieurs mois. Par la suite, il est retourné à Kiseljak.

20 En 1992, il fut promu au rang de commandant conjoint avec un

21 commandant musulman des forces du HVO à Kiseljak. Ces deux hommes étaient

22 sous les ordres du commandant de la municipalité ou du siège du HVO, à

23 Kiseljak.

24 Le 27 juin 1992, Mate Boban faisait de Tihomir Blaskic le

25 commandant de la zone opérationnelle de Bosnie centrale.

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1 Au départ, il y avait dans cette zone vingt-deux municipalités,

2 mais ce nombre a été diminué par la suite. Blaskic est ainsi devenue une

3 des personnalités les plus importantes du HVO et la personnalité militaire

4 la plus puissante dans la zone opérationnelle de Bosnie centrale. Alors

5 qu'il était commandant de cette zone opérationnelle, il avait le grade de

6 colonel.

7 Par la suite, après les événements décrits dans l'acte

8 d'accusation, il est devenu général major et chef de l'état-major du HVO.

9 En novembre 1995, le Président Tudjman l'a désigné inspecteur de

10 l'Inspectorat général de l'armée de la République de Croatie.

11 Actuellement, il détient le grade de général dans l'armée Croate.

12 L'accusation apportera la preuve que pendant toute la période

13 couverte par l'acte d'accusation, Blaskic se trouvait en position de

14 supérieur hiérarchique par rapport au personnel du HVO qui est responsable

15 des faits incriminés dans l'acte d'accusation.

16 Permettez-moi, maintenant, de parler de l'acte d'accusation. Je

17 vous le disais avant de commencer mes remarques liminaires, il y a vingt

18 chefs d'accusation : trois pour crimes contre l'humanité, six chefs pour

19 violation grave des conventions de Genève et onze chefs d'accusation pour

20 violation des droits et coutumes de la guerre. Ces chefs d'accusation

21 décrivent la persécution prolongée des Musulmans dans les municipalités de

22 Vitez, Busovaca et Kiseljak par Blaskic et ses subordonnés.

23 L'acte d'accusation décrit le caractère généralisé et

24 systématique des attaques menées contre des cités, en grande partie sans

25 défense, contre des villes et des villages occupés par des Musulmans

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1 bosniaques :

2 ? le meurtre intentionnel,

3 ? les atteintes à l'intégrité physique de non-combattants

4 musulmans,

5 ? la destruction systématique par le feu d'habitations musulmanes,

6 d'édifices consacrés à l'enseignement et à la religion par le

7 HVO,

8 ? le pillage systématique de biens musulmans par le HVO,

9 ? le traitement inhumain des civils musulmans par le HVO dans des

10 lieux de détention,

11 ? l'utilisation systématique par le HVO de civils musulmans et de

12 prisonniers de guerre pour des travaux forcés, notamment pour

13 l'utilisation généralisée de ces prisonniers pour creuser des

14 tranchées sur les postes de front,

15 ? et enfin, pour le transfert forcé de civils musulmans par le

16 HVO, Musulmans qui étaient chassés de leur foyer et de leur

17 village.

18 Tout cela s'est produit dans une région de la zone

19 opérationnelle de Bosnie centrale et plus précisément dans ces trois

20 municipalités que j'ai déjà mentionnées. Il s'agit d'une portion de terre

21 très étroite qui représente la même distance que celle qu'il y a entre

22 l'aéroport de Schipohl, au Nord de La Haye et La Haye.

23 De fait, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les faits

24 incriminés dans l'acte d'accusation se sont produits à quelques minutes de

25 distance du quartier général de Blaskic, qui se trouvait dans les villes

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1 de Vitez et Kiseljak. Par exemple, le village de Ahmici, où 96 civils

2 Musulmans, des femmes, des hommes, des enfants, des personnes âgées ont

3 été tuées, assassinés par des subordonnés de Blaskic, où tous les foyers,

4 toutes les mosquées ont été rasées. Tout ceci s'est produit à moins de

5 5 kilomètres du quartier général de Vitez de Blaskic.

6 Il est possible de voir ce village de Ahmici depuis

7 l'appartement supérieur du quartier général de Blaskic. Stari Vitez, un

8 autre endroit où les soldats se trouvant sous le commandement de Blaskic

9 ont commis plusieurs crimes pendant une période prolongée de temps, se

10 trouvait à peine à 300 mètres du quartier-général de Vitez.

11 Les casernes de Kiseljak où se trouvait le quartier-général de

12 Blaskic, c'est là que de nombreux civils musulmans ont été détenus et

13 c'est de là qu'ils ont été emmenés au front pour creuser des tranchées

14 sous la contrainte.

15 Alors que cette zone était géographiquement très étroite, très

16 petite, cette région était d'une grande importance pour Blaskic parce

17 qu'elle était proche de la Herzégovine et qu'elle se composait d'une forte

18 population croate, parce qu'aussi il y avait une base industrielle

19 importante et qu'elle se trouvait à un endroit stratégique au vu des

20 communications qu'il y a avec Sarajevo.

21 J'aimerais maintenant parler des responsabilités incombant au

22 général Blaskic.

23 La responsabilité pénale du général Blaskic est engagée tant en

24 vertu des articles 7.1 que 7.3 du Statut du Tribunal. Au titre de

25 l'article 7.1 "quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis

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1 ou, de toute autre manière, aidé et encouragé à planifier, à préparer ou à

2 exécuter un crime visé par le Statut est individuellement responsable

3 dudit crime."

4 Les éléments de preuve que nous apporterons contre M. Blaskic,

5 au titre de l'article 7.1, se fondent essentiellement sur des éléments de

6 preuve circonstancielle très probants.

7 Tout d'abord, M. Blaskic était le commandant militaire de la

8 zone opérationnelle de Bosnie centrale.

9 Deuxièmement, les méthodes employées par le HVO, qui revêtent un

10 caractère uniforme dans la commission des infractions incriminées dans

11 l'acte d'accusation, en particulier dans le cadre où peu après les

12 opérations militaires ordonnées, comprenaient :

13 1) l'incendie systématique de foyers musulmans et de bâtiments à

14 l'aide de liquides inflammables ou de munitions incendiaires,

15 2) le pillage systématique de biens musulmans,

16 3) la détention systématique d'hommes et de garçons musulmans,

17 4) l'utilisation systématique de détenus musulmans pour creuser des

18 tranchées,

19 5) l'expulsion systématique de Musulmans de Vitez, Busovaca et

20 Kiseljak,

21 6) et enfin, dans certains villages, l'assassinat systématique des

22 civils musulmans.

23 Troisième point, le schéma et le caractère systématique de ces

24 méthodes, surtout lors des opérations militaires conduites par le HVO dans

25 les trois petites municipalités de Vitez, Busovaca et Kiseljak, donc dans

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1 la zone opérationnelle de Bosnie centrale, sont des indications très

2 nettes comme quoi M. Blaskic a planifié, ordonné ou, de toute autre

3 manière, aidé ou encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime tel

4 que décrit dans l'acte d'accusation.

5 Ces éléments de preuve circonstancielle seront complétés par des

6 éléments de preuve indiquant que les soldats du HVO participaient à

7 l'attaque du 16 avril contre le village de Ahmici, et le fait que ces

8 soldats recevaient l'ordre de tuer des civils musulmans et de détruire

9 tout ce qui était musulman, faits qui sont malheureusement reflétés par

10 les événements sur le terrain.

11 Outre cela, nous présenterons le témoignage d'un témoin qui dira

12 avoir entendu l'un des participants de l'attaque du mois d'avril contre

13 les villages musulmans dire que Blaskic avait ordonné les assassinats

14 commis à Ahmici.

15 Nous avons aussi engagé la responsabilité pénale de M. Blaskic

16 du fait que tous les supérieurs militaires ont leur responsabilité

17 solennelle de veiller à ce que les horreurs de la guerre ne soient pas

18 infligées à des civils innocents et à des prisonniers de guerre.

19 Comme cela a été dit dans l'Affaire Yamashita, il est évident

20 que la conduite d'opérations militaires par des troupes, dont les excès ne

21 sont pas restreints par les ordres ou les efforts de leur commandant ont

22 pour résultat des violations au droit de la guerre.

23 L'objectif de protéger la population civile et les prisonniers

24 de guerre contre la brutalité de ses troupes serait non respecté si le

25 commandement d'une armée qui envahit une zone peut avec impunité négliger

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1 de prendre les mesures raisonnables en vue de leur protection.

2 Le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique est

3 incarné dans l'article 7.3 du Statut qui dit "qu'un supérieur voit sa

4 responsabilité pénale engagée s'il savait ou avait des raisons de savoir

5 que le subordonné s'apprêtait à commettre un acte délictueux ou l'avait

6 fait et que le supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et

7 raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les

8 auteurs."

9 Etablir cette forme de responsabilité pénale en vertu du Statut

10 suppose que nous réunissions trois éléments.

11 Un, le supérieur concerné doit être le supérieur du subordonné

12 qui a commis l'acte délictueux.

13 Dans le cadre de cet élément, la responsabilité d'un commandant

14 militaire s'applique tant aux membres des forces armées placées sous son

15 commandement qu'aux troupes qui normalement ne sont pas sous son

16 commandement, mais qui pouvaient être déployées pour une opération

17 particulière ou une période de temps limité.

18 Le supérieur est aussi responsable des mesures à prendre pour

19 protéger la population civile contre des attaques, même s'il ne s'agit pas

20 de subordonnés placés directement sous son commandement, et ce parce qu'il

21 est responsable du maintien de l'ordre et de la loi dans le territoire qui

22 se trouve de facto sous son contrôle.

23 Deuxième élément, M. Blaskic savait ou avait des informations

24 qui auraient dû lui permettre de conclure qu'une violation était en train

25 d'être commise, allait être commise ou avait été commise.

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1 Cet élément peut être établi par le truchement de la

2 connaissance effective, ou par le truchement d'éléments de preuve directe

3 ou indirecte, ou encore en établissant que l'accusé aurait su s'il n'avait

4 négligé délibérément d'être informé des circonstances. Il ressortira de

5 nos moyens de preuve que le général Blaskic, en particulier pour ce qui

6 concerne l'attaque commise contre Ahmici au mois d'avril, n'a pas tenu

7 compte d'informations qui étaient en sa possession et qui laissaient

8 entendre que des infractions pénales avaient certainement été commises.

9 Il sera prouvé, au-delà de doute raisonnable, qu'il avait une

10 connaissance effective de tous les crimes décrits dans l'acte

11 d'accusation. Il a reçu des plaintes directement de la part des

12 commandants de la FORPRONU, des observateurs de la mission ECMM, des

13 représentants du CICR, de commandants musulmans et de représentants du HVO

14 qui, quotidiennement, siégeaient dans le cadre d'une commission établie

15 par la mission ECMM pour entendre les plaintes des parties au conflit et

16 mener enquête.

17 Outre cela, les crimes décrits dans l'acte d'accusation étaient

18 à ce point généralisés, pour ce qui est du point de vue spatial et

19 temporel, que le général Blaskic devait en avoir eu une connaissance.

20 Nous avons l'intention d'établir la connaissance des crimes par M. Blaskic

21 par le truchement de deux formes de connaissance.

22 Troisièmement, nous devons prouver que le général Blaskic n'a

23 pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir ou punir

24 les auteurs des actes incriminés.

25 En vertu du droit international, un supérieur a pour obligation

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1 de fait j'ai hache les membres placés sous son commandement connaissent

2 les obligations de faire respecter le droit international.

3 Il doit le faire de façon régulière ou ad hoc avant une

4 opération. Nous présenterons des moyens de preuve indiquant que M. Blaskic

5 a effectivement donné des ordres à cet effet.

6 Cela étant, simplement donner des ordres de routine, l’ordre de

7 respecter la Convention de Genève, n'exonère pas un supérieur de sa

8 responsabilité pénale. Son devoir concomitant consiste à veiller à ce que

9 ses ordres soient effectivement appliqués. Un supérieur a le devoir de

10 prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population civile.

11 En outre, ainsi qu’il est dit dans l'affaire des otages, et je

12 cite : «La responsabilité première de la prévention et de la punition des

13 infractions incombe au général en charge, une responsabilité à laquelle il

14 ne peut échapper en niant avoir autorité sur les auteurs des infractions.»

15 Il ressortira de nos éléments de preuve que, malgré sa

16 connaissance des crimes commis par ses subordonnés, l'accusé n'a pas pris

17 les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les infractions ou

18 punir les subordonnés qui les avaient commises. Cette attitude de laisser-

19 faire a encouragé ses subordonnés à commettre les crimes allégués dans

20 l’acte d'accusation.

21 Plutôt que de punir ses subordonnés, le Général Blaskic a, en

22 revanche, souvent accusé les Musulmans ou les Serbes des crimes commis, en

23 fait, par des forces du HVO.

24 J'en arrive, Monsieur le Président, aux circonstances des actes

25 incriminés.

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1 Dans la zone opérationnelle de Bosnie centrale, il existait des

2 tensions entre les deux communautés ethniques, donc entre Croates et

3 Musulmans, qui étaient officiellement alliés contre les Serbes.

4 En octobre 1992, par exemple, vous entendrez que des tension se

5 sont fait sentir à Nove Travnik, une localité à majorité musulmane à côté

6 de Vitez. Nove Travnik se trouve effectivement à côté de Vitez. Des

7 combats ont débordé dans le village d’Ahmici lorsqu'un barrage routier,

8 établi par les Musulmans près du village, a empêché le HVO d'envoyer des

9 renforts à Nove Travnik, par delà la colline.

10 Il s'est ensuivi une échauffourée brève entre les Musulmans qui

11 tenaient le barrage routier et les forces du HVO, échauffourée à la suite

12 de laquelle un garçon musulman de 17 ans est mort. Deux jours plus tard,

13 les combats à Nove Travnik cessaient.

14 Ces échauffourées se sont passées à peu près en même temps que

15 des combats opposaient les Musulmans et les Croates à Prozor et à

16 Gorni Vakuf, localités qui se trouvent à l'extérieur des trois

17 municipalités visées par l'accusation.

18 En juillet 1993, un autre conflit a éclaté entre le HVO et les

19 Musulmans, cette fois à Busovaca.

20 Nous présenterons des moyens de preuve, sous forme de

21 témoignages de victimes qui déposeront pour dire que des subordonnés du

22 général Blaskic les ont attaqués, ont brûlé leur maison et ont

23 systématiquement pillé leur maison, les forçant à creuser des tranchées et

24 édifier des fortifications pour le HVO. A bien des égards, ce qui s'est

25 passé à Busovaca était une répétition générale de ce qui devait se passer

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1 plus tard en avril et juin.

2 Les événements de Busovaca et de Nove Travnik ont été des

3 échauffourées brèves et violentes. Mais, dans les mois qui ont suivi, le

4 HVO a progressivement moins combattu les Serbes sur le front pour

5 concentrer ses forces, bien équipées, dans la Vallée de la Lasva, afin de

6 préparer les attaques surprises qui devaient se dérouler au mois d’avril.

7 Après ces incidents que j'ai décrits, à Busovaca et à

8 Nove Travnik, un sentiment antimusulman très fort était tangible dans la

9 Vallée de la Lasva, particulièrement concernant Ahmici, où le HVO avait eu

10 le sentiment de voir ses efforts entravés lorsqu'il avait voulu apporter

11 des renforts à Nove Travnik en octobre.

12 Dans l'ensemble de la région, et particulièrement à Vitez et

13 autour, des violences ont été enregistrées contre la population musulmane,

14 violences systématiques et généralisées.

15 Ainsi, les Musulmans ont dû prêter serment et allégeance au HVO

16 ou ont été chassés de leur travail. Fréquemment, ils étaient harcelés par

17 des soldats du HVO. Beaucoup de commerces musulmans, qui se trouvaient

18 près du quartier général du général Blaskic à Vitez, ont été plastiqués ou

19 détruits.

20 Le général Blaskic était tout à fait au courant de cette

21 situation explosive et de la violence croissante exercée contre les

22 Musulmans, lorsqu'il a planifié les attaques contre Ahmici et d’autres

23 villages, et lorsqu'il a lâché ses troupes contre ces villages en avril

24 1993.

25 Pendant ces événements dont nous parlons, il s’est ajouté un

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1 incident important, décrit dans l'acte d'accusation, incident qui s’est

2 passé à Genève.

3 Depuis septembre 1992, des négociations, réunissant les Serbes,

4 les Croates et les Musulmans, se poursuivaient sous la direction de

5 M. Cyrus Vance et Lord Owen. Ces négociations ont abouti à ce qu’on a

6 appelé à l'époque le Plan de paix Vance-Owen. En vertu de ce plan de paix,

7 la Bosnie-Herzégovine devait devenir un état décentralisé, comptant dix

8 provinces qui seraient placées sous le contrôle soit des Serbes, soit des

9 Musulmans, soit des Croates.

10 Les Croates ont reçu trois provinces, qui portaient les

11 numéros 3, 8 et 10. La province n° 10 comprenait les municipalités de

12 Vitez, Busovaca et une partie de Kiseljak, où se sont déroulés les crimes

13 allégués dans l'acte d'accusation.

14 Lorsqu'on a montré la carte de cette division territoriale aux

15 Croates de Bosnie, ils s'en sont trouvés enchantés. Le 4 janvier 1993,

16 Mate Boban a accepté ce plan de paix sans aucune réserve. Il aimait

17 beaucoup cette carte, cette répartition.

18 Les Musulmans et les Serbes n'ont pas accepté le plan de paix.

19 Il a fallu poursuivre les négociations qui ont abouti finalement le

20 25 mars 1993, lorsque le Président Izetbegovic a accepté le plan de paix.

21 Mais le 2 avril 1993, ce sont les Serbes de Bosnie qui ont

22 rejeté le plan de paix. Le jour suivant, Maté Boban a déclaré que le plan

23 devait être appliqué. Il a aussi déclaré que si les Musulmans de Bosnie

24 n'acceptaient pas de mettre en oeuvre les dispositions du plan avant le

25 15 avril, le HVO se chargerait de sa mise en oeuvre.

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1 Le jour suivant ,le 16 avril 1993, les forces de Blaskic ont

2 poignardé leurs alliés dans le dos, en lançant une série destructrice

3 d'attaques surprises, bien coordonnées et bien planifiées, contre les

4 municipalités de Vitez, de Busovaca et Kiseljak. Il s'agissait des

5 municipalités qui devaient se retrouver dans la province n° 10, en vertu

6 du plan Vance-Owen.

7 Ces opérations militaires ont été planifiées de façon

8 méticuleuse. Elles étaient appuyées par l'artillerie, des armes lourdes et

9 des manoeuvres d’infanterie bien coordonnées. Il ne s'agit pas d'éruptions

10 de violence spontanées qui seraient le fait d'éléments du HVO échappant à

11 tout contrôle.

12 Cela, monsieur le Président et messieurs de la Cour, ressort à

13 l'évidence de l'heure et de la date à laquelle ces attaques ont eu lieu

14 dans les trois municipalités.

15 Pour Vitez, cette attaque a eu lieu le 16 avril 1993 à 5 h 30

16 environ. Le HVO a attaqué simultanément Vitez, Stari Vitez et les villages

17 musulmans de Ahmici, Nadioici, Santici et Donja Veceri, notamment.

18 Le 17 avril, les forces du HVO ont attaqué le village de

19 Loncari, et le 20 avril, le village de Gacice. A Kiseljak, le

20 18 avril 1993, le HVO a lancé des attaques contre les parties musulmanes

21 de cette ville et contre les villages musulmans de Gomionica, Gromijak,

22 Visnjica, Polje Visnjica, Rotilj, Behrici et Hercesi. Enfin le 19 avril,

23 dans la municipalité de Busovaca, ils ont attaqué les parties musulmanes

24 de Busovaca même, ainsi que le village musulman de Ocennici.

25 Les moyens de preuve que nous allons présenter feront la preuve,

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1 au-delà de tout doute raisonnable, que les objectifs de ces attaques du

2 HVO comprenaient les civils musulmans et leurs biens.

3 Les crimes allégués dans l'acte d'accusation n'étaient pas

4 l'oeuvre d'extrémistes musulmans ou des Serbes, comme le général Blaskic

5 l’a fréquemment affirmé.

6 Ce n'était pas non plus l'oeuvre d'éléments croates échappant à

7 son contrôle. Ces crimes ont été commis par ses subordonnés sur lesquels

8 il avait autorité. Plus tard, en juin 1993, après les événements tragiques

9 de Ahmici, le HVO a lancé une autre série d'attaques surprises dans la

10 municipalité de Kiseljak, contre les villages de Han Ploca et de Tulica.

11 Vous entendrez des témoins qui vous décriront ces attaques. Ils vous

12 décriront notamment les méthodes utilisées par les troupes de Blaskic et

13 cela reflétera, à bien des égards, les témoignages déjà entendus pour ce

14 qui est des attaques du mois d'avril et de celles du mois de janvier,

15 commises à Busovaca. Dans certains des villages qui ont été attaqués aux

16 mois d'avril et de juin, il ressortira, à l'évidence des moyens de preuves

17 présentées, qu'il y avait des soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine qui

18 se trouvaient en permission dans ces villages. Il y avait aussi quelques

19 gardes sous-équipés et mal armés. Cette poignée d'individus mal organisés

20 a essayé, par tous les moyens à leur disposition, de protéger eux-mêmes

21 leur famille ainsi que leur maison, contre les attaques meurtrières

22 lancées contre eux par le HVO.

23 Durant cette résistance mal organisée, des victimes ont été

24 enregistrées parmi les assaillants. Mais, pour l'essentiel, cette

25 résistance s'est avérée futile et en fin de compte, les maisons, les lieux

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1 de culte ont été systématiquement détruits. Vous entendrez, monsieur le

2 Président et messieurs de la Cour, le témoignage de bon nombre de victimes

3 dont M. Sakhib Ahmic. Il parlera de l'attaque lancée contre le village de

4 Ahmici, le 16 avril 1993. M. Ahmici a 64 ans. A l'époque de l'attaque, il

5 était civil, habitant ce village. Il était chez lui avec son fils Nasar,

6 la femme de son fils et ses deux petits-enfants, Novis et Seyad qui avait

7 trois mois. Il écoutait la prière du matin qui venait de la mosquée toute

8 proche.

9 M. le Président. - Monsieur le Procureur, pour respecter un

10 timing qui sera notre timing quotidien, nous avions prévu de faire une

11 pause vers 11 heures 15. Je ne veux pas vous interrompre. Si vous avez

12 encore de la matière, mieux vaut peut-être que nous fassions une pause

13 maintenant et que vous repreniez ensuite. Si vous devez terminer

14 relativement rapidement, on peut attendre jusqu'à 11 heures 30. C'est vous

15 qui voyez. Vous nous le dîtes simplement.

16 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, nous

17 pouvons faire la pause maintenant, si vous le souhaitez. C'est un moment

18 opportun.

19 M. le Président. - La séance reprendra à 11 heures 35.

20

21 L'audience, suspendue à 11 heures 10, est reprise à 11 heures 40.

22

23 (L'accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d'audience.)

24

25 M. le Président (interprétation). - Monsieur le Procureur, vous

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1 avez la parole.

2 M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

3 Avant la pause, j'étais en train d'informer la Cour qu'on

4 entendrait le témoignage de nombreuses personnes durant le procès,

5 notamment de victimes, et je parlais en particulier de M Sakhib Ahmic. Au

6 moment de l’attaque contre Ahmici, le 16 avril 1993, M Ahmic se trouvait à

7 la maison et écoutait la prière du matin qui venait d'une mosquée toute

8 proche. Avec lui, à la maison, se trouvaient son fils, sa belle-fille et

9 ses deux petits-enfants dont l’un avait trois mois. A la fin de la prière

10 du matin, on a entendu soudainement une grande explosion et deux soldats

11 du HVO sont entrés dans la maison avec des armes automatiques. Ils ont

12 commencé par abattre le fils qui était non armé et la belle-fille de

13 M. Ahmic. Un autre soldat du HVO a pris un bidon qui contenait un liquide

14 inflammable, peut-être du gas-oil ou de l'essence, l’a versé et y a mis le

15 feu. Ensuite, les deux petits-enfants ont été assassinés. M. Ahmic est le

16 seul survivant de cette attaque inqualifiable. Sa maison a été détruite.

17 C'est là une tactique, monsieur le Président et messieurs de la Cour, que

18 le HVO a utilisé à de très nombreuses reprises pour détruire les foyers

19 musulmans dans les villages décrits dans l’acte d'accusation. Ces crimes

20 commis à Ahmici n'ont pas été commis par des Musulmans qui essayaient

21 d'embarrasser les Croates de Bosnie ni par les Serbes qui se trouvaient à

22 une distance significative, mais par des subordonnés de M. Blaskic. Vous

23 entendrez d'autres victimes, venues d'autres villages et notamment des

24 municipalités de Vitez, Busovaca et Kiseljak. Ces personnes à bien des

25 égards corroboreront le témoignage de M. Ahmic.

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1 Cela étant, durant le procès, nous ne nous limiterons pas à des

2 témoignages venant de victimes musulmanes. Durant les événements qui sont

3 décrits par l'acte d'accusation, des événements ont été le fait de tiers.

4 Ces témoins ont été vus par des tiers, notamment par un officier

5 britannique qui se trouvait à Vitez en avril 1993, dans le cadre de ses

6 fonctions à la FORPRONU.

7 Il s'agit du capitaine Dooley. Il est actuellement instructeur à

8 l'Académie royale de Saint-Sandhurst en Grande-Bretagne. Il déposera pour

9 dire que le matin du 16 avril, il a vu la ville de Vitez et des véhicules

10 armés. Il a donc vu l'attaque du HVO et il pourra décrire comment le HVO

11 est allé de maison en maison, attaquant systématiquement les maisons où se

12 trouvaient les civils. Il décrira comment, lui aussi, a été contraint

13 d’agir pour sauver des civils, faisant ainsi courir des risques à ses

14 hommes et à lui-même. Le capitaine Dooley dira aussi que le même jour, il

15 a pris son véhicule blindé pour parcourir la zone d’Ahmici et a ramassé

16 les corps de civils morts, principalement des femmes et des personnes

17 âgées. A son avis, aucune de ces victimes qu'il a pu voir n'était un

18 combattant.

19 Il dira qu'à son sens, cette attaque a été bien organisée, bien

20 synchronisée. Il dira aussi qu’à son sens, la cible était les civils.

21 Outre la déposition du capitaine Dooley, vous entendrez d'autres tiers

22 indépendants, dont des soldats britanniques, canadiens et néerlandais qui

23 faisaient partie de la FORPRONU stationnée dans la vallée de la Lasva.

24 Vous entendrez aussi des membres de la mission ECMM, etc. Vous entendrez,

25 par exemple, Charles McLeod, un observateur de la mission ECMM et ancien

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1 officier militaire britannique qui a passé un temps considérable en

2 Yougoslavie. Après les événements tragiques de la vallée de la Lasva en

3 avril 1993, M. McLeod a été envoyé par la mission ECMM afin de procéder à

4 une évaluation de la situation en Bosnie centrale. A cette occasion, il a

5 passé de nombreux jours dans cette zone, rencontré de nombreuses

6 personnes, inspecté de nombreuses localités et même rencontré le

7 général Blaskic. Il parlera de sa propre enquête et de son rapport final

8 que nous présenterons au titre de moyen de preuve.

9 M. McLeod conclut notamment et je cite : « que les Croates de

10 Vitez ont lancé une attaque coordonnée contre les villages musulmans

11 avoisinant Vitez ».

12 Il dit aussi : « que les Croates ont de fait établi un régime

13 totalitaire ayant éliminé toute opposition politique et ayant établi leur

14 propre structure politico-militaire. Les Croates utilisent des mesures

15 extrêmes de terreur et de génocide pour éliminer la population musulmane

16 et n'ont été empêché d'obtenir un succès total que parce qu'ils ont mal

17 calculé la réaction militaire des Musulmans. »

18 Les témoignages, tant des victimes que des témoins tiers

19 indépendants, permettront d'établir un schéma, un mode de conduite en

20 vertu duquel le HVO visait les civils et des cibles civiles lors des

21 attaques de janvier, avril et juin commises en Bosnie centrale.

22 Monsieur le Président et messieurs de la Cour, vous entendrez

23 aussi des témoignages quant à deux attaques aveugles du HVO qui ont

24 provoqué des pertes en vie humaine importantes. Elles ont eu lieu les 18

25 et 19 avril 1993. La première de ces attaques a consisté à faire exploser

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1 un énorme camion-bombe à Stari Vitez le 18 avril 1993. C'était là le fait

2 du HVO. Souvenez-vous que l'attaque à Vitez a commencé le 16 avril 1993 et

3 que beaucoup de Musulmans, durant cette attaque, ont fui vers Stari Vitez

4 pour se défendre. Il y avait donc aussi la présence de quelques soldats

5 musulmans dans cette poche de Stari Vitez.

6 C'est là que le capitaine Dooley pourra vous décrire cette

7 attaque et c'est lui qui nous rapportera cet incident du camion-bombe.

8 Ainsi donc, le 18 avril, le HVO a chargé un camion, y mettant une quantité

9 considérable d'explosifs, l’a envoyé à Stari Vitez et l’a fait exploser,

10 ce qui a provoqué une destruction considérable de biens et de civils,

11 ainsi que plusieurs morts et blessés. Cela s'est passé à 400 mètres du

12 quartier-général de M. Blaskic.

13 Les témoins qui décriront cet événement seront des survivants,

14 mais aussi des tiers indépendants tels que Geoffrey Thomas, qui était le

15 premier soldat britannique de la FORPRONU à se trouver sur les lieux. Il a

16 pris des photos du site qui seront présentées comme moyens de preuve.

17 La deuxième attaque aveugle du HVO a eu lieu le jour suivant

18 dans la ville de Zenica vers midi. C’est une attaque d'artillerie et elle

19 a eu lieu au marché de Zenica qui est animé. Ce pilonnage a provoqué la

20 mort de quinze civils. Trente-six civils ont également été blessés dont

21 dix-huit gravement. Se trouvaient à Zenica, au moment de l'attaque, des

22 observateurs de la mission ECMM dont certains se sont rendus sur le lieu

23 de l'attaque. Ils ont examiné les cratères au sol, procédé à leur analyse

24 et conclu que les obus avaient été tirés depuis des positions tenues par

25 le HVO.

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1 Les plaintes, quant au plastiquage de Stari Vitez, au pilonnage

2 de Zenica et les allégations de crimes de guerre, ont immédiatement été

3 communiquées à Blaskic et ses subordonnés. Blaskic a répondu en disant que

4 ce pilonnage était similaire au précédent, à savoir que c'étaient les

5 Serbes qui l'avaient fait.

6 Le procureur va également apporter la preuve qu'après les

7 attaques de janvier, avril et juin décrites dans l’acte d’accusation, le

8 HVO a encerclé des non-combattants, en général des hommes musulmans, pour

9 les emmener dans des centres de détention du HVO situés dans les

10 municipalités de Vitez, Busovaca et Kiseljak. La raison donnée était qu’il

11 fallait protéger les Musulmans eux-mêmes et garantir la sécurité de la

12 région. Ces civils y sont restés pour des périodes qui sont allées de

13 quelques jours à de nombreux mois. Ces lieux de détention comprenaient des

14 villages entiers, celui de Rotilj, les casernes de Kiseljak où M. Blaskic

15 avait un quartier-général, la prison de Kaonik et de nombreux autres lieux

16 de détention qui se trouvaient à quelques minutes de Vitez..

17 C'est dans ces centres de détention du HVO que des centaines de

18 civils musulmans et prisonniers de guerre ont été contraints au labeur

19 forcé par le HVO. Leur tâche consistait à aller sur le front. Ils y

20 étaient emmenés par le HVO et devaient creuser des tranchées et dresser

21 des fortifications pour le HVO.

22 Sur ces entrefaites, ils étaient souvent battus, soumis à des

23 horaires épuisants, mal nourris et fréquemment blessés ou tués, parfois

24 par le HVO, parfois par des Musulmans qui se trouvaient de l'autre côté de

25 la ligne de front.

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1 Le Procureur va présenter des moyens de preuve comme quoi cette

2 pratique illicite de travail forcé était systématique et généralisée dans

3 toute la zone placée sous la responsabilité de M. Blaskic. C'était une

4 procédure ordinaire du HVO que d'utiliser des civils musulmans pour

5 creuser des tranchées. M. Blaskic le savait et il a reçu des plaintes

6 directement concernant ces faits. C'est une pratique que le HVO a essayé

7 de cacher aux observateurs internationaux. Bien que cette pratique

8 généralisée était illégale, aux yeux du HVO, elle était commode parce que

9 le HVO n'avait pas la main-d'oeuvre suffisante pour entretenir ses lignes

10 de front qui la séparaient de l'armée de Bosnie-Herzégovine ou pour

11 construire les fortifications nécessaires à des fins de défense.

12 Messieurs de la Cour, vous entendrez aussi des civils musulmans

13 qui ont été expulsés de leur maison par le HVO. Beaucoup de ces expulsions

14 ont immédiatement suivi les attaques commises contre les villages,

15 attaques décrites dans l'acte d'accusation. Dans ce cas, des centaines de

16 musulmans, jusqu'à 250 personnes, ont été emmenés vers des points de

17 contrôle du HVO et ont reçu comme instruction de partir, d’aller à Zenica

18 ou ailleurs, en territoire contrôlé par les Musulmans. Ces personnes

19 n'avaient pas le choix. La plupart du temps, elles n'avaient rien d'autre

20 que les vêtements qu’elles portaient sur le dos.

21 Une fois que ces attaques ont cessé, les expulsions se sont

22 poursuivies de la part du HVO. Le Général Blaskic était parfaitement au

23 courant de ces pratiques. Elles étaient illicites, il les a néanmoins

24 soutenues.

25 La pratique des déplacements des populations était un article de

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1 foi du HVO. A cet égard, nous présenterons également des moyens de preuve.

2 J'en arrive, Monsieur le Président, au procès lui-même. Comme je

3 l'ai dit durant ces remarques ce matin, les moyens de preuve que nous

4 allons présenter consisteront essentiellement en des dépositions de

5 témoins.

6 Etant donné que l'acte d'accusation parle de crimes commis

7 contre des civils et des cibles civiles pendant une période de temps

8 considérable, et parce que ces faits se sont passés dans trois

9 municipalités et dans la ville de Zenica, il ne sera pas possible de

10 reprendre tous les actes criminels allégués dans l'acte d'accusation en se

11 fondant uniquement sur une poignée de témoins.

12 Malgré le grand nombre de témoins que nous avons l'intention de

13 citer, nous ne ménagerons aucun effort pour que ces dépositions se fassent

14 avec toute la diligence requise par la justice.

15 Nous présenterons également des photos, des cassettes et des

16 cartes ayant trait aux localités qui sont décrites dans l'acte

17 d'accusation.

18 Nous allons aussi présenter de nombreux ordres qui ont été

19 rendus par le général Blaskic, alors qu'il était le commandant de la zone

20 opérationnelle de Bosnie Centrale, y compris des ordres visant à attaquer

21 divers villages qui sont dans l'acte d'accusation, ainsi que certains

22 ordres du général Blaskic donnant l'ordre à ses subordonnés d'appliquer le

23 Droit international, et à enquêter sur des événements qui se sont déroulés

24 après l'attaque contre Ahmici.

25 Cela étant, nous n'avons pas à notre disposition de jeux

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1 complets de ces ordres.

2 Le Bureau du Procureur s’efforce depuis le 15 janvier d'obtenir

3 ces ordres qui se trouvaient dans les archives du HVO. Mais, nous avons

4 été empêchés dans ces efforts par le HVO et nous sommes donc incapables de

5 vous fournir un jeu complet.

6 Nous allons également présenter les nombreuses déclarations

7 faites par M. Blaskic, dont celles dans lesquelles il a nié que le HVO

8 était responsable des événements relatés dans l'acte d'accusation.

9 Naturellement, nous aimerons présenter les témoins dans un ordre

10 logique. Mais étant donné le calendrier des audiences et le fait que les

11 témoins sont dispersés dans le monde entier, cela ne sera pas toujours

12 possible. C'est pourquoi, parfois, nous devrons citer les témoins dans le

13 désordre. Nous n'en sommes pas heureux, mais nous nous efforcerons de

14 réduire ce problème autant que possible.

15 En conclusion, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nous

16 apporterons des éléments de preuve suffisants que pour que vous déclariez

17 M. Blaskic coupable de tous les chefs d'accusation.

18 Voilà qui conclut mon exposé. Je vous remercie.

19 M. le Président. - Merci Monsieur le Procureur. Vous avez parlé,

20 à l'instant même, de la manière dont le procès va se dérouler.

21 Vous n'avez pas précisé le nombre de témoins que vous comptiez

22 citer. Avez-vous une approximation ?

23 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, pourrais-je

24 vous en informer par la suite ?

25 M. le Président. - Pas à la fin du procès, quand même.

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1 M. Harmon (interprétation). - Promis.

2 M. le Président. - D’accord. Cela m’amène à poser une deuxième

3 question.

4 Vous avez noté qu'il faudrait essayer d'avoir un ordre logique.

5 Vous en reconnaissez la nécessité. Vous dites que ce ne sera pas toujours

6 possible, compte tenu du calendrier difficile, pour les raisons que j'ai

7 expliquées ce matin à l'ouverture de l'audience. Vous avez dit que vous

8 vous efforceriez.

9 Indépendamment de ces efforts louables auquel le Tribunal vous

10 engage, pouvez-vous quand même préciser quelles vont être les grandes

11 séquences de présentation ? Par exemple, allez-vous commencer en suivant

12 le fil de votre exposé de ce matin par des témoins experts ou sur la

13 présentation générale du conflit ? Pouvez-vous donner une articulation ?

14 L'objectif du Tribunal étant effectivement qu'il y ait un ordre

15 logique de présentation. En même temps, cela permettra à la défense

16 d'accomplir son travail dans de bonnes conditions.

17 Je suppose qu'avec vos collaborateurs et vos assistants vous y

18 avez réfléchi. Pouvez-vous donner quelques précisions au Tribunal ?

19 M. Harmon (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Nous

20 allons commencer par des experts en tant que témoins, même si j'avoue

21 qu'étant donné le calendrier que nous avons pour les deux premières

22 semaines, il n'est pas tout à fait possible de poursuivre l'audition des

23 témoins experts.

24 Puis, nous essayerons d'apporter des éléments de preuve pour ce

25 qui est des faits incriminés sur le terrain. Nous aurons des témoins

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1 indépendants qui sont des tiers.

2 Nous poursuivrons bien sûr, à d'autres égards, la poursuite de

3 ces témoins dans l'ordre logique dans la mesure du possible.

4 M. le Président. - Pour ce matin, nous allons en rester là. Vous

5 ne vous étonnerez pas si, régulièrement, le Tribunal insiste pour cadrer

6 le plus possible ces témoignages dans un ordre logique, par rapport aux

7 incriminations. Cela est peut-être difficile par rapport aux chefs

8 d'accusation, puisqu'il y a des faits qui sont couverts par plusieurs

9 chefs d'accusation.

10 Mais, le Tribunal vous demandera à plusieurs reprises où on en

11 est, où on va et combien de temps cela va durer. Ce sera certainement une

12 préoccupation du Tribunal.

13 Mes collègues ont-ils des observations sur l'ensemble de ce qui

14 a été dit ? Ils n’en ont pas. Merci, Monsieur le Procureur.

15 Je me tourne maintenant vers Maître Hayman

16 M. Hayman (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

17 Président.

18 M. le Président. - Maître Hayman, l'article 84 du Règlement vous

19 autorise, si vous le souhaitez, à faire une déclaration liminaire, ou au

20 contraire il vous autorise à reporter votre déclaration liminaire avant la

21 présentation de vos propres moyens de preuve.

22 Souhaitez-vous faire une déclaration liminaire ou des

23 observations de quelque nature que ce soit ?

24 M. Hayman (interprétation). - Messieurs les Juges, la défense se

25 réserve le droit de faire cette déclaration liminaire pour le moment où

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1 elle va présenter ses propres témoins, ses moyens de preuve.

2 M. le Président. - Merci, maître Hayman.

3 Dans ces conditions, nous avons jusqu'à 13 h.

4 Monsieur le Procureur, nous ouvrons donc maintenant, après votre

5 exposé introductif, une autre phase de la présentation de l'accusation qui

6 consiste à exposer au Tribunal, par les moyens que vous jugerez utiles,

7 vos moyens de preuve au soutien de l'acte d'accusation que vous avez

8 réexposé ce matin. Nous débutons.

9 M. Harmon (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

10 Président.

11 Nous sommes prêts à poursuivre. Mais, pour ce faire, il faudrait

12 un petit aménagement avant que ne soit cité le premier témoin. Le chevalet

13 doit être posé près de l'endroit où se trouvera le témoin

14 M. le Président. - Cet aménagement durera longtemps ? Le

15 Tribunal doit se retirer ou bien s'agit-il de quelques minutes ?

16 M. Kehoe (interprétation). - Je pense que c'est pratiquement

17 fait. Regardez.

18 M. le Président. - D’accord, très bien.

19 (Intervention du technicien et de l’huissier.)

20 Maître Hayman, vous voyez ?

21 M. Kehoe (interprétation). - Il faudra que nous nous déplacions

22 lorsqu'on fera usage de ce chevalet, parce qu'il est impossible de le voir

23 depuis l'endroit où nous nous trouvons.

24 M. le Président. - Avant de faire bouger la défense, ne peut-on

25 pas faire bouger le chevalet ?

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1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, puis-je

2 apporter une quelconque assistance ? Les conseils de la défense recevront

3 un exemplaire des documents qui seront affichés sur le chevalet, ce qui

4 permettra à la défense de bien voir.

5 M. le Président. -Maître Hayman ?

6 M. Hayman (interprétation). - Nous voyons désormais. Je vous

7 remercie, Monsieur le Président.

8 M. le Président. - Donc, nous pouvons commencer. Monsieur Kehoe.

9 M. Kehoe (interprétation). - Merci.

10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous voudrions citer

11 comme premier témoin M. Robert Donia.

12

13 (Le témoin, M. Donia, est introduit dans la salle d'audience.)

14

15 M. le Président. - Oui, Maître Hayman.

16 M. Hayman (interprétation). - Je voudrais évoquer un point à

17 propos du témoignage que va faire ce témoin

18 M. le Président. - Le Tribunal vous écoute, Maître Hayman.

19 M. Hayman (interprétation). - A ma connaissance, le nom de ce

20 témoin n'a jamais été communiqué à la défense.

21 M. le Président. - Monsieur le Procureur ?

22 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia a été présenté comme

23 témoin de l'accusation à la défense.

24 M. le Président. - Qu’appelez-vous présenté ?

25 M. Kehoe (interprétation). - Son nom a été communiqué. Il est

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1 témoin expert et son identité a été communiquée à la défense.

2 M. Hayman (interprétation). - Est-il possible de voir ce

3 document ?

4 M. le Président. - Pouvez-vous préciser quand il a été

5 communiqué à la défense ?

6 M. Kehoe (interprétation). - Volontiers. Un instant, Monsieur le

7 Président s’il vous plaît. Pouvons-nous avoir une petite interruption,

8 nous allons envoyer notre assistant pour qu'il retrouve la lettre qui a

9 été envoyée au conseil de la défense à ce propos.

10 M. le Président. - Le Tribunal va suspendre l'audience pendant

11 quelques instants.

12 Je dis très nettement que le Tribunal est là pour que l'ordre

13 équitable règne dans l'enceinte. Si ce témoin, je le dis pour la défense,

14 n'a pas été communiqué à la défense, il faudra que la défense puisse

15 exercer son pouvoir de contre-interrogatoire.

16 Dans ces conditions, on écoutera le témoin. Au besoin, il

17 restera à la disposition du Tribunal, jusqu’à demain ou après-demain, pour

18 que la défense puisse s'organiser. En tout cas, on donnera un temps

19 suffisant à la défense.

20 En tout cas, les Juges n'entendent pas, qu'à chaque témoignage,

21 reviennent à la surface les problèmes de communication. Nous allons vous

22 laisser un temps pour que cette question soit traitée. Nous reprendrons

23 l'audience à 12 h 15.

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25 L'audience, suspendue à 12 heures 05, est reprise à 12 heures 20.

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2 M. le Président. - L’audience est reprise, veuillez vous

3 asseoir.

4 Monsieur le Procureur, avez-vous trouvé ce fameux document qui

5 attesterait que vous avez communiqué le nom de ce témoin à la défense.

6 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, je vous

7 remercie.

8 Lettre datée du 2 mai 1997. Lettre signée par Me Harmon et

9 envoyée à Me Nobilo, dont copie à Me Hayman.

10 Le nom de M. Donia figure en tant que nom d'un expert témoin, à

11 la demande d'ailleurs de Me Hayman. Même s'il y a une coquille dans

12 l'orthographe du nom, Dornais au lieu de Donia, il a été cité à la place

13 du n°95.

14 Preuve de la réception, il y a eu envoi Skynet et lettre de

15 connaissement, dont j'ai le numéro si vous le voulez. Je peux vous fournir

16 aussi le numéro. Nous avons possession du numéro de cette lettre qui a été

17 envoyée au conseil.

18 M. le Président. - Maître Hayman quelques explications brèves

19 avant que nous entendions le témoin.

20 M. Hayman (interprétation). - Nous avons reçu cette lettre,

21 Monsieur le Président, et ne figure dans cette lettre aucun M. Donia.

22 Si j'ai bien compris, et je le comprends uniquement d'après ce

23 que me dit le Procureur ce matin, ce nom s’épelle Donia. Je demanderai que

24 soit présentée copie de cette lettre au Tribunal, car il n'y a personne

25 figurant à ce nom dans la lettre. Si j'ai bien compris il y a une personne

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1 intitulée DORNIA.

2 L'accusation a reçu quelques 300 noms de témoins, et il n'y a

3 pas de déclaration de témoin. En l'occurrence, pour M. Donia nous n'avons

4 pas reçu de déclaration préalable.

5 Nous ne disposons d'aucune autre indication nous permettant

6 d’identifier cette personne. Je peux vous dire que mon bureau n'a pas

7 ménagé ses efforts pour essayer de localiser un certain M. Robert Dornia,

8 mais en vain.

9 M. le Président. - Maître Hayman, y avait-il d'autres

10 indications permettant de le localiser et pouvez vous montrez, en

11 rétroprojection, cette lettre au Tribunal ?

12 M. Hayman (interprétation). - Je peux remettre à l'Huissier les

13 deux lettres adressées à Me Nobilo et à Me Hayman, et la lettre de

14 connaissement.

15 Le nom en question est Donia. Effectivement, il y a une erreur

16 dans l’orthographe.

17 M. le Président. - Y avait-il d'autres éléments permettant

18 néanmoins, indépendamment de l'erreur, les erreurs d'orthographe peuvent

19 arriver pour des pays qui ne vous étaient pas familiers ni aux uns ni aux

20 autres, ni à nous-mêmes d’ailleurs, de retrouver ce M. Donia ou n’y avait-

21 il que le nom ?

22 M. Kehoe (interprétation). - Le nom était le nom d'un témoin

23 cité à titre d'expert.

24 M. le Président. - C'est le n° 55, Robert Dornia, expert.

25 M. Kehoe (interprétation). - C’est exact.

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1 M. le Président. - Vous n'avez pas pu avec cela Me Hayman

2 retrouver ce Dornia ?

3 M. Hayman (interprétation). - Non. Nous n'avons pas pu le faire

4 parce que nous avons reçu ces noms, mais cette personne peut se trouver

5 n'importe où dans le monde.

6 La seule façon de retrouver ce monsieur, c’est en utilisant

7 l'informatique, nous permettant de partir à la recherche de discours, de

8 livres. Si je n'ai pas la bonne orthographe, il m'est impossible de

9 d’identifier le témoin. En l’occurrence, nous n’avons pas pu le faire. Si

10 c'est vraiment un expert, je suis sûr qu’il a fait des discours, il a

11 rédigé des articles, voir des ouvrages.

12 Nous ne disposons de rien du tout à son égard. Nous n'avons

13 aucun élément et nous n'avons rien pu recevoir à propos de cet individu.

14 Je dirai deux choses avec votre permission.

15 La première c'est que nous avons été lésés, car il nous a été

16 impossible de nous préparer à ce témoignage. On devrait interdire à ce

17 témoin de témoigner, que ce soit aujourd'hui, demain ou le mois prochain.

18 L'article 67 A-i dit que : « dans les meilleurs délais et en

19 tout état de cause », et je le répète, en tout cas avant l'ouverture du

20 procès.

21 J'insiste sur ce point. On dit : « le Procureur informera la

22 défense du nom des témoins à charge qu'il a l'intention d'appeler ».

23 L'accusation connaissait ce témoin avant l'ouverture du procès

24 et n'a pas informé la défense du nom de ce témoin.

25 Si nous demandons une telle sanction c'est parce qu'une sanction

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1 doit être imposée. Sinon, à quoi servirait cet article.

2 Au titre de l'ordonnance rendue par la Cour sur la production

3 forcée d'éléments de preuve, en date du 27 janvier 1997, il est indiqué au

4 paragraphe 26 qu'il faut communiquer à la défense la liste des noms des

5 témoins que l'accusation a l'intention de citer. Ceci avant le

6 1er février 1997. » fin de citation, au plus tard.

7 Il se peut que cet individu ait été identifié après le

8 1er février, mais nous estimons qu'au vu de ces articles, cette personne

9 n'a pas le droit de témoigner, sans quoi ils se trouverait en infraction

10 du Règlement du Tribunal.

11 M. le Président. - Maître Hayman, le Tribunal est tout aussi

12 soucieux que vous de faire respecter le Règlement.

13 Néanmoins, le Tribunal estime que le procès équitable qui vous

14 est dû doit s'apprécier dans son ensemble, sur l'ensemble des formalités

15 qui devaient être établies.

16 A ce sujet, j'aurais une question à vous poser. Lorsque vous

17 avez été dans l'incapacité de retrouver ce Rober Dornia ou Donia, je ne

18 voudrais pas moi-même faire une erreur, avez-vous eu le réflexe de dire à

19 l'accusation que vous ne trouviez pas les traces de ce témoin ? Pouvez-

20 vous nous faire la preuve que vous avez quand même saisi l'accusation de

21 ce témoin ?

22 Ou bien avez-vous dit : je ne le trouve pas, donc il n'existe

23 pas ? Si tel était le cas. Je dirais que vous-même avait prêté le flanc à

24 une certaine critique.

25 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, nous avons

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1 envoyé de nombreuses lettres à l'accusation demandant des

2 éclaircissements, des réponses à ces diverses questions.

3 Ces deux derniers mois, nous n'avons pratiquement reçu aucune

4 réponse à ces lettres. Il y a d'autres témoins experts que nous n'avons

5 pas non plus pu identifier.

6 Mais lorsqu'on ne répond pas à vos lettres, avec tout le respect

7 que l'on doit à la Cour, je dirai que tôt ou tard il faudra arrêter la

8 correspondance. Car cela devient un exercice futile.

9 M. le Président. - Un exercice futile, vous avez raison de le

10 dire ! Vous savez que depuis des mois nous essayons de régler le problème

11 des productions et des communications.

12 Le Tribunal peut faire beaucoup de choses, mais il ne peut pas

13 forcer les parties à s'entendre sur le meilleur mode de communication.

14 Je vais, avec mes collègues, délibérer sur le siège pour savoir

15 ce qu'il convient de faire.

16 (Délibération.)

17 Le Tribunal a délibéré sur cet incident.

18 Premièrement, le Tribunal constate qu'il s'agit d'une erreur

19 matérielle.

20 Deuxièmement, le Tribunal estime que ce qu'il doit assurer c'est

21 l'égalité des armes entre la défense et l'accusation. Il n'y a pas ici,

22 pour l’instant, de déséquilibre des armes, tout au moins tant que nous

23 n’avons pas ce témoin et que la défense n'a pas pu procéder à la cross

24 examination.

25 Par contre, troisièmement, le Tribunal ne renoncera pas à

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1 entendre ce témoin, compte tenu qu’il s’agit d’une erreur matérielle.

2 Mais, le Tribunal décide que ce témoin sera entendu le lundi

3 30 juin au matin.

4 Monsieur le Procureur, avez-vous un autre témoin à faire

5 présenter ?

6 M. Kehoe (interprétation). - Non, Monsieur le Président.

7 M. le Président. - Aviez-vous prévu un autre témoignage demain

8 matin, Monsieur le Procureur ?

9 M. Kehoe (interprétation). - Non, Monsieur le Président.

10 M. le Président. - Vous pensiez que témoin aller prendre combien

11 de temps ?

12 M. Kehoe (interprétation). - En fonction du contre-

13 interrogatoire, pratiquement ce qui reste de la semaine.

14 M. le Président. - J'ai dit ce matin que le procès devait se

15 dérouler dans des conditions de célérité raisonnable.

16 Il faut que le Procureur ait toujours en réserve, et je le dirai

17 à la défense quand elle interviendra, un certain nombre de témoignages

18 pour parer à des incidents de cette nature qui sont ici des incidents

19 matériels, mais qui peuvent parfois être des incidents plus graves.

20 Je vais à nouveau consulter mes collègues.

21 (Les juges, assis, se consultent.)

22 M. le Président. - Le Tribunal ne fera pas prendre de retard à

23 l’affaire Blaskic. Nous allons procéder à l'audition du témoin expert. La

24 cross examination sera reportée lundi prochain. Monsieur le Procureur,

25 vous pouvez faire entrer le témoin.

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1 (Le témoin est introduit dans la salle d'audience.)

2 M. le Président. - Monsieur, vous êtes devant le Tribunal pénal

3 international pour l’ex-Yougoslavie. Vous avez accepté de témoigner pour

4 l'accusation. Je tiens à vous dire qu'avant votre entrée dans la salle, il

5 y a eu un incident qui tient au fait que votre nom, mal orthographié

6 semble-t-il par une erreur matérielle, n'a pu être communiqué à la

7 défense. La défense doit voir ses droits respectés. Néanmoins, le procès

8 doit se dérouler. Dans ces conditions, le Tribunal a décidé de vous

9 entendre le temps qu'il faudra, sous les questions du seul procureur.

10 Quand la défense sera prête, nous avons estimé que ce sera lundi prochain,

11 si elle ne se sentait pas prête nous reporterions, il conviendra que vous

12 reveniez à La Haye pour vous soumettre au contre-interrogatoire de la

13 défense.

14 Vous pouvez, Monsieur, lire la déclaration qui vous est

15 présentée. M’avez-vous bien entendu ? Monsieur « Dornia », vous allez

16 d’abord épeler votre nom, puisqu'il semble que c'est le problème. Pouvez-

17 vous épeler votre nom ?

18 M. Donia (interprétation). - Robert J. Donia.

19 M. le Président. - Donc, c'est bien Donia et non pas « Dornia ».

20 Il n'y a pas de « r ».

21 M. Donia (interprétation). - C'est exact.

22 M. le Président. - Je vous prie de lire la déclaration qui vous

23 a été tendue.

24 (Le témoin prête serment devant le Tribunal.)

25 M. le Président. - Merci, vous pouvez vous asseoir. Monsieur le

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1 Procureur.

2 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs

3 les juges, je vous remercie. Avant d’entreprendre l'interrogatoire, je

4 voudrais qu'il y ait expurgation.

5 M. le Président. - Le Tribunal ordonne l'expurgation du document

6 qui a été projeté. Ayant réglé presque tous les incidents, Monsieur

7 Robert J. Donia, vous répondez aux questions de M. le Procureur.

8 M. Kehoe (interprétation). - Merci, monsieur le Président. Bonne

9 après-midi, monsieur Donia.

10 M. Donia (interprétation). - Bonne après-midi.

11 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous nous dire quelle est

12 votre occupation pour le moment ?

13 M. Donia (interprétation). - Je suis directeur de la firme

14 Merrill Lynch.

15 M. Kehoe (interprétation). - Depuis quand ?

16 M. Donia (interprétation). - Depuis 1981.

17 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de vos activités présentes

18 et passées, avez-vous étudié en tant qu'historien ce qui s'est passé en

19 Europe orientale ?

20 M. Donia (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire rapidement à la

22 Cour le contexte de votre formation et vos publications, que ce soit des

23 ouvrages ou des articles ?

24 M. Donia (interprétation). - De 1972 jusqu'à 1976, j'ai préparé

25 mon doctorat en histoire à l'université du Michigan et je me suis

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1 spécialisé dans l'histoire de l'Europe du sud et de l'est, et surtout à la

2 Bosnie. En 1975, grâce à une bourse Fulbright, j'ai mené une recherche

3 dans les archives de Bosnie-Herzégovine et dans d’autres archives

4 également qui relevaient de cette région. J'ai terminé mon doctorat en

5 1976. Je me suis surtout intéressé à la question de l'administration

6 austro-hongroise vers le début du siècle.

7 M. Kehoe (interprétation). - Quel était le titre de cette

8 thèse ?

9 M. Donia (interprétation). - Cette thèse est devenue un ouvrage

10 par la suite. Le titre était « L'islam sous le double angle de la Bosnie-

11 Herzégovine de 1878 à 1914 ». Par la suite, j'ai poursuivi mes recherches.

12 J’ai quitté le monde académique et, plus récemment, à partir de 1992, j'ai

13 travaillé avec le responsable de ma thèse, M. John Five. J’ai travaillé à

14 un livre qui s'appelle « La Bosnie-Herzégovine : une tradition trahie ».

15 Cela a été publié en 1994 par les University Press. J'ai mené plusieurs

16 enquêtes et des entretiens à propos de la période contemporaine, à savoir

17 les années 1990, où j’ai rédigé des articles sur les villes de Mostar et

18 de Tuzla notamment. Ceci a été publié à Prague par la publication

19 « Transition ».

20 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous dire au Tribunal quel

21 est l'objet, la matière même de votre ouvrage, et les idées que vous

22 essayez de transmettre par celui-ci ?

23 M. Donia (interprétation). - A l’époque, il n'y avait pas

24 vraiment d’ouvrages individuels qui fassent la synthèse de l’histoire de

25 la Bosnie-Herzégovine. Nous avions l'intention de fournir une

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1 interprétation de l'histoire de la Bosnie-Herzégovine, nous intéressant

2 tout particulièrement aux événements récents, mais poursuivant aussi

3 l'histoire de ce pays, à partir du sixième siècle.

4 M. Kehoe (interprétation). - De quelle partie étiez-vous

5 responsable ?

6 M. Donia (interprétation). - Je me suis intéressé à la période

7 moderne, de 1978 à l'heure actuelle, alors que mon coauteur s'est

8 intéressé à la période précédente, de 1878 à la période qui m'intéressait.

9 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes-vous intéressé à ce qui

10 se passait en Bosnie ? Avez-vous voyagé vous-même en Bosnie, pour être au

11 courant des événements ? Je m'excuse pour les interprètes. Je semble aller

12 un peu vite. Je répète ma question. Depuis la publication de cet ouvrage,

13 avez-vous gardé un intérêt pour les affaires qui se déroulent en Bosnie-

14 Herzégovine ? Avez-vous poursuivi vos voyages dans cette région ?

15 M. Donia (interprétation). - Oui. Depuis la publication du livre

16 en novembre 1904, je me suis rendu sept fois en Bosnie et j'ai fait aussi

17 un voyage en Croatie. J'ai maintenu des contacts avec des collègues de ma

18 profession. J'ai mené des entretiens et je me suis surtout intéressé aux

19 affaires contemporaines.

20 M. Kehoe (interprétation). - Etes-vous toujours impliqué dans

21 des activités académiques en ex-Yougoslavie ?

22 M. Donia (interprétation). - Oui, j'ai des contacts avec

23 l'université de Sarajevo et l'Institut d'histoire de Sarajevo.

24 M. Kehoe (interprétation). - A ce stade, maintenant que nous

25 avons dressé le contexte de la formation de M. Donia, je voudrais passer à

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1 la présentation des éléments de preuve.

2 M. Hayman (interprétation). - Puis-je interjecter ? Excusez-moi,

3 monsieur le Président, mais apparemment, le témoin utilise un document

4 pour son exposé. Il lit manifestement un document et il faudrait que le

5 document soit fourni à la défense.

6 M. le Président. - Vous avez raison. Il vous est demandé,

7 Monsieur Donia, de ne pas lire de document, sinon il devra être fourni à

8 la défense qui, de surcroît, ne peut pas faire son contre-interrogatoire

9 tout de suite. Donc, ou bien on fournit ce document à la défense, ou bien

10 vous évitez votre document.

11 M. Kehoe (interprétation). - Si je ne m’abuse, monsieur le

12 Président, je crois que rien de ce qui a été dit par M. Donia jusqu'à

13 présent n'a été appuyé par le document. Il a parlé de sa propre formation.

14 Il a fait référence à une esquisse et ce n'est en aucune façon un

15 document. Nous sommes prêts à le communiquer à la défense. Ce n'est qu'une

16 structure pour sa présentation. Si la défense la veut, elle peut

17 l'obtenir.

18 M. Hayman (interprétation). - Oui, volontiers.

19 M. le Président. - Ce document sera communiqué à la défense.

20 M. Kehoe (interprétation). - Un instant, monsieur le Président,

21 nous allons en obtenir un exemplaire.

22 M. le Président. - Reconnaissez, maître Hayman, que le document

23 vous est transmis avec beaucoup de célérité.

24 M. Hayman (interprétation). - Merci, monsieur le Président.

25 M. le Président. - Monsieur le Procureur, vous pouvez continuer

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1 avec ou sans document, vous-même ou l'expert.

2 M. Kehoe (interprétation). - Je tiens à préciser, ici, que ce

3 n'est rien qu'une esquisse du témoignage de M. Donia. Ce n'est pas une

4 déclaration de quelque sorte que ce soit. C'est seulement avec cette mise

5 en garde que nous remettons ce document tant à la défense qu’à vous-mêmes,

6 messieurs les juges.

7 Monsieur Donia, quand vous avez préparé votre témoignage, avez-

8 vous, à cette fin, préparé une esquisse à l'intention de la Cour ainsi

9 qu'une chronologie des événements ?

10 M. Donia (interprétation). - Oui. J'ai appelé cela

11 « Présentation TPIY-Esquisse », ainsi que la chronologie des pays de la

12 péninsule balkanique.

13 M. Kehoe (interprétation). - Pour la Cour, je vais vous remettre

14 une esquisse, un exemplaire en français et un exemplaire en anglais ainsi

15 que la chronologie qui est versée en annexe

16 M. Hayman (interprétation). - Objection

17 M. le Président. - Oui, maître Hayman.

18 M. Hayman (interprétation). - Le témoin est ici en principe pour

19 faire une déposition orale.

20 M. le Président. - Oui, mais je ne vois pas d'inconvénient à ce

21 que soit remis un document par l'accusation. Le Tribunal, par hypothèse

22 Maître Hayman, est impartial et neutre. Je vous promets que quand vous

23 aurez vous-même un témoin et que vous voudrez remettre un document, le

24 Tribunal accueillera également le document.

25 Donc nous recevons ce document.

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1 Maître Hayman, je voudrais maintenant que l'interrogatoire du

2 Procureur puisse se dérouler. Allez-y, Monsieur Kehoe.

3 M. Hayman (interprétation). - Puis-je dire ma position, Monsieur

4 le Président ?

5 M. le Président. - Vous pouvez le faire, mais il est regrettable

6 qu'elle soit dite après celle du Tribunal. J'ai l'impression de vous avoir

7 interrompu, veuillez m'excuser. Poursuivez votre raisonnement.

8 M. Hayman (interprétation). - Je suis préoccupé par le fait que

9 si c'est simplement un plan que le témoin utilise, c'est une chose. Or

10 l'accusation dit que ce n'est pas une déclaration. Donc cela n'a pas été

11 communiqué en vertu de l'ordonnance de divulgation des pièces. S'il ne

12 s'agit pas d'un témoignage par écrit, c'est une chose que le Tribunal doit

13 prendre en compte dans le cadre de la déposition. Or il s'agit d'un

14 document de 19 pages.

15 Avant que cette procédure ne soit proposée par l'accusation, je

16 voulais avoir l'occasion de l'aborder avec le Tribunal.

17 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, c'est un

18 document entièrement différent. La défense objecte un document qu'il n'a

19 pas encore vu. Le document qu'a M. Donia et celui que nous venons de

20 présenter à l'huissier est un plan d'une page avec une chronologie. Ce

21 n'est pas le plan de 19 pages que nous n'avons pas l'intention de verser

22 au dossier. Mais j'ai donné ce document de 19 pages au conseil de la

23 défense. Il s'agit de deux documents différents.

24 M. le Président. - Je voudrais introduire un peu d'ordre. Maître

25 Hayman vous m'écoutez pour l'instant, ainsi que le Procureur. Le document

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1 que vous devez remettre au Tribunal est de quelle nature ? Je voudrais

2 tout simplement voir ce document.

3 (Le document est remis au Président.)

4 M. le Président. - Merci. Bien il s'agit d'un document qui, si

5 j'ai bien compris, vient au soutien de la déposition orale du témoin. Il

6 s'agit bien de cela, Monsieur le Procureur ?

7 M. Kehoe (interprétation). - C'est exact, Monsieur le Président.

8 M. le Président. - Maître Hayman, je ne vois pas en quoi le

9 Tribunal ne pourrait pas se voir remettre le document d'une des parties,

10 dès lors que le document peut être remis à la défense. Libre à vous,

11 Maître Hayman, de ne pas accepter ce document. Le Tribunal, en ce qui le

12 concerne, le reçoit. Il opérera de la même façon en ce qui concerne les

13 documents que pourront avoir certains de vos témoins.

14 D'autre part ce document, si vous le souhaitez, vous sera remis

15 par l'accusation. L'incident étant clos, je propose que nous poursuivions

16 -il nous reste dix minutes- et que nous commencions l'interrogatoire par

17 le Procureur du témoin Robert Donia. Vous avez la parole, Monsieur le

18 Procureur.

19 M. Kehoe (interprétation). - Merci Monsieur le Président.

20 Monsieur Donia, pour préparer vos ouvrages et par la suite, avez-vous eu

21 l'occasion d'examiner les événements catastrophiques qui ont provoqué la

22 désintégration de l'ex-Yougoslavie depuis la fin des années 80 jusqu'à

23 maintenant ?

24 M. Donia (interprétation). - Oui.

25 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion, durant ces

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1 discussions, dans le cadre de vos études, d'examiner la convergence des

2 événements qui ont mené au conflit entre les Croates de Bosnie et les

3 Musulmans de Bosnie, événements qui ont eu lieu essentiellement en 1993 ?

4 M. Donia (interprétation). - Oui.

5 M. Kehoe (interprétation). - Sur la base de votre formation

6 historique, étant historien vous-même, voyez-vous dans l'histoire passée,

7 récente et plus lointaine, des éléments qui vous permettraient de tirer

8 des conclusions quant à la façon dont ces événements se sont déroulés ?

9 M. Donia (interprétation). - Oui, je pense que l'histoire de

10 plusieurs siècles est pertinente à cet égard pour expliquer le conflit.

11 M. Kehoe (interprétation). - En vos propres termes, pourriez-

12 vous expliquer au Tribunal quel est le point de départ auquel il faut

13 retourner pour expliquer comment certains événements se sont déroulés et

14 les conclusions que vous en tirez ? Pour cette période de temps, nous

15 utiliserons le rétroprojecteur car M. Donia a des cartes qu'il voudrait

16 montrer.

17 M. Donia (interprétation). - Oui. Je voudrais commencer en

18 montrant une carte de la Yougoslavie telle qu'elle existait en 1990.

19 M. le Président. - Maître Hayman, nous avons fixé les règles du

20 jeu. Je vous autorise encore une interruption. Je voudrais que nous

21 progressions dans la connaissance de ce qui s'est passé pour le procès

22 Blaskic. Je rappelle que le Tribunal a le droit de connaître tous les

23 éléments de ce dossier, dès lors que le contradictoire est assuré. Je vous

24 laisse encore la parole, une fois, pour qu'il ne soit pas dit que vous

25 n'avez pas eu la parole. J'écoute les observations de Me Hayman.

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1 Allez-y, maître Hayman.

2 M. Hayman (interprétation). - Je demande au nom de la défense,

3 avant que le témoin ne fasse référence à des documents, que ceux-ci soient

4 présentés à la défense.

5 M. le Président. - Maître Hayman, nous avons pris la décision

6 tout à l'heure que vous auriez le droit de faire votre contre-

7 interrogatoire dans des conditions totalement équitables et objectives, en

8 principe lundi prochain. Si vous souhaitez le faire au mois de juillet, au

9 mois d'août ou à tout autre moment, le témoin reviendra. C'est la garantie

10 qui vous a été donnée. Le Tribunal ne peut pas vous en donnez d'autres.

11 D'autre part, le Tribunal veut écouter ce témoignage et dès lors

12 que la garantie vous est donnée que vous pourrez faire votre contre-

13 interrogatoire, vous aurez donc droit à tous les documents. Nous venons de

14 vous donner tous les documents qu'a le Tribunal. C'est, à mon avis, cela

15 le procès juste et équitable, tout au moins dans une conception qui nous

16 unit, celle de la Civile Low et celle de la Common Low.

17 Je voudrais que nous poursuivions maintenant. Nous prendrons le

18 temps nécessaire. Nous ferons comme dans les matches, c'est-à-dire que

19 nous décompterons le temps des incidents. Monsieur Donia, vous pouvez

20 poursuivre.

21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, avant que

22 M. Donia ne poursuive, je voudrais que ce document soit enregistré,

23 document qui est placé sur le rétroprojecteur.

24 M. le Président. - Allez-y. L'audience se poursuivra jusqu'après

25 13 heures 15.

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1 M. Donia (interprétation). - Cette carte représente les six

2 Républiques composant la Yougoslavie, telle qu'elle existait entre 1945 et

3 1990. Les six Républiques sont la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-

4 Herzégovine, la Serbie avec deux provinces autonomes qui sont la Voïvodine

5 et le Kosovo, et la Macédoine.

6 Dans ces six Républiques, en 1990, les premières élections

7 multipartites se sont tenues après la deuxième guerre mondiale. Ces

8 élections se sont avérées être un tournant décisif dans la mesure où des

9 partis nationalistes ont gagné ces élections.

10 En Bosnie-Herzégovine, ces élections ont eu lieu en novembre

11 1990 et, de la même façon, ont amené au pouvoir des nationalistes. Ces

12 dirigeants nationalistes étaient représentés au sein de trois partis.

13 Pour les Musulmans, il s'agissait du Parti d'action

14 démocratique, le SDA, qui a gagné 86 sièges sur les 240 sièges de

15 l'Assemblée parlementaire.

16 Pour les Serbes, le parti était le Parti serbe démocratique

17 connu comme le SDS qui a gagné 72 sièges.

18 Pour les Croates, ce parti était l'Union démocratique Croate

19 connu comme le HDZ qui a gagné 44 sièges. Sur les 38 sièges restants, il y

20 avait huit partis politiques. Cela a constitué une transition majeure dans

21 la mesure où avant cette époque, le socialisme et le système de parti

22 unique avaient prévalu en Yougoslavie. Jusqu'à ce jour, les dirigeants

23 nationalistes prévalent dorénavant dans la région et en Bosnie elle-même.

24 C'est donc une défaite pour les réformistes, pour les

25 socialistes réformateurs, et pour les communistes qui ont été battus dans

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1 toutes les grandes régions de l'ex-Yougoslavie, y compris en Bosnie, à

2 l'exception de quelques villes, notamment la ville de Tuzla qui se trouve

3 dans la partie orientale de la Bosnie-Herzégovine -ici sur la carte-,

4 laquelle jusqu'à ce jour reste contrôlée par une coalition de partis

5 favorables à un gouvernement multi-ethnique.

6 Les élections de 1990 ont été un tournant décisif. Je voudrais

7 l'utiliser comme point de référence pour ce qui est d'aller en arrière,

8 mais aussi pour ce qui est des événements qui ont suivi et qui ont abouti

9 aux événements de 1993.

10 Tout de suite après les élections de 1990, un recensement a eu

11 lieu en 1991 et je voudrais montrer la carte sur laquelle apparaissent les

12 résultats du recensement.

13 M. Kehoe (interprétation). - Je voudrais que cette carte soit

14 enregistrée au préalable. Nous en avons des exemplaires pour vous-mêmes,

15 Messieurs les Juges, pour le témoin et pour la défense. Je voudrais

16 demander à l'huissier qu'on place cette carte reprenant les résultats du

17 recensement sur le chevalet..

18 (L'huissier distribue les exemplaires de la carte et en place un

19 sur le rétroprojecteur.)

20 M. Donia (interprétation). - Les résultats des élections de 1990

21 et le recensement de 1991 se reflètent l'un et l'autre, en grande partie.

22 Dans les deux cas, on peut voir que la composition ethnico-nationale est

23 mise en lumière dans certaines régions avec des résultats beaucoup plus

24 mélangés dans l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine.

25 M. Kehoe (interprétation). - Je me permets d'intervenir car

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1 l'huissier va donner au témoin un casque avec un fil plus long afin qu'il

2 puisse montrer ce dont il parle sur la carte.

3 M. Donia (interprétation). - Je crois que je pourrais m'en

4 sortir comme cela.

5 Deux remarques sont à faire au vu de cette carte. Sur cette

6 carte, les zones en jaune sont des zones mélangées sur le plan ethnique.

7 Cette carte donne une image très complexe de la situation ethnique. Ce

8 n'est pas un pays que l'on peut simplement diviser selon des frontières

9 qui seraient des rivières ou autres pour séparer les groupes ethniques.

10 M. Kehoe (interprétation). - Pouvez-vous nous dire en quoi

11 consistent-ils et en quoi sont-ils mélangés sur cette carte ?

12 M. Donia (interprétation). - Il s'agit essentiellement des mêmes

13 groupes que ceux qui avaient voté lors des élection de 1990, à savoir les

14 Serbes, les Croates et les Musulmans de Bosnie que l'on appelle dorénavant

15 les Bosniens.

16 Il y a quelques zones qui sont près d'un pourcentage de 100 %

17 sur le plan ethnique, dont cette région qui se trouve au Sud-Est de Mostar

18 essentiellement peuplée de Croates. D'autres zones dans le Nord ont des

19 concentrations importantes de Serbes et une poche au Nord de la ville de

20 Bihac qui est essentiellement musulmane.

21 Les villes sont les plus mélangées en Bosnie-Herzégovine, à la

22 lumière du recensement de 1991. Les cercles à droite représentent la

23 population des grandes zones métropolitaines de la Bosnie-Herzégovine.

24 Certaines ont une majorité musulmane -elle apparaît en vert-, mais la

25 plupart ont une combinaison de Croates, de Serbes. La couleur est rouge

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1 pour les Serbes et bleue pour les Croates.

2 M. Kehoe (interprétation). - Vous montrez des cercles qui

3 dépeignent des zones géographiques et leur composition ethnique

4 respective, n'est-ce pas ?

5 M. Donia (interprétation). - Oui, il s'agit de la composition

6 ethnique des grandes villes. Le document est ainsi libellé.

7 M. Kehoe (interprétation). - Très bien. Poursuivez, Monsieur.

8 M. Donia (interprétation). - Ce mélange de populations qui

9 ressort du recensement de 1991 est le résultat de plusieurs facteurs qui

10 remontent à plusieurs siècles en arrière. Je vais donc retourner en

11 arrière pour revenir ensuite au 20e siècle.

12 M. Kehoe (interprétation). - Je vous en prie.

13 M. Donia (interprétation). - Comment en sommes-nous arrivés là ?

14 L'explication la plus facile et la plus simpliste pour

15 l'histoire de la Bosnie surgit en 1981. Il s'agissait de l'idée que ces

16 peuples sont animés d'ancienne haine tribale. Cette idée laisserait

17 entendre que les gens qui habitent la région sont primitifs, enclin à la

18 violence ; qu'ils sont plein d'une haine mutuelle les uns pour les autres

19 et que cette haine est profondément ancrée dans le psychisme de tous ces

20 Slaves.

21 Cette interprétation semble inévitable du fait des événements

22 récents de la seconde guerre mondiale. On est tenté de dire que c'est là

23 un trait de la nature humaine dans la région. Cela laisserait entendre que

24 ces événements sporadiques sont des éruptions régulières d'une inimitié

25 qu'il est impossible de juguler de l'extérieur.

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1 On a ainsi établi un lien entre cette idée d'une haine tribale

2 ancienne et les perspectives politiques des hommes d'Etat qui souhaitaient

3 éviter tout engagement dans la crise des Balkans. De fait, cette

4 perspective a été encouragée par des dirigeants occidentaux qui

5 souhaitaient se distancer des événements en Bosnie.

6 En fait, cette haine tribale ancienne n'a pas de fondement que

7 l'on puisse retracer dans l'histoire des groupes de slaves méridionaux.

8 Chaque groupe (les Serbes, les Croates et les Musulmans) a sa

9 propre vision de son passé et de ses acquis et d'une période d'oppression

10 très longue de la part d'autres groupes. Mais aucun de ces groupes ne

11 reprend l'idée d'une haine qui se serait ancrée au fil des siècles. En

12 fait, les Slaves méridionaux, les migrants ont perdu ce caractère tribal à

13 la fin du Moyen Age, de sorte que parler de haine tribale est inadéquat

14 dès la fin du 12e et du 13e siècles.

15 On verra dans ce bref compte rendu des violences occasionnelles

16 et des litiges qui, bien souvent, ont surgi. Mais suggérer que ces

17 problèmes sont religieux, ethniques ou tribaux jusque dans le 20e siècle

18 serait se tromper sur la nature de l'évolution historique des Slaves du

19 Sud, dont l'origine dans la péninsule balkanique remonte au 6e ou

20 7e siècle.

21 M. Kehoe (interprétation). - Je vous interromps ici un instant,

22 Monsieur Donia. Il y a une pièce à conviction que je voudrais vous

23 transmettre par l'intermédiaire de l'huissier.

24 (Distribution de la pièce par l'huissier.)

25 M. Kehoe (interprétation). - Puis-je poursuivre, Monsieur le

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1 Président ? Bien. Monsieur Donia, je vous en prie.

2 M. Donia (interprétation). - Cette carte vient d'un atlas

3 récent, atlas historique qui porte sur l'Europe orientale. On y voit

4 l'origine des Slaves dans les zones qui appartiennent actuellement à

5 l'Ukraine, au Sud-Ouest de la Biélorussie et à l'Est de la Pologne. Cette

6 carte indique qu'il y a des désaccords importants entre les scientifiques

7 concernant les origines géographiques exactes de ces groupes slaves.

8 Effectivement, les gens qui ont migré à l'époque ne pouvaient écrire et il

9 n'y a donc pas d'archives écrites de ces mouvements.

10 Les Slaves du Sud semblent avoir migré vers la péninsule

11 balkanique sous la forme de tribus, constitués en tribu, au contraire des

12 Huns ou des Wisigoths, des Avars et des Mongols, Slaves qui n'étaient pas

13 sédentaires. Une fois qu'ils sont arrivés dans la péninsule balkanique,

14 après un certain temps, ils se sont établis et n'ont plus migrés en tant

15 que groupes depuis lors.

16 M. Kehoe (interprétation). - Encore une fois, ces migrations ont

17 eu lieu quand ?

18 M. Donia (interprétation). - Au 6e et 7e siècles. Certains

19 scientifiques parlent du 8e siècle, mais je crois que l'on peut dire avec

20 certitude que c'est durant les 6e et 7e siècles que ces migrations se sont

21 passées. C'est en tout cas la date la plus généralement retenue.

22 Quand ils sont arrivés dans la péninsule balkanique, il y avait

23 deux centres rivaux de la chrétienté dont l'un était à Rome et l'autre à

24 Constantinople. Conséquemment, les Slaves du Sud ont été christianisés

25 depuis deux directions sous deux influences distinctes : l'une venant de

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1 l'Ouest pour le catholicisme romain et l'autre qui venait de l'Est, pour

2 la chrétienté orthodoxe.

3 Chose extrêmement importante, les missions orthodoxes ont été

4 organisées par Cyrille et Méthode qui apparaissent dans la chronologie. On

5 mentionne en général la date de 863. Cyrille et Méthode étaient deux

6 missionnaires qui ont traversé les terres occupés par les Slaves du Sud et

7 à qui l'on attribue l'alphabet cyrillique, lequel est devenu l'alphabet

8 utilisé par les Russes et par les Serbes.

9 Il y avait aussi une église chrétienne avant 1054. 1054 est

10 l'année du schisme qui fait que les Slaves ont appartenu à deux sphères

11 culturelles distinctes : à l'Ouest le catholicisme romain et, à l'Est,

12 l'orthodoxie.

13 A partir du 9e siècle environ, commence une période pendant

14 laquelle les Etats émergent dans les Balkans. C'est une époque où il y

15 avait de nombreux empires rivaux dans la région : l'empire byzantin, avec

16 sa capitale à Constantinople, les Francs en Europe occidentale et plus

17 tard, Venise, qui contrôlait la région au Nord de l'Adriatique.

18 Mais dans ce contexte, au fil du temps et des siècles qui ont

19 suivi, trois empires ou trois royaumes importants pour notre propos ont

20 émergé. Il s'agit des Bosniaques, des Croates et des Serbes. On sait très

21 peu de choses sur ces trois Etats et ce sont surtout des sources

22 extérieures qui nous renseignent : des missions qui sont allées dans la

23 région, des chartes royales parfois, certains vestiges archéologiques.

24 Mais, à notre grand étonnement, on sait très peu de choses sur ces

25 empires, beaucoup moins que ce que nous souhaiterions savoir en tout cas.

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1 Sans doute ces Etats sont beaucoup plus importants au 20e siècle

2 qu'ils ne l'étaient au 10e car les nationalistes actuels se sont tournés

3 vers ces empires pour asseoir leurs propres revendications actuelles. Il

4 s'agissait essentiellement de dirigeants tribaux ou de confédérations

5 tribales qui cherchaient à renforcer leurs propres pouvoirs grâce à des

6 systèmes de taxation, de conquêtes, en répandant leur monnaie,

7 particulièrement, pour ce qui est de la Serbie, en édifiant des églises et

8 en donnant des titres (duchés, royaumes, etc.).

9 Ces entités étaient extrêmement dépendantes de l'efficacité d'un

10 dirigeant unique ou d'une succession de dirigeants. Je voudrais vous

11 montrer quelques cartes de ces régions. Mais je voudrais dire aussi qu'à

12 bien des égards, les cartes ne suffisent pas car elles mettent trop

13 l'accent ou elles exagèrent l'impression de contrôle qui pouvait exister à

14 l'époque ?

15 M. Kehoe (interprétation). - Qu'entendez-vous par là ?

16 M. Donia (interprétation). - Ces dirigeants dirigeaient des

17 territoires, mais très souvent ils se limitaient à leur capacité de

18 contrôler leurs vassaux et à lever des impôts. C'est donc un contrôle

19 limité.

20 M. Kehoe (interprétation). - Dans quelle mesure ces royaumes

21 distincts ont une importance pour les événements postérieurs à 1990 ?

22 M. Donia (interprétation). - Beaucoup de gens ont attribué à ces

23 royaumes une grandeur qui est fictive.

24 M. Kehoe (interprétation). - Voulez-vous montrer ces cartes à ce

25 stade ?

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1 M. Donia (interprétation). - Oui.

2 M. Kehoe (interprétation). - Je donne donc ces cartes à

3 l'huissier.

4 (L'huissier remet les documents.)

5 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur Donia, pouvez-vous nous

6 expliquer cette pièce ?

7 M. Donia (interprétation). - Il s'agit d'une carte de l'Etat

8 bosniaque médiéval. On y voit la croissance de cet Etat qui, au départ,

9 était un petit îlot correspondant à la Bosnie centrale actuelle. Il s'est

10 élargi vers l'Est, vers la rivière Drina et vers la côte adriatique, puis

11 a fini par comprendre une grande partie de la Dalmatie et une partie qui,

12 aujourd'hui encore, appartient à la Bosnie.

13 L'Etat bosniaque a émergé en 1180 des territoires hongrois, même

14 si pendant l'essentiel du Moyen Age, officiellement, le contrôle hongrois

15 demeurait.

16 Les chefs bosniaques avaient le titre de Ban, soit l'équivalent

17 du grade de gouverneur. A l'époque, la Bakovine se limitait à ce petit

18 cercle initial. Le successeur de Kuljin Kudramovic a conquis une grande

19 partie de la partie de la zone septentrionale et Turfko est devenu un roi.

20 Son règne s'est terminé en 1391.

21 Turfko a été couronné roi de Serbie et de Bosnie en 1377. En

22 1390, il a ajouté la Croatie et la Dalmatie à sa couronne. Cela a été

23 suivi par des pressions de l'empire Ottoman qui émergeait alors et des

24 pressions de la Hongrie, ce qui a finalement abouti à la conquête ottomane

25 de cette région.

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1 M. Kehoe (interprétation). - Je voudrais vous poser une question

2 concernant cette période. Le cercle que vous avez indiqué correspond donc

3 à l'Etat médiéval entre 1390, avant la conquête de la Dalmatie et de la

4 Croatie.

5 M. Donia (interprétation). - Oui. Pour être clair, ce n'est pas

6 l'ensemble de la Croatie qui a été annexée, mais uniquement la côte

7 dalmate. L'existence de cet Etat était importante. Elle s'explique aussi

8 par l'histoire religieuse. La Hongrie, royaume qui se trouvait au Nord,

9 souhaitait conquérir et retenir cette région dans le cadre de ses

10 possessions et a accusé la Bosnie d'hérésie ; hérésie connue sous le nom

11 de bogomile.

12 Cela a amené les Bosniaques à rompre avec l'église catholique et

13 à créer de leur propre église indépendante, connue sous le nom d'église

14 médiévale bosniaque. Cette église a existé sur la ligne de front entre le

15 catholicisme et l'orthodoxie et est perçue par l'extérieur comme un

16 paradis pour les hérétiques bogomiles. Des analyses récentes ont remis en

17 cause cette hypothèse, mais les bogomiles sont apparus aux yeux des

18 Musulmans nationalistes de Bosnie comme les précurseurs de la communauté

19 musulmane de Bosnie-Herzégovine.

20 De fait, la mission franciscaine en Bosnie a été établie en 1342

21 sous l'égide du Ban et par la suite, la Bosnie-Herzégovine a été

22 notablement catholicisée. Mais pendant ce siècle à peu près, pendant cette

23 centaine d'années qui sépare 1252 de 1342, la Bosnie médiévale connaissait

24 une église autonome florissante, laquelle a joué un rôle important dans

25 les discussions sur les origines du peuple bosniaque, après la date de

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1 1990.

2 M. le Président. - Excusez-moi, Monsieur Donia. Nous sommes

3 prêts de terminer cette matinée. Simplement, je ne voudrais pas vous

4 interrompre dans une explication, donc s'il vous faut deux ou trois

5 minutes... Le Tribunal ne souhaite pas que vous posiez une autre question,

6 Monsieur le Procureur. Vous la poserez demain matin.

7 Monsieur Donia, pouvons-nous arrêter là où avez-vous encore

8 quelques précisions à apporter ?

9 M. Donia (interprétation). - Je crois que ce serait le bon

10 moment pour couper, au moment où on parle de cette diminution, de cette

11 perte d'influence.

12 M. le Président. - Vous voulez poursuivre ?

13 M. Donia (interprétation). - Ce serait un bon moment pour

14 s'arrêter Monsieur le Président.

15 M. le Président. - Très bien. Dans ces conditions l'audience est

16 levée. Elle reprendra demain matin à 10 heures.

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19 L'audience est levée à 13 heures 20.

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