Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 4262

1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 24 novembre 1997

4 L'audience est ouverte à 10 heures 00.

5 M. le Président. - Veuillez vous asseoir. Monsieur l’Huissier,

6 faites rentrer l’accusé, s’il vous plaît. Je vais d’abord vérifier que les

7 cabines d’interprétation nous entendent, puisque nous sommes en début de

8 semaine.

9 L’Interprète française. - Bonjour, Monsieur le Président.

10 M. le Président. - Le Bureau du Procureur m’entend également !

11 La défense aussi ! Général Blaskic, vous m’entendez ?

12 M. Blaskic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

13 je vous entends.

14 M. le Président. - Je me tourne vers le Bureau du Procureur. Le

15 dispositif de protection des témoins a été mis en place, donc le témoin

16 est protégé. Monsieur Harmon, vous avez la parole.

17 M. Harmon (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

18 Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour aux conseils de la partie adverse.

19 Monsieur le Président, le témoin suivant est un témoin protégé

20 qui a demandé une protection au niveau du visage uniquement. Il s'appelle

21 Ednan Zec.

22 Il témoignera ce matin au sujet de ce qu'il a observé en

23 personne avant l'attaque du 16 avril. Il vous décrira ce qu'il a vu au

24 bungalow, également dans l'école, et ce qu'il a pu voir des Croates de la

25 région qui quittaient le village avant le début de l'attaque. Il

Page 4263

1 témoignera également au sujet de la Défense territoriale dans la mesure où

2 son père participait à la Défense territoriale. Et puis, Monsieur le

3 Président, nous nous pencherons sur les événements du 16 avril

4 à Ahmici-le-Bas. Ednan Zec vous décrira le meurtre de civils

5 innocents, les concentrations de troupes, qu'il a observés à Ahmici-le-

6 Bas, les différentes unités qu'il a pu identifier et qui ont participé de

7 façon coordonnée à l'attaque. Il témoignera des destructions subies par la

8 mosquée à Ahmici-le-Bas. Et il témoignera des pillages du au HVO qui ont

9 affecté les résidences des Musulmans et de l'absence de résistance de leur

10 part.

11 M. le Président. - Maître Harmon, vous l’avez fort bien décrit.

12 Pour l'instant, nous allons introduire ce témoin.

13 Monsieur l’Huissier, vous allez baisser les rideaux

14 momentanément pour permettre au témoin d'entrer. Ensuite nous les lèverons

15 pour que le public puisse assister à cette audience.

16 (L’Huissier s’exécute.)

17 Il y a donc une distorsion faciale, Maître Harmon ?

18 M. Harmon (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

19 M. Hayman (interprétation). - Monsieur le Président, puis-je

20 faire une observation ?

21 M. le Président. - Allez-y.

22 M. Hayman (interprétation). - Nous n'avons aucune intention de

23 retarder les débats, mais il y a là un problème de principe. A moins qu'il

24 existe un fondement particulier pour justifier ces mesures de protection,

25 ce témoin a parlé aux médias. Il est devenu un personnage public en

Page 4264

1 accordant une interview et en acceptant que la photographie de son visage

2 soit imprimée dans les médias.

3 Nous estimons qu'il faudrait qu'il existe un fondement factuel

4 pour que le Tribunal accorde des mesures de protection. Nous ne souhaitons

5 pas bien sûr que ce témoin soit soumis au moindre danger possible. Mais

6 nous souhaitions apporter ce fait à l'attention du Tribunal et émettre une

7 objection de principe sur cette question.

8 M. le Président. - Je voudrais que Monsieur le Procureur fasse

9 connaître son point

10 de vue. Cette interview date de quand, Maître Harmon ? Est-elle

11 récente?

12 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, l'interview

13 que le conseil de la partie adverse vient de vous montrer est un

14 exemplaire de l'interview que j'ai remise à la partie adverse récemment,

15 lorsque j'en eu connaissance. Mon collègue a tout à fait raison, je crois

16 qu'il y a effectivement une photo du témoin associée à cette interview.

17 Mais néanmoins, Monsieur le Président, je tiens à vous faire

18 part des menaces qu'a subies ce jeune témoin. Si le Tribunal veut bien se

19 réunir à huis clos partiel, j'aurais grand plaisir à demander au témoin de

20 vous décrire la nature de ces menaces qui lui ont suscité une peur

21 suffisante pour qu'il demande que son visage ne soit pas montré au public.

22 M. le Président. - Ce que nous allons faire, c'est que, quand le

23 témoin sera rentré, nous lui demanderons dans quelles conditions il a

24 donné cette interview. C'est la meilleure des choses.

25 Il est exact, et je partage l'avis de Me Hayman, qu'il est à la

Page 4265

1 fois difficile de demander des mesures de protection strictes au Tribunal

2 - c’'est le devoir du Tribunal de protéger les témoins et nous le ferons

3 chaque fois que nécessaire- néanmoins, encore faut-il que les témoins eux-

4 mêmes prennent part à leur propre protection.

5 Merci, Maître Hayman. Merci, Monsieur le Procureur. A présent,

6 nous allons faire rentrer ce témoin. Monsieur l’Huissier faites entrer le

7 témoin.

8 (Le témoin est introduit dans la salle d’audience.)

9 Est-ce que vous m'entendez ? La première des choses, Monsieur le

10 Greffier, qu'il faut dire à l'Huissier c'est de mettre les écouteurs. Cela

11 fait quand même un certain nombre de fois que cela se passe ainsi, ce

12 n’est quand même pas très compliqué, c'est le geste fondamental, sinon je

13 ne peux pas m'adresser à lui. Est-ce que vous m'entendez, Monsieur ?

14 M. Zec (interprétation). - Oui.

15 M. le Président. - Vous allez nous dire simplement votre nom et

16 votre prénom, puis

17 vous lever pour lire votre déclaration. Quel est votre nom, quel

18 est votre prénom, s'il vous plaît ?

19 M. Zec (interprétation). - Ednan Zec.

20 M. le Président. - Merci. Vous allez maintenant vous levez pour

21 lire la déclaration que tous les témoins doivent lire. Pouvez-vous vous

22 lever, s'il vous plaît ?

23 (Le témoin se lève.)

24 Pouvez-vous lire la déclaration qui vous est tendue, s'il vous

25 plaît ?

Page 4266

1 M. Zec (interprétation). - Je déclare solennellement que je

2 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

3 M. le Président - Merci. Asseyez-vous. Monsieur Zec, je pense

4 que nous allons avoir l'orthographe exacte de votre nom.

5 L’interprète. - Zec, Z, E, C.

6 M. le Président. - Monsieur Zec, vous êtes protégé par des

7 mesures qu'a ordonné le Tribunal. Vous avez demandé que votre visage soit

8 protégé.Votre visage est protégé.

9 Néanmoins, nous venons d'apprendre qu’une interview avait été

10 donnée par vos soins dans un journal. Alors, vous n'allez pas nous en

11 parler très longuement. Vous avez jugé bon de donner cette interview, n'en

12 parlez pas trop pour ne pas à nouveau dévoiler des éléments

13 d'identification qui pourraient servir de menace à votre encontre.

14 Mais, le Tribunal ne peut que faire observer que tout le monde

15 concoure à la protection des témoins. Encore faut-il que les témoins eux-

16 mêmes concourent à leur propre protection.

17 Monsieur le Procureur, il s'agit d'un témoin que vous avez cité,

18 vous avez parfaitement décrit les thèmes principaux du témoignage que le

19 Bureau de l'accusation attend du témoignage de M. Zec. Pouvez-vous donc,

20 après quelques simples renseignements d'identification, demander au témoin

21 de faire sa déposition.

22 Ce que je vous demande, conformément à la méthode que nous avons

23 mise au point pour essayer d'accélérer la procédure, c'est d'essayer

24 d'interrompre le moins possible le témoin, sauf lorsque vous avez des

25 précisions à apporter, vous pourrez ensuite poser des questions

Page 4267

1 complémentaires qui vous paraissent décisives au service de l'accusation.

2 Maître Harmon, si vous avez besoin de quelques questions

3 d'identification, faites-le. Après quoi, le témoin nous racontera, selon

4 les thèmes que vous lui avez certainement définis, puisque maintenant vous

5 connaissez la manière dont nous allons procéder. Maître Harmon, vous avez

6 la parole.

7 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je

8 commencerai par lui poser quelques questions d'identification. Après quoi,

9 je lui poserai brièvement des questions au sujet d’un nombre déterminé de

10 sujets. Puis, je demanderai au témoin de circonscrire un peu ses réponses

11 avec l’autorisation du Tribunal.

12 Ednan, quel âge avez-vous ?

13 M. Zec (interprétation). - Maintenant j'ai 18 ans et en 1993

14 j’avais 13 ans.

15 M. Harmon (interprétation). – Etes-vous Musulman ?

16 M. Zec (interprétation). – Oui.

17 M. Harmon (interprétation). – Avez-vous été élevé et avez-vous

18 passé toute votre vie dans le village d'Ahmici ?

19 M. Zec (interprétation). – Oui.

20 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais vous demander de vous

21 concentrer sur la journée du 15 avril 1993. Etes-vous allé à l’école ce

22 15 avril ?

23 M. Zec (interprétation). - Oui.

24 M. Harmon (interprétation). – Si quelque chose d'inhabituel

25 s’est produit le 15 avril, le jour où vous êtes allé à l’école, pouvez-

Page 4268

1 vous nous dire de quoi il s'agit?

2 M. Zec (interprétation). - Oui. J’ai remarqué que certains

3 enfants croates ne sont

4 allés à l'école, surtout des enfants d'Ahmici.

5 M. Harmon (interprétation). – Preniez-vous normalement un

6 autobus pour vous rendre à l'école et pour en revenir ?

7 M. Zec (interprétation). – Oui.

8 M. Harmon (interprétation). - Cet autobus passait-il normalement

9 par un lieu dénommé le bungalow ?

10 M. Zec (interprétation). - Oui. L’autobus passait par Vitez, il

11 tournait à Nadioci et se dirigeait ensuite de nouveau vers Vitez. Je

12 prenais l'autobus à Ahmici, j'allais jusqu'à Nadioci et ensuite je

13 revenais vers Vitez pour aller à l’école.

14 M. Harmon (interprétation). - Cet autobus passait donc par

15 Vitez, continuait sur la route de Busovaca et après être passé devant le

16 bungalow il faisait demi-tour pour revenir à Vitez, c’est bien cela ?

17 M. Zec (interprétation). – Oui.

18 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous parler aux Juges de

19 cet endroit appelé le bungalow, leur dire ce qu’il est, ce que vous y avez

20 vu à plusieurs reprises avant l’attaque ?

21 M. Zec (interprétation). – Le bungalow était normalement une

22 sorte de restaurant. Mais, à peu près un mois avant le 15 avril, l'armée

23 est arrivée avec deux ou trois autobus. Ils ont été logés là-bas. A

24 l’intérieur, il y avait un nid de mitrailleuses. Les soldats portaient des

25 uniformes de camouflage et des armes.

Page 4269

1 M. Harmon (interprétation). – Combien de soldats avez-vous vus à

2 peu près au bungalow avant l’attaque d’Ahmici ?

3 M. Zec (interprétation). - Environ soixante-dix soldats y on été

4 stationnés.

5 M. Harmon (interprétation). – Ces soldats portaient un uniforme

6 de camouflage, n’est-ce pas ?

7 M. Zec (interprétation). – Oui.

8 M. Harmon (interprétation). – Quand vous êtes allé à l’école le

9 15 avril 1993, avez-vous vu le bungalow ?

10 M. Zec (interprétation). - Oui, le 15 avril aussi j’ai vu le

11 bungalow. Il n'y avait pas d'autobus ce jour-là. Quand je suis arrivé, il

12 y avait peut-être sept ou huit soldats à l’extérieur quand je suis passé

13 en autobus. A chaque fois, il y avait quelqu'un de chez eux dans ce nid de

14 mitrailleuses.

15 M. Harmon (interprétation). – Les soldats dont vous venez de

16 parler étaient croates, n’est-ce pas ?

17 M. Zec (interprétation). – Oui...

18 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi, je vous ai

19 interrompu ?

20 M. Zec (interprétation). – Oui. Ils sortaient des insignes du

21 HV.

22 M. Harmon (interprétation). - Que signifie HV ?

23 M. Zec (interprétation). – Le HV, cela veut dire l’armée croate.

24 M. Harmon (interprétation). – Le 15 avril, Ednan, vous avez donc

25 vu un nombre limité de soldats à l’intérieur et autour du bungalow, c’est

Page 4270

1 bien cela ?

2 M. Zec (interprétation). – Oui.

3 M. Harmon (interprétation). – Le 15 avril, après l’école, après

4 votre retour à la maison, avez-vous vu quelque chose d’inhabituel ou

5 entendu parler d’activités inhabituelles dans votre maison ou autour de

6 votre maison ?

7 M. Zec (interprétation). – Oui. Quand je suis revenu, mes

8 parents faisaient des commentaires concernant la raison pour laquelle ces

9 enfants d’Ahmici n’étaient pas allés à l’école ce jour-là. Ensuite, la

10 famille Milicevic -il s'agit de trois familles dans trois maisons- a

11 conduit leur famille en voiture devant la maison de Ivo Papic. Il y avait

12 sans cesse des voitures qui venaient, passaient et repartaient.

13 M. Harmon (interprétation) - La famille Milicevic est une

14 famille croate. La famille

15 Papic, dont vous venez de parler, est également croate, n'est-ce

16 pas ?

17 M. Zec (interprétation). - Oui.

18 M. Harmon (interprétation) - Cet individu qui s'appelle Papic,

19 quel est son prénom ?

20 M. Zec (interprétation). - Dragan Papic, Goran Papic, Ivo Papic.

21 M. le Président. - Nous avions dit, il me semble, que nous

22 étions d'accord, et cette fois vous avez dû préparer le témoin, sur le

23 fait que le témoin fasse sa déposition. Cette fois-ci, nous ne sommes pas

24 comme la semaine dernière, vous avez dû préparer le témoin. Au cours de sa

25 déposition, vous pouvez lui poser de-ci de-là les questions qui vous

Page 4271

1 paraissent importantes. Je sais que vous êtes réticent à cette méthode,

2 Monsieur le Procureur, mais nous avons le souhait louable, et partagé par

3 tout le monde, d'essayer d'aller à l'essentiel. Ou bien, vous posez

4 quelques questions, mais là je crois que nous repartons sur la méthode qui

5 vous est habituelle. Essayons peut-être ! Ou posez quelques questions

6 principales, mais le témoin doit déposer devant les Juges et doit faire sa

7 déposition. Mixons les méthodes, Monsieur le Procureur. Mais là, vous

8 voulez à nouveau reposer les centaines de questions que vous avez

9 préparées avec le témoin. Nous savons d'expérience que les centaines de

10 questions ne sont pas toutes essentielles. Essayons. D'accord ? Allons-y,

11 continuez.

12 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, avec

13 l'indulgence du Tribunal, je n'ai plus que quelques questions à poser

14 avant de demander au témoin de commencer son récit. Mais j'ai besoin d'un

15 certain nombre d'éclaircissements destinés aux Juges d'ailleurs.

16 M. le Président. - Vous avez l'indulgence du Tribunal, Monsieur

17 Harmon. Allez-y !

18 M. Harmon (interprétation). - Ednan, le 16 avril 1993, qui

19 vivait avec vous dans votre maison ?

20 M. Zec (interprétation). - Mon père, Sabahudin Zec âgé de

21 37 ans, ma mère Hajrija Zec âgée de 40 ans, ma soeur Alisa Zec âgée de

22 11 ans, ma soeur Melisa âgée de 6 ans

23 et moi-même qui avais 13 ans.

24 M. Harmon (interprétation). - Quelques questions au sujet de

25 votre père. ! Il était membre de la Défense territoriale, n'est-ce pas.

Page 4272

1 M. Zec (interprétation). - Oui.

2 M. Harmon (interprétation). - Votre père a participé de temps en

3 temps aux gardes qui étaient organisées dans le village. Il patrouillait

4 dans le village, n'est-ce pas.

5 M. Zec (interprétation). - Oui.

6 M. Harmon (interprétation). - Lorsque votre père faisait partie

7 de ces tours de garde dans le village, portait-il un fusil ?

8 M. Zec (interprétation). - Oui. Etant donné que les gens du

9 village avaient des fusils de chasse et des armes qu'ils avaient faits

10 eux-mêmes, c’est avec ces armes-là qu'ils faisaient des tours de garde

11 pour garder le village.

12 M. Harmon (interprétation). - Le matin du 16 avril, le jour de

13 l'attaque, ces armes étaient-elles toutes dans votre maison ?

14 M. Zec (interprétation). - Non.

15 M. Harmon (interprétation). - Avec l'autorisation du Tribunal et

16 l'aide de l'Huissier, j'aimerais que la pièce à conviction n° 141 soit

17 distribuée. Je demanderai qu'un exemplaire de cette pièce 141 soit placé

18 sous les yeux du témoin. Monsieur le Président, il s'agit de

19 l'agrandissement d'une pièce à conviction n° 50 qui est une carte. Une

20 légende y est associée, sur laquelle on trouve l'explication des

21 différents numéros et des lettres qui ont été apposés sur la carte elle-

22 même.

23 M. le Président. - Monsieur le Procureur, la légende est-elle

24 couverte par le secret ?

25 M. Harmon (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

Page 4273

1 Ednan, avant de venir au Tribunal ce matin, avez-vous eu la

2 possibilité de localiser

3 sur une grande photographie aérienne un certain nombre

4 d'emplacements qui ont une pertinence par rapport à votre déposition

5 d'aujourd'hui ?

6 M. Zec (interprétation). - Oui.

7 M. Harmon (interprétation). - Ces emplacements ont-ils été

8 inscrits sous la forme de lettres et de numéros sur la pièce à

9 conviction 141 qui est maintenant sous vos yeux ?

10 M. Zec (interprétation). - Oui.

11 M. Harmon (interprétation). - Avez-vous eu la possibilité de

12 comparer la teneur de la légende qui a été associée à cette pièce à

13 conviction aux numéros et lettres qui figurent sur la pièce n°141.

14 M. Zec (interprétation). - Oui.

15 M. Harmon (interprétation). - La teneur de la légende

16 correspond-elle fidèlement aux nombres, numéros et lettres inscrits sur la

17 pièce à conviction ?

18 M. Zec (interprétation). - Oui.

19 M. Harmon (interprétation). - Ednan, en vous servant maintenant

20 de cette pièce à conviction, chaque fois que vous en aurez besoin pour

21 illustrer ce que vous direz aux Juges, je vous prierai de leur raconter ce

22 qui s'est passé, ce qui vous est arrivé à vous et aux membres de votre

23 famille le 13 avril 1993.

24 M. le Président. - Très bien, Monsieur le Procureur. C’est ainsi

25 qu’il faut procéder. Vous avez donc entendu ce que vous a dit le

Page 4274

1 Procureur. Vous allez déposer sur tous les éléments pour lesquels la

2 déposition est utile pour l'accusation. Quand vous le jugerez utile, vous

3 préciserez sur la pièce à conviction les endroits qui vous paraissent

4 particulièrement pertinents. N'ayez crainte, si vous oubliez quelque

5 chose, le Procureur vous demandera ensuite par quelques questions de

6 préciser certains points. Vous déposez maintenant. N'ayez aucune crainte,

7 et vous le faites comme vous avez envie de le faire, avec vos mots, sur ce

8 qui s'est produit en répondant à la question que vient de vous poser le

9 Procureur. Ednan, allez-y.

10 M. Zec (interprétation). - Le 15 avril, le soir, vers 21 ou 22

11 heures, nous sommes allés au lit, pour dormir. Le matin, vers 4 heures du

12 matin...

13 M. le Président. - Détendez-vous et parlez calmement et plus

14 près du micro pour permettre aux interprètes de bien vous entendre. Allez-

15 y.

16 M. Zec (interprétation). - Le matin vers 5 heures, 5 heures 30,

17 nous avons été réveillés par des coups de feu. On brisait les fenêtres,

18 ainsi que les tuiles sur le toit.

19 Je dormais dans une chambre, mes deux soeurs dans une autre

20 chambre, et mes parents dans une troisième. Mes parents sont sortis en

21 courant de la leur, ils sont venus vers nos chambres pour nous réveiller,

22 pour que nous nous habillions et que nous fuyions la maison qui était déjà

23 en feu. Nous sommes sortis, pratiquement déshabillés, en pyjama, et nous

24 nous sommes réfugiés dans le couloir de notre maison, en haut de celle-ci.

25 Nous n'avons pas pu y rester et nous sommes donc descendus sous

Page 4275

1 l'escalier. Nous avons pris seulement les vêtements que nous pouvions

2 mettre sur nous. Pendant que nous étions sous l'escalier, nos parents se

3 sont mis d'accord pour aller à l'étage supérieur chercher l'argent et les

4 bijoux, afin de les emmener avec nous.

5 Ma mère est allée à l'étage ; elle a crié. Nous avons pensé

6 qu'elle avait été touchée par une balle. Elle n'avait pas été touchée par

7 une balle, mais une balle inflammable avait touché la chambre. La maison a

8 ainsi pris feu. Elle a donc éteint le feu, elle a pris l'argent et l'or,

9 et nous a retrouvés en bas. Quand elle est arrivée, mes parents se sont

10 mis d'accord pour que nous sortions de la maison, parce que celle-ci

11 allait bientôt complètement brûlert. Nous voulions éviter de brûler nous-

12 mêmes à l'intérieur de la maison.

13 Nous avons décidé de nous rendre dans la maison de Zijad Ahmic,

14 le n° 5. Cette maison a une partie souterraine importante, une sorte de

15 cave. Nous voulions attendre que les coups de feu se calment, mais comme

16 cela n’a pas été le cas nous avons décidé de sortir de cette maison et de

17 courir vers l’autre maison.

18 Ma petite soeur Melisa et ma mère ont été les premières à sortir

19 en courant, ensuite ma soeur Alisa, puis moi-même et enfin mon père. Moi,

20 je courais dans la direction indiquée par cette route rouge. Mes parents

21 ont pris la route verte. Quand je suis arrivé jusqu'à la maison de Nurija,

22 la maison n° 3, je me suis réfugié en haut pour me reposer un peu parce

23 que j’avais couru pendant tout ce temps-là. Dès que je me suis installé

24 là, une rafale de balles traçantes a été tirée dans la direction dans

25 laquelle je venais de courir. Lorsque j’étais à côté de la maison de

Page 4276

1 Nurija, mes parents étaient près de notre étable, marquée par n° 2. Je me

2 suis reposé pendant un moment à cet endroit-là, puis j'ai continué à

3 courir.

4 Je suis arrivé en courant jusqu'à, à peu près, la maison de

5 Zara. Et là, encore une fois, j'ai entendu une rafale qui a été tirée tout

6 près de l’endroit où je me trouvais et je me suis jeté par terre. Ayant

7 constaté que je n’avais pas été touché, je me suis levé et j'ai continué à

8 courir. Quand je me suis retrouvé sur la route, endroit où nous pouvons

9 voir l’arche avec des flèches rouges, j'ai continué à courir encore 10 ou

10 15 mètres, j'ai vu un soldat qui était à côté de la maison de Zahir,

11 indiquée par la lettre A. Un soldat était là, il m'a demandé : "Où vas-tu

12 petit ?", j'ai répondu que je m'échappais. Il m’a dit : "Vas-y, fuis".

13 Cependant, Zahir était près de lui. Il n'était pas du tout armé, il était

14 allongé, il portait des vêtements civils. Au-dessus de lui, comme je l’ai

15 dit, il y avait un soldat qui portait l’uniforme de camouflage. Il avait

16 quelque chose de noir sur son visage.

17 J’ai continué à courir jusqu’au carrefour, marqué C. Il y avait

18 trois soldats à l’endroit marqué B. Je devais passer à côté d'eux pour

19 arriver à la maison de Zijad Ahmic, marquée par le n° 5. Eux aussi m’ont

20 arrêté en me demandant : "Où vas-tu petit ?", j’ai répondu : "Je m’enfuis

21 parce que ça tire !". Mais, ils m’ont dit de rentrer. J'étais seulement à

22 1 mètre de distance d’eux. Je me suis retourné, j’ai commencé à tourner,

23 mais ayant à peine fait quelques mètres une rafale a été tirée sur moi et

24 je suis tombé par terre.

25 Ces trois soldats, se trouvant à l’emplacement de la lettre B,

Page 4277

1 pendant que je courais

2 dans leur direction puisque c'est là qu'en principe je me

3 dirigeais, donnaient l'impression de se cacher de quelqu'un. Mais, de

4 temps en temps, ils se mettaient à courir et tiraient dans la direction de

5 Ahmici-le-Haut. En dehors de ces périodes, ils se cachaient. Là où ils se

6 trouvaient, il y avait une espèce d’étable ou remise, je ne sais pas de

7 quoi il s’agissait, mais, en tout cas, c’était derrière cette espèce de

8 petite construction qu'ils se cachaient en s'accroupissant. Et, de temps

9 en temps, ils se mettaient à courir et à tirer vers Ahmici-le-Haut. Il y

10 en avait un qui se trouvait sur ma droite. Celui-ci a donné l’ordre aux

11 autres de tirer sur mes parents. Moi, j’étais déjà blessé, j’étais en

12 train de tomber au sol.

13 C’est à ce moment-là que j’ai remarqué mes parents qui étaient

14 en train d’arriver à l’emplacement figurant, sur le plan, à la lettre D.

15 Là, ils se sont arrêtés et c’est là qu’ils se sont fait tuer par le soldat

16 A qui avait reçu l’ordre de tirer du soldat qui se trouvait près de moi au

17 moment où j’ai été moi-même blessé. Ce soldat lui a répété trois fois :

18 "Tue-les ! Tue-les ! Tue-les !", mais quand il l’a répété pour la deuxième

19 fois mes parents, en fait mon père a dit : "Tuez-moi, mais ne touchez pas

20 à ma femme et à mes enfants" ; cela dit, le soldat a reçu l’ordre pour la

21 troisième fois, si je puis m’exprimer ainsi, et à ce moment-là il a tiré

22 une rafale qui a tué mes parents.

23 Au moment où je suis tombé au sol, je me suis rendu compte que

24 je n’avais plus de sensation dans la jambe. En regardant plus précisément,

25 j’ai constaté que j’avais été blessé à deux endroits. Je n’osais pas

Page 4278

1 bouger puisque ces soldats se trouvaient tout près de moi. Donc, j’ai été

2 forcé de rester allongé au même endroit toute la journée. J’ai mis mes

3 bras sur mon visage pour qu’on ne remarque pas que j’étais vivant. Je

4 n’osais même pas bouger un cil parce que de temps en temps les soldats

5 s’approchaient de moi, s’accroupissaient près de moi, pour tirer vers le

6 haut du village. Je ne voulais pas qu’un soldat se rende compte par un

7 mouvement de cils que je vivais encore. J’ai donc mis les bras sur mon

8 visage. De cette façon, je pouvais aussi, de temps en temps, regarder ce

9 qui se passait autour de moi.

10 Plus tard, dans la journée, les soldats n’arrêtaient pas de

11 passer à côté de moi, car, apparemment, pour eux, c’était un endroit de

12 passage important. Ils venaient de la direction de la maison de Pjanic,

13 Habiba Pjanic, qui figure au n° 4, et aussi de ma maison qui figure au

14 n° 1. Donc, ils arrivaient de ces deux directions et ils se dirigeaient

15 vers la maison de Zijad, au n° 5, puis ils poursuivaient leur chemin vers

16 la mosquée, mais ensuite je ne sais pas jusqu’où ils allaient. Il y avait

17 donc d’incessants allers et retours de soldats autour de moi. Ils

18 circulaient dans les deux sens.

19 Au cours de la journée, je ne sais pas exactement à quelle

20 heure, mais j’ai entendu... Il y avait des réfugiés qui habitaient au rez-

21 de-chaussée de la maison de Zahir, je ne me souviens pas exactement d’où

22 ils étaient originaires... le moment où ils les ont chassés. Ils leur ont

23 donné l’ordre de mettre les mains sur la nuque. A cet endroit, ils ont

24 fusillé un homme, un de ces réfugiés. Je ne sais pas comment il s’appelle,

25 je l’ai oublié. Il figure, sur le plan, à la lettre G. Il a été fusillé au

Page 4279

1 coin de la maison. Ceux qui sont restés vivants, sa femme et deux enfants,

2 ont été chassés de la maison. J’ai vu le moment où ils les ont chassés de

3 la maison en les forçant à mettre les mains sur la nuque. J’ai remarqué le

4 moment où ils allaient tirer sur cet homme et j’ai fermé les yeux.

5 Ensuite, j’ai entendu une rafale. Lui est sans doute tombé, je ne l’ai pas

6 vu tomber, mais c’est une supposition que je fais.

7 Sa femme et ses deux enfants ont été chassés de la maison. Ils

8 sont passés à côté de moi. J’ai entendu le bruit des pas. Je ne regardais

9 plus à ce moment-là, j’avais fermé les yeux parce que j’avais peur. Mais

10 j’ai entendu le bruit des pas et de leur respiration. Ils sont passés tout

11 près de moi.

12 Un peu plus tard, dans la journée, ils ont apporté un blessé qui

13 était sur une civière. Ils l’ont emmené dans la direction qui, en fait,

14 n’est pas indiquée sur le plan. Enfin, ils ont emporté ce blessé. Au

15 moment où ils sont passés à côté de moi, ils ont posé la question : "Est-

16 ce qu’il est à nous celui-là ?" ; l’homme qui portait la civière à l’autre

17 extrêmité a répondu que

18 non, donc ils ont poursuivi leur chemin.

19 Au cours de la journée, Andjelko Vidovic, surnommé Acko, est

20 passé à côté de moi avec un certain nombre de soldats qui se dirigeaient

21 vers la maison de Mehemed Trako. Cette maison n’est pas indiquée par une

22 lettre ou un numéro sur le plan. Au moment où ils sont arrivés au niveau

23 de cette maison, ils ont poussé des fenêtres et brisé la porte. J’ai

24 entendu les cris de la femme, Zilka, et des rafales. Jai pensé que, sans

25 doute, ils avaient tué ou blessé Zilka. Mais, plus tard, j’ai appris que

Page 4280

1 c’était Mehemed Trako qui s’était fait tué à ce moment-là.

2 L’après-midi, peut-être à 7 heures, juste avant la tombée de la

3 nuit, je me suis endormi. Enfin, je ne sais pas très bien si je me suis

4 endormi ou évanoui, je ne m’en rappelle pas. Mais, en tout cas, un

5 tintamarre m’a réveillé. Quand je me suis réveillé, j’ai vu autour de moi

6 une vingtaine ou une trentaine de soldats. Certains d’entre eux étaient en

7 train de démolir la porte du garage de la maison d’Elvir où ils voulaient

8 mettre le feu, d’autres protestaient en disant : "Ne mets pas le feu". Et

9 puis, il y en avait un autre qui parlait à la radio. Je ne l’ai pas

10 vraiment vu, je n'ai pas voulu ouvrir les yeux parce que j'avais peur

11 qu'ils prennent conscience de mon existence. Ils étaient tout près de moi,

12 près du carrefour. A la radio, ils se renseignaient sur l'avancée des

13 autres dans le village de Pirici. Ils demandaient si les soldats de Pirici

14 avaient besoin de renforts puisque eux-mêmes disaient qu'ils étaient en

15 nombre insuffisant, mais ils demandaient de l'aide pour la mosquée

16 d'Ahmici-le-Bas.

17 Après avoir entendu ces mots, je ne sais pas si j'ai bougé un

18 tout petit peu, si j'ai sursauté, s'ils ont remarqué que je respirais, en

19 tout cas l'un d'entre eux à dit : "Ce petit est vivant, il respire." et il

20 m'a montré du doigt. Jai pensé à ce moment-là qu'ils allaient simplement

21 tirer une autre rafale sur moi et que le moment de ma vraie mort était

22 arrivé. Mais l'un d'entre eux s'est approché de moi, d'un coup de pied il

23 m'a retourné et il a dit : "Il n'est pas mort, il est vivant.".

24 Puis, ils ont pris le chemin de la maison de Zijad et de Trako.

25 Mais, à ce moment-là,

Page 4281

1 l'étable d'Elvir était déjà en feu. J'ai décidé de me relever.

2 J'étais complètement trempé, il y avait une espèce de bruine ce jour-là.

3 Ce n’était pas complètement de la pluie, mais une espèce de bruine qui

4 m’avait complètement trempé, donc je voulais me lever pour essayer de me

5 sécher un petit peu. Je me suis levé et à ce moment-là j'ai eu un

6 étourdissement, un peu comme si j'avais bu de l'alcool. J'ai pris appui

7 sur la porte d'entrée qui était ouverte ; ils l'avaient ouverte quand ils

8 ont transporté le blessé. J'ai pris appui sur cette porte et je me suis

9 dirigé vers l'étable d'Elvir. J'ai fini par atteindre l'étable, en fait

10 une étable en flammes.

11 Au moment où je me suis relevé de l'endroit où j'étais allongé,

12 j'ai vu des soldats du côté des maisons de Zijad et de Zilka, au niveau

13 des étables, qui circulaient à cet endroit. L’étable était en flammes, je

14 ne sais pas si le feu a été mis exactement à ce moment-là ou bien si elle

15 flambait déjà depuis quelques temps. Quand je suis arrivé au niveau de

16 l'étable, puisque je n'arrivais pas à rester debout, je me suis donc

17 couché sur le sol et je me suis un peu écarté de l'étable parce que

18 j'avais peur que des morceaux du toit en feu ne m'atteignent. A ce moment-

19 là, je me suis endormi.

20 Puis, je me suis réveillé. Je ne sais pas si nous étions au

21 milieu de la nuit ou si nous étions déjà les premières heures du matin. Je

22 ne sais pas ce qui m'a réveillé. Je ne sais pas si c'est la chaleur ou le

23 bruit des coups de feu du côté de la mosquée. Mais, en tout cas, quand je

24 me suis réveillé, j'avais déjà des signes de brûlures. Il y avait déjà

25 quelques éléments en feu qui m'étaient tombé dessus. Je n'étais pas encore

Page 4282

1 complètement brûlé, mais peut-être est-ce la chaleur qui m'a réveillé. Je

2 suis entré dans la maison d'Elvir ou plutôt de Mirsad Ahmic qui figure au

3 n° 6 sur le plan.

4 M. le Président. - Maître Harmon avez-vous quelque chose à

5 ajouter ?

6 M. Harmon (interprétation). - Oui. Ednan, j'ai un certain nombre

7 de questions.

8 M. le Président. - Le témoin a fait sa déposition. Monsieur le

9 Procureur, le Tribunal attend de vous, non pas de refaire tout le

10 questionnaire, sinon ce serait peine perdue et

11 une nouvelle souffrance de tout faire répéter, mais par contre,

12 ce qui est tout à fait légitime, que vous posiez toutes les questions qui

13 peuvent soutenir l'accusation et être importantes pour vous, toutes les

14 précisions qui doivent être apportées. Allez-y, Monsieur le Procureur.

15 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le président, je souhaite

16 poser un certain nombre de questions au témoin. Ensuite, il peut continuer

17 son récit parce qu’il n'a pas encore terminé. Mais il faudrait, à mon

18 avis, apporter quelques précisions à ce qu'il a déjà dit.

19 Vous êtes arrivé près d'un soldat, un seul soldat, avez-vous

20 dit. Ce soldat était près du corps de Zajir Ahmic. Comment était vêtu ce

21 soldat-là ?

22 M. Zec (interprétation). - Il portait un uniforme de camouflage

23 et il avait quelque chose de noir sur le visage.

24 M. Harmon (interprétation). - Avait-il des insignes sur son

25 uniforme ?

Page 4283

1 M. Zec (interprétation). - Oui. Il avait des insignes, mais je

2 ne peux pas dire lesquels avec certitude. Je ne suis pas sûr.

3 M. Harmon (interprétation). - Avait-il un aigle sur son

4 uniforme ?

5 M. Zec (interprétation). - Oui, il avait un aigle sur son

6 uniforme.

7 M. Harmon (interprétation). - Où se trouvait cet aigle ?

8 M. Zec (interprétation). - Sur le côté gauche de la poitrine.

9 M. Harmon (interprétation). - Ednan, maintenant, je souhaite

10 parler des trois soldats que vous avez rencontrés par la suite. Portaient-

11 ils des uniformes de camouflage eux aussi ?

12 M. Zec (interprétation). - Oui, eux aussi avaient un uniforme de

13 camouflage.

14 M. Harmon (interprétation). - Avaient-ils un aigle sur leur

15 uniforme eux aussi ?

16 M. Zec (interprétation). - Je ne suis pas sûr. Je ne sais pas

17 avec certitude si c'était un aigle ou l'insigne des Jokeri.

18 M. Harmon (interprétation). - Avez-vous vu des insignes marqués

19 HV sur ces soldats-là ?

20 M. Zec (interprétation). - Oui. Au cours de la journée, alors

21 que j'étais toujours seul, pas mal de soldats sont passés autour de moi,

22 sur lesquels j'ai vu les lettres HV. J'ai également vu des soldats en

23 uniforme noir. C'étaient des uniformes complètement noirs. Ils avaient

24 tous un équipement complet. J’ai remarqué aussi l’emblème des Vitesovi,

25 mais je ne me souviens plus sur quels uniformes j’ai vu cet emblème.

Page 4284

1 M. Harmon (interprétation). – Concentrez-vous maintenant sur les

2 trois soldats qui ont été impliqués dans le meurtre de vos parents. Je

3 veux parler de leurs insignes. Les insignes du HV se trouvaient-ils sur

4 ces soldats-là ou bien sur d’autres soldats ?

5 M. Zec (interprétation). – Je ne peux pas le dire avec

6 certitude.

7 M. Harmon (interprétation). – Vous avez dit que vous aviez été

8 blessé. Pourriez-vous décrire vos blessures aux Juges ?

9 M. Zec (interprétation). - Une balle m'a frappé en haut du

10 muscle de la jambe gauche. Une deuxième balle m'a atteint au talon du pied

11 gauche et est ressortie en biais du côté de la cheville.

12 M. Harmon (interprétation). – Je voudrais maintenant attirer

13 votre attention sur le moment où vos parents ont été tués. Vous avez vu

14 leur exécution, n’est-ce pas ?

15 M. Zec (interprétation). - Oui.

16 M. Harmon (interprétation). - Quand ils couraient vers vous, au

17 moment où ils ont été tués, étaient-ils avec vos deux sœurs ?

18 M. Zec (interprétation). - Oui.

19 M. Harmon (interprétation). – A ce moment-là, portaient-ils vos

20 deux sœurs dans leurs bras ?

21 M. Zec (interprétation). - Mon père tenait ma sœur Alisa par la

22 main et ma mère

23 tenait ma sœur Melisa par la main.

24 M. Harmon (interprétation). - Qu'est-il arrivé à Alisa ?

25 M. Zec (interprétation). – Ils ont été frappés par deux rafales.

Page 4285

1 La première a atteint mon père et ma soeur Alisa, la deuxième rafale n'a

2 atteint que ma mère. Ma mère a été la seule à être frappée. Ma sœur Melisa

3 n’a pas été frappée à ce moment-là, mais elle est tombée emportée par la

4 chute de ma mère. Ma sœur Melisa n’a pas été blessée.

5 M. Harmon (interprétation). – Ce qui veut dire que c'est votre

6 sœur Alisa qui a été tuée au moment où votre père a été tué ?

7 M. Zec (interprétation). – Oui.

8 M. Harmon (interprétation). – Au moment où votre mère a été

9 tuée, elle portait une robe, n’est-ce pas ?

10 M. Zec (interprétation). - Elle portait une robe de chambre

11 rouge.

12 M. Harmon (interprétation). - Que portait votre père ?

13 M. Zec (interprétation). – Mon père avait un Jean et, pour

14 autant que je m’en souvienne, il n’avait qu’un pull-over. Il n’a pas eu le

15 temps d’emporter une veste. Ma sœur Alisa avait une jupe et Melisa était

16 en pantalon.

17 M. Harmon (interprétation). - Les trois soldats qui ont

18 participé à cette exaction avaient-ils un talkie-walkie ?

19 M. Zec (interprétation). – Oui. Celui qui a tiré sur moi en

20 avait un. Pendant la journée, je l’ai entendu parler à plusieurs reprises

21 dans ce talkie-walkie, mais je n’ai rien compris de ce qu'il disait.

22 D'après ce que j’ai cru comprendre, il devait être supérieur aux autres.

23 Il devait être une espèce de chef. Au cours de la journée, je l’ai souvent

24 entendu dire aux autres soldats : "Mais où vas-tu, reviens par ici.". Et

25 puis, il les insultait.

Page 4286

1 M. Harmon (interprétation). - Avec l'aide de l’Huissier,

2 j'aimerais que la pièce 116/2 soit placée sur le rétroprojecteur. Apportez

3 aussi la pièce 100/2, ce sera plus rapide.

4 M. le Président. – La pièce qui a servi de support à la

5 déposition du témoin portait quel numéro ? Je suppose que vous la verserez

6 comme pièce à conviction sans observation de la défense.

7 M. Harmon (interprétation). – Il s'agit de la pièce 141. Nous

8 allons revenir à cette pièce lorsque le témoin reprendra son récit.

9 M. le Président. - Merci.

10 M. Harmon (interprétation). – Serait-il possible de placer la

11 pièce 116/2 sur le rétroprojecteur, Monsieur l’Huissier ?

12 Vous avez dit avoir observé plusieurs badges alors que vous

13 étiez sur le sentier. Reconnaissez-vous ce badge particulier ? Ressemble-

14 t-il à celui que portaient certains soldats le 16 avril ?

15 M. Zec (interprétation). - Oui. Il ressemble à celui que j’ai vu

16 le 16 avril.

17 M. Harmon (interprétation). – Peut-on poser la pièce 100/2 sur

18 le rétroprojecteur ?

19 (L’Huissier s’exécute.)

20 Ce badge ressemble-t-il à certains que vous auriez vus le

21 16 avril 1993 ?

22 M. Zec (interprétation). – Oui, j’ai vu ce badge également le

23 16 avril 1993 ?

24 M. Harmon (interprétation). - J'en ai terminé avec ces pièces.

25 Je vous demanderai de replacer l’agrandissement de cette pièce 141 sur le

Page 4287

1 rétroprojecteur.

2 Ednan, vous avez vu des soldats qui portaient des badges,

3 notamment avec un aigle, donc des badges ou des écussons des Jokers du

4 HVO. Vous avez vu des hommes en uniformes noirs et d’autres en uniformes

5 de camouflage. Alors que vous gisiez au sol pendant toute cette journée,

6 vous a-t-il semblé que ces soldats qui portaient des uniformes ou des

7 écussons différents travaillaient de façon coordonnée ?

8 M. Zec (interprétation). - J'ai eu l’impression qu'ils

9 travaillaient tous ensemble, comme s’ils étaient mélangés.

10 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais vous poser une question

11 à propos d’armes lourdes que vous auriez entendues. Auriez-vous entendu

12 des coups tirés d'une arme antiaérienne alors que vous vous trouviez au

13 sol ce jour-là ?

14 M. Zec (interprétation). - Oui. Ce jour-là, alors que je me

15 trouvais au point C qui est indiqué ici, au carrefour à partir de la

16 maison n° 4, la maison de Habiba Pjanic, j'ai entendu des voix venant de

17 cet endroit. J'ai essayé de faire un mouvement parce que j'en avais assez.

18 Je ne pouvais pas continuer à rester dans cette position, j’étais tout

19 ankylosé. J’ai réussi à bouger de dix à vingt centimètres peut-être.

20 En provenance de la maison de Habiba, j'ai entendu une rafale de

21 coups de feu, mais ce n'était pas une rafale ordinaire. En effet, cela a

22 provoqué énormément de bruit. En général, quand cela provenait de petites

23 armes, ça ne faisait pas autant de bruit. J'ai pu remarquer la différence

24 d’intensité du bruit. Une rafale a donc été tirée de la maison de Pjanic.

25 A ce moment-là, j'étais sur les coudes et j'ai remarqué que

Page 4288

1 cette rafale passait à peu près à un mètre cinquante au-dessus de moi.

2 Elle a frappé la maison de Hidajet, dont je ne me rappelle plus le nom de

3 famille. Cette maison n’est pas particulièrement bien indiquée sur la

4 carte non plus ; c'est ce qui a mis le feu à cette maison. Une partie de

5 la rafale a frappé la clôture en métal qui se trouvait au-dessus de moi.

6 Ces balles ont fait un ricochet, elles m’ont évité et sont tombées dans le

7 sol.

8 M. Harmon (interprétation). – J’aimerais vous poser des

9 questions à propos des observations que vous avez faites.

10 Vous avez vu un homme, un réfugié, les mains au-dessus de la

11 tête et qui a été tué par ces soldats. Quel uniforme portaient ces soldats

12 qui ont exécuté ce réfugié musulman ?

13 M. Zec (interprétation). - Un uniforme de camouflage, mais ils

14 avaient aussi le visage couvert de peinture noire.

15 M. Harmon (interprétation). – Vous avez vu des soldats marcher

16 vers la maison de

17 Zilka Trako. Vous avez appris par la suite que Mehemed Trako

18 avait été tué. Quel uniforme avaient ces soldats qui sont allés vers sa

19 maison ?

20 M. Zec (interprétation). – Ils portaient aussi un uniforme de

21 camouflage.

22 M. Harmon (interprétation). – Mehemed Trako était-il Musulman ?

23 M. Zec (interprétation). – Oui, il était Musulman et c’était un

24 parent éloigné.

25 M. Harmon (interprétation). – Alors que vous étiez au sol, avez-

Page 4289

1 vous vu votre maison mise à feu ? Pourriez-vous expliquer aux Juges ce qui

2 s'est passé ?

3 M. Zec (interprétation). – Oui. J’étais donc allongé sur le sol,

4 et il était encore très tôt ce matin-là, trois soldats sont venus. Je

5 crois qu’ils portaient un uniforme de camouflage. Ils ont passé peu de

6 temps à l’intérieur de la maison, puis ils sont sortis. Peu de temps après

7 qu’ils soient sortis de la maison, une fumée épaisse a commencé à sortir

8 de la maison, la maison avait été mise à feu.

9 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais attirer votre attention

10 sur ces vingt ou trente soldats qui se trouvaient tout près de vous et qui

11 étaient en communication radio à propos de la mosquée, à propos de Pirici.

12 Avez-vous eu l’occasion de voir quel uniforme ils portaient ?

13 M. Zec (interprétation). – Ce soir-là, lorsque le bruit m’a

14 réveillé, j’ai ouvert les yeux, mais très peu de temps. Il y avait en

15 effet vingt ou trente soldats tout autour de moi et je ne sais plus s'il

16 n'y avait que des uniformes de camouflage ou s’il y avait aussi des

17 uniformes noirs. Je gardais les yeux fermés, j’avais peur qu’ils ne

18 remarquent que j’étais en vie et qu'ils me tuent.

19 M. Harmon (interprétation). – Le 16, avant que vous ne cherchiez

20 refuge dans la maison d’Elvir Ahmic, pourriez-vous nous dire combien de

21 soldats vous avez vus ? Et combien sont passés près de vous pendant la

22 journée ?

23 M. Zec (interprétation). – Au cours de la journée, j’ai vu au

24 moins cent soldats. Ils n’arrêtaient pas de passer dans un sens, puis dans

25 l’autre, près de l’endroit où j’étais.

Page 4290

1 M. Harmon (interprétation). – Poursuivez votre récit. Veuillez

2 décrire aux Juges ce qui s’est passé.

3 M. le Président. – Le témoin doit être un peu fatigué. Avant

4 qu’il ne poursuive son récit, je ne sais pas s’il est long dans la

5 deuxième séquence, nous allons faire une pause. Nous pourrions reprendre à

6 11 heures 30. L’audience est suspendue.

7 L'audience, suspendue à 11 heures 10, est reprise à 11 heures 30.

8 M. le Président. - L’audience est reprise.

9 (Le témoin est installé dans le prétoire.)

10 Introduisez l’accusé, Monsieur l’Huissier, s’il vous plaît.

11 (L’accusé est introduit dans la salle d’audience.)

12 Monsieur le Procureur, nous allons à nouveau entendre le témoin

13 dans sa deuxième déposition. La Chambre lèvera la séance à 12 heures 30,

14 pour reprendre à 14 heures 45.

15 Ednan, vous allez continuer, comme vous l’avez fait ce matin.

16 Ensuite, le Procureur vous posera les questions qui lui sont nécessaire.

17 Allez-y.

18 M. Harmon (interprétation). - Ednan, veuillez poursuivre votre

19 récit. Dites aux Juges ce qui s’est alors passé.

20 M. Zec (interprétation). - Je suis ensuite entré dans la maison

21 de Mirsad Ahmic, indiquée par le n° 5 sur la carte, cette maison était en

22 flammes, elle brûlait. Les murs étaient très chauds. J’ai voulu aller à

23 l’étage. J’ai pris l’escalier jusqu’au palier qui menait aux étages

24 supérieurs, c’est là que s’arrêtent les escaliers pour reprendre plus

25 loin. J’étais vraiment trop faible pour aller jusqu’au bout et j’ai donc

Page 4291

1 décidé de m’allonger un peu. J’ai perdu connaissance. J’ai été inconscient

2 pendant deux jours et deux nuits. Au bout de ce temps-là, j’ai repris

3 conscience avant la levée du jour. Je revoyais ces images de tueries qui

4 me revenaient sans arrêt

5 à l’esprit. Je revoyais tout le village en feu. J’ai attendu

6 jusqu’à l’aube, jusqu’à la levée du jour, et je suis monté à l’étage

7 supérieur de la maison. Je n’en ai plus bougé, j’y ai passé huit jours.

8 C’est seulement le huitième jour que j’ai quitté la maison.

9 Pendant tout ce temps que j’ai passé dans la maison de

10 Mirsad Ahmic, au n° 6 sur la carte, j’ai vu beaucoup de corps morts. J’ai

11 vu ma propre famille que l’on voit indiquée à la lettre D. J’ai vu

12 Husein Ahmic indiqué par la lettre F. Un homme assez âgé, ou plus âgé en

13 tout cas, il avait peut-être 55 ans. J’ai aussi vu Zahir indiqué par la

14 lettre E. J’ai vu deux civils, je ne les connaissais pas ; ils sont

15 indiqués par la lettre I. La distance était un peu plus grande et de loin

16 j’ai simplement pu constater que c’était des civils. J’ai aussi vu

17 Mineta Ahmic indiquée par la lettre H ; elle se trouvait dans une grange,

18 la porte était entrouverte et depuis la fenêtre j’ai pu constater qu’il

19 s’agissait de Mineta. A côté d’elle, j’ai vu quelqu’un d’autre, je n’étais

20 pas sûr de l’identité de cette autre personne, mais je sais qu’il y avait

21 quelqu’un d’autre à côté d’elle. Par la suite, après être sorti de la

22 maison, j’ai découvert que c’était son fils qui gisait à ses côtés, il

23 avait 8 ans, Semir Ahmic.

24 Au cours du temps que j’ai passé dans cette maison, la famille

25 Milicevic...

Page 4292

1 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi de vous interrompre,

2 avant que vous ne poursuiviez votre récit j’aimerais vous montrer deux

3 pièces. Pourrait-on les placer successivement sur le rétroprojecteur. Il

4 s’agit, tout d’abord, Monsieur le Président, de la pièce 142, et, si

5 Monsieur l’Huissier peut prendre aussi la deuxième pièce aussi, de la

6 pièce 136/1 ?

7 Nous pourrons peut-être commencer par la pièce 142 qui sera

8 placée sur le rétroprojecteur. Monsieur le Président, Messieurs les

9 conseils, une légende accompagne aussi cette photographie. Le témoin a eu

10 l’occasion de confirmer l’exactitude des lettres : A, B et C.

11 Ednan, la pièce que l’on a placée sur le rétroprojecteur est la

12 pièce de l’accusation 142. Commençons par la lettre A. S’agit-il de la

13 maison de Mirsad Ahmic, cette

14 maison dans laquelle vous vous êtes caché pendant toutes ces

15 journées-là ?

16 M. Zec (interprétation). - Oui.

17 M. Harmon (interprétation). - Celle qui porte la lettre B est

18 bien votre maison ?

19 M. Zec (interprétation). - Oui.

20 M. Harmon (interprétation). - Celle qui porte la lettre C est la

21 maison de Nurija Ahmic, est-ce bien cela ?

22 M. Zec (interprétation). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation). - Votre famille a été exécutée

24 quelque part entre votre maison, lettre B, et la maison indiquée par la

25 lettre A, n’est-ce pas ?

Page 4293

1 M. Zec (interprétation). - Oui. Entre notre maison, la maison de

2 Mirsad Ahmic et la maison de Zahir, qu’on ne voit pas parce qu’elle est

3 dissimulée par ma maison.

4 M. Harmon (interprétation). - Monsieur l’Huissier, pourriez-vous

5 placer la pièce 136/1 sur le rétroprojecteur ?

6 (L’Huissier s’exécute.)

7 Ednan, cette pièce a été admise la semaine dernière. La maison

8 qui se trouve à gauche, la reconnaissez-vous ?

9 M. Zec (interprétation). - Oui, c’est ma maison.

10 M. Harmon (interprétation). - La maison qui se trouve un peu à

11 droite du centre, est-ce la maison de Nurija Ahmic ?

12 M. Zec (interprétation). - Oui.

13 M. Harmon (interprétation). - Dans le récit que vous venez de

14 faire il y a quelques instants, vous avez dit que vous aviez vu deux corps

15 de civils, à la lettre I de la pièce 141. Vous voyez, à la pièce 136,

16 plusieurs corps gisant à proximité de votre maison. Les voyez-vous ?

17 M. Zec (interprétation). - Oui.

18 M. Harmon (interprétation). - Etant donné l’endroit où ils se

19 trouvent, ces corps

20 étaient-ils visibles de l’endroit où vous vous cachiez dans la

21 maison de Mirsad Ahmic ?

22 M. Zec (interprétation). - Non, on ne les voyait pas.

23 M. Harmon (interprétation). - Ce qui veut dire que ces corps ne

24 sont pas les corps qui sont placés au point I sur la pièce 141. Il s’agit

25 d’autres corps, n’est-ce pas ?

Page 4294

1 M. Zec (interprétation). - Oui.

2 M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur l’Huissier. J’en

3 ai terminé de ces pièces. Ednan, reprenez, je vous en prie votre récit.

4 M. Zec (interprétation). - Au cours des jours que j’ai passés

5 dans cette maison, la maison des Milicevic, indiquée par le n° 8, les

6 familles sont rentrées dans leur maison. Le 15 avril, elles avaient été

7 emmenées de chez elles. Ces familles ont continué à vivre comme si rien ne

8 s’était passé.

9 Alors que pour que ce qui y est de la famille des Papic,

10 indiquée par le n° 9, la famille d’Andea Papic et la famille de

11 Dragan Papic, qui n’a pas été indiquée sur cette carte et qui se trouve

12 tout près de la route, toute ces familles -là où l’on voit le x au milieu

13 du cercle, là où se trouvait le nid de mitrailleuses- il y avait aussi un

14 sous-sol où elles ont été placées toutes les deux familles. Le nid de

15 mitrailleuses se trouvait au coin de cette maison. Des sacs de sable

16 avaient été empilés. Pour autant que je puisse en juger depuis l’endroit

17 où j’ai pu observer tout cela, c’était sans doute des sacs de sable et je

18 crois qu’il y avait effectivement une mitrailleuse qui était placée à cet

19 endroit. De temps à autres, des coups de feu partaient de cet endroit-là.

20 Du petit bois qu’il y a entre la maison des Milicevic, au n° 8,

21 et la maison indiquée par au n° 9, je parle donc du petit bois qui se

22 trouve entre ces deux maisons, je parvenais à voir qu’il y avait une arme

23 antiaérienne, peut-être une mitrailleuse, qui avait été placée sur un

24 camion. C’était une arme lourde qui tirait, de temps à autres, vers

25 Ahmici-le-Haut.

Page 4295

1 Pour ce qui est de la famille des Milicevic, un grand camion

2 bâché a été amené

3 jusqu’à cette maison et une chose a été déchargée de ce camion,

4 je n’ai pas vu ce que c’était à cause de la bâche. C’était peut-être des

5 munitions, je ne sais pas, je n’ai pas pu déterminer ce que c’était ;

6 ainsi que dans la maison de Sakib Pezer. Ces maisons se trouvent au

7 carrefour de la route principale et de la route qui mène vers Ahmici.

8 Vlatko Kupreskic est venu dans un véhicule, une petite Jugo

9 bleue. Il était accompagné de quelques personnes que je ne connaissais

10 pas, mais lui j’ai pu le reconnaître. Ils sont entrés dans la maison. A

11 côté de la maison, il y avait un atelier de menuiserie ou d’ébénisterie.

12 Ils ont sorti quelque chose, et de la maison, et de l’atelier. Je ne

13 savais pas ce que c’était. Mais ils ont emmené quelque chose, et de la

14 maison, et de l’atelier.

15 Le sixième jour, à partir du jour de l’offensive, cela c’est

16 passé dans l’après-midi, un camion est apparu à l’intersection où l’on

17 avait tiré sur moi. Ce camion s’est arrêté là, à cet endroit. Je me

18 trouvais dans la maison. Je regardais depuis les fenêtres, je continuais à

19 regarder mes parents. Le camion est arrivé pour enlever les corps, les

20 cadavres. Lorsque j’ai entendu le camion arriver, je me suis caché. Il y

21 avait un divan adossé au mur, je l’ai déplacé. C’est là que je dormais la

22 nuit. Si j’entendais du bruit, je me cachais derrière. Ce jour-là, lorsque

23 j’ai entendu le camion arriver, je me suis aussitôt caché derrière ce

24 divan.

25 Il était possible d’entendre des voix en bas. Quelqu’un est

Page 4296

1 entré dans la maison ou parlait à une radio, je ne comprenais pas ce qui

2 se disait. Un autre est monté à l’étage ; je crois qu’il se contentait

3 s’il y avait quelqu’un, quelque chose, à l’étage. Il s’est contenté de

4 jeter un coup d’oeil par la porte entrouverte dans la pièce où je me

5 trouvais et puis il est parti. Il a aussi vérifié ce qu’il y avait dans

6 les autres pièces et puis il est parti. Je ne l’ai pas vu parce que

7 j’étais caché derrière le divan. Puis, ils ont enlevé les cadavres et peu

8 de temps après ce camion est parti. Lorsque j’ai été sûr qu’il n’y avait

9 plus de bruit, je suis sorti de ma cachette. J’ai regardé à l’extérieur,

10 il n’y avait plus de cadavres.

11 J’ai suivi le camion des yeux, à partir de la fenêtre où je me

12 trouvais. Ce camion a

13 fait demi-tour et s’est arrêté devant ma maison, indiquée au

14 n° 1. Il s’est garé devant l’entrée de la maison et du rez-de-chaussée

15 qui, lui, n’avait pas pris feu. Nous nous apprétions à ouvrir un magasin

16 dans la maison ; il y avait de la farine, de l’huile, d’autres produits de

17 première nécessité. Ils ont tout pris et ont chargé tout cela dans le

18 camion.

19 J’ai oublié de dire quelque chose !

20 Ils n’avaient pas encore emmené les corps. Ma soeur Melisa, et

21 là je reviens à la première journée, au moment où je gisais au sol blessé,

22 je l’avais vue ma soeur, au sol aussi, près de ma mère. Mais, lorsque j’ai

23 repris connaissance, et lorsque j’ai regardé par la fenêtre, je ne l’ai

24 plus vue, elle avait disparu. Il n’y avait plus que mes parents, ma mère,

25 mon père et ma soeur Alisa. Ma soeur Melisa n’était simplement plus là,

Page 4297

1 elle avait disparue. Voici ce qui lui est arrivée. Lorsque notre mère a

2 été touchée, elle a entraîné dans sa chute Melisa. Et soit que Melisa ait

3 perdu connaissance ou qu’elle se soit endormie à ses côtés, elle y est

4 restée deux jours et deux nuits. Après cela, elle s’est sans doute

5 relevée.

6 Elvir Ahmic s’est rendu compte qu’elle était là. A l’époque, la

7 soeur ou les soeurs d’Elvir tentaient de quitter le village. Elvir a donc

8 remarqué ma soeur et l’a appelée pour qu’elle se joigne à eux afin

9 d’essayer de parvenir à Ahmici-le-Haut. Elle a refusé de partir, elle

10 attendait que maman se réveille. Elle pensait que maman était endormie,

11 elle ne s’est pas rendu compte que maman était morte. Elvir et sa soeur

12 sont donc partis en direction d’Ahmici-le-Haut. Je crois que là haut ils

13 ont rencontré des soldats croates, je pense que c’était des Jokeri. Ceux-

14 ci ont arrêté Elvir et sa soeur et je crois qu’ils les ont emmenés au

15 camp. Mais, auparavent, ils leur ont demandé s’il y avait encore des gens

16 en vie en bas. Elvir a parlé de ma soeur. L’un d’entre eux a été dépêché à

17 Ahmici-le-Bas pour retrouver ma soeur et l’ammener afin qu’elle aille au

18 camp avec Elvir et sa soeur.

19 Lorsque le soldat est arrivé à Ahmici-le-Bas et que ma soeur a

20 entendu quelqu'un approcher, elle s'est couchée près de ma mère et a fait

21 comme si elle dormait. Lorsque le soldat

22 est arrivé sur place, grâce à la description qu'avait fournie

23 Elvir, il avait indiqué l'endroit où se trouvait ma sœur, à ce moment-là

24 il l’a reconnue. Il l'a appelée plusieurs fois, mais elle n'a jamais

25 répondu à son appel. Puis, il l'a prise et il l'a emmenée pour qu'elle

Page 4298

1 rejoigne Elvir.

2 Lorsque le soldat a emmené ma soeur à l'endroit où Elvir et sa

3 soeur allaient être amenés au camp, le soldat qui amenait ma soeur s'est

4 approché d'eux. Elvir a appelé ma soeur de son nom ; elle a ouvert les

5 yeux et a dit au soldat de la reposer par terre, qu'elle pouvait marcher.

6 C'est ainsi que ma soeur a été amenée à Elvir. Ils ont d'abord été amenés

7 dans une maison à Santici, puis au camp de Dubravica. Lorsque je suis

8 finalement sorti de la maison, elle a été libérée du camp.

9 Je voudrais vous demander quelque chose, Messieurs les Juges. Je

10 ne sais pas si j'ai oublié quelque chose, mais peut-être que Maître Harmon

11 pourrait me le rappeler si j'ai oublié tel ou tel point.

12 M. le Président. - Merci, Ednan. N'êtes-vous pas trop fatigué ?

13 Vous êtes très courageux.

14 M. Zec (interprétation). - Cela va, merci.

15 M. le Président. - Monsieur le Procureur, vous avez certainement

16 des précisions complémentaires à faire apporter par le témoin. Vous avez

17 la parole.

18 M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

19 Ednan, vous avez dit avoir vu un Croate, une personne qui

20 s'appelait Vlatko Kupreskic. Il entrait et sortait de l'atelier de Pezer.

21 Monsieur Kupreskic, est-il Croate ?

22 M. Zec (interprétation). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation). - Etait-il membre du HVO, à votre

24 connaissance ?

25 M. Zec (interprétation). - Je ne sais pas.

Page 4299

1 M. Harmon (interprétation). - Je reformule ma question. Vous

2 avez dit aussi,

3 Ednan, que votre père et votre mère voulaient ouvrir un magasin,

4 qu'il y avait déjà des marchandises à l'intérieur de votre maison et que

5 vous aviez vu des hommes entrer dans votre maison et en sortir des

6 marchandises. Pourriez-vous décrire ces personnes qui sont allées chercher

7 ces marchandises dans votre maison ?

8 M. Zec (interprétation). - Ils portaient des uniformes de

9 camouflage, mais, si je me souviens bien, une ou deux personnes portaient

10 des vêtements civils. Au total, ils étaient cinq ou six.

11 M. Harmon (interprétation). - Savez-vous ce que vos parents

12 avaient déjà acheté comme marchandises dans la perspective de l’ouverture

13 de votre magasin ?

14 M. Zec (interprétation). - Oui. Il y avait cinq tonnes de

15 farine, vingt cartons d'huile, du sucre, du sel, du chocolat, des bonbons

16 et d'autres vivres.

17 M. Harmon (interprétation). - Les soldats qui sortaient de votre

18 maison n'étaient pas des soldats de la Forpronu, n'est-ce pas ? Ils

19 portaient des uniformes de camouflage ?

20 M. Zec (interprétation). - Non.

21 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais maintenant vous

22 demander de vous concentrer sur ces hommes qui venaient ramasser les corps

23 et sur les camions. Parmi ces ramasseurs de corps, y avait-il des

24 Musulmans pour autant que vous ayez pu le constater ?

25 M. Zec (interprétation). - Oui. Il y avait des prisonnier

Page 4300

1 musulmans qui étaient dans le camp. C'étaient eux qui ramassaient les

2 morts sous le contrôle et la surveillance des soldats.

3 M. Harmon (interprétation). - Finalement, vous avez été sauvé

4 après un certain nombre jours par des soldats de la Forpronu, Ednan ?

5 M. Zec (interprétation). - Faut-il que je continue mon récit en

6 ce qui concerne la manière dont je me suis sauvé ?

7 M. Harmon (interprétation). - Je vous en prie, décrivez

8 brièvement la façon dont vous avez été sauvé.

9 M. Zec (interprétation). - Le huitième jour, j'ai remarqué la

10 Forpronu dans nos villages de Pirici. Il y avait six transport de troupes.

11 Ils descendaient petit à petit vers le village d’Ahmici. Trois étaient sur

12 la route principale, trois autres sur l'autre route menant vers Ahmici.

13 Ils se sont arrêtés là-bas et les soldats de la Forpronu sont

14 sortis du transport de troupes et ils regardaient le village. J'ai vu tout

15 cela depuis ma maison. Ma seule chance de me sauver était de les approcher

16 et d’essayer de sortir du village avec eux. Je suis donc sorti de la

17 maison. J'étais blessé, je trébuchais. Il fallait que je me tienneune

18 clôture ou à autre chose pour pouvoir marcher. J'y suis allé, j’ai passé

19 la maison de Hidajet, c'était sur la route vers la mosquée. Ici, cette

20 maison n'est pas indiquée. Je suis arrivé derrière la maison de Hidajet.

21 Il y avait un pré et la Forpronu se situait diagonalement par rapport à

22 moi, mais je les ai vus très nettement, et donc c'est là que j'ai pris la

23 décision de les appeler. J'avais peur de me retourner, j'avais toujours

24 peur qu'un soldat, ou quelqu'un de la famille Papic ou Milicevic, ne me

25 voit.

Page 4301

1 Je suis donc resté sur place, j'ai appelé la Forpronu une

2 première fois en disant : "Come on. Help me !". Ensuite, j'ai vu qu'ils se

3 sont retournés, qu'ils ont entendu ma voix. Je me suis ensuite couché dans

4 l'herbe qui était relativement haute parce que je voulais me cacher ; je

5 ne voulais pas être remarqué. Un peu plus tard, j'ai appelé encore une

6 fois, parce que j'avais remarqué qu'ils m'avaient entendu, qu'ils

7 s'étaient retournés et je suis resté couché dans l'herbe. Ensuite, j'ai

8 entendu le son du transport de troupes qui démarrait. La première chose

9 qui m'est passée par la tête était que les transports de troupes

10 partaient, qu'ils se disaient peut-être qu'il s'agissait d'un piège ou de

11 quelque chose de semblable. Je me suis donc dit qu'ils partiraient

12 probablement. Cependant, les transports de troupes sont apparus parmi les

13 maisons et j'ai vu là qu'ils s'approchaient de moi. Trois transports de

14 troupes sont arrivés jusqu'à moi. Les soldats de la Forpronu sont sortis

15 tout de suite. Ils ont pansé mes plaies de manière régulière et ils m'ont

16 placé dans le transport de troupes.

17 Ils n'avaient pas d'interprète avec eux, mais je connaissais un

18 peu la langue anglaise.

19 Ils m'ont alors demandé s'il y avait encore quelqu'un d'autre

20 aux alentours. Puis, ils m'ont dit qu'ils m'emmenaient à l'hôpital de

21 Travnik. J'ai demandé que l'on m'emmène à Zenica. On a réussi à se

22 comprendre. Mais, si j'ai bien compris ce qu'ils m'ont dit, ils m'ont

23 répondu qu'ils ne pouvaient pas m'amener jusqu'à Zenica à cause des

24 échanges de tir, mais seulement jusqu'à Travnik. Ils m'ont donc mis dans

25 le transport de troupes et m'ont amené jusqu'à l'hôpital de Travnik. J'ai

Page 4302

1 passé trois jours à l'hôpital, et le quatrième jour je suis sorti de

2 l'hôpital.

3 M. Harmon (interprétation). - Une dernière question, Ednan. Vous

4 avez dit avoir vu des civils musulmans détenus qui ramassaient les corps.

5 Avez-vous pu identifier certains de ces Musulmans, en connaissiez-vous

6 certains ?

7 M. Zec (interprétation). - Non. A cette époque-là, je n'ai pas

8 pu reconnaître qui que ce soit. Mais, après la guerre, j'ai rencontré un

9 jeune homme qui faisait partie de ce groupe qui ramassait les cadavres. Il

10 est lui aussi originaire de Vitez et il était prisonnier dans le camp.

11 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, je suis

12 arrivé au terme de mon interrogatoire principal d’Ednan Zec. Je demande le

13 versement au dossier de la pièce à conviction 141, ainsi que de la légende

14 qui y est associée ; de même que de la pièce à conviction 142 et la

15 légende qui y est associée.

16 M. le Président. – Il n’y a pas d’objection de la défense,

17 Monsieur le Greffier, donc les pièces 141 et 142 sont versées au dossier.

18 A présent, Ednan, comme a dû vous l’expliquer le Procureur, nous

19 sommes un Tribunal. Il y a un accusé, le Général Blaskic, qui est accusé

20 de graves infractions. Il a des défenseurs, il est donc légitime que

21 maintenant les défenseurs, les avocats, du Général Blaskic vous posent

22 eux-mêmes quelques questions en rapport avec votre récit. Maître Nobilo,

23 allez-y.

24 M. Nobilo (interprétation). – Merci, Monsieur le Président.

25 Bonjour, Monsieur Zec. Je m’appelle Anto Nobilo et mon confrère est

Page 4303

1 Russel Hayman. Je défends le Général Blaskic. Je vais donc vous poser

2 quelques questions en rapport avec votre récit.

3 Un mois avant le conflit du mois d’avril, vous avez vu l’arrivée

4 de soldats de l’armée au bungalow. Avez-vous dit aux enquêteurs qui vous

5 ont interrogé précédemment que ces soldats avaient des uniformes

6 différents, que certains portaient des uniformes verts, des uniformes de

7 camouflage, et d’autres des uniformes noirs ?

8 M. Zec (interprétation). – Je n’en suis pas sûr. J’ai peut-être

9 confondu les deux situations par hasard, celle du 16 avril et les soldats

10 qui y étaient au mois d’octobre. C’est peut-être pour cela que j’ai dit

11 quelque chose de différent, mais je n’en suis pas sûr.

12 M. Nobilo (interprétation). – Au moment de votre première

13 audition, est-il exact que vous ayez dessiné les emblèmes que vous avez

14 vus lors des faits ? Vous en rappelez-vous ? Avez-vous dessiné tous les

15 emblèmes dont vous pouviez vous rappeler ?

16 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

17 M. Nobilo (interprétation). – Avez-vous dessiné l’emblème du HV

18 à ce moment-là ?

19 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

20 M. Nobilo (interprétation). – Lors des auditions préliminaires,

21 avez-vous dit aux enquêteurs que des soldats portaient l’emblème HV ?

22 M. Zec (interprétation). – Pour autant que je sache, oui.

23 M. Nobilo (interprétation). – Cela a-t-il été annoté, inscrit ?

24 M. Zec (interprétation). – Je pense que oui.

25 M. Nobilo (interprétation). – Vous avez vu des emblèmes HV en

Page 4304

1 deux occasions, est-ce exact ?

2 M. Zec (interprétation). – Non, j’ai vu les emblèmes du HV et

3 les autres aussi pendant toute la journée. Mais là, vous parlez des

4 insignes du HV au bungalow.

5 M. Nobilo (interprétation). – Combien de soldats portaient cet

6 emblème du HV ?

7 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

8 M. Nobilo (interprétation). – Au cours de la journée, quand vous

9 étiez couché sur le sol, vous avez dit que des soldats circulaient autour

10 de vous, combien d’entre eux avez-vous vu porter l’emblème HV ?

11 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

12 M. Nobilo (interprétation). – Lorsque vous étiez à cette

13 intersection, appelons-la comme cela, le chemin allant d’un côté à la

14 mosquée et de l’autre côté sans doute vers Ahmici-le-Haut d’après le plan,

15 dans la direction des emplacements indiqués par les lettres C et B, de

16 quelle façon se déplaçaient ces soldats qui se dirigeaient vers la

17 mosquée ? Marchaient-ils normalement, est-ce qu’ils courraient ? Ou bien

18 rampaient-ils ? Courraient-ils pliés en deux ? Vous en souvenez-vous ?

19 M. Zec (interprétation). – On avait l’impression qu’ils se

20 cachaient de quelqu’un.

21 M. Nobilo (interprétation). – Est-ce qu’ils tiraient dans la

22 direction de la mosquée ?

23 M. Zec (interprétation). – Oui.

24 M. Nobilo (interprétation). – A quelle distance avez-vous

25 entendu les coups de feu tirés par eux ? Si nous considérons que vous

Page 4305

1 étiez au niveau de l’intersection, nous savons où se trouve la mosquée, où

2 pouvaient-ils se trouver lorsqu’ils tiraient dans la direction de la

3 mosquée ?

4 M. Zec (interprétation). – Ils étaient près de la route, tout

5 près de chez moi, et de la maison de Mirsad et de Husein.

6 M. Nobilo (interprétation). - Donc, ils se trouvaient près de la

7 maison de Mirsad et de Husein et c’est de là qu’ils tiraient vers la

8 mosquée ?

9 M. Zec (interprétation). - Oui, vers la mosquée et vers Ahmici-

10 le-Haut.

11 M. Nobilo (interprétation). – Je sais qu’il était très difficile

12 de déterminer l’heure dans de telles circonstances, mais pouvez-vous nous

13 dire à peu près quel était le moment de la journée où ils ont tiré vers la

14 mosquée ?

15 M. Zec (interprétation). – C’était le matin.

16 M. Nobilo (interprétation). – Tôt le matin ? Avant midi ?

17 Pouvez-vous nous le dire à peu près ?

18 M. Zec (interprétation). – Quand je suis arrivé, il était

19 5 heures, 5 heures 30 peut-être, je ne peux pas en dire plus.

20 M. Nobilo (interprétation). – Si vous les avez vus, pouvez-vous

21 nous dire combien d’hommes combattaient dans la direction de la mosquée ?

22 Si vous les avez-vus, pouvez-vous déterminer leur nombre ?

23 M. Zec (interprétation). – L’armée rentrait et les soldats

24 allaient vers la maison de Zijad. Si je me rappelle bien, je vous ai déjà

25 dit que c'est là que j'ai vu ce jour-là plus de cent hommes.

Page 4306

1 M. Nobilo (interprétation). – Cent hommes qui allaient et

2 venaient avez-vous dit ?

3 M. Zec (interprétation). – Oui.

4 M. Nobilo (interprétation). – Etaient-ce les mêmes hommes,

5 d’autres hommes ? Vous ne savez pas, en fait, combien d’hommes vous avez

6 vus ?

7 M. Zec (interprétation). – Au moins cent hommes, certainement.

8 M. Nobilo (interprétation). – Dans ce nombre, comptez-vous ceux

9 qui revenaient sur leurs pas ? Savez-vous si certains sont passés

10 plusieurs fois à côté de vous ?

11 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

12 M. Nobilo (interprétation). – Les hommes croates qui étaient vos

13 voisins portaient-ils l’uniforme avant le conflit ?

14 M. Zec (interprétation). – Oui.

15 M. Nobilo (interprétation). – Combien d’entre eux ? Une

16 majorité ? Quelques-uns ?

17 M. Zec (interprétation). – Monsieur Dragan Papic, durant toute

18 la période entre octobre et avril, je ne pense pas l’avoir vu une seule

19 fois sans l’uniforme noir. Le drapeau flottait

20 sur sa maison.

21 M. Nobilo (interprétation). – Vous n’avez pas besoin de me

22 donner le nom de chacun d’entre eux, mais les jeunes croates portaient-ils

23 l’uniforme avant le conflit ?

24 M. Zec (interprétation). – Je n’en suis pas sûr, mais je pense

25 que l’un des Milicevic en portait un.

Page 4307

1 M. Nobilo (interprétation). – Certains de vos voisins sont-ils

2 allés au front ou cela se passait-il uniquement dans le village ?

3 M. Zec (interprétation). – Je ne sais pas.

4 M. Nobilo (interprétation). – Avez-vous remis aux enquêteurs une

5 note portant sur ceux qui étaient responsables des tueries à Nadioci, une

6 note que vous avez (...) à votre tante ?

7 M. Zec (interprétation). – D’accord.

8 M. Nobilo (interprétation). – J’aimerais vous lire le contenu de

9 cette note : "Miroslav, surnommé Cicko, du village de Nadioci, a dit la

10 chose suivante : Hier, j’ai tout allumé, j’ai mis le feu à tout, j’ai

11 tranché la gorge à tout le monde et maintenant c’est votre tour. Il

12 portait un couteau couvert de sang et il a dit : C’est votre tour. Il

13 faisait référence à des civils qui étaient dans une maison au-dessus de

14 Nadioci, aux alentours du village de Loncari. Miroslav Bralo, surnommé

15 Cicko, a également déclaré avoir tué dix sept Musulmans de Nadioci, sur un

16 tracteur avec lequel ils se dirigeaient en territoire musulman.".

17 Pouvez-vous nous expliquer comment cette note a été rédigée ? Et

18 si j’ai bien lu ce que vous avez écrit à ce moment-là ?

19 M. Zec (interprétation). - Oui, vous l’avez bien lu. C’est le

20 récit de ma tante qui a été prisonnière dans cette maison-là et qui a

21 entendu cette histoire qui les concernait.

22 M. Nobilo (interprétation). - A ce moment-là, vous avez pris

23 cela en note pour ne pas l’oublier, n’est-ce pas ?

24 M. Zec (interprétation). – Oui.

25 M. Nobilo (interprétation). – Avez-vous la moindre connaissance

Page 4308

1 de l’établissement des barrages routiers dans le village d’Ahmici ? Quel

2 mois de l’année ont été établis ces barrages à l’intérieur du village

3 d’Ahmici ? Vous pouvez nous expliquer en quelques mots comment les choses

4 se sont passées ?

5 M. Zec (interprétation). – Il y avait un barrage routier près de

6 ma maison, dans un virage. Ici, on ne voit pas ce virage. Ils ont placé le

7 barrage routier afin d’empêcher les soldats croates de passer vers

8 Novi Travnik.

9 M. Nobilo (interprétation). - Qui a établi ce barrage ?

10 M. Zec (interprétation). - La Défense territoriale.

11 M. Nobilo (interprétation). - De quoi était-il fait ? Quel

12 aspect avait-il ?

13 M. Zec (interprétation). - Il y avait quelques soldats.

14 M. Nobilo (interprétation). - Y avait-il des mines ?

15 M. Zec (interprétation). - Je ne me souviens pas. Mais, je peux

16 vous donner les raisons, je peux vous dire pourquoi ils l’ont placé sur la

17 route.

18 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur le

19 Président. Cette série de questions au sujet des barrages n’a pas été

20 abordée au cours de l’interrogatoire principal. Il n’a fait que raconter

21 le massacre de sa famille, rien de plus. Il a parlé de sa survie. Donc, je

22 fais objection à cette question.

23 M. le Président. - Objection accordée. Je l’aurais faite moi-

24 même déjà pour la note précédente qui n’a pas été abordée dans le cadre de

25 l’interrogatoire, Maître Nobilo. Passez à une autre question, s’il vous

Page 4309

1 plaît.

2 M. Nobilo (interprétation). - Très bien, Monsieur le Président.

3 Bien entendu, j’accepte que le contre-interrogatoire se soumette à

4 l’interrogatoire principal. Donc, dans l’immédiat nous en terminons avec

5 notre interrogatoire et nous nous réservons le droit de reposer quelques

6 questions au témoin au moment de l’audition de nos témoins.

7 M. le Président. - Nous verrons cela le moment venu,

8 Maître Nobilo.

9 M. Hayman (interprétation). - Il pourrait être efficace, si

10 Me Nobilo a des questions à poser qui sortent du champ de l'interrogatoire

11 principal, et si l'accusation en est d'accord, de pouvoir poser ces

12 questions immédiatement plutôt que devoir revenir sur l’audition de ce

13 témoin plus tard. Nous disons cela à des fins d'efficacité.

14 M. le Président - Maître Hayman, je ne vous cache pas que le

15 Tribunal sera très réticent à faire revenir le témoin dans quelques mois

16 ou quelques semaines, je vous le dis tout de suite.

17 1°/ Le Tribunal avait pris une décision très claire, à savoir

18 que le contre-interrogatoire devait être adapté à l'interrogatoire. Je

19 vous signale que ceci est valable pour vous aujourd'hui, mais à l'inverse-

20 lorsque vous citerez vos témoins, je ferai les mêmes observations à

21 l'accusation.

22 2°/ Reconnaissez que le Tribunal applique cette règle -si nous

23 pouvons appeler cela d’ailleurs une règle- de façon très souple. Je ne

24 vous ai pas interrompu au moment où Me Nobilo a posé la question

25 concernant la note qu’il avait été remise aux enquêteurs précédemment.

Page 4310

1 J'ai attendu l'objection faite par le Procureur. Effectivement, nous

2 allions partir dans un contre-interrogatoire qui allait soumettre le

3 témoin à toute une série de questions. L'accusation s'était bornée à faire

4 narrer au témoin des choses déjà suffisamment tragiques comme celle-ci, au

5 soutien de l'accusation.

6 Dans ces conditions, l'incident étant levée, je redonne la

7 parole, sauf si cela était trop long et à ce moment-là nous arrêterions.

8 Monsieur le Procureur, voulez-vous exercer votre droit de réplique ? Avez-

9 vous quelques précisions complémentaires, et vous aussi Maître Harmon, par

10 rapport évidemment aux questions et aux précisions apportées par la

11 défense ?

12 M. Harmon (interprétation). - Ednan, dans une des réponses que

13 vous avez apportées à Me Nobilo, vous avez dit que Dragan Papic avait un

14 drapeau qui flottait devant sa

15 maison. De quel drapeau s'agissait-il ?

16 M. Zec (interprétation). - Pour autant que je sache, c'était le

17 drapeau croate.

18 M. Harmon (interprétation). - Pas d'autre question, Monsieur le

19 Président.

20 M. le Président. - Je me tourne à présent vers mes collègues.

21 Monsieur le Juge Riad, avez-vous quelques questions à poser ?

22 M. Riad (interprétation). - Pas de question, Monsieur le

23 Président.

24 M. le Président. - Bien. Nous allons suspendre l'audience, ce

25 qui permettra au témoin de prendre quelque repos. Nous reprendrons à

Page 4311

1 14 heures 45.

2 L’audience est suspendue à 12 heures 30.

3

4

5

6

7

8

9

10

11 L’audience est reprise à 14 heures 45.

12 M. le Président. - L'audience est reprise.

13 (Le témoin est déjà installé dans le prétoire.)

14 Monsieur l’Huissier, veuillez faire entrer l'accusé.

15 (L'accusé est introduit dans la salle d’audience.)

16 Bien, nous allons reprendre. Ednan, vous vous êtes reposé ? Vous

17 avez déjeuné, ça va ?

18 M. Zec (interprétation). - Oui.

19 M. le Président. - Les Juges souhaitent vous poser des questions

20 complémentaires. Je donne tout de suite la parole à Monsieur le Juge Riad.

21 M. Riad (interprétation). - Bonjour, Monsieur Ednan. Vous avez

22 participé à ces événements très malheureux qui ont causé la perte de vos

23 parents. L'expérience que vous avez vécue peut nous aider à nous faire une

24 image globale de ce qui s'est passé, sur la base de vos connaissances de

25 première main.

Page 4312

1 Au début de votre témoignage, vous avez dit qu'avant ces

2 événements, à savoir le 15 avril, les enfants croates ne sont pas allés à

3 l'école. A un autre moment de votre déposition, vous avez dit que les

4 Croates, tels Papic et Milicevic -je prononce bien- étaient partis de chez

5 eux pour revenir chez eux quelques jours plus tard. Ces deux faits se

6 sont-ils produits avant les événements ? Au moment où les enfants ne sont

7 pas allés à l'école, tout était-il calme ?

8 M. Zec (interprétation). - Non. Ils ont amené ailleurs leur

9 famille le 15 avril, avant que la nuit ne tombe.

10 M. Riad (interprétation). - Mais il n'y avait pas de coup de feu

11 à ce moment là ? Rien de ce genre ?

12 M. Zec (interprétation). - Non.

13 M. Riad (interprétation). - Les médias avaient-ils annoncé un

14 risque de coups de feu ou tout se passait-il tranquillement ?

15 M. Zec (interprétation). - C'est exactement ainsi que cela s'est

16 passé, personne ne savait rien.

17 M. Riad (interprétation). - Sauf qu'apparemment eux le savaient,

18 sinon ils ne seraient pas partis. Il y avait une espèce de consensus entre

19 eux au sujet du départ ?

20 M. Zec (interprétation). - Oui.

21 M. Zec (interprétation). - Une espèce de planification, je

22 dirais ?

23 M. Zec (interprétation). - Oui, on peut le dire ainsi, entre les

24 Croates.

25 M. Riad (interprétation). - Parmi les Croates, oui. Maintenant,

Page 4313

1 nous en arrivons à la phase des tueries. J’aimerais d'abord savoir si

2 votre père portait des armes sur lui au moment où il a été tué ? Et s'il

3 retournait les coups de feu ?

4 M. Zec (interprétation). - Non.

5 M. Riad (interprétation). - Votre mère a-t-elle été abattue ?

6 Quelqu'un lui a-t-il tiré dessus ou bien est-elle morte avec votre soeur

7 Melisa -si je ne m'abuse- par hasard ? Ont-elles été tuées parce qu'il y

8 avait des coups de feu un peu partout ?

9 M. Zec (interprétation). - Non, ce n'est pas possible que cela

10 se soit fait par hasard. Ils ont tiré droit sur eux. Je peux donner des

11 précisions supplémentaires, si besoin est.

12 M. Riad (interprétation). - Non, je n'ai pas besoin de détails.

13 Je voulais simplement savoir si des gens se sont fait tuer même lorsqu'ils

14 ne portaient pas d'arme ? Des hommes se sont-ils fait tuer s'ils ne

15 portaient pas d'armes, ainsi que des femmes et des enfants ?

16 M. Zec (interprétation). - Oui. Sans aucune discrimination,

17 toute personne risquait de se faire abattre.

18 M. Riad (interprétation). - Vous avez dit qu'il y avait des

19 talkies-walkies et des émetteurs radio. Vous avez entendu des ordres

20 donnés par des soldats à d'autres soldats qui

21 devaient exécuter ces ordres. Vous avez entendu, par exemple,

22 qu'ils demandaient des explosifs pour Ahmici-le-Bas à la radio. Une

23 attaque était-elle lancée depuis Ahmici-le-Bas ? Pourquoi avaient-ils

24 besoin d'explosifs pour Ahmici-le-Bas ? Est-ce que quelqu'un attaquait

25 Ahmici-le-Bas ? Avaient-ils besoin de défendre quelque chose ? A quoi

Page 4314

1 étaient destinés ces explosifs ?

2 M. Zec (interprétation). - Ils demandaient des explosifs pour la

3 mosquée de Ahmici-le-Bas et ils nous ont attaqués, comme je l'ai déjà dit,

4 sans aucune raison. Nous n'avions aucune défense, aucune protection. Nous

5 ne nous attendions pas à être attaqués. Tout simplement, dans notre cas

6 par exemple, nous étions à la maison en train de dormir, tous.

7 M. Riad (interprétation). - Oui. Mais, vous avez dit qu'il y

8 avait une centaine de soldats qui tiraient dans la direction

9 d'Ahmici-le-Haut, avec des mitrailleuses, sur un camion. Est-ce que

10 quelqu'un renvoyait le feu ? Est-ce que quelqu'un tirait en retour ? Est-

11 ce qu’ils tiraient parce qu'ils devaient répondre à des coups de feu ? Ou

12 est-ce qu’ils tiraient sur n'importe quoi ?

13 M. Zec (interprétation). - Je ne crois pas qu'il y ait eu de

14 combats.

15 M. Riad (interprétation). - Au cours de tous ces événements

16 auxquels vous avez assistés, concernant l'homme qui s'est fait tuer, vos

17 parents qui ont été abattus, et toutes ces personnes qui faisaient partie

18 de votre voisinage, les ordres également que vous avez entendu

19 transmettre, sur la base de tous ces événements, avez-vous retiré

20 l'impression qu'il existait plusieurs groupes sans aucun rapport les uns

21 avec les autres, dont chacun faisait ce qu'il voulait ? Ou bien en avez-

22 vous conclu qu'il y avait une équipe coordonnée, qui agissait de façon

23 coordonnée, selon une hiérarchie déterminée, selon des ordres déterminés ?

24 Me comprenez vous ? Avez-vous le sentiment que ce qui s'est passé était

25 totalement dépourvu d'organisation ? Avez-vous le sentiment qu'il

Page 4315

1 s'agissait d'une espèce d'anarchie ou pensez-vous qu'il y avait une équipe

2 de soldats bien organisée qui agissait ?

3 M. Zec (interprétation). - D’après ce que j'ai vu, je peux en

4 tirer la conclusion que cela était très bien planifié et très bien

5 organisé.

6 M. Riad (interprétation). - Les ordres étaient exécutés et

7 transmis d'un soldat à l'autre ?

8 M. Zec (interprétation). - Oui.

9 M. Riad (interprétation). - Personne ne faisait simplement ce

10 qu'il voulait ?

11 M. Zec (interprétation). - Oui.

12 M. Riad (interprétation). - Merci, Monsieur Ednan.

13 M. le Président. - Merci, Monsieur le Juge Riad.

14 Monsieur Shahabuddeen va également vous poser les questions qu'il juge

15 utile de vous poser.

16 M. Shahabbudeen (interprétation). - Monsieur Ednan Zec, j'ai

17 deux questions à vous poser qui probablement ne sont pas

18 extraordinairement importantes.

19 La première est la suivante : vous êtes allé à l'école 15 avril.

20 Où se trouvait cette école ?

21 M. Zec (interprétation). - A Vitez.

22 M. Shahabbudeen (interprétation). - Ma deuxième question est la

23 suivante : après que vous ayiez été atteint par les coups de feu, après

24 que vous soyiez parvenu finalement à vous relever et à entrer dans un

25 bâtiment où vous avez passé quelques temps -je crois que ce bâtiment

Page 4316

1 correspond au n° 6 sur le schéma- pourriez-vous me rafraîchir la mémoire

2 en me rappellant combien de temps vous êtes resté dans ce bâtiment ?

3 M. Zec (interprétation). - Sept jours. J'ai passé une journée à

4 l'extérieur et sept jours dans le bâtiment ; au total huit jours.

5 M. Shahabbudeen (interprétation). - Pendant toutes ces journées,

6 avez-vous trouvé quelque chose à boire ou à manger ?

7 M. Zec (interprétation). - Il y avait de l'eau. Je buvais de

8 l'eau, c'est tout. J'ai trouvé

9 un tout petit peu de marmelade, c'est tout.

10 M. Shahabbudeen (interprétation). - Merci beaucoup.

11 M. le Président. - Merci. Voilà, c'est fini Ednan Zec, vous avez

12 été très courageux. C'est l'évocation de beaucoup de souffrances pour

13 vous. Le Tribunal, en vous remerciant une fois de plus, vous souhaite de

14 retrouver, si c'est possible, la paix et la sérénité.

15 Je ne vous demande pas ce que vous faites maintenant parce que

16 je ne voudrais pas que soient dévoilés des éléments d'identification. Mais

17 vous êtes jeune et nous espérons que vous retrouverez goût à la vie.

18 Monsieur l’Huissier, nous allons baisser les rideaux pour

19 permettre au témoin de sortir sans être vu. Vous restez assis pour

20 l'instant. Nous allons procéder de la meilleure manière pour protéger

21 votre anonymat et votre visage.

22 (Le témoin est reconduit hors de la salle d'audience.)

23

24

25

Page 4317

1

2

3

4

5 M. le Président. - Maître Kehoe, c'est vous qui allez prendre le

6 siège du Ministère public. Nous vous écoutons.

7 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, merci.

8 Bonjour, Monsieur le Président, chers collègues de la défense. Le témoin

9 suivant est Djula Djidic.

10 La seule mesure de protection demandée par Mme Djidic porte sur

11 la déformation du visage, mais pas du corps entier. Elle demande à ce que

12 son visage ne soit pas montré à la télévision. J'en ai discuté avec

13 Me Nobilo avant le début de l'audience cet après-midi.

14 Monsieur le Président, nous avons l'intention d'interroger

15 Mme Djidic très brièvement. Nous n'avons pas l'intention de lui faire

16 répéter des choses qui ont été déjà dites, mais elle va nous proposer une

17 perspective un peu différente sur un certain nombre de faits concernant

18 Zume, un quartier d'Ahmici, où des soldats en uniformes de camouflage et

19 en uniformes noirs ont agit à l'unisson, ensemble. Elle nous proposera un

20 témoignage sur la façon dont Fadil Pezer, Muhamed Ahmic et Mujo Ahmic ont

21 été tués par ces soldats. Elle nous racontera exactement ce qui s'est

22 passé lorsqu'elle s'est trouvée entre les mains des soldats du HVO,

23 toujours en uniformes de camouflage, et lorsqu'elle a été emmenée aux

24 alentours du café Pican avec environ cinquante autres femmes et enfants,

25 avant d'être emmenée ensuite à l'école de Dubravica en colonne, à pied,

Page 4318

1 jusqu'à l'école. Je dis cela, Monsieur le Président, conformément à vos

2 instructions.

3 Nous avons des photographies de ses frères qui ont été tués ce

4 jour-là. Elle ne les a jamais revus depuis. Avec l'autorisation du

5 Tribunal, je présenterai ces photos.

6 M. le Président. - Vous lui montrez ces photos ? Est-elle

7 d'accord pour qu'on lui montre ces photos ?

8 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Mais,

9 conformément à vos instructions, Monsieur le Président, je pensais pouvoir

10 décrire le contenu de ces photographies sans avoir à les lui montrer parce

11 que cela risquerait de la perturber beaucoup.

12 M. le Président. - Nous allons procéder comme ce matin. A cet

13 égard, je remercie Maître Harmon d'avoir procédé de cette manière ; cela a

14 été assez efficace. Je ne pense pas que Me Harmon n'ait pas pu poser les

15 questions qu'il avait envie de poser. Vous laissez donc autant que

16 possible le témoin s'exprimer et, ensuite, vous apporterez uniquement les

17 précisons utiles pour l'accusation et que vous avez préparées.

18 A présent, Monsieur l’Huissier, nous pouvons faire entrer

19 Mme Djula Djidic.

20 (Le témoin est introduit dans la salle).

21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, j'aimerais

22 demander à l'Huissier de nous préparer la pièce à conviction n° 120. Nous

23 avons deux pièces à conviction qui ont déjà été enregistrées, puis la

24 pièce 120.

25 M. le Président. - Très bien, merci. Les micros sont-ils

Page 4319

1 branchés ? M'entendez-vous, Madame ?

2 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

3 M. le Président. - Vous allez me dire vos nom et prénom, puisque

4 ceci peut être divulgué.

5 Mme Djidic (interprétation). - Madame Djula Djidic.

6 M. le Président. - Vous allez faire votre serment assise pour

7 que l’on ne vous reconnaisse pas. Nous vous écoutons.

8 Mme Djidic (interprétation). - Je déclare solennellement que je

9 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

10 M. le Président. - Merci, Madame. Vous êtes sous les mesures de

11 protection que vous avez souhaitées et sur lesquelles la défense est

12 d'accord, ainsi que le Tribunal. Vous pouvez parler sans crainte devant

13 les Juges qui vont vous écouter avec toute l'attention souhaitable.

14 Après quelques brèves questions d'identification, vous direz ce

15 que vous avez à dire.

16 Vous insisterez sur les points sur lesquels le Procureur

17 souhaite que vous insistiez. Vous déposerez de façon très libre, comme

18 vous avez envie de le dire, pas trop longtemps, mais en disant ce que vous

19 avez envie de dire. Bien entendu, M. le Procureur vous posera les

20 questions complémentaires qu'il juge utiles de vous poser dans le cadre de

21 l'accusation contre le Général Blaskic. Après quoi, la défense vous posera

22 des questions, et éventuellement les Juges.

23 Si vous êtes fatiguée, si vous avez la moindre difficulté,

24 n'hésitez pas à vous tourner vers moi et nous prendrons les dispositions

25 permettant de vous reposer.

Page 4320

1 Monsieur le Procureur vous avez la parole.

2 M. Kehoe (interprétation). - Quel âge avez-vous, Madame ?

3 Mme Djidic (interprétation). - J'ai 38 ans, à l'époque j'avais

4 33 ans.

5 M. Kehoe (interprétation). - Le 16 avril 1993, habitiez-vous à

6 Zume avec vos parents, vos frères et votre famille ?

7 Mme Djidic (interprétation). - Oui. J'y ai vécu avec ma mère et

8 mes frères.

9 M. Kehoe (interprétation). - Depuis combien de temps votre

10 famille vivait-elle à Zume ?

11 Mme Djidic (interprétation). - Depuis vingt et un ans.

12 M. Kehoe (interprétation). - D'où vient votre famille ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Nous sommes originaires du

14 village de Pirici.

15 M. Kehoe (interprétation). - Zume fait partie de Santici, est-ce

16 exact ?

17 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

18 M. Kehoe (interprétation). - Zume était-il un village

19 relativement nouveau qui finalement a pris naissance à peu près en 1971 ?

20 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). - Des Musulmans et des Croates

22 habitaient-ils à Zume et à Santici ?

23 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

24 M. Kehoe (interprétation). - Djula, vous-même et les membres de

25 votre famille êtes musulmans, n'est-ce pas ?

Page 4321

1 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

2 M. Kehoe (interprétation). - Je vous propose de nous concentrer

3 sur les événements du 16 avril 1993. Dites aux Juges, avec vos propres

4 mots, ce qui s'est passé, ce qui est arrivé à vous et à votre famille le

5 16 avril.

6 Mme Djidic (interprétation). - Je vais commencer par la

7 description du premier matin. Nous ne savions rien. C'était un vendredi

8 matin à 5 heures 15. Nous avons entendu une première détonation venant de

9 la maison de notre voisin, c'est cela qui nous a réveillé. Nous nous

10 sommes levés. Beaucoup de balles ont été tirées en direction de notre

11 maison et nous ne pouvions pas passer par la porte pour sortir. Nous

12 sommes sorties par la fenêtre.

13 Ma mère était là. Mon frère vivait à l'époque dans la cuisine

14 d'été avec sa famille. Nous sommes sorties, d'abord ma mère, ensuite moi-

15 même, par la fenêtre. Nous sommes allées dans la maison de Mehemed Ahmic,

16 nous sommes allées dans sa cave. Quinze à vingt minutes plus tard, je suis

17 montée à l'étage chez lui et j'ai pu voir qu'ils mettaient nos maisons à

18 feu. J'ai vu aussi deux voisins qui ont pris la route. Ils s'approchaient

19 de ma maison. Ils s’approchaient de ma maison.

20 Il y avait un soldat du HVO qui m'a dit de descendre et de les

21 rejoindre. J'ai entendu des coups de feu. Avant que je ne m'approche de ma

22 maison, il y avait déjà un cadavre devant et deux autres cadavres près de

23 la maison. Il m'a demandé qui était encore dans l'autre maison. J'ai

24 répondu qu'il y avait des femmes, des personnes âgées, Mehemed Ahmic et sa

25 femme. Il m'a demandé où j'allais. Moi, j'ai répondu à Vitez.

Page 4322

1 Nous avons pris la route. Nous sommes allés jusqu'au café de

2 Pican. Là, il y avait quelqu'un, Zilic, qui avait des vêtements civils et

3 qui portait une arme. Il nous a amenés dans un

4 garage, le garage de Dedic, où nous sommes restés enfermés

5 jusqu'à 5 heures. Vers 5 heures, ils nous ont déplacés dans la maison

6 d'Ahmic.

7 Plus tard, nous avons entendu des coups de feu. Nous avons vu

8 Mehemed Ahmic et son fils qui gisaient par terre. Ensuite, nous sommes

9 sortis et nous sommes allés à la maison de Mehemed Ahmic, de Nesib Ahmic.

10 Là, nous avons passé tous la nuit. Personne ne nous a gardés. Le

11 lendemain, ils nous ont fait aller dans un magasin et nous avons passé

12 toute la journée là-bas. Le dimanche matin, ils nous ont mis dans un camp.

13 M. Kehoe (interprétation). - Je voudrais vous poser quelques

14 questions.

15 Mme Djidic (interprétation). - Je préfère que vous me posiez des

16 questions ; cela me sera plus facile ainsi.

17 M. Kehoe (interprétation). - D'accord. Je vais vous poser

18 quelques questions au sujet de ce qui s'est passé le 16.

19 Mme Djidic (interprétation). - Oui, très bien.

20 M. Kehoe (interprétation). - Avec l'aide de l’Huissier,

21 j'aimerais que l'on remette au témoin ce qui a déjà été enregistré sous la

22 cote 143. C'est une carte, sur laquelle la légende figure sous la

23 cote 143/B. Je demanderai à l'Huissier de bien vouloir placer ce plan sur

24 le rétroprojecteur.

25 (Le plan est disposé sur le rétroprojecteur.)

Page 4323

1 M. Kehoe (interprétation). - Vous voyez la carte qui se trouve

2 sous vos yeux, avec les cercles, n'est-ce pas ?

3 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

4 M. Kehoe (interprétation). - Vous nous avez aidé à identifier

5 ces maisons entourées d'un cercle ?

6 Mme Djidic (interprétation). - C’est exact.

7 M. Kehoe (interprétation). - Votre maison porte le n° 1, n'est-

8 ce pas ?

9 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

10 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que votre frère aîné

11 et sa famille vivaient dans la cuisine d'été qui se trouve à l'arrière,

12 n'est-ce pas ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

14 M. Kehoe (interprétation). - Le n° 2 est la maison de

15 Mehemed Ahmic, n'est-ce pas ?

16 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

17 M. Kehoe (interprétation). - Vous êtes allée au deuxième étage

18 de la maison de Mehemed Ahmic, n'est-ce pas ?

19 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

20 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivée au

21 deuxième étage, avez-vous vu des soldats du HVO ?

22 Mme Djidic (interprétation). – Oui ; qui détenait Mujo Ahmic et

23 Fadil Pezer. Là, tout près de ma maison, là où se trouve la cuisine d’été.

24 Oui, on pouvait tout voir.

25 M. Kehoe (interprétation). - Combien de soldats du HVO avez-vous

Page 4324

1 vus ?

2 Mme Djidic (interprétation). - Quand je suis descendue j'en ai

3 vu cinq au total. Quand ils m'ont appelée et que je suis arrivée au niveau

4 de ma maison, j'en ai vu cinq au total. Mais il y en avait un qui m'avait

5 demandé de descendre, puisqu'ils m'avaient remarquée en haut.

6 M. Kehoe (interprétation). - Comment étaient habillés ces

7 soldats ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Ils portaient des uniformes de

9 camouflage et des uniformes noirs.

10 M. Kehoe (interprétation). - Ces soldats qui portaient des

11 uniformes noirs ou de camouflages semblaient-ils travailler de pair,

12 ensemble ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

14 M. Kehoe (interprétation). - Vous étiez au deuxième étage, vous

15 avez regardé et

16 vous avez vu Ismael Ahmic, Mujo Ahmic, et aussi Fadil Pezer qui

17 était détenu par ces hommes, n'est-ce pas ?

18 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

19 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit qu'un de ces soldats

20 du HVO vous a fait descendre de l'étage, n’est-ce pas ?

21 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

22 M. Kehoe (interprétation). - Alors que vous descendiez, avez-

23 vous entendu des coups de feu ?

24 Mme Djidic (interprétation). - Oui. Pendant que je descendais,

25 j'ai entendu des coups de feu à la porte de Mehemed Ahmic. Alors que

Page 4325

1 j'étais en train de sortir, j'entendais déjà les coups de feu.

2 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivée en bas,

3 où se trouvaient Ismael Ahmic, Mujo Ahmic et Fadil Pezer ?

4 Mme Djidic (interprétation). – Ismael Ahmic était devant ma

5 porte, sur le seuil. Mujo Ahmic et Fadil Pezer étaient au coin de ma

6 maison, juste au niveau des escaliers. Ils étaient allongés sur le sol.

7 M. Kehoe (interprétation). – Etaient-ils blessés ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

9 M. Kehoe (interprétation). – Ils se trouvaient sur le sol de

10 votre maison, qui porte le n° 1 sur la carte, n'est-ce pas ?

11 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

12 M. Kehoe (interprétation). – Ils semblaient morts ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

14 M. Kehoe (interprétation). - Ces soldats, dont vous avez dit

15 qu'ils étaient revêtus d'uniformes de camouflage et d'uniformes noirs,

16 avaient-ils des brassards de couleur ?

17 Mme Djidic (interprétation). - Des bleus, oui.

18 M. Kehoe (interprétation). – Avaient-ils aussi des radios

19 manuelles ?

20 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). - De quel genre de radio disposaient-

22 ils ?

23 Mme Djidic (interprétation). – Des radios noires, des petites

24 comme ça !

25 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez également dit aux Juges

Page 4326

1 que vous aviez vu, depuis la maison de Mehemed Ahmic, votre maison qu'on

2 était en train d'incendier, n’est-ce pas ?

3 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

4 M. Kehoe (interprétation). – Pourriez-vous dire aux Juges ce que

5 vous avez vu à ce moment là ? Comment votre maison a-t-elle été

6 incendiée ?

7 Mme Djidic (interprétation). - J'ai vu qu'ils prenaient de

8 l'essence. Ils l’ont versée et l’ont allumée en commençant par la porte.

9 Ils avaient des sortes de bidons. Comme ça !

10 M. Kehoe (interprétation). – Avez-vous été en mesure de

11 reconnaître l'un de ces soldats du HVO ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Non. Ils portaient un masque, un

13 bas sur le visage. Non, je n'ai pas pu.

14 M. Kehoe (interprétation). - Votre maison a donc été incendiée.

15 Mais d'autres maisons avoisinantes ont-elles aussi été incendiées ?

16 Mme Djidic (interprétation). – Oui, elles flambaient toutes.

17 M. Kehoe (interprétation). – Avez-vous vu ce groupe de soldats

18 allant de maison en maison pour y mettre le feu ?

19 Mme Djidic (interprétation). - Tout de suite, dès que je suis

20 rentrée, après être allée là-bas pour demander où je devais aller, ils

21 sont immédiatement entrés dans la maison et ils y ont mis le feu. Quand

22 nous sommes sortis de la maison de Mehemed Ahmic, ils sont

23 immédiatement rentrés et ils ont mis le feu parce qu'ils

24 savaient que la maison était vide, lorsqu'ils nous ont donné l’ordre

25 d'aller à Vitez.

Page 4327

1 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais attirer votre attention

2 sur la carte qui se trouve sur le rétroprojecteur. Votre maison est la

3 maison n°1, celle de Mehemed Ahmic la n°2. A qui appartient la maison

4 n° 3 ?

5 Mme Djidic (interprétation). – A Ismael Ahmic.

6 M. Kehoe (interprétation). - Bien. Ismael était un des hommes

7 qui a été assassiné devant votre maison, n'est-ce pas ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Oui. Ils marchaient sur la route

9 et ils les ont ammenés devant notre maison. Ils étaient partis tout seuls,

10 mais après ils ont été ramenés jusqu'à notre maison par l'armée, l’armée

11 venue dans notre maison pour nous en faire sortir.

12 M. Kehoe (interprétation). - La maison n° 4, à qui appartient-

13 elle, à Fadil Pezer ?

14 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

15 M. Kehoe (interprétation). - Qui était parmi ces hommes qui ont

16 été tués par les soldats du HVO devant la maison n° 1, n'est-ce pas ?

17 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

18 M. Kehoe (interprétation). - La maison n° 5, à qui appartient-

19 elle ?

20 Mme Djidic (interprétation). - A Sefik Pezer.

21 M. Kehoe (interprétation). – Sefik Pezer est le père de

22 Fadil Pezer, n'est-ce pas ?

23 Mme Djidic (interprétation). – Non, c’est Ibro le père de Fadil,

24 Ibro Pezer. Il a été tué lui aussi.

25 M. Kehoe (interprétation). - Toutes ces maisons que vous avez

Page 4328

1 vues en flammes, ainsi que les hommes que vous avez vus se faire

2 assassiner devant votre maison, ces maisons étaient-elles musulmanes, ces

3 hommes étaient-ils musulmans ?

4 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

5 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit qu'un de ces soldats

6 vous avait demandé d’aller vers le café Pican. Porte t-il le n° 6 sur la

7 carte ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

9 M. Kehoe (interprétation). – Avez-vous vu des soldats aux

10 alentours du café Pican lorsque vous y êtes arrivée à ce café ?

11 Mme Djidic (interprétation). - Ils étaient à l'intérieur du

12 café, il y en avait un à l'extérieur. Ce Zilic était en civil, Zilo. Je

13 lui ai posé la question, je pensais que c'était un civil. Je lui ai

14 demandé où il fallait que nous allions ensuite. Il m’a dit d’aller dans le

15 garage de Dedic. Mais pendant qu'ils étaient sur la route, je ne l’avais

16 pas vu.

17 M. Kehoe (interprétation). - Alors que vous quittiez en fait

18 Ahmic, depuis la maison de Mehemed Ahmic, qui vous a accompagné au café

19 Pican, sans le préciser ? Des membres de votre famille sont allés avec

20 vous ?

21 Mme Djidic (interprétation). - Des membres de ma famille y sont

22 allés, ainsi que Mehemed Ahmic et sa femme, personne d'autre.

23 M. Kehoe (interprétation). – Vos deux frères vous

24 accompagnaient-ils ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Non.

Page 4329

1 M. Kehoe (interprétation). - Qu'était-il arrivé à vos deux

2 frères ?

3 Mme Djidic (interprétation). - J'ai vu mes frères quand ils ont

4 essayé de fuir dans la direction de Pirici. Ils ont sauté la clôture et

5 après cela je n’ai plus vu mes frères.

6 M. Kehoe (interprétation). - Nous poursuivons. Lorsque vous êtes

7 arrivée au café Pican, on vous a dit d'aller au garage de Mujo Dedic,

8 n'est-ce pas ?

9 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

10 M. Kehoe (interprétation). - Vous alliez à ce garage qui porte

11 le n° 7 sur la carte, n'est-ce pas ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

13 M. Kehoe (interprétation). - Alors que vous y alliez, avez-vous

14 vu davantage de soldats qui allaient de maison en maison dans cette partie

15 du village ?

16 Mme Djidic (interprétation). – Non, j'ai vu ces civils quand

17 nous allions vers le garage. Nous avons vu des familles dans le garage,

18 mais personne d'autre.

19 M. Kehoe (interprétation). – Avez-vous vu des soldats aux

20 alentours ?

21 Mme Djidic (interprétation). - Non, seulement quand nous sommes

22 sortis du garage et c'était à 5 heures de l'après-midi.

23 M. Kehoe (interprétation). - Fort bien. Dans le garage, il y

24 avait la famille Ahmic aussi avec vous ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Oui, ils sont venus après, à peu

Page 4330

1 près 3 heures après nous. Ils les ont amenés après ; l'armée, le HVO, je

2 ne sais pas.

3 M. Kehoe (interprétation). – Que s’est-il alors passé, après que

4 la famille Ahmic soit arrivée ?

5 Mme Djidic (interprétation). - Comme ils en jetaient de temps en

6 temps de nouveaux dans le garage, ils ouvraient, ils refermaient. A un

7 moment, ils ont déverrouillé, ils ont jeté dans le garage la mère et le

8 fils cadet. Le fils aîné et le père, ils les ont gardés à l'extérieur. On

9 a entendu des coups de feu. On a pu voir un trou comme ça ! Ils les ont

10 abattus dans le dos, avec des fusils automatiques. Cela a fait un gros

11 trou dans la porte du garage. Vers 5 heures de l'après-midi, ils ont de

12 nouveau déverrouillé la porte du garage et nous sommes sortis.

13 M. Kehoe (interprétation). - Alors qu'il y avait tous ces coups

14 de feu, il y avait des soldats à l’extérieur ?

15 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

16 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous vu ces soldats ?

17 Mme Djidic (interprétation). - Je n'en ai vu que deux, pendant

18 qu'ils les faisaient s'aligner, pour les tuer d'après ce qu'on m'a dit.

19 M. Kehoe (interprétation). - Comment étaient-ils habillés ?

20 Mme Djidic (interprétation). - Ils étaient habillés de la même

21 façon. Ils avaient tous le même uniforme.

22 M. Kehoe (interprétation). - De quelle couleur était cet

23 uniforme ?

24 Mme Djidic (interprétation). - De toutes les couleurs, un

25 uniforme de camouflage.

Page 4331

1 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites être restée un certain

2 temps dans ce garage, jusque vers 17 heures ?

3 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

4 M. Kehoe (interprétation). - Puis, vous êtes allée à la maison

5 de Nesib Ahmic qui porte le n° 8 sur la carte, n'est-ce pas ?

6 Mme Djidic (interprétation). - Oui, c'était une maison de

7 campagne ; en bas la maison était incendiée, mais pas en haut.

8 M. Kehoe (interprétation). - Que s'est il passé lorsque vous

9 êtes entrée dans la maison de Nesib Ahmic ?

10 Mme Djidic (interprétation). - Nous sommes allés en haut et nous

11 avons passé la nuit à l'étage. C'est là que nous avons dormi. Nous étions

12 seuls, personne ne nous gardait, mais on ne pouvait aller nulle part

13 jusqu'à 7 heures 30. Le lendemain matin samedi, en tant que civils, ils

14 nous ont transférés dans une maison où il y avait aussi un magasin, une

15 boutique, en passant devant le café Pican sur cette route. C'était déjà le

16 lendemain matin.

17 M. Kehoe (interprétation). - Samedi matin, le 17, est-ce que

18 quelqu'un est venu à la maison de Nesib Ahmic ? Est-ce qu'un Croate de

19 Bosnie est venu pour vous parler ?

20 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

21 M. Kehoe (interprétation). - Qui était-ce ?

22 Mme Djidic (interprétation). - Le voisin est venu. Il n'avait

23 pas d'arme, il est venu pour soit-disant nous aider. On lui a demandé si

24 on pouvait aller à Sevrino Selo et il nous a dit

25 que ce n'était pas possible. A ce moment-là, il nous a amenés

Page 4332

1 jusqu'à cette maison, là-haut.

2 M. Kehoe (interprétation). - La famille Vrebac vit dans une

3 maison qui a un toit à quatre pentes, dans la maison indiquée par le n° 9,

4 n'est-ce pas ?

5 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

6 M. Kehoe (interprétation). - La famille Vrebac est une famille

7 croate, n'est-ce pas ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

9 M. Kehoe (interprétation). - Lorsque vous avez demandé à Vrebac

10 d'aller à Sevrino Selo, est-ce qu’il vous a expliqué pourquoi ce n'était

11 pas possible d'aller là-bas ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Il nous a dit que nous ne

13 pouvions pas y aller librement parce que le HVO allait nous tuer, que nous

14 ne pouvions pas y aller en sécurité, que le HVO ne nous le permettrait

15 pas.

16 M. Kehoe (interprétation). - Qui vous a dit que si vous alliez à

17 Sevrino Selo vous seriez tués par le HVO ? Qui vous l'a dit ?

18 Mme Djidic (interprétation). - Celui qui nous a amenés dans

19 cette maison, Vrebac, celui qui nous a amenés jusqu'à cette boutique,

20 jusqu'à ce magasin. C’est lui qui nous l’a dit, c’est à lui qu’on l’a

21 demandé parce qu’il n'y avait personne d'autre à qui nous pouvions poser

22 la question.

23 M. Kehoe (interprétation). - Vous vous êtes donc rendus à un

24 emplacement portant le n° 10 sur la carte, n'est-ce pas ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

Page 4333

1 M. Kehoe (interprétation). - Que s’est-il passé à cet endroit ?

2 Mme Djidic (interprétation). - Nous nous sommes installés. Il y

3 avait des carreaux qui étaient entreposés là. Nous ne savions pas que nous

4 allions y passer toute la nuit. Mais, au fur et à mesure, des groupes sont

5 arrivés. Nous avons fini par être plus de cinquante, des

6 femmes, des enfants, puis des adolescents, jusqu'à 13 ans à peu

7 près, pas plus.

8 Ils ont amené à un certain moment Ahmic, Zenur, quatre jeune

9 gens. Au bout d’une demi-heure à peine de repos, des soldats sont arrivés

10 et leur ont donné l'ordre d'aller avec eux pour ramasser des cadavres

11 soit-disant. Mais ils ne sont pas rentrés cette nuit-là, je ne les ai

12 jamais revus. Nous avons passé la nuit à cet endroit. Anto Papic nous

13 gardait. Le matin les femmes croates qui habitaient normalement dans le

14 quartier, qui avaient une maison, ont essayé de nous donner quelque chose.

15 Nous, nous avons refusé ; à la fin nous ne voulions plus rien.

16 Le dimanche, ils nous ont transférés dans le camp à 7 heures 30.

17 Nikiza nous a emmenés dans l’école, qui se trouve près de la gare

18 ferroviaire à Dubravica, à 4 kilomètres de là où nous nous habitions. Nous

19 toutes, femmes et enfants, avons été transférées là.

20 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites que les hommes devaient

21 aller creuser des tranchées. Qui les a emmenés creuser des tranchées ?

22 Mme Djidic (interprétation). - Oui. Dans l’école, nous, les

23 femmes et les enfants, nous nous sommes trouvés dans les salles de classe.

24 Il y avait des hommes qu'ils avaient amenés de Vitez. En fait, nous les

25 avons trouvés sur place quand nous sommes arrivés. Eux, ils les ont

Page 4334

1 emmenés creuser des tranchées. Cela s'était déjà produit le dimanche. Ces

2 hommes rentraient tard. Des incidents se produisaient. Enfin, c'était

3 l'horreur complète.

4 M. Kehoe (interprétation). - Je reviens un peu en arrière.

5 Mme Djidic (interprétation). - Oui, je vous en prie.

6 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites que quatre hommes ont

7 été ramasser des cadavres. Un soldat du HVO les a-t-il accompagnés pour

8 cette tâche ?

9 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

10 M. Kehoe (interprétation). - Ce ou ces soldats portaient quel

11 genre d'uniformes ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Des uniformes de camouflage.

13 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous remarqué des écussons sur

14 l'uniforme ?

15 Mme Djidic (interprétation). - Non. Nous n'avons pas fait

16 attention. Nous avions peur.

17 M. Kehoe (interprétation). - Vous vous trouviez donc au n° 10,

18 au quartier général du HVO à Santici. Avez-vous eu l'occasion de voir des

19 forces de la Forpronu dans la région ?

20 Mme Djidic (interprétation). - C'était l'après-midi, le samedi,

21 dans l'après-midi, vers 4 heures. Ils sont arrivés. Etant donné qu'en tant

22 que femmes, pas seulement moi, il y avait beaucoup d'autres femmes...

23 Ivica Vidovic, surnommé Jevdco, travaillait en principe avec eux. Donc,

24 nous lui avons demandé de l'aide. Mais, lui ne nous a pas permis de les

25 approcher. Il ne nous a pas permis de leur dire un mot. Je n'ai pas pu

Page 4335

1 parler aux gens de la Forpronu.

2 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais poser une question à ce

3 propos. Vous dites que vous vouliez parler aux forces de la Forpronu, mais

4 qui vous a empêché de le faire ?

5 Mme Djidic (interprétation). - Ivica Vidovic, surnommé Jevdco,

6 c'est lui qui nous l'a interdit.

7 M. Kehoe (interprétation). - Jevdco était-il membre du HVO ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

9 M. Kehoe (interprétation). - Ce qui veut dire que ni vous ni une

10 autre personne, femmes ou enfants, se trouvant au n° 10, n'a été autorisé

11 à parler aux forces de la Forpronu, n'est-ce pas ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

13 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites que finalement vous avez

14 été emmenée à l'école de Dubravica, n'est-ce pas ?

15 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

16 M. Kehoe (interprétation). - Parmi les personnes qui se

17 trouvaient dans cette maison, combien ont été emmenées à l'école de

18 Dubravica ?

19 Mme Djidic (interprétation). - Des femmes, des enfants, nous

20 étions cinquante.

21 Mais dans le garage nous étions trente, il y en a eu en plus.

22 M. Kehoe (interprétation). - Donc, il y en avait une trentaine

23 dans le garage. En fait, ce sont cinquante personnes qui ont été emmenées

24 à l'école de Dubravica, n'est-ce-pas ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Oui. Ensuite, ils en ont encore

Page 4336

1 emmenées d'autres. Le samedi, ils en ont emmenées d'autres.

2 M. Kehoe (interprétation). - Comment êtes-vous allée de la

3 maison de Santici à l'école de Dubravica ?

4 Mme Djidic (interprétation). - A pied, le long de la route, un

5 seul soldat du HVO nous escortait. Nikica, surnommé Plavic, le blondinet,

6 nous a accompagnés. Nous avons marché sur la route tout le chemin.

7 M. Kehoe (interprétation). - Marchiez-vous en file ou en

8 colonne, le long de la route ?

9 Mme Djidic (interprétation). - En colonne.

10 M. Kehoe (interprétation). - Ce qui veut dire qu'il y avait une

11 cinquantaine de femmes, et d'enfants surtout, qui marchaient le long de la

12 route escortés par un soldat du HVO en direction de l'école de Dubravica ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Oui, un seul.

14 M. Kehoe (interprétation). - Ivica Plavic était-il membre du

15 HVO ?

16 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

17 M. Kehoe (interprétation). - Une fois arrivés à l'école de

18 Dubravica, est-ce que vous avez remarqué des soldats qui s'y trouvaient ?

19 Mme Djidic (interprétation). - Oui. Nous avons trouvé des

20 soldats dans cette école. Ils ont pris le relais, peut-on dire.

21 M. Kehoe (interprétation). - Connaissez-vous le type de soldats

22 qui se trouvaient-là, dans cette école ?

23 Mme Djidic (interprétation). - Non. Nous ne les connaissions pas

24 du tout. Il n'y avait que Marinko parce qu’il était responsable au moment

25 où on nous a arrêtés. Il était le seul responsable de nous. Mais les

Page 4337

1 autres, non, je ne les connaissais pas.

2 M. Kehoe (interprétation). - Auriez-vous vu des membres des

3 Vitezovi à l'école de Dubravica ?

4 Mme Djidic (interprétation). - Ils avaient tous des écussons,

5 des emblèmes, un uniforme noir. En majorité, ils étaient en uniforme noir

6 et ils nous traitaient comme des prisonnières.

7 M. Kehoe (interprétation). - Auriez-vous appris que certains de

8 ces soldats faisaient partie des Vitezovi ?

9 Mme Djidic (interprétation). - Je l'ai entendu dire, oui. C'est

10 une unité à eux, une unité spéciale, mais moi je ne rentrais pas là-

11 dedans.

12 M. Kehoe (interprétation). - Avec l'aide de Monsieur l'Huissier,

13 j'aimerais que la pièce 120 soit posée sur le rétroprojecteur. Il s'agit

14 d'une photographie qui a déjà été admise, Monsieur le Président.

15 (La photographie est mise sur le rétroprojecteur.)

16 M. Kehoe (interprétation). - Djula, je vous ai déjà montré cette

17 photographie auparavant, n'est-ce pas ?

18 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

19 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que votre maison se trouve

20 sur cette photographie ?

21 Mme Djidic (interprétation). - Pas sur celle qui est devant moi,

22 pas la A. Non.

23 M. Kehoe (interprétation). - Qu'en est-il de celle qui porte la

24 lettre C ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Oui, c’est ma maison.

Page 4338

1 M. Kehoe (interprétation). - C'est votre maison ?

2 Mme Djidic (interprétation). - C’est ma maison.

3 M. Kehoe (interprétation). - Fort bien. Pourrait-on replacer

4 la 143 A sur le rétroprojecteur ?

5 (La photographie est replacée sur le rétroprojecteur.)

6 M. Kehoe (interprétation). - Djula, vous avez dit que le matin

7 du 16 avril, vos deux frères Nedzad et Muharem ont quitté la maison

8 lorsque les coups de feu ont commencé à fuser de partout. Vous ne les avez

9 plus revus. Avez-vous appris qu'on les avait vus au n° 11 qui se trouve

10 sur la carte ?

11 Mme Djidic (interprétation). - Quand on a été échangé, quand la

12 Croix-Rouge nous a échangés, j'ai cherché la vérité. On m'a simplement dit

13 qu'ils étaient arrivés jusque-là vivants et qu'après on n’a plus eu aucune

14 information. Aujourd'hui, la situation est inchangée.

15 Mon frère cadet portait un jogging et mon frère aîné un pantalon

16 et une chemise. Ils avaient tous les deux des chaussures. C'est le seul

17 élément qui m'a permis de faire quelque chose. Mais c'est tout,

18 aujourd'hui je n'en sais pas plus.

19 M. Kehoe (interprétation). - Ce matin-là, étaient-ils armés ?

20 Mme Djidic (interprétation). - Non.

21 M. Kehoe (interprétation). - Portaient-ils un uniforme ?

22 Mme Djidic (interprétation). - Non. Mes frères étaient en civil.

23 M. Kehoe (interprétation). - Quel âge avaient-ils le

24 16 avril 1993 ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Je ne me souviens pas exactement.

Page 4339

1 Je sais que mon frère aîné était né le 25 mai 1965 et mon frère cadet le

2 8 janvier 1972. Je vais essayer de revenir sur l'époque exactement. Mon

3 frère aîné avait 30 ans, pas plus, et mon frère cadet 21 ans. Le frère

4 aîné était de 1963, donc à peu près 29/30 ans.

5 M. Kehoe (interprétation). - Vous dites que vous n'avez plus

6 revu vos frères après le 16 avril 1993. Est-ce que leur corps auraient été

7 retrouvés et récupérés par d'autres membres

8 de la famille ?

9 Mme Djidic (interprétation). - Non, nous ne les avons jamais

10 retrouvés. J'ai fait des enquêtes. J'ai essayé de trouver, mais je n'ai

11 jamais rien trouvé au sujet des corps. Simplement d'après les vêtements...

12 Quand ils ont compté les corps en bas, il y avait des listes. D'après les

13 vêtements, j'ai tiré cette conclusion. Mais nous n'avons jamais eu accès

14 aux cadavres.

15 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, comme déjà

16 prévu, je vous l'avais dit, nous avons reçu du témoin deux photographies

17 portant les cotes 144-1, la photo de Nedzad, et la 144-2, la photo du

18 frère Muharem. Nous aimerions que ces deux pièces soient versées au

19 dossier.

20 M. le Président. - Pas d'opposition de la part de la défense

21 pour le versement de ces pièces au dossier ?

22 M. Hayman (interprétation). - Je ne pense pas, Monsieur le

23 Président, mais il serait utile de les voir.

24 (L’Huissier remet les photographies à M. Hayman.)

25 Aucune objection.

Page 4340

1 M. le Président. - Bien. Ces pièces sont versées au dossier.

2 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président,

3 l'emplacement portant le n° 11 était en fait une maison qu'une femme,

4 dénommée Senada, était en train de faire construire.

5 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

6 M. Kehoe (interprétation). - Nous demanderons que la pièce 143/A

7 et la carte avec la légende 143/B soient versées au dossier.

8 M. le Président. - Pas d'observation ? Ces pièces sont donc

9 versées au dossier. C'est terminé, Monsieur le Procureur ?

10 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Je n'ai

11 plus de question à poser au témoin.

12 M. le Président - Bien, merci. Madame, vous allez maintenant

13 être interrogée, comme certainement le Procureur a dû vous le dire, par le

14 conseil du Général Blaskic, qui est accusé devant ce Tribunal. Me Nobilo

15 va vous interroger. Maître Nobilo, vous avez la parole.

16 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

17 Madame Djidic, comme vous l'avez entendu, je m'appelle

18 Anto Nobilo. Je suis le défenseur du Général Blaskic, avec mon confrère

19 Me Hayman. La défense a une ou deux questions à vous poser.

20 Vos frères, Muharem et Nedzad, étaient-ils membres de la Défense

21 territoriale et de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

22 Mme Djidic (interprétation). - Mes frères, non. L’un de mes

23 frères travaillait, l'autre non. Mon frère aîné travaillait à la gare

24 ferroviaire.

25 M. Nobilo (interprétation). - Mais était-il membre de la Défense

Page 4341

1 territoriale ou bien de l'armée de Bosnie-Herzégovine ?

2 Mme Djidic (interprétation). - Non.

3 M. Nobilo (interprétation). - Lorsqu'il s'est habillé, votre

4 frère est-il sorti en veste militaire ? Vous a-t-il demandé une veste

5 militaire ?

6 Mme Djidic (interprétation). - Non. Il m'a demandé de lui donner

7 des vêtements, un gilet. Mais il ne s'agissait pas d'un gilet militaire,

8 c'est un gilet que je peux porter ou que n'importe qui d'autre peut

9 porter.

10 M. Nobilo (interprétation). – Avez-vous dit aux enquêteurs du

11 Bureau du Procureur que Nedzad vous avait demandé de lui remettre sa veste

12 militaire ?

13 Mme Djidic (interprétation). - Non.

14 M. Nobilo (interprétation). – Merci. Je n'ai pas d'autre

15 question.

16 M. le Président. - Monsieur le Procureur, avez-vous des

17 questions complémentaires ?

18 M. Kehoe (interprétation). – Non, Monsieur le Président, je n'ai

19 pas d'autre question.

20 M. le Président. - Monsieur Riad, avez-vous des questions ?

21 M. Riad (interprétation). - Bon après-midi, Madame Djidic.

22 Mme Djidic (interprétation). - Bonjour.

23 M. Riad (interprétation). - Combien de temps avez-vous passé à

24 l'école de Dubravica ?

25 Mme Djidic (interprétation). - Du 18 au 22 mai et nous avons été

Page 4342

1 enregistrés par la Croix-Rouge le 1er°mai. Nous sommes arrivés le 18 et

2 nous sommes sortis le 22. La Croix-Rouge est arrivée, ils nous ont

3 enregistrés, ils nous ont recensés et nous ont apporté de la nourriture.

4 M. Riad (interprétation). - Comment avez-vous été traitée dans

5 ce camp ? Qu’était exactement ce camp ?

6 Mme Djidic (interprétation). - Pour nous, c'était horrible,

7 c'était des salles de classe, c'était une école. Il y avait un couloir et

8 nous étions logés dans les classes. Nous avions des lits, nous y avions

9 droit, c'est là que nous sommes restés, mais il ne s'agissait pas d'un

10 vrai camp, c'était une école.

11 M. Riad (interprétation). - Ce n'était pas vraiment comme une

12 prison.

13 Mme Djidic (interprétation). - Cela ressemblait à une prison,

14 mais il ne s'agissait pas vraiment d'une prison parce que c'était une

15 école. Cependant, il nous était impossible d'aller où que ce soit.

16 M. Riad (interprétation). - Pourquoi vous a-t-on emmenée dans

17 cette école ?

18 Mme Djidic (interprétation). – Je n'en ai aucune idée. Nous

19 attendions l’échange, soit-disant ils voulaient nous échanger. Ils ne

20 savaient pas où nous mettre. Leur armée était déjà là.

21 M. Riad (interprétation). - Votre maison a été incendiée, n'est-

22 ce pas ?

23 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

24 M. Riad (interprétation). – Avez-vous vu la personne qui a mis

25 le feu à votre maisons ? Des soldats, des gens du coin ? Qui a mis le feu

Page 4343

1 à votre maison ou aux maisons ?

2 Mme Djidic (interprétation). - Ils portaient des uniformes

3 militaires, c'était des soldats, mais quel genre de soldats, je n'ai pas

4 pu les reconnaître, je sais que c'était des soldats.

5 M. le Président. - Monsieur le Juge M. Shahabuddeen.

6 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous avez parlé du

7 café Pican, et vous avez également parlé d'un homme portant le nom de

8 Djidic, si je ne m'abuse. Vous nous avez dit que c'était un civil, vous en

9 souvenez-vous ?

10 Mme Djidic (interprétation). – Non, pas Djidic, Zilic.

11 M. Shahabuddeen (interprétation). - Excusez-moi, Madame, j'ai

12 mal prononcé, ce n’est pas Djidic, mais Zilic. C’est ma faute.

13 Connaissiez-vous M. Zilic avant ce jour-là ?

14 Mme Djidic (interprétation). - Oui. C’était un habitant de ce

15 village. Il avait un magasin, une boucherie. Il habitait là et c'est près

16 de là que nous attendions l'autobus. J'ai grandi là-bas, je le connaissais

17 très bien, c'était un voisin. Je ne peux rien dire. Mais comme il portait

18 des vêtements civils, on s'est adressé à lui pour qu'il nous aide. La

19 seule chose, c'est qu'il portait une arme, mais sinon il était gentil avec

20 nous.

21 M. Shahabuddeen (interprétation). - Avant, portait-il toujours

22 des vêtements civils ?

23 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

24 M. Shahabuddeen (interprétation). - Est-ce que certains de vos

25 voisins faisaient partie du HVO ?

Page 4344

1 Mme Djidic (interprétation). - Oui.

2 M. Shahabuddeen (interprétation). - Votre mémoire remonte-t-elle

3 à une époque

4 antérieure à la formation du HVO ?

5 Mme Djidic (interprétation). - En effet, tout a commencé en 1992

6 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous avez aussi assisté à la

7 mise en place des Vitezovi ?

8 Mme Djidic (interprétation). - Non. Je ne savais pas qu'ils

9 s'appelaient ainsi, mais moi cela m'était égal.

10 M. Shahabuddeen (interprétation). – Etait-ce la première fois

11 que vous voyiez les membres des Vitezovi ?

12 Mme Djidic (interprétation). - Pendant ce conflit, oui.

13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie, Madame.

14 M. le Président. - Merci, Madame. A présent, votre déposition

15 est terminée. Le Tribunal vous sait gré et vous remercie beaucoup d’être

16 venue, d'avoir fait ce lointain voyage. Il espère que vous allez retrouver

17 la paix et la sérénité à l'avenir.

18 Vous ne bougez pas, pour l’instant. Nous allons assurer votre

19 anonymat jusqu'au bout. Nous allons donc tirer les rideaux, ce qui fait

20 que personne ne verra votre visage.

21 (Les rideaux sont tirés.)

22 M. le Président. - Voilà, maintenant vous pouvez vous lever.

23 (Le témoin est reconduit hors de la salle par l'Huissier.)

24

25

Page 4345

1

2

3 M. le Président. – Madame Patterson, bonjour. Vous allez nous

4 présenter le témoin suivant. Nous maintenons le dispositif. Il s'agit

5 également d'un témoin protégé. Je suppose que vous en avez parlé à la

6 défense, Madame ?

7 Mme Patterson (interprétation). – Oui, c'est exact,

8 Monsieur le Président. Ce témoin a demandé les mêmes mesures de protection

9 que les témoins d'aujourd'hui, donc une déformation faciale. Mais le

10 témoin est tout à fait disposé à ce que son nom soit prononcé.

11 M. le Président. – Pouvez-vous nous présenter sommairement,

12 avant que le témoin n'entre, ce qu'il a vécu et ce que vous en attendez

13 dans le cadre de l'accusation que votre Bureau porte contre le

14 Général Blaskic ? De quel témoin s'agit-il, madame ou monsieur ?

15 Mme Patterson (interprétation). - Il s'agit d’Azra Dedic, c'est

16 une femme. Son témoignage va venir s'ajouter à celui que nous venons

17 d'entendre. En fait, le garage appartenait à la famille de Mme Dedic.

18 C'est là que ces personnes ont été détenues pendant une certaine période

19 dans la journée du 16 avril 1993.

20 Elle va décrire ce qui est advenu de sa famille et de certains

21 de ses voisins les plus proches ce jour-là. Elle pourra nous décrire les

22 endroits où se trouvaient les soldats du HVO. Elle parlera,

23 malheureusement, aussi de la mort de son mari, de son fils et de plusieurs

24 de ses voisins. Elle va décrire certains des incidents dont vient de

25 parler le témoin précédent. Elle pourra donc apporter un témoignage qui ne

Page 4346

1 sera pas répétitif, mais qui complètera le précédent. Je vais lui montrer

2 le diagramme que nous avons déjà utilisé.

3 Le témoin a amené des photographies ; j'ai un accord avec elle.

4 Je vais lui demander si elle veut que je montre les photos et si elle ne

5 souhaite pas les voir, je les présenterai comme l’a fait M. Kehoe.

6 M. le Président. - Merci beaucoup de ces renseignements. Nous

7 pouvons maintenant faire entrer Mme Azra Dedic. Vous avez prévu de

8 l'entendre pendant combien de temps ?

9 Mme Patterson (interprétation). – A peu près la même durée que

10 le témoignage, voire un peu plus longtemps, environ 1 heure, pas plus

11 d'1 heure 30<.

12 (Le témoin est introduit dans la salle.)

13 M. le Président. - Est-ce que vous m'entendez, Madame ?

14 Mme Dedic (interprétation). - Oui.

15 M. le Président. – Merci d’être venue, Madame. Vous allez nous

16 donner votre nom et votre prénom.

17 Mme Dedic (interprétation). - Je m'appelle Azra Dedic.

18 M. le Président. - Vous allez rester assise et lire la

19 déclaration sur le document que la personne à vos côtés va vous tendre.

20 Mme Dedic (interprétation). - Je déclare solennellement que je

21 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

22 M. le Président. - Merci. Après quelques questions que va vous

23 poser Mme le Procureur, vous allez nous faire le récit de ce que vous avez

24 vécu, comme vous avez envie de le dire et avec vos mots. Ensuite, le

25 Procureur vous posera vraisemblablement quelques questions pour compléter,

Page 4347

1 pour préciser certains points qui lui sont utiles dans le cas de

2 l'accusation portée contre le Général Blaskic, ici présent. Bien entendu,

3 le Général Blaskic qui est accusé, a des avocats. Eux-mêmes pourront vous

4 poser des questions. Les Juges également pourront vous poser des

5 questions.

6 Madame Patterson, vous commencez par quelques questions

7 préalables. Ensuite, nous donnerons la parole à Mme Azra Dedic.

8 Mme Patterson (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

9 Madame Dedic, habitiez-vous au village de Santici en Bosnie-Herzégovine en

10 avril 1993 ?

11 Mme Dedic (interprétation). - Oui, en effet.

12 Mme Patterson (interprétation). - Vous y aviez vécu depuis

13 combien de temps à

14 cette époque ?

15 Mme Dedic (interprétation). - Vingt quatre ans.

16 Mme Patterson (interprétation). - Pourriez-vous dire aux Juges

17 qui habitait dans votre maison en avril 1993 ? Quels étaient les membres

18 de votre famille qui y résidaient avec vous ?

19 Mme Dedic (interprétation). - J'y ai vécu avec mon mari et mes

20 deux fils. Ensuite, quand mon fils aîné s'est marié, il est parti vivre

21 dans une autre maison où il a vécu pendant sept mois avec sa femme et son

22 bébé de six mois.

23 Mme Patterson (interprétation). - Pourriez-vous nous donner le

24 nom de votre mari et les noms de vos deux fils ?

25 Mme Dedic (interprétation). - Mon mari s'appelait Mustafa Dedic,

Page 4348

1 mon fils aîné Fariz Dedic et mon fils cadet Haris Dedic.

2 Mme Patterson (interprétation). - Votre mari avait-il aussi un

3 surnom ou une forme plus écourtée, abrégée ?

4 Mme Dedic (interprétation). - Oui, son prénom était Mustafa et

5 son surnom était Mujo ; tout le monde, tous les voisins, l'appelaient

6 Mujo.

7 Mme Patterson (interprétation). - Quel âge avaient vos deux fils

8 en avril 1993 ?

9 Mme Dedic (interprétation). - Mon Fariz aurait eu 23 ans trois

10 jours plus tard, et mon fils cadet avait six ans et demi de moins. Il

11 faudrait calculer ! L'autre avait 23 ans, donc le fils cadet était donc

12 mineur.

13 Mme Patterson (interprétation). - Vous êtes musulmane, les

14 membres de votre famille aussi ?

15 Mme Dedic (interprétation). - Oui.

16 Mme Patterson (interprétation). - Au cours des mois qui ont

17 précédé le 16 avril 1993, est-ce que votre mari ou l'un de vos fils se

18 trouvait dans l'armée ou dans la

19 Défense territoriale ?

20 Mme Dedic (interprétation). - Mon fils Fariz était dans la

21 Défense territoriale et mon mari avait une obligation de travail. Il

22 travaillait dans la Cumaria de Vitez.

23 Mme Patterson (interprétation). - En d'autres termes, vous

24 voulez dire que plutôt que de travailler pour l'armée ou pour la Défense

25 territoriale, votre mari devait aller travailler tous les jours ?

Page 4349

1 Mme Dedic (interprétation). - Oui, c'est cela.

2 Mme Patterson (interprétation). - Très bien. Je vais vous

3 demander d'expliquer aux Juges ce qui vous est arrivé à vous et à votre

4 famille le 16 avril 1993.

5 Mais auparavant, je demanderai à Monsieur l'Huissier de vous

6 présenter une pièce pré-enregistrée sous la cote 145, c'est une

7 photographie aérienne et de la placer sur le rétroprojecteur.

8 (La pièce est placée sur le rétroprojecteur.)

9 Mme Dedic (interprétation). - C'est la route principale qui

10 relie Vitez à Sarajevo. Nous avons vécu à droite par rapport à Vitez. Par

11 rapport à Busovaca, nous étions à gauche. Par rapport à Vitez, nous étions

12 donc à droite. Ce qui est indiqué par la lettre D c’est la maison de ma

13 soeur Semra Ribo. Ce qui est marqué par la lettre B c’est la maison de mon

14 fils Fariz, et la lettre A c’est ma maison.

15 Mme Patterson (interprétation). - Permettez-moi de vous

16 interrompre. La maison de votre fils porte-t-elle la lettre D ou B ?

17 Mme Dedic (interprétation). - La lettre B. Ma maison porte la

18 lettre A. E c'est le garage devant ma maison. Ce qui est marqué par C

19 c’est la maison d'Islam Ahmic et D c’est la maison de Sefik Ahmic, le

20 frère d'Islam.

21 Mme Patterson (interprétation). - Excusez-moi de vous

22 interrompre une fois de plus. La lettre D indique-t-elle la maison de

23 votre soeur ou celle de Sefik ?

24 Mme Dedic (interprétation). - D c’est la maison de ma soeur et

25 le n° 2 est la maison de Sefik. Je m'excuse, je viens de m'en apercevoir.

Page 4350

1 Mme Patterson (interprétation). - Poursuivez.

2 Mme Dedic (interprétation). - Ce matin-là, le 16 avril, étant

3 donné que mon mari avait l'obligation de travailler, il s'est acheminé

4 pour prendre l'autobus à Rijeka comme tous les jours. Comme l'autobus

5 partait vers 5 heures, 5 heures 30, il se préparait à sortir, il était

6 dans le couloir quand nous avons entendu une forte détonation. Il a crié :

7 "Azra, c'est fini ! Réveille Haris. On va tous passer chez Fariz.". Moi,

8 je suis allée dans la chambre à coucher et j'ai réveillé Haris pour qu'on

9 aille ensemble chez Fariz. A ce moment là...

10 Mme Patterson (interprétation). - Excusez-moi de vous

11 interrompre, Madame Dedic. Je sais que vous êtes très nerveuse et je le

12 comprends, mais vous parlez avec un débit très rapide. N'hésitez-pas à

13 ralentir un peu pour penser aux interprètes.

14 M. le Président. - Merci, Madame Patterson.

15 Mme Dedic (interprétation). - D'accord, je ferai attention.

16 Pendant que j'allais de ma maison vers la maison de mon fils, j'avais déjà

17 perdu mon mari de vue. Il était déjà entré quelque part. Moi, en allant

18 vers cette maison, j'ai vu Islam Ahmic sur son balcon. Il m'a demandé :

19 "Où est ton mari ?". J'ai répondu : "Il est entré dans la maison de

20 Fariz". Il m'a alors dit : "Azra, il y a des coups de feu. On m'a touché,

21 on m'a atteint. Azra, entre dans la maison.". Je suis entrée dans la

22 maison de mon fils, mon autre fils Haris est entré derrière moi. Entre-

23 temps, mon mari regardait de temps en temps par la fenêtre de la cuisine.

24 Il regardait vers la route principale qui se trouvait devant la maison. En

25 même temps, il a crié : "Il y a une femme qui arrive, Azra, et je ne la

Page 4351

1 connais pas.". Il continuait à regarder un peu par la fenêtre et il a

2 dit : "Il y a des coups de feu".

3 En effet, il y avait des coups de feu de tous les côtés. Il a

4 dit, à moi, à ma petite-fille et à ma belle-fille qu'il fallait qu'on se

5 réfugie derrière l'escalier, dans une sorte de cave. Entre-

6 temps, Hariza Pezer est entrée elle aussi. Mon mari ne la

7 connaissait pas, mais elle était à la porte ; elle a crié : "Ne sortez

8 pas, il y a des coups de feu partout. J'arrive de la maison de Pezer,

9 notre maison a brûlé et tous les membres de notre famille ont été tués.".

10 Il y avait effectivement des coups de feu partout et elle s’est assise.

11 Mon fils a dit : "Est-ce qu’ils cherchent les armes ?. Elle a dit : "Oui,

12 ils les cherchent". Mon fils avait un pistolet, il l’avait d’office du

13 fait de son métier de forestier, il lui a montré et elle lui a dit : "Il

14 faut cacher cela, sinon ils vont te tuer ".

15 A ce moment là, quelqu'un a crié : "Patron !". Mon mari est

16 sorti et j’ai réussi à sortir derrière lui. J’ai pu voir le jeune homme,

17 il avait les cheveux bruns et un uniforme de camouflage, il portait un

18 fusil. Mon mari a dit : "Mais qu'est-ce que c'est que cela ? Vous savez ce

19 qui s'est passé à Zenica ?", et l’autre a dit : «Je ne sais pas, je fais

20 mon travail, je ne sais pas ce qui s’est passé ailleurs.».

21 Moi, je regardais devant moi. Je pouvais bien voir jusqu'à la

22 maison de ma soeur. Il y avait une colonne de soldats qui s'approchait. Ce

23 soldat qui était à côté de moi m'a regardée. Moi, j'étais à côté de mon

24 mari et il m'a dit : "C'est quoi ça en bas ?". Moi, j'ai dit : "C'est le

25 garage". Il m'a dit : "Avez-vous la clef ?". J’ai dit : «Oui, elle est à

Page 4352

1 la maison ». Il m’a dit : «Allez-y, prenez la clef.". Je suis allée à la

2 maison, j'ai pris la clef, j'ai ouvert le garage. Mon mari continuait à

3 parler avec ce jeune homme aux cheveux bruns. Je ne sais pas de quoi ils

4 parlaient.

5 Mme Patterson (interprétation). - Excusez-moi de vous

6 interrompre. Essayez de ralentir un peu, Madame Dedic. Je sais que vous

7 êtes très émue, mais il est important que nous entendions bien votre

8 récit. Essayez de parler avec le plus de clarté possible.

9 Mme Dedic (interprétation). - J'ai ouvert la porte du garage, je

10 suis rentrée. J'étais devant la maison de mon fils. Au moment où je suis

11 revenue du garage, je suis repassée par ma maison, je suis allée dans ma

12 maison, j'ai vu mon mari qui amenait Mecika, donc sa femme, et sa

13 petite-fille dans le garage. Je suis restée dans la maison

14 pendant un moment, pendant dix ou quinze minutes, et j'ai entendu la voix

15 de mon fils Haris disant : "Maman, maman, sors ! Ils vont te tuer". Je

16 suis sortie et déjà il y avait d'autres gens qui arrivaient, qui venaient

17 vers ma cour. Ils arrivaient près de mon garage, j’ai vu Mehemed par

18 exemple. Il y en avait qui étaient déjà dans le garage, certains sont

19 entrés dans le garage juste avant moi et j'étais la dernière.

20 Au moment où nous sommes tous entrés dans le garage, nous y

21 étions tous, mon mari est resté devant la maison de mon fils. Il

22 continuait à parler avec le jeune homme aux cheveux bruns. Quand je suis

23 entrée dans le garage j'ai pu voir beaucoup de soldats qui traversaient la

24 cour d'Islam. Les enfants d'Islam sont arrivés eux aussi, j'ai pu voir

25 Islam également. Pendant ce temps, un soldat marchait devant le garage. On

Page 4353

1 avait l'impression qu'il nous gardait. Il déployait des gens dans le

2 garage. Quand nous sommes tous entrés dans le garage, un autre soldat a

3 dit à un autre : "Ferme la porte à clef et, si quelqu'un crie,

4 massacre !". Nous sommes restés là, la porte fermée à clef et, peut-être

5 une minute ou cinq minutes plus tard, nous avons entendu des rafales.

6 Ensuite, il y a eu un silence qui a duré peut-être dix minutes, peut-être

7 quinze. Nous avons ensuite entendu une voix.

8 Depuis le garage nous ne pouvions pas tout voir, seulement la

9 route principale où passait Meho et Ado Hrnjic, et derrière eux il y avait

10 sa femme et son fils Haris. Nous pouvions voir un morceau de la route

11 principale à une distance de cinquante mètres par rapport à ce garage et

12 derrière eux il y avait quatre soldats. Quand ils sont arrivés près de

13 notre maison quelqu'un a dit à Mejo : "Reste-là !". Il est resté et un

14 soldat est resté à côté de lui. Un autre soldat escortait Ado, Haris et

15 Samija. Quand il est venu, nous avons donc ouvert la porte, Samija et

16 Haris son entrés. Ado était sur le point d'entrer, le soldat, qui était

17 derrière lui, lui a dit : "Toi aussi, rentre". Lui aussi est rentré et il

18 a repris le chemin vers la route principale. Son père était toujours près

19 de la maison de Fariz, pas vraiment sur la route, mais tous près de celle-

20 ci, un peu à droite par rapport à la maison de Fariz. C'est alors qu’Ado

21 est arrivé. Il s'est mis à

22 côté de son père. Les deux soldats qui étaient derrière leur ont

23 tiré dans le dos. Ils sont tombés. Peut-être une ou deux minutes plus

24 tard, leurs cheveux se sont raidis l'espace d'un instant, le silence a

25 régné de nouveau. Nous étions une trentaine de femmes dans le garage. Nous

Page 4354

1 avons été là jusqu'à à peu près 3 h 30, 4 heures. Je ne sais pas, nous

2 n’avions pas de montre. Il y avait des femmes et des enfants.

3 Après, nous avons vu trois de nos voisins qui ont pris la même

4 route. Je les connaissais bien. L'un d'entre eux s'appelait Srebreni, un

5 autre Draze, je le connaissais bien. Je pense que le nom de l'autre était

6 Zoran. Il était assez fort. S'ils portaient les uniformes, je ne peux pas

7 vous le dire, mais ils passaient par là. Ils ont vu Ado et Mujo qui

8 gisaient par terre. Ils sont arrivés jusque devant ma maison. Ils buvaient

9 quelque chose, je ne sais pas de quoi il s'agissait, mais ils buvaient

10 quelque chose. Nous avons crié depuis le garage. Il y avait Djula Djidic

11 parmi nous qui les connaissaient un peu mieux. On a crié, surtout elle :

12 "Zoran, Zoran, viens. Laisses-nous sortir". Ils sont venus et ont ouvert

13 la porte. Nous sommes sortis dans la cour. Il y en a qui buvaient de

14 l'eau, d’autres qui avaient quelque chose dans leur sac, alors ils ont

15 mangé quelque chose. Moi, je suis allée dans l’étable pour traire la

16 vache.

17 Pendant ce temps, l’un d’entre eux est passé par la cour. Il est

18 allé dans la maison de ma soeur et il a dit : "Vous n'êtes pas en sécurité

19 là-bas". Le premier étage de cette maison avait brûlé, mais le rez-de-

20 chaussée était resté entier. Il y avait une maison d'été, une cuisine

21 d'été, nous sommes allés là-bas.

22 Mme Patterson (interprétation). - Puis-je vous interrompre un

23 instant ?

24 M. le Président. – Nous pourrions peut-être faire une pause qui

25 permettrait au témoin de se reposer et également à nos interprètes, sauf

Page 4355

1 si votre question est courte, Madame Patterson, sinon nous pouvons faire

2 la pause maintenant.

3 Mme Patterson (interprétation). - Je crois que c'est le moment

4 idéal pour faire une petite pause.

5 M. le Président. - Nous reprendrons à 16 heures 35.

6 L'audience, suspendue à 16 heures 20, est reprise à 16 heures 35.

7 M. le Président - L'audience est reprise.

8 (Le témoin est déjà installé dans le prétoire.)

9 Faites entrer l'accusé.

10 (L'accusé est introduit dans la salle.)

11 Maître Patterson, allez-y.

12 Mme Patterson (interprétation). - Madame Dedic, je vais

13 maintenant vous poser quelques questions pour éclairer certaines des

14 réponses que vous avez faites aux Juges. Vous avez dit que lorsque vous

15 êtes sortie de votre maison pour vous rendre dans la maison de votre

16 fils Fariz, vous avez eu une courte conversation avec Ismael Ahmic, vous

17 rappelez-vous cela ?

18 Mme Dedic (interprétation). - Oui. On s'est vu l'un l'autre

19 l'espace d'un instant, il a dit simplement : "Où est Mujo, Mustafa ?".

20 J'ai dit : "Il est entré dans la maison de Fariz". Il était sur le balcon,

21 il m'a dit : "Azra fuis dans la maison ! Parce que moi on m'a déjà atteint

22 par balle". Effectivement, j'ai pu voir qu'il a fait un geste sur ce

23 balcon. Et ensuite il est entré dans la maison.

24 Mme Patterson (interprétation). - Avez-vous vu Ismael Ahmic se

25 faire tirer dessus et se faire tuer ?

Page 4356

1 Mme Dedic (interprétation). - Non. Je n'ai pas vu le moment où

2 il a été atteint, mais il a réussi à me le dire avant de rentrer dans sa

3 maison. Moi, j'étais en bas, il était sur un balcon. J'étais devant

4 l'entrée de mon fils et il m'a dit : "Où est Mujo ?". J'ai répondu : "Il

5 est rentré là-bas ". Il a réussi à me dire : "Moi aussi, on a réussi à

6 m'atteindre par balle, fuis toi aussi dans la maison". Et ensuite, je ne

7 l'ai plus revu.

8 Mme Patterson (interprétation). - Avez-vous été informée plus

9 tard qu'Ismael Ahmic avait été tué par ce coup de feu ?

10 Mme Dedic (interprétation). - Non. Quand on sortait déjà de la

11 maison, moi je voulais entrer dans le garage. Mon fils m'a appelée.

12 C'était après, quand j'avais quitté ma maison, peut-être une minute ou

13 deux plus tard, Islam Ahmic était debout, au sol, lui, sa mère, ces deux

14 fils Amir et Izra. Ils étaient à côté d'un pilier. Et à côté d'eux, j'ai

15 vu un soldat. Il était là près d'eux. J'ai continué mon chemin vers le

16 garage et eux aussi y sont entrés, lui et sa femme. Mais, Islam est resté

17 debout près de ce pilier, je l'ai vu, il était là, il est resté encore là-

18 bas.

19 Mme Patterson (interprétation). - Vous avez aussi déclaré qu'à

20 un certain moment, alors que vous étiez sortie de votre maison, vous avez

21 vu un certain nombre de soldats dans le champ voisin. Vous rappelez-vous

22 combien de soldats vous avez vu dans ce champ ?

23 Mme Dedic (interprétation). - Je ne sais pas exactement. Je n'ai

24 pas vraiment compté. Ils se déployaient, il y en a qui étaient déjà

25 arrivés dans la cour d'Islam. Ils jetaient certaines affaires dans cette

Page 4357

1 cour. L'autre était là et parlait avec mon mari. Mais quant à leur nombre,

2 je ne peux pas vous dire. Ils arrivaient, un certain nombre était déjà là

3 et d'autres arrivaient.

4 Mme Patterson (interprétation). - Lorsque vous avez vu ces

5 soldats dans le champ, pouvez-vous estimer leur nombre à cinq, c'est-à-

6 dire assez peu, à cinquante ou bien bien n'avez-vous aucune idée du

7 nombre ?

8 Mme Dedic (interprétation). - Je ne sais pas, probablement j’ai

9 pu en voir une dizaine parce que j'ai pu voir seulement un morceau limité.

10 Mon champ de vision était limité, j'ai donc vu une dizaine de personnes

11 peut-être.

12 Mme Patterson (interprétation). - J'aimerais attirer votre

13 attention sur l'agrandissement de la photo, pièce à conviction n° 145.

14 Est-ce que vous voyez les croix et les cercles inscrits sur cette pièce à

15 conviction ? Les x, les croix, montrent-ils l'emplacement des

16 soldats dans le champ ?

17 Mme Dedic (interprétation). - Je les ai vus quand ils

18 s'approchaient. Ils étaient encore plus près de chez nous. Ils venaient de

19 cette direction vers nous. Ils passaient à côté de la maison de ma soeur,

20 ensuite ils passaient à côté du garage d'Islam. Pendant qu'ils

21 s'approchaient de ma maison, à ce moment-là j'ai vu que la maison de

22 Sefik, le frère d'Islam, était en feu. Donc, eux, ils arrivaient.

23 Mme Patterson (interprétation). - Est-ce que vous avez pu voir,

24 si ces soldats portaient des uniformes et, si oui, pouvez-vous les

25 décrire ?

Page 4358

1 Mme Dedic (interprétation). - Oui. Leurs uniformes étaient des

2 uniformes de camouflage ou des uniformes noirs. Certains avaient des

3 chaussettes sur leur visage, alors que d'autres avaient le visage

4 découvert. Il y en qui avaient des couleurs sur le visage.

5 Mme Patterson (interprétation). - Lorsque vous les avez vus,

6 étaient-ils suffisamment près de vous pour que vous puissiez voir s'ils

7 avaient des emblèmes ou des écussons sur leur uniforme ?

8 Mme Dedic (interprétation). - Pas vraiment. J'ai peut-être pu

9 voir certains insignes. C'étaient les insignes du HVO. C'étaient les mêmes

10 que ceux que portaient certains de nos voisins. C'est pour cela que je les

11 connaissais déjà. C'était écrit HVO, j'ai l'impression que la couleur

12 autour était plutôt jaune.

13 Mme Patterson (interprétation). - Je prie Monsieur Dubuisson de

14 montrer au témoin la pièce à conviction 100/2, déjà versée au dossier ?

15 Peut-on la mettre sur le rétroprojecteur ?

16 Est-ce que c'est l'écusson que vous avez vu porté par ces

17 soldats ? Et, si ce n'est pas le cas, pouvez-vous nous dire quelle

18 différence il y a avec celui que vous avez vu ?

19 Mme Dedic (interprétation). - La différence, je ne sais pas, je

20 ne connais pas. Je reconnais les lettres HVO, le drapeau à damiers, mais

21 je ne sais pas exactement dans quel sens

22 c'était tourné. Je n'ai jamais regardé cela très attentivement.

23 Mais cela ressemble à ce que j'avais vu.

24 Mme Patterson (interprétation). - Merci. Je demande maintenant

25 que la photo aérienne soit remise sur le rétroprojecteur.

Page 4359

1 Madame Dedic, vous avez dit que des soldats sont arrivés dans la

2 maison où vous vous trouviez avec votre mari et vos fils et que ces

3 soldats ont eu une conversation avec votre mari. Le soldat qui a eu la

4 conversation avec votre mari, pouvez-vous nous dire ce qu'il avait sur

5 lui ?

6 Mme Dedic (interprétation). - Ce soldat, je ne pouvais pas voir

7 ce qu'il portait comme vêtements. Je ne pouvais pas voir, il y avait une

8 planche à côté de cette maison. Il y avait des morceaux de bois qui

9 bloquaient ma vue. Je pouvais voir seulement la route principale et je ne

10 pouvais plus voir ce qu'il faisait devant la maison de mon fils.

11 Mme Patterson (interprétation). - Madame Dedic, peut-être

12 n'avez-vous pas bien compris de quel moment je parlais. Vous avez déclaré

13 qu'à un moment vous vous trouviez à l'intérieur de votre maison et que des

14 soldats y étaient venus. Vous avez aussi déclaré qu'un soldat a dit à

15 votre mari de sortir et que vous avez vu que celui-ci avait une

16 conversation avec votre mari. C'est de ce moment-là que je parle. Est-ce

17 que vous avez pu voir quel uniforme portait ce soldat à ce moment-là ?

18 Mme Dedic (interprétation). - Oui, d'accord. Je n'ai pas regardé

19 attentivement. Je n'ai pas pu voir, il m'a dit : "Donne-moi la clef, ouvre

20 la porte !". J'ai dû quitter cette maison, rentrer dans ma maison, prendre

21 la clef. Donc, je n'ai pas vraiment regardé. J'ai simplement vu les autres

22 qui passaient et qui s'approchaient de nous. Mais ceux qui étaient devant

23 la maison je ne les regardais pas.

24 Mme Patterson (interprétation). - Vous avez déclaré que votre

25 mari et votre fils avaient un revolver dans la maison ce jour-là, est-ce

Page 4360

1 exact ?

2 Mme Dedic (interprétation). - Oui. Mon mari avait un pistolet

3 depuis vingt ans. Il avait ce revolver, il l'avait acheté, il avait un

4 permis pour lui. Alors que mon fils était un forestier et il avait acheté

5 une maison. A ce moment-là, on a volé le revolver de mon mari. Le seul

6 revolver qui est resté était celui de mon fils. Le HVO avait pris le

7 revolver de mon fils. Peu de temps après, ils nous l’ont rendu. La même

8 chose est arrivée à nos voisins.

9 Nous avions aussi un fusil. Quelqu'un a trouvé des morceaux avec

10 lesquels nous avons construit une arme. Mon fils était intéressé dès son

11 enfance. Déjà, quand il était enfant, il s'intéressait au tir, ça

12 l'amusait. Un homme est arrivé pendant que mon fils tirait en l'air. Cet

13 homme a dit : "Qui a tiré ?" et mon mari a dit : "Fariz", et nous avons

14 gardé cette arme pendant une nuit. Plus tard, des voisins croates ont

15 apporté avec eux cette arme, mais je ne connais pas leur nom. Je les

16 connaissais depuis cinq ans, mais je ne sais pas exactement quel était

17 leur nom. Ils ont pris ce fusil et ils ne l'ont jamais rendu. Ils l'ont

18 pris !

19 Après, il y a eu une explosion dans une caserne. Peut-être en

20 avez-vous entendu parler ?

21 Mme Patterson (interprétation). - Madame Dedic, vous n'avez pas

22 besoin d'entrer dans tous les détails au sujet de ce fusil. Mais ce que je

23 voudrais savoir, c'est si votre fils avait encore son fusil à la maison,

24 le matin du 16 avril ?

25 Mme Dedic (interprétation). - Non, cela peut être confirmé. Non,

Page 4361

1 parce que ces voisins ont pris l'arme auparavant. Je ne connais pas leur

2 nom maintenant, je connaissais les deux frères, ils sont venus et ont pris

3 l'arme.

4 Mme Patterson (interprétation). - Très bien. Vous avez déclaré

5 néanmoins que votre fils Fariz avait un revolver. A-t-il donné ce revolver

6 aux soldats lorsqu'ils sont arrivés dans votre maison ?

7 Mme Dedic (interprétation). - Oui, Hadisa est arrivée à la

8 porte. Il avait le revolver dans sa main. Il a posé la question à Hadisa :

9 "Cherchent-ils des armes ?" et elle a dit : "Que tu

10 le rendes ou pas ils vont de tuer". Mon fils l'a rendu tout de

11 suite, mais ils l'ont quand même tué. C'était une sorte de passe-temps

12 pour lui. Plusieurs personnes avaient des revolvers comme ça, mais il

13 avait un permis, et vous pouvez le vérifier.

14 Mme Patterson (interprétation). - Est-ce qu'à un moment de cette

15 journée du 16 avril vous avez vu votre mari ou votre fils utiliser ce

16 revolver pour tirer sur l'un des soldats qui s'approchait de votre

17 maison ?

18 Mme Dedic (interprétation). - Non. Ils n'essayaient pas de le

19 faire. Là où nous avons vécu, il n'y a rien autour. Le père et le fils

20 tirer, c'était impossible ! Ils ont donc rendu l'arme tout de suite à cet

21 homme qui est arrivé en premier. Mais je ne sais pas ce qu'il a fait avec

22 cette arme par la suite.

23 Mme Patterson (interprétation). - Je crois aussi que vous avez

24 dit que vous étiez allé déverrouiller le garage et, qu’en vous dirigeant

25 vers le garage, vous avez vu les soldats qui emmenaient avec eux votre

Page 4362

1 fils, Fadil ? Est-ce exact ?

2 Mme Dedic (interprétation). - Fariz. Le fils aîné est Fariz et

3 le fils cadet est Fadil. Fariz était marié depuis un an et demi, il avait

4 un bébé de 6 mois. Le soldat l'a escorté avec l'arme tournée vers son dos,

5 derrière le garage, vers la maison de Munib. Il connaissait déjà Munib. Il

6 s'est approché devant la maison près de mon mari, alors que sa femme et

7 ses enfants sont entrés dans le garage. Tout cela s'est passé très

8 rapidement. Quand Munib y est arrivé, le soldat est arrivé jusqu'à

9 Adem Siljak en disant : "Viens ! Sors, sors. Les soldats te cherchent ,ils

10 ne vont rien te faire. Viens dans le garage, le père et Munib y sont déjà,

11 là-bas devant la maison.". Il a poursuivi son chemin jusqu'à la maison de

12 Nesib Ahmic. Ils ont donc fait venir sa femme, celle de Nesib, sa fille et

13 son fils Elvedin, alors que Nesib était parti quelque part, et l'autre

14 fils Dzevad, aussi.

15 Mme Patterson (interprétation). - Madame Dedic, permettez-moi de

16 vous interrompre un instant. Serait-il exact de dire que vous avez appris

17 que votre fils Fariz, après

18 être allé dans le garage, est pratiquement allé dans toutes les

19 maisons de vos voisins et de votre famille pour demander aux hommes de

20 sortir, est-ce exact ? Est-ce bien ce qui s'est passé ?

21 Mme Dedic (interprétation). - Oui. Nous étions dans le garage et

22 ma belle-fille Adka est arrivée dans le garage, elle était blessée. Fariz

23 la fait venir elle aussi jusque-là. La belle-fille Adka, pendant qu'elle

24 entrait dans le garage, a dit : "Mon frère Solak, Adil et un troisième

25 étaient devant le garage, ils ont traversé le champ et sont allés vers la

Page 4363

1 cour d'Islam". Puis, des soldats les ont appelés. Donc, ils y sont allés.

2 Ensuite, nous ne les avons plus vus ni devant cette maison-là, ni devant

3 celle de mon fils.

4 Mme Patterson (interprétation). - Madame Dedic, avez-vous appris

5 que votre fils Fariz avait été tué ce jour là ?

6 Mme Dedic (interprétation). - Nous étions déjà conscients qu'ils

7 avaient été tués. Nous avons entendu des rafales et ensuite, il y a eu un

8 grand silence. Quand je disais tout à l'heure, quand Mme Ahmic est entrée

9 dans le garage elle a dit : "Toutes les maisons sont en feu et tous vos

10 hommes ont été tués devant la maison de Fariz". Ils ont vu ça, quand ils

11 s'approchaient du garage. Alors Samir Ahmic et le petit Fariz ont dit :

12 "Munib gise par terre, mort, et Mujo est allongé sur son dos". Les femmes

13 se sont retournées. Moi je ne l'ai pas fait, mais j'ai pu voir un morceau

14 de jambes de mon mari. Il avait des pantoufles et j'ai pu voir des

15 pantoufles. Je ne voulais pas voir cela. Je ne le supportais pas. Mais,

16 j'ai vu que c'était mon mari et qu'il était mort. J’ai pu le reconnaître à

17 cause de ces pantoufles qu'il portaient souvent à la maison.

18 Mme Patterson (interprétation). - Serait-il exact de dire que

19 votre fils Fariz et votre mari Mustafa ont été tués tous les deux le

20 16 avril 1993, est-ce exact ?

21 Mme Dedic (interprétation). - C'est exact. Ils ont été tués.

22 J'ai vu la jambe de mon mari, je l'ai vu mort ce jour-là. Pendant qu'on

23 ramassait les cadavres à Ahmici, je ne sais pas qui

24 le faisait, je crois que c'était peut-être la Forpronu, mon

25 frère, son nom est Adem Siljak, c'est comme cela qu'il a été enregistré.

Page 4364

1 Mon fils a été enregistré comme Amil Ahmic, le fils d'Islam.

2 Mais quand ils ont vu ce nom-là, ils se sont dit que c'était

3 quand même probablement mon fils à moi, Fariz. Un homme pouvait

4 reconnaître les hommes de Stari Vitez. Son chef était Islam, il portait

5 souvent des chaussures jaunes et une veste. Il a reconnu Islam d'après

6 cette veste et ces chaussures. Il s'est donc dit que c'était Ahmic Islam.

7 Mon fils a été trouvé dans la cour d'Islam lui aussi. Tout le monde a

8 pensé que c'était Amil Ahmic, mais lui il a survécu, il est sorti avec

9 nous, il était vivant. Un jour, sa mère l'a enlevé de la liste des morts

10 parce qu'il devait faire son service militaire. Après, il a quand même pu

11 faire son service militaire.

12 Mme Patterson (interprétation). - Pour être sûre que les Juges

13 comprennent bien, pensez-vous que votre fils Fariz et votre mari sont tous

14 les deux enterrés dans le cimetière de Stari Vitez ?

15 Mme Dedic (interprétation). - Oui; tout à fait. A celui qui

16 ramassait les cadavres, nous avons demandé ce qu'avait sur lui Amil Ahmic.

17 Il a répondu qu'il avait une veste en cuir et des bottes en cuir. On lui a

18 posé des questions sur le pull. Il a dit : "En ce qui concerne le pull et

19 la tête, je ne peux pas vous dire, mais il avait certainement une veste en

20 denim."

21 Mme Patterson (interprétation). - Vous avez dit aussi que

22 plusieurs personnes ont été tuées. Ecoutez ma question : en plus de Ado et

23 de Meho, de votre mari et de votre fils, combien d'autres hommes ont-ils

24 étés tué ce matin là près de votre maison et de votre garage ? Ne me

25 donnez pas de détails ; je demande simplement le nombre d'hommes tués et

Page 4365

1 leurs noms, si c'est possible.

2 Mme Dedic (interprétation). - Tout à fait. Ado et Meho gisaient

3 peut-être à une dizaine ou une vingtaine de mètres par rapport à mon mari,

4 et Munib. Ado et Meho ont été tués

5 un peu plus loin. Mon Mujo et mon beau-fils Munib Ribo ont été

6 tués un peu plus près de la maison, parce qu'il y avait la planche dont je

7 vous ai parlée. C'était plutôt à côté de la maison, ce n'était pas

8 vraiment au milieu de la cour, mais plutôt près de cette planche, là où il

9 y avait des morceaux de bois entassés.

10 Mme Patterson (interprétation). - Savez-vous si ce sont neuf

11 hommes qui ont été tués près de chez vous ce jour là ?

12 Mme Dedic (interprétation). - Il faut que je fasse les comptes,

13 Ahmic, Anic, Meho, Munib, Mustafa, Elvedin, Islam, mon fils, Siljak Aden,

14 mon frère ; cela fait huit. Et on a compté Sefik Ahmic comme le neuvième,

15 qui a été tué à une distance de cent à deux cents mètres par rapport aux

16 autres, dans une autre partie du champ.

17 Mme Patterson (interprétation). - Je vous remercie, Madame. Le

18 même jour du 16 avril qu'est il advenu à votre maison ? A-t-elle été

19 endommagée et y avez-vous assisté ?

20 Mme Dedic (interprétation). - Quand nous étions encore dans le

21 garage, toutes les maisons ont été incendiées. On les appelle "vieilles

22 maisons", "nouvelles maisons", la maison de mon fils était la nouvelle

23 maison. J'ai vu deux soldats s'approcher. Ils avaient des casques sur leur

24 tête et portaient une sorte de carburant dans des jerricans. Ils sont

25 entrés dans ma maison qui ne brûlait pas encore alors que toutes les

Page 4366

1 autres brûlaient à ce moment-là. Ils ont passé une dizaine de minutes à

2 l'intérieur de la maison, elle a été incendiée alors qu'ils reprenaient la

3 route principale Zenica/Vitez, que l'on appelle ainsi.

4 Mme Patterson (interprétation). - Je vous remercie, Madame.

5 Veuillez poursuivre votre récit et dire aux Juges ce qui s'est passé après

6 que vous ayez quitté le garage et que vous soyez partie vers une maison

7 avoisinante ?

8 Mme Dedic (interprétation). - Oui, je peux le faire. Nous sommes

9 restés dans le garage jusqu'à 4 heures. Ensuite, on a formé une colonne et

10 on est allé dans la maison d'été de Nesib. Le premier étage était incendié

11 mais pas le rez-de-chaussée. Là, Draze, Srebreni et Zoran

12 dont j'ai parlés nous y ont amenés. Nous avons passé la nuit là-

13 bas jusqu'à 7 heures du matin. Le matin, étant donné que Andjelko, Ivan et

14 le fils de Mirko, je ne connais pas son prénom, étaient là, on a vu leurs

15 femmes qui marchaient.

16 Il y avait des maisons à une distance de dix ou vingt mètres. On

17 les a appelées par leurs noms : "Seka, Nevenka, venez ici". Elles sont

18 venues dans ce garage. Quand elles ont vu tout cela, elles ont demandé :

19 "Que s'est-il passé ?". Elles nous ont dit : "On va peut-être aller

20 quelque part ! ", mais les trois hommes nous ont dit de rester là, de ne

21 pas bouger. Alors, elles sont rentrées vers leurs maisons. Peu après,

22 Joso, Ivan et Andjelko sont arrivés. Ils nous ont escortés le long de la

23 route vers l'état-major.

24 M. le Président. - Madame Dedic, tournez vous vers le Tribunal,

25 s'il vous plaît -c'est le Tribunal qui juge- quand vous vous exprimez.

Page 4367

1 Vous ne le saviez pas, ce n'est pas grave du tout. Vous vous tournez vers

2 le Tribunal et vous essayez de résumer. Ce sont des événements qui vous

3 ont beaucoup marquée. Ensuite, le Procureur ne vous posera que quelques

4 questions. Sinon, je donnerai effectivement la parole à la défense. Allez-

5 y ! Merci.

6 Mme Dedic (interprétation). - Très bien, merci. Ensuite nous

7 sommes arrivés jusqu'à l'état-major et nous avons passé encore une nuit

8 là-bas. D'autres colonnes arrivaient par la route principale. Là, c'était

9 comme un centre de recueillement. Il n'y avait pas seulement des gens de

10 notre rue, mais aussi des femmes qui vivaient près du cimetière. Là-bas,

11 il y avait aussi des maisons d'été. Donc, il y avait des gens de toute la

12 région de Zume, Kocevina. Nous sommes tous arrivés là dans ce centre. On

13 était peut-être une centaine, quatre-vingt dix, je ne sais pas. Nous avons

14 passé la nuit-là.

15 Mme Patterson (interprétation). - Fort bien, merci beaucoup,

16 Madame Dedic. Je vous poserai quelques questions pour préciser votre

17 récit. Après que vous ayez quitté le garage, vous êtes allée dans la

18 maison de Nesib Ahmic, n'est-ce pas !

19 Mme Dedic (interprétation). - Oui, on est allé de mon garage

20 dans le garage de

21 Nesib Ahmic, et ensuite on est allé au comité de crise de Zume.

22 Mme Patterson (interprétation). - Pourriez-vous regarder la

23 photographie aérienne ? Pourriez-vous nous dire par quelle lettre est

24 représentée la maison de Nesib Ahmic ? Serait-ce le F ?

25 Mme Dedic (interprétation). - Oui, je me place par rapport à la

Page 4368

1 route principale, pour moi c'est plus facile ainsi. Le garage est

2 représenté par la lettre E et la maison de Nesib est représentée par la

3 lettre F.

4 Mme Patterson (interprétation). - Bien. Vous avez également dit

5 que vous avez été amenés à l'état-major de crise. Se trouve-t-il au n° 3 ?

6 Mme Dedic (interprétation). - Oui, si on traverse la route,

7 c'est bien cela. Ici il y a la maison de Pican, ensuite une autre maison,

8 ensuite la maison de Ive, c'est bien cela la maison n°3.

9 Mme Patterson (interprétation). - Fort bien. Combien de temps

10 avez-vous passé à ce quartier général, combien de jours plus exactement ?

11 Mme Dedic (interprétation). - Nous avons passé toute la journée

12 dans ce quartier général, et le lendemain jusqu'à 8 ou 9 heures du matin,

13 je ne sais pas.

14 Mme Patterson (interprétation). - De là, où avez-vous été

15 amenés ?

16 Mme Dedic (interprétation). - On nous a amenés à Dubravica, à

17 l'école primaire de Dubravica. C'est là que l'on a passé quinze ou dix

18 sept jours, je ne sais pas. Plus de quinze jours, en tout cas.

19 Mme Patterson (interprétation). - Avant de passer à l'école de

20 Dubravica, vous étiez toujours au quartier général du HVO. Y a-t-il eu un

21 incident au cours duquel des soldats sont venus et ont essayer d'emmener

22 avec eux votre fils cadet Haris ?

23 Mme Dedic (interprétation). - C'était à Zume dans le quartier

24 général, le deuxième jour. Un soldat est arrivé, il était grand et avait

25 cheveux bruns. Quand il a été à la porte, il a dit :

Page 4369

1 "Je veux des hommes pour ramasser des morts, qu'ils sortent".

2 Nous nous demandions qui devait sortir. Amil et Munib sont sortis. A ce

3 moment-là, il a montré du doigt mon fils Haris et deux autres : "Toi

4 aussi, toi aussi, toi aussi !". Je ne connais pas le nom de l'autre, et là

5 il a aussi montré du doigt Hasim. Sa femme s'y est opposée et il lui a

6 dit : "Tais-toi, car on va l'emmener". Il a montré mon fils du doigt. Je

7 me suis levée au beau milieu de la salle et j'ai dit : "Mais non, bon

8 Dieu, vous avez tué mon fil, mon frère ; épargnez-le au moins !". Le

9 soldat m'a dit : "Tais-toi parce que si tu ne te tais pas, je vais te tuer

10 et lui aussi". Il a donc montré ensuite Hasim et depuis ce matin-là on a

11 perdu toutes traces de lui.

12 Mme Patterson (interprétation). - Pourriez-vous dire aux Juges

13 rapidement à quoi ressemblait cet homme qui a emmené ces quatre hommes ce

14 jour-là ?

15 Mme Dedic (interprétation). - Il portait un vêtement noir, je

16 l'ai très bien vu. Les jeunes hommes disaient que c'étaient les vêtements

17 des Jokeri. Il avait une casquette tournée vers l'arrière, il avait une

18 arme bizarre. Je ne connais pas trop les armes, mais pour moi, cela

19 ressemblait à une sorte de baguette de Joker et il brandissait cela devant

20 nous. Nous, nous étions une centaine dans cette pièce. Après, il y en a eu

21 d'autres qui sont venus. Ensuite, il a appelé d'autres noms, d'autres

22 voisins. D'autres gens sont venus, des femmes, des réfugiés de Prijedor,

23 de Kocevine, des habitants qui habitaient près du cimetière, etc.

24 Mme Patterson (interprétation). - Vous avez donc passé quinze

25 jours à l'école de Dubravica. Par la suite, vous avez été libérés de cette

Page 4370

1 école et vous avez quitté la région de Santici.

2 Mme Dedic (interprétation). - Après quinze jours, nous sommes

3 partis. Depuis nous sommes à notre propre charge. Il y avait moi, ma

4 petite-fille, mon fils, ma belle-fille. Nous avons passé certains moments

5 dans un camp en Norvège et environ trois mois chez un ami.

6 Mme Patterson (interprétation). - Je vous remercie, Madame

7 Dedic. Je n'ai plus de question à vous poser. Je demanderai le versement

8 de cette photographie, Monsieur le

9 Président.

10 Je vous avais dit que nous allions peut-être en parler, Madame.

11 Voulez-vous que je montre ces photos ou préférez-vous qu'elles soient

12 versées au dossier directement ? Ce sont des photos qui montrent des

13 membres de votre famille, votre mari, votre fils et d'autres parents ?

14 Mme Dedic (interprétation). - Je peux les voir, c'est pour cela

15 que je les ai apportées ici, c’est pour les avoir aussi. Ce sont des

16 photos du mariage de mon fils et je souhaite avoir moi-même ces photos là.

17 Mme Patterson (interprétation). - Je comprends que vous désiriez

18 montrer ces photos, parler de membres de votre famille. Je vous demanderai

19 simplement d'identifier les personnes et si les Juges veulent vous poser

20 des questions ils le feront.

21 Mme Dedic (interprétation). - Je peux le faire, volontiers.

22 M. le Président. - Ces photos, c'est vous qui décidez de les

23 identifier. Si vous le souhaitez, allez-y.

24 Mme Dedic (interprétation). – Oui, je vais les regarder. Je peux

25 le faire.

Page 4371

1 M. le Président. – Ce sont des membres de votre famille qui

2 figurent sur ces photos. Nous avons tous le même document.

3 Mme Dedic (interprétation). - C'est mon mari Mustafa, et là

4 c'est mon fils Fariz, et là mon frère cadet, voilà.

5 Mme Patterson (interprétation). - Il s'agit de la pièce 146/1.

6 L'homme à droite est votre mari Mustafa, et l'homme au milieu votre fils

7 Fariz. La photographie suivante est la photo 146/2. Pourriez-vous

8 identifier l'homme qui est représenté sur cette photographie ?

9 Mme Dedic (interprétation). - Cet homme est Ahmic Mujo. Il était

10 le témoin de mariage de ma belle-fille, il a été tué lui aussi. Cet homme

11 moustachu est Siljak Adem.

12 Mme Patterson (interprétation). – Et l'homme qui est en blanc,

13 pour que tout soit clair ?

14 Mme Dedic (interprétation). – Mujo Ahmic.

15 Mme Patterson (interprétation). - L'autre homme, avec la

16 moustache, est votre frère, n'est-ce pas ?

17 Mme Dedic (interprétation). - C'est mon frère Siljak Adem.

18 Mme Patterson (interprétation). - Sur la 146/3, est-ce votre

19 frère qui figure aussi sur cette photo ?

20 Mme Dedic (interprétation). – Oui, il a été tué, et mon fils

21 aussi. C'est une photographie du mariage.

22 Mme Patterson (interprétation). - Et c'est votre fils Fariz qui

23 entoure les épaules de son oncle de son bras.

24 Mme Dedic (interprétation). - Oui.

25 Mme Patterson (interprétation). – La photo 146/4, l'homme en

Page 4372

1 rouge c'est votre fils Fariz, n'est-ce pas ?

2 Mme Dedic (interprétation). – Oui, et celui qu'on voit dans le

3 coin, on voit un peu sa tête, c'est Ahmic Fuadin, c'est le fils de

4 Nesib Ahmic.

5 Mme Patterson (interprétation). - A l'extrême-droite celui dont

6 on ne voit que la moitié du visage et la main a lui aussi été tué, n'est-

7 ce pas ?

8 Mme Dedic (interprétation). – Oui, il a été tué lui aussi.

9 Mme Patterson (interprétation). – Monsieur le Président, je n'ai

10 plus de question à poser au témoin.

11 M. le Président. - Merci. Maître Nobilo ?

12 M. Nobilo (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

13 Président. Je vais tenter d'être rapide et de poser peu de questions.

14 Mme Dedic (interprétation). - Bonsoir.

15 M. Nobilo (interprétation). - Bonsoir, Madame. Le soir est déjà

16 tombé, comme

17 vous le voyez. Je défends le Général Blaskic, en compagnie de

18 mon confrère Me Hayman. Je n’ai que quelques questions à poser.

19 Lorsque Islam, votre voisin, a dit qu'il avait été frappé, est-

20 ce qu’il y avait des soldats du HVO ?

21 Mme Dedic (interprétation). - Ils arrivaient à une distance de

22 vingt ou trente mètres peut-être, juste derrière la maison. Comment

23 expliquer...

24 M. Nobilo (interprétation). - A quelle distance se trouvaient-

25 ils ?

Page 4373

1 Mme Dedic (interprétation). – Vingt ou trente mètres, je ne peux

2 pas vous dire exactement. Ils créaient une sorte de cercle, c'est ainsi

3 qu'ils s'approchaient.

4 M. Nobilo (interprétation). - Islam était-il membre de l'armée

5 ou de la Défense territoriale ?

6 Mme Dedic (interprétation). – Non, je ne pense pas, parce qu'il

7 voyageait avec mon mari. Il travaillait avec mon mari dans

8 l’Enbrigagenstia, c'était un chef.

9 M. Nobilo (interprétation). – Avait-il une arme ?

10 Mme Dedic (interprétation). – Oui, en privé il avait une arme.

11 Quand on a pris le revolver de mon mari, on a aussi pris le sien, et après

12 on les a rendus.

13 M. Nobilo (interprétation). – Avait-il un fusil ?

14 Mme Dedic (interprétation). - Je ne pense pas, parce qu'il

15 rigolait de voir nos enfants, ses voisins, rire en voyant cette arme qu'il

16 avait.

17 M. Nobilo (interprétation). – Est-il exact qu'on ait garanti la

18 sécurité pour votre famille ?

19 Mme Dedic (interprétation). – Oui, Nenad Santic a un frère qui

20 était un grand ami de mon mari, je ne connais pas son prénom, il était

21 commerçant à Stari Vitez. Mon mari et lui se rencontraient souvent, le

22 frère donc de Nenad ; mais Nenad, je ne le connaissais pas bien, je le

23 voyais rarement, mais je connaissais très bien son frère.

24 M. Nobilo (interprétation). - Il serait peut-être utile que nous

25 ralentissions un peu pour les interpètes.

Page 4374

1 Mme Dedic (interprétation). - D'accord, merci, mais je parle

2 toujours rapidement.

3 M. Nobilo (interprétation). - Qu'avez vous appris à propos de

4 Nenad Santic ? Etait-il important dans le village ?

5 Mme Dedic (interprétation). - Oui, on le mentionnait assez

6 souvent. J'ai entendu des voisins parler de lui. Il paraît qu'il était une

7 sorte de commandant. Je le voyais souvent en tant que voisin. On n'allait

8 pas les uns chez les autres, mais on ne se haïssait pas vraiment. Je

9 connaissais bien son frère, mais lui moins bien.

10 M. Nobilo (interprétation). - Fort bien. Lorsque le soldat est

11 arrivé et a parlé avec votre mari, votre fils, il a demandé s'ils avaient

12 regardé la télévision parce que des gens avaient été tués à Zenica, la

13 raison pour laquelle les Musulmans se feraient tous tuer, vous souvenez-

14 vous de cette conversation ?

15 Mme Dedic (interprétation). - Je ne m'en souviens pas parce que

16 je n'avais pas beaucoup de temps. Lui est resté là-bas et les seuls mots

17 que j'ai entendus étaient ceux que j'ai entendus en passant à côté de mon

18 mari, qui s'est écrié : "Bon dieu, qu'est-ce que c'est que ça !" Et moi

19 j'ai entendu les paroles de ce jeune homme aux cheveux bruns, je me

20 rappelle très bien, «C'est lié à ce qui s'est passé à Zenica» ; et quant à

21 ce qui s'est passé à Zenica, croyez-moi, je ne regardais pas vraiment la

22 télévision, je ne savais pas.

23 M. Nobilo (interprétation). - Madame Dedic, je vais vous donner

24 lecture de votre déclaration préalable. Je vais la lire en anglais. Page 2

25 de la déclaration préalable du témoin : «Les soldats ont dit : Voilà, ça

Page 4375

1 c’est pour ce que tu as vu à la télévision la nuit dernière parce que

2 c'est vous qui avez tué nos gens au barrage de Zenica, maintenant nous

3 rendons la pareille».

4 Mme Dedic (interprétation). - Je ne sais pas. Cela s’est passé

5 il y a cinq ans. J'ai fait

6 plusieurs déclarations, même devant la Cour suprême à Zenica,

7 peut-être que ce n'est pas la même chose que je dis maintenant. Peut-être

8 faut-il corriger, je ne sais pas.

9 M. Nobilo (interprétation). – Avez-vous un meilleur souvenir

10 aujourd'hui qu'il y a cinq ans ?

11 Mme Dedic (interprétation). - Vous parlez de quoi ?

12 M. Nobilo (interprétation). - Ceci.

13 Mme Dedic (interprétation). – C’était il y a cinq ans, je ne

14 peux pas être sûre de chaque mot.

15 M. Nobilo (interprétation). – Bien, merci. Lorsque vous êtes

16 arrivée dans le garage, quelle heure était-il ?

17 Mme Dedic (interprétation). – Je ne peux pas vous le dire. Quand

18 cela a commencé il était peut-être 5 heures 15 ou 30, je n'ai pas regardé

19 ma montre, puis j'ai mis peut-être une minute ou deux pour réveiller mon

20 fils, ensuite pour aller à la maison de l'autre fils il m’a fallu peut-

21 être cinq ou dix minutes, je ne peux pas vous le dire exactement.

22 M. Nobilo (interprétation). - J'aimerais vous poser une autre

23 question. Vous avez dit qu'il y avait quelque chose et puis qu'ils sont

24 allés chercher les fusils.

25 Mme Dedic (interprétation). - Je peux vous le dire. Il y avait

Page 4376

1 l'armée yougoslave là-bas. Puis on a entendu parler de certains incidents

2 comme quoi un entrepôt avait explosé. Deux jours plus tard des gens s'y

3 rendaient en voiture par pure curiosité. Ils sont allés là-bas pour voir

4 ce qui se passé, cela je me le rappelle bien. Je pense qu'ils ont utilisé

5 ces morceaux qu'ils ont ramassés là-bas pour créer leurs propres armes. Je

6 le sais parce que mon fils, surtout mon fils cadet, le faisait dans ma

7 cour.

8 M. Nobilo (interprétation). – Etait-ce simplement votre fils qui

9 le faisait ou aussi d'autres personnes ?

10 Mme Dedic (interprétation). - Je ne sais pas. Je sais que mon

11 fils l’a fait. Je sais

12 qu'il a reçu des morceaux qu'il a rassemblés par la suite, mais

13 je ne sais pas qui lui a donné cela.

14 M. Nobilo (interprétation). - Beaucoup de personnes sont allées

15 en voiture à Slemeno ?

16 Mme Dedic (interprétation). – Je ne sais pas. Je n'aimais pas

17 quitter ma maison parce qu’elle est à la fin d'Ahmici, plus proche de

18 Santici que d’Ahmici. Je n'aimais pas aller à Ahmici, ni près de la

19 mosquée. J'y allais seulement pour des fêtes religieuses ou bien si

20 quelqu'un était malade.

21 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque votre père a tiré sur le

22 poteau télégraphique, y a-t-il eu des dégâts ?

23 Mme Dedic (interprétation). - Non. Il a fait ça... C'étaient des

24 lignes téléphoniques, il n'a pas causé des dégâts.

25 M. Nobilo (interprétation). - Qui a pris le révolver ?

Page 4377

1 Mme Dedic (interprétation). - C'étaient des gens de notre

2 communauté locale, je connais les visages, mais je ne connais pas les

3 noms. C'étaient des gens de Santici.

4 M. Nobilo (interprétation). - Le fils d'Islam qu'on n'a pas bien

5 identifié, et en fait qu'on a pris pour votre fils qui a été tué, comment

6 a-t-il était sauvé ?

7 Mme Dedic (interprétation). - Je ne sais pas. Ce jour-là il

8 était à côté de son père, ensuite il y avait Islam, un autre, Mirsa, Pero,

9 je ne sais pas. Chaque femme à Ahmici a une autre version, chaque femme

10 devrait venir ici pour dire sa propre version.

11 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous avez quitté le

12 garage, vous dites que cela s'est passé vers 5 heures de l'après-midi,

13 pourriez-vous nous dire si des coups de feu étaient tirés à ce moment là ?

14 Mme Dedic (interprétation). - Pendant que nous étions dans le

15 garage, pendant toute la journée le lendemain, quand ils nous ont fait

16 aller ailleurs, à chaque fois ont tirait vers le

17 haut, vers Sljivcica, Ahmici, et nous en passant on se disait

18 l'une à l'autre : "ça tire", mais c'était au-dessus de nous.

19 M. Nobilo (interprétation). - Il y avait des coups de feu tirés

20 quand vous étiez dans le garage et à l'extérieur ?

21 Mme Dedic (interprétation). - Quand on est sorti du garage, on a

22 entendu des coups de feu vers le haut. J'ai l'impression que c'étaient des

23 tirs d'obus, quelque chose comme cela.

24 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivés à

25 l'Etat-major de crise, ce que vous avez dit au Bureau du Procureur, vous

Page 4378

1 avez dit que d'autres femmes sont arrivées, qu'entendiez-vous par là ?

2 Mme Dedic (interprétation). - Il y avaient des femmes

3 musulmanes. Mais une femme, Ljube de Karlovca, est venue nous voir et elle

4 nous a posé la question de savoir si nous avions besoin de quelque chose ;

5 ensuite la femme de Gavra est venue, c'est une autre voisine. Puis il y

6 avait d'autres femmes, je ne sais pas exactement qui elles étaient, mais

7 je n'ai rien reçu d'elles. Nous on s'occupait du bébé de six mois, c'est

8 tout.

9 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que c'étaient des femmes

10 croates ?

11 Mme Dedic (interprétation). - Oui.

12 M. Nobilo (interprétation). - Des coups de feu étaient-ils tirés

13 aux alentours du quartier général ?

14 Mme Dedic (interprétation). - C'était la nuit, je ne peux pas

15 vous dire. Croyez-moi, dans tout mon malheur, je ne faisais pas attention

16 à quoi que ce soit, sauf à ce bébé de six mois.

17 M. Nobilo (interprétation). - Fort bien. Je vous remercie,

18 Madame.

19 Mme Patterson (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, je

20 n'ai plus de question à poser, mais j'aimerais saisir cette occasion pour

21 demander le versement au dossier des pièces 145 et 146. Pièce 145

22 l'agrandissement de la photo aérienne, pièce 146 les quatre

23 photographies des membres de la famille de Mme Dedic.

24 M. le Président. - Bien, Merci. Après consultation avec mes

25 collègues, le Tribunal s'estime suffisamment informé.

Page 4379

1 Madame, nous vous remercions beaucoup d'être venue jusqu'à nous.

2 Vous avez subie de grandes souffrances. Nous vous espérons maintenant une

3 vie un peu plus heureuse et un peu plus tranquille. Vous avez peut-être

4 quelque chose à ajouter ?

5 Mme Dedic (interprétation). - Je veux m'excuser. Etant donné que

6 je suis filmée, je pensais qu'il ne fallait pas que je me tourne

7 directement vers vous. Je pensais que je ne pouvais pas regarder qui que

8 ce soit dans la salle d'audience.

9 M. le Président - N'ayez aucune crainte, Madame.

10 Mme Dedic (interprétation). - Voilà, c'est mon seul souhait. Moi

11 je parle toujours rapidement. J'avais peur justement de cela. Le malheur

12 qui a eu lieu à Ahmici, je souhaite que cela ne se répète jamais nulle

13 part dans le monde, que personne n'ait à subir cela encore une fois.

14 M. le Président - Merci, Madame. Vous ne bougez pas, pour

15 l'instant. L'audience est levée, elle reprendra demain à 10 heures.

16 (Les rideaux sont baissés. Le témoin est reconduit hors du

17 prétoire.)

18 L’audience est levée à 17 heures 30.

19

20

21

22

23

24

25