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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
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4 Lundi 8 décembre 1997
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6 L'audience est ouverte à 10 heures 30.
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12 Pages 4698 – 4796 expurgées en audience à huis clos
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3 L’audience, suspendue à 15 heures 50, est reprise à 16 heures 15
4 Audience publique
5 M. le Président. - Veuillez faire entrer l'accusé.
6 (L’accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d’audience.)
7 M. le Président. - Monsieur le Procureur, je vois que le
8 dispositif de protection a été mis en place. Je suppose que la défense a
9 été dûment avertie. Maître Harmon, vous avez la parole.
10 M. Harmon (interprétation). - Merci, monsieur le Président.
11 Monsieur le Président, messieurs les Juges, le témoin suivant un
12 témoin protégé qui ne demande de protection que par le biais d'une
13 distorsion faciale, mais le nom pourra être utilisé.
14 En résumé, monsieur le Président, cette femme est un témoin qui
15 vient du village de Gacice. Je demanderais maintenant que le
16 rétroprojecteur soit allumé. Vous voyez sans doute où se trouve le village
17 en question sur cette petite carte qui vous est montrée. Le pointeur
18 pointe le village en question. C'est un village qui se trouve à environ
19 2 kilomètres de l'hôtel Vitez. Le nom de ce témoin est Avdija Hrustic.
20 Elle vous dira ce qu’était la vie quotidienne dans son village,
21 avant l'attaque de 1993. Elle parlera des intimidations et des mesures de
22 discrimination appliquée par le HVO à l'encontre des membres de sa
23 communauté. Elle parlera aussi des soldats qui sont venus de l’extérieur
24 de la municipalité de Vitez et qui portaient des emblèmes particuliers sur
25 l'épaule, étant stationnés à l'école de Dubravica.
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1 Le 16 avril 1993, ou aux environs de cette date, le témoin nous
2 dira ce qu'elle a
3 observé suite à l’attaque subie par les villages voisins :
4 Ahmici, Donje Veceriska et d’autres. Le témoin décrira les faits du camion
5 piégé dans son village.
6 Elle parlera également, monsieur le Président, des événements
7 qui portent sur l’armement des Croates de son village et l’évacuation des
8 Croates avant l’attaque, le 20 avril 1996. Puis, elle décrira également
9 l’attaque en tant que telle.
10 Ensuite, monsieur le Président, elle parlera des prisonniers qui
11 ont été faits par le HVO, de la façon dont les civils ont été arrêtés
12 dans son village, à l’Hôtel Vitez, puis placé dans les environs de l’Hôtel
13 Vitez pour empêcher la poursuite des pilonnages contre l’hôtel Vitez.
14 Elle parlera de sa captivité pendant les 16 jours qui ont suivi
15 après son retour de l’hôtel Vitez dans son village et discutera des
16 conditions de cette captivité et de celle des autres villageois.
17 Voilà, monsieur le Président, le sommaire de cette déposition.
18 M. le Président. - Bien. Avant que n’entre le témoin, monsieur
19 le Procureur, soyons bien d'accord. Ce témoignage ne doit pas être long.
20 Je ne peux pas le dire devant le témoin parce que cela ne serait pas
21 convenable. Le témoin va s’exprimer et ensuite, vous ne poserez que des
22 questions susceptibles de compléter ce qu’elle a à dire, selon une méthode
23 qui d’ailleurs a été appliquée tout à l’heure, avec le Témoin A et avec, à
24 mon avis, un raccourcissement, une synthèse, une densité de bien meilleure
25 aloi.
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1 Nous pouvons maintenant faire entrer Mme Avdija Hrustic.
2 Combien de temps aviez-vous prévu, Me Harmon ?
3 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, selon la
4 durée de son récit, je dirais que ce témoignage ne devrait pas durer plus
5 d'une heure et demi, mais tout dépend de la durée de son récit. Je lui ai
6 demandé de se concentrer sur les éléments principaux et j'espère qu’elle
7 respectera mes instructions.
8 M. le Président. - Parfait merci.
9 (Le témoin, Mme Avdija Hrustic, est introduite dans la salle
10 d’audience)
11 M. le Président. - Madame, m’entendez-vous ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je vous entends.
13 M. le Président. - Dites-moi votre nom et prénom, s'il vous
14 plaît.
15 Mme Hrustic (interprétation). - Je m’appelle Avdija Hrustic.
16 M. le Président. - L’huissier va vous tendre la déclaration que
17 vous devez faire et vous resterez assise.
18 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
19 M. le Président. - Allez-y.
20 Mme Hrustic (interprétation). - Je déclare solennellement que je
21 vais dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
22 M. le Président. - Merci. Madame, vous avez accepté de venir
23 témoigner. Votre visage est protégé. Les mesures que vous avez demandées
24 ont été acceptées, en accord bien sûr avec les parties. Vous allez
25 témoigner de ce que vous avez vu. Vous allez le faire avec vos mots, après
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1 que M. le Procureur vous ait posé quelques questions préalables.
2 Vous allez raconter les éléments importants de ce qui s'est
3 passé. Je dis bien les éléments importants qui se sont passés à Gacice, la
4 campagne d'intimidation qui a précédé, l’école Dubravica. Ensuite, ce qui
5 s'est passé après le camion piégé, l'armement des Croates, votre
6 captivité, ce que vous avez observé sur le plan des troupes militaires qui
7 vous entouraient, voire vous encerclaient.
8 Ce n’est qu’après que le Procureur vous posera des questions.
9 Rassurez-vous, si vous vous égarez -ce qui est normal dans la mesure où
10 vous n’êtes pas habituée à passer devant des juges-, le Procureur, deci
11 delà vous redressera pour vous remettre dans le droit fil de ce que, je
12 suppose, vous avez convenu.
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14 Monsieur le Procureur, quelques questions préalables, peut-
15 être ?
16 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je vous
17 remercie.
18 Madame Hrustic, quel âge avez-vous ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - J’ai 31 ans.
20 M. Harmon (interprétation). - Vous êtes née à Travnik. Avez-vous
21 vécu à Travnik, y avez-vous vécu ou à Vitez, de 1984 à 1993, dans le
22 village de Gacice, municipalité de Vitez ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
24 M. Harmon (interprétation). - En avril 1993, viviez-vous dans ce
25 village avec votre mari et deux enfants, âgés respectivement de deux et
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1 quatre ans ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
3 M. Harmon (interprétation). - Votre mari aussi est de religion
4 musulmane ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
6 M. Harmon (interprétation). - En avril 1993, est-ce que le
7 village de Gacice présentait une composition mixte et se trouvait-il à
8 deux kilomètres de Vitez ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
10 M. Harmon (interprétation). - En 1993, est-ce que vous
11 travailliez comme professeur d’anglais à l'école primaire de Vitez, qui se
12 trouvait dans la ville de Vitez même ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
14 M. Harmon (interprétation). - Aviez-vous aussi un petit magasin,
15 une épicerie générale, dans le village de Gacice ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
17 M. Harmon (interprétation). - Pourriez-vous, avec vos mots, nous
18 dire et dire aux Juges comment se passait la vie quotidienne dans votre
19 village avant la guerre et pourquoi et comment la vie a-t-elle changé ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Avant la guerre, quand j'étais à
21 Vitez, la situation
22
23 était bonne comme dans tout le pays. Nous avons vécu dans un village
24 mixte. Nous étions des amis, nous sortions ensemble. Nous étions des
25 parents, les uns aux autres, aux enfants des uns et des autres.
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1 En effet, il n’y avait pratiquement aucune différence. On ne
2 parlait pas du tout de la religion, qui était de quelle religion, de
3 quelle confession. Nous étions tout simplement ensemble et nous vivions en
4 communauté.
5 M. Harmon (interprétation). - Il y a une correction dans le
6 transcript. Le transcript dit « quand vous viviez à Vitez, est-ce que vous
7 viviez plus précisément dans le village de Gacice ? »
8 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
9 M. Harmon (interprétation). - Quand les choses ont-elles changé
10 et pourquoi ont-elles changé ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Immédiatement après les
12 élections qui ont eu lieu à Vitez. Donc du village d’où je viens, Gacice
13 plus précisément, les Croates ont commencé à dire, de façon plus
14 prononcée, qu'ils étaient des Croates, que les Musulmans n’appartenaient
15 pas à cette ville, à cet Etat.
16 Ensuite, un soir, à la télévision, nous avons regardé ce qui
17 s'est passé dans le cadre du plan Vance-Owen, M. Boban également est
18 apparu à la télévision. C’est lui qui a dit clairement que l'Etat sera
19 divisé, que les Croates appartiennent à un pays, qu’ils doivent poursuivre
20 ces principes, qu'ils sont un peuple libre qui doit s'exprimer librement
21 dans les objectifs qu'ils visent, de persévérer ce qu’ils sont.
22 M. Harmon (interprétation). - La municipalité de Vitez est-elle
23 apparue sur la carte et quelles étaient les répartitions des forces ?
24 Quelle était la nationalité qui avait le contrôle ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Elle faisait partie de Herceg-
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1 Bosna, la République croate et devait donc être sous le contrôle du
2 Conseil militaire Croate, du peuple croate.
3
4 M. Harmon (interprétation). - Après que les choses aient
5 commencé à changer dans la municipalité de Vitez, pourriez-vous dire aux
6 Juges quelles furent vos observations précises qui auraient eu un effet
7 direct sur le quotidien des Musulmans ? J'appelle votre attention sur le
8 domaine du travail, de la scolarité et aussi d'événements se déroulant sur
9 le marché.
10 Pourriez vous, avec vos propres termes, dire aux Juges ce qui
11 s'est passé dans la municipalité de Vitez ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Au tout début, les drapeaux
13 croates ont été érigés partout, dans les immeubles, dans les maisons
14 privées, dans les édifices publics. Tous les jours étaient un petit peu
15 comme des « Noël » partout. A l'école, on a été obligé de parler la langue
16 croate.
17 Aux actualités, il était écrit, à droite sur l’écran de la
18 télévision, «République Croate » « Herceg-Bosna ». Beaucoup de personnes
19 étaient armées. Ensuite, nous avons tous été payés en monnaie croate, des
20 Kuna, c'était donc le seul moyen d'acheter, on ne pouvait pas agir
21 autrement. Si par hasard dans un commerce ou sur le marché, il y avait des
22 prix écrits en monnaie bosnienne, ces commerces et ces boutiques étaient
23 détruits. On détruisait les commerces ainsi que les boutiques. Seule la
24 monnaie croate était pratiquement valable.
25 M. Harmon (interprétation). - Parlons de l'école où vous
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1 enseigniez. Le directeur de cette école vous a-t-il dit qu'il fallait
2 donner les instructions en langue croate ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. Le directeur est venu un
4 matin. Ils avaient une réunion avant que je n'arrive. Je n’ai donc pas
5 assisté à la réunion. Il s'agissait d'un conseil des professeurs, des
6 enseignants. Il est venu me voir, il s'est approché de moi et m’a dit :
7 « c’est l’école croate, c’est l’école de Herceg-Bosna et nous parlerons
8 seulement la langue croate. »
9 Par conséquent, dans la salle des enseignants, où il y avait
10 d'autres enseignants également, se trouvaient une photo de
11 M. Fanjo Tudjman, des symboles croates, ainsi que le drapeau.
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13 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous dire aux Juges ce
14 qu'il est advenu de votre mari, notamment dans son domaine de travail ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Mon mari a travaillé, à peu près
16 huit ans dans la municipalité, donc pour une partie de la communauté de
17 notre commune.
18 Il est rentré un jour en me disant qu'il avait été licencié.
19 Monsieur Santic lui avait proposé d’être loyal envers la République de
20 Croatie. Donc, dans ce cas-là, on lui a dit : « Vous ne pouvez plus
21 rester, vous êtes chômeur et à partir d’aujourd’hui vous êtes licencié ».
22 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi d’apporter quelques
23 précisions à propos de ce que vous avez dit concernant le marché. Vous
24 dites que si les articles se vendaient ou qu’on utilisait la monnaie
25 bosniaque il y avait des conséquences pour les propriétaires de l’étal.
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1 Avez-vous eu, personnellement, l’occasion d'assister à de tels
2 incidents ? Pourriez-vous les décrire à l’intention des Juges ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - J'ai moi-même été une fois au
4 marché ; c'était une journée tout à fait normale, il y avait beaucoup de
5 monde sur le marché.
6 Tout d'un coup, on nous a encerclés, c’était le conseil croate
7 de la défense, le HVO. Il y avait des agents de police et d'autres
8 personnes, je ne peux pas vous dire exactement parce que nous en avions
9 peur. Donc nous étions encerclés, personne ne pouvait ni sortir ni entrer
10 sur le marché.
11 On passait à côté des étalages. Partout on voyait des prix qui
12 avaient été marqués. Là où il s’agissait de prix indiqués en deux devises,
13 les étalages devaient être tout de suite détruits.
14 Mon ami, par exemple, avait un stand sur le marché. Il avait
15 indiqué le prix en monnaie bosniaque. Il a malheureusement subi des dégâts
16 et l’étal a été détruit. On a essayé de mettre les doubles prix, comme je
17 l’ai dit, mais il n'a pas réussi à se maintenir. Il a mis aussi le
18
19 prix en deutsches marks, mais cela n'a pas suffit non plus. Il n'est donc
20 pas resté sur son poste, il ne pouvait plus travailler parce que c'était
21 en monnaie bosniaque.
22 M. Harmon (interprétation). - Vous dites que des policiers sont
23 allés sur le marché et ont provoqué des problèmes. De quel genre de
24 policiers s'agissait-il ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne comprends pas la question.
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1 M. Harmon (interprétation). - Quels insignes ou emblèmes ces
2 policiers portaient-ils sur leur uniforme ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Ils étaient marqués HVO et HV.
4 Et sur la poitrine, ils avaient des bandes blanches.
5 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais que nous parlions d'un
6 autre aspect de votre déposition.
7 Pourriez-vous dire aux Juges quels sont les événements inusités
8 que vous avez observés dans votre village, autour de celui-ci, à Vitez et
9 autour de Vitez, avant l'attaque elle-même, qui s'est produite pour votre
10 village le 20 avril ? Quels sont les événements assez étranges qui se
11 seraient produits ? J’appelle votre attention sur des séances
12 d'entraînement que vous auriez vues dans le village.
13 Y avait-il des activités inhabituelles, nocturnes, qui se
14 seraient déroulées dans votre village ? Pourriez-vous dire aux Juges ce
15 que vous auriez vu à ce propos ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Avant l'attaque de notre
17 village, nous avons vu beaucoup de personnes armées. Elles étaient en
18 groupes, à peu près de cinquante. Ils portaient des tags. Ils étaient tous
19 armés et se sont rendus près de la piscine, à côté, pour justement
20 s'exercer, s'entraîner, au tir.
21 M. Harmon (interprétation). - Vous parlez de soldats du HVO ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je parle de soldats du HVO.
23 Leurs insignes étaient très clairs. Ils avaient des brassards sur les
24 bras, des damiers.
25
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1 Bien évidemment, j'ai pu voir mon voisin par ma fenêtre ;
2 c’était un de mes premiers voisins, qui a toujours porté l'uniforme noir.
3 Donc, il avait cet insigne HVO.
4 Ils venaient aux voiture et ils apportaient des choses que je ne
5 peux pas définir, mais associées quand même à de grands sacs qui se
6 présentaient différemment. Ils y cachaient quelque chose à l’intérieur. On
7 éteignait la lumière automatiquement, dès qu'ils s'approchaient ; la
8 voiture également s’approchait la nuit. Cela se passait entre minuit et de
9 2 heures du matin. Toutes les lumières étaient éteintes. Après, j’ai pu
10 voir que ce voisin, au moment où l'attaque a commencé, était armé.
11 M. Harmon (interprétation). - Une dernière question pour
12 apporter des précisions sur ce point. A quelle fréquence ces activités
13 inhabituelles se sont-elle déroulées contre l’attaque mené contre votre
14 village ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne peux pas véritablement
16 parler d’un calendrier où d’intervalles particuliers. On ne savait
17 absolument pas quand cela se produisait. Parfois deux ou trois fois par
18 mois, parfois deux à trois fois par semaine. Certaines nuits également, de
19 telles opérations se produisaient et se suivaient.
20 M. Harmon (interprétation). - Parlons de la présence dans la
21 municipalité de Vitez de certains soldats de l'école de Dubravica.
22 Pourriez-vous, tout d’abord, dire aux Juges qui étaient ces soldats
23 étaient, à vos reconnaissances ? Ce qu'ils faisaient dans la municipalité
24 de Vitez et dans votre communauté ? Et ce que vous vous avez fait à
25 l'égard de ces soldats ?
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Nous avons pu voir, par exemple,
2 les actions, dont j'ai parlées tout à l'heure, sur le marché ou des
3 patrouilles dans la ville. Vitez est une toute petite ville. Nous nous
4 connaissons.
5 Par conséquent, nous avons pu voir les soldats qui exerçaient la
6 patrouille, avec les soldats du HVO. Ils se trouvaient dans l'usine
7 « Princip ». C'est une usine où l’effectif était mélangé du point de vue
8 des nationalités. Les gens de chez nous pouvaient dire
9
10 qu’effectivement beaucoup sont arrivés de l'autre côté, pour soi-disant
11 assurer l'usine qu’ils ne connaissaient pas.
12 Dans l'école de Dubravica, qui était une école élémentaire
13 jusqu’à cette époque-là, des soldats ont été transférés. En même temps que
14 les élèves, il y avait les soldats, que nous avons pu voir, que nous avons
15 écouté parler quand ils marchaient. Ils avaient un accent un peu différent
16 du nôtre.
17 Nous les avons vus également marcher dans la rue ou tout
18 simplement s’exercer en faisant de la gymnastique.
19 M. Harmon (interprétation). - Quels badges, quels insignes
20 avaient ces soldats qui venaient d’ailleurs que de la municipalité de
21 Vitez ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Ils portaient les insignes HVO
23 et la feuille comme une petite branche.
24 M. Harmon (interprétation). - Vous avez dit avoir vu ces soldats
25 participer à ces opérations de concert avec des soldats du HVO. Les avez-
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1 vous vu aussi à des barrages routiers ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, à l'entrée du village qui
3 était à proximité de la ville, il y avait effectivement des barrages
4 qu'ils avaient dressés. Nous avons tous été contrôlés. On nous demandait
5 les documents, les voitures, on fouillait dans nos sacs et ces soldats ont
6 participé ensemble, avec les soldats que nous connaissions et qui étaient
7 de notre région, de Vitez.
8 M. Harmon (interprétation). - Participaient-ils aussi aux
9 opérations avec la police militaire, pour ce que vous en auriez vu ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
11 M. Harmon (interprétation). - Une autre précision, à propos des
12 soldats basés à l'école de Dubravica : de façon générale, contribuaient-
13 ils à intimider les Musulmans ? Les avez-
14
15 vous vu faire des choses particulières, et si c'est le cas pourriez-vous
16 décrire de façon circonstanciée ce que vous avez vu et ce que vous avez
17 entendu, à l'intention des juges ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - La population avait peur, plus
19 que peur quand on les voyait. Partout où on se rendait, à l'école ou
20 ailleurs, on ne voyait que des soldats, l'armée partout. Sur le marché, il
21 y avait des soldats. Si l'on se rendait à l'usine, il y avait encore des
22 soldats, toujours en groupes assez importants. Ce n'était pas une
23 angoisse, ce n'était pas la peur, c'était l'horreur.
24 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais, madame, que vous
25 fassiez le récit à l'intention des juges. Lorsque je vous pose une
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1 question sur un sujet particulier, j'aimerais qu'à votre rythme et dans
2 vos termes vous informiez les juges sans que je doive vous interrompre.
3 Bien sûr, je suis prêt à vous aider à l'aide de certaines questions, mais
4 je pense que les juges veulent vous entendre parler de ces sujets, plutôt
5 que de m'entendre poser des questions.
6 Je vous demanderais de donner le plus de détails possibles à
7 propos de ces soldats et à propos de ce que vous avez fait aussi à leur
8 égard, par exemple le fait de passer un coup de fil à l'école de Dubravica
9 et pourquoi vous l'avez fait ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - J'ai déjà précisé que nous
11 étions tous horrifiés. Nous avons vécu dans l'angoisse, nous avons eu peur
12 de dire que nous étions des Musulmans, nous avons eu peur de sortir dans
13 la rue car nous nous sommes dit que des gens qui habitaient à côté de
14 nous, des voisins, nous reconnaissaient, ils allaient le savoir.
15 A cette époque-là, j'avais les deux enfants et sachant que
16 l'armée était installée à l'école élémentaire de Dubravica,
17 personnellement je ne savais pas quoi faire parce que j'en avais peur.
18 J'avais peur pour mes deux enfants.
19 Une fois effectivement, j'ai appelé, j'ai donné un coup de
20 téléphone, je me suis présentée et ensuite j'ai posé la question de savoir
21 s'ils étaient véritablement ici pour tuer les Musulmans ? Le monsieur qui
22 m'a répondu, à l'autre bout du fil, a dit : "N'ayez pas peur, nous
23
24 sommes là, vous n'aurez pas de problèmes, la fin viendra bientôt. Nous
25 savons les raisons pour lesquelles nous sommes arrivés, par conséquent
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1 c'est très vite que vous aurez trouvé la solution".
2 Pratiquement chaque famille musulmane avait reçu des coups de
3 téléphone dans la nuit ou dans la journée. Ils nous intimidaient, ils nous
4 disaient qu'il fallait partir en Irak ou ailleurs parce que ce n'était pas
5 notre pays, ou en Turquie, que c'était la République de Croatie, que nous
6 n'étions pas une nation et que nous allions tous être tués.
7 On ne me parlait pas à moi uniquement, mais à nous tous. Donc
8 nous avons eu peur l'un de l'autre et on s'interrogeait l'un et l'autre :
9 "A quoi pensez-vous, à quoi vous attendez-vous ?"
10 J'étais chez une amie et chaque jour elle m'appelait. Elle a
11 perdu pratiquement tout bon sens à tel point qu'elle était horrifiée par
12 tout ce qui lui arrivait, notamment par ces coups de téléphone permanents.
13 Quand le téléphone sonnait, elle n'avait même pas le courage de décrocher.
14 Quand moi j'ai décroché, il y avait la voix d'un homme qui disait : "Il
15 est temps de partir, vous n'avez aucune chance, nous allons vous tuer.
16 Maintenant il est temps, il faut absolument que vous partiez".
17 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais apporter quelques
18 précisions à propos de ce que vous venez de dire. Vous dites avoir appelé
19 par téléphone des personnes, notamment des soldats, à l'école de
20 Dubravica. Vous aviez vu des soldats avec la feuille de chêne comme
21 insigne. Vous avez parlé à ces soldats ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
23 M. Harmon (interprétation). - Ce soldat qui vous a répondu, que
24 vous a-t-il dit exactement ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Il m'a dit qu'ils arrivaient
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1 d'Herzégovine, de Gruda, qu'ils arrivaient pour nous aider, pour aider les
2 Croates et que très vite tout se déroulerait
3
4 comme il le faudrait, que personnellement je ne devais pas avoir peur car
5 les problèmes seraient résolus très vite au sujet des Musulmans.
6 Je lui ai posé la question de savoir s'ils étaient venus pour
7 tuer les Musulmans. Il a dit : "Oui, nous allons résoudre vite cette
8 question".
9 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais passer à un autre sujet
10 et j'aimerais que vous en parliez aux juges. Je parle de la période qui
11 s'écoule du 16 avril jusqu'au 19 avril 1993. Vous pouvez commencer par les
12 observations que vous avez faites au moment de l'attaque menée sur Ahmici
13 et les villages environnants. Pourriez-vous dire aux juges où vous vous
14 trouviez et ce que vous avez vu ? Prenez le temps nécessaire pour en faire
15 le récit.
16 Mme Hrustic (interprétation). - La veille de l'attaque sur
17 Ahmici s'est pratiquement passée normalement. Je suis allée à l'école,
18 l'enseignement s'est terminé dans les conditions normales. Nous y sommes
19 retournés et le matin, vers 6 heures moins 10, nous avons entendu les
20 coups de mortier, nous avons eu très peur.
21 Je me suis levée, et comme ma maison est quelque peu surélevée,
22 j'ai pu voir toute la ville, qui était sous mes yeux. J'ai vu le village
23 Ahmici incendié, beaucoup de fumée qui venait de cette direction. J'ai
24 entendu les coups de mortier, comme j'ai dit, l’artillerie... J'ai pu même
25 sentir la fumée, et cette vieille ville de Vitez. On a pratiquement pu
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1 sentir où le mortier était tombé. Les gens avaient tellement peur... On
2 s'est appelé les uns les autres pour se demander ce qu'il se passait. Est-
3 ce la guerre ? Que se passe-t-il ? On ne savait pas ce qui se passait.
4 Après quoi, j'ai vu les villages environnants incendiés, j'ai
5 entendu des détonations. Un village de l'autre côté, enfin sur une
6 colline, était également sous les coups de mortier. Dans notre village, il
7 y avait six ou sept soldats, pas plus, qui sont allés sur la ligne,
8 ensemble, avec l'armée serbe. Ils rentraient sans être armés, tous étaient
9 habillés en civil.
10 Nous avons vu aussi que, dans le village de Veceriska, on
11 luttait. Les maisons étaient incendiées l’une après l'autre. On a pu
12 parler avec les gens de ce village-là, parce que ce
13
14 n'est pas à une très grande distance. Ils nous demandaient de les
15 secourir, de leur venir en aide. Mais nous ne pouvions pas. Nous nous
16 sommes donc organisés pour que les femmes et les enfants se dirigent vers
17 les maisons qui étaient plus proches de la forêt, pour pouvoir se cacher.
18 La nuit avant le 20 avril, donc la veille même, tout d'un coup
19 il y a eu un silence. Il y avait l'armée, il y avait des femmes, des
20 enfants, de la fumée... Rien d’autre. Un silence complet. Nous nous sommes
21 donc retirés vers la forêt. Il y avait trois ou quatre maisons où les
22 femmes et les enfants ont été abrités. C'étaient dix, trente personnes
23 âgées, femmes, enfants.
24 Les hommes qui étaient avec nous ont préparé des tranchées de
25 quarante mètres à peu près de profondeur. Ils n'avaient pas vraiment
Page 4814
1 d’armes. Mon mari, par exemple, avait un pull bleu, un jean, et il avait
2 un fusil qu'il utilisait pour aller à la chasse. Deux garçons de seize et
3 dix-sept ans avaient les deux bombes.
4 C'est de cette façon-là que nous avons pu maintenir, en quelque
5 sorte, une patrouille devant chaque maison, pour préserver, pour
6 sauvegarder les femmes et les enfants. Il y avait l'usine avec les soldats
7 croates, mais nous ne pouvions pas, bien évidemment, nous y rendre. Le
8 matin, vers 5 heures et demi - 6 heures moins 10 plus précisément, nous
9 avons entendu que notre village était sous les coups de mortier...
10 M. Harmon (interprétation). - Avant que vous ne parliez de cette
11 attaque contre votre village, j'aimerais apporter quelques précisions sur
12 ce que vous venez de nous dire. Vous disiez avoir pu voir des villages
13 environnants en flamme. Pourriez-vous citer ces villages ?
14 Mme Hrustic (interprétation). - J’ai vu le village d'Ahmici,
15 ensuite Veceriska, ensuite quelques maisons dans la vieille ville de
16 Vitez, et aussi les villages environnants dont malheureusement je ne
17 connais pas les noms. C'étaient les agglomérations, en quelque sorte, qui
18 faisaient partie de Veceriska, et des hameaux qui étaient de l’autre côté,
19 à proximité.
20 M. Harmon (interprétation). - Vous dites aussi que vous avez vu
21 des villages sous le coup des obus ?
22
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, effectivement. J'ai vu
24 comment les obus sont tombés.
25 M. Harmon (interprétation). - Et ils venaient d'une pièce
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1 d'artillerie qui se trouvait où ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - De mon balcon, je pouvais voir,
3 de façon très très exacte, une maison qui était dans une agglomération
4 croate, en face. Et au rez-de-chaussée, il y avait un certain nombre
5 d’installations qui n'étaient pas complètement terminées et on pouvait
6 voir exactement la ligne de la traversée de l'obus.
7 M. Harmon (interprétation). - A un certain moment, après
8 l'attaque de Vitez et de Stari Vitez, y a-t-il eu une forte explosion, une
9 explosion énorme, que vous avez ressentie dans votre village ? Pourriez-
10 vous, je vous prie, expliquer quel a été l'effet de cette explosion sur
11 votre village, qui se trouvait à peu près à deux kilomètres de distance.
12 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. J'ai entendu les obus, la
13 détonation, une explosion. Au moment-même, on a eu l'impression que la
14 maison allait s’écrouler. Le grenier, dans ma maison, est complètement
15 sorti. La porte du balcon, également, a été détruite. La maison a été
16 pratiquement... comme si elle s'écroulait. Tout ce qui est verrerie, les
17 glaces ont été abîmées.
18 M. Harmon (interprétation). - Je vais vous poser encore une
19 question, au sujet de ce que vous avez dit jusqu'à présent. Vous avez dit,
20 un peu plus tôt, avoir passé un coup de téléphone à l'école de Dubravica,
21 pour parler à ces soldats qui portaient l’emblème à la feuille verte. Vous
22 souvenez-vous à peu près à quel moment vous avez passé ce coup de
23 téléphone, dans quel mois ?
24 M. le Président. - Je me demande si vous n'avez pas déjà posé
25 cette question, et je crois qu'elle ne s'en souvient pas.
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1 M. Harmon (interprétation). - Très bien, monsieur le Président.
2 Je vais passer aux
3
4 événements, toujours avant l'attaque de votre village, le 20 avril. Avez-
5 vous été au courant d'un ultimatum lancé par les soldats du HVO aux
6 habitants de votre village et portant sur la restitution des armes ?
7 Pouvez-vous nous parler de cet ultimatum dans vos propres termes ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Comme je l'ai déjà dit, nos gens
9 se trouvaient dans la partie haute du village. Le HVO a demandé une
10 rencontre. Ils ont dit qu'ils posaient un ultimatum, parce qu'il fallait
11 signer la loyauté à la République de Croatie -donc Herceg-Bosna devait
12 signer- et ensuite désarmer toute la population. Les gens de chez nous ont
13 refusé un tel ultimatum. Ils ont demandé à l'armée, au HVO, de déposer eux
14 aussi les armes, et de créer les patrouilles mixtes, si on ne se faisait
15 pas confiance.
16 Mais le HVO avait refusé automatiquement. Ils ont tout
17 simplement demandé que nous, de notre côté, nous déposions les armes.
18 Pendant deux jours, plus tard, du côté bosniaque, il a été demandé de
19 discuter entre hommes, d'essayer de trouver un compromis. Ils ont refusé
20 en disant : «Nous vous avons offert une possibilité, vous l'avez refusée.
21 Maintenant, il n'y a pas de quoi parler. »
22 M. Harmon (interprétation). - Encore quelques éclaircissements.
23 Combien d'homme y avait-il dans votre village le 20 avril 1993 ou aux
24 environs de cette date ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Trente à peu près.
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1 M. Harmon (interprétation). - Où étaient les autres hommes ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Les autres se trouvaient sur la
3 première ligne, avec l'armée serbe.
4 M. Harmon (interprétation). - Quel type d'armes étaient
5 disponibles ? Quelles étaient les armes que possédaient vos hommes dans le
6 village avant l'attaque ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Avant l'attaque, on avait des
8 fusils de chasse, quelques bombes, des grenades, en général les fusils de
9 chasse et quelques fusils qui ont été utilisés à l'époque et qui avaient
10 été ramenés. Il y en avait peut-être cinq au total, pas plus.
11
12 M. Harmon (interprétation). - Le 19 avril, la veille de
13 l'attaque, avez-vous vu des résidants croates de Gacice quitter le
14 village ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, le 19 avril j'ai pu voir
16 les femmes croates avec les enfants quitter le village en grande vitesse,
17 avec des sacs sur le dos, vers le village de Mlakici, dans la partie
18 basse, alors que durant des semaines entières auparavant ils
19 s'approvisionnaient en aliments. Toutes les femmes et tous les enfants ont
20 effectivement quitté le village.
21 M. Harmon (interprétation). - Un éclaircissement : lorsque vous
22 parlez du village de Mlakici, c'est bien la partie croate du village de
23 Gacice, n'est-ce pas ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
25 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, à présent
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1 je demanderai la pièce à conviction suivante de l'accusation. Je crois
2 qu'il s'agit de la pièce à conviction 156. Je demanderai que cette pièce
3 soit montrée au témoin qui pourra nous en parler lorsqu'elle parlera de
4 l'attaque. Dans cette pièce à conviction, monsieur le Président, nous
5 avons un agrandissement de la pièce à conviction 77, avec des cercles qui
6 indiquent un certain nombre de lieux. Il y a également une légende qui
7 est annexée.
8 Pour le compte rendu, monsieur le Président, le témoin a eu la
9 possibilité de m'indiquer quels sont les lieux qu'il convenait d'inscrire
10 sur cette pièce à conviction. Le témoin a également eu la possibilité de
11 comparer la légende avec les numéros apposés sur la pièce à conviction en
12 tant que telle. Je lui poserai une question si je le puis.
13 Madame Hrustic, concernant les numéros qui figurent sur cette
14 pièce à conviction et les indications figurant dans la légende, avez-vous
15 pu passer en revue aussi bien les légendes que les numéros ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
17 M. Harmon (interprétation). - La légende était-elle précise ?
18
19 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
20 M. Harmon (interprétation). - S'il vous est plus facile de vous
21 appuyer sur cette pièce à conviction pendant la suite de votre déposition,
22 je vous en prie, n'hésitez pas, sinon je vous poserai d'autres questions
23 plus tard. Mais pour le moment, madame Hrustic, je vous demanderai de bien
24 vouloir passer au récit de l'attaque elle-même, l'attaque de votre village
25 qui a eu lieu le 20 avril. Pourriez-vous, en utilisant vos termes
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1 personnels, et à votre rythme, décrire cette attaque, ce que vous avez vu
2 et fait ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - C'était donc à la veille de
4 l'attaque. Je suis partie de la maison indiquée n° 1 vers la maison
5 indiquée par le n° 6 avec mes deux enfants et ma mère. D'autres s'y
6 trouvaient également.
7 Le matin d'abord, les obus sont tombés. Le village a été pilonné
8 de tous les côtés, et ensuite dans la direction de Mlakici marqué
9 également par le n° 12. Il y avait des tirs assez forts. Le village a été
10 pilonné, les obus tombaient. Les gens de chez nous se retiraient vers la
11 forêt car ils n'étaient pas armés, alors que les femmes et les enfants
12 restaient dans les caves.
13 Après le pilonnage du village, je suis sortie quelquefois pour
14 apporter de l'eau aux enfants, car nous n'avions rien dans les caves, nous
15 n'avions pas été approvisionnés. J'ai donc pu voir les soldats en
16 uniformes qui couraient entre les maisons, qui s'interpellaient, qui nous
17 appelaient, qui tiraient.
18 Nous sommes restés dans les caves et j'ai entendu, en provenance
19 du n° 11, des enfants et des femmes qui pleuraient, qui poussaient des
20 cris. Ensuite, nous avons entendu de nouveau des rafales ; j'ai pu
21 entendre les soldats qui nous disaient : "Balije, je vous encule, on va
22 vous écraser, on va vous tuer, nous savons que vous êtes tous là, nous
23 allons vous égorger tous, personne ne restera, ce n'est pas la peine de
24 vous cacher, nous savons que vous êtes tous là".
25 Dans mon groupe nous étions huit. Il y avait une personne âgée
Page 4820
1 d'environ soixante-
2
3 cinq ans. Les autres étaient mes deux enfants, moi-même et quelques femmes
4 âgées. Nous sommes donc sortis de la cave. Sur le schéma, la maison est
5 indiquée par le n° 6. Tandis que nous étions encore dans la cave, j'ai
6 entendu les rafales. Je pouvais voir également quelques maisons. Il n'y
7 avait pas véritablement de portes sur les maisons et j'ai donc vu les
8 vitres brisées, les maisons en flamme, beaucoup de fumée. De tout ce que
9 j'ai pu voir autour de moi, tout était en flamme.
10 L'homme qui nous avait appelés se trouvait derrière le garage où
11 nous étions nous-mêmes placés et nous avons pu entendre également son
12 fusil et la manière dont il le préparait, ainsi que la flamme qui
13 commençait à sortir.
14 Je suis sortie avec ce groupe de huit, parce que nous avons
15 considéré que c'était plus sûr si nous étions en groupe. Sur la chaussée,
16 il y avait beaucoup de femmes, de personnes âgées, de vieillards, beaucoup
17 de soldats avec des insignes comme le U ou HVO, HV. Quelques autres
18 portaient d'autres insignes. Ils commençaient à rire sur notre compte et
19 ils ont tous dit : "Oui, on savait que vous étiez là-bas".
20 Ils nous ont encerclés et ils nous ont poussés à former une
21 colonne. Il y avait un monsieur de plus de soixante ans avec nous. Un
22 soldat a pris un fusil. Il y avait un imam également avec nous, de plus de
23 soixante ans. Le soldat lui a dit : "Toi, tu es balija, tu es venu ici
24 pour leur enseigner ta confession". Le monsieur ne disait rien ; il s'est
25 agenouillé, le soldat lui a donné quelques coups de fusil, il lui a
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1 demandé d'ouvrir la bouche et lui a laissé le bout de fusil dans la
2 bouche.
3 Nous avons continué. Nous sommes arrivés devant une maison. Ils
4 nous ont dit que nous allions continuer -nous ne savions pas où
5 d'ailleurs- et ils nous ont amenés jusqu'à l'hôtel Vitez, nous tous les
6 enfants et toutes les femmes.
7 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre
8 un instant pour quelques éclaircissements complémentaires. Vous avez dit
9 que les soldats que vous aviez vus
10
11 dans le village et qui l'attaquaient portaient des insignes divers :
12 l'insigne du HVO, l'insigne du HV, la lettre U. Avaient-ils aussi des
13 emblèmes marqués Vitezovi sur l'épaule ? Et les soldats de ces différentes
14 unités vous semblaient opérer ensemble au cours de l'attaque de votre
15 village ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
17 M. Harmon (interprétation). - L'attaque de votre village est-
18 elle venue de trois directions différentes correspondant au n° 12 sur la
19 pièce à conviction 146 de l'accusation ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
21 M. Harmon (interprétation). - A un certain moment, au mois
22 d'avril, vous avez dit que vous-même et des civils de votre maison sont
23 sortis pour rejoindre d'autres civils et qu'on vous a fait marcher en
24 colonne jusqu'à la ville de Vitez. Combien de civils y avait-il à peu près
25 dans cette colonne ?
Page 4822
1 Mme Hrustic (interprétation). - Nous étions 247.
2 M. Harmon (interprétation). - Pendant qu'on vous forçait à
3 marcher dans la direction de l'hôtel Vitez, vous a-t-on dit pourquoi ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
5 M. Harmon (interprétation). - Pendant que vous marchiez vers
6 l'hôtel Vitez, pouviez-vous entendre des pilonnages ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, tout le long de la route,
8 nous entendions le pilonnage ; les enfants avaient très peur, ils se
9 cachaient derrière nous. On entendait les coups de mortier, les obus, le
10 pilonnage.
11 M. Harmon (interprétation). - Vous êtes donc arrivé à l'hôtel
12 Vitez à ce moment-là, est-ce exact ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, devant l'hôtel Vitez.
14 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais maintenant prier
15 l'huissier de placer sur le rétroprojecteur la pièce à conviction 157 qui
16 se compose de deux photographies.
17
18 J'aimerais que nous commencions par la première photographie.
19 La première photographie, Monsieur l'huissier, correspond à la
20 référence PH.206.
21 Madame Hrustic, reconnaissez-vous cette photographie et pouvez-
22 vous dire aux juges ce qu'elle représente ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, c'est le Hôtel Vitez où les
24 civils ont été emmenés. C'est justement l'endroit où nous étions emmenés.
25 M. Harmon (interprétation). - Monsieur l’Huissier, je vous
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1 demanderais de placer la photographie 207 sur le rétroprojecteur. Madame
2 Hrustic, reconnaissez-vous ce que représente cette photographie ? De quoi
3 s’agit-il ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je reconnais tout à fait
5 l’endroit. C’est l’endroit où j’ai passé la journée avec d’autres
6 personnes avec qui nous avons été emmenées.
7 M. Harmon (interprétation). - Donc vous étiez assise entre
8 l’Hôtel Vitez que nous avons vu sur la photographie 206 et ce bâtiment qui
9 figure sur la photographie 207. C’est bien cela ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, c'est exact.
11 M. Harmon (interprétation). - Je demanderai maintenant à
12 M. l'huissier de prendre la pièce à conviction de l'accusation 158 et de
13 la placer sur le rétroprojecteur. Pour le compte rendu et les conseils de
14 la partie adverse, je précise qu'il s'agit là d'un agrandissement de la
15 pièce 45 associée à une légende et celle-ci comporte un élément.
16 Madame Hrustic, voyez-vous sur votre écran la pièce à conviction
17 n° 158 qui vient d'être placée ? Pouvez-vous dire aux juges ce que
18 représente ce grand cercle blanc, à côté duquel figure le n° 1 ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - C’est l’espace où nous étions
20 installés, entre 2 heures 30 et 3 heures, le 20 avril.
21 M. Harmon (interprétation). - Donc c'est l'endroit où environ
22 247 civils ont été
23
24 contraints de rester, le 20 avril ? C'est bien cela ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - C'est vrai.
Page 4824
1 M. Harmon (interprétation). - En employant vos termes à vous, je
2 vous demanderai de bien vouloir raconter aux juges comment vous êtes
3 arrivée à l’hôtel Vitez et ce qui s'est passé, au moment où vous vous
4 trouviez à l’Hôtel Vitez ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Tout d’abord, nous avons
6 attendu. Nous ne savions pas ce qui allait se passer, quoi faire. Il y
7 avait parmi nous un grand nombre de personnes. Ils nous ont d'abord dit
8 que les hommes devaient se mettre d'un côté et que les femmes et les
9 enfants devaient se mettre de l'autre côté. Il y avait un mètre de
10 distance à peu près entre les deux colonne, si je puis dire. Ils ont pris
11 d’abord les hommes et les ont emmenés. Cela s'est passé en l’espace de dix
12 minutes à peu près.
13 Ensuite, nous sommes restées. Un soldat a dit : « je vais
14 rentrer pour informer le commandant sur ceux-là », en montrant notre
15 groupe. Un soldat a dit alors : « on peut les mettre dans la salle de
16 cinéma ».
17 Devant l'hôtel, il y avait un grand trou qui était l’oeuvre
18 d’une grenade. J’étais assise là-dedans. Un soldat surveillait.
19 Ensuite, un autre soldat est arrivé, mais avant cela un homme
20 est arrivé avec sa caméra. Ensuite, un soldat est arrivé avec de l’eau
21 minérale qu’il nous a offert. Le cameraman a pris des photos pendant que
22 les femmes et les enfants commençaient à boire. Mais une fois qu’il est
23 parti, l’eau est partie avec.
24 M. Harmon (interprétation). - Vous venez de dire qu'un soldat
25 est rentré à l'intérieur de l'hôtel pour informer le commandant. Y a-t-il
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1 eu un autre moment où les soldats ont parlé de pilonnage et où il a été
2 question du lieu où se trouvaient les civils ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Un soldat, pendant que nous
4 étions debout, a dit : « vous allez rester ici et ce sont maintenant les
5 vôtres qui vont tirer les obus sur vous, qui vont
6
7 vous pilonner parce que jusqu’à maintenant, nous avons été pilonnés. C’est
8 maintenant votre tour d’attendre d’être pilonnés. »
9 M. Harmon (interprétation). - Les soldats sont-ils restés avec
10 les 247 civils ou, après avoir dit cela, les soldats sont-ils rentrés dans
11 le Hôtel Vitez ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - L'hôtel est par pratiquement
13 fait de verre, donc nous pouvions les voir, mais eux aussi pouvaient nous
14 voir. Ils ont dit qu'ils étaient bien cachés, qu’ils n'avaient pas peur et
15 que rien ne pouvait leur arriver.
16 Les soldats nous ont emmené. Ensuite, ils sont rentrés à l'hôtel
17 où ils sont restés pendant que le cameraman, comme je l'ai dit, filmait.
18 Nous ne pouvions pas bouger parce que de toute façon ils nous voyaient et
19 ils allaient tirer sur nous, si jamais nous bougions.
20 M. Harmon (interprétation). - Vous êtes restée là entre
21 2 heures 30 et 3 heures, c’est bien cela ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. Nous sommes restés devant.
23 Personne ne nous a prévenu qu'il fallait partir et nous non plus, nous
24 n’avons pris aucune initiative.
25 M. Harmon (interprétation). -Est-ce que plus tard on vous a dit
Page 4826
1 où il fallait aller ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Ultérieurement, on nous a dit
3 que nous devions retourner vers le village. En descendant vers le village,
4 nous avons vu les maisons en flammes, ainsi que les étables en flammes.
5 Nous avions peur. Nous ne savions pas où passer la nuit. Il y avait
6 beaucoup de personnes. Un soldat s'est retourné vers nous et nous a dit :
7 que voulez-vous ? « Que je vous fusille ici même ? »
8 M. Harmon (interprétation). - Vous a-t-on escorté jusqu'au
9 village ? Y êtes-vous allés de votre plein gré ou vous a-t-on menacé en
10 vous disant que si vous ne retourniez pas de l’Hôtel Vitez à votre
11 village, vous seriez tués ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, c'est ce qu'on nous a dit.
13 M. Harmon (interprétation). - Vous venez de dire « oui ».
14 Pouvez-vous expliquer
15
16 cette réponse pour les juges ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Toutes les femmes et tous les
18 enfants qui sont partis étaient sans nourriture, sans eau, donc chacun
19 menait son enfant et le protégeait. On ne savait pas ce qu'on allait
20 manger, où retourner car les maisons, comme je vous l’ai dit, étaient en
21 flammes. Nous avons traversé le village. On nous a dit que nous devions
22 absolument y retourner sinon on allait nous fusiller directement, sur-le-
23 champ.
24 M. Harmon (interprétation). - Croyez-vous que vous-même et les
25 autres civils qui se trouvaient devant l’hôtel Vitez ont été utilisés en
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1 tant que boulier humain, à cette occasion ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je le pense.
3 M. Harmon (interprétation). - Vous êtes rentrée dans votre
4 village où vous êtes restée pendant 16 jours. C’est bien cela ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
6 M. Harmon (interprétation). - Vous-même et les autres civils
7 avez été installés dans un certain nombre de maisons qui n'avaient pas été
8 détruites et qui figurent sur la pièce à conviction de l'accusation
9 n° 156, en face du n° 4. Il y a donc une flèche qui montre ce numéro.
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
11 M. Harmon (interprétation). - Pendant ces 16 jours passés dans
12 le village, j'aimerais que vous parliez au juge de la tranchée que vous
13 avez vu creuser. Pourriez-vous dire aux juges ce que vous avez vu, en
14 rapport avec cette tranchée ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Quand nous sommes retournés dans
16 le village, on nous a dit qu'il fallait qu'on s'installe dans les maisons
17 qui n’avaient pas été incendiées, l'une à côté de l'autre.
18 M. Harmon (interprétation). - Je n'entends pas l'interprétation
19 anglaise, monsieur le Président.
20 M. le Président. - Monsieur le greffier ?
21
22 M. Harmon (interprétation). - Je l’entends, maintenant.
23 M. le Président. - Très bien, continuez.
24 Mme Hrustic (interprétation). - Quand nous sommes retournés dans
25 le village, on nous a dit qu'il fallait absolument rester dans les
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1 maisons, qui se trouvaient les unes à côté des autres, pour pouvoir nous
2 contrôler et bien nous voir. On nous a donc mis un endroit et dit qu'une
3 armée allait nous suivre et nous surveiller. Ces soldats ont été armés.
4 Pendant ce temps-là, nous n’avons reçu ni nourriture ni eau ni vêtements.
5 Comme nous n’avions pas d'eau à notre disposition, nous avons
6 donc été obligés d'aller à 200 mètres de l'endroit où nous étions
7 installés. Mais une fois les soldats informés pour pouvoir aller chercher
8 de l'eau. C’est par groupe de trois ou quatre femmes que nous avions le
9 droit d’aller chercher de l’eau.
10 Personnellement, de la maison où j'étais installée, j'ai pu voir
11 la maison n° 1. Il a fallu passer à côté pour aller chercher de l’eau.
12 Une fois, j’ai vu un camion arriver pour faire une excavation,
13 des tranchées entre 40 et 45 mètres d’une largeur d’environ 2 mètres. Bien
14 évidemment, nous ne savions pas quoi faire.
15 Un matin, très tôt, je me suis levée et j'ai pu voir, quand je
16 suis partie chercher de l'eau, une voiture blanche ; c'était une
17 ambulance. Une femme en blanc et un monsieur ont donc posé deux dépouilles
18 dans ces tranchées : un corps de 50 centimètres de largeur et un autre
19 corps un peu plus large. Les deux corps ont été brûlés.
20 J’ai demandé à mon voisin si on allait remplir les tranchées, si
21 elles étaient réservées pour d'autres habitants du village, il m'a répondu
22 que c'était une petite fille et sa mère d’Ahmici. Il ne m’a pas dit leurs
23 noms. Il a tout simplement dit qu'ils suivaient des instructions, que si
24 on leur donnaient des instructions ils agiraient en fonction, et que sinon
25 nous allions survivre.
Page 4829
1 M. Harmon (interprétation). - Votre voisin était-il un soldat du
2 HVO nommé Boro Krizanovic ?
3
4 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
5 M. Harmon (interprétation). - Quand avez-vous vu ces deux
6 victimes d’Ahmici que l’on plaçait dans cette tranchée pour les enterrer
7 dans votre village ? A quelle date à peu près ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - C'était à peu près vers la fin
9 du mois d'avril, début mai.
10 M. Harmon (interprétation). - Boro Krizanovic vous a-t-il dit
11 quelles étaient les unités qui avaient participé à l'attaque de Gacice ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. Quand nous sommes retournés
13 vers l'hôtel, il nous a dit effectivement qu’il s’agissait de jeunes
14 hommes, qu'ils avaient eu une très bonne armée, qu'ils avaient reçu l'aide
15 de la 333ème brigade de Split et de la 125ème brigade de Varazdin.
16 M. Harmon (interprétation). - Ces deux endroits sont en
17 Croatie ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
19 M. Harmon (interprétation). - Boro Krizanovic vous a-t-il aussi
20 dit ce qui était arrivé à un Musulman appelé Fikret Hrustic et qui
21 habitait dans votre village ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. Il est arrivé et à ce
23 moment-là, on lui a demandé ce qui allait nous arriver. Comment a-t-il pu
24 faire quelque chose de ce genre-là ! C'était tellement cruel et brutal,
25 car nous avons pratiquement vu un corps qui était en train de brûler dans
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1 la cave d'une maison juste en face de la mienne.
2 Il m'avait dit qu'il était effectivement devant la maison, que
3 Fikret Hrustic était à l'intérieur, qu'il avait rangé les casseroles et
4 les assiettes sur la porte en pensant qu'il n'allait pas pouvoir y
5 rentrer, qu’il avait dit : "Ce ne sera pas Herceg-Bosna !". ON l’a soi-
6 disant appelé, il ne voulait pas sortir. Il a tout simplement crié : "Ce
7 ne sera jamais Herceg-Bosna, s’il faut mourir, moi je vais mourir ici,
8 c'est mon pays". C’est à ce moment-là qu'on l'a enflammé. Il a
9
10 poussé des cris pendant qu'il perdait la force et la conscience. Il était
11 fou, il n’aurait pas dû agir ainsi.
12 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais
13 maintenant que la pièce à conviction 159 soit distribuée, c'est la
14 photographie de la pierre tombale de Fikret Hrustic, avec les dates
15 correspondant à sa naissance et à sa mort. Je demanderai que cette pièce à
16 conviction soit montrée au témoin. Nous pourrons ensuite poursuivre les
17 questions sans que ce document soit placé sur le projecteur.
18 Je voudrais que nous parlions maintenant d’un homme qui répond
19 au nom de Garic Kreso. Madame Hrustic, pouvez-vous nous parler de
20 M. Garic Kreso. Qui est-il et quelles conversations avez-vous eues avec
21 lui ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Une fois que nous sommes
23 retournés vers l'hôtel, un monsieur est arrivé, en uniforme et avec un
24 casque sur la tête. Il a dit qu'il s'appelait Garic Kreso. Il a dit aussi
25 que ses parents se trouvaient dans le village de Mlakici et qu’il avait
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1 vécu pendant dix-huit ans à Zagreb, qu'il était arrivé pour l'opération en
2 cours dans notre village et que par conséquent, par la suite, ils
3 retourneraient là où ils étaient avant.
4 M. Harmon (interprétation). - Avez-vous été au courant du fait
5 qu'il est allé à l’hôtel Vitez à un certain moment ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Il nous a dit tout ce que nous
7 voulions savoir, éventuellement pour nous déplacer, etc. Il fallait
8 certainement lui poser la question. Il ne fallait pas changer d'endroit où
9 aller d'une maison à l'autre sans lui demander si on pouvait le faire.
10 Quand on demandait l'aide d'un de nos voisins, ou quoi que ce soit
11 d’autre, il fallait lui poser la question. Souvent, les voisins nous
12 répondait : "Kreso n'est pas ici, il a une réunion importante, quand il
13 viendra vous pourrez lui poser la question".
14 M. Harmon (interprétation). - D’accord. Madame Hrustic,
15 j'aimerais que vous regardiez à nouveau la pièce à conviction 156 de
16 l’accusation qui est un agrandissement d'une
17
18 partie de la pièce à conviction 77.
19 Sur cette photographie, un certain nombre de maisons et
20 bâtiments sont endommagés. Avez-vous eu l'occasion de voir cette
21 photographie avant d'entrer dans le prétoire ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
23 M. Harmon (interprétation). - Un certain nombre de bâtiments ne
24 correspondent pas à des numéros, mais sont endommagés sur cette
25 photographie. Pouvez-vous dire aux juges si ces bâtiments qui ne sont pas
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1 marqués d’un numéro, mais qui sont endommagés, sont des bâtiments qui
2 appartenaient à des Musulmans ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
4 M. Harmon (interprétation). - Et il y a un bâtiment qui
5 appartient à un Croate ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
7 M. Harmon (interprétation). - Eu égard à cette pièce à
8 conviction particulière, vous avez eu la possibilité de voir les photos
9 prises dans le village de Gacice.
10 J'aimerais maintenant vous montrer, très rapidement, avec l’aide
11 de l’Huissier, une série de photographies et vous demander de dire qui
12 était le propriétaire de ces bâtiments.
13 Je commencerai par la pièce à conviction 78. Nous passerons
14 rapidement en revue ces photographies placées sur le rétroprojecteur.
15 Commençons par la photographie 254, Monsieur l'huissier.
16 J'aimerais que nous allions assez vite s'il n'y a pas
17 d'objection de la partie adverse. Montre-t-elle la maison qui appartenait
18 à Zoran Hrustic ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
20 M. Harmon (interprétation). - Nous en sommes à la
21 photographie 256. Ce bâtiment appartenait-il à Ferid Subasic, un Musulman
22 du village de Gacice ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
24
25 M. Harmon (interprétation). - Passons maintenant à la
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1 photographie 250. Ce bâtiment de Gacice appartenait-il à deux soeurs dont
2 le nom de famille était Subasic ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
4 M. Harmon (interprétation). - Maintenant, monsieur l'huissier,
5 passons à la pièce à conviction 160 qui est la photographie suivante.
6 Commençons par la photographie 238 de la pièce à conviction 160, si vous
7 le voulez bien.
8 Madame, cette photographie est-elle celle de la petite mosquée
9 qui existait dans le village de Gacice ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
11 M. Harmon (interprétation). - Photographie 241 s'il vous plaît.
12 La photographie montre-t-elle une maison qui était également située à
13 Gacice et qui appartenait à Hercegovac ?
14 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
15 M. Harmon (interprétation). - Peut-on passer maintenant à la
16 photographie 252 ?
17 Est-ce un bâtiment de Gacice qui appartenait à un homme musulman
18 répondant au nom d'Ismir Hrustic ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Imsir Hrustic, oui.
20 M. Harmon (interprétation). - Merci pour la correction.
21 Maintenant j'aimerais que nous prenions la photographie 254. Vous m'avez
22 montré, madame Hrustic, trois maisons de Gacice, mais vous ne connaissiez
23 pas le nom de leurs propriétaires. Cela étant, vous avez dit que les
24 propriétaires étaient musulmans. Est-ce l'une des photographies en
25 question ? Il s'agit de la photographie 254.
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
2 M. Harmon (interprétation). - Pouvons-nous passer à la
3 photographie 256 ? Je vous pose la même question. Cette maison
4 appartient-elle à un Musulman et se trouve dans le village de Gacice ?
5
6 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
7 M. Harmon (interprétation). - Attendons, si vous le voulez bien,
8 que la photographie soit sur le rétroprojecteur. Elle n'est pas dans la
9 série ? Alors passons à la 250.
10 Monsieur le Président, je ne sais pas exactement pourquoi ces
11 photographies ne sont pas dans les pièces à conviction, mais je les
12 représenterai plus tard. Passons à la pièce à conviction 251.
13 M. le Président. - Je ne suis pas sûr que cela soit contesté par
14 la défense. Vous pouvez verser la pièce à conviction. Le témoin l'a
15 reconnue. Cela n'est pas contesté.
16 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous me dire ce que
17 représente cette pièce à conviction, madame Hrustic ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - C'est la porte d'entrée. C'est
19 une maison dans le village de Gacice qui, à l'époque, était le foyer pour
20 les jeunes. C'était une discothèque, la bibliothèque... un foyer de
21 loisir, un centre de jeunesse.
22 M. Harmon (interprétation). - Et avant l'attaque du 20 avril,
23 nous voyons des graffitis sur le mur qui est représenté sur cette
24 photographie. Est-ce que ce graffiti était sur le mur avant l'attaque du
25 20 avril 1993 ?
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, ces graffitis sont restés
2 au moins trois mois sur la maison, donc bien avant l'attaque. On n'avait
3 même pas le droit de pénétrer dans l'immeuble, on nous a enlevés la clé.
4 C'est l'armée croate qui s'y trouvait. Devant la porte, il y avait deux
5 soldats armés qui gardaient l'entrée. Le soir, on apportait je ne sais pas
6 quoi dans cet immeuble et les Musulmans n'avaient certainement pas le
7 droit d'y rentrer. Ce sont effectivement les graffitis de cet immeuble.
8 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas
9 d'autre question à poser au témoin. Merci madame Hrustic, mais j'aimerais
10 demander le versement au dossier de la pièce à conviction 156 et de la
11 légende associée, de la pièce à conviction 157 et deux
12
13 photographies de la pièce à conviction 158 qui est un agrandissement d'une
14 photo de la zone située autour de l'hôtel Vitez, de la pièce à
15 conviction 159 et la pièce à conviction 160.
16 M. le Président. - Pas d'opposition sur le versement des pièces
17 à conviction ?
18 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi, j'ai encore une
19 question à poser au témoin, si vous me le permettez, mon collègue vient de
20 me la rappeler.
21 Pourriez-vous me dire comment vous avez quitté le village de
22 Gacice seize jours plus tard et comment les autres villageois ont quitté
23 le village ? Je parle des villageois musulmans qui avaient été détenus
24 dans ces diverses maisons.
25 Mme Hrustic (interprétation). - Très souvent, pendant que nous
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1 étions encore dans le village, il y avait des personnes armées qui
2 arrivaient par camions et qui disposaient de listes avec des noms de
3 toutes les personnes. Ils lisaient les noms, ils prenaient les femmes et
4 les enfants, ils les emmenaient on ne sait pas où.
5 Le jour dont vous parlez, un ami de l'armée HVO m'avait dit de
6 prendre ma mère, mes deux enfants et qu'il allait m'emmener sur le
7 territoire où se trouvait l'armée bosniaque. Les autres qui sont restés
8 dans le village, d'autres villageois, ne savaient pas où j'allais ; moi
9 non plus d'ailleurs, je ne sais pas où exactement je devais être emmenée.
10 Deux heures plus tard, on a fait monter ces villageois dans les
11 camions et on leur a dit qu'ils devaient continuer dans la colonne vers
12 Veceriska.
13 Les autres villages ont été emmenés jusqu'au barrage de
14 Dubravica et on leur a dit de poursuivre leur chemin jusqu'à Zenica. Est-
15 ce bien cela ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, on a dit que tous ceux-là
17 allaient partir à Zenica et ce n'est qu'à ce moment-là qu'on a pu savoir
18 que pour d'autres, dont on ne savait pas où ils allaient selon les listes,
19 on savait où ils étaient emmenés.
20 M. Harmon (interprétation). - Je n'ai pas d'autre question,
21 monsieur le Président, je vous remercie.
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23 M. le Président. - La défense ne change pas de point de vue ?
24 M. Nobilo (interprétation). - Non.
25 M. le Président. - Je me tourne vers mes collègues.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, peut-être
2 ne nous sommes-nous pas bien compris ? J'ai des questions à poser dans le
3 cas d'un contre-interrogatoire, mais je n'ai pas de remarque au sujet des
4 pièces à conviction dont le versement était proposé au dossier.
5 M. le Président. - Il est 17 heures 40. Dans ces conditions nous
6 allons suspendre l'audience et nous reprendrons demain à 11 heures. Merci.
7 (La séance est levée à 17 heures 50)
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