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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
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4 Mardi 9 décembre 1997
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6 L'audience est ouverte à 12 heures 00.
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9 M. le Président. - Veuillez vous asseoir. Monsieur le Greffier,
10 pouvez-vous faire introduire l’accusé, s’il vous plaît ?
11 (L’accusé, M. Blaskic, est introduit en salle d’audience.)
12 M. le Président. - Bonjour tout le monde. Je suppose que la
13 cabine d'interprétation est prête. Nous avons déjà commencé par une
14 matinée très laborieuse.
15 Interprète. - Très laborieuse, monsieur le Président. Bonjour.
16 M. le Président. - Nous vous en remercions. Nous allons
17 travailler, cette audience pendant une heure environ, pour continuer, je
18 crois, le contre-interrogatoire du témoin. Tout le monde m'entend-il ?
19 Nous pouvons commencer. Qui prend le contre-interrogatoire ? Maître
20 Nobilo ?
21
22 M. Nobilo (interprétation). - Oui, c'est moi monsieur le
23 Président. Bonjour, madame Hrustic. Je m'appelle Anto Nobilo, et avec mon
24 collègue Russell Hayman, nous défendons le général Blaskic. J'aurais
25 quelques questions à vous poser.
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1 Vous avez dit que votre directeur-agent vous a dit que vous
2 alliez devoir enseigner en langue croate. Dites-moi, qu’est-ce que cela
3 veut dire ? Cela a-t-il changé quoi que ce soit dans votre travail ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Pratiquement rien n’a changé
5 dans la manière dont j’ai travaillé. Le programme de travail était le
6 même, mais on ne pouvait pas utiliser le serbo-croate, comme jusqu'à cette
7 époque-là. Il a été indispensable d'utiliser la langue croate. Il n'y a
8 que la langue qui a été appelée croate. Uniquement le vocabulaire a
9 changé : c'était le vocabulaire croate.
10 M. Nobilo (interprétation). - Mais dans le concret, quelque
11 chose a-t-il changé ? Avez-vous changé la langue dans laquelle vous
12 parliez jusqu'à cette date, dans votre enseignement ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Personnellement, non. Car
14 j'étais professeur de langue anglaise.
15 M. Nobilo (interprétation). - Mais vous deviez aussi parler un
16 peu le croate, le bosniaque ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Quand je devais faire la
18 version, il m'a été dit de surtout utiliser les recueils croates et les
19 livres croates.
20 M. Nobilo (interprétation). - Les soldats portant un emblème à
21 la feuille de chêne... Vous avez dit que vous aviez appris, par téléphone,
22 qu'il s'agissait de soldats d’Herzégovine. Pouvez-vous me dire combien de
23 temps avant le conflit du 20 avril, vous avez parlé avec eux ? Je parle
24 d'une date.
25 Mme Hrustic (interprétation). - Je les ai appelés en novembre,
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1 car ils étaient déjà
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3 chez nous en novembre.
4 M. Nobilo (interprétation). - Novembre 1992 ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
6 M. Nobilo (interprétation). - Dites-moi, quand avez-vous cessé
7 de les voir ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Quand je suis sortie de Vitez.
9 M. Nobilo (interprétation). - Donc, vous les avez vus tout le
10 temps ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Ils étaient là tout le temps. On
12 a pu les voir, ils étaient installés dans l'usine Slobodan Princip Seljo.
13 Ils étaient à l'école, mais on pouvait les voir tout le temps.
14 M. Nobilo (interprétation). - En dehors du fait que vous étiez
15 contrôlée au moment de vos passages, avez-vous vu, personnellement, le
16 moindre signe de violence, de la part de ces soldats qui portaient un
17 emblème à la feuille de chêne ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Pensez-vous à notre village, qui
19 a été contrôlé avant ? Ces gens-là se trouvaient avec tous ceux qui
20 encerclaient le marché. Nous avons pu, donc, les voir ensemble; pas dans
21 les colonnes, pas dans les groupes, mais on pouvait les voir, en
22 permanence, en compagnie de l'armée qui était à Vitez, le HVO.
23 M. Nobilo (interprétation). - En dehors de cela, sur le marché,
24 quand ils renversaient les étals, avez-vous vu le moindre autre signe de
25 violence à l'encontre des civils, de la part de ces soldats ?
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne m'en souviens pas.
2 M. Nobilo (interprétation). - Un jour ou deux avant l'attaque de
3 Ahmici -et l'attaque contre les autres villages environnants Ahmici-,
4 avez-vous vu des mouvements de troupes plus importants que d'habitude ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
6 M. Nobilo (interprétation). - Pouvez-vous nous décrire la
7 situation de votre village,
8
9 par rapport à l'usine Slobodan Princip Seljo ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Dans quel sens ?
11 M. Nobilo (interprétation). - Etes-vous sur la colline, pas loin
12 de cette usine, derrière l'usine... Voyez-vous bien les lieux ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Oui. J'ai pu voir l'intérieur de
14 l'usine. Nous étions à gauche par rapport à l'usine.
15 M. Nobilo (interprétation). - Sommes-nous en droit de dire que
16 votre village est limitrophe de la clôture de l'usine militaire Princip
17 Seljo ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
19 M. Nobilo (interprétation). - Sommes-nous en droit de dire que
20 Donja Veceriska est en face, sur l'autre colline, et se trouve aussi tout
21 près de l'usine militaire Slobodan princip Seljo ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
23 M. Nobilo (interprétation). - En réponse aux questions de
24 l'interrogatoire principal mené par le Procureur, vous avez dit qu'il y
25 avait six ou sept soldats dans le village.
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
2 M. Nobilo (interprétation). - Combien y avait-il d'habitants, au
3 total, dans ce village, si vous le savez ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne peux pas vous le dire, je
5 ne sais pas.
6 M. Nobilo (interprétation). - Savez-vous combien il y avait de
7 maisons, dans le village ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Au total, cent maisons, serbes,
9 musulmanes, et croates.
10 M. Nobilo (interprétation). - Combien y avait-il de maisons
11 musulmanes, sur ce chiffre de cent ?
12
13 Mme Hrustic (interprétation). - 45, à peu près.
14 M. Nobilo (interprétation). - Donc, les Musulmans n'étaient pas
15 en majorité ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Non. On n’était pas la majorité,
17 on était pratiquement partagé. Je ne peux pas vous dire exactement combien
18 de maisons, mais je sais qu'il y en avait.
19 M. Nobilo (interprétation). - Savez-vous combien il y avait
20 d’hommes en âge de combattre, en âge militaire, à peu près, dans votre
21 village ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Trente, à peu près.
23 M. Nobilo (interprétation). - Qui était le commandant de l'unité
24 de l'armée de Bosnie-Herzégovine, dans le village ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Nesad Hrustic.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Qui était l'adjoint du commandant
2 de cette armée ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Hrustic Nihad.
4 M. Nobilo (interprétation). - Cette unité, avec laquelle ils
5 contrôlaient le village, savez-vous à quelle brigade elle appartenait ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Il y avait des représentants de
7 la communauté locale, des représentants, donc, chargés des questions
8 militaires, au moment où ils négociaient avec les Croates. Quand les
9 Croates nous ont posé l'ultimatum, ce sont les gens qui ont été élus pour
10 négocier avec les Croates. Ils n'avaient pas d’unité, ils n'appartenaient
11 à aucune unité. Nous n'avons eu aucune unité.
12 M. Nobilo (interprétation). - Madame Hrustic, est-ce que, le
13 4 mai 1993, l'unité de sécurité de la 308ème Brigade de l’armée de Bosnie
14 Herzégovine... Avez-vous donné une déclaration à cette unité ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
16 M. Nobilo (interprétation). - Dans cette déclaration - je vais
17 la citer en anglais, cela
18
19 vous sera traduit - est-ce que vous avez dit : « l’officier commandant
20 l'unité de l'armée bosniaque était Nesad Hrustic, qui était absent. Son
21 adjoint était Nihad Hrustic, qui a refusé, rejeté l'ultimatum portant sur
22 la restitution des armes. »
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, mais c'était dans le sens
24 « commandant » voire « représentant de la partie bosniaque ».
25 M. Nobilo (interprétation). - Ici, dans ce texte, vous parlez à
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1 des représentants d'organes militaires. Vous dites que le commandant de
2 l’armée bosniaque était Nesad Hrustic.
3 Mme Hrustic (interprétation). - Quand quelqu’un vous demande qui
4 était du côté croate, vous dites le nom. Quand on vous demande qui était
5 du côté bosniaque, à ce moment-là vous dites aussi le nom. Je suis sûre,
6 je ne suis pas un stratège militaire, mais je sais que nous n'avions pas
7 l'armée.
8 M. Nobilo (interprétation). - Aviez-vous une station de radio
9 militaire dans le village ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
11 M. Nobilo (interprétation). - Où était-elle installée ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Actuellement, je ne m'en
13 souviens pas. C'était une station de radio qui avait été improvisée. Des
14 gens avaient été volontaires. Ils ont été formés dans l'armée de la JNA,
15 justement pour agir dans ce cadre-là. Mais, de toute façon, elle n'a pas
16 fonctionné de toute façon. Nous n'avons pas réussi à avoir de contacts.
17 M. Nobilo (interprétation). - Je vais vous lire une autre
18 citation de votre déclaration que vous avez fournie aux représentants des
19 organes de sécurité militaire, peu de temps après votre départ de la
20 municipalité de Vitez.
21 Je cite : "Immédiatement après l’attaque du village, la maison
22 de Mahmut Hrustic a été détruite. Dans cette maison, se trouvait une poste
23 de radio. Le commandant-adjoint et Hrustic ont été tués tous les deux par
24 un obus qui a détruit la maison." (fin de citation). Est-ce
25
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1 que cela est exact ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Il ne s'agissait pas d'une
3 station, c'était un talkie-walkie.
4 M. Nobilo (interprétation). - Avec qui étaient-ils en contact
5 grâce à ce talkie-walkie, comme vous dites ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne m'en souviens pas.
7 M. Nobilo (interprétation). - Dites-moi comment saviez-vous
8 combien il y avait de fusils dans le village, combien il y avait
9 d'armements ? Les aviez-vous vus personnellement où aviez-vous posé la
10 question à quelqu’un ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Non. C’est, à peu près, ce que
12 j'ai vu. Avant même l'attaque de notre village, c’est ce que nous avons pu
13 entendre des gens qui étaient autour de nous, de nos propres hommes. Car
14 ces gens-là avaient très peur. Ils n'avaient rien. J'ai pu voir que les
15 fusils de chasse ont été préparés et qu'ils étaient réparés. Je ne sais
16 combien de soldats sont partis du côté de la ligne serbe.
17 M. Nobilo (interprétation). - Apportaient-ils des armes depuis
18 la ligne de front ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Par moment dans le village, mais
20 les fusils devaient être déposés quelque part dans la ville même, au
21 centre-ville de Vitez, au commandement peut-être.
22 M. Nobilo (interprétation). - Quand ont commencé les pourparlers
23 au sujet de la restitutions des armes, combien de jours avant l’attaque ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Les négociations ont commencé
25 après l'incendie d’Ahmici, donc le 17. Je me souviens bien, Hrustic a été
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1 tué dans un entrepôts où il y avait trente-cinq femmes. Hrustic Kadir a
2 été tué à cette époque-là. De l’autre côté, il y avait Krizanovic Anto.
3 M. Nobilo (interprétation). - Quand Nihad a-t-il été tué ?
4
5 Mme Hrustic (interprétation). - Nihad a été tué le matin où
6 l'attaque a commencé. Nihad n'était pas dans le village.
7 M. Nobilo (interprétation). - A-t-il été tué ou pas ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Nihad et Kadir y étaient.
9 M. Nobilo (interprétation). - Nihad était votre commandant,
10 votre présentant ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Nihad était représentant.
12 M. Nobilo (interprétation). - Quelles étaient les fonctions de
13 Kadir ?
14 Mme Hrustic (interprétation). - C’était un homme plus âgé, sage.
15 Nous avions pensé qu’il était très prudent et qu’il allait se déclarer en
16 notre nom de manière convenable.
17 M. Nobilo (interprétation). - Les négociations ont commencé
18 le 17.
19 Mme Hrustic (interprétation). - A peu près.
20 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit qu’il y avait eu
21 d’autres pourparlers. Etait-ce le lendemain ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Je me souviens ! La partie
23 musulmane a essayé, de nouveau, de négocier. On nous a donc appelés à
24 déposer les armes et à nous prononcer « loyaux ». Nos hommes ont essayé de
25 renégocier, mais ils n'ont pas réussi.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Dans ces conditions, pouvez-vous
2 nous dire combien de jours ont duré ces pourparlers ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Deux ou trois heures, je ne me
4 souviens pas, mais ce n’était pas en jours.
5 M. Nobilo (interprétation). - Ont-ils contacté Sefkija Dzidic au
6 sujet de cette question de la reddition des armes ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne sais pas.
8 M. Nobilo (interprétation). - Qui a décidé que les armes
9 allaient être rendues ou plutôt qu'elles ne seraient pas rendues ?
10
11 Mme Hrustic (interprétation). - Ce sont les hommes qui l'ont
12 décidé entre eux. Nihad et Kadir sont arrivés avec ces informations, avec
13 les propositions du HVO. Ils sont venus pour donner des explications,
14 prendre les décisions et voir comment il fallait agir.
15 M. Nobilo (interprétation). - Aux enquêteurs du Bureau du
16 Procureur, vous avez fourni une première déclaration. Vous avez dit que
17 l’adjoint du commandant des Musulmans de Gacice, Nihad Hrustic, n’a pas
18 accepté la restitution des armes. Vous en tenez vous à ce là ou bien
19 modifiez-vous votre déclaration ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Il a dit au HVO que nous
21 n’acceptions pas, oui !
22 M. Nobilo (interprétation). - Si dans le village il n'y avait
23 pas d'armes et si vous ne pouviez pas vous défendre, pourquoi y avait-il
24 tant de pourparlers portant sur les armes ? Et pourquoi vous n’avez
25 restitué ces quelques fusils de chasse ? Pouvez-vous me l’expliquer ?
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1 Mme Hrustic (interprétation). - Nous savions, à peu près, ce
2 qui s'était passé dans d'autres villages. Nous savions que si nous
3 déposions ces quelques armes on allait nous égorger et nous tuer. Si on
4 pouvait se défendre, on pouvait défendre les civils pendant que les autres
5 sortaient.
6 M. Nobilo (interprétation). - Vos voisins croates, avec qui vous
7 meniez ces pourparlers, vous garantissaient ils la sécurité ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - De quelle façon ?
9 M. Nobilo (interprétation). - Dans le cadre des pourparlers !
10 "Si nous vous restituez vos armes, nous vous garantissons la sécurité",
11 est-ce que ces mots ont été prononcés ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne m’en souviens pas.
13 M. Nobilo (interprétation). - Puisque les pourparlers ont
14 échoué, des tranchées ont-elles étaient creusées ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Non, on n'a pas creusé de
16 tranchées. Juste avant
17 l'attaque, dans notre village, nous avons donc déterminé un certain nombre
18 de maisons. Celles qui étaient plus près de la forêt comportaient un
19 certain nombre de tranchées de 20 centimètres de profondeur. Celles-ci ont
20 été creusées. Les tranchées qui ont été creusées, ont servi à
21 l’installation des civils.
22 M. Nobilo (interprétation). - Je vais encore vous lire un
23 passage de la déclaration que vous avez fournie aux représentants du
24 Bureau du Procureur.
25 Je cite : "Le 18 avril, les Musulmans ont commencé à creuser
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1 quelques tranchées, de 2 à 3 mètres de long, aux environs des maisons. Il
2 s'agissait surtout d’hommes, de Musulmans, qui à partir de ce moment-là
3 nous ont gardé" ; est-ce exact ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Probablement, oui. A peu près
5 devant toutes les maisons, il y avait une tranchée.
6 M. Nobilo (interprétation). - La nuit qui a précédé l'attaque,
7 vous êtes partie vers le haut du village. Est-ce exact ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
9 M. Nobilo (interprétation). - Nous est-il permis de dire que,
10 dans la partie inférieure du village, des Musulmans et des Croates
11 vivaient ensemble, alors que dans le haut du village il y avait surtout
12 des Musulmans ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Non. Il y avait des cibles d'un
14 côté et de l'autre.
15 M. Nobilo (interprétation). - Où étaient principalement les
16 Musulmans, davantage dans le bas ou dans le haut du village ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Plus dans le haut du village.
18 M. Nobilo (interprétation). - Pourquoi êtes-vous justement
19 partie dans le haut du village ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Parce que c’était plus près de
21 la forêt et parce que j'y ai vu ma première voisine. J’ai vu mes voisins
22 de ce côté-là. Parce que Princip était tout près
23 du bas du village. On avait considéré qu’il était beaucoup plus
24 sûr d’être plus près de la forêt, donc dans le haut du village.
25 M. Nobilo (interprétation). - La nuit précédente avez-vous
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1 également passée la nuit dans le haut du village ou pas ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - La nuit avant ! Encore une dont
3 je ne me souviens pas.
4 M. Nobilo (interprétation). - Oui.
5 Mme Hrustic (interprétation). - Cela signifie-t-il que vous vous
6 attendiez à une attaque quand vous êtes partie dans le haut du village ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Nous avons vécu dans l'espoir
8 que les voisins n'allaient pas nous toucher et qu'ils allaient quand même
9 s'arrêter devant nous, sachant que nous n'avions pas de quoi lutter contre
10 eux. Mais, nous avons vu ce qui c’était passé dans les villages
11 environnants, donc qu'il n'allait pas s'arrêter.
12 M. Nobilo (interprétation). - Du haut du village, dans quelle
13 direction aviez-vous une issue libre, dans quel sens ?
14 Mme Hrustic (interprétation). - Vers le haut du village ?
15 M. Nobilo (interprétation). - Mais à partir du haut du village,
16 où pouviez-vous partir librement, étant donné que l'attaque a commencé
17 contre votre village ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Vers Kruscica.
19 M. Nobilo (interprétation). - Qui contrôlait Kruscica ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Les Bosniaques.
21 M. Nobilo (interprétation). - Donc, entre le haut du village, la
22 forêt et Kruscica, il y avait un passage libre.
23 Mme Hrustic (interprétation). - Non, il y avait notre village,
24 la forêt et Kruscica.
25 M. Nobilo (interprétation). - Les hommes, que vous avez décrits,
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1 ont-ils également
2
3 emprunté ce chemin pour s’enfuir ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
5 M. Nobilo (interprétation). - En réponse à l'interrogatoire
6 direct du procureur, vous avez répondu qu'au moment de l'attaque du
7 village, il y avait eu des pilonnages. Qu'entendez-vous par là ? Quel
8 genre d'obus tombaient sur le village ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne sais pas exactement quel
10 type d'obus, mais ce que je peux décrire ce sont les dommages dans les
11 maisons. Il y avait énormément de détonations très importantes.
12 M. Nobilo (interprétation). - Au sujet de Kruscica, je vais
13 relire ce que vous avez dit au représentant du bureau du procureur avant
14 la date d'aujourd'hui. Je cite : "Le 20 avril 1993, aux alentours de
15 5 heures, nous avons entendu des grenades tirées contre nous. Les obus
16 étaient comme des grenades qui sortent des fusils. Je sais cela parce que
17 je connais leur son. Plus tard, nous avons trouvé des obus non explosés".
18 Cela correspond-il à ce que vous venez de dire ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, c'est bien cela.
20 M. Nobilo (interprétation). - Qui a incendié la maison de
21 Fikret Hrustic ? Le savez-vous ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne sais pas exactement qui
23 l'avait incendié.
24 M. Nobilo (interprétation). - Dans cette déclaration que vous
25 avez donnée au service de sécurité militaire, c'est-à-dire peu de temps
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1 après votre départ le 4 mai 1993, vous dites que Fikret Hrustic était
2 vivant et qu'il a brûlé vif dans l'incendie de sa maison qui a été
3 provoqué par votre voisin Boro.
4 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, un voisin était venu voir.
5 Il m'a raconté exactement ce qui s'est passé : "Nous étions devant la
6 maison de Fikret. Il a mis beaucoup de casseroles sur la porte, ce qui
7 était ridicule. Nous l'avons appelé pour le faire sortir, mais il
8 n'a jamais voulu accepter. Il criait, il disait : "Je n'accepte
9 pas, il n'y aura pas de Herceg-Bosna...". Il était fou, il ne voulait pas
10 accepter".
11 Quand Boro disait "nous", je ne sais pas qui était avec lui. Je
12 ne peux pas vous le dire.
13 M. Nobilo (interprétation). - A l'occasion de cette attaque
14 contre Gacice, quels sont les habitants de votre village qui sont morts ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Pour ce qui est de notre
16 village, les hommes avaient en général des petits noms. Quatre civils ont
17 été tués, un garçon a été blessé, quelques femmes ont été blessées. Le
18 garçon avait quinze ans. Hrustic Fikret, Hrustic Nihad, Hercegovac Ekrem,
19 et Hercegovac Fikret ont été tués. Pour le dernier, je ne sais pas si
20 vraiment je dis le nom : Ekrem Ramulj.
21 M. Nobilo (interprétation). - Nihad, s'agit-il de cet adjoint du
22 commandant ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, il était en uniforme,
24 plutôt en veste militaire. Il était avec les gens dans l'entrepôt, avec
25 les femmes et les enfants.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Et Hercegovac, savez-vous à quel
2 endroit il est mort ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Hercegovac s'est enfui vers
4 l'usine.
5 M. Nobilo (interprétation). - Il n'est pas mort d'une balle
6 tirée par un tireur embusqué ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Non. C'était un civil. Il avait
8 très peur. Il pensait qu'à partir du moment où il travaillait à l'usine,
9 quelqu'un allait l'aider, qu'il allait être caché, mais malheureusement il
10 a été tué. Il n'avait strictement rien sur lui.
11 M. Nobilo (interprétation). - De ces quatre hommes qui ont été
12 tués, avez-vous personnellement observé les circonstances dans lesquelles
13 ils ont été tués ? Avez vous vu la mort de l'un d'entre eux ?
14 Mme Hrustic (interprétation). - Non, personnellement, mais je
15 l'ai entendu dire
16
17 par les villageois.
18 M. Nobilo (interprétation). - Des civils, des habitants du
19 village qui se sont rendus au HVO, est-ce que l'un quelconque, au moment
20 de cette reddition, a été blessé ou tué ?
21 Mme Hrustic (interprétation). - Aucun des civils n'a été tué,
22 mais il y a eu des blessés parmi ceux qui se sont rendus.
23 M. Nobilo (interprétation). - De quelle façon ? Pouvez-vous le
24 décrire ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Ils étaient emmenés sur la ligne
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1 du HVO pour creuser les tranchées. Subasic a été emmené et je lui ai porté
2 de la nourriture à l'école élémentaire de Vitez. On lui a tiré sur la
3 jambe, il a été blessé.
4 M. Nobilo (interprétation). - Dans le village, quand ils vous
5 ont regroupés, quand les soldats sont entrés, à ce moment-là y a-t-il eu
6 des violences exercées contre les civils, à savoir que des civils ont été
7 blessés par des soldats ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
9 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que dans la partie
10 inférieure du village la première ligne de front de défense a été créée ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
12 M. Nobilo (interprétation). - Je vais vous redonner lecture d'un
13 passage de la déclaration que vous avez faite au représentant de l'armée
14 de Bosnie Herzégovine, service de sécurité militaire. Vous y dites la
15 chose suivante : "Au cours de la première attaque, les combattants des
16 premières lignes se sont rendus ; leurs armes ont été saisies et ils ont
17 été emmenés dans l'école de Dubravica".
18 Mme Hrustic (interprétation). - La première ligne, cela voulait
19 dire les hommes qui sont restés dans la première partie du village, la
20 première maison. Il y avait donc une tranchée devant la première maison et
21 c'était pour nous la première ligne. Quand nous disons la première ligne,
22 cela veut dire le premier point qui a été attaqué et d'où venait l'ennemi.
23 Sinon,
24 on n'avait pas des première, deuxième, troisième ligne, etc.
25 Dans notre village, il n'y avait véritablement aucune ligne.
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1 M. Nobilo (interprétation). - D ans cette déclaration, vous
2 dites que les hommes qui étaient sur les premières lignes ont rendu leurs
3 armes...
4 Mme Hrustic (interprétation). - Quand je parle des lignes, ce
5 sont les lignes d'où venait l'attaque, leurs lignes d'attaque.
6 M. Nobilo (interprétation). - Est-il exact que les hommes qui
7 ont rendu leurs armes, ou quel que soit le terme que vous utilisez, ont
8 été emmenés à Dubravica ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - Ils ont été emmenés à l'école de
10 Vitez.
11 M. Nobilo (interprétation). - Est-il exact que l'un de ces
12 hommes, qui venait de la première ligne du village, quel que soit le nom
13 que vous lui donnez, Ekrem Hrustic, est venu dans la partie haute du
14 village chez vous avec un drapeau et qu'il a appelé les hommes à se rendre
15 parce qu'eux s'étaient déjà rendus ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, il est venu avec un drapeau
17 blanc dans le village, car son frère, qui avait quinze ans, avait été
18 blessé devant une étable et ne bougeait pas ; il saignait énormément. Il
19 est donc venu d'en haut, il a porté un drapeau blanc en disant : "Rendez-
20 vous parce que je veux tirer mon frère de là".
21 M. Nobilo (interprétation). - A-t-il appelé les soldats à se
22 rendre, ceux qui étaient dans la partie haute du village, parce qu'eux
23 s'étaient déjà rendus ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
25 M. Nobilo (interprétation). - Donc ce sont d'abord les hommes de
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1 la partie basse du village qui se sont rendus, puis Ekrem est parti avec
2 son drapeau blanc et il a appelé les hommes de la partie haute du village
3 à se rendre aussi ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Il est venu d'en bas, avec le
5 drapeau blanc. Son frère est resté en haut du village où nous nous sommes
6 trouvés. Il est donc arrivé d'en bas du
7 village vers le haut du village.
8 M. Nobilo (interprétation). - Qu'a-t-il demandé quand il est
9 arrivé en haut ? Que les hommes se rendent ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
11 M. Nobilo (interprétation). - A-t-il dit qui l'avait envoyé ?
12 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne m'en souviens pas.
13 M. Nobilo (interprétation). - Est-il exact que Fadil Hrustic et
14 sa femme Behija, ainsi que leur fils, qui vivaient dans la partie basse du
15 village, sont allés de maison en maison pour demander aux hommes de se
16 rendre en leur disant qu'il n'y avait pas d'autre possibilité ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
18 M. Nobilo (interprétation). - Est-il exact que leur maison a été
19 conservée intacte ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - C'est exact.
21 M. Nobilo (interprétation). - Est-il exact que Behija Hrustic a
22 fait une déclaration à la télévision pour le HVO ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - C'est exact. Et même, quand nous
24 avons été emmenés à l'hôtel, elle-même, son époux ainsi que les enfants
25 étaient les seuls à rester dans le village.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Rien ne leur est arrivé ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Rien.
3 M. Nobilo (interprétation). - Dans le cadre de cette attaque,
4 avez-vous reconnu certains des hommes qui vous attaquaient ? Avez-vous
5 reconnu des voisins à vous ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
7 M. Nobilo (interprétation). - Pouvez-vous nous donner quelques
8 uns des noms des hommes que vous avez reconnus ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - C'était en général tous les
10 voisins. Je peux dire :
11 Baska Hadin, Prizanovici, Zbosniaci, Matici.
12 M. Nobilo (interprétation). - Donc les habitants ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Pratiquement tous les Croates.
14 M. Nobilo (interprétation). - Vous étiez 247 civils dans le
15 village, avez-vous dit, quand vous avez été regroupés. Quand vous avez
16 pris la route pour vous diriger vers Vitez, à deux kilomètres de distance,
17 est-ce que sur la route et autour de la route il y avait des pilonnages ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Non, il n'y avait pas de
19 pilonnage sur la route sur laquelle nous avons marché. Où ? Je ne sais
20 pas.
21 M. Nobilo (interprétation). - Par quelle route êtes-vous entrés
22 dans le village ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - A côté du cinéma. Nous avons
24 pris la route vers l'hôtel.
25 M. Nobilo (interprétation). - Quand vous êtes arrivés dans
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1 Vitez, y avait-il des pilonnages à ce moment-là ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Je n'ai pas véritablement vu les
3 obus tomber. Il n'y avait pratiquement personne sur la route.
4 M. Nobilo (interprétation). - Quand vous étiez assis devant
5 l'hôtel Vitez, est-ce que des grenades tombaient sur Vitez ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Non, nous n'avons pas pu voir.
7 Nous avons entendu les explosions. Il y avait un très grand cratère devant
8 l'hôtel et moi-même j'étais assise devant le cratère. Derrière, il y avait
9 un grand self-service. Tous les verres ont éclaté à cause de la
10 détonation.
11 M. Nobilo (interprétation). - Mais savez-vous quand cet obus est
12 tombé ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
14 M. Nobilo (interprétation). - Dites-moi, s'agissant de votre
15 conclusion selon
16 laquelle vous étiez des boucliers vivants, cette idée
17 s'appuyait-elle sur quelque chose que quelqu'un vous aurait dit ?
18 Mme Hrustic (interprétation). - Au moment où vous êtes avec les
19 enfants, avec tous ceux qui sont âgés, sachant ce qui s'était passé dans
20 les villages environnants, ayant vu des flammes, des obus tomber, le
21 soldat qui avait dit "Asseyez-vous à cet endroit parce que les vôtres
22 nous ont pilonné", sachant que c'était avant l'attaque, on aurait pu
23 s'attendre à cette attaque.
24 Personnellement, j'y étais et je pensais que nous avions été
25 emmenés en tant que boucliers humains. Il n'y avait pas de soldat croate.
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1 Au moment où j'étais assise dans le cratère, cela m'était égal de mourir
2 ou pas.
3 M. Nobilo (interprétation). - Mais il n'y avait pas de pilonnage
4 à Vitez au moment où vous marchiez vers Vitez, au moment où vous êtes
5 entrés dans Vitez et au moment où vous étiez assis dans Vitez ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Monsieur, cela vous est égal où
7 les obus tombent !
8 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, objection !
9 Le témoin a déjà répondu à cette question. Elle a dit qu'elle a entendu
10 des explosions et qu'elle a entendu des pilonnages. Elle a répondu et
11 M. Nobilo repose la même question.
12 M. le Président. - Il n'a pas tout à fait reposé la même
13 question, Monsieur le Procureur. C'est un point important, effectivement.
14 C'est vrai qu'on se perd dans beaucoup de détails, excusez-moi de le
15 remarquer - aussi bien du côté de l'accusation que du côté de la défense.
16 Il se trouve que la question du bouclier humain est en relation avec
17 l'acte d'accusation. Je crois donc qu'il faut poser des questions sur le
18 problème des boucliers humains. Excusez-moi, témoin, mais je pense que la
19 défense doit poser ces questions. Par contre, essayez de faire un effort
20 et de ne pas la reposer sous la même forme, Maître Nobilo.
21 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. J'en
22 ai pratiquement
23 terminé, mais je voulais simplement récapituler en permettant au
24 témoin de repasser sur ces questions, à savoir s'il y avait ou non des
25 pilonnages ou si c'était simplement une sensation subjective du témoin.
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1 Je vous prie, puisque le Procureur m'a interrompu... Mon
2 confrère me fait remarquer que cela n'a pas été inscrit au procès-verbal.
3 Je vous demandais : "au moment où vous marchiez vers Vitez, où vous
4 entriez dans Vitez et étiez assise dans Vitez, y a-t-il eu des
5 pilonnages ?" et à ce moment-là, nous avons été interrompus. Pourriez-vous
6 répondre oui ou non ?
7 Mme Hrustic(interprétation). - Je ne sais pas ce qui a été
8 pilonné. Je n'ai pas vu les endroits qui ont été pilonnés, à savoir si
9 c'était Vitez ou une autre ville, mais j'ai entendu les détonations. Cela,
10 je l'ai entendu.
11 M. Nobilo(interprétation). - Pendant tout ce temps, à savoir
12 pendant que vous marchiez sur la route, que vous entriez dans Vitez et que
13 vous étiez assise devant l'Hôtel, avez-vous vu un seul obus éclater ?
14 Mme Hrustic(interprétation). - Je ne m'en souviens pas.
15 M. Nobilo(interprétation). - Combien de maisons ont-été
16 incendiées dans votre village, que vous avez vues personnellement, et à
17 qui appartenaient-elles ?
18 Mme Hrustic(interprétation). - Environ trente-cinq maisons... Je
19 ne sais pas exactement, il y avait des maisons musulmanes et une maison
20 croate.
21 M. Nobilo (interprétation). - Parmi ces trente cinq, vous
22 comptez aussi les étables ?
23 Mme Hrustic(interprétation). - Non.
24 M. Nobilo (interprétation). - Au représentant de la sécurité
25 militaire, vous avez parlé de vingt-sept maisons.
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1 Mme Hrustic(interprétation). - C'était un chiffre approximatif.
2 On n'avait pas le
3 temps de compter les maisons et personne ne pensait en maison.
4 Ce qui était indispensable pour nous, c'était de sauver notre vie.
5 M. Nobilo (interprétation). - Dans combien de maisons à votre
6 retour de Vitez... ? D'abord, à Vitez ont-ils séparé les hommes de vous ?
7 Mme Hrustic(interprétation). - Oui, devant l'Hôtel, tous les
8 hommes ont été séparés des femmes et des enfants.
9 M. Nobilo (interprétation). - Quand vous êtes revenus, dans
10 combien de maisons habitiez- vous ?
11 Mme Hrustic(interprétation). - Sept maisons.
12 M. Nobilo (interprétation). - Etait-ce des maisons musulmanes ?
13 Mme Hrustic(interprétation). - Oui.
14 M. Nobilo(interprétation). - Est-ce que des gens vivaient dans
15 ces maisons ?
16 Mme Hrustic(interprétation). - Dans certaines maisons oui, et
17 dans d'autres pas.
18 M. Nobilo (interprétation). - Y avait-il des vivres dans le
19 village, dans les autres maisons ?
20 Mme Hrustic(interprétation). - Dans d'autres maisons
21 musulmanes ?
22 M. Nobilo(interprétation). - Ou croates ?
23 Mme Hrustic(interprétation). - Je ne sais pas combien de vivres
24 il y avait à cette époque. Je pense que personne n'avait faim. On devait
25 bien manger. Mais je ne sais pas combien de vivres il y avait.
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1 M. Nobilo(interprétation). - Est-il exact que les femmes du
2 village de Gacice apportaient de la nourriture aux hommes dans l'école ?
3 Mme Hrustic(interprétation). - Oui.
4 M. Nobilo(interprétation). - Est-il exact que le traitement
5 était bon et que si quelqu'un était malade il bénéficiait de soins
6 médicaux ?
7 Mme Hrustic(interprétation). - Oui.
8 M. Nobilo(interprétation). - Eu égard à l'eau, aviez-vous de
9 l'eau par les services publics du village ?
10 Mme Hrustic(interprétation). - Oui.
11 M. Nobilo(interprétation). - Saviez-vous qu'à ce moment-là, tout
12 le monde n'avait pas d'eau à Vitez et qu'il y avait des coupures d'eau ?
13 Mme Hrustic(interprétation). - Non, je ne savais pas.
14 M. Nobilo(interprétation). - Vous avez dit qu'avant de partir du
15 village de Gacice avec vos enfants, certains de vos voisins ont été
16 évacués à bord de camions. Pouvez-vous nous dire qui les a évacués, les
17 membres de quelle armée ?
18 Mme Hrustic(interprétation). - Avant que nous soyons sortis du
19 village, après l'attaque.
20 M. Nobilo(interprétation). - Après l'attaque, quand vous êtes
21 rentrée de Vitez et que vous avez passé seize jours dans le village, vous
22 avez dit à un moment que des habitants avaient été évacués en camion et
23 que plus tard, vous aviez appris qu'ils étaient à Zenica. Est-ce le HCR
24 qui les a évacués ?
25 Mme Hrustic(interprétation). - C'étaient les grands camions et
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1 ils étaient uniformés HVO.
2 M. Nobilo (interprétation). - Il y avait des représentants du
3 HCR qui surveillaient cela et organisaient ?
4 Mme Hrustic(interprétation). - Dans notre village, non, je n'en
5 ai jamais vu. Au moment où nous sommes sortis et entrés, non.
6 M. Nobilo(interprétation). - Plus tard, certains vous ont-ils
7 dit que le HCR avait organisé cette évacuation ?
8 Mme Hrustic(interprétation). - Je n'ai pas parlé de cela et je
9 ne sais pas.
10 M. Nobilo(interprétation). - Quand les hommes de votre village
11 sont partis vers Kruscica, savez-vous ce qu'il est advenu d'eux ? Dans
12 quelle armée ont-ils fini par aboutir ?
13 Mme Hrustic(interprétation). - Maintenant, je le sais, 325, mais
14 à cette époque-là, je ne le savais pas.
15 M. Nobilo (interprétation). - Combien d'hommes sont arrivés dans
16 l'unité, la 325ème du village ?
17 Mme Hrustic(interprétation). - Je pense quinze ou dix-huit, mais
18 je ne sais pas exactement.
19 M. Nobilo(interprétation). - Vous avez parlé de la 303ème de
20 Split et de la 125ème de Varazdin de l'armée croate. Vous avez parlé de
21 ces unités comme étant des unités qui ont attaqué votre village ou dans un
22 autre contexte ?
23 Mme Hrustic(interprétation). - Je ne sais pas. Krizan, Boranj me
24 l'a dit également. Il est venu me dire : "Vous n'avez aucune chance.
25 Théoriquement, cela n'est pas possible de vous défendre. Nos hommes sont
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1 bien formés, ils sont arrivés à nous aider. La 330ème brigade est arrivée
2 ainsi que la 125ème". Personnellement, je ne peux pas dire, je n'ai pas vu
3 que c'était la 125ème ou la 330ème.
4 M. Nobilo(interprétation). - Mais il le disait dans le cadre de
5 l'attaque du village ?
6 Mme Hrustic(interprétation). - Je ne sais pas si cela était au
7 cours de l'attaque du village.
8 M. le Président. - Maître Nobilo, évitez de parler en même temps
9 que le témoin, s'il vous plaît. On me signale qu'il faut que vous évitiez
10 de parler en même temps que le témoin, sinon cela est très compliqué.
11 L'interprète. - Merci, monsieur le Président.
12 M. Nobilo(interprétation). - Nous parlons la même langue et nous
13 nous oublions
14 de temps en temps.
15 Vous avez dit que vous n'aviez pas vu ces brigades de Split et
16 de Varazdin. Qui, au moment de l'attaque, avez-vous pu voir depuis la
17 partie haute du village ? Quels hommes, quels emblèmes portaient-ils et à
18 quelle distance les voyiez-vous ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Après que le village a été
20 incendié, lorsque nous sommes sortis des caves, là où nous étions cachés,
21 nous étions quelque peu mélangés avec les soldats. Ils étaient à un demi-
22 mètre de nous et étaient de provenance différente parce que chacun se
23 trouvait dans des caves et entrepôts différents. Tous étaient ensemble,
24 les soldats étaient avec nous.
25 M. Nobilo (interprétation). - Quels emblèmes avez-vous vu
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1 exactement ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Le HVO, le HV avec la lettre U
3 et la lettre des Vitezovi.
4 M. Nobilo (interprétation). - Combien avez-vous d'insignes du
5 HVO par exemple ?
6 Mme Hrustic (interprétation). - Ils étaient un peu tous mélangés
7 en groupe, je n'ai pas vu.
8 M. Nobilo (interprétation). - Cinq ? Cinquante ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - Deux HV.
10 M. Harmon (interprétation). - Objection, monsieur le Président,
11 elle a déjà répondu, elle a dit qu'elle ne savait pas.
12 M. le Président. - C'est exact.
13 M. Nobilo (interprétation). - D'accord. Avez-vous vu
14 Darko Kraljevic ?
15 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
16 M. Nobilo (interprétation). - Connaissez-vous Darko Kraljevic ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je le connaissais, je le
18 voyais avant l'attaque.
19 M. Nobilo (interprétation). - Avez-vous vu quiconque, ou au
20 moment où les
21 soldats ont pénétré dans votre village, avez-vous entendu dire
22 que les soldats avaient subi des pertes et que quelqu'un était mort du
23 côté du HVO ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
25 M. Nobilo (interprétation). - Savez-vous qu'avant l'attaque il y
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1 avait des patrouilles mixtes ? Je parle de patrouilles musulmano-croates
2 dans votre village.
3 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
4 M. Nobilo (interprétation). - Vous ne savez pas ? Bien.
5 Les Musulmans avaient-ils leurs patrouilles qui patrouillaient
6 la nuit ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Les patrouilles non, mais les
8 postes de contrôle oui.
9 M. Nobilo (interprétation). - Vous parlez de gardiens, de
10 personnes qui se tiennent debout à un endroit déterminé ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
12 M. Nobilo (interprétation). - Y avait-il des gardes armés ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Non, ils avaient des fusils.
14 C'était des retraités, des personnes âgées et s'il y avait éventuellement
15 quelqu'un qui allait attaquer le village, ils allaient l'annoncer à la
16 population.
17 Il y avait une ou deux personnes, pas plus, avec un fusil de
18 chasse.
19 M. Nobilo (interprétation). - C'est tout, Monsieur le Président,
20 merci.
21 M. le Président. - Monsieur le Procureur, avez-vous des
22 questions complémentaires ? Allez-y.
23 M. Harmon (interprétation). - Oui, merci, Monsieur le Président.
24 Une question vous a été posée dans le cadre du contre-
25 interrogatoire au sujet du moment où les 247 civils ont été rassemblés et
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1 ont pris la route de Vitez. La question portait sur l'éventualité de
2 violences exercées contre les civils. Vous rappelez-vous cette question ?
3 Mme Hrustic (interprétation). - Lorsque nous étions sur la route
4 pour descendre vers l'hôtel, on nous poussait. On avait obligé des vieux à
5 ouvrir la bouche dans laquelle on mettait un fusil.
6 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, elle a
7 répondu à la première partie de la question.
8 Pour replacer les choses dans leur contexte, les soldats du HVO
9 qui vous escortaient, vous injuriaient-ils aussi ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, ils nous ont injuriés.
11 Beaucoup, beaucoup de jurons en général.
12 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas
13 posé la moindre question au sujet de la façon dont les soldats ont traité
14 ces personnes pendant leur trajet jusqu’à Vitez. J'ai demandé au témoin si
15 elle avait remarqué des violences exercés par les soldats de Herzégovine
16 dans les mois précédant l'attaque. Quant à l'entrée dans Vitez, je n'ai
17 posé des questions que sur le pilonnage.
18 M. le Président. - Monsieur le Procureur ?
19 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je ne suis
20 pas d'accord avec cela. Je crois qu’une question a été posée par M. Nobilo
21 quant au fait de savoir, lorsque les civils ont été escortés dans la
22 direction du village de Vitez, si des violences avaient été exercées à
23 leur encontre. C'est cette question qui stimule mes propres questions
24 actuelles.
25 M. le Président. - Je vous rappelle le principe, les
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1 interrogatoires ne doivent pas excéder le contre-interrogatoire et
2 inversement.
3 Cela dit, il faut bien penser aux juges aussi. Il n’est pas
4 indifférent pour les juges de savoir s’il y a eu des violences, même
5 verbales. Si cette question n'avait pas été posée, elle l’aurait peut-être
6 été par un juge. Alors allez-y, maître Harmon.
7 M. Harmon (interprétation). - Madame Hrustic, je vous prie,
8 pourriez-vous dire
9 aux juges quels types de violences ont été exercées contre vous
10 et les autres civils pendant que vous marchiez vers la ville de Vitez ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - En gros, ils juraient. Ils nous
12 appelaient des Balije, des Musulmans, disaient que ce n'était pas notre
13 place ici, qu’il ne fallait pas rester, qu’il fallait aller en Irak et en
14 Iran, donc dans d’autres pays arabes et musulmans. Ils nous injuriaient
15 notamment.
16 M. Harmon (interprétation). - En dehors de cela, lorsque vous
17 êtes arrivés à l’hôtel Vitez, des menaces directes ont-elles été proférées
18 contre vous et contre les autres civils, à savoir que si vous partiez de
19 l'hôtel Vitez vous seriez tués ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - C'est arrivé au moment où nous
21 sommes arrivés devant l'hôtel. Les femmes étaient fatiguées, les enfants
22 étaient angoissés. Ma fille de huit ans pleurait, elle me disait :
23 "Surtout fais attention !"
24 M. Nobilo (interprétation). - Objection ! Nous avons déjà tout
25 entendu.
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1 M. le Président. - Ne recommençons pas l'interrogatoire, s'il
2 vous plaît. Vous avez posé une question que j'ai trouvé légitime, celle
3 sur les 247 civils. Nous n'allons pas recommencer l'interrogatoire pour
4 savoir s'il y avait des injures à Vitez. Vous avez posé une question, elle
5 paraissait légitime, elle a été posée. Posez une autre question.
6 M. Harmon (interprétation). - Très bien. Madame Hrustic, des
7 questions vous ont été posées au sujet des pilonnages pendant votre trajet
8 jusqu'à Vitez. Pouviez-vous entendre les pilonnages, des détonations
9 provenant d'obus pendant que vous et les autres civils marchiez de Gacice
10 vers l'hôtel Vitez ?
11 M. le Président. - Il me semble qu'elle a répondu. Elle a
12 entendu.
13 Maître Nobilo lui a posé la question de savoir si des obus
14 éclataient devant elle. Elle a dit qu'elle n'avait pas vu d'obus éclater,
15 mais qu'elle les avait entendus. Donc la question a déjà été posée. Posez
16 une autre question.
17 M. Harmon (interprétation). - Je n'ai pas d'autre question.
18 Merci beaucoup madame Hrustic.
19 M. le Président. - Je me tourne vers les juges qui ont
20 certainement des questions complémentaires à vous poser. Je me tourne vers
21 le juge Riad.
22 M. Riad (interprétation). - Bonjour madame Hrustic. J'ai suivi
23 avec la plus grande attention la description que vous avez faite des
24 événements dont vous avez été témoin oculaire. J'aimerais vous poser la
25 question suivante : immédiatement avant le début de ces événements, y a-t-
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1 il eu des menaces proférées par les habitants musulmans de votre village
2 contre les citoyens ou habitants croates ? Ou bien est-ce que quiconque a
3 attaqué des objectifs croates, ce qui aurait pu provoquer tous ces
4 incidents, les incendies, les tueries que vous avez détaillés.
5 Mme Hrustic (interprétation). - Non, il n'y avait pas de
6 provocation du côté musulman. Il n'y avait même pas à parler de cela. On
7 souhaitait tout simplement vivre ensemble et rester là où nous étions. On
8 ne voyait pas mal... même les drapeaux qu'ils ont érigé, nous avons
9 accepté tout ce qu'ils ont fait. Nous avons accepté tout ce qu'ils nous
10 ont fait. Il n'y avait aucune attaque du côté des Musulmans à l'égard des
11 Croates.
12 M. Riad (interprétation). - Si nous suivons la description que
13 vous avez faite des événements en question, au cours de ces quelques jours
14 du mois d'avril, les choses ont commencé par un ultimatum portant sur
15 l'obligation de rendre les armes.
16 Vous avez également dit un peu plus tard que vous aviez appelé
17 la police -je suppose qu'il s'agissait de la police- et qu'un policier
18 vous a dit que la situation allait rentrer dans l'ordre prochainement, ce
19 que vous avez interprété comme signifiant qu'ils voulaient se débarrasser
20 des Musulmans.
21 Et puis vous avez été informée, je ne sais pas qui vous l'a dit,
22 du fait que ceci n'était pas votre pays, qu'il fallait que vous alliez en
23 Irak, en Turquie, etc..
24 Ces choses vous ont été dites dans des annonces publiques ou
25 s'agissait-il
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1 seulement de conversations privées ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - J'ai appelé l'accord où l'armée
3 était installée bien avant l'attaque, comme je l’ai dit. Nous avons
4 entendre à la télévision, à la radio, les représentants croates qui ne
5 disaient pas de façon tout à fait précise et claire : « Allez-vous en, les
6 balijas », mais ils s’adressaient plutôt au peuple croate. Ils ne
7 s’adressaient pas tellement au peuple musulman, mais plutôt au peuple
8 croate.
9 Quand ils utilisaient les mass medias, ils disaient que le pays
10 était leur propre pays, que c'est leur liberté, que leurs objectifs de
11 longue date allaient être atteints. Ils s'adressaient à leur propre
12 peuple. Nous, dans nos conversations privées, avec les voisins, en parlant
13 au téléphone avec d'autres personnes, il nous a été dit que cela n'était
14 pas notre pays et par conséquent, que nous devrions partir en Irak, en
15 Iran ou ailleurs. La route nous a été marquée vers la Turquie, etc., que
16 tout le pays serait croate et serbe.
17 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que vos voisins ont
18 commencé à s’entraîner et qu’ils ont conservé des armes dans leur maison
19 avant le début des événements, si j'ai bien compris. Vous avez ajouté
20 qu’un certain nombre de choses ont commencé, que le pilonnage du village
21 est venu de trois directions simultanément, que vous avez aussi vu les
22 villages environnants en flammes à Ahmici, Stari Vitez, Stara Bila,
23 Veceriska, que vous avez entendu une puissante explosion.
24 Selon votre appréciation, tout cela vous paraissait-il être le
25 résultat d'un plan organisé qui ait été exécuté de façon simultanée,
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1 notamment si l'on pense à ce que vous avez dit par la suite. En effet, des
2 voisins vous ont déclaré que vous n'aviez aucune chance face aux très
3 excellentes brigades, la 303ème et la 125ème, celles-ci étant tellement
4 entraînées et tellement performantes ?
5 Aviez-vous l'impression où vous rendiez-vous compte qu’il
6 s’agissait d’un mouvement bien organisé, d’un mouvement discipliné ou
7 simplement d'un groupe de
8 personnes sans aucun lien entre elles qui vous attaquaient d’un
9 peu partout.
10 Mme Hrustic (interprétation). - Je suis persuadée à 100 % que
11 tout a été préparé, que c’était programmé carrément et que c’était
12 organisé de manière tout à fait systématique. Avant même l'attaque de
13 notre village, même notre voisin, le Croate, nous a dit qu'ils avaient une
14 carte sur laquelle il était bien marqué chaque maison musulmane. Par
15 conséquent, qu’ils ne pouvaient certainement pas l’éviter, que tous
16 étaient concernés.
17 C’est nous qui avons espéré et avons pensé que cela ne se
18 produirait pas. En définitive, nous savions que si jamais l’attaque se
19 produisait, que nous ne pourrions pas nous en sortir.
20 M. Riad (interprétation). - Quand vous êtes allée à l’Hôtel
21 Vitez, il s'agissait d’un quartier général je crois, les hommes et les
22 femmes ont été mis chacun d'un côté et vous avez déclaré qu'un soldat
23 avait pénétré à l'intérieur de l’hôtel et avait dit qu’il allait informer
24 le commandant.
25 Pouvez-vous simplement me rappeler de quoi il s'agissait ?
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1 Pourquoi est-il entré dans l'hôtel pour informer le commandant ?
2 Mme Hrustic (interprétation). - Il est venu d’en bas, du
3 village. Nous étions tous ensemble. Nous avons été encerclés. Il y avait
4 de nombreux soldats, bien sûr pas à chaque mètre, mais il y en avait
5 beaucoup. Lui, effectivement, est rentré à l’intérieur et il a dit : « je
6 vais informer le commandant. » Il a fait signe à ses autres copains et il
7 est rentré là-dedans.
8 M. Riad (interprétation). - Donc il recevait des ordres ? Il
9 n’agissait pas de son propre gré, selon ses caprices du moment ?
10 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
11 M. Riad (interprétation). - Vous avez aussi parlé de tranchées
12 creusées et de boucliers humains qui étaient déployés devant l'hôtel. Tout
13 cela correspondait à des ordres.
14 Mme Hrustic (interprétation). - J’ignore pourquoi nous étions
15 devant l’hôtel. Je sais ce que le soldat avait dit, c’est ce que j’ai
16 entendu.
17 M. Riad (interprétation). - Le commandant était à l'intérieur de
18 l'hôtel et tout cela se passait autour de l’hôtel ?
19 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
20 M. Riad (interprétation). - Qui vit dans votre village en ce
21 moment ?
22 Mme Hrustic (interprétation). - Seulement des Croates.
23 M. Riad (interprétation). - Mais toutes les maisons musulmanes
24 n'ont pas été incendiées ?
25 Mme Hrustic (interprétation). - Non, quelques maisons musulmanes
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1 sont restées, mais les Croates ont fait une liste de personnes, une liste
2 sélective pour faire partir, en roulement, les maisons. Ma belle-mère, par
3 exemple, ne voulait pas sortir de sa maison, mais il lui a été dit que
4 tous les Musulmans devaient quitter le village et qu’ils seraient
5 échangés. J’ignorais comment et sous quelle forme, mais ils devaient
6 quitter le village.
7 M. Riad (interprétation). - Le village est donc devenu un
8 village croate aujourd’hui ?
9 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
10 M. Riad (interprétation). - Un détail simplement, je vous prie.
11 Vous avez dit qu'en chemin, ils se sont adressés à un des dirigeants
12 religieux, à un imam, et qu'ils lui ont mis un revolver dans la bouche.
13 Sélectionnaient-ils des personnes qu’ils persécutaient plus
14 particulièrement, ou la même chose était-elle faite à tout le monde ?
15 Pourquoi ont-il choisit un imam ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Parce que c’était un imam et
17 parce qu'il avait enseigné la religion : comment il fallait se baisser
18 parce qu’il était le premier musulman et qu’il était à la mosquée.
19 M. Riad (interprétation). - Merci beaucoup.
20 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous étiez enseignante. Je
21 suppose donc que vous vous intéressiez aux affaires publiques, aux
22 affaires générales de la Bosnie. Ai-je raison ?
23 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, bien sûr.
24 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous avez parlé des moments
25 où vous vous trouviez devant l’hôtel Vitez, en compagnie d’un certain
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1 nombre d’autres personnes et vous avez dit que les hommes avaient été
2 séparés des femmes et des enfants.
3 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Peut-être que je ne me
5 rappelle pas avec suffisamment de précision ce que vous avez dit, mais
6 pourriez-vous nous redire ce qu’il est advenu des hommes ?
7 Mme Hrustic (interprétation). - Les hommes ont été emmenés à
8 l'école élémentaire de Vitez où j'ai travaillé.
9 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous en connaissiez
10 quelques-uns ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, je les connaissais tous.
12 M. Shahabuddeen (interprétation). - Les avez-vous revus ?
13 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, quand nous avons porté les
14 vivres.
15 M. Shahabuddeen (interprétation). - Après que vous ayez apporté
16 la nourriture à l'école, les avez-vous revus ?
17 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
18 M. Shahabuddeen (interprétation). - Parlez-moi un peu de ces
19 hommes que vous avez vu en uniforme. Vous avez vu des hommes qui portaient
20 l'emblème du HV, du HVO, des Vitezovi et certains avaient une feuille de
21 chêne sur la manche.
22 A ce moment-là, considériez-vous le Président Izetbegovic comme
23 le chef du gouvernement de Bosnie ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Oui, c'était notre Président de
25 l'Etat bosniaque.
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1 M. Shahabuddeen (interprétation). - Comment considériez-vous ces
2 hommes que vous venez de décrire, ceux qui portaient les emblèmes dont je
3 viens de parler ? Les considériez-vous comme tirant leur autorité du
4 gouvernement de Bosnie ?
5 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
6 M. Shahabuddeen (interprétation). - Parlez-moi des hommes qui
7 demandaient que les armes soient rendues. Etaient-ils en uniforme ?
8 Mme Hrustic (interprétation). - Oui.
9 M. Shahabuddeen (interprétation). - Le même genre d'uniforme
10 pour tous ?
11 Mme Hrustic (interprétation). - Non. C’étaient les villageois,
12 les gens de notre village qui faisaient des négociations, avant l'attaque.
13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Est-ce qu’ils vous ont dit
14 s’ils avaient la moindre autorité légale pour exiger la reddition des
15 armes ?
16 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne comprends pas la question.
17 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous ont-ils dit être
18 investis d'une autorité légale leur permettant d’exiger la reddition des
19 armes ?
20 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
21 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous-même étiez-vous au
22 courant du fait qu'ils auraient été investis d'une autorité légale leur
23 permettant d’exiger la restitution des armes ?
24 Mme Hrustic (interprétation). - Non.
25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Parlez-moi à présent de ces
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1 maisons musulmanes qui n'ont pas été détruites. Auriez-vous un motif à
2 fournir au Tribunal pour expliquer pourquoi ces maisons n'ont pas été
3 détruites ?
4 Mme Hrustic (interprétation). - Je ne sais pas exactement. Je
5 pense en ce moment même que c'est pour pouvoir nous installer dans ces
6 maisons, pour que les Croates, qui n'étaient pas sous le contrôle de
7 l'armée bosniaque, puissent y être installés. Je ne sais pas exactement.
8 M. Shahabuddeen (interprétation). - Merci.
9 M. le Président. - Voilà, Madame. C'est terminé. Cela a été
10 long. Vous avez été très courageuse et le Tribunal vous remercie beaucoup
11 d'être venue jusqu’à La Haye pour apporter votre témoignage au service de
12 l’accusation, mais également au service de la justice.
13 Vous n'allez pas bouger. Le Tribunal va se retirer. Il reprendra
14 ses audiences à 14 heures 45.
15 L’audience est levée à 13 heures.
16
17
18
19
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21
22
23 L’audience est ouverte à 14 heures 45.
24
25 M. le Président. - Avant que nous fassions entrer le nouveau
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1 témoin, je voudrais savoir où nous en sommes pour la fin de cette semaine.
2 Monsieur Harmon, quel est notre programme pour la fin de la semaine ?
3 Nous sommes aujourd'hui mardi. Vous aviez annoncé dix témoins.
4 Il nous reste dix témoins, me semble-t-il ?
5 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je ne
6 dispose pas de la liste sous les yeux. Ce matin, j'ai été informé du fait
7 qu'un témoin ne voulait plus comparaître et qu’un autre témoin ne sera pas
8 cité.
9 En général, nous avons une petite mise au point l'après-midi.
10 Mais, ce matin, j'ai donc appris que nous n’aurons pas ces deux témoins.
11 Nous avons essayé d'aménager le programme, mais je n’en suis pas au stade
12 où je pourrais précisément vous donner le détail. Peut-être pourrons-nous
13 le faire après la séance de cet après-midi.
14 M. le Président. - Vous le communiquerez au Juriste,
15 M. Olivier Fourmy, afin que nous sachions comment cela va se passer.
16 Le témoin suivant va être protégé.
17 Au vu de ce qui se passe dans notre audience et quitte à perdre
18 un petit peu de temps, mais je pense que ce n’est pas du temps perdu, j'ai
19 observé deux choses hier, concernant les deux témoins qui sont passés.
20 Concernant le témoin protégé, puisque l'audience est publique,
21 donc le témoin A, je considère -et je pense être l'interprète de mes
22 collègues- que chacune des parties a été dans son rôle, que nous avons pu
23 limiter le temps qui a été consacré à ce témoin. On a pu le limiter aux
24 questions essentielles qui ont été posées par les uns et les autres, ainsi
25 que par les Juges. Nous
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1
2 avons donc pu procéder à cette audition dans des conditions qui me
3 paraissent conformes à ce qui doit se passer dans ce présent Tribunal.
4 J'ai observé par contre, et malheureusement pour le témoin
5 suivant, qui est également un témoin en partie protégé, que nous avons
6 cumulé les inconvénients de tous les systèmes. Nous avons eu à la fois un
7 résumé, les interruptions de M. le Procureur tout au long de son audition,
8 donc vous avez maintenu vos questions, ensuite vous avez posé vos
9 questions, et je ne parle pas du contre-interrogatoire pour l'instant,
10 nous en parlerons quand la phase de la défense viendra.
11 Nous allons essayer de continuer en ayant toujours pour objectif
12 le raccourcissement dans le temps de ce procès, le raccourcissement
13 quantitatif, mais également pour faire en sorte que nous allions à
14 l'essentiel.
15 Je demanderai donc au Procureur de nous faire un résumé, mais
16 cette fois-ci avec une nouveauté. Je voudrais que vous présentiez le
17 témoin en fonction de l'acte d'accusation. J'aimerais que le Procureur,
18 celui qui va occuper le banc du Procureur pour le présent témoin, nous
19 dise -à travers l'acte d'accusation- ce que vous visez comme acte
20 d’accusation, quels sont les faits vous visez. Je l’ai sous les yeux, et
21 j’attendrai cela pour éventuellement vous dire que vous sortez de votre
22 rôle.
23 Ensuite, je souhaiterais que les interruptions soient le moins
24 nombreuses possibles. On ne peut pas à la fois faire un résumé, poser les
25 questions comme vous le faisiez avant et, ensuite, reposer les questions.
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1 Nous n'en sortirons pas et nous arriverons à des durées de témoignages qui
2 seront, à mon sens, excessives.
3 Je m'interdis, et mes collègues aussi, de couper un témoin,
4 surtout les victimes qui sont des personnes qui ont souffert pendant ce
5 conflit. C'est avant que n'entre le témoin que les choses doivent être
6 mises au point. Dans d’autres chambres, des mesures beaucoup plus
7 draconiennes et drastiques sont prises.
8
9 Je voudrais, personnellement, que l’on conserve à ces débats ce
10 qui est familier dans nos systèmes, puisque nous sommes finalement dans un
11 système assez proche de la Common Law et qui est pratiqué plutôt par les
12 professionnels de la Common Law, sauf peut-être Me Nobilo qui est plus
13 familier d'un autre système.
14 Donc, encore une fois, indépendamment des mesures que vous devez
15 présenter à M. Olivier Fourmy d’ici la fin de la semaine, car nous allons
16 prendre une ordonnance, nous prendrons des mesures la semaine prochaine,
17 je souhaiterais que le passage du témoin suivant soit non seulement
18 replacé dans ce que vous attendez par rapport à l'accusation, mais que
19 vous indexiez dans l’acte d’accusation, et par paragraphe, les points
20 importants, que vous disiez : voilà cela concerne ce village dans l’acte
21 d’accusation tant.
22 D’autres chambres demandent des déclarations préalables. Nous ne
23 nous sommes pas lancés pour l'instant dans cette procédure parce que nous
24 ne sommes pas sûrs qu'elles puissent avoir les résultats escomptés.
25 Par contre, l'objectif de toutes les Chambres est le même dans
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1 ce Tribunal, à savoir arriver à une durée raisonnable d'un procès. Nous y
2 mettrons la ténacité qu’il faut.
3 Il n'y a pas de critique, Monsieur le Procureur. Chacun fait en
4 fonction de sa culture judiciaire et de ses habitudes. Mais, encore une
5 fois, nous ne sommes ni Common Lawers ni des Civil Lawers, nous sommes des
6 Juges internationaux à la recherche de la vérité.
7 Monsieur Mark Harmon, pouvez-vous nous présentez le témoin
8 suivant qui donc doit être un témoin protégé.
9 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
10 les Juges, permettez-moi de réagir à ce que vous venez de dire.
11 Pour chacun des témoins que vous venez d’entendre, nous avons
12 pris à coeur les instructions que vous nous avez données. Nous avons tenté
13 de demander aux témoins qui nous livrent un récit, mais tous les témoins
14 ne sont pas en mesure de le faire. Cela nous force à poser
15
16 des questions.
17 Il s'est souvent produit ce qui s'est passé hier, avec le
18 témoin. Le témoin peut répondre à une question, mais il n’est pas en
19 mesure de fournir tout un récit. Il nous faut donc guider les témoins par
20 le méandre des différents points de leur déposition.
21 Nous avons donné les instructions aux témoins pour qu'ils
22 fassent un récit. Nous continuerons, bien sûr, de le faire. Nous allons
23 veiller à ce tout soit fait avec diligence, ainsi que pour aider les
24 témoins quand cela est nécessaire.
25 S'agissant du témoin suivant, je suis heureux de vous informer,
Page 4882
1 vous Messieurs les Juges, ainsi que la partie adverse, des éléments qui
2 figurent dans cette déposition.
3 J'aimerais vous citer les chefs d'accusation qui, à notre sens,
4 interviennent dans cette déposition. Il s'agit d'un réfugié musulman qui
5 vient du village de Nadioci. Si le rétroprojecteur pouvait être branché...
6 M. le Président. - Je vous interromps et je profite pour vous
7 remercier de ce que vous avez dit car je sais que vous faites des efforts.
8 Croyez bien, encore une fois, qu’il n'y a aucune nuance de polémique dans
9 mes propos. C'est simplement pour le bien de la justice que nous agissons
10 parce que nous sommes chargés de cela. Merci de vos propos. Je sais que
11 vous faites tous les efforts possibles.
12 Ma deuxième question est celle-ci : s’agit-il d'un témoin
13 protégé, anonyme ?
14 M. Harmon (interprétation). - Oui, monsieur le Président. Il
15 s'agira du témoin S. Le témoin S, comme je viens de vous le dire, on
16 pourra le voir sur le rétroprojecteur, va parler du village de Nadioci.
17 Nous nous écartons donc des villages précédents et nous arrivons à un
18 village nouveau qui est très proche de l’hôtel Vitez. Il suffit de jeter
19 un coup d'oeil sur le moniteur et vous verrez le village de Nadioci.
20 Son témoignage portera sur plusieurs événements, monsieur le
21 Président, événements qui se sont produits avant l'attaque sur Ahmici et
22 Nadioci. En quintessence, ils ont
23
24 trait aux préparatifs menés avant l'attaque du 16 avril.
25 Le témoin parlera du fait qu'elle a vu des soldats du HVO
Page 4883
1 remplissant des sacs avec du sable, plusieurs sacs, peu de temps avec
2 l'attaque. Elle parlera aussi de l'évacuation de civils croates qui ont
3 quitté son village.
4 Elle dira également qu'elle a reçu des mises en garde selon
5 lesquelles il allait y avoir une attaque. Le témoin dira aussi, monsieur
6 le Président et Messieurs les Juges, que plusieurs journées avant
7 l'attaque quelqu’un était venu la voir et lui avait dit de ne pas quitter
8 sa maison. Peu de temps après, elle a fait des observations depuis sa
9 maison. Elle a vu des soldats du HVO qui distribuaient beaucoup d’armes
10 lourdes, des armes d'artillerie à des individus à Ahmici et à Nadioci, aux
11 alentours.
12 Elle parlera aussi du pré-positionnement de ces armes lourdes et
13 du fait qu'elle a vu ces armes utilisées le 16 avril contre les villages
14 d'Ahmici et de Nadioci.
15 Ce témoin S parlera aussi du fait qu'elle a vu de grands groupes
16 de soldats qui sont passés devant sa maison, le 15 avril, et qui se
17 préparaient à l'attaque.
18 Elle parlera également des soldats du HVO qui ont délibérément
19 mis le feu à des maisons musulmanes. Elle parlera aussi du meurtre commis
20 sur un civil non armé par des soldats du HVO.
21 Le témoignage de ce témoin porte sur le chef n° 1 de l'acte
22 d'accusation, § 6.1 « attaque contre des villes et des villages », premier
23 chef d'accusation dans le deuxième acte d'accusation modifié, la
24 persécution.
25 Sa déposition portera également sur le § 6.2 de l'acte
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1 d’accusation, ainsi que sur le 6.3.
2 M. le Président. - J’ai l’acte d’accusation dans sa version du
3 2 octobre 1997. C’est bien cela ?
4 M. Harmon (interprétation). - Je parle du deuxième acte
5 d'accusation modifié.
6
7 M. le Président. - Oui, le deuxième acte d'accusation
8 modifié 6.1, c'est « 'attaque offensive contre des villes, villages et
9 hameaux, attaque généralisée à grande échelle ». Monsieur le greffier,
10 avez-vous ce document, s'il vous plaît ?
11 (Le greffier remet le document au Président.)
12 M. le Président. - Allez-y, continuer.
13 M. Harmon (interprétation). - Je parle du premier chef
14 d’accusation au § 6.1, mais aussi 6.2, 6.3, 6.4 et 6.5. Le témoin
15 regardera s'il s'agit des § 6.6 et 6.7, si vous me donnez un instant. Oui,
16 6.6 et 6.7. Sa déposition aura trait à tous ces éléments.
17 Le témoin parlera également des chefs d'accusation 2 à 4, § 8
18 parlant du village de Nadioci, le deuxième village énuméré dans l'acte
19 d’accusation.
20 M. le Président. - C’est le 6.1 que je ne retrouve pas. Le 6.1,
21 je vous signale que dans mon acte d'accusation, le même que celui transmis
22 par M. le greffier, ce qu’on appelle le § 6.1, c'est « l'attaque
23 généralisée à grande échelle et systématique dirigée contre des villes,
24 des villages et hameaux ». Est-ce cela ?
25 M. Harmon (interprétation). - C’est exact, monsieur le
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1 Président.
2 M. le Président. - Nous sommes d'accord.
3 M. Harmon (interprétation). - Je poursuis. Monsieur le
4 Président, avec votre permission.
5 Le témoignage du témoin portera aussi sur les chefs 5 à 10, et
6 plus précisément sur l’alinéa A du § 9 « homicide intentionnel de
7 civils », ainsi que sur les chefs 11 à 13, § 10. Ici je parle d'Ahmici et
8 de Nadioci.
9 Voilà donc les différentes charges retenues contre l'accusé et
10 sur lesquelles le témoin interviendra.
11 M. le Président. - Nous sommes bien d'accord qu'il s'agit d'un
12 témoin dont vous nous avez précisé les chefs d’inculpation. Je vais
13 d’ailleurs faire passer à mes collègues l’acte
14
15 d’accusation en version française. Il s'agit surtout d'un témoignage
16 portant sur les préparatifs, ce qu'elle a vu avant l'attaque de ce village
17 de Nadioci, jusqu'au meurtre.
18 Vous la laissez s'exprimer. Bien sûr, vous avez toute latitude
19 de l’interrompre si vous pensez qu’elle dérive ou qu’elle allonge trop son
20 récit ou, qu’au contraire, c’est trop cursif. Quand vous reprendrez, je
21 vous demande de vous cerner sur les questions essentielles au soutien de
22 l’acte d’accusation.
23 Nous pouvons introduire le témoin que j’appellerai « Témoin »,
24 étant entendu qu’il s’agit du témoin S.
25
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1
2
3
4
5
6
7
8
9 (Le témoin S est introduit dans la salle d’audience.)
10 M. le Président. - Témoin S, m’entendez-vous ?
11 Témoin S. (interprétation). - Oui.
12 M. le Président. - Le greffier va vous tendre le serment que
13 vous devez prêter devant les juges.
14 Témoin S. (interprétation). - Malheureusement, je ne peux pas
15 lire parce que je n'ai pas de lunettes. Je ne vois pas.
16 M. le Président. - Je propose que M. le Greffier lise la
17 déclaration à la personne qui va répondre, puisqu'elle ne peut pas lire.
18 Témoin S, vous allez dire : "Oui, j'y adhère, oui j'y consens". Allez-y.
19 Témoin S. (interprétation). - Je déclare solennellement que je
20 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
21 M. le Président. - Ne prononcez pas votre nom, ne répétez pas
22 votre nom. Dites simplement si cela correspond bien, et c'est tout.
23 Témoin S. (interprétation). - Oui.
24 M. le Président. - Monsieur le procureur a dû vous expliquer que
25 vous avez été citée ici dans le cadre du procès que le Tribunal, c'est-à-
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1 dire le Procureur pour l'instant, intente à l'encontre de l'accusé ici
2 présent, le général Blaskic.
3 Vous allez faire votre déposition aux juges. Le Procureur vous
4 posera les questions qu'il juge utile de vous poser. Après quoi ce sera le
5 tour des avocats de l'accusé. Enfin, ce seront les juges.
6 Monsieur le procureur, vous pouvez commencer, il est
7 15 heures 05.
8 M. Harmon (interprétation). - Bon après-midi, Témoin S.
9 Témoin S. (interprétation). - Bonjour.
10
11 M. Harmon (interprétation). - Je vais pour commencer vous poser
12 quelques questions liminaires. Tout d'abord, quel âge avez-vous ?
13 Témoin S. (interprétation). - Je suis née en 1937. J'ai donc
14 soixante ans. Je vais avoir très bientôt soixante-et-un ans.
15 M. Harmon (interprétation). - Etes-vous mariée ?
16 Témoin S. (interprétation). - Oui.
17 M. Harmon (interprétation). - Vous et votre mari, êtes-vous de
18 confession musulmane, pratiquants ?
19 Témoin S. (interprétation). - Oui.
20 M. Harmon (interprétation). - Avant de parler de Nadioci, en
21 octobre 1990, avant de vous installer là-bas, est-ce que vous résidiez à
22 Jajce ?
23 Témoin S. (interprétation). - Oui.
24 M. Harmon (interprétation). - En 1992, étant donné l'agression
25 serbe, est-ce que vous et votre mari avez fui Jajce ?
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1 Témoin S. (interprétation). - Oui.
2 M. Harmon (interprétation). - Alors que vous preniez la fuite de
3 Jajce, avez-vous été grièvement blessée du fait de l'explosion d'un obus
4 d'artillerie et hospitalisée pendant deux mois à la suite de vos
5 blessures ?
6 Témoin S. (interprétation). - Oui.
7 M. Harmon (interprétation). - Après avoir quitté l'hôpital,
8 avez-vous fini par vous installer comme réfugiés, avec votre mari, dans le
9 village de Nadioci ?
10 Témoin S. (interprétation). - C'est exact.
11 M. Harmon (interprétation). - En 1993, votre mari était-il
12 invalide ? Souffrait-il de diabète et également d'une maladie du foie ?
13 Témoin S. (interprétation). - Oui.
14
15 M. Harmon (interprétation). - Il ne faisait pas partie de la
16 Défense territoriale ni de l'armée bosniaque, n'est-ce pas ?
17 Témoin S. (interprétation). - Non.
18 M. Harmon (interprétation). - A la maison que vous occupiez à
19 Nadioci, y avait-il des maisons adjacentes, des maisons où vivaient des
20 Musulmans ?
21 Témoin S. (interprétation). - Il y avait des villageois croates.
22 M. Harmon (interprétation). - J'aimerais vous poser toute une
23 série de questions et puis je vous demanderai de faire le récit de ces
24 événements auprès des juges. Mais tout d'abord, j'aimerais que nous nous
25 intéressions à vos observations relatives à des événements importants que
Page 4889
1 vous avez observés avant l'attaque menée contre Nadioci en avril 1993, le
2 16 avril 1993.
3 Parlons tout d'abord de ces sacs remplis de sable. Pourriez-vous
4 vous dire aux juges ce que vous avez vu, et quand vous l'avez vu ?
5 Témoin S. (interprétation). - Oui, je vais le dire. Je peux
6 commencer ?
7 Quand nous sommes arrivés à Nadioci, comme j'étais sous
8 traitement des médecins, j'étais obligée de me présenter au dispensaire,
9 de voir le médecin, de recevoir des piqûres, etc. Quatre jours avant le
10 16 avril, j'ai pu comprendre et voir qu'il y avait une certaine protection
11 que l'on commençait à faire. D'abord ils sortaient le sable, ils le
12 mettaient dans les sacs, ils les remplissaient.
13 J'ai porté une fois à un chauffeur le café. Il m'a remercié et
14 il a dit : "Madame, surtout essayez de vous protéger". Mais quand je lui
15 ai posé la question de ce qu'ils faisaient avec le sable, il m'a dit que
16 c'était pour les maisons, pour les routes, pour la voirie, etc.
17 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre
18 pour apporter une précision. Vous dites "ils". De qui parlez-vous ?
19 Témoin S. (interprétation). - Je parle bien évidemment des
20 Croates, de ceux qui appartenaient au HVO. Ils avaient leurs voitures
21 immatriculées HVO. Le chauffeur me disait
22
23 qu'il fallait que je fasse attention. Mais je me suis quand même rendue à
24 Vitez chez le médecin et en y allant j'ai vu plus que cela. Ils
25 préparaient à des endroits des bunkers, des points de contrôle, ils
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1 amassaient des sacs de sable un peu partout.
2 Personnellement, j'ai paniqué tout de suite. Je suis rentrée et
3 j'ai dit à mon mari : "Ecoute, il y a quelque chose qui se passe". Mon
4 mari m'a dit : "Mais non ! rien ! Il ne faut pas s'en faire". Il ne
5 voulait pas s'enfuir et moi, je le souhaitais.
6 M. Harmon (interprétation). - Essayons de rester concentrés sur
7 le sujet. Parlons toujours de ces observations que vous avez faites avec
8 les soldats du HVO. Combien de camions y avait-il que l'on remplissait de
9 ces sacs de sable ?
10 Témoin S. (interprétation). - Il y avait trois grands camions
11 remorqueurs. Et puis ils sont allés vers Ahmici avec ce camion et avec les
12 remorqueurs. Cela, je l'ai vu de mes propres yeux.
13 M. Harmon (interprétation). - Témoin S, combien de soldats du
14 HVO avez-vous charger ces sacs ? Pourriez-vous décrire ces soldats et dire
15 ce qu'ils portaient ?
16 Témoin S. (interprétation). - Il y en avait cinq ou six qui
17 chargeaient les remorques. D'autres également étaient autour. Ils étaient
18 en uniforme, ils avaient donc les insignes du HVO, le damier et les
19 uniformes croates.
20 M. Harmon (interprétation). - Une dernière question, témoin S,
21 sur ce sujet. Remplissaient-ils les sacs de sable et les chargeaient-ils
22 remplis dans les camions ? Est-ce bien ce qu'ils faisaient ?
23 Témoin S. (interprétation). - Oui. Comme je vous l'ai dit, j'ai
24 demandé au chauffeur :"Si c'est pour construire des maisons, pourquoi
25 mettez-vous le sable dans les sacs ?". Il n'a pas voulu me répondre,
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1 sauf : "Gardez-vous bien". Il m'a remercié du café que je lui avais
2 préparé et il m'a dit cela surtout : "Gardez-vous bien".
3 M. Harmon (interprétation). - Fort bien. Précisons encore une
4 chose. Lorsque
5
6 vous êtes allée à la ville de Vitez pour voir votre médecin, avez-vous vu
7 des sacs de sable qui avaient déjà été positionnés à un endroit où vous
8 n'aviez jamais constaté qu'il y avait des sacs ?
9 Témoin S. (interprétation). - Nous sommes passés par Vetrenica.
10 C'était sur le carrefour en allant vers Zenica. Il y avait effectivement
11 des endroits où des sacs de sable étaient entassés, mais c'est en
12 direction de Zenica. C'était en tout cas mon estimation.
13 M. Harmon (interprétation). - Bien. Je vais maintenant vous
14 demander de revenir à ces observations que vous avez faites à Nadioci.
15 S'agissant de vos voisins croates, que les avez-vous vu faire et qu'y a-t-
16 il de particulier que l'on puisse dire à ce propos ?
17 Témoin S. (interprétation). - Eh bien, cinq ou six jours avant,
18 j'ai remarqué qu'ils commençaient à emporter la vaisselle, les oreillers.
19 Ils allaient donc rejoindre les Croates vers les villages où il y avait
20 plus de Croates. Ils se retiraient en quelque sorte. Quand j'ai dit une
21 fois de plus à mon mari que quelque chose de bizarre se produisait, il a
22 dit qu'il ne le croyait pas du tout.
23 Ensuite une des premières voisines, qui pleurait, m'a
24 dit : « faites attention, cachez-vous où vous pouvez, parce qu’il y a
25 quelque chose de pas bien qui se prépare ». En ce qui concerne les
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1 voisins, je voudrais dire que les villageois étaient tous véritablement
2 très gentils avec nous. Ils nous donnaient des vivres, des cigarettes, des
3 boissons, et surtout du café.
4 M. Harmon (interprétation). - Peu de temps après que vous ayez
5 été mise en garde par vos voisins, des soldats du HVO sont-ils venus chez
6 vous ? Pourriez-vous dire aux juges, s'ils sont effectivement venus, ce
7 qu’ils vous ont dit ?
8 Témoin S (interprétation). - Les quatre soldats qui sont arrivés
9 ont frappé à la porte. Ils nous ont demandé d'où l’on venait. Je leur ai
10 montré mes papiers, ils me les ont pris et m’ont dit : « Surtout, ne
11 sortez pas dans la rue », alors que la petite maison que j'habitais était
12 pratiquement... enfin, elle longeait la rue. Ils étaient insolents à notre
13 égard. Un soldat s'est
14 retourné vers moi. Il a murmuré -j'ai pas véritablement pu
15 entendre ce qu’il disait- et ils sont partis. Ensuite, cette dame,
16 Djurdja, est venue vers moi, et elle m'a, une fois de plus, dit :
17 «Surtout, allez-y, retirez-vous vers la forêt, cachez-vous dans la
18 forêt. »
19 M. Harmon (interprétation). - Comment étaient-ils habillés, ces
20 soldats qui sont venus chez vous, pour vous dire de ne pas quitter la
21 maison ?
22 Témoin S (interprétation). - Ils avaient des uniformes de
23 camouflage, avec les insignes à damier.
24 M. Harmon (interprétation). - Après avoir reçu ces instructions
25 des soldats du HVO, après avoir été mise en garde par vos voisins,
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1 pourriez-vous dire aux juges ce que vous avez pu observer, s'agissant de
2 la répartition, de la distribution d'armes ?
3 Témoin S (interprétation). - Je suis montée au premier étage de
4 ma maison pour prendre le linge, et ils sont arrivés. Ils étaient sur le
5 parking, dix minutes à peu près. Je les ai vu discuter. Il y avait un pont
6 que je pouvais voir de mon étage. Ils sont passés de l'autre côté de la
7 rivière, la nuit. Et, une fois de plus, ma voisine est venue me dire qu'il
8 fallait absolument que je parte, de suite, la nuit-même. Mais nous ne
9 pouvions pas véritablement sortir, car nous étions pratiquement encerclés.
10 Nous ne pouvions pas aller de l'avant. Quand je suis sortie, ou plutôt
11 quand je suis allée vers la porte, j'ai vu une voiture, la Mercedès.
12 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi, Témoin S. Avant
13 d'arriver à cette partie de votre déposition, j'aimerais que nous parlions
14 encore des observations que vous avez faites à propos de ces deux grands
15 camions. Avez-vous vu des armes, qui étaient distribuées ? Pourriez-vous
16 le dire, dans le détail, aux juges ? Dites aux juges ce que vous avez vu.
17 Témoin S (interprétation). - Quand je suis montée au premier
18 étage, j'ai pu voir, comme je l’ai dit, les deux grands camions. Ils les
19 ont bâchés, ils ont apporté des armes. Il y avait des munitions, il y
20 avait des snippers, des mitrailleuses... Il y avait des fusils qu'on
21 appelle Katiouca, ou autre -je ne peux pas vous dire exactement
22 le nom des marques de fusils. De toute façon, ils ont réparti un certain
23 nombre d'armes. Leur veste était un uniforme et en bas leur pantalon était
24 civil.
25 Un autre groupe les a rejoint. Ils sont partis vers la partie
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1 haute de Nadioci, où ne se trouvaient que des Musulmans et, à mon avis,
2 ils ont encerclé également aussi bien Ahmici que la haute ville de
3 Nadioci. Et le 16 avril, l'attaque a commencé.
4 M. Harmon (interprétation). - Nous en sommes toujours à ces
5 observations, s'agissant de la distribution d'armes. Pourriez-vous dire
6 aux juges, qui distribuait ces armes ? S'agissaient-ils de soldats, de
7 civils ?
8 Témoin S (interprétation). - C’étaient les soldats de HVO qui
9 répartissaient tout ce qui restait. C'étaient, comme j'ai dit, les armes
10 qui étaient dans les camions-mêmes. Il y en a quelques-unes qui sont
11 restées. Je vous ai dit qu’Ahmici, c’est en allant vers Vitez.
12 M. Harmon (interprétation). - Vous avez dit aussi voir un camion
13 anti-aérien qui était emmené quelque part. Pourriez-vous en parler aux
14 juges ? Où avez-vous vu installer ce camion ?
15 Témoin S (interprétation). - On l'avait emmené vers Ahmici. Une
16 fois de plus, j’étais parfaitement sûre qu'il s'agissait d'une opération
17 de grande envergure. Cette nuit-là, nous n'avons pas dormi du tout, car on
18 voyait les soldats passer et repasser, en uniforme. Ils avaient des
19 insignes, avec la lettre U. D'ailleurs, ils s'appelaient entre eux comme
20 cela.
21 M. Harmon (interprétation). - Parlons de la veille de l'attaque.
22 Pendant cette nuit-là, étiez-vous toujours chez vous ?
23 Témoin S (interprétation). - Oui. J'étais dans cette maison de
24 seconde résidence, là où l’on était. D’abord, on ne dormait pas, comme je
25 vous l’ai dit. Pas de lumière, tout était éteint. On voyait les soldats
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1 passer. C'était des colonnes et ils se séparaient au carrefour. Certains
2 sont partis vers la haute ville de Nadioci et d’autres sont partis vers
3 Ahmici. Ils se sont
4 séparés à travers ce carrefour. Nous n'avons pas osé ouvrir les
5 fenêtres, pour ne pas être surpris. Certains avaient la station radio, le
6 talkie-walkie... Il y avait également, dans le bungalow, un certain nombre
7 de personnes dont nous avons pu suivre la conversation... Mais, de toute
8 façon, on se taisait. On observait plutôt, et on appréhendait ce qui
9 allait arriver.
10 Ce n'est que le matin que l'attaque a commencé. C'étaient
11 véritablement des détonations, des cris, des explosions... Les femmes
12 pleuraient. Les enfants poussaient des cris. On ne pouvait plus voir qui,
13 véritablement... Là-haut, comme je l’ai dit, c’est le village des
14 Musulmans, mais on ne pouvait pas les voir de chez nous. Cela, c'est
15 évident.
16 Ensuite, il y a eu une panique qui s'est propagée parmi nous.
17 Nous avons commencé à fuir. Nous sommes allés vers un voisin, qui nous a
18 dit : «Ecoutez, nous allons vous protéger. Ne vous inquiétez pas, on va
19 vous protéger ». Je ne peux pas vous dire exactement les noms, parce que
20 je ne m’en souviens plus. Mais il y avait, entre les villageois, quelqu’un
21 qui était venu de l'extérieur. Et c'est lui qui a juré, qui nous a traités
22 de tous les noms, qui nous a humiliés, intimidés, etc.
23 Il y avait les Croates, qui sont venus autour de nous, une
24 famille croate : un monsieur, son épouse et un petit garçon. Ils se sont
25 occupés un peu de nous, mais malheureusement, ils ont été pris par les
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1 soldats du HVO et nous sommes restés seuls. Toute la journée, il y avait
2 des détonations, des obus. Toutes les maisons ont été incendiées, l'une
3 après l’autre.
4 Après, je suis allée voir en haut, je suis montée à l’étage pour
5 voir où l’on en était, si on pouvait sortir ou pas... Et quand je me suis
6 rendu compte que trois corps flottaient sur la rivière, j'ai eu tellement
7 peur que je ne savais plus comment faire et je ne pouvais plus voir, ni
8 réagir. Je ne maîtrisais plus... L'angoisse m’a prise. J'avais déjà, de
9 toute façon, été entamée, en quelque sorte, parce que j'étais traitée par
10 le médecin - je vous en ai parlé.
11 Nous avons vu une voiture Mercédès qui s'est rangée devant la
12 maison. Cette Mercédès est encore une fois partie vers Ahmici. Ils sont
13 rentrés relativement vite. Une personne est sortie. Elle s'est approchée
14 de la porte d'une maison où habitait une très vieille femme.
15 Personnellement, je voyais que tout, pratiquement, était perdu. Ensuite,
16 j'ai remarqué un soldat de HVO qui avait l'uniforme, le damier et toutes
17 les insignes. Il s'approchait de la porte. Je me suis dit : « Soit elle
18 n'entend pas, soit elle n'est pas à la maison ». Il m'a répondu, il a
19 donné des coups de pied et il a ouvert la porte, pour pénétrer là-dedans.
20 Il n'est pas resté... Deux, trois minutes, à la rigueur... Dès qu'il a
21 ouvert la porte, il a mis le feu dans la maison. Et c'est la maison qui
22 était juste à côté de la nôtre.
23 Nous sommes allés chez Dervis, pour lui dire ce que c’était
24 passé. Nous avons pris quelques affaires, vraiment pas grand-chose. Ils
25 ont essayé de nous calmer, de nous dire que probablement, nous allions
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1 pouvoir nous sauver.
2 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre
3 un instant, Témoin S. Essayons de préciser certaines choses. Tout d’abord,
4 cette maison de week-end se trouve tout près de la route, n’est-ce pas ?
5 Témoin S (interprétation). - Oui, à côté de la rivière, en
6 dessous. Ensuite, il y avait la route principale. Nous étions au bord de
7 la route, si vous voulez.
8 M. Harmon (interprétation). - Vous avez dit qu’à un moment donné
9 vous êtes sortie de votre maison et vous avez vu des corps qui flottaient
10 dans la rivière Lasva. Combien avez-vous vu flotter de corps ? Pourriez-
11 vous dire s'il s'agissait de corps de civils ou de soldats ?
12 Témoin S (interprétation). - Les trois corps étaient des corps
13 d’hommes, mais de civils. Ce n’étaient pas des corps de femmes.
14 Quand nous sommes arrivés chez Dervis à Ahmici, nous avons
15 traversé le jardin pour pénétrer dans sa maison. Ils nous ont dit :
16 "Surtout, n'ayez pas peur, ce sont nos voisins".
17 Il y avait quelqu'un qui se dénommait Slavko Krate, qui était
18 aussi un soldat du HVO. Il a dit : "Madame, surtout n'ayez pas peur, vous
19 êtes là, on va vous protéger". Ils l'ont dit effectivement et ils l'ont
20 fait. Ils nous ont donné de l'eau avec du sucre pour nous calmer un petit
21 peu. C’est là que j'ai vu une deuxième voiture, la Mercèdes.
22 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre,
23 je veux rester, quelques instants, au premier véhicule qui est arrivé près
24 de chez vous. Vous dites qu'une personne en est sortie, un soldat du HVO.
25 Cette personne était accompagnée de combien d’autres soldats
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1 lorsqu'ils sont allés dans la maison de Sefka ?
2 Témoin S (interprétation). - Ils étaient quatre au total, avec
3 le chauffeur. L’un est sorti, trois autres sont restés dans la voiture,
4 devant la maison. De la deuxième Mercédès également, quatre personnes sont
5 sorties, mais le chauffeur n'est pas sorti, on ne l'a pas vu. Ils sont
6 rentrés dans la maison de Dervis.
7 M. Harmon (interprétation). - J’aimerais en rester à la maison
8 de Sefka, pour l’instant. Etait-elle musulmane, Sefka ?
9 Témoin S (interprétation). - Oui, bien sûr, elle avait plus de
10 80 ans. Elle n'avait pas d'enfant, elle n’avait personne, elle vivait
11 seule, elle était veuve. Elle priait parce qu'elle a vu que la maison
12 s'enflammait. Elle ne pouvait pas bien évidemment, à l’âge qu’elle avait,
13 se sauver.
14 Quand nous sommes rentrés chez Dervis, nous avons rencontré
15 quelqu'un qui s'appelait Patkovic, c'était un ami de Dervis.
16 M. Harmon (interprétation). - Si vous me le permettez,
17 j'aimerais parler de l'arrivée du deuxième groupe de soldats qui a suivi
18 l'arrivée du premier groupe. Combien y avait-il de soldats dans ce second
19 groupe ?
20 Témoin S (interprétation). - Il y en avait quatre, plus le
21 chauffeur.
22 M. Harmon (interprétation). - Qu’ont fait ces soldats ?
23 Pourriez-vous dire aux Juges ce qu’a fait ce deuxième groupe de soldats ?
24 Témoin S (interprétation). - Ce deuxième groupe de soldats s'est
25 comporté de la façon suivante. C'était encore chez Sefka. Une fois de
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1 plus, ils nous ont demandé qui nous étions. Nous avons dit que nous étions
2 des Musulmans. Ils nous ont dit que nous allions partir avec eux, mais ils
3 nous ont laissé et nous sommes vraiment restés dans la maison de Dervis.
4 Nous y sommes restés à peu près 10 minutes.
5 Là-dessus, un troisième groupe est arrivé. Quatre soldats, plus
6 le chauffeur. L’un est sorti, les autres sont restés à côté de la voiture.
7 Il est rentré dans la maison et il nous a demandé, à tous, d'une façon
8 insolente, de sortir.
9 L'épouse de Dervis a demandé à prendre un petit sac en plastique
10 parce qu'elle voulait emmener un peu de linge, des affaires. Mais le
11 soldat du HVO a tout simplement dit : "Rien ! Vous n'emportez strictement
12 rien". Quand nous sommes sortis, un chat était resté à l'intérieur. Ils
13 l'ont rejeté. Puis le soldat est rentré à nouveau pour prendre le chat et
14 le jeter.
15 Ensuite, je me suis approché de lui et je lui ai dit : "Est-ce
16 que j’ai le droit de prendre mes affaires ?". Il m'a dit : "Oui, vous
17 pouvez", et il ne m’a rien dit d’autre. J'ai pris les affaires et, tout de
18 suite, il m'a dit d’aller chez son fils.
19 Deux minutes se sont écoulées, la maison a tout de suite été
20 incendiée. A la minute même, les flammes ont pris. La maison a été
21 détériorée au point qu'on ne pouvait plus entrer.
22 On nous a demandé pourquoi on ne voulait pas aller dans une
23 autre maison, chez un autre voisin. On prétendait qu'il n'y avait pas de
24 clé. Au moment où nous sommes parvenus à rentrer dans la maison, plusieurs
25 balles sont parties. Juste à côté de notre Dervis, une balle est passée.
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1 Je connaissais certaines personnes, d'autres pas du tout. Il y
2 avait là plusieurs personnes qui étaient les amis de Dervis. Ils ne
3 pouvaient pas sortir du village parce que le
4 village, comme je l’ai dit au début, était encerclé. Une fois de
5 plus, des questions nous ont été posées : ce que nous étions, d’où nous
6 venions, de quelle congrégation nous étions. La fille de quelqu'un
7 commençait à pleurer.
8 De toute façon, je vous ai dit que notre petite maison se
9 trouvait à peu près à 100 ou 150 mètres du carrefour. C'est là où ils ont
10 tué ce voisin qui est sorti quand même.
11 Moi, je me suis décidée à partir, à prendre les affaires que je
12 pouvais prendre et à me retirer dans la forêt. Mais, je suis sûre que
13 c'est le pistolet qu'ils utilisaient pour tuer les personnes qui sortaient
14 comme ça, et puis ils les jetaient dans les ordures.
15 D'autres soldats sont venus pour voir si éventuellement dans les
16 poches des personnes qui avaient été tuées, il y avait quelque chose. J'ai
17 personnellement reconnu une personne et j’étais sous le choc. Bien
18 évidemment, je n'ai pas osé en parler aux autres. On m'a demandé pourquoi
19 j'étais essoufflée. J'ai dit que ce n'était rien parce que je n'ai pas osé
20 raconter ce que j'avais vu. Je n’ai emporté aucune de mes affaires, comme
21 je l'envisageais initialement.
22 Quand nous sommes rentrés dans cette maison, l'autre maison,
23 j'ai pu constater qu'ils avaient pris un homme, qu'ils l’avaient enchaîné
24 par les mains et par les bras et que son corps se balançait ainsi.
25 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de poser quelques
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1 questions pour apporter des précisions.
2 Vous dites avoir vu des personnes aller dans la maison de
3 Dervis Ahmic. Il y a donc des personnes qui sont entrées dans cette
4 maison. Puis, la maison a été mise en feu. Pourriez-vous décrire cette
5 personne qui est allée dans la maison de Dervis, précisément ?
6 Témoin S (interprétation). - Quand nous parlons de ces gens-là,
7 c’étaient des personnes du HVO, des réfugiés qui étaient dans les maisons.
8 Nous étions dix-sept familles, au total.
9 M. Harmon (interprétation). - Vous avez dit également qu’on
10 avait fait sortir
11 Patkovic, que des personnes l’avaient fait sortir. Etaient-ce
12 des soldats du HVO ?
13 Témoin S (interprétation). - Oui, oui. Ce sont eux qui l'ont
14 pris et qui l'ont tué également. Ce sont eux qui l’ont jeté, qui ont jeté
15 le corps dans la rivière. Patkovic ! Il n'y avait que des soldats à
16 Nadioci.
17 M. Harmon (interprétation). - A un moment donné, êtes-vous
18 rentrée dans cette maison que vous occupiez. Des soldats du HVO sont-ils
19 venus dans votre maison et qu’est-ce qu’ils ont fait ? Pouvez-vous
20 l’expliquer aux Juges ?
21 Témoin S (interprétation). - Quatre sont arrivés, ce sont les
22 gens qui sont arrivés de Croatie et de Dalmatie. De doute façon, ce
23 n'étaient pas les villageois que nous connaissions. C'est donc aussi bien
24 l'entité de la Bosnie-Herzégovine que de la Dalmatie. Pourquoi ? Parce que
25 nous connaissons les dialectes. On reconnaît les gens au dialecte et à
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1 l'accent qu'ils ont.
2 Donc, les quatre soldats sont rentrés dans notre maison. Il m'a
3 d'abord donné un coup sur le visage. Ma prothèse dentaire est tombée. Ils
4 m'ont pris le sac et ils l'ont vidé. Ils ont pris également le sac mon
5 mari. Ils ont pris toutes les affaires : l'argent, un peu d'or, un peu de
6 monnaie, tous les documents, tous les papiers. Ils ont tout cherché. Ils
7 ont donné deux coups de matraque à mon mari qui est tombé par terre.
8 Moi, je fermais les yeux. Je n'osais pas regarder. Un autre est
9 revenu vers moi et m'a giflée. Il m'a dit que je ne ressortirai pas
10 vivante de cette maison. Tout ça, c’étaient les soldats du HVO.
11 Nous sommes allés chez Dervis, une fois de plus. Nous lui avons
12 expliqué ce qui se passait. Son fils est arrivé Fehid, on appelle Fehdo.
13 Ensuite, le petit-fils est arrivé également. Il a dit : "Regardez, ce sont
14 encore les soldats qui sont chez vous". Ils se sont arrêtés, ils m’ont
15 demandé d’où je venais. Moi, j’ai dit que nous sommes originaires de
16 Jajce. Ils se sont
17 retournés et ils sont partis.
18 Ensuite, Djurdja, donc la première voisine, qui encore une fois
19 est venue me voir. Elle pleurait.
20 Elle m'a donné quelques-unes de ses affaires et une fois de
21 plus, elle a essayé de me consoler, en me recommandant de nous sauver.
22 M. Harmon (interprétation). - Pourriez-vous vous dire dans
23 quelles circonstances vous avez quitté cette maison que vous occupiez et
24 comment vous êtes arrivée à Zenica ?
25 Témoin S (interprétation). - Nous sommes sortis de notre maison
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1 pour aller une fois de plus chez Dervis à Ahmici. Un soldat est venu nous
2 faire une liste des affaires dont nous disposions dans notre maison. Je ne
3 voulais pas tellement parler. Il m’a même dit qu’on lui avait interdit de
4 parler. Nous n’avons pas beaucoup parlé. Il a fait une liste de personnes
5 qui, soi-disant, allaient être échangées.
6 Son fils est venu, son épouse également, pour nous conseiller de
7 mettre en vitesse dans un sac, quel qu’il soit, nos affaires et que nous
8 allions être transportés à l’école.
9 Nous avons eu beaucoup de chance car quelqu’un de la Croix Rouge
10 était venu qui nous a mis sur la liste des personnes devant être
11 déplacées. Ensuite, la Croix Rouge également s’est fait représenter le
12 lendemain matin. Ils nous ont mis dans les bus. Nous avons été escortés
13 par les hélicoptères. C’est ainsi que nous avons été transférés à Zenica.
14 Il y avait un camp de rassemblement où nous nous sommes
15 retrouvés. C’est là où nous sommes restés par la suite, à Dzaci.
16 M. Harmon (interprétation). - Je vous remercie vivement
17 Témoin S, je n’ai plus de question à vous poser.
18 M. le Président. - Merci, monsieur le Procureur. Je suis, en
19 effet, très sensible à cette forme qui a été à la fois concise et vous a,
20 je l’espère, permis de poser toutes les questions que vous aviez envie de
21 préciser.
22 Témoin S, vous le savez, on vous l’a dit, c’est au conseil de
23 l'accusé, Me Nobilo, de procéder à ce qu'on appelle le contre-
24 interrogatoire. Maître Nobilo, allez-y.
25 M. Nobilo (interprétation). - Bonjour, madame. Vous avez entendu
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1 que je suis à la défense...
2 Témoin S (interprétation). - Excusez-moi un instant. Je tiens à
3 dire que je ne témoigne pas contre M. Blaskic, je ne le connais pas. Je
4 parle simplement des armées présentes. Blaskic, je n’ai jamais entendu ce
5 nom.
6 M. Nobilo (interprétation). - Vous n’en avez jamais entendu
7 parler ?
8 Témoin S (interprétation). - Non, pas jusqu’à Vitez.
9 M. Nobilo (interprétation). - Jamais vous ne l’avez entendu ?
10 Est-ce que quelqu’un en a parlé ?
11 Témoin S (interprétation). - Non, c’est Kordic qui était le plus
12 souvent mentionné.
13 M. Nobilo (interprétation). - (expurgée)
14 (expurgée)
15 Témoin S (interprétation). - (expurgée)
16 (expurgée)
17 (expurgée)
18 M. Nobilo (interprétation). - (expurgée)
19
20 Témoin S (interprétation). - 300 mètres environ. Ensuite,
21 immédiatement, on a les bungalows et Ahmici.
22 M. Nobilo (interprétation). - Qui était le propriétaire de la
23 maison où vous habitiez ?
24 Témoin S (interprétation). - Je vais essayé de me rappeler.
25 M. Nobilo (interprétation). - Ce n’est pas important.
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1 Souvenez-vous, quand tout à l’heure vous avez parlé du camion
2 qui était venu avec les armes, où il était situé ?
3 Témoin S (interprétation). - Il était arrêté sur la route
4 principale.
5 M. Nobilo (interprétation). - De ce camion, les fusils allaient
6 où ?
7 Témoin S (interprétation). - Vers le haut de Nadioci. Finalement
8 on a Nadioci en haut et cela va jusqu'au village en bas.
9 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez énuméré que vous avez vu
10 des sniper, des mitrailleuses, des armes différentes, etc. Quelle
11 différence ?
12 Témoin S (interprétation). - Il y avait à peine 50 mètres, c’est
13 là qu’étaient les petites maisons de week-end.
14 M. Nobilo (interprétation). - Le parking se trouvait à côté des
15 bungalow ?
16 Témoin S (interprétation). - Non, les bungalows sont plus bas et
17 le parking se trouve vers Nadiocilo.
18 M. Nobilo (interprétation). - Par conséquent, pas sur la route
19 principale ?
20 Témoin S (interprétation). - Si, sur la route principale. Il y a
21 là le parking et tout de suite la route qui monte à Nadioci.
22 M. Nobilo (interprétation). - Les fusils automatiques se
23 trouvaient dans les cartons ?
24 Témoin S (interprétation). - C’étaient des fusils qui, pour
25 certains, étaient dans des caisses. Les autres étaient visibles parce que
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1 la bâche était un peu relevée. Ils ont pris aussi quelques sniper.
2 M. Nobilo (interprétation). - Combien de sniper ?
3 Témoin S (interprétation). - Deux ou trois. Nous ne pouvions pas
4 voir car c’était caché. Il y avait aussi ces petits fusils automatiques ?
5 M. Nobilo (interprétation). - Combien de fusils automatiques ?
6 Témoin S (interprétation). - Ils en ont pris une vingtaine et
7 ils sont partis vers le haut de Nadioci.
8 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez parlé du weber, qu’avez-
9 vous vu ?
10 M. le Président. - Peut-être pourriez-vous allez un peu plus
11 doucement, maître Nobilo. Evitez aussi les dialogues trop directs, dans la
12 mesure où le témoin doit s’adresser au Tribunal, et évitez une
13 conversation qui est très certainement très agréable dans votre langue,
14 mais ne permet pas toujours aux juges de suivre les questions et les
15 réponses.
16 M. Nobilo (interprétation). - Oui, monsieur le Président.
17 Certains disent qu’il s’agisse de deux langues, mais enfin...
18 M. le Président. - C’est un autre problème.
19 M. Nobilo (interprétation). - A quoi ressemblent un weber ?
20 Témoin S (interprétation). - Je vous le montre. Il y a six obus
21 à l’intérieur qui sont alignés, et certains en ont même douze. Et, doum,
22 doum, cela va l’un après l'autre, les obus. En tout cas pour ce que j’en
23 sais, c’est cela un weber, c’est ce que j’ai vu. J’en ai vu ailleurs
24 aussi. Je sais que ce sont des weber.
25 M. Nobilo (interprétation). - Quelle hauteur ?
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1 Témoin S (interprétation). - Assez petits, à peu près un mètre.
2 M. Nobilo (interprétation). - C’était sur le camion ou l’ont-ils
3 emporté ?
4 Témoin S (interprétation). - Ils l’ont emporté vers Nadioci et
5 le Pam, ce petit camion, était en face de nous, de l’autre côté.
6 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit que vous n’avez pas
7 dormi cette nuit. Les voisins ont-ils dormis ?
8 Témoin S (interprétation). - Non.
9 M. Nobilo (interprétation). - Etait-il clair que quelque chose
10 se préparait ?
11 Témoin S (interprétation). - Oui, cela nous l’avons tous vu.
12 M. Nobilo (interprétation). - Vos voisins pouvaient-ils le voir
13 ?
14 M. Harmon (interprétation). - Excusez-moi, monsieur le
15 Président. Je demanderai à Me Nobilo de bien vouloir permettre au témoin
16 de finir sa réponse, avant de reposer sa question suivante.
17 M. le Président. - Les interprètes également, maître Nobilo.
18 M. Nobilo (interprétation). - Nous allons faire attention.
19 Témoin S (interprétation). - (expurgée)
20 (expurgée)
21 (expurgée)
22 M. Nobilo (interprétation). - (expurgée)
23 (expurgée) quelque chose se préparait ?
24 Témoin S (interprétation). - Je n’étais pas à Ahmici. Je ne sais
25 pas s’ils l’ont remarqué, mais ils l’ont su le matin. Ils ont vu ce qui se
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1 passait. Ceux qui sont sortis de Ahmici dans les deux jours qui
2 précédaient ont vu aussi les mitrailleuses, les soldats, les espèces de
3 fortifications créées à base de sacs de sable. Il était impossible de
4 cacher tout cela.
5 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce qu’ils pouvaient voir les
6 camions d’Ahmici ?
7 Témoin S (interprétation). - Non.
8 M. Nobilo (interprétation). - De quelle direction sont-ils
9 arrivés en camions ?
10 Témoin S (interprétation). - De Busovaca.
11 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez parlé de trois mercédes.
12 Pouvez-vous expliquer au Président, aux Juges, si les mercédes étaient les
13 « limousines » ?
14 Témoin S (interprétation). - Oui, les limousines, ceux qui
15 venaient, les membres du HVO, ceux qui mettaient le feu.
16 M. Nobilo (interprétation). - D’où venaient-ils ?
17 Témoin S (interprétation). - De Busovaca. Deux sont venus de
18 Vitez.
19 M. Nobilo (interprétation). - Pour ce qui est de Patkovic, avez-
20 vous vu la manière
21 dont il a été tué ?
22 Témoin S (interprétation). - Je ne l’ai pas vu parce qu'ils
23 l'ont tué tout de suite. Mais je l’ai vu quand ils l’ont retourné, j'ai
24 reconnu son pull-over et son manteau. Nous avions l'habitude d'aller chez
25 son ami, à côté.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Vous n’avez pas vu les
2 circonstances dans lesquelles il a été tué ?
3 Témoin S (interprétation). - Non, mais d’après l’impact, je
4 crois que c’est avec un revolver.
5 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez parlé de quelques
6 voisins qui vous ont préservée.
7 Témoin S (interprétation). - Je ne sais pas, c’étaient des
8 voisins. Il y avait un Slavko, puis d’autres voisins croates qui étaient à
9 côté. Je n’ai rien contre eux tous. Ce qui a été fait l’a été par des
10 soldats extérieurs.
11 M. Nobilo (interprétation). - Le fils de Franjo, les voisins,
12 avaient-ils les uniformes et les insignes HVO ?
13 Témoin S (interprétation). - Oui, eux aussi étaient membres du
14 HVO, mais ils n’ont rien fait de mal pour autant que je sache. Pour le
15 reste, je ne peux rien garantir.
16 M. Nobilo (interprétation). - Avant d’aller à l’école à Vitez, y
17 avait-il quelques problèmes avec Cicko ?
18 Témoin S (interprétation). - Oui, il portait l'uniforme noir. Il
19 avait la lettre U sur son couvre-chef. Il avait donc les lettres HVO sur
20 la manche, le damier, cette lettre U. Il est arrivé et m'a dit que ma mère
21 musulmane était ceci et cela. Il m’a dit qu’il allait boire du sang de
22 balija. Il a sorti un couteau. J’ignorais ce qu’il allait faire. Je me
23 suis glacée.
24 M. Nobilo (interprétation). - Qui vous a sauvée ?
25 Témoin S (interprétation). - Son fils et sa femme. Je n’ai pas
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1 vu d’où ils sont
2 arrivés, mais ils sont arrivés dans son dos et l’ont arrêté, l’ont
3 immobilisé. Il ne lui ont pas permis de faire ce qu’il avait l’intention
4 de faire. Il y a aussi d’autres membres du HVO qui sont arrivés.
5 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que les soldats HVO vous
6 ont dit qu’ils vous emmenaient à l’école pour que vous soyez plus en
7 sécurité.
8 Témoin S (interprétation). - Oui, oui. Ils m’ont dit aussi qu’il
9 ne fallait pas que je m’approche de la fenêtre pour éviter d’être frappée
10 par une balle qui risquait d’entrer par là.
11 M. Nobilo (interprétation). - Un moment, s'il vous plaît.
12 Igor était-il HVO, était-il policier ?
13 Témoin S (interprétation). - Oui, et les membres de sa famille
14 nous donnaient aussi de la nourriture la nuit, pour que personne ne le
15 voit.
16 M. Nobilo (interprétation). - La maison de Dervis est-elle
17 restée en bon état ?
18 Témoin S (interprétation). - Non, elle a été incendiée. Celle de
19 Sefka et la sienne.
20 M. Nobilo (interprétation). - Tihomir Blaskic, vous en avez
21 entendu parler de lui à Jajce ?
22 Témoin S (interprétation). - Non, non.
23 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,
24 c'est tout.
25 M. le Président. - Monsieur le Président, avez-vous des
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1 questions complémentaires ?
2 M. Harmon (interprétation). - Non, monsieur le Président, pas
3 d’autres questions.
4 M. le Président. - Bien. Monsieur le Juge Riad ?
5 M. Riad (interprétation). - Bonjour.
6 Témoin S (interprétation). - Bonjour.
7 M. Riad (interprétation). - Je vous demanderai quelques
8 éclaircissements au sujet de ce que vous avez dit. Vous avez dit que
9 pendant le parcours jusqu'à Vitez, lorsque vous êtes
10 allée voir votre médecin, vous avez vu des sacs de sable
11 transformés en moyens de protection.
12 Témoin S. (interprétation). - Oui.
13 M. Riad (interprétation). - Sur la route donc, et notamment au
14 carrefour avant l'entrée dans Vitez, est-ce que ces sacs de sable étaient
15 placés là à cause d'une attaque contre Vitez ? Avez-vous remarqué
16 quelqu'un qui attaquait Vitez ? A votre avis, pourquoi ces sacs de sable
17 ont-ils été placés dans ces endroits ?
18 Témoin S. (interprétation). - Ils ont été posés en préparatif.
19 Je ne sais pas où se trouvait l'armée, je ne l'ai pas vu bien évidemment,
20 mais il y avait des préparatifs et ils faisaient tout simplement des
21 points de protection. J'ai vu la mitrailleuse, j'ai vu également les
22 snippers, etc. On savait parfaitement ce qui se préparait, on savait
23 qu'ils allaient lutter contre les Musulmans, qu'ils allaient les attaquer.
24 C'était tellement évident, il n'y avait rien de caché. Même avant,
25 j'allais à Vitez, mais c'est justement au moment où l'opération se
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1 préparait que je l'ai vu. J'ai vu ces sacs entreposés.
2 M. Riad (interprétation). - Mais vous n'avez pu déceler aucune
3 menace qui eut justifié de tels préparatifs ?
4 Témoin S. (interprétation). - Pas autre chose, à part ce que
5 j'ai déjà dit, ceux qui nous ont menacés, ceux qui nous intimidaient, le
6 fait qu'ils nous disaient qu'on allait être échangés. On ne comprenait pas
7 trop bien ce que cela voulait dire "échangés". On nous a menacés. Ce
8 n'étaient pas les voisins qui nous menaçaient, c'était notamment l'armée
9 du HVO qui était de l'autre côté. Les voisins, qui portaient également les
10 mêmes insignes du HVO, étaient gentils à notre égard, je ne peux pas dire
11 le contraire, c'est un fait.
12 Ce que j'ai vu, c'est ce que je vous dis. Ce que je ne sais pas,
13 je ne peux pas vous le dire. J'ai été sous le choc quand ceux de
14 l'extérieur sont venus chez nous.
15 M. Riad (interprétation). - Combien de temps avant l'action
16 contre les civils ces
17 sacs de sable et ces préparatifs ont-ils commencé ? Ont-ils
18 commencé immédiatement avant l'attaque contre les civils ?
19 Témoin S. (interprétation). - C'était quelques jours avant
20 l'attaque. Je ne l'aurais peut-être pas su si je n'étais pas allée chez le
21 médecin, comme je vous l'ai dit, et pour les piqûres également. Avant, je
22 n'ai pas vu que cela se préparait. Nous étions clairs.
23 M. Riad (interprétation). - Vous avez dit aussi que vous avez vu
24 des soldats du HVO qui distribuaient des armes. A qui distribuaient-ils
25 ces armes ?
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1 Témoin S. (interprétation). - Il y avait quelques uns qui
2 n'étaient pas des villageois, car je les aurais reconnus, qui sont arrivés
3 de l'extérieur et qui avaient des uniformes de camouflage : le pantalon et
4 en haut par moment des vestes civiles. Ce sont eux qui ont reçu les armes.
5 Ils ont été probablement en contact avec Ahmici, donc en passant par la
6 forêt pour encercler le village.
7 M. Riad (interprétation). - Vous avez aussi vu des corps qui
8 flottaient sur les eaux de la rivière Lasva, trois civils, n'est-ce pas,
9 attachés les uns aux autres. D'où venaient ces corps ? L'avez-vous
10 remarqué ? Dans quelle direction allaient-ils ? Qu'avez-vous remarqué, de
11 ce point de vue ? Quelle peut être l'origine de ces corps ?
12 Témoin S. (interprétation). - C'est d'en haut, en provenance de
13 Vitez vers Lasva. C'est donc en aval. Je ne sais pas où on a jeté les
14 corps, mais de toute façon on a entendu les tirs, soit de fusil soit de
15 revolver. J'ai vu les trois corps qui flottaient. Ensuite, j'en ai vus
16 d'autres. J'étais sous le choc, cela me suffisait largement. J'étais déjà
17 tellement malade et puis je dois dire que j'ai perdu beaucoup de poids. Je
18 pesais 45 kilos, non pas parce que je ne mangeais pas, mais parce que
19 j'avais peur. Ce sont les voisins qui nous ont aidés, mais j'avoue que
20 j'avais peur et c'est pour cela que je maigrissais.
21 J'insiste pour dire que les voisins étaient corrects vis-à-vis
22 de nous. Il y avait un dénommé Slavko qui nous a dit : "Essayez de vous
23 regrouper et de partir dans la forêt". C'est
24 lui qui nous l'a dit et je lui en suis reconnaissante.
25 M. Riad (interprétation). - Vous a-t-il dit pourquoi il fallait
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1 que vous fuyiez ?
2 Témoin S. (interprétation). - Non, il ne l'a pas dit.
3 M. Riad (interprétation). - Il s'avère que vous avez vu Patkovic
4 qui était emmené. Vous avez dit avoir entendu quand il s'est fait abattre
5 sur la route. Mais quelles étaient ses fonctions ? Etait-il l'un des
6 dirigeants ? Pourquoi l'ont-ils choisi ? L'ont-ils emmené comme ils
7 auraient emmené n'importe qui d'autre ? Je vous pose la même question au
8 sujet du moment où ils sont venus dans votre maison et vous ont frappé,
9 vous et votre mari.
10 Votre mari faisait-il partie des gens qui agissaient contre les
11 Croates ?
12 Témoin S. (interprétation). - Non, mon mari était retraité
13 depuis bien avant la guerre et Patkovic n'était pas de mon village, il
14 était venu de Zenica, il était venu en visite. Mais je ne sais pas
15 pourquoi on l'a sorti. Ce n'était pas un homme de politique, je ne sais
16 pas s'il était soldat auparavant, il ne portait pas l'uniforme. Je ne peux
17 pas vous dire quelles sont les raisons pour lesquelles on l'a choisi. Ils
18 voulaient prendre le beau-frère de Dervis, mais c'est Igor qui l'avait
19 caché chez lui et ils étaient vraiment très gentils car un certain nombre
20 de Musulmans ont été cachés. Tous ceux qu'ils pouvaient cacher, ils les
21 ont véritablement cachés. C'était les villageois, les voisins.
22 Ceux qui venaient de l'extérieur, de la Dalmatie, de la Croatie,
23 d'autres régions de la Croatie, ce sont eux qui étaient les plus mauvais,
24 les pires. Ce que je n'ai pas vu, je ne peux pas dire. Ce que je ne sais
25 pas, je ne peux pas dire. Je peux dire ce que je sais, ce que j'ai vu.
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1 Personnellement, je suis désolée pour le général Blaskic. C'est
2 un jeune homme. Vous savez tous très bien qui est coupable. Tout cela,
3 c'était plutôt naïf : le peuple, l'armée, tout. Ce qui s'est passé est
4 lamentable.
5 M. Riad (interprétation). - Pour revenir à ma question, vous
6 avez été frappée, votre mari a été frappé, Patkovic a été tué. Mais vous
7 diriez que cela a été fait sans aucune raison
8 particulière ? Vous n'avez pas été choisis, vous avez été pris
9 comme n'importe qui d'autre, pour aucune raison particulière ? Il n'y a
10 pas eu de sélection de telle ou telle personne parmi les autres ?
11 Témoin S. (interprétation). - Non, personne d'autre. Patkovic
12 uniquement. Ensuite ils ont pris nos papiers, ils ont vu que nous venions
13 de Jajce. Si mes souvenirs sont bons, l'un était probablement connu qui
14 était des environs de Jajce. Il a été au HVO, il avait le casque sur la
15 tête, il a dit : "Vous êtes de Jajce". C'est tout ce qu'il nous a dit, il
16 n'a rien dit d'autre.
17 M. Riad (interprétation). - Où est-ce que vous habitez en ce
18 moment ? Non ! Ne répondez pas, ne répondez pas ! Vous n'y êtes pas
19 retournée ?
20 Témoin S. (interprétation). - Non.
21 M. Riad (interprétation). - Vous avez parlé de votre maison de
22 week-end, etc. Vous n'y êtes jamais retournée ?
23 Témoin S. (interprétation). - Non.
24 M. Riad (interprétation). - Qui l'occupe aujourd'hui ? Le savez-
25 vous ?
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1 Témoin S. (interprétation). - Bien sûr, tout le monde le sait,
2 ce ne sont que des Croates, des réfugiés croates. Mais il y avait
3 également beaucoup de maisons de week-end qui étaient incendiées.
4 M. Riad (interprétation). - Il n'y a donc pas de Bosniens qui
5 soient restés ? C'est ce que vous voulez dire ?
6 Témoin S. (interprétation). - Il n'y a plus de Musulmans.
7 M. Riad (interprétation). - Merci beaucoup.
8 M. Shahabuddeen (interprétation). - Madame le Témoin, est-ce que
9 j'interprète bien votre position en disant que je comprends que vous
10 parlez avec tristesse, mais sans amertume, de ce qui s'est passé ?
11 Témoin S (interprétation). - Exact, avec tristesse. Je suis
12 désolée que ce soit arrivé.
13 Nous avions de très bons voisins. Nous avons vécu en bons
14 termes. Maintenant, c’est la haine. Nous n’avons plus rien.
15 Heureusement, chez moi personne n’a fait partie de l'armée. Tous
16 sont déjà très âgés, les frères du côté de mon mari également. Mais pour
17 les familles qui ont perdu ne serait-ce même qu’une seule personne, c'est
18 triste et regrettable, c'est une douleur insurmontable.
19 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous aviez de bons voisins
20 croates et des amis croates qui vous ont protégée ?
21 Témoin S (interprétation). - Oui.
22 M. Shahabuddeen (interprétation). - Etes-vous toujours en
23 contact avec eux ?
24 Témoin S (interprétation). - Même maintenant, si je traversais
25 Vitez, c’est Cicko qui me ferait peur. Avec lui, j'ai peur, mais pas avec
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1 les autres.
2 Je suis sûre que si je voyais mes voisins, ceux que j'aimais,
3 ceux qui m'aimaient, on pleurerait les uns et les autres. Chez moi, dans
4 ma famille, il y a les trois nationalités : les Serbes, les Croates et les
5 Musulmans. Nous avons toujours bien vécu. Nous avons été corrects les uns
6 avec les autres. Nous vivions bien entre nous.
7 M. Shahabuddeen (interprétation). - Depuis ces incidents, êtes-
8 vous retournée dans la région ?
9 Témoin S (interprétation). - Non, seulement de passage, pour
10 aller à Sarajevo emmener mon mari à l'hôpital.
11 M. Shahabuddeen (interprétation). - Certaines personnes ont
12 évoqué devant vous le nom de M. Kordic. Vous aviez la télévision chez
13 vous ?
14 Témoin S (interprétation). - Non, quand nous étions des
15 réfugiés, non. A l’époque, oui, bien évidemment, au temps normal. Mais
16 pendant la guerre, on n’avait pas la télévision.
17 M. Shahabuddeen (interprétation). - Parlons de votre première
18 maison, votre maison d’avant. Y aviez-vous la télévision ?
19 Témoin S (interprétation). - Quand j'avais la maison, j’avais
20 tout. J’avais un appartement. Je pouvais vivre normalement et cela aurait
21 pu être véritablement ainsi jusqu’à la fin de mes jours. J'étais
22 retraitée, ainsi que mon mari. Nous avions une vie normale. On allait
23 passer les vacances, les congés, au bord de la mer. On allait partout.
24 M. Shahabuddeen (interprétation). - Vous regardiez la
25 télévision, à ce moment-là, dans votre maison ?
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1 Témoin S (interprétation). - Oui, mais on n'a jamais entendu
2 parler de Kordic. Jusqu'en octobre 1992, on était à Jajce.
3 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vois. Parlons maintenant
4 des sacs de sable. Vous avez dit que vous étiez allée à Vitez et que vous
5 aviez vu des sacs de sable au carrefour, au niveau de l’hôtel Vitez.
6 Témoin S (interprétation). - Oui, pas uniquement à ce carrefour,
7 il y en avait également à d’autres carrefours. Il y en avait vers la
8 vieille ville de Vitez, là où se trouvent les Musulmans, vers Zenica. Cela
9 s'appelle Treskavica. On en a vus un peu partout, on ne voyait pas cela
10 auparavant. Comme j'allais régulièrement chez le médecin, effectivement
11 j'étais obligée de m’y rendre, soit tous les jours, tous les deux jours,
12 je les voyais. Mais, comme je vous l’ai dit, ce n'était pas auparavant le
13 cas. Cela a été ainsi au moment où les préparatifs ont commencé.
14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vois. Un peu plus tôt
15 dans votre déposition, vous avez parlé de sacs de sable en disant qu'ils
16 servaient de fortification. Pourriez-vous décrire les sacs de sable que
17 vous avez vus au carrefour proche de l’hôtel Vitez et qui servaient de
18 renforcement des moyens de défense ?
19 Témoin S (interprétation). - Oui, je peux les décrire. Tout le
20 monde sait à quoi ressemble un sac de sable ! On en mettait un, deux ou
21 trois, l’un sur l'autre, sur une épaisseur d’un ou deux mètres. Ils
22 aménageaient une petite ouverture et par là ils faisaient passer les
23 canons des armes.
24 M. Shahabuddeen (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion de
25 voir une arme, un canon qui était installé à ce carrefour ?
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1 Témoin S (interprétation). - Bien sûr, j'ai vu aussi une
2 mitrailleuse.
3 M. Shahabuddeen (interprétation). - Une mitrailleuse ?
4 Témoin S (interprétation). - Oui. J’ai vu aussi des fusils
5 automatiques, des fusils de tireurs embusqués. Je connais ! J’avais un
6 voisin là-haut, il s’appelle Goran. Chez lui, à la maison, il y avait des
7 armes, il y avait un peu de tout.
8 Nous nous entendions très bien. Nous étions allés ensemble en
9 Dalmatie. Lui était policier. Il y avait aussi un commandant. J'avais
10 leurs clefs, j’avais la clef de tous ces gens-là. Je voyais donc tout ce
11 qu’il y avait dans leur maison. Mais nous, nous avons été en bons termes
12 jusqu’au dernier moment. Quand ils sont arrivés de Jajce, après la lutte
13 contre les Chetniks, là nous avons fui.
14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Pourrais-je vous demander,
15 madame, de revenir à cette fortification de sacs de sable que vous avez
16 vue au carrefour qui mène à l’hôtel Vitez ? Vous avez dit avoir vu un
17 canon. Pourriez-vous dire au Tribunal dans quelle direction le canon était
18 pointé ?
19 Témoin S (interprétation). - Là, il n’y avait pas une
20 mitrailleuse, mais deux. Et ce canon était orienté vers la vieille ville
21 de Vitez. Dans la vieille ville de Vitez ne vivaient que des Bosniens, que
22 des Musulmans. Ceux d’en haut, de Treskavica, ont aussi tourné un canon
23 dans la direction de Treskavica. On le voyait très bien.
24 Moi, j’ai dit à mon mari : "Enfuyons-nous tant qu'il est encore
25 temps !", mais il a refusé. Si j'avais su ce qui allait se passer, je me
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1 serais enfuie toute seule ; je l’aurais laissé, qu'il meurt tout seul !
2 M. Shahabuddeen (interprétation). - Une dernière question,
3 madame. Vous avez vu tout cela avant le 16 avril, n'est-ce pas ?
4 Témoin S (interprétation). - Oui.
5 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous remercie, madame.
6 Témoin S (interprétation). - Je vous en prie.
7 M. le Président. - Merci, Témoin. Le Tribunal est très sensible
8 à votre venue jusqu'à La Haye. Cela a dû être difficile et compliqué.
9 Témoin S (interprétation). - Je vous en prie, je vous en prie.
10 M. le Président. - Je ne vous poserai pas, en ce qui me
11 concerne, de question complémentaire.
12 Témoin S (interprétation). - Mais, ce n'était même pas
13 difficile ! Je vous remercie. Nous avons été très bien accueillis, ici.
14 Vraiment, ils ont tout très bien organisé. J'ai eu des contacts avec pas
15 mal de gens et je leur ai dit que tous viennent à Jajce. Chez nous, ils
16 ont de la place et chez tous les Musulmans d’ailleurs. Je vous remercie
17 beaucoup.
18 M. le Président. - Ne bougez pas. Le Tribunal va à présent lever
19 son audience. Il la reprendra à 16 heures 30.
20 L’audience, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 40.
21
22 M. le Président. - L'audience est reprise, faites entrer
23 l'accusé.
24 (L’accusé, M. Blaskic, est introduit dans la salle d’audience.)
25 M. le Président. - Monsieur Kehoe, je vois que c'est vous qui
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1 allez prendre la suite. Vous avez été admirable d'esprit de synthèse et de
2 concentration hier avec le témoin A et je suppose que vous aurez à coeur
3 de soutenir votre réputation. C'est à vous maintenant.
4 M. Kehoe (interprétation) - Merci, monsieur le Président, merci
5 messieurs les
6 Juges. Nous avons maintenant le témoin R. Soucieux de respecter
7 les requêtes émises par la Chambre, nous avons diminué la liste des
8 témoins et nous avons maintenant un témoin pour le village de
9 Donja Veceriska. Peut-on brancher le rétroprojecteur ? Il sera ainsi
10 possible de voir où se trouve Donja Veceriska. C'est le village que montre
11 le pointeur et qui se trouve juste au-dessus du village de Gacice. Dans
12 les reliefs plus bas, on voit l'usine SPS qui fabrique les équipements
13 militaires.
14 Ce village a été attaqué, comme bien d'autres dans la région de
15 la rivière Lasva, le 16 avril 1993. Ce témoin-ci, le témoin R, va vous
16 parler en détail de cette attaque, de l'incendie des maisons, des tueries
17 de civils et de l'évacuation des Musulmans de ce village le matin du 16.
18 Ce témoin parlera également des différentes unités qui ont participé, du
19 HV, du HVO, d'unités de soldats vêtus en uniformes de camouflage et en
20 uniformes noirs et de soldats qui portaient aussi sur leurs casques la
21 lettre U pour Oustachis.
22 Il dira aussi qu'en sus de l'incendie des maisons, ceci s'est
23 poursuivi tout au long du 16 avril jusqu'au 18, au moment où les réfugiés
24 venant du village de Donja Veceriska se sont enfuis vers la base des
25 Nations unies que vous verrez sur la carte, que vous avez déjà vue, et qui
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1 se trouve en contrebas de la route allant sur Vitez, là où se trouvaient
2 de nombreux réfugiés sur lesquels on tirait. De là, ils ont pu observer
3 l'incendie qui se poursuivait du village de Donja Veceriska le 18. Ce
4 témoin précisera aussi les endroits.
5 Par la suite, après le témoin que nous avons entendu ce matin,
6 madame Hrustic, ce témoin dira qu'il a observé le pilonnage de Gacice,
7 d'un point plus bas où se trouvait l'usine qui était contrôlée par les
8 troupes du HVO.
9 Voilà en résumé, monsieur le Président, messieurs les juges, ce
10 dont attestera le témoin. S'agissant des chefs d'inculpation, cette
11 déposition va couvrir pratiquement tous les paragraphes sur le chef n° 1.
12 Il parlera précisément du centre même de ce chef d'inculpation :
13 persécution des populations musulmanes dans la vallée de la rivière Lasva
14 et ailleurs. Il parlera
15 aussi de l'omission intentionnelle et des atteintes portées à
16 l'intégrité physique de civils.
17 Il y a aussi les chefs 11 et 13 de l'acte d'accusation où l'on
18 parle de la destruction et du pillage de propriétés et Donja Veceriska est
19 un des villages où il y a eu des destructions massives de propriétés
20 réalisées par des soldats sous le commandement de l'accusé.
21 Voilà en substance la teneur de la déposition du témoin R et le
22 rapport qu'aura sa déposition au chef d'inculpation.
23 M. le Président. - Merci beaucoup. Le Tribunal appréciera
24 vraiment que vous essayiez chaque fois de ramener vos questions vers ces
25 chefs d'accusation, ce que vous faites en général bien entendu et qui est
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1 votre travail.
2 Sans plus tarder, je vous demande de faire entrer le témoin R.
3 M. Kehoe (interprétation) - Avec votre permission, monsieur
4 le juge, afin d'accélérer les choses, je pourrais peut-être d'entrée de
5 jeu offrir certaines des pièces, demander leur versement, pour que je
6 n'aie pas à interrompre le témoin. Ce sera beaucoup plus facile de cette
7 façon-là plutôt que d'avoir son récit et puis de revenir avec la
8 numérotation des pièces.
9 M. le Président. - Je pense que c'est une bonne chose.
10
11
12
13
14
15 (Le témoin R est introduit dans la salle.)
16 M. le Président. - M'entendez-vous, témoin R ?
17 Témoin R (interprétation). - Oui.
18 M. le Président. - Monsieur le Greffier va vous tendre une
19 déclaration que vous allez lire qui est le serment que vous devez prêter
20 devant les juges. Nous vous écoutons, allez-y, lisez la déclaration.
21 Témoin R (interprétation). - Je déclare solennellement que je
22 dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
23 M. le Président. - Monsieur le Greffier va vous tendre un
24 document. Sans le lire à haute voix, vous allez vérifier qu'il s'agit bien
25 de votre identité. Ne dites rien, simplement dites s'il s'agit bien de
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1 votre identité.
2 Témoin R (interprétation). - Oui.
3 M. le Président. - Des mesures de protection ont été proposées
4 par le procureur et acceptées par le juge, en accord avec la défense. Vous
5 pouvez donc parler sans crainte. Vous allez donc faire votre déposition
6 sur les événements que vous avez vécus à Donje Veceriska, notamment au
7 moment de l'attaque du 16 avril 1993.
8 Nous avons mis au point, avec le procureur, la manière dont cela
9 va se dérouler. Je n'insiste pas, le procureur va vous l'expliquer.
10 Monsieur le procureur, c'est à vous.
11 M. Kehoe (interprétation) - Merci monsieur le Président. Bonjour
12 témoin R.
13 Témoin R (interprétation). - Bonjour.
14 M. Kehoe (interprétation) - Pourriez-vous nous dire quel âge
15 vous avez aujourd'hui ?
16 Témoin R (interprétation). - J'ai trente neuf ans.
17 M. Kehoe (interprétation) - Etes-vous musulman ?
18
19 Témoin R (interprétation). - Oui.
20 M. Kehoe (interprétation) - Avant le 16 avril 1993, vous et
21 votre famille, vous viviez au village de Donje Veceriska dans la
22 municipalité de Vitez ?
23 Témoin R (interprétation). - Oui.
24 M. Kehoe (interprétation). - Avant que vous ne donniez vos
25 explications et fassiez part de votre récit aux Juges s'agissant des
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1 événements, vous avez aidé le Bureau du Procureur à préparer plusieurs
2 cartes et à entourer plusieurs lieux qui étaient importants entre le 16 et
3 18 avril ?
4 Témoin R (interprétation). - Oui.
5 M. Kehoe (interprétation). - A ce stade, je me tourne vers
6 M. Dubuisson. Serait-il possible de donner aux Juge, à la défense et aux
7 témoins, les pièces 161, 162 et 163, les trois premières cartes ?
8 (Le greffier fait passer les documents demandés.)
9 Les numéros se suivent en séquence à partir du n° 12, et je
10 suppose qu'il y a aussi celle-ci, la dernière. L'huissier la voit-il ?
11 Cela, c’est la pièce 161 ? Vous me permettez d’y aller, monsieur
12 le Président.
13 M. le Président. - Pour accélérer les choses, monsieur le
14 Procureur, allez aider l’huissier.
15 Est-ce clair pour la défense également ?
16 (Maître Hayman fait un signe négatif de la tête.)
17 M. le Président. - Cela n’est pas clair pour la défense voyez-
18 vous.
19 M. Kehoe (interprétation). - Merci de votre indulgence, monsieur
20 le Président, messieurs les Juges.
21 M. le Président. - Allons-y.
22 M. Kehoe (interprétation). - Témoin R, aux fins du transcript je
23 précise que
24
25 les pièces 161 et 162 sont des agrandissements de la pièce 55 et la
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1 pièce 163 est un agrandissement de la pièce 56.
2 Témoin R, vous avez dit que vous viviez à Donja Veceriska
3 jusqu’au 16 avril 1993? Jusqu’au matin de l’attaque, n’est-ce pas ?
4 Témoin R (interprétation). - Oui, c'est exact.
5 M. Kehoe (interprétation). - Pourriez-vous, dans vos propres
6 termes, expliquer aux Juges comment vous avez vu ce conflit se produire,
7 en commençant peu de temps avant l'attaque du 16, et expliquer ce qu'il en
8 fut de l'attaque en tenant compte des numéros figurant dans les pièces ?
9 Vous et les autres Musulmans de ce village, où êtes-vous allés
10 finalement ? Pourriez vous le dire avec vos propres termes ?
11 Témoin R (interprétation). - Je commencerai vers la mi-mars
12 1993. On a donc commencé à évacuer les Croates vers les villages
13 environnant, les femmes, les vieillards et les enfants. En général, on les
14 évacuait pendant le jour. Puis, quelques jours plus tard, on les ramenait.
15 Ce qui n'était pas le cas cette fois-ci.
16 Le 15 avril 1993, ils se sont partis en combis, en camions, en
17 voitures, etc., tous les civils croates sont partis.
18 Le matin du 16, très tôt, vers 6 heures du matin, l'attaque
19 s'est produite par le HVO. L’attaque a été orientée vers mon village. A
20 5 heures 30, mon père et ma mère, qui malheureusement ont péri, sont
21 sortis sur le balcon de la maison. Nous avons entendu des tirs d'obus, des
22 explosions très fortes. Les obus tombaient un peu partout. Je suis rentré
23 à la maison.
24 Une fois à l’intérieur de la maison, on m’a dit d'aller
25 réveiller une de nos amies, une Musulmane qui était réfugiée avec quatre
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1 enfants, pour les cacher. En effet, mon père pensait que c'était
2 l'aviation et que les coups de mortier ne venaient pas de l’autre côté,
3 mais plutôt qu’il s’agissait d’une attaque aérienne.
4 Toutefois, en ce qui me concerne, je suis sorti de chez moi pour
5 aller vers la maison
6
7 de cette amie. J’entendais encore de l'artillerie et je sentais les coups
8 de fusil autour de moi, mais j'ai réussi à pénétrer dans la maison.
9 J'ai vu beaucoup de soldats autour des maisons d'un certain
10 nombre de voisins. C'étaient les soldats du HVO, donc les Croates
11 extérieurs à notre village. J’ai pénétré dans la maison et une fois à
12 l’intérieur, il y a eu toute une tirade d'artillerie. Les enfants ont
13 commencé à pleurer, à crier. Les vitres ont éclaté, des détonations ont eu
14 lieu. Les balles traversaient non seulement les vitres, mais même les
15 murs. Tout s'écroulait.
16 C’était un véritable chaos au vrai sens du terme. Il y avait des
17 cris, des hurlements, des pleurs car les soldats du HVO, en plus, ont jeté
18 une grenade dans le couloir de la maison. Une puissante explosion s’est
19 fait sentir. Nous étions couchés à terre, dans la cuisine.
20 Ensuite, Nelset a demandé à son mari de monter au 1er étage pour
21 emporter un peu d'argent, l’équivalent de 200 DM, me semble-t-il. En
22 descendant l’escalier il a crié : « surtout sortez » parce qu’il y a une
23 autre grenade qu’il voyait arriver. J’ai pris la plus petite qui avait
24 trois ans, une petite fille. Je suis sorti et l’ai porté dans mes bras. La
25 poussière s’élevait autour de nous.
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1 J’ignore comment il se fait que l'explosion ne se soit pas
2 produite, mais j’ai quand même ressenti un tir et probablement qu’un
3 morceau d’obus m’a touché. Je me suis sorti de la poussière, je ne vois
4 presque rien car c’était comme un brouillard de poussière.
5 Une fois ce brouillard dissipé, j’ai vu les soldats qui
6 portaient des uniformes noirs ou bien d'autres, du HVO, avec les insignes
7 à damiers que nous connaissons tous ou d’autres insignes que nous
8 connaissions. Ils nous juraient : « la merde balija », car bien évidemment
9 c’était le principal juron. L’un d’entre eux a utilisé la crosse du fusil
10 pour m’asséner un grand coup. Je connaissais son nom, je l’ai d’ailleurs
11 reconnu.
12 Il y en avait quelques autres aussi que je connaissais : Vlado
13 Franjic, Dzafer Basic et d’autres encore avaient le visage sous un masque
14 et je ne reconnaissais pas les voix. Je ne pense
15
16 pas qu’il s’agissait des gens de chez nous.
17 On m’a demandé de lever les mains et de les mettre sur la tête
18 et de sortir dans la rue. On entendait encore les tirs. Tout était
19 incendié : les étables, les maisons. Derrière la maison où je me suis
20 trouvé, d'où je suis sorti, tout a été incendié.
21 Un réfugié malheureusement y a trouvé la mort, son cheval
22 également, ainsi que tous ceux qui se trouvaient dans la maison. C'est
23 comme cela que cela s'est passé.
24 Les soldats du HVO nous ont escortés ensuite. La fille d'une de
25 nos amies m’avait appelé par mon prénom pour aider son père qui était
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1 grièvement blessé et qui baignait dans son sang, par terre, dans le
2 couloir. Spontanément, je suis allé l'aider. Malheureusement, on ne m'a
3 pas laissé partir. On m'a injurié et une fois de plus, on m'a humilié.
4 J'ai commencé à fuir entre un tracteur et une maison d’un
5 vieillard musulman que je connaissais de l'époque. J'ai traversé la
6 clôture et j'ai couru à travers le jardin. Je suis arrivé au carrefour.
7 J'étais essoufflé. L'étable d’Omer avait été incendiée. Tout était en
8 flammes. Cela ne peut même pas se raconter. Tout était en flammes, en
9 poussière.
10 Je me suis trouvé à l'angle, par rapport à l'étable de mon ami
11 Omer. Je suis resté un peu pour respirer. J'ai pu voir la colonne de
12 soldats avec Drmic. Nous étions ensemble à l'école. Il m'a regardé, il
13 s’est retourné. J’ignore ce qu’il a dit. Il m’injuriait probablement, mais
14 de toute façon il est passé à côté.
15 J'ai profité de ce moment-là et je me suis enfui en me
16 protégeant derrière une clôture en béton. Au fond, c'était un entrepôt
17 pour engrais chimiques. J'ai été protégé derrière ce mur. Il y avait
18 énormément de tirs, de fusillades de tous côtés. Je ne savais pas comment
19 m'en sortir et ce que j'allais faire.
20 Je dois dire que c’était très, très impressionnant, car la
21 fusillade était véritablement très grande et très importante. J'attendais,
22 encore une fois. Je me suis accroupi contre le mur. J’étais pieds nus. Je
23 me suis même blessé, car je marchais pieds nus, et il y avait partout des
24
25 morceaux de vitres, de glace, etc. Mais je ne sentais rien, je ne sentais
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1 même pas le sang couler.
2 J'ai vu des soldats qui portaient des calots, d'autres en
3 uniforme, avec les mêmes insignes dont j'ai parlé tout à l'heure. J’en ai
4 vus d’autres encore, qui allaient d’une maison à l’autre. J’ai reconnu
5 quelqu'un, étant donné qu'il avait des cheveux bouclés, que je connaissais
6 bien. Ils m’ont appelé par mon nom.
7 Il y avait quelqu'un, un retraité de soixante cinq ans, qui est
8 parti de chez lui. Il voulait prendre une cigarette, il a tourné le dos
9 aux soldats... Mais malheureusement, on l'a tué sur-le-champ. C'était à
10 six mètres de moi à peu près. Donc, j'ai vu cela de mes propres yeux. Tout
11 cela, bien évidemment, m'a permis de courir, de traverser, de rentrer dans
12 une cuisine, dans une maison, chez un ami qui s'appelait Meho. Et cela m'a
13 permis également de rejoindre un groupe.
14 La maison était complètement remplie d'enfants, de jeunes...
15 Elle se trouvait au dessus de la maison de Meho. Il y avait un aveugle, un
16 réfugié, qui était avec nous, dans la même maison. Nous l'avons porté sur
17 le dos, pour le transporter. Nous avons traversé un espace vide, pour
18 rejoindre une autre maison de Dzemo Haskic. En une heure - cela s'est
19 passé en une heure, à peu près -plus de quarante, voire cinquante bombes
20 sont tombées. Beaucoup également de coups d'artillerie, de coups de
21 fusils...
22 Nous avons trouvé une cave. Nous avons, malheureusement, trouvé
23 un nouveau-né. Il avait vingt jours, ce petit bébé, la petite-fille de
24 Meho. Elle était dans l’eau. Nous n'avons pas pu traverser le village, et
25 c'est comme cela que nous nous sommes cachés dans cette cave, qui était
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1 pleine d'eau et très humide. Devant nous, il y avait cet espace qui était
2 découvert : le point 10 et tout ce qui était autour. On ne pouvait
3 absolument pas traverser, et Dzafer, qui est resté dans son étable -j’en
4 ai parlé tout à l’heure- qui a été brûlée.
5 On a entendu les snipers. Il y avait une dame qui a été
6 grièvement blessée, avec,
7 auprès d'elle, une fille, entre deux et trois ans, qui pleurait
8 auprès de sa mère. On a essayé de lui dire qu'il fallait aider un peu sa
9 mère, c’est-à-dire passer une bande, pour que le sang ne coule pas. Ce
10 n'est que le soir que nous avons pu aider cette femme. Nous avons réussi à
11 la transporter sur les brancards. Bien évidemment, cela s’est fait en
12 vitesse. Nous l'avons transportée vers un village avec lequel nous nous
13 sommes mis en contact. C'était une population croate mixte, avec des
14 Musulmans.
15 C'était un village, comme il y en avait dans beaucoup de cas, un
16 village mixte sur le plan de la population. Mais nous avons trouvé des
17 gens, dans ce village, qui nous ont aidés sur tous les plans : soit pour
18 les vêtements, soit pour la nourriture, parce que nous n'avions rien
19 emporté. Mon père avait soixante-douze ans, ma mère également. Elle était
20 infirme, elle ne pouvait pas se déplacer. Hadzira est partie, par la
21 suite, avec la Forpronu. Je pense qu'ils l'ont dirigée vers un hôpital, la
22 femme dont j'ai parlé tout à l'heure.
23 Nous sommes restés un peu dans ces maisons. Le 17 avril,
24 également. Et entre le 17 et le 18 au soir, nous avons pris la décision de
25 nous engager vers la base de la Forpronu, en passant par Veceriska, dans
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1 la nuit et dans le silence, dans un cortège. Il y avait huit cents
2 personnes à peu près, car il y avait beaucoup d'autres personnes qui sont
3 arrivées à Veceriska de Karaula et d'autres villages.
4 Trois vieilles dames ont été tuées en route, ainsi que Habiba
5 Haskic, qui avait quatre vingt ans, sa soeur qui était réfugiée de
6 Karaula, et qui avait peut-être quatre vingt ans ou un peu moins, et une
7 autre dame, un peu plus jeune, cinquante cinq ans à peu près. C'était la
8 fille de Habiba).
9 Quand nous nous sommes déplacés pour sortir du village, et pour
10 rejoindre cette base de la Forpronu, comme je l’ai dit tout à l’heure,
11 nous avons pu entendre les tirs qui venaient du HVO. Il y avait une espèce
12 d’usine et une colline qui s'appelait Brisjak.
13 Ici, je me permets de dire que c'était, en gros, la population
14 civile de Besici, tous
15 ceux qui sont venus nous rejoindre, le 17 au soir. Pratiquement
16 tout le village était dans l'obligation de se retirer, car on était
17 encerclé. Beaucoup de civils ont été blessés, et nous nous sommes donc
18 retirés vers la base de la Forpronu, pour essayer de nous sauver. C'est
19 dans la station de la Forpronu que les lumières, au lieu de rester
20 éteintes, ont été allumées. Nous leur avons demandé de les éteindre parce
21 que nous avions peur.
22 Les tirs se poursuivaient. Nous avons été bien reçus, bien
23 accueillis, et c'est là où nous sommes restés quatre ou cinq jours - je
24 ne peux pas m’en souvenir exactement, car j’étais particulièrement...
25 j’étais plus qu’affolé. Les parents sont restés à la maison, et ils ont
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1 été tués par les soldats du HVO. Ils ont été enterrés dans la fosse
2 commune, à Vitez.
3 Quand nous étions devant la base de la Forpronu, à Divjak
4 -Divjak a été également attaquée- il y avait les civils de là-bas, qui ont
5 été transférés vers la base. Nous nous sommes tous installés auprès de la
6 Forpronu, parce que nous étions tous des civils, et on sentait qu'on
7 allait nous protéger. On ne craignait plus quoi que ce soit.
8 C'est le 18, dans l'après-midi, je pense, que cette grande
9 explosion est survenue dans l'ancienne ville de Vitez. Et c'est pourquoi,
10 devant la base de la Forpronu, il y avait encore davantage de personnes.
11 C'étaient d'abord les enfants et les femmes qu'on essayait de protéger.
12 Cette nuit du 18, on a organisé un camp improvisé pour les civils. On a
13 continué à tirer... Beaucoup de cris, de hurlements, de pleurs... Mais,
14 heureusement, personne n'a été blessé. En tout cas, je ne m’en souviens
15 vraiment pas.
16 C'est à cette époque-là que les soldats de la Forpronu ont
17 trouvé les deux soldats qui ont tiré, et qui étaient masqués, en uniforme
18 de camouflage.
19 Je dois dire également que huit civils ont été tués à
20 Veceriska : en gros, les personnes âgées. Il y avait également un monsieur
21 de plus soixante-cinq ans qui a été tué accidentellement, ultérieurement.
22 Pendant qu'on était encerclé, à Donja Veceriska, tout le temps, à Vitez
23 SPS, comme on le nommait, dans le cadre de ce complexe chimique, on
24 tirait, on
25 incendiait, on jetait des grenades. Les tirs se suivaient
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1 presque, les uns après les autres. Comme je l’ai dit, c'était un chaos
2 véritable.
3 Je ne sais pas comment j'ai pu survivre à tout cela. Certains
4 ont considéré que j’étais devenu fou. Peut-être.
5 M. le Président. - Merci, Témoin R. Maintenant, je pense que le
6 Procureur va vous faire préciser un certain nombre de points au soutien de
7 l'accusation contre le général Blaskic. Monsieur le Procureur.
8 M. Kehoe (interprétation). - Merci, monsieur le Président. J’ai
9 seulement quelques questions à vous poser, Témoin R.
10 Avant le 16 avril 1993, où travaillez vous ?
11 Témoin S (interprétation). - A l'usine SPS de Vitez, l’usine
12 Princip.
13 M. Kehoe (interprétation). - Au cours de l'année 1993, s’est-il
14 produit un moment où des unités spéciales de l'armée sont venues à cette
15 usine SPS pour en prendre le contrôle ?
16 Témoin S (interprétation). - Oui. Déjà en 1992, en octobre ou
17 juste avant le nouvel an, je crois, des gens que je ne connaissais pas
18 sont arrivés. Ils sont tout simplement entrés dans l'usine. Et personne ne
19 les a empêché d'entrer. Alors, quand on entrait dans l'usine, on voyait
20 ces soldats, qu'on n'avait jamais vu avant. J’en ai vus qui avaient
21 l’emblème du HVO, j’en ai même vus qui avaient l’emblème du HV. Moi,
22 j'étais obligé de passer devant eux quand je franchissais le portail. Et à
23 Noël, au nouvel an, nos maisons ont essuyé des coups de feu qui venaient
24 de cette usine chimique, Vitezit, l’usine chimique de Vitez, qu’on
25 appelait l’usine Princip.
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1 Un peu partout dans l'usine, on trouvait leurs insignes, leurs
2 emblèmes. Ils avaient mis leur drapeau à l'entrée de l'usine. On les
3 appelait les spéciaux. On a commencé à les voir circuler dans Vitez.
4 En fait, je crois que l'effet que tout cela avait sur la
5 population, surtout sur les Musulmans, était surtout un effet
6 psychologique. Ils passaient très souvent devant ma maison
7 par exemple.
8 M. Kehoe (interprétation) - Vous dites avoir vu des emblèmes du
9 HV ainsi que des emblèmes du HVO. Est-ce bien exact ?
10 Témoin R (interprétation). - Oui.
11 M. Kehoe (interprétation) - Est-ce que ces soldats ont participé
12 aux attaques menées contre le village de Donje Veceriska, ce matin du
13 16 avril 1993 ?
14 Témoin R (interprétation). - Oui. Devant cette maison, quand ils
15 sont venus nous arrêter, j'ai vu des emblèmes, des insignes. Pas mal de
16 soldats portaient l'uniforme noir avec la lettre U. J'ai vu aussi
17 l'emblème avec les lettres HV et celle avec les lettres HVO. Il y avait de
18 tout.
19 M. Kehoe (interprétation) - Pourriez-vous expliquer aux juges
20 les insignes que vous avez vues lorsque vous avez été fait prisonnier ce
21 matin du 16, en plus du U ?
22 Témoin R (interprétation). - En dehors de l'insigne à la
23 lettre U, j'ai vu des hommes en uniforme de camouflage qui avaient
24 l'emblème du HVO sur la manche, avec le damier. Ils avaient un brassard
25 autour de la manche. Je ne me souviens plus exactement, mais je crois que
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1 c'était des brassards bleus. Et puis ils avaient toutes sortes de couleurs
2 sur le visage.
3 M. Kehoe (interprétation) - Avant l'attaque, y a-t-il eu aussi
4 des tentatives menées par le HVO local pour désarmer la population
5 musulmane ?
6 Témoin R (interprétation). - Oui, à la suite du premier conflit
7 à Ahmici, mais je ne me rappelle pas exactement quand a eu lieu cette
8 première attaque. En tout cas, un jour ils sont arrivés, pas seulement
9 chez nous mais un peu partout dans la municipalité, en exigeant que l'on
10 rende nos armes. Quelque arme que nous ayons, il fallait la rendre.
11 M. Kehoe (interprétation) - Combien de tentatives ont-elles été
12 entreprises pour que vous rendiez ces armes ?
13 Témoin R (interprétation). - Je ne sais pas cela, je ne me
14 rappelle pas. Peut-être y
15 en avait-il plusieurs mais je ne m'en rappelle pas.
16 M. Kehoe (interprétation) - J'aimerais que vous vous intéressiez
17 à la soirée du 15 avril 1993. Etiez-vous à la maison en train de regarder
18 la télévision ce soir-là ?
19 Témoin R (interprétation). - Oui, le 15 avril nous étions à la
20 maison, mon père, ma mère et moi. Je regardais la télévision. Je ne sais
21 plus très bien à quelle heure, mais en tout cas il était tard le soir...
22 peut-être pas très tard d'ailleurs... j'ai vu à la télévision ce soir-là
23 une conférence de presse depuis le centre du HVO. Ils étaient tous du HVO
24 et j'ai vu Kordic sur l'écran. J'ai vu ce monsieur. C'est à ce moment-là
25 que j'ai entendu le nom d'Ignjac Kostroman parce que c'est lui qui
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1 l'accompagnait.
2 J'ai entendu dire par Kordic -je ne m'intéressais pas tellement
3 à ce qu'il allait dire- : "Frères croates, le moment est venu". Je suppose
4 que c'était un signal pour l'attaque.
5 M. Kehoe (interprétation) - Quand vous dites que ce monsieur
6 était là aussi, de qui parlez-vous ?
7 Témoin R (interprétation). - Du général Blaskic.
8 M. Kehoe (interprétation) - Témoin R, cette conférence de presse
9 télévisée s'est-elle produite le jour même où les Croates de votre village
10 ont quitté Donje Veceriska et sont allés à Gornja Veceriska ?
11 Témoin R (interprétation). - Oui, le 15 au soir. Si je me
12 rappelle bien, c'était exactement le 15.
13 M. Kehoe (interprétation) - Je vais vous poser plusieurs
14 questions relatives à la pièce 161 que vous avez sous les yeux, celle que
15 vous avez à votre droite.
16 Témoin R (interprétation). - Oui, 160...
17 M. Kehoe (interprétation) - Celle du bas, en dessous, celle qui
18 est le plus en dessous. Oui, celle là ! Pour que nous puissions voir
19 clairement ce qui se passe... il y a peut-être deux exemplaires de la
20 pièce 161, ce qui fait que les conseils de la défense ne disposent pas
21 d'exemplaire. C'est ce qui explique notre petit problème. Voilà,
22 il est réglé.
23 Pourrions-nous parcourir ces pièces et pourriez-vous expliquer
24 aux juges ce que sont ces chiffres que vous avez indiqués ? Le n° 1 est
25 votre maison, n'est-ce pas ?
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1 Témoin R (interprétation). - Oui.
2 M. Kehoe (interprétation) - Et c'est là que votre père et votre
3 mère ont été tués ?
4 Témoin R (interprétation). - Oui.
5 M. Kehoe (interprétation) - Dans cette maison même ?
6 Témoin R (interprétation). - Je n'ai pas compris la question.
7 M. Kehoe (interprétation) - Vous avez déjà répondu à cette
8 question. Et le n° 2 est la maison où vous vous êtes réfugiés ce
9 matin-là ?
10 Témoin R (interprétation). - Oui. Et c'est dans cette maison-ci
11 que j'ai été arrêté. Le n° 3 est la maison de Franjo. J'ai vu
12 Milko Franjic et ensuite j'ai pris le chemin qui descend. La maison n° 4
13 est la maison de Dzemo Haskic où Haskic a été grièvement blessé. Le n° 5,
14 c'est l'étable d'Almir Haskic où je me suis réfugié lors de ma première
15 fuite. Le n° 6 est l'endroit où je me suis caché derrière le mur en béton
16 de Snajvska Dzureka. Le n° 7 est la maison devant laquelle Ahmic est mort.
17 Le n° 8, c'est là où j'ai trouvé pas mal de femmes et d'enfants dans une
18 cuisine d'été.
19 Le n° 9, c'est la maison de Cazim Haskic où nous nous sommes
20 cachés dans la cave. Le n° 10 est celui de la maison où la femme a été
21 blessée, la femme dont j'ai parlé. Le n° 11 est la maison de Zoran Franjic
22 d'où ils ont tiré sur Hadzira et le n° 12 est le siège du HVO.
23 M. Kehoe (interprétation) - Vous avez fait état de plusieurs
24 personnes qui ont été tuées ce matin : Dzemo Haskic, Meho Haskic et
25 Hadzira Haskic.
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1 Témoin R (interprétation). - Oui, trois personnes.
2 M. Kehoe (interprétation) - Etaient-elles musulmanes ?
3 Témoin R (interprétation). - Tous étaient musulmans, oui.
4 M. Kehoe (interprétation) - Vous avez dit aussi qu'il y avait
5 plusieurs maisons en feu lorsque vous êtes sorti de la maison n° 2 et que
6 vous avez été fait prisonnier.
7 Témoin R (interprétation). - Oui, toutes les maisons sur le
8 chemin qui va par là étaient en flamme. Derrière moi, quand je suis sorti
9 sur la route, j'ai vu que tout était en feu. Et puis en bas, en dessous de
10 la maison n° 6, tout était en flamme aussi.
11 M. Kehoe (interprétation) - Etait-ce des maisons musulmanes qui
12 étaient en flamme ou bien des maisons croates ?
13 Témoin R (interprétation). - C'était des maisons musulmanes, à
14 l'exception d'une des maisons.
15 M. Kehoe (interprétation) - Vous avez dit qu'au moment où ces
16 attaques se produisaient vous avez vu des soldats autour et dans la maison
17 de Milko Franjic, le n° 3 ?
18 Témoin R (interprétation). - Oui, au n° 3, il y en avait pas mal
19 dans la maison et devant la maison. On le voit bien sur le schéma.
20 M. Kehoe (interprétation) - Combien de soldats avez-vous vu au
21 cours de la journée ? Combien de soldats du HV et du HVO avez-vous vu
22 cette journée-là ?
23 Témoin R (interprétation). - Je n'en ai vus qu'autour de cette
24 maison. J'en ai vus au moins cinquante à soixante, et encore, c'est une
25 évaluation modeste. Peut-être y en avait-il plus dans la maison de
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1 Nezveta.
2 M. Kehoe (interprétation) - Et ce jour-là combien de soldats
3 avez-vous vu qui aient traversé Donje Veceriska ?
4 Témoin R (interprétation). - Je n'ai pas bien compris la
5 question.
6 M. Kehoe (interprétation) - Le jour de l'attaque, pendant toute
7 la journée, combien de soldats avez-vous vu ?
8 Témoin R (interprétation). - J'en ai vus beaucoup, un très grand
9 nombre, je ne sais
10 pas exactement combien, mais j'en ai vraiment vus beaucoup.
11 M. Kehoe (interprétation) - Pourriez-vous dire combien à peu
12 près ? Deux cents, trois cents ?
13 Témoin R (interprétation). - Peut-être... il y en avait
14 beaucoup. Ils nous ont arrêtés et autour de cette seule maison il y en
15 avait déjà cinquante ou soixante. Peut-être y en avait-il plus. Pendant
16 que je m'enfuyais, j'ai vu en dessous de la maison un grand nombre de
17 soldats. Alors peut-être qu'au total il y en avait plus que trois cents.
18 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez parlé de soldats en
19 uniformes de camouflage, en uniformes noirs, avec les insignes du HVO.
20 Certains portaient un écusson avec la lettre U, d’autres avaient la
21 lettre U sur leur casque. Tous ces soldats travaillaient-ils la main dans
22 la main ?
23 Témoin R (interprétation). - Bien sûr qu'ils étaient ensemble !
24 Ils attaquaient tous.
25 M. Kehoe (interprétation). - Une dernière chose avant
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1 d'abandonner cette carte. A qui appartient la maison n° 12 ?
2 Témoin R (interprétation). - C'est le quartier général du HVO à
3 Veceriska. A certains moments, c'était le quartier général, la maison de
4 Franjo Drmic.
5 M. Kehoe (interprétation). - Peu de temps avant l'attaque, avez-
6 vous constaté qu’il y avait des activités inhabituelles autour de cette
7 maison ?
8 Témoin R (interprétation). - Immédiatement avant l'attaque, je
9 ne pouvais pas voir ce qui se passait dans cette maison. Nous n'étions pas
10 au courant, donc nous ne le voyions pas.
11 M. Kehoe (interprétation). - Fort bien. Vous avez dit aux juges
12 que vous avez pris la fuite vers Brdo, à partir de la maison qui est
13 désignée comme étant la maison n° 9. Est-ce exact ?
14 Témoin R (interprétation). - Oui.
15 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la carte suivante qui vous
16 montre Brdo et qui
17 porte la cote 162. Monsieur l'Huissier, il s'agit de cette
18 carte-là.
19 Vous avez dit avoir pris la fuite au cours de la soirée ou de la
20 nuit du 16 au 17, est-ce exact ?
21 Témoin R (interprétation). - Oui. Nous avons établi le contact
22 en transférant Hadira. C’est à ce moment-là qu'on a établi le contact,
23 quand on l’a transportée, dans la soirée du 17.
24 M. Kehoe (interprétation). - La région de Brdo est-elle entourée
25 d’un cercle et porte-t-elle le n° 15 ?
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1 Témoin R (interprétation). - Oui.
2 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez aussi déclaré que par la
3 suite, d'autres Musulmans, provenant de la région de Besici, sont arrivés
4 dans la région où vous vous trouviez, à Brdo. Est-ce exact ?
5 Témoin R (interprétation). - Oui. L'endroit qui figure sur le
6 plan au n° 16, c’est Besici. Ils sont arrivés là, et finalement il a été
7 décidé que nous devions nous en sortir comme nous le pouvions, chacun
8 d’entre nous. Nous avons constitué une colonne et nous avons avancé en
9 silence. La colonne était très importante, il y avait peut-être plus de
10 mille personnes, il y avait des réfugiés, des femmes, des enfants, des
11 vieillards, c’était tout.
12 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais vous poser quelques
13 questions au sujet des armes antiaériennes que vous avez vues et dont vous
14 avez dit qu’elles tiraient sur vous et les autres civils musulmans, depuis
15 l’usine SPS. Veuillez examiner, dans la partie supérieure, les n° 16 ou
16 18.
17 Témoin R (interprétation). - Oui, je vois.
18 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce le lieu approximatif d’où
19 cette arme antiaérienne a tiré sur vous et sur les autres Musulmans en
20 civil ?
21 Témoin R (interprétation). - Oui.
22 M. Kehoe (interprétation). - Vous ou d’autres civils, disposiez-
23 vous d’une arme pour riposter ?
24 Témoin R (interprétation). - Non ! Comment en aurions-nous eues,
25 on n’avait rien ! Il y avait peut-être quelques fusils de chasse, ici ou
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1 là. L'agression subie par la Bosnie-Herzégovine durait déjà depuis quelque
2 temps. Les armes qu’il y avait se trouvaient plutôt à Turbe et à Visoko,
3 où l’agresseur serbe et monténégrin avait déjà attaqué.
4 Nous, nous ne nous attendions pas du tout à cela. Nous ne
5 pensions même pas que nos voisins pourraient y participer.
6 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais que nous en terminions
7 avec cette carte. Y a-t-il eu des pilonnages dans la partie du village où
8 vous vous trouviez, ainsi que dans toutes les autres parties, depuis un
9 endroit que vous appelez Hum ?
10 Témoin R (interprétation). - Oui.
11 M. Kehoe (interprétation). - Depuis cet endroit n° 13 ? Répondez
12 à ma question, s’il vous plaît.
13 Témoin R (interprétation). - Depuis cet endroit, le n° 13.
14 M. Kehoe (interprétation). - Quels types d'obus étaient projetés
15 depuis le n° 13 vers le village ?
16 Témoin R (interprétation). - C'étaient des obus de mortier, des
17 obus de canons antiaériens, et un peu de tout.
18 M. Kehoe (interprétation). - Ce qui veut dire qu'au cours de la
19 journée du 16 il y avait des pilonnages venant du n° 3, ainsi que de
20 l’usine SPS, et du 13, du 17 et du 18 aussi ?
21 Témoin R (interprétation). - Oui, du 13, 17 et 18.
22 M. Kehoe (interprétation). - La partie qui se trouve à droite,
23 le n° 19, qu’est-ce que c’est ?
24 Témoin R (interprétation). - C’est l’endroit où se faisait les
25 entraînements des
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1 soldats du HVO, du Conseil croate de la défense, des Croates.
2 C'est là qu'on les emmenait pour l'entraînement au tir. Il y avait des
3 cibles.
4 M. Kehoe (interprétation). - Avant d'en terminer avec cette
5 partie de l’interrogatoire et de cette carte, vous avez dit qu'il y avait
6 des soldats du HVO que vous avez personnellement reconnus, soldats qui ont
7 participé à cette attaque contre vous, ceux que vous connaissiez ?
8 Témoin R (interprétation). - Oui.
9 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit également qu'il y
10 avait des soldats que vous ne connaissiez pas ?
11 Témoin R (interprétation). - C’est exact. Il y en avait que je
12 ne connaissais pas du tout. Ils n'étaient pas de la municipalité ni même
13 de la région.
14 M. Kehoe (interprétation). - Serait-il exact de dire, dès lors,
15 que des soldats du HVO et du HV, venant aussi bien de la région de Vitez
16 que de l’extérieur, se sont réunis pour attaquer Donja Veceriska ce matin
17 du 16 avril 1993 ?
18 Témoin R (interprétation). - Oui, ils se sont réunis pas
19 seulement pour attaquer Veceriska, mais toute la municipalité de Vitez,
20 sauf peut-être...
21 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, j'aimerais
22 aborder d’autres sujets, mais peut-être que l'heure se prête bien pour
23 interrompre l’audience. Nous avons encore pas mal de points à examiner car
24 c’est le seul témoin que nous ayons concernant ce village.
25 M. le Président. - Non. Nous devons arrêté à moins le quart,
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1 puisque nous avons commencé à 14 heures 45. Il nous reste encore un petit
2 quart d’heure.
3 Vous pouvez essayer de poursuivre jusqu'à moins le quart et vous
4 essaierez de trouver une césure.
5 M. Kehoe (interprétation). - Volontiers, monsieur le Président.
6 Etait-il vers 3 ou 4 heures du matin, ce matin du 18, quand vous
7 avez essayé de
8 parvenir aux forces de la Forpronu ?
9 Témoin R (interprétation). - Oui.
10 M. Kehoe (interprétation). - Sur la carte que vous avez sous les
11 yeux, la pièce 162, une route est indiquée en vert et porte le n° 20.
12 N’est-ce pas la route que vous avez empruntée ?
13 Témoin R (interprétation). - Oui. Nous nous sommes engagés sur
14 cette route, tous.
15 M. Kehoe (interprétation). - J’aimerais que vous regardiez
16 maintenant la dernière carte, la pièce 163. Peut-être que M. l'huissier
17 peut vous aider ?
18 Témoin R (interprétation). - Je l’ai trouvée, je l’ai trouvée.
19 M. Kehoe (interprétation). - Voici la route. Une fois de plus,
20 cela fait partie de la pièce 56. Est-ce que cette route est de nouveau
21 indiquée en vert et porte le n° 20, route qui vous mène à la base de la
22 Forpronu ?
23 Témoin R (interprétation). - Oui.
24 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit également, alors que
25 vous avanciez sur cette route, qu’il faisait nuit, donc qu’il faisait
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1 noir, il était 3 heures du matin.
2 Témoin R (interprétation). - Oui. Il faisait nuit.
3 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit qu'on vous a tiré
4 dessus depuis deux endroits : depuis un endroit situé dans l'usine SPS,
5 puis de l’autre côté de la route. Est-ce que cela correspond bien les
6 numéros 21 et 22.
7 Témoin R (interprétation). - Oui.
8 M. Kehoe (interprétation). - La base de la Forpronu se trouvait
9 dans un petit hameau, un village. Comment s'appelle-t-il ?
10 Témoin R (interprétation). - Divjak était le nom de ce hameau.
11 M. Kehoe (interprétation). - Nous avons indiqué cette partie par
12 le n° 23 qui inclut une partie du village de Divjak.
13 Témoin R (interprétation). - Oui.
14 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que Divjak a été également
15 attaqué par le HVO ?
16 Témoin R (interprétation). - Quand nous sommes arrivés de
17 Veceriska pour rejoindre la Forpronu, ils sont arrivés. Mais ils se sont
18 fait tirer dans le dos et donc ils ont fui immédiatement un peu dans tous
19 les sens, donc Divjak est resté à peu près intact.
20 M. Kehoe (interprétation). - Qui a commencé à courir ou à
21 s'enfuir par la base de la Forpronu ?
22 Témoin R (interprétation). - Les civils ont couru de Divjak
23 parce que des coups de feu ont commencé et cela les a chassés vers la
24 base. Ils n'avaient pas d'autres endroits où s'enfuir. Ils ont tous pensé
25 que le seul moyen de sauver leur tête était de se diriger vers la base.
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1 M. Kehoe (interprétation). - Nous parlons ici de civils
2 musulmans ou de civils croates ?
3 Témoin R (interprétation). - Seulement de Musulmans.
4 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez dit que vous vous êtes
5 dirigé vers la base Forpronu qui porte le n° 24. Est-ce exact ?
6 Témoin R (interprétation). - Oui.
7 M. Kehoe (interprétation). - Avez-vous été reçu par des tirs de
8 sniper venant de maisons avoisinantes ?
9 Témoin R (interprétation). - Oui, il y avait des coups de feu de
10 tireurs embusqués qui provenaient des maisons. A cet endroit-là, les
11 maisons étaient mixtes. Elles appartenaient à des Croates et à des
12 Musulmans. Ils tiraient sur ce camp improvisé pour terroriser les civils
13 ou je ne sais de quelle intention, mais les membres de la Forpronu en ont
14 arrêté deux et les ont emmenés à l'intérieur de la base. Je ne sais pas ce
15 qui s'est passé par la suite. Je sais qu'un peu plus tard, ils sont
16 ressortis et qu'ils n'étaient plus là après quelques négociations.
17 M. Kehoe (interprétation). - Cet endroit duquel on tirait sur
18 vous porte-t-il le
19 n° 25 ?
20 Témoin R (interprétation). - Oui.
21 M. Kehoe (interprétation). - Vous vous trouviez, Témoin R, dans
22 cet endroit portant le n° 25, près de la base de la Forpronu. Avez-vous
23 poursuivi votre route ? Pouviez-vous voir le village de Donje Veceriska de
24 l'endroit où vous vous trouviez ?
25 Témoin R (interprétation). - Oui, parce qu'il est relativement
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1 proche, environ à moins de deux kilomètres.
2 M. Kehoe (interprétation). - Quand vous avez regardé dans cette
3 direction, qu'avez-vous vu ?
4 Témoin R (interprétation). - Nous pouvions voir, y compris les
5 soldats de la Forpronu, le village brûler. Tout était pratiquement en
6 flammes. Toutes les maisons musulmanes étaient en feu. Nous pouvions voir
7 que les conflits avaient été durs.
8 M. Kehoe (interprétation). - Toutes ces maisons étaient en feu,
9 mais tous les Musulmans avaient-ils quitté le village ?
10 Témoin R (interprétation). - Oui. Ils étaient tous en dehors du
11 village. Nous étions déjà tous devant la base de la Forpronu, à Divjak.
12 M. Kehoe (interprétation). - Serait-il exact de dire que deux
13 jours après l'attaque, en l’occurrence le 18 avril, les soldats du HVO
14 continuaient d’incendier les maisons musulmanes à Donja Veceriska ?
15 Témoin R (interprétation). - Oui. Il y a même des photographies
16 qui le montrent. Les maisons brûlaient, nous le voyions tous. Les gens
17 pleuraient parce qu’ils regardaient brûler leur maison, le 18 dans
18 l'après-midi. C'est aussi le jour où a eu lieu cette fameuse explosion.
19 M. Kehoe (interprétation). - Voyons ces photographies, Témoin R.
20 Avec l'aide de M. l'huissier, nous allons voir une série de photographies.
21 Je pense qu'il s'agit de la pièce 166.
22 Monsieur Dubuisson, voici la première de ces photographies.
23 Ces photos pourraient-elles être placées sur le
24 rétroprojecteur ?
25 Pourrions-nous voir la première photographie, monsieur
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1 l’huissier, elle porte le n° 166-1.
2 Témoin R (interprétation). - Oui.
3 M. Kehoe (interprétation). - Aux fins du compte rendu, la source
4 de cette photographie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c’est
5 effectivement le Régiment du Cheshire. Cette photo a été prise peu de
6 temps avant le conflit.
7 Vous avez dit que cette arme antiaérienne avait été utilisée
8 dans l'usine SPS lors du 16 avril 1993. Regardez cette photo.
9 Reconnaissez-vous le véhicule qui transporte l’arme antiaérienne ?
10 Témoin R (interprétation). - Oui, c'est celui-ci, ici.
11 M. Kehoe (interprétation). - Comment savez-vous que c'est lui ?
12 Témoin R (interprétation). - Avant le conflit, j'ai vu ce
13 véhicule qui se promenait un peu partout.
14 Je parle, justement, de ces soldats du HVO que nous ne
15 connaissions pas et qui sont arrivés. Ils manifestaient leur présence en
16 se promenant partout pour nous montrer qu'ils étaient équipés de nombreux
17 armements. Je pense que tout le monde les a vus.
18 M. Kehoe (interprétation). - Savez-vous où a été prise cette
19 photographie ?
20 Témoin R (interprétation). - Oui. Cette photographie a été prise
21 devant l'ancien bâtiment du SUP de Vitez.
22 M. Kehoe (interprétation). - Témoin R, où se trouve ce bâtiment
23 du SUP par rapport à l’hôtel Vitez ?
24 Témoin R (interprétation). - En face de l'hôtel, à Vitez.
25 M. Kehoe (interprétation). - Voyons la photo suivante, si vous
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1 le voulez bien.
2 M. le Président. - Etant donné qu'il y a beaucoup de photos, que
3 les interprètes
4 doivent être fatigués et moi aussi, je propose -car il est
5 17 heures 45, d’interrompre l'audience. Nous reprendrons, si vous le
6 voulez bien, demain matin à 10 heures.
7 L’audience est levée à 17 heures 45
8
9
10
11
12
13
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15
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