Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-14-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Mercredi 09 septembre 1998

4

5 Le Procureur c/ Tihomir Blaskic

6

7 L'audience est ouverte à 14 heures 10.

8

9 M. le Président. – Monsieur le Greffier, vous introduisez l'accusé.

10 Je voudrais saluer les interprètes, m'assurer qu'ils m'entendent.

11 Les interprètes. - Bonjour, Monsieur le Président, nous avons grand

12 plaisir à vous voir aussi aujourd'hui.

13 M. le Président. – C'est très gentil. J'espère que cette matinée vous a

14 été profitable, comme à nous tous.

15 Le Bureau du Procureur m'entend, la défense m'entend, l'accusé m'entend

16 aussi ?

17 M. Blaskic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président, je vous

18 entends bien.

19 M. le Président. – Nous sommes prêts pour continuer, mais après que nous

20 ayons introduit bien entendu notre témoin, c'est-à-dire… que je ne me

21 trompe pas dans son nom, le

22 Pr Duzan Bilandzic. Le voilà.

23 Monsieur le Professeur, vous m'entendez ? Bien, asseyez-vous.

24 M. Bilandzic (interprétation). – Oui.

25 M. le Président. - Votre micro est branché, vous vous êtes reposé, vous

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1 êtes prêt à continuer ?

2 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, je vous remercie.

3 M. le Président. - Le contre-interrogatoire n'est pas terminé. Je donne

4 donc tout de suite la parole à Monsieur le Procureur Kehoe.

5 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Bonjour,

6 Monsieur le Président, bonjour Messieurs les Juges, bonjour

7 Monsieur le Professeur.

8 M. Bilandzic (interprétation). – Bonjour.

9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, dans votre déposition

10 hier, en réponse à des questions posées par mon collègue, Me Nobilo, vous

11 avez fait observer que toutes les nations, et je dis que je cite le compte

12 rendu page 11 288, ligne 14 "que toutes les nations passent par cette

13 phase, la phase du nationalisme qui se transforme en chauvinisme et

14 débouche sur la guerre", toute nation doit appliquer un autre principe en

15 sus du principe ethnique, en tout cas un principe supplémentaire, à savoir

16 le principe du droit historique. Citation "J'ai le droit en tant que

17 dirigeant d'une nation d'établir des frontières entre les pays, entre des

18 pays qui, à un certain moment dans l'Histoire, disons, il y a 1 000 ans,

19 faisaient… étaient sous la dépendance de ceux qui me dirigeaient à cette

20 époque" (fin de citation).

21 Vous rappelez-vous avoir dit cela hier dans votre déposition,

22 Monsieur le Professeur ?

23 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, c'est exact.

24 M. Kehoe (interprétation). - Et je crois –et corrigez-moi si je me trompe

25 ou si je commets une erreur en parlant de ces questions et de ces

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1 réponses- il me semble que vous avez établi un lien entre ces propos et

2 les études réalisées par le linguiste du 19ème siècle, si je ne m'abuse,

3 Vuk Karadzic, vous avez établi cette relation parce que les habitants des

4 Balkans, ou en tout cas de certaines régions des Balkans, -je crois vous

5 avoir entendu parler de Salonique à Constantinople- parlaient pratiquement

6 la même langue et constituaient donc une seule et même nation et lorsque

7 Vuk Karadzic a été interrogé quant à la nature de cette nation, il a dit

8 qu'il s'agissait de la nation serbe. Je crois vous avoir entendu dire que

9 ceci, associé à d'autres facteurs, a renforcé la foi dans la nécessité

10 d'une grande Croatie. Est-ce exact ?

11 M. Bilandzic (interprétation). – C'est en partie exact, mais en partie,

12 j'ai l'impression que vous avez mal compris, comme vous avez d'ailleurs

13 mal compris l'interprétation des deux premiers principes dont j'ai parlé :

14 le principe ethnique qui est à la base de la constitution d'un Etat et le

15 droit à un Etat qui, je crois, a été très mal compris par vous, mais je

16 peux le réexpliquer.

17 M. Kehoe (interprétation). - Je vous en prie, certainement.

18 M. Bilandzic (interprétation). - Le principe ethnique est plus ou moins

19 reconnu dans notre civilisation, le Président Wilson l'a fait sien

20 également, de même que le russe Lénine, c'est-à-dire le droit d'un peuple

21 à l'autodétermination sur la base d'une appartenance nationale.

22 En ce qui concerne maintenant le principe du droit relevant de l'Histoire,

23 c'est-à-dire le droit historique à des territoires qui auparavant

24 appartenaient à d'autres, ce droit n'a jamais été accepté, reconnu et je

25 n'ai jamais dans mon interprétation dit que ce droit existait, ces propos

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1 étaient tenus par ceux qui défendaient les idées favorables à la création

2 d'un grand Etat en dépit du droit ethnique.

3 Donc, ces propos ne sont pas les propos que je défends moi-même et ce ne

4 sont pas non plus des propos qui expriment quelque chose qui est reconnu

5 par la civilisation moderne, ce qui ne signifie pas qu'au nom de ce droit

6 ne sont pas menées des guerres. Des guerres ont été menées au nom de ce

7 droit par le passé et continuent à se mener aujourd'hui au nom de ce même

8 droit.

9 En ce qui concerne maintenant votre deuxième question, le recul est trop

10 court, car nous sommes ici en présence de nuances d'interprétation

11 concernant les frontières autrichiennes qui allaient jusqu'à la Mer Noire

12 et jusqu'à Constantinople, Salonique, etc. A cette époque, les idéologies

13 du "panslavisme" avaient cours, les idées fondées sur le "Yougoslavisme"

14 et, à ce moment-là, les théoriciens qui poursuivaient des buts

15 idéologiques bien déterminés et qui étaient motivés également par d'autres

16 raisons ont ajouté à ces idées d'autres thèses. Et notamment la thèse

17 selon laquelle on était encore en présence d'une conscience nationale non

18 cristallisée, insuffisamment développée, qu'on était en présence de

19 peuples qui ne s'étaient pas encore départis ou plutôt qui parlaient

20 toujours une seule et même langue, mais que l'atout de la langue serbe

21 résidait dans le fait que cette langue pouvait devenir le catalyseur, le

22 cristaliseur qui pouvait constituer un pilier pour la création d'Etat. Et

23 qui pouvait donc, vis-à-vis de ces peuples, accélérer le processus de

24 renforcement des bases fondamentales du noyau central qui, selon

25 Vuk Karadzic, était la Serbie.

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1 Donc vous voyez il y a quelques nuances qu'il convient d'ajouter, mais

2 dans l'exposé de ces thèses je me suis vu contraint de les simplifier

3 quelque peu.

4 M. Kehoe (interprétation). - Je comprends, Monsieur le Professeur, mais

5 vous rejetez la thèse de Vuk Karadzic selon laquelle par exemple les

6 Croates résidant dans les Balkans sont tous des Serbes ? Vous rejetez cet

7 argument de Vuk Karadzic ?

8 M. Bilandzic (interprétation). - Absolument.

9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, pendant tout le temps

10 où vous avez exercé votre profession d'historien et de responsable

11 politique et, là je reviens toujours sur les propos que vous avez tenus

12 hier au cours de la discussion quant à l'interprétation possible de la

13 désintégration de l'ex-Yougoslavie, donc pendant tout le temps que vous

14 avez consacré à votre profession d'historien et de responsable politique,

15 vous avez bien connu les écrits du Président Tudjman et nous avons un

16 article sous les yeux ; je demande d'ailleurs qu'il soit placé sous les

17 yeux du témoin.

18 Je parle de cet article de la revue "Le National" et vous dites que

19 Tudjman n'a jamais permis la publication d'un article sans lire son

20 contenu, donc j'aimerais le lire moi-même, mais vous connaissez bien les

21 idées de M. Tudjman. L'article en question est la pièce à conviction 464.

22 M. Bilandzic (interprétation). - Ce n'est pas exact.

23 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai une remarque à

24 faire, si vous me le permettez.

25 M. le Président. - Je vais vous donner la parole. C'est une pièce de

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1 l'accusation, Monsieur le Greffier ? L'article "National" qu'on a vu

2 hier ?

3 M. le Greffier. - Oui, c'est une pièce de l'accusation qui a été présentée

4 hier.

5 M. le Président. - Qui porte quel numéro ?

6 M. le Greffier. - 464.

7 M. le Président. - Maintenant, Maître Nobilo.

8 M. Nobilo (interprétation). - Le Procureur essaie d'interroger le témoin

9 au sujet des travaux écrits du Président Tudjman au cours de toute sa vie,

10 mais le sujet de l'interrogatoire est la désintégration de la Yougoslavie

11 et non pas les écrits du Président Tudjman. Le Président Tudjman est

12 arrivé à la tête de la Croatie avant la désintégration de la Yougoslavie

13 et à cette époque il n'a rien écrit du tout. Donc tant qu'il n'est pas

14 devenu le Président de la Croatie il n'avait pas un rôle vital à jouer

15 dans la désintégration de cette Yougoslavie. Il s'agit-là d'une

16 modification de l'axe des questions par rapport à celles posées par la

17 défense.

18 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, nous avons ici

19 dans cet article une interprétation journalistique très libre.

20 M. le Président. - Je vais remettre un peu d'ordre dans le débat, car je

21 n'ai pas encore entendu la question posée par le Procureur. Ensuite, je

22 consulterai mes collègues pour savoir si cette question doit être posée.

23 Je constate que votre témoin a envie de répondre à la question, mais j'ai

24 retenu votre observation, Maître Nobilo. Si vous voulez bien, est-ce que

25 très rapidement vous pouvez me dire le sens de votre question et ensuite

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1 je voudrais consulter mes collègues ?

2 M. Kehoe (interprétation). - Le sens de ma question et de mon contre-

3 interrogatoire est le suivant, Monsieur le Président : ce témoin nous a

4 proposé une explication justifiant le déclin et la chute de l'ex-

5 Yougoslavie. Et il a fait reposer la faute en grande partie sur le

6 Président Milosevic de Serbie. Si vous vous rappelez une partie de la

7 déposition du témoin hier, l'un des cinq éléments importants dont le

8 témoin a dit qu'il a été utilisé par Milosevic était la ferveur

9 nationaliste que Milosevic a martelé -je ne trouve pas de meilleurs mots-

10 en faveur de la grande Serbie et ce un peu partout dans le monde. Le

11 témoin a donc fait remarquer que c'était une des explications possibles de

12 la désintégration de la Yougoslavie et j'essaie de contre-interroger ce

13 témoin en l'interrogeant sur une cause parallèle comparable pouvant

14 justifier le déclin et la chute de l'ex-Yougoslavie. Nous avons parlé hier

15 de la réunion de Karadjordjevo à laquelle le témoin a participé et donc

16 j'aimerais l'interroger sur cet article paru le 25 octobre 1993.

17 (Les Juges se consultent sur le siège.)

18 M. le Président. - Merci, mes chers collègues. L'objection est écartée,

19 Maître Nobilo.

20 Vous pouvez poursuivre sur votre question et dans le cheminement de votre

21 pensée telle que vous nous l'avez éclaircie. Merci, allez-y.

22 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

23 Monsieur le Professeur, en tant qu'historien, en tant que responsable

24 politique vous

25 connaissez certains des écrits du Président Tudjman, notamment vous

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1 connaissez bien ce qu'il a écrit sur la question nationale. N'est-ce pas ?

2 M. Bilandzic (interprétation). - J'aimerais faire une remarque au

3 préalable. D'abord en ce qui concerne l'interprétation de l'Histoire : les

4 connaissances historiques sont caractérisées par le fait qu'il est

5 toujours impossible de déterminer de façon définie l'Histoire. Au sujet de

6 Napoléon, des centaines de monographies ont été publiées et chacun des

7 auteurs qui a écrit ces monographies prétend être dans le droit. Lorsque

8 je parlais à mes étudiants, j'avais l'habitude de leur dire qu'il était

9 très heureux que nous ayons des dizaines d'ouvrages consacrés à l'histoire

10 du peuple croate ou à d'autres peuples, car il est toujours impossible

11 d'accepter le fait qu'une seule version de l'Histoire soit acceptée. Un

12 historien de Grande-Bretagne, je ne me rappelle pas son nom, a écrit

13 l'histoire de la monarchie britannique. Je l'ai lu et je pourrais très

14 bien écrire l'anti-histoire de ce même sujet.

15 Donc, il n'existe pas de vérité infaillible, indiscutable, absolument

16 certaine dans l'Histoire il est donc toujours impossible d'avancer une

17 seule vérité, c'est mon point de vue, j'ai donc parlé hier d'une

18 interprétation, la mienne et à l'avenir il y en aura d'autres. Je vous

19 comprends bien, vous n'êtes pas historien donc vous n'êtes pas dans

20 l'obligation de savoir mais la connaissance historique...

21 M. le Président. - Il s'agit d'un débat judiciaire et nous ne sommes pas

22 dans une conférence historique. Je pense que vous avez beaucoup de choses

23 à dire mais je voudrais que le débat soit ramené à notre propos. Le

24 Procureur veut poser une question, je demande au Procureur de poser sa

25 question et vous répondrez à la question. Je comprends très très bien ce

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1 que vous voulez dire sur l'interprétation historique, mais là, je voudrais

2 maintenant que M. Kehoe pose sa question brièvement mais en tout cas qu'il

3 la pose tout de suite et ensuite vous répondrez à sa question.

4 Monsieur Kehoe, allez-y.

5 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, je me rends bien

6 compte que

7 l'historien britannique qui a écrit cette histoire de la monarchie, qu'il

8 s'agisse de la monarchie des Habsbourg ou d'autres...

9 M. le Président. - Je vous en supplie, posez votre question par rapport au

10 débat, sinon plus que jamais nous serons dans une conférence historique.

11 Vous posez la question par rapport à l'article sur le journal

12 "Le National". Voilà, merci.

13 M. Kehoe (interprétation). - Aucun de ces historiens britanniques n'est

14 devenu Président de la République de Croatie, n'est-ce pas ?

15 M. Bilandzic (interprétation). - Je ne comprends pas le sens de votre

16 question.

17 M. le Président. - Maître Kehoe, je vous en supplie, posez la question que

18 vous avez envie de poser. La monarchie britannique n'est pas notre sujet

19 favori aujourd'hui, bien que ce soit certainement très intéressant.

20 M. Kehoe (interprétation). - Le Président Tudjman a écrit un ouvrage

21 intitulé "Le nationalisme et l'Europe contemporaine". Vous connaissez ce

22 livre, n'est-ce pas ?

23 M. Bilandzic (interprétation). - Je n'ai jamais tenu ce livre entre les

24 mains, j'ai eu entre les mains son livre "La guerre parmi la guerre" ainsi

25 que son livre sur "L'occupation vécue durant la deuxième guerre mondiale"

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1 et son livre sur "La création de la Yougoslavie socialiste". Car ce n'est

2 pas exact ce que vous dites. Ecoutez-moi bien. Par principe, je n'autorise

3 pas les interviews que j'accorde aux journalistes. Je n'ai pas l'habitude

4 de faire confiance à la conscience des journalistes et comme chacun le

5 sait, les journalistes ont pour habitude de laisser tomber certains

6 éléments, d'insister sur d'autres éléments, de transformer certains

7 éléments mais il n'est pas exact ce que j'ai lu, tout ce que Tudjman a

8 écrit, en tout cas, il est inexact que le Président Tudjman ait permis la

9 publication de ces oeuvres sans qu'au préalable je les ai toutes lues.

10 C'est quelque chose qui est absolument faux. Tous les journalistes de

11 Zagreb savent que c'est faux, même si cela a été dit dans une interview.

12 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on placer la pièce à conviction

13 numéro 16 sur le

14 rétroprojecteur ? Et pour aider mes collègues de la partie adverse, je

15 leur dis que dans la suite des questions nous parlerons également de la

16 pièce à conviction 19.

17 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la pièce à conviction

18 numéro 19 est l'ouvrage de Franjo Tudjman intitulé "Le nationalisme et

19 l'Europe contemporaine".

20 Monsieur le Professeur, je vais vous lire une partie de cette pièce, en

21 commençant par la page 139. L'auteur de cet ouvrage, Franjo Tudjman, dans

22 cet extrait, discute de la question de rejoindre la Voïvodine et la

23 Serbie, ainsi que des notes et des analyses. Je cite : "selon la même

24 norme, la Bosnie-Herzégovine aurait dû faire partie de l'unité fédérale

25 croate. La Bosnie-Herzégovine était historiquement liée à la Croatie et, à

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1 elles deux, elles composaient une entité géographique et économique

2 unique. La Bosnie-Herzégovine occupe la partie centrale de cet ensemble,

3 qui la démarque du sud de la Dalmatie à partir du nord des montagnes

4 pannoniques de Croatie. La création, par la suite, d'une Bosnie-

5 Herzégovine séparée a rendu cette position territoriale et géographique de

6 la Croatie extrêmement non-naturelle sur le plan économique et, par

7 conséquent, au sens politique général du terme, très défavorable pour la

8 vie et le développement". Fin de citation.

9 Maintenant, nous en revenons aux cartes. Cette analyse explique largement

10 pourquoi l'accord de 1993 entre Belgrade et Zagreb a inclu les régions

11 suivantes de la Bosnie dans la Croatie : l'ensemble de l'Herzégovine

12 occidentale, Mostar, et les districts de Bosnie où les Croates étaient

13 clairement en majorité, Travnik, Bosko, Karadjordjevo... Sur la page

14 suivante -je ne lirai pas la page entière mais je commencerai à partir du

15 premier paragraphe entier. Je cite : "un examen objectif de la composition

16 numérique de la population de Bosnie-Herzégovine ne peut laisser de côté

17 le fait que la majorité des Musulmans, du point de vue de leur

18 appartenance ethnique et de leur langue, de leur façon de parler, la

19 majorité... (excusez-moi) des Musulmans est, sur le plan ethnique et du

20 point de vue de sa langue, d'origine croate. Malgré des différences

21 culturelles créées par l'Histoire, la grande majorité des Musulmans se

22 déclare croate chaque fois qu'elle en a la possibilité." Fin de citation.

23 Maintenant, nous pouvons passer à la lecture du bas de la page.

24 M. Hayman (interprétation). - Nous, ce que nous avons devant les yeux,

25 c'est la pièce à conviction 19, c'est-à-dire une carte du plan Vance-Owen

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1 et la lecture qui vient d'être faite est issue de la pièce à

2 conviction 18, mais nous ne l'avons pas.

3 M. le Président. - Pour ce qui est des Juges, nous n'avons rien du tout.

4 Interprète. - Les interprètes non plus.

5 M. le Président. - Les interprètes non plus, alors c'est un peu délicat.

6 Vous avez lu lentement, mais.... Qu'y a-t-il sur le rétroprojecteur à

7 l'heure actuelle ?

8 M. Kehoe (interprétation). - Nous voyons la carte des banovines, des vice-

9 royaumes.

10 M. le Président. - Je crois que nous avons au moins la carte.

11 Bien, reste l'objection de Maître Hayman.

12 M. Hayman (interprétation). - Le Procureur pensait, je pense, soumettre au

13 témoin cet extrait du livre, alors que c'est la carte du plan Vance-Owen,

14 la pièce 19, qui a été remise au témoin, donc le témoin n'a pas pu suivre

15 la lecture. Je demande simplement que la pièce à conviction 18, où se

16 trouve cet extrait du livre en question, soit placée entre les mains du

17 témoin, de façon à ce qu'il puisse au moins suivre la lecture, même si

18 celle-ci ne se fait pas dans sa langue maternelle.

19 M. Kehoe (interprétation). - Ce que je peux faire, Monsieur le Président,

20 c'est lire lentement, puisque qu'il y a interprétation. La carte qui

21 figure sur le rétroprojecteur est le plan des banovines, des vice-

22 royaumes. Ce n'est pas une carte en bonne et due forme et c'est ce dont

23 parle le Président Tudjman. J'ai encore deux phrases à lire, uniquement,

24 Monsieur le Président, avant de passer à d'autres questions.

25 M. le Président. - Lisez lentement pour que le témoin puisse bien

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1 comprendre

2 la nature, la teneur du passage lu de l'ouvrage de M. Tudjman.

3 (Les juges se consultent sur le siège..)

4 M. le Président. - Monsieur le Professeur, voulez-vous qu'on relise le

5 passage lentement, dans votre langue, pour que vous compreniez bien la

6 question qui vous sera posée ensuite ? Est-ce que vous souhaitez qu'on

7 relise le passage du livre de M. Tudjman ?

8 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, ce n'est pas

9 nécessaire.

10 M. le Président. - Bien merci.

11 M. Kehoe (interprétation). – Mon collègue de la défense a tout à fait

12 raison, il s'agissait de la pièce à conviction 18, c'étaient mes notes

13 personnelles qui étaient erronées et je prie chacun ici de m'en excuser.

14 La dernière phrase que je vais vous lire -et je n'irai pas plus loin dans

15 ma lecture- est la suivante, après avoir cité un certain nombre de faits,

16 le Pr Tudjman dit : "Sur la base de ces faits, nous parvenons à la

17 conclusion que la majorité de la population de Bosnie-Herzégovine est

18 croate". Fin de citation

19 Monsieur le Professeur, le Pr Tudjman vous a-t-il jamais dit cela ?

20 M. Bilandzic (interprétation). - Non, mais si vous souhaitez entendre mon

21 interprétation de la citation de cet ouvrage de M. Tudjman, je dois vous

22 dire malheureusement que, premièrement, je n'ai pas lu ce texte et

23 deuxièmement, que, même si je l'avais lu, j'aurais besoin d'un certain

24 temps de préparation pour réaliser une analyse valable de ce texte qu'il

25 est impossible de faire ainsi spontanément, car des textes de cette nature

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1 ont besoin d'une analyse approfondie.

2 D'autre part, dans l'historiographie yougoslave, qu'elle soit serbe ou

3 croate, il y a une thèse qui prévaut selon laquelle les yougoslaves sont

4 des peuples slaves qui, à un certain moment, se sont adonnés à l'islam.

5 Dans la version serbe, il est affirmé que ce sont des personnes de

6 nationalité serbes qui sont passées à l'islam et qui sont donc restées

7 serbes, alors qu'une partie des historiens yougoslaves –et c'était même

8 une théorie dominante au 19ème

9 siècle- consistait à penser que ces personnes ayant adopté l'islam étaient

10 des Croates. Donc, c'est un élément tout à fait connu dans

11 l'historiographie, cela ne présente rien de nouveau, si vous le souhaitez,

12 je préférerais que nous n'en parlions pas plus avant, car il faut à ce

13 moment appliquer la discipline du savoir à une analyse de ce genre.

14 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, lorsque vous êtes

15 allé à Tikves en avril 1991, vous saviez que le Président Tudjman avait

16 une position déterminée.

17 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, hier nous avons fait

18 la remarque -et la Chambre de première instance l'a acceptée- nous avons

19 dit que les questions liées à Tikves et à Karadjordjevo ont déjà été

20 posées à plusieurs reprises et qu'il ne fallait pas y revenir et nous

21 entendons maintenant notre collègue revenir encore une fois sur quelque

22 chose que la Chambre de première instance a interdit.

23 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, avec tout le respect

24 que je dois à la Chambre, il y a de nombreuses questions, en tout cas de

25 nombreux éléments très importants liés à cette réunion secrète de

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1 Karadjordjevo, donc nous avons besoin de savoir ce que pense ce témoin.

2 Ce témoin n'est pas simplement un historien qui a écrit un certain nombre

3 d'ouvrages sur cette question, c'est un historien qui a été envoyé pour

4 participer à cette réunion et discuter secrètement avec les Serbes le

5 problème de la division de la Bosnie-Herzégovine.

6 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président...

7 (Les juges se consultent sur le siège.)

8 M. le Président. - La Chambre donne cet avis : premièrement la règle que

9 le contre-interrogatoire doit s'être adapté autant que faire se peut à

10 l'interrogatoire est une règle de bonne administration pour faire avancer

11 le procès.

12 Deuxièmement : c'est une règle qui doit être appliquée avec souplesse et

13 flexibilité parce que ce n'est pas une règle mécanique, c'est une règle de

14 bons sens et qui est laissée à

15 l'appréciation du juge.

16 Ce sont les deux premières observations. Mais la troisième observation,

17 Maître Nobilo, sur ce plan-là, la Chambre, les Juges estiment qu'il est de

18 leur devoir, lorsque cela est nécessaire, de demander par eux-mêmes, comme

19 d'ailleurs les règles de procédure le leur autorisent, de vouloir aller

20 jusqu'au fond d'une question, jusqu'à épuiser toutes les données et tous

21 les aspects d'une question.

22 Sur ce plan-là, les Juges estiment que ce qui s'est passé à Kardjordjevo

23 les intéresse, même si vous-mêmes n'y avez pas attaché l'importance que

24 vous avez estimé ne pas devoir y attacher.

25 Dans ces conditions, mais uniquement sur ce point de principe, nous

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1 autorisons Maître Kehoe à poser les questions autour de ces différentes

2 rencontres. Ce sont les Juges qui estiment souverainement qu'ils doivent

3 avoir la vérité, autant que faire se peut, en tout cas, le témoignage du

4 professeur sur ces questions là. Maître Kehoe, vous pouvez poser vos

5 questions.

6 M. Kehoe (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Monsieur le

7 Professeur, vous saviez en 1991 qu'il existait un groupe...

8 M. le Président. - Peut-être, je voudrais terminer pour rassurer la

9 défense. Il va de soi que vous n'oubliez pas que vous avez quand même un

10 droit de réplique que vous pourrez exercer après le contre-interrogatoire

11 du Procureur, ce qui devrait vous apaiser. Allez-y.

12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, vous saviez en 1991

13 qu'en Croatie il existait un groupe de responsables politiques qui

14 préconisait la division de la Bosnie-Herzégovine et donc l'intégration

15 d'une partie de la Bosnie-Herzégovine dans la République de Croatie, à la

16 République de Croatie, n'est-ce pas ?

17 M. Bilandzic (interprétation). - Ceci est une supposition dont vous faites

18 une certitude absolue. La politique croate de cette époque s'en tenait

19 très fermement à un point de vue unique et ce point de vue était le

20 suivant : à savoir que les frontières inter-républicaines de

21 l'ex-Yougoslavie sont des frontières inter-étatiques d'après la

22 constitution et la Yougoslavie n'accepte pas la modification des

23 frontières. Maintenant, eu égard à d'autres éléments comme les conflits

24 survenus ensuite etc, il a pu se produire des pressions au sujet

25 desquelles je n'ai aucune preuve ni par écrit ni par oral et ce que j'ai

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1 dit hier et je crois avoir donné tous les détails hier, je m'y tiens je

2 n'ai vraiment aucun élément nouveau à ajouter sur ce thème particulier.

3 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, vous avez accordé une

4 interview et nous avons entendu cette interview sur la bande vidéo hier

5 dans l'émission "Dispatches". Dans cette émission, vous avez dit que la

6 vérité au sujet de la réunion de Karadjordjevo n'a jamais été

7 officiellement publiée. Que cette réunion était une réunion secrète, des

8 pourparlers secrets, mais que des impressions ont été fournies aux média.

9 Et que cette impression était que ces pourparlers n'avaient porté que sur

10 les conflits opposant la Serbie et la Croatie et sur rien d'autre. Est-ce

11 que vous n'avez pas dit cela dans la cassette vidéo,

12 Monsieur le Professeur ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Je ne sais pas si ces pourparlers étaient

14 secrets, ils étaient secrets mais après le changement de régime en

15 Yougoslavie, la pratique en vigueur a consisté à faire que toutes les

16 réunions étaient secrètes et si cette réunion était secrète je ne sais pas

17 ce qui s'y est passé, car je n'ai pas de documents au sujet de cette

18 réunion.

19 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, si vous le souhaitez

20 je peux demander que la cassette vidéo soit diffusée une nouvelle fois à

21 votre intention, elle est très courte, mais est-ce que vous avez dit dans

22 une interview filmée et nous avons vu ce film hier, que ces pourparlers

23 étaient secrets et que la vérité au sujet de cette rencontre n'a pas été

24 révélée ?

25 M. le Président. - Ne tournons pas. Si vous souhaitez refaire passer la

Page 11289

1 cassette, refaites passer la cassette, ce sera très vite fait, elle est

2 très courte. Monsieur le Juge Riad le souhaite aussi et je pense que

3 M. le Juge Shahabudeen... Cela va durer trois minutes. Les Juges

4 le demandent, refaisons passer la cassette, comme cela le professeur sera

5 face à ses propres déclarations et pourra nous dire ce qu'il en pense, ce

6 qu'il en retire, dans quel contexte elles ont été faites.

7 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, je crois qu'il y a

8 toujours un malentendu parce que le professeur confirme que ces

9 pourparlers étaient secrets et qu'il ne dispose d'aucune information, il

10 ne cesse de le répéter et en dépit de cela mon collègue de la partie

11 adverse continue à lui demander ce qui s'est passé à cette réunion. Donc

12 sur la bande vidéo nous verrons la même chose, c'est-à-dire qu'il nous

13 dira que c'étaient des pourparlers secrets et qu'il n'a pas d'information

14 au sujet de cette réunion.

15 M. le Président. - La différence fondamentale, Maître Nobilo, c'est que

16 cette fois-ci ce sont les juges qui demandent à faire repasser la

17 cassette.

18 (Diffusion de la cassette.)

19 -Il s'agit par conséquent d'une composition qui a été créée du temps de

20 l'empire ottoman, la Bosnie-Herzégovine à cette époque-là faisait partie

21 de la Croatie ou c'était un royaume de Bosnie-Herzégovine de toute façon

22 catholique et qui a été associé à la Croatie.

23 -L'obsession de Tudjman pour les revendications croates à l'égard de la

24 Bosnie : en mars 1991, il rencontre secrètement le président serbe

25 Slobodan Milosevic. Le leader serbe menace d'envahir la Croatie et Tudjman

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1 est trop heureux de pouvoir parler de leur seul commun intérêt, le

2 découpage de la Bosnie-Herzégovine. Deux témoins oculaires de cette

3 réunion à Karadjordjevo à présent révèlent ce qui a été porté à l'ordre du

4 jour de la réunion.

5 -C'était publié dans les mass media mais de toute façon, on n'en a pas

6 parlé ailleurs et, surtout dans les mass media, on n'a pas parlé d'une

7 information qui a été tout à fait complète, c'étaient des pourparlers

8 secrets, mais dans les mass media, soi-disant, c'était la Serbie et la

9 Croatie qui ont négocié des problèmes qui étaient en suspens. Voilà, rien

10 d'autre.

11 Au contraire, on a fait un démenti également au sujet de toutes les

12 rumeurs qui ont

13 circulé, des hypothèses qui ont été avancées, il s'agit donc des

14 pourparlers secrets.

15 -Différentes cartes qui étaient sur la table je suppose, l'idée était plus

16 ou moins similaire aux idées qui ont été avancées récemment sur la Bosnie-

17 Herzégovine, ceci signifie qu'il s'agissait de diviser la Bosnie-

18 Herzégovine entre dix ou quinze unités ou entre deux et trois Etats semi-

19 indépendants.

20 -Non pas du tout, absolument pas. Aucun représentant de Bosnie-Herzégovine

21 n'a participé aux pourparlers à Karadjordjevo, ni après Karadjordjevo,

22 c'étaient les entretiens bilatéraux entre les représentants de Serbie et

23 les représentants de Croatie et aucun représentant de Bosnie, des

24 Musulmans de Bosnie n'y a pris part.

25 (fin de la projection de la cassette)

Page 11291

1 M. le Président. – Alors, Maître Kehoe, soyez très direct, très concis.

2 Posez la question concrète que vous souhaitez poser dans votre contre-

3 interrogatoire au témoin.

4 M. Kehoe (interprétation). – Monsieur le Professeur, ici je reviens à ma

5 question initiale. Il s'agissait ici de pourparlers secrets entre les

6 Croates et les Serbes, n'est-ce pas ?

7 M. Bilandzic (interprétation). - Chaque citoyen que vous aurez interrogé

8 dans la rue vous dirait que si les mass media n'avaient pas publié le

9 communiqué ou une information sur les pourparlers, alors chacun vous

10 répondra qu'en effet il s'agissait des pourparlers secrets à partir du

11 moment où les mass media n'en ont pas parlé. Vous ne pouvez pas donner une

12 autre qualification à une autre réunion dont on ne parle pas, vous ne

13 pouvez que dire que c'étaient des pourparlers secrets. Moi

14 personnellement, je ne vois pas une autre explication logique. Pour moi,

15 c'est logique, chacun vous le dirait.

16 M. Kehoe (interprétation). - Aussi bien du côté du gouvernement serbe que

17 du côté du gouvernement croate, ce sont ces deux gouvernements qui ont

18 fourni des informations déviées sur l'objectif qu'ils poursuivaient l'un

19 et l'autre, au moment des pourparlers de Karadjordjevo.

20 M. Bilandzic (interprétation). - A ma connaissance, et si mes souvenirs

21 sont bons, ni le gouvernement croate ni le gouvernement serbe n'ont donné

22 des informations aux journalistes et aux mass media. Par conséquent, je ne

23 vois pas d'où vous tirez ces sources-là. De toute façon, je ne suis pas au

24 courant, je ne pense pas que les deux gouvernements aient pu donner

25 l'interprétation au sujet de cette réunion.

Page 11292

1 M. Kehoe (interprétation). – Le président Tudjman, Monsieur le Professeur,

2 vous a-t-il parlé à vous du caractère secret de cette rencontre, vous a-t-

3 il dit qu'il avait proposé un marché à Milosevic relatif au partage de la

4 Bosnie, n'est-ce pas ?

5 M. Bilandzic (interprétation). - Pas tout à fait de cette manière-là, mais

6 vous m'avez posé la question si les deux gouvernements, le gouvernement

7 croate d'un côté et le gouvernement serbe, avaient donné des explications

8 à l'opinion publique sur cette réunion. Je vous ai donc répondu que je ne

9 suis pas au courant et que je n'ai pas une source d'information de ce

10 genre-là.

11 En revanche, pour ce qui concerne Tudjman, il ne m'a pas dit qu'il était

12 parvenu à un découpage de la Bosnie, mais de toute façon qu'il avait

13 essayé de voir quelles étaient les relations entre ces deux Etats et

14 c'était un groupe d'experts, je l'ai déjà précisé, c'était une discussion

15 académique plutôt au sujet de la question : faut-il reconnaître les

16 frontières des ex-républiques ou non ? Et c'est là où ils ne se sont pas

17 mis d'accord, étant donné que la partie serbe avait considéré qu'il ne

18 s'agissait pas des frontières d'un Etat. Nous autres en Croatie, nous

19 avons considéré que c'étaient les frontières d'un Etat.

20 Voilà, c'est tout ce que je sais au sujet de cette réunion.

21 M. Kehoe (interprétation). - J'aimerais de nouveau attirer votre

22 attention, Monsieur le Professeur, sur la pièce à conviction 64…464, parce

23 qu'il est nécessaire que nous puissions apporter une clarification sur

24 cette distinction que nous venons juste de faire.

25 Est-ce qu'ici la pièce à conviction nous est disponible ? Si on peut de

Page 11293

1 nouveau

2 prendre la quatrième page sur la colonne de gauche.

3 Avez-vous besoin de vos lunettes, Monsieur le Professeur ? Nous pouvons

4 juste attendre un instant, Monsieur le Président. M. le professeur a juste

5 besoin de ses lunettes pour lire.

6 M. Bilandzic (interprétation). - Non, mais je vois bien, je vois clair,

7 merci.

8 M. le Président. - Prenez votre temps, monsieur le professeur.

9 M. Hayman (interprétation). - Oui, effectivement, je suis tout à fait

10 d'accord avec mon collègue de la partie adverse. C'est assez difficile à

11 consulter, donc on va lui laisser quelque temps pour qu'il puisse prendre

12 ses lunettes. Comme ça, il pourra consulter les documents.

13 M. le Président. - Cela fait partie des droits fondamentaux que de lire

14 avec des lunettes, Monsieur le Professeur. Prenez votre temps.

15 M. Kehoe (interprétation). - Nous sommes prêts pour aller de l'avant,

16 Monsieur le Président, parce qu'à présent le témoin dispose de ses

17 lunettes.

18 M. le Président. - Il faut d'abord demander au témoin s'il a bien pris

19 soin... Vous avez pris votre temps pour lire, Monsieur le Professeur ?

20 Vous êtes prêt à répondre aux questions ? Vous avez lu...

21 M. Bilandzic (interprétation). - Oui, mais je vais tout simplement

22 demander de me répéter la question. Je ne peux pas vous dire oui ou non.

23 J'aimerais qu'on me repose la question.

24 M. le Président. - Je suis comme vous, j'ai besoin qu'on me répète la

25 question. Monsieur Kehoe, je vous demande vraiment d'être très clair dans

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1 votre question.

2 M. Bilandzic (interprétation). - Je ne comprends pas du tout les

3 questions.

4 M. le Président. - Cela, c'est un autre problème.

5 Maître Kehoe, pouvez-vous, à partir de la lecture qui vient d'être faite

6 par le témoin de l'extrait que vous lui avez donné de ce journal, préciser

7 aux Juges quelle est la partie de l'interview que vous visez, car je ne

8 sais toujours pas moi-même.

9 M. Kehoe (interprétation). - Je pense que, pour ce qui est de votre

10 exemplaire, cela se trouve au milieu de la page 3, Monsieur le Président.

11 M. le Président. - J'ai l'exemplaire en version anglaise.

12 M. Kehoe (interprétation). - Oui, malheureusement, nous avons simplement

13 ici la version anglaise.

14 M. le Président. - Ce n'est pas la question.

15 Maintenant, Monsieur le Professeur, nous sommes sur la page 3.

16 Monsieur Kehoe, posez votre question clairement.

17 M. Kehoe (interprétation). - Si je peux simplement ici faire une remarque

18 de clarification. Il s'agit ici de la page 3 de la version anglaise.

19 Cependant, le professeur a sous les yeux également l'article de deux pages

20 en croate. Pour lui, il s'agit de la page 2, pour sa version, pour ce qui

21 est de sa version à lui.

22 M. le Président. - Jusqu'à présent, nous arrivons à comprendre.

23 Maintenant, posez votre question.

24 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, vous avez remarqué,

25 au moment d'une réponse à une question faite il y a quelques instants, que

Page 11295

1 vous ne saviez pas ce qui s'était passé au cours de ces rencontres

2 secrètes de Karadjordjevo.

3 M. Bilandzic (interprétation). - C’est exact.

4 M. Kehoe (interprétation). - Mais vous avez également affirmé dans cet

5 article, l'article du "National", que le Président Tudjman vous avait dit

6 -et vous le faites remarquer ici, vous pouvez donc le reprendre ici- qu'au

7 début de 1991, à la suite des négociations menées avec Milosevic, "on a

8 convenu que deux commissions devaient se réunir et discuter du partage de

9 la Bosnie-Herzégovine. Tudjman, alors, nous a dit à ce moment-là qu'il

10 avait passé un accord avec Milosevic (un accord fondamental) et nous, nous

11 devions travailler sur les cartes pour élaborer les détails et les

12 modalités pratiques de cet accord." Est-ce que le Président Tudjman vous a

13 dit cela ?

14 M. Bilandzic (interprétation). - En ce qui concerne le "National", j'ai

15 déjà précisé hier que, dans le deuxième numéro, j'avais fait un démenti au

16 sujet d'une partie de mon interview. C'est une première chose.

17 Deuxièmement, je l'ai déjà précisé, un certain nombre de journalistes

18 parlent librement, ils sont capables aussi de tirer les titres qui ne

19 correspondent pas à ce qui a été dit.

20 Dans ce numéro, par exemple, il est marqué que j'avais également parlé du

21 partage de la Bosnie, alors que ce n'était pas vrai du tout, c'est le

22 journaliste qui a donné une interprétation tout à fait libre. Il a formulé

23 les titres pour attirer, spéculer, attirer l'opinion publique. Il n'y a

24 aucun document là-dessus et je me dois de vous dire que Tudjman a parlé

25 tout simplement du fait qu'il était indispensable de voir quelles étaient

Page 11296

1 les possibilités éventuelles, donc d'interroger la partie adverse et de

2 voir quels étaient les objectifs de cette partie adverse à la veille de la

3 guerre qui allait se déclencher.

4 Par conséquent, Tudjman ne m'a pas dit qu'ils s'étaient mis d'accord sur

5 le partage de la Bosnie mais qu'il interrogeait la partie adverse sur les

6 objectifs politiques. Ce que j'ai précisé hier, je le répète une fois de

7 plus et je me dois de vous dire que la politique d'Etat était différente.

8 D'ailleurs, cette politique a été mise à exécution.

9 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, est-ce que vous

10 voulez témoigner que Tudjman n'avait pas passé un accord de base avec

11 Milosevic sur un partage de la Bosnie ? Est-ce que c'est cela, votre

12 témoignage ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Non, il a dit qu'il fallait négocier avec

14 l'adversaire pour voir quel était le traitement à donner à la Bosnie-

15 Herzégovine. On n'a pas parlé directement dans le sens "voilà, nous nous

16 sommes mis d'accord sur le partage de la Bosnie à tel et tel niveau, etc."

17 Dans mon entretien avec Tudjman, il n'en a jamais été question comme

18 cela.

19 M. Kehoe (interprétation). - Dans cet article, dans l'article qui est sous

20 vos yeux, donc 464, l'article qui commence ici, de 264, l'article qui

21 commence. Est-ce que vous le voyez, Monsieur le Professeur ?

22 M. Bilandzic (interprétation). - Oui.

23 M. Kehoe (interprétation). - "J'avertis Tudjman qu'il y avait trois

24 obstacles majeurs à une division de la Bosnie-Herzégovine et pas

25 seulement. Déjà un seul obstacle suffisait pour faire échouer leur accord.

Page 11297

1 Tout d'abord, le problème de décider de la répartition des zones croates

2 et serbes.

3 Deuxièmement, le problème des Musulmans s'opposant à un pareil projet et

4 Tudjman a répondu que les Musulmans n'auraient absolument rien à répliquer

5 à ce qui aurait été convenu entre Serbes et Croates.

6 Troisième problème : il s'agissait d'un problème qui n'était pas aussi

7 grave que les deux premiers, mais qui demeurait un problème. Qu'est-ce que

8 la communauté internationale allait dire à un pareil accord et Tudjman a

9 répondu que le monde allait accepter tout type d'accord qui émanerait de

10 la région."

11 Monsieur le Professeur, est-ce que vous avez mené cette discussion avec le

12 Président Tudjman à cette époque-là ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Je vais vous donner quelques explications

14 à ce sujet-là. Tout d'abord, j'en ai parlé quelque peu hier et j'ai

15 précisé qu'avec un groupe de journalistes, j'ai bu un petit whisky, on a

16 discuté d'un sujet et d'autres. Et c'est à cette époque-là que j'ai donné

17 quelques explications, j'ai parlé des trois obstacles et c'étaient mes

18 propres interprétations de ce moment de l'Histoire alors qu'ils avaient

19 interprété cela comme si c'était l'issue d'un entretien entre Tudjman et

20 moi-même.

21 Par conséquent, c'était une interprétation erronée. C'est moi qui est

22 l'auteur de ces

23 hypothèses, si vous voulez, c'est moi qui avait parlé devant les

24 journalistes de ces thèses et j'ai jamais parlé que Tudjman m'en avait

25 parlé, que c'était le sujet, l'objet de discussions que j'avais avec

Page 11298

1 Tudjman.

2 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez remarqué qu'effectivement... Enfin,

3 vous avez procédé à un droit de réponse, de rétraction à propos de cet

4 article donc dans l'édition du 1er novembre 1996, du périodique

5 "National". Ceci est-il exact ?

6 M. Bilandzic (interprétation). - Il y avait les deux numéros, peut-être

7 trois numéros également, car "Le National" ne voulait pas publier la

8 critique que j'ai faite. Et tout ce qu'ils avaient publié, ils avaient

9 modifié en grande mesure ce que j'avais donné comme réponse et je me suis

10 même disputé d'ailleurs avec les journalistes du "National" et au moment

11 où ils ont reçu ma réponse ils m'avaient promis qu'ils allaient le publier

12 en intégralité, mais ils ne l'ont jamais fait.

13 Par conséquent, je considère que le débat qui porte sur les articles tirés

14 des journaux, malheureusement, moi je ne pourrais pas m'y référer,

15 certainement pas, donc prendre ces articles comme base d'une discussion

16 sérieuse, car les entretiens avec les journalistes souvent ont pour

17 objectif de placer quelque chose dans l'opinion publique même pour moi

18 d'ailleurs et pour les autres. Mais je n'aime pas parler de ces choses-là.

19 M. Kehoe (interprétation). - Donc une rétractation ici ne permet pas de

20 rétracter la conversation que vous avez eue effectivement avec le

21 Président Tudjman.

22 M. Bilandzic (interprétation). - Je vous ai déjà dit qu'il y avait une

23 partie de ma réponse, une partie de mon démenti n'a pas été publiée. Je

24 l'ai donc précisé avant que vous me posiez cette question.

25 M. Kehoe (interprétation). - Oui. Monsieur le Professeur, vous avez donc

Page 11299

1 plusieurs photographies ici dans l'article, des photographies qui vous

2 concernent.

3 M. Bilandzic (interprétation). - Je vois ici les deux photographies, je

4 n'en vois pas

5 plus.

6 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que ces photographies ont été prises

7 dans le local d'un bar ?

8 M. Bilandzic (interprétation). - Eh bien là, je ne peux pas m'en souvenir,

9 ce sont vraiment des détails et je ne m'en souviens pas. C'est impossible,

10 vraiment. Je ne sais pas comment elles étaient prises, je ne sais pas d'où

11 ils tirent ces photographies. Ils ont éventuellement fait les

12 photographies dans la rédaction mais de toute façon ils ont des fichiers,

13 ils ont des photographies.

14 M. Kehoe (interprétation). - Le fait est que le reporter du "National" a

15 pris ces photographies de vous pour cet article, n'est-ce pas ?

16 M. Bilandzic (interprétation). - Je répète ce que j'ai déjà dit : Je ne

17 sais pas s'ils avaient pris une photo de moi à cette époque-là. Ce sont

18 les détails, je ne peux pas véritablement m'en souvenir parce que sinon je

19 n'aurais pas fait des choses au niveau scientifique comme je fais. Ils ont

20 peut-être pris la photographie ce jour-là, ils ont eu éventuellement de la

21 documentation, déjà les photographies.

22 M. Kehoe (interprétation). - Vous ne vous rappelez pas,

23 Monsieur le Professeur, que le photographe du "National" était venu pour

24 justement prendre ces clichés ?

25 M. le Président. - N'oubliez pas que j'ai cela aussi. Bon, je vais un peu

Page 11300

1 réintroduire un peu d'ordre dans le débat. D'abord, Me Nobilo a une

2 objection à faire. Vous faites cette objection d'abord et ensuite je dirai

3 ce que j'ai à dire si cela correspond à l'objection ou non.

4 Maître Nobilo, faites votre objection.

5 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, poser la question au

6 sujet des photographies, elles sont prises sur le champ où elles ont été

7 prises différemment, ce n'est véritablement pas permanent.

8 M. le Président. - C'était cela votre objection ? Ne compliquons pas la

9 situation,

10 vous n'étiez pas dans le bar en question, donc votre objection ne tient

11 pas.

12 Alors, maintenant, je voudrais quand même recentrer le débat. Il y a déjà

13 un moment que le témoin vous a répondu, Maître Kehoe. La réponse ne vous

14 convient pas, c'est comme cela. Donc nous en terminons sur cette question

15 du journal "National". Il semble qu'il n'y ait pas eu de démenti, je

16 rappelle au témoin quand même qu'il avait dit qu'il y avait eu un démenti.

17 Je voudrais quand même vous dire, Monsieur le Professeur, que j'avais

18 entendu moi-même que vous aviez dit qu'il y avait eu un démenti et ensuite

19 vous avez dit que le démenti n'était pas passé comme vous le souhaitiez.

20 Le problème n'est pas là.

21 Maître Kehoe, sur l'ensemble de cette question, avez-vous encore des

22 questions à poser, et puis je demanderai aussi au témoin quand il répond

23 de se tourner vers les juges, ce n'est pas un dialogue comme cela, c'est

24 avec les juges, vers les juges que vous devez apporter votre réponse.

25 Maître Kehoe, en avez-vous terminé sur cet aspect de la contradiction que

Page 11301

1 vous supposez être entre ce qu'aurait dit ou décidé M. Tudjman et

2 l'interview dans le journal "National" ? Ou alors, allez droit à votre

3 question, s'il vous plaît.

4 M. Kehoe (interprétation). - Sur ce problème particulier, j'aimerais que

5 le témoin puisse lire le texte de la rétractation parce que je pense que

6 c'est un élément important également dans le contexte de cette interview.

7 Donc j'aimerais demander ici au Tribunal que le témoin puisse lire la

8 rétractation.

9 M. le Président. - Maître Nobilo, la rétractation fait partie de la

10 question, vous avez une objection sur cela, sur la rétractation ? Vous

11 avez une objection sur ce point ?

12 M. Nobilo (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Le témoin a dit

13 que le démenti a été publié, mais qu'une bonne partie du démenti n'a pas

14 passé dans le démenti. Par conséquent, ce n'était pas un texte entier.

15 M. le Président. - Objection refusée. L'accusation a le droit de demander

16 sur le contenu même de la rétractation, mais uniquement sur le contenu de

17 la rétractation et soyez très

18 concis, Maître Kehoe. Puis après, nous en terminerons et nous passerons à

19 une autre question.

20 Le contenu de cette rétractation, quelle est votre question ?

21 M. Kehoe (interprétation). - La question, Monsieur le Président,

22 Messieurs les Juges, j'aimerais présenter ce texte de la rétractation au

23 professeur afin qu'il puisse l'identifier en tant qu'exemplaire de la

24 rétractation qui a été publiée le 6 novembre 1996 du périodique

25 "National". Donc, j'ai reçu ce document uniquement ce matin, je ne dispose

Page 11302

1 pas, pour l'instant, d'exemplaire en anglais ou en français. Je vais

2 demander au témoin de le lire et que ceci soit donc enregistré et donc, et

3 bien entendu, je vais donner une copie du texte de la rétractation aux

4 trois cabines d'interprétation afin qu'elles puissent procéder aux

5 interprétations en anglais et en français.

6 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, je considère que ce

7 n'est pas véritablement bien à propos que le témoin donne lecture d'une

8 partie du texte ici tiré du journal. C'est éventuellement le Procureur qui

9 devrait donner lecture et c'est le témoin qui se met d'accord ou pas.

10 M. le Président. - Peut-être que le témoin est d'accord pour lire, pour

11 essayer d'aller plus vite. Non ? Est-ce que vous êtes d'accord,

12 Monsieur le Professeur, pour lire sous le contrôle des interprètes ?

13 Vous êtes d'accord pour lire votre... Monsieur le Professeur, je m'adresse

14 à vous. Est-ce que vous êtes d'accord pour lire cette rétractation dans

15 votre langue ?

16 M. Bilandzic (interprétation). - Oui.

17 M. le Président. - Bien. Alors, maintenant chaque juge a la version en

18 serbo-croate. Les interprètes ont-ils cet article de rétractation ?

19 Interprète. - Non.

20 M. le Président. - J'entends non, oui.

21 Interprète. - Oui, on vient de l'avoir.

22 M. le Président. - Bien, alors, je demande à ce que soit... Le professeur

23 est d'accord pour le lire. Donc, Monsieur le Professeur, pouvez-vous lire

24 -ce n'est pas très long- cet article qui est donc la rétractation

25 incomplète, vous l'avez dit, mais qui est celle qui vous est soumise par

Page 11303

1 le Bureau du Procureur. Nous vous écoutons.

2 M. Bilandzic (interprétation). - Il sagit-là d'une interview, mon

3 interview au "National" n° 49 n'a pas été autorisée. Et en ce qui me

4 concerne, ayant confiance au journaliste, M. Mladen Plese, je ne

5 m'attendais pas qu'il allait de manière aussi libérale, libre, qu'il

6 allait donc interpréter entre les guillemets mes paroles, mais ceci n'a

7 pas véritablement changé beaucoup ce que j'avais dit.

8 Le problème, cependant, est survenu après l'interview quand, au moment où

9 nous avons eu l'entretien et quand nous avons bu une boisson, avec nous il

10 y avait quelques journalistes avec lesquels j'ai parlé des événements

11 différents. Au cours de cet entretien, j'ai parlé de 1991, des préparatifs

12 dramatiques pour le putsch militaire, j'ai parlé de Bosnie-Herzégovine

13 dans le cadre de la crise yougoslave générale et l'attitude de la Serbie

14 vis-à-vis de cette République et c'est dans ce cadre-là qu'il y a eu un

15 certain nombre de souvenirs qui me sont parvenus. Et il y avait une

16 interprétation qui n'a pas été authentique ainsi que certains moments qui

17 n'ont pas été interprétés de manière véridique et ceci porte notamment sur

18 les généraux Trgo et Kukoc.

19 En d'autres termes, à la veille de l'intervention militaire en Slovénie,

20 deux ou trois fois, j'ai voyagé entre Zagreb et Belgrade, j'ai pu

21 m'entretenir avec les personnes différentes, le Président du gouvernement

22 fédéral, Anto Markovic, avec le ministre des affaires étrangères,

23 Budimir Loncar, avec l'ex-Président du gouvernement fédéral,

24 Branko Mikulicic, avec l'écrivain serbe, Dobrica Cosic, avec un certain

25 nombre de personnes du comité central de la ligue des communistes de

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1 Yougoslavie, avec un certain nombre également de généraux qui étaient à la

2 retraite entre autres. Il y avait les deux autres dont j'ai parlé, de tous

3 ces entretiens, de tout ce

4 qui a pu être également raconté dans les couloirs de Belgrade, on aurait

5 pu conclure que l'armée n'allait pas donc être passive en ce qui concerne

6 les débats dramatiques au niveau de la présidence de la RFI mais qu'ils se

7 préparent pour l'intervention militaire.

8 Par conséquent, ce n'étaient pas les généraux Trgo et Kukoc qui étaient la

9 source d'informations, mais ces informations… j'en tirais… avec les

10 personnalités dont j'ai parlé tout à l'heure. Malheureusement, dans

11 l'interview qui a été abrégée, il y a un certain nombre de noms qui ont

12 été... Dont on n'a pas parlé. On a parlé de quelques responsables de la

13 JNA et c'est pourquoi on a pu penser que ce n'était que Trgo et Kukoc qui

14 m'ont donné de telles informations. C'est totalement inexact.

15 De l'autre côté, il y avait un certain nombre d'informations que

16 j'ai obtenues, mais d'autre part également, l'expérience que j'ai pu avoir

17 par la suite et des associations que j'ai aujourd'hui et qui portent sur

18 ces événements. Par conséquent, j'affirme de manière catégorique qu'il

19 s'agissait tout simplement des discussions qui portaient sur les

20 frontières des ex-Républiques de Yougoslavie et il y avait une dispute qui

21 était très dure et animée ; les Serbes de Serbie considéraient que ces

22 frontières étaient dues à Tito et Subasic qui étaient les représentants

23 des deux gouvernements yougoslaves, Tito du gouvernement des partisans et

24 Subasic du royaume et du roi. Certes, les Serbes ajoutaient également

25 Kardelj, parlaient de ses thèses de Komintern et considéraient que ces

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1 frontières ne pouvaient aucunement être acceptées. Par conséquent, c'était

2 un entretien qui était en quelque sorte la table ronde et c'étaient les

3 entretiens qui avaient lieu entre les historiens.

4 J’affirme de manière catégorique que je n'ai pas vu les cartes

5 de Bosnie-Herzégovine et, moi, en tant qu'historien comme chronicien, bien

6 évidemment, c'étaient les entretiens qui m’ont permis de lier les éléments

7 d'actualité avec l'histoire, c’était pour moi le plus important, c'est un

8 thème qui va certainement revenir comme sujet, mais ce serait à ce moment-

9 là du point de vue historique et tout ceci, je le répète, parce que nous

10 avons eu cet entretien autour d'un

11 verre, ensuite qu'il y avait plusieurs informations dont je disposais et

12 mes propres réflexions.

13 Par conséquent, il y a une interview qui en est sortie et d’où

14 on ne peut pas tirer la conclusion qu'il y avait un partage auquel on est

15 parvenu, etc."

16 M. le Président. – Merci. Vous posez maintenant une question sur ce point,

17 Maître Kehoe.

18 -Ajout par l'interprète à cette interprétation de l’article : il

19 s’agissait des frontières de l’AVNOJ, c’est-à-dire définies par le Conseil

20 anti-fasciste de libération nationale de la Yougoslavie-

21 M. Kehoe (interprétation). – Donc, il n’y a aucune rétractation qui veut

22 que vous ayez opéré à propos de l’entretien que vous avez eu avec le

23 Président Tudjman ?

24 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président, trois fois, peut-

25 être même cinq fois, j'ai dit que mon démenti n'avait pas été publié en

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1 intégralité.

2 M. le Président. – Monsieur le Professeur, je vous en donne acte.

3 Maître Kehoe, le témoin a dit –je ne sais plus si c’est cinq fois- que son

4 démenti n’avait pas été publié intégralement.

5 M. Kehoe (interprétation). – Monsieur le Professeur, après ces pourparlers

6 secrets auxquels vous avez participé dans la localité de Tikves, vous avez

7 retiré de ces discussions relatives à la division de la Bosnie-

8 Herzégovine, vous avez dit à leur sujet que vous ne les approuviez pas ?

9 M. Bilandzic (interprétation). – Je me suis retiré parce que, tout

10 simplement, en ma qualité d'historien, je n'étais pas d'accord avec

11 l'évolution de l'ensemble de la situation à cette époque-là. Je sentais

12 qu'il y avait beaucoup de choses qui allaient se passer.

13 Par conséquent, je me suis retiré complètement à cette époque-là. Je

14 considérais qu’il y avait plein de choses qui n'étaient pas claires, que

15 rien n'avait été défini. Je ne savais pas exactement ce que les hommes

16 politiques voulaient d’un côté et de l’autre et, moi, en ma qualité

17 d'expert, je n’avais pas à chercher quoi que ce soit là-dedans car la

18 politique était contradictoire.

19 D’un côté, il y avait une position qui était très ferme sur les frontières

20 intérieures ; de l'autre côté, il y avaient les entretiens qui n'étaient

21 pas ouverts, qui étaient secrets. C'étaient "les Etats d’Etat ou pas

22 Etat". De toute façon, il y avait plusieurs raisons pour lesquelles

23 j’avais décidé de me retirer.

24 M. Kehoe (interprétation). – Mais les pourparlers se sont poursuivis,

25 n'est-ce pas ?

Page 11307

1 M. Bilandzic (interprétation). – Je n'en sais rien là-dessus. Ce groupe

2 d'experts a été dissolu pratiquement.

3 M. Kehoe (interprétation). – Vous avez attesté, il y a quelques semaines…

4 Vous avez également porté témoignage dans l'affaire Aleksovcki.

5 M. le Président. – Posez votre question, Maître Kehoe, s'il vous plaît.

6 M. Kehoe (interprétation). – J'ai seulement demandé si, effectivement, il

7 avait porté son témoignage au cours des questions portées par

8 l'accusation.

9 M. le Président. – Vous êtes Procureur. Vous devez être certain qu'il a

10 témoigné dans l'affaire Aleksovcki. Ou alors j'espère que le Bureau du

11 Procureur le sait. Accélérons un petit peu.

12 M. Kehoe (interprétation). – Au cours de cette discussion particulière,

13 Monsieur le Professeur, vous avez remarqué : "J'ai démissionné et je n'ai

14 plus participé aux pourparlers.". J'aimerais maintenant savoir… Ceci

15 n'implique absolument aucune critique à votre endroit, je m'efforce

16 simplement ici de mettre en avant les faits et le fait est le suivant : la

17 rencontre qui a eu lieu entre Milosevic et Tudjman, vous avez été nommé

18 comme membre de la commission pour essayer de passer un accord avec les

19 Serbes relatif au partage de la Bosnie-Herzégovine et, votre

20 préoccupation, c'était le sort des Musulmans ?

21 M. Bilandzic (interprétation). – Oui.

22 M. Kehoe (interprétation). – "Dès que j'ai vu ce qui était en train de se

23 produire, aussi bien d'un point de vue historique et par curiosité

24 intellectuelle, j'ai accepté de prendre part à l'entretien.", et, plus

25 tard, vous avez dit : "Je peux pas dire ce qui s'est passé plus tard parce

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1 que le contexte, probablement, continue à évoluer.". Vous vous rappelez

2 avoir apporté cette réponse, Monsieur le Professeur ?

3 M. Bilandzic (interprétation). – Je souligne, Monsieur le Président, ceci,

4 probablement, étant donné que les contacts entre Belgrade et Zagreb au

5 niveau d'Etat étaient ininterrompus, diplomatiques ou autres. Les contacts

6 n'ont jamais été interrompus, mais je ne sais pas bien évidemment ceux

7 dont il a été question.

8 M. Kehoe (interprétation). – Monsieur le Professeur, est-ce que vous

9 pensez qu'après avoir quitté ces négociations, ces pourparlers relatifs au

10 partage de la Bosnie-Herzégovine ont continué ?

11 M. Bilandzic (interprétation). – Ce n'est pas important.

12 M. Nobilo (interprétation). – Monsieur le Président, le témoin a été tout

13 à fait clair et, à plusieurs reprises, il a dit qu'il n'était pas au

14 courant de ce qui se passait par la suite. C'est la raison pour laquelle

15 je pense qu'il n'y a aucune motivation et aucun fondement pour poser de

16 telles questions.

17 M. le Président. – Vous allez peut-être reformuler votre question et nous

18 allons faire la pause, je crois que tout le monde en a bien besoin. Vous

19 avez encore une question autour de Karadjordjevo, autour de ces

20 entretiens ?

21 M. Kehoe (interprétation). – Je n'ai pas d'autre question,

22 Monsieur le Président. Le témoin a apporté la réponse à la question en ce

23 qui me concerne.

24 M. le Président. - Est-ce qu'il vous reste beaucoup de questions dans

25 votre contre-interrogatoire, Maître Kehoe ?

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1 M. Kehoe (interprétation). - C’est difficile à dire,

2 Monsieur le Président. Je serais enclin à dire oui encore une heure

3 approximativement.

4 M. le Président. - Nous allons faire une première pause de dix minutes.

5 Nous reprenons à 15 heures 40.

6 (L'audience, suspendue à 15 h 26, est reprise à 15 h 45.)

7 M. le Président. – Nous reprenons l'audience, faites entrer l'accusé.

8 (L'accusé est introduit dans la salle)

9 Maître Kehoe, allez-y.

10 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs les Juges

11 merci.

12 Oui, Monsieur le Professeur, vous avez démissionné de cette commission

13 parce que vous n'acceptiez pas les concepts qui portaient sur la partition

14 de Bosnie-Herzégovine et vous étiez en désaccord avec tout ce qui était en

15 train de se produire et comme un vieux communiste, depuis cinquante ans,

16 vous avez décidé de quitter la commission.

17 M. Bilandzic (interprétation). - J'ai répondu à cette question, j'avais

18 apporté un autre détail. J'ai dit que la situation était fort complexe, et

19 que, personnellement, je ne pensais pas que j'étais compétent de pouvoir

20 participer à de tels genres de discussions dans une situation dramatique

21 comme elle se voyait, comme cela.

22 M. Kehoe (interprétation). – Page 225 sur la ligne 20, vous voyez le

23 témoignage que vous avez déposé dans l'affaire Aleksovski et vous vous

24 êtes élevé contre le radicalisme aussi bien du côté serbe que du côté

25 croate, car comme vous le savez, je cite : "Pendant cinquante ans, j'ai

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1 été communiste et je n'accepte pas ce concept de partition, c'est pour

2 cela que j'ai démissionné".

3 C'est effectivement la déposition que vous avez faite dans l'affaire

4 Aleksovski, ceci

5 est-il exact ?

6 M. Bilandzic (interprétation). - Oui. J'ai toujours été modéré, j'étais

7 contre les radicalismes, car personnellement, j'ai connu le développement

8 radical de la révolution, la révolution socialiste et moi, j'en avais

9 assez.

10 M. Kehoe (interprétation). – Et vous n'étiez pas d'accord avec une

11 politique de partage qui était défendue par le Président Tudjman, n'est-ce

12 pas, pour ce qui concernait la Bosnie-Herzégovine ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Je n'ai pas affirmé une telle chose, j'ai

14 dit que je n'en étais pas sûr, car on n'avait pas dit de manière très

15 stricte qu'il fallait partager la Bosnie-Herzégovine, qu'il fallait tout

16 simplement examiner le point de vue des adversaires.

17 M. Kehoe (interprétation). – Professeur, au début 1994, le

18 Président Tudjman vous a appelé pour l'accompagner à Belgrade en tant que

19 représentant…

20 M. Nobilo (interprétation). – Excusez-moi, Maître Kehoe et

21 Monsieur le Président, c'est la désintégration de la Yougoslavie dont nous

22 avons parlé, les années qui ont suivi par la suite, 1993, 1994 on n'en a

23 pas parlé. Par conséquent, le témoin n'a pas participé après à des

24 réunions.

25 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Président, je vais donc dire

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1 exactement au Tribunal en quoi consiste ma question.

2 Monsieur le Professeur, vous avez été appelé pour vous rendre en Serbie en

3 tant que représentant de la République de Croatie dans le cadre d'une

4 mission de réconciliation avec les Serbes, est-ce que ceci est exact ?

5 M. Bilandzic (interprétation). – Oui.

6 M. Kehoe (interprétation). - Avant votre départ, vous avez eu un entretien

7 avec le Président Tudjman au début de 1994 où il a déclaré "Je sais que

8 vous n'êtes pas d'accord avec ma politique en Bosnie-Herzégovine". Ne vous

9 a-t-il pas dit cela ?

10 M. le Président. – Avant que le témoin ne réponde, je voudrais consulter

11 mes collègues pour savoir si les juges souhaitent que ces questions soient

12 posées dans le cadre de l'article 90 qui donne toujours le droit aux

13 juges, indépendamment de l'interrogatoire ou du contre-interrogatoire,

14 d'avoir des éléments d'information supplémentaires profitant de la

15 présence du témoin à La Haye

16 (Les juges se consultent sur le siège)

17 M. le Président. - La Chambre -et cela vaudra désormais pour les autres

18 questions- trouve dans l'article 98 le pouvoir des Chambres d'ordonner de

19 leur propre initiative la production des moyens de preuve supplémentaires,

20 la base juridique, dans leur quête de la vérité, pour le support de la

21 question posée par l'accusation. Néanmoins, les Juges estiment que la

22 défense aura le droit de faire porter son droit de réplique sur les

23 questions qui n'étaient pas de l'ordre de l'interrogatoire principal.

24 Maître Kehoe, posez votre question.

25 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

Page 11312

1 Professeur, au cours de cet entretien avec le Président Tudjman, au début

2 1994, le Président Tudjman vous a dit, je cite : "je sais que vous,

3 professeur Bilandzic, vous n'êtes pas d'accord avec la politique menée en

4 Bosnie-Herzégovine." Il s'agissait ici d'une politique de partage en

5 Bosnie-Herzégovine. Vous n'étiez pas d'accord avec ladite politique. Ceci

6 est-il exact ?

7 M. Bilandzic (interprétation). - Moi, je ne me souviens pas du tout que

8 j'avais dit une telle chose. Si j'ai déclaré l'avoir dite, ce n'est pas en

9 ce moment que je pourrais vous le répéter. Je ne m'en souviens pas. Je

10 n'ai pas fait une telle déclaration, je ne m'en souviens pas.

11 M. le Président. - Maître Nobilo ?

12 M. Nobilo (interprétation). - Monsieur le Président, nous souhaitons

13 savoir quelle est la source dont dispose Maître Kehoe. Ce serait très

14 important, car je pense qu'il y a d'abord une citation, ensuite une

15 interprétation rajoutée. Donc citation : "je sais que tu n'es pas d'accord

16 avec ma politique en Bosnie" et ensuite il a rajouté "sur la partition de

17 la Bosnie". Ce n'est pas correct.

18 M. le Président. - Soyez clair. Vous avez donné la citation et la source

19 et, ensuite, si vous donnez une interprétation, ne donnez pas l'impression

20 que celle-ci est extraite d'une phrase qu'aurait dit le témoin. D'accord ?

21 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

22 Il s'agit ici de la pièce à conviction 2-6-4, il s'agit de l'article tiré

23 du journal "National". Dans l'avant-dernière page, si vous examinez...

24 M. le Président. - Monsieur le Greffier, 2-6-4 ou 4-6-4 ?

25 M. Kehoe (interprétation). - Excusez-moi, Messieurs les Juges. C'est bien

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1 4-6-4.

2 M. le Président. - Bien.

3 M. Kehoe (interprétation). - Professeur, il s'agit ici de la deuxième page

4 qui commence avec la phrase...

5 M. le Président. - Précisez la phrase, Maître Kehoe, je ne vois pas.

6 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Dans la version

7 anglaise, il s'agit de la page 6, si je peux simplement la désigner. Il

8 s'agit de la page 6 et je me rends compte qu'il s'agit d'une méthode assez

9 peu scientifique.

10 M. le Président. - Merci, Monsieur le Juge Riad, qui m'a remis sur la

11 voie. Merci.

12 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le professeur, vous avez dit au

13 "National", au cours de cette interview, que le Président Tudjman vous

14 avait dit (je cite) "je sais que vous n'êtes pas d'accord avec ma

15 politique menée en Bosnie-Herzégovine, mais il serait bien que, si vous

16 vous rendiez à Belgrade..." Vous voyez la citation concernée ?

17 M. Bilandzic (interprétation). - Ici... Une fois de plus, je répète ce que

18 j'ai dit : je ne peux pas trouver ici mais, Monsieur le Président, je

19 pense que ce n'est pas vraiment le plus important. Personnellement, je ne

20 me souviens guère d'une telle déclaration. Tout du moins, je ne me

21 souviens pas que Tudjman m'en avait parlé dans ces termes. On a déjà dit

22 ici que j'avais fait un démenti au "National", que l'interprétation était

23 erronée et je ne peux pas véritablement me souvenir des paroles de

24 M. Tudjman.

25 M. le Président. - Maître Kehoe.

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1 M. Kehoe (interprétation). - En ce qui concerne l'emplacement et la

2 période de cet entretien, ceci permettra de nous remettre le cas en

3 contexte... Donc, vous avez eu un entretien en mai 95 avec le

4 Président Tudjman. Est-ce que ceci est correct ?

5 M. Bilandzic (interprétation). - Oui.

6 M. Kehoe (interprétation). - Vous aviez donc passé quinze mois à Belgrade

7 dans le cadre de ces missions diplomatiques... Donc, toute invitation

8 faite par le Président Tudjman pour que vous réalisiez, que vous partiez

9 pour cette mission diplomatique se serait déroulée à la fin de 1993 et,

10 éventuellement, au début de 1994. Ceci est-il correct ?

11 M. Bilandzic (interprétation). - Vous pensez à l'interruption de ma

12 mission ? Nous nous sommes mis d'accord, dans les yeux, que j'allais

13 partir à Belgrade pour quelques mois. J'étais déjà à la retraite et puis

14 je commençais déjà à rédiger mes livres, mais je suis resté au-delà de ces

15 quatre mois.

16 M. Kehoe (interprétation). – Donc, en donnant satisfaction à la demande

17 qui vous avait été faite par le Président Tudjman, donc cet entretien, on

18 peut dire qu'il aurait eu lieu dans la deuxième moitié de 1993 ?

19 M. Bilandzic (interprétation). - Non. Monsieur le Président, c'étaient

20 15 jours avant mon départ à Belgrade, c'était mon premier contact, c'était

21 cette idée-là qu'il avait souhaitée, tout simplement me voir partir à

22 Belgrade, c'est une dizaine de jours avant mon départ pour Belgrade.

23 M. Kehoe (interprétation). - Donc ici, aidez-moi, Professeur, pour des

24 raisons de temps, si vous êtes revenu en 1995 et que vous étiez là pendant

25 quinze mois, vous avez eu probablement cet entretien à la fin de

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1 décembre 1993 ou dans les premiers jours de janvier 1994, si je ne me

2 trompe pas ici dans mon calcul. Est-ce que ceci est exact ?

3 M. Bilandzic (interprétation). – Je répète, c'étaient dix jours avant mon

4 départ à Belgrade qu'on m'avait prévenu qu'il fallait que je m'y rende,

5 Monsieur le Président, c'est tout.

6 M. Kehoe (interprétation). - Avant cette période, vous aviez exprimé votre

7 désapprobation, et ceci de manière publique, vous avez exprimé

8 publiquement votre désapprobation à l'égard de la politique menée par la

9 République de Croatie concernant la république de Bosnie-Herzégovine,

10 n'est-ce pas ?

11 M. Bilandzic (interprétation). - Une fois de plus, je ne sais pas de

12 quelle source vous parlez, je ne comprends pas la qualification que vous

13 donnez. Moi je suis quelqu'un qui appartient à l'opposition et, depuis le

14 premier jour, depuis que l'Etat croate a été créé, j'étais membre de

15 l'opposition, à maintes reprises, Monsieur le Président,

16 Messieurs les Juges. Comme j'appartenais à un parti de l'opposition,

17 j'étais critique vis-à-vis du régime. C'est la logique de l'opposition

18 politique.

19 M. Kehoe (interprétation). - Nous allons pouvoir avoir l'occasion

20 maintenant d'entrer un peu plus en détail dans cet aspect de la question.

21 Vous avez écrit un livre dont nous avons parlé hier, dans lequel vous avez

22 émis une critique à propos de l'établissement de la Krajina et de Knin, de

23 la république serbe de Krajina, parce que c'est un territoire établi à

24 l'intérieur du territoire de la république de Croatie et ceci donc

25 constituait une situation inacceptable pour la république de Croatie. Est-

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1 ce que vous vous rappelez la discussion que vous avez eue à ce sujet ?

2 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, je m'en souviens. La ligue des

3 communistes de Croatie, j'étais membre du comité central, et depuis le

4 premier jour du conflit qui a éclaté vis-à-vis de la politique de

5 Milosevic, a toujours suivi la politique de la défense de la Croatie,

6 c'est aujourd'hui le cas également et dans ce cadre-là, bien évidemment,

7 j'ai été contre la révolution

8 qui a eu lieu à Krajina.

9 M. Kehoe (interprétation). - Donc vous aviez qualifié cet événement ici

10 d'un rassemblement, que vous avez qualifié ensuite comme une entité qui

11 avait toutes les apparences extérieures de la légitimité étatique ?

12 M. Bilandzic (interprétation). – Non, ce n'est pas vrai. Le

13 19 juillet 1990, les gens de cette partie, de cette entité ont pris les

14 armes, érigé les barrages, ont coupé donc la Croatie de la Dalmatie et le

15 conflit a commencé tout de suite, l'entité culturelle était tout

16 simplement la légitimité qu'ils recherchaient pour parvenir à leur

17 objectif et la révolution des "œillets" en quelque sorte.

18 M. Nobilo (interprétation). – Monsieur le Président, bien évidemment, nous

19 respectons ce que vous avez dit, mais j'aimerais tout simplement que ce

20 temps-là, qui nous est imparti, cela fait vingt minutes, peut-être un peu

21 plus également, cela ne va pas être compté dans le temps de la défense,

22 étant donné qu'il y avait l'interrogatoire principal et maintenant il y a

23 bien évidemment le contre-interrogatoire qui prend son fondement

24 conformément à notre article.

25 M. le Président. - Vous n'avez pas tort, mais nous allons d'abord savoir

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1 si M. Kehoe a beaucoup de questions encore qui intéressent les Juges

2 d'ailleurs, car c'est un aspect quand même…Il faut que vous compreniez,

3 Maître Nobilo, que lorsqu'on demande à des témoins historiques, politiques

4 qui sont très proches du pouvoir, il est bien certain que cela ne peut

5 qu'intéresser les juges pour qu'ils façonnent leur opinion.

6 Alors, maintenant l'observation, Maître Kehoe, de Me Nobilo me paraît

7 judicieuse. Si vraiment c'est un véritable interrogatoire que vous faites

8 subir au témoin sur des questions dont, encore une fois, nous les Juges

9 nous estimons qu'elles ont un intérêt, il est bien certain qu'il faudra

10 poser la question quand même du décompte du temps, nous sommes bien

11 d'accord, Maître Kehoe ?

12 M. Kehoe (interprétation). - Tout à fait d'accord, Monsieur le Président.

13 M. Hayman (interprétation). - Si le Tribunal veut ici décompter ce temps,

14 dans le décompte du temps de la défense, l'accusation n'a pas d'objections

15 à faire. Et ici, il y a le reste de l'examen. En ce qui concerne le cas du

16 témoin, on n'y a consacré que quinze minutes, alors que l'ensemble ensuite

17 du témoignage du témoin a été consacré au... (inaudible).

18 M. le Président. - Nous avons dit, nous les juges que sur la base de

19 l'article 98 ces questions pouvaient présenter un intérêt dans

20 l'affaire Blaskic. Par contre, vous aurez votre droit de réplique. Donc,

21 nous ne pourrons savoir si véritablement vous êtes en déficit de temps ou

22 si on vous a pris du temps que si, à la suite de votre droit de réplique,

23 cela s'avérait utile.

24 Par ailleurs, Maître Kehoe, n'abusons quand même pas de cette flexibilité,

25 je comprends que ces questions vous intéressent. Ce témoin est ici, il est

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1 venu déjà dans d'autres affaires, il a été un acteur important, un acteur

2 politique de haut niveau et je comprends très bien que vous ayez envie de

3 lui poser des questions. Je vous supplie d'aller droit à vos questions, ne

4 multipliez pas les digressions, les citations, car vraiment on ne sait

5 plus à la fin quelle est la question que vous voulez poser. Alors vous

6 posez votre problématique et la question. Je vous demande de faire un

7 effort sur ce plan-là sinon nous n'aurons que des incidents de cette

8 nature et nous perdrons tous notre temps.

9 M. Kehoe (interprétation). - Professeur, donc là je vais directement sur

10 la question. Donc, hier, dans votre déposition vous étiez fermement opposé

11 à l'établissement de la République de Krajina serbe en tant qu'Etat à

12 l'intérieur de la République de la Croatie. Ceci est-il exact ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Oui, c'est exact.

14 M. Kehoe (interprétation). - Et, oui, également vous étiez tout à fait

15 opposé aux activités qui ont abouti à l'établissement de la communauté

16 croate d'Herceg-Bosna et finalement à l'établissement de la République

17 d'Herceg-Bosna, n'est-ce pas ?

18 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, en ce qui concerne

19 la création d'Herceg-Bosna je n'étais pas au courant quand ceci a été

20 d'actualité, je ne peux pas en porter des témoignages.

21 M. le Président. - On ne vous a pas demandé de porter un témoignage,

22 Monsieur le Professeur, on vous a demandé ce que vous en pensiez, je vous

23 signale. On vous a demandé si vous étiez opposé ou non, c'est une question

24 qui intéresse les juges. Si vous vous en souvenez, la question n'est pas

25 de dire que vous ne pouvez pas porter un témoignage, on vous a demandé si

Page 11319

1 vous étiez opposé ou non. Si cette question ne vous... Si vous n'y

2 répondez pas maintenant, en tout cas je peux vous dire d'ores et déjà que

3 moi je vous la poserai tout à l'heure. Donc, vous choisissez d'y répondre

4 maintenant ou tout à l'heure. C'est une question qui est très claire :

5 étiez-vous oui ou non opposé à la création de la République de Herceg-

6 Bosna ? C'est une question.

7 M. Bilandzic (interprétation). - Pour le moment où Herceg-Bosna a été

8 créée, c'est là que je l'ai su et c'est la raison pour laquelle je ne

9 pouvais pas moi-même avoir une attitude publique car je n'ai pas participé

10 à cette initiative et je l'ignorais au début.

11 M. le Président. - Poursuivez, Maître Kehoe.

12 M. Kehoe (interprétation). - Mais vous saviez, Professeur, que la

13 communauté croate de Herceg-Bosna quand elle a été établie le

14 18 novembre 1991, elle poursuivait un objectif pour devenir une partie

15 intégrante de la République de Croatie. N'étiez-vous pas au courant de ce

16 fait-là, Professeur ?

17 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, je ne sais pas

18 d'où vous tirez cette source. Je n'ai pas pris des attitudes qui n'étaient

19 claires au sujet d'Herceg-Bosna car je n'y ai déjà participé…, je n'ai

20 aucune attitude prise sur la création d'Herceg-Bosna avant qu'elle soit

21 créée au moment où elle a été créée, je le savais.

22 M. Kehoe (interprétation). - Vous savez, Professeur, que les objectifs de

23 la communauté croate d'Herceg-Bosna étaient l'annexion à la République de

24 Croatie, vous le saviez, vous étiez au courant de cela ? N'est-ce pas ?

25 M. Bilandzic (interprétation). - Non, je ne savais pas que Herceg-Bosna

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1 devait être annexée à la Bosnie... A la Croatie, pardon, moi, je n'étais

2 pas au courant et à cette époque-là je ne pouvais pas être contre, je

3 n'étais pas au courant avant la création.

4 M. Kehoe (interprétation). - Professeur, vous avez donc continué et vous

5 avez déclaré qu'avec la création de cette communauté d'Herceg-Bosna que

6 ceci était un effort pour diviser la République de Bosnie-Herzégovine,

7 n'est-ce pas ?

8 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, c'est un processus

9 vivant, c'est un processus qui avait sa voie également, qu'il avait

10 poursuivi et je ne savais pas, je l'ai dit, comment cela allait se

11 terminer. Je ne pouvais même pas le savoir, pas plus que les autres et

12 depuis toujours, j'ai considéré qu'il fallait respecter le principe des

13 trois peuples constitutifs au niveau de la Bosnie-Herzégovine et je n'ai

14 rien dit qui aurait été contraire à cette attitude.

15 M. Kehoe (interprétation). - Un petit peu plus loin, Professeur, vous

16 croyiez, vous aviez conclu, également en tant qu'historien qu'à la suite

17 de l'établissement du plan Vans Owen, que les autorités de l'Herceg-Bosna

18 avaient conclu qu'elles pouvaient faire ce qu'elles voulaient. Ce n'était

19 pas la conclusion que vous aviez apportée à l'époque, Professeur ?

20 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président, ce n'était pas

21 tout à fait de cette manière-là que j'avais réagi. J'avais déclaré à

22 quelques reprises que je considérais que l'Herceg-Bosna ni la Serbie

23 d'ailleurs ne devaient conduire à une partition définitive, c'est ce que

24 j'avais dit à plusieurs reprises, mais je n'avais pas véritablement défini

25 jusqu'au bout cette position, mais j'ai considéré que ce n'était pas une

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1 bonne chose.

2 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez conclu que l'octroi de la

3 citoyenneté croate aux Croates de Bosnie-Herzégovine était une erreur,

4 n'est-ce pas ?

5 M. Bilandzic (interprétation). - J'ai constaté tout simplement que ceci a

6 été fait mais je n'ai donné aucune qualification, ni que c'était une bonne

7 chose ni que c'était une mauvaise chose

8 M. Kehoe (interprétation). - Vous avez également conclu qu'une

9 représentation des Croates de Bosnie au sein du Sabre à Zagreb était une

10 erreur, n'est-ce pas ?

11 M. Bilandzic (interprétation). - Une fois de plus, je ne sais pas d'où

12 vous tirez cela et comment vous pouvez dire que c'était une erreur et que

13 je l'avais dit. Je veux être précis, je n'ai pas une attitude non plus à

14 ce sujet-là, je n'ai jamais rien dit à ce propos intimement. Je pensais

15 que ce n'était pas une bonne solution, je n'ai jamais écrit quoi que ce

16 soit là-dessus, je n'ai jamais déclaré quoi que ce soit là-dessus.

17 M. le Président. - ... Quand vous prêtez une intention au témoin de citer

18 vos sources. Quand vous dites : vous avez conclu que vous devez citer les

19 sources, vous ne pouvez pas...

20 M. Kehoe (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

21 Oui, Professeur, vos positions étaient tout à fait cohérentes les unes

22 avec les autres, vous étiez contre la formation de la Cazinska Krajina et

23 de la même manière vous étiez hostile à l'établissement de la communauté

24 croate d'Herceg-Bosna, et également de l'établissement de la République

25 d'Herceg-Bosna qui en a découlé parce qu'elles auraient entraîné la

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1 constitution de Républiques indépendantes. Ceci est-il exact ?

2 M. Bilandzic (interprétation). - En principe, je suis pour une telle

3 attitude, mais Monsieur le Président, quand Me Kehoe, m'avait dit que

4 j'étais donc "expressis verbis", que je l'avais dit, alors, je peux

5 répondre : "Non, je ne m'en souviens pas." car, bien évidemment, j'avais

6 une certaine attitude. Mais tout est relatif et je n'ai pas participé à la

7 vie politique à cette époque-là. J'étais à l'opposition et je le suis. Par

8 moment, je me suis permis également de donner une autre dimension à ce que

9 je disais.

10 M. le Président. - C'est une question de méthode, là, quand même. Je crois

11 qu'il faut respecter des principes de méthodologie rigoureuse. Ou bien

12 vous demandez à un témoin son opinion, c'est votre droit. Ou bien vous

13 citez des faits, en lui demandant de les commenter. Vous ne pouvez pas

14 empiler des questions un peu approximatives : "Vous avez, semble-t-il,

15 été… etc.", et, à la fin, vous terminez par une dernière question : "Donc,

16 si vous étiez contre ceci ou contre cela…".

17 Vous voyez mon problème ? C'est un problème de méthodologie

18 d'interrogation. Vous devez choisir : ou bien vous demandez une opinion à

19 un témoin, c'est votre droit le plus absolu, mais vous ne pouvez pas à

20 partir de questions dubitatives auxquelles il est apporté des réponses

21 dubitatives conclure une demi-certitude sur laquelle vous allez fonder une

22 question certaine. Je crois qu'il y a un procédé intellectuel qui n'est

23 pas très clair. Essayez de faire un effort, s'il vous plaît.

24 M. Kehoe (interprétation). – Oui, Monsieur le Président.

25 Monsieur le Professeur, est-ce que vous connaissez une déposition faite

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1 par une certaine Yasmin Rousmanovic ? Avez-vous accordé une interview à

2 cette personne qui a été publiée le 21 juillet 1993, donc à une agence de

3 presse qui était connue comme "Associate Press".

4 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président, c'est possible.

5 J'avais des interviews que j'avais accordées, des centaines et des

6 centaines d'interviews. Je ne sais pas si j'ai donné véritablement une

7 interview à cette personne-là, mais je n'ai pas marqué sur mon agenda les

8 dates des interviews que j'avais données. Donc, je ne peux pas m'en

9 souvenir.

10 M. Kehoe (interprétation). – Abordons ici plus directement la question.

11 Donc, au plus fort de la guerre entre les Croates de Bosnie et les

12 Musulmans de Bosnie, vous avez exprimé votre mécontentement à l'égard de

13 la politique menée par la République de Croatie et vous avez déclaré : "Si

14 l'on partage la Bosnie, pourquoi ne devrait-on pas ici partager la

15 Croatie ? Ceci ne serait qu'une conséquence logique.". Avez-vous déclaré

16 ceci ?

17 M. Bilandzic (interprétation). – Je ne m'en souviens guère, ce n'est pas

18 impossible, mais je ne m'en souviens pas.

19 M. le Président. – Là, il y a une question de méthodologie. Ecoutez, je

20 demande un peu de rigueur. Vous avez cet article, je suppose ?

21 M. Kehoe (interprétation). – Je l'ai effectivement, Monsieur le Président.

22 M. le Président. – On ne sait même pas quelle est l'année. Si vous avez

23 cette interview, donnez-la au témoin pour qu'il nous dise le passage. Ce

24 n'est pas possible de tourner comme cela autour des questions, nous

25 perdons du temps.

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1 Je n'ai même pas l'année. Donc, vous dites au témoin : "Vous avez donné

2 une interview telle année, telle date. Voici le document.", et c'est

3 terminé. Le témoin va nous dire ce qu'il en pense. On ne peut pas

4 continuer en tournant autour du but !

5 M. Kehoe (interprétation). – Avec tout le respect, Monsieur le Président,

6 je pense qu'il s'agissait ici d'un article qui a été publié

7 approximativement le 21 juillet 1993. Donc, il s'agit ici d'un article de

8 l'agence "Associate Press".

9 Donc, ne vous souveniez-vous pas d'avoir effectivement accordé cette

10 interview ? Vous ne vous en souvenez pas ?

11 M. Bilandzic (interprétation). – Absolument pas, j'ai 2 000 pages

12 d'interviews que j'avais données, je ne peux certainement pas me souvenir

13 de cet interview.

14 M. Kehoe (interprétation). – Monsieur le Professeur, permettez-moi de vous

15 demander, au mois de juillet 1993, croyiez-vous à l'époque que les Croates

16 s'efforçaient de diviser la Bosnie ?

17 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président,

18 Messieurs les Juges, je trouve que c'est une question très bizarre. J'ai

19 une attitude de principe, c'est de maintenir les résultats de la guerre

20 des partisans, par conséquent de maintenir les frontières telles quelles

21 et c'est à partir de cette position, bien évidemment, que j'ai donné plein

22 d'interviews. J'en ai parlé à ce sujet-là.

23 En suivant donc ce raisonnement et en étant à l'opposition, je puis bien

24 évidemment donner les déclarations différentes. Si j'ai pensé à cette

25 époque-là de cette manière-là ou d'une autre manière, c'est très difficile

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1 de m'en souvenir en ce moment même. Je ne sais pas de manière précise

2 véritablement ce que j'ai pu dire en juillet 1993, véritablement non.

3 M. Kehoe (interprétation). – Nous pouvons ici rafraîchir votre mémoire en

4 passant au point deux. Donc il s'agit ici de la pièce à conviction 63B. Si

5 l'on pouvait présenter la séquence prochaine. Il s'agit d'un autre extrait

6 des bandes vidéos.

7 (Diffusion de la cassette)

8 M. Kehoe (interprétation). - Peut-on commencer la diffusion de la vidéo

9 depuis le début, avec le son, s'il vous plaît ? Peut-on baisser un peu les

10 lumières, je vous prie ?

11 (Diffusion de la vidéo)

12 "Le plan Vance-Owen place la ville mixte de Mostar dans une province

13 croate. Les Croates ont, depuis longtemps, souhaité que Mostar soit leur

14 capitale. Ils ont utilisé le plan de paix comme feu vert. Mais ce plan

15 souhaite également protéger les minorités ethniques.

16 Après la signature du plan Vance-Owen, les Croates d'Herzégovine ont

17 estimé que la chose était terminée, que la division était faite. Nous

18 avons reçu l'Herceg-Bosna en tant que para-Etat et maintenant nous pouvons

19 faire ce que nous voulons. Nous pouvons rebaptiser les rues, rebaptiser

20 l'université de Mostar. Mostar est finalement la capitale de notre nouvel

21 Etat, de cet Etat nouvellement créé car ils ont estimé que la chose était

22 terminée, ce qui, bien sûr, était erroné."

23 M. Kehoe (interprétation). - Vous rappelez-vous cette interview,

24 Monsieur le Professeur ?

25 M. Bilandzic (interprétation). - C'est trop me demander que de me

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1 rappeler. Mais,

2 en tant que membre d'un parti politique d'opposition, j'étais proche de

3 l'idée que c'était un état de fait. Maintenant, entre le fait de penser

4 qu'il s'agit d'un état de fait et le fait de savoir comment il faut

5 pratiquer, il y a une marge assez importante.

6 M. Kehoe (interprétation). - Est-ce que la conclusion que vous avez tirée,

7 c'est que la conclusion croate d'Herceg-Bosna était en train d'essayer de

8 créer un Etat à l'intérieur de la République de Bosnie-Herzégovine ?

9 M. Bilandzic (interprétation). - Je n'ai fait que constater ce qui était

10 fait. Je n'ai tiré aucune conclusion. Ce que je dis dans cette interview

11 porte sur ce qu'ils ont fait à l'intérieur de leur unité territoriale mais

12 cela n'a rien à voir avec ce qu'ils sont susceptibles de faire à l'avenir.

13 M. Kehoe (interprétation). - En tout état de cause,

14 Monsieur le Professeur, la conclusion que vous avez tirée, c'est que les

15 conclusions de Bosnie-Herzégovine estimaient que la division de la Bosnie-

16 Herzégovine était faite et qu'ils pouvaient faire que ce qu'ils

17 souhaitaient. N'est-ce pas exact ?

18 M. Bilandzic (interprétation). - Vous recourez à une certaine licence

19 poétique. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Le processus en cours était un

20 processus dramatique qui n'était pas terminé et qui allait se terminer

21 plus tard, grâce à logique de la reconnaissance, car la Croatie a fini par

22 reconnaître la Bosnie-Herzégovine. L'organisation à l'intérieur de la

23 Bosnie-Herzégovine était à la fois militaire et politique car, à ce

24 moment-là, au cours de cette guerre contre l'agression de la JNA, de la

25 Serbie, etc., il fallait faire quelque chose dans ce sens.

Page 11327

1 M. Kehoe (interprétation). - Monsieur le Professeur, peut-on revenir en

2 arrière quelques instants, avant d'en terminer.

3 Dans le document que vous avez écrit, intitulé "la Croatie entre la guerre

4 et l'indépendance" (écrit qui a été publié par l'université de Zagreb en

5 1991), dans la conclusion de cet écrit, vous dites la chose suivante, je

6 cite : "les actes criminels vont main dans la main avec les mensonges

7 criminels. C'est une vérité ancienne et souvent avérée." Fin de citation.

8 Monsieur le Professeur, est-ce que vous pensez cela aussi énergiquement

9 que vous le pensiez en 91 ?

10 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président,

11 Messieurs les Juges, les actes criminels vont avec... quoi ? Je ne

12 comprends pas le sens de la phrase qui n'est pas claire pour moi. Si je

13 l'ai écrite, cette phrase n'est pas claire pour moi et l'interprétation de

14 ce monsieur n'est pas claire non plus à mes yeux. Les actes criminels sont

15 des actes criminels ! Qu'est-ce que cela veut dire ?

16 M. Kehoe (interprétation). - Je vais vous relire ce passage. Je cite la

17 page 90 de votre ouvrage. Je cite : "les actes criminels vont main dans la

18 main avec les mensonges criminels. Ceci est une vérité ancienne et souvent

19 avérée." Fin de citation. Avez-vous écrit cela ?

20 M. Bilandzic (interprétation). - Si j'ai écrit cela... Je pense que c'est

21 une phrase ambiguë et insuffisamment claire. Les actes criminels, le fait

22 criminel (vous, les juristes, vous le savez très bien) le fait criminel

23 implique une intention, implique une action, une préparation, quelque

24 chose de ce genre. Dans ce passage, on dit que le mensonge relève

25 également de l'acte criminel. Est-ce bien le sens de votre question ? Est-

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1 ce que je considère que le mensonge est un acte criminel ?

2 Une phrase aussi peu claire, je pense qu'il est difficile de penser que

3 c'est moi qui l'ai écrite -à moins que la traduction soit fautive. Je ne

4 comprends pas le sens de cette phrase... Ni le sens de la phrase, ni le

5 sens de la question.

6 M. le Président. - Nous arrivons à une situation tout a fait paradoxale,

7 où c'est l'auteur de la phrase qui demande à Me Kehoe le sens de cette

8 phrase. Donc je crois qu'on peut passer à une question suivante,

9 Maître Kehoe, si vous en avez d'autres, bien sûr.

10 M. Hayman (interprétation). - Peut-être que si nous avions ce passage dans

11 la langue originale dans laquelle le passage a été écrit, le témoin

12 pourrait s'exprimer. Si nous

13 avions ce passage en langue BCS, cela réglera le problème,

14 Monsieur le Président.

15 M. Shahabuddeen (interprétation). - Eh bien, nous sommes peut-être face à

16 une certaine difficulté. Je comprends que le témoin réagit à une phrase

17 selon laquelle un acte criminel est un mensonge criminel. La phrase qui

18 vous a été citée, Monsieur le témoin, est néanmoins légèrement différente.

19 La phrase stipulait que les actes criminels vont main dans la main avec

20 les mensonges criminels. Cette phrase ne laisse aucunement entendre que

21 des actes criminels sont toujours des mensonges criminels.

22 M. Bilandzic (interprétation). - Monsieur le Président,

23 Messieurs les Juges, je suis d'accord avec cette interprétation que vient

24 de fournir le Juge.

25 M. le Président. – Maître Kehoe, avez-vous d'autres questions ?

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1 M. Kehoe (interprétation). – Non, Monsieur le Président, je n'ai pas

2 d'autre question.

3 M. le Président. – Maître Nobilo, pour un droit de réplique qui s'exercera

4 dans le cadre du contre-interrogatoire, bien entendu.

5 M. Nobilo (interprétation). - C'est exact, mais je suppose que grâce à ce

6 droit de réplique, je peux pénétrer dans un nouveau contre-interrogatoire

7 qui, lui, s'est écarté de l'interrogatoire principal.

8 En tout état de cause, Monsieur le témoin, pouvez-vous expliquer aux Juges

9 s'il existait une réponse entre le statut d'une affirmation faite en temps

10 de guerre et le statut d'une affirmation faite devant ce Tribunal dans le

11 cadre d'une déposition ou en temps de paix ?

12 M. Bilandzic (interprétation). – Absolument.

13 M. Nobilo (interprétation). – Pourquoi ?

14 M. Bilandzic (interprétation). – Eh bien, Monsieur le Président une

15 expression faite dans le cours d'un combat politique vise à disqualifier

16 d'une manière ou d'une autre l'opposant politique lorsqu'on fait partie de

17 l'opposition, alors que s'il s'agit de connaissance, de savoir, la façon

18 d'aborder la chose, de l'exprimer, la façon de la traiter est tout à fait

19 différente.

20 Je suppose que le Tribunal comprend bien cela.

21 M. Nobilo (interprétation). – Est-ce que je vous ai bien compris, si je

22 pense que vous avez dit que ce qui est dit dans le cadre d'un combat

23 politique a une certaine précision, une certaine qualité, un certain poids

24 et que ce que vous dites en tant qu'expert devant le Tribunal peut avoir

25 un autre poids, une autre précision, une autre qualité ?

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1 M. Bilandzic (interprétation). - La lutte politique a son éthique propre

2 et la science a la sienne et ces deux éthiques sont différentes à mon

3 avis.

4 M. Nobilo (interprétation). - Vous êtes membre de l'opposition la plus

5 puissante en Croatie. Est-ce que le but de votre parti consiste à détruire

6 le parti du Président Tudjman pour prendre le pouvoir par la voie

7 parlementaire, bien entendu ?

8 M. Bilandzic (interprétation). – Je crois que je peux le confirmer, parce

9 que le but de tout parti politique consiste à accéder au pouvoir un jour

10 ou l'autre, bien entendu, en Croatie aujourd'hui cela signifie recourir

11 aux voies parlementaires.

12 M. Nobilo (interprétation). - Le périodique "National" a été évoqué à de

13 nombreuses reprises. Est-ce un périodique progouvernemental ou

14 antigouvernemental ?

15 M. Bilandzic (interprétation). – C'est un périodique absolument et

16 énergiquement antigouvernemental. Je suis les écrits du "National" de très

17 près, je dois dire malheureusement que je me trouve souvent en désaccord

18 avec les articles de cette revue, car il arrive aux journalistes de cette

19 revue de s'écarter des lois de la morale. Peut-être la morale est-elle un

20 mot trop grave. En tout cas, ils s'écartent des lois de la bienséance dans

21 le seul but de porter atteinte au régime politique au pouvoir et au parti

22 au pouvoir. Je peux apporter les documents à l'appui de mes dires.

23 M. Nobilo (interprétation). - Mais dans une démocratie aussi jeune que la

24 Croatie, n'est-ce pas une caractéristique de la majorité des journaux ?

25 Est-ce que cela n'a pas des conséquences ici dans ce procès ?

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1 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs les

2 Juges, je crois qu'il faut que j'apporte une réponse assez large à cette

3 question. Je dois dire que la mentalité qui prévaut dans les régions

4 méditerranéennes est une mentalité reposant sur la polémique qui ne tient

5 pas toujours compte du contenu, du style, mais constitue souvent une

6 réaction assez vive et, en Croatie, nous avons plusieurs journaux qui sont

7 de très bons représentants de cette réalité.

8 M. Nobilo (interprétation). - Mais votre parti estime-t-il que "le

9 National" est également orienté politiquement comme votre parti dans le

10 sens de l'opposition, c'est-à-dire a pour but de renverser le pouvoir

11 existant actuellement en Croatie ?

12 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, "le National" est beaucoup plus

13 critique encore que mon parti.

14 M. Nobilo (interprétation). - Dans les discussions politiques que nous

15 avons ici, nous avons parlé de division de la Bosnie-Herzégovine. Est-ce

16 que ceci englobe la division à l'intérieur même d'un Etat ? Est-ce qu'on

17 peut utiliser le même terme pour parler de la désintégration de la Bosnie-

18 Herzégovine et pour parler du partage local du pouvoir à l'intérieur de la

19 Bosnie-Herzégovine ? Est-ce que j'ai raison de penser cela ?

20 M. Bilandzic (interprétation). - Je pense que la politique et les

21 processus en vigueur en Bosnie-Herzégovine depuis le premier jour et

22 jusqu'à aujourd'hui sont tels que le terme "division" ou "partage"

23 s'utilise aussi bien pour faire référence à la politique de l'ensemble de

24 la Bosnie, à savoir que le partage doit garantir la cohésion des trois

25 entités et donc, on utilise à l'intérieur de la Bosnie également les

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1 termes de "partage" ou de "division", il s'agit d'un terme un peu confus,

2 qui n'est pas clair et la politique, le monde de la politique utilise

3 sciemment des mots un peu ambigus, des mots peu clairs pour parvenir à ses

4 fins.

5 M. Nobilo (interprétation). - Concrètement est-ce que, aujourd'hui, la

6 Bosnie est divisée en deux entités conformément aux accords de Dayton ?

7 M. Bilandzic (interprétation). - La majorité des gens pense que l'accord

8 de Dayton a de facto partagé la Bosnie-Herzégovine. Nombreux sont ceux qui

9 pensent que la communauté internationale a divisé la Bosnie et maintient

10 cette division de la Bosnie. C'est une conception qui est largement

11 reconnue dans les milieux de l'opposition.

12 M. Nobilo (interprétation). - Nous avons beaucoup parlé de la réunion de

13 Karadjordjevo, donc je n'y reviendrai pas longuement. Vous avez dit que

14 vous n'avez pas vu un seul document relatif à cette réunion de

15 Karadjordjevo et que le Président Tudjman ne vous a pas communiqué le

16 contenu des discussions.

17 M. Bilandzic (interprétation). - Absolument.

18 M. Nobilo (interprétation). - Moi ce que je vous demande c'est si un

19 quelconque autre membre de la délégation Croate présent à la réunion de

20 Karadjordjevo vous aurait communiqué la teneur des discussions tenues à

21 Karadjordjevo entre les représentants serbes et croates ?

22 M. Bilandzic (interprétation). - Absolument pas ni un ministre ni un

23 représentant du gouvernement, personne ne m'en a parlé.

24 M. Nobilo (interprétation). - Donc, dans une seule phrase, pouvons-nous

25 tirer la conclusion définitive en dehors du moindre doute quant au fait

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1 que vous n'avez pas la moindre connaissance de ce qui s'est dit à la

2 réunion de Karadjordjevo ?

3 M. Bilandzic (interprétation). - Je n'en ai absolument pas la moindre

4 connaissance.

5 M. Nobilo (interprétation). - Tikves, vous avez déclaré que la réunion de

6 Tikves a été axée sur le fait de savoir si les frontières déterminées au

7 cours de la deuxième guerre mondiale pouvaient ou ne pouvaient pas être

8 modifiées. Pouvez-vous nous dire s'il s'agissait des réunions extérieures

9 de la Yougoslavie ou des frontières inter-républicaines,

10 inter-républiques, internes au pays ?

11 M. Bilandzic (interprétation). - Eh bien, y compris en revoyant et en

12 relisant mon

13 interview au "National", vous constaterez que j'ai dit, et le "National" a

14 souvent été cité ici comme source d'information importante, vous y lirez

15 donc que j'ai dit que la totalité de la discussion a été axée sur la

16 polémique relative à la nature de ces frontières.

17 Les pourparlers m'ont donné l'impression, une impression très ferme, que

18 les deux parties lorsqu'elles ont débattu des frontières ont bien compris

19 qu'il s'agissait uniquement et exclusivement des frontières internes aux

20 pays, car ni l'une ni l'autre des deux parties présentes n'a remis en

21 cause un seul instant les frontières extérieures du pays.

22 M. Nobilo (interprétation). - Devant ce Tribunal, lorsque... Dites au

23 Tribunal, je vous prie, lorsque nous parlons de frontières internes dans

24 notre terminologie politique propre, dites au Tribunal si nous avons le

25 moindre doute quant au fait que nous parlons des républiques de la

Page 11334

1 Bosnie.. Des frontières de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie, de la

2 Croatie, etc. etc. ?

3 M. Bilandzic (interprétation). - Absolument, il n'y a aucun doute là-

4 dessus. Ce que nous avons à l'esprit lorsque nous parlons des frontières

5 inter-républiques, c'est le fait que selon la constitution de 1974, ces

6 frontières étaient définies comme les frontières des Etats que

7 constituaient les républiques. Donc il s'agissait de frontières d'Etats,

8 mais de frontières internes entre les républiques.

9 M. Nobilo (interprétation). - Ayant dit cela, pouvons-nous tirer la

10 conclusion, au vu de vos déclarations préalables que personnellement, avec

11 les autres représentants de la Croatie, vous ne préconisiez pas le

12 changement des frontières séparant la Croatie de la Bosnie ?

13 M. Bilandzic (interprétation). - Pendant que j'ai fait partie des

14 pourparlers, ma réponse est oui, après mon départ des pourparlers, je ne

15 sais pas.

16 M. Nobilo (interprétation). - Pour que la situation soit objective, à

17 l'époque dont

18 nous parlons, c'est-à-dire pendant le conflit qui a affecté les Serbes de

19 Krajina et qui a remis en cause la situation de la Croatie. La Croatie

20 pouvait-elle se permettre le luxe politique de remettre en question ces

21 frontières internes à l'intérieur de la Yougoslavie ?

22 M. Bilandzic (interprétation). - La situation internationale militaire au

23 début du printemps 1991 était telle qu'un coup d'Etat militaire se

24 préparait, que le ministre de la défense s'est rendu à l'époque en U.R.S.S

25 pour voir le maréchal Jazov, que nous étions donc dans une situation

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1 particulièrement grave, si grave même, qu'aucune politique sérieuse

2 n'aurait pu ouvrir un front de ce genre à l'époque ou n'aurait pu se

3 permettre d'ouvrir un front aussi important à l'époque.

4 M. Nobilo (interprétation). - Nous vous avons entendu dire que vous avez

5 été un expert qui travaillait au sommet du gouvernement croate dans

6 l'époque cruciale de la désintégration de la Yougoslavie. Donc, je vous

7 demande si à cette époque et par la suite, donc nous parlons bien de cette

8 époque et de la période qui s'étend jusqu'à aujourd'hui, vous n'avez

9 jamais vu un acteur politique de la Croatie qui aurait expressément

10 demandé la division, le partage de la Bosnie-Herzégovine ?

11 M. Bilandzic (interprétation). - J'ai eu l'occasion d'avoir sous les yeux

12 les documents du Sabor, du parlement de la Croatie, des documents

13 gouvernementaux, un grand nombre de documents émanant des mass média, des

14 documents officiels de toutes sortes et je n'ai jamais vu un tel document.

15 M. Nobilo (interprétation). - Je vous ai posé la question au sujet de

16 documents officiels. Maintenant, est-ce que vous avez vu des documents

17 secrets d'organe du pouvoir de la République de Croatie qui demandaient

18 une telle division ?

19 M. Bilandzic (interprétation). - Non, Non je n'en ai pas vu.

20 M. Nobilo (interprétation). - Dites au Tribunal quel est l'Etat dans le

21 monde qui a été le premier à reconnaître la Bosnie-Herzégovine ?

22 M. Bilandzic (interprétation). - C'est la Croatie.

23 M. Nobilo (interprétation). - Dans les milieux diplomatiques lorsqu'un

24 Etat est reconnu, qu'est-ce que cela signifie du point de vue de son

25 territoire et de ses frontières ?

Page 11336

1 M. Bilandzic (interprétation). - Cela signifie qu'une partie déterminée

2 reconnaît l'intégrité de l'Etat qui est désormais reconnu.

3 M. Nobilo (interprétation). - Qu'est-ce que cela signifie "intégrité" ?

4 M. Bilandzic (interprétation). - Pour la Yougoslavie qu'il s'agisse de la

5 Slovénie, de la Bosnie, de la Croatie ou du Monténégro, ce qui est

6 reconnu, ce sont les frontières internes à cette région, à cet Etat. C'est

7 conforme à la pratique internationale. Maintenant, pour la Macédoine, un

8 problème tout à fait spécifique se pose par rapport à la Yougoslavie ;

9 nous avons des relations diplomatiques avec elle, mais le problème est

10 spécifique. Cela dit, à cause de la région de Presliska, mais en ce qui

11 concerne la Yougoslavie et la Croatie, les frontières sont reconnues en

12 tant que frontières existantes et ont toujours été reconnues.

13 M. Nobilo (interprétation). - Sans nous écarter du sujet, est-ce que la

14 Croatie a reconnu les frontières de la Bosnie ?

15 M. Bilandzic (interprétation). - Oui, oui, bien sûr. Elle l'a fait.

16 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que la reconnaissance par la

17 République de Croatie de la Bosnie s'est produite avant ou après la

18 réunion de Karadjordjevo ? Vous le rappelez-vous ?

19 M. Bilandzic (interprétation). - La réunion de Karadjordjevo a eu lieu

20 alors que la Yougoslavie existait en tant qu'Etat reconnu

21 internationalement. Donc, nous ne pouvions pas avoir parlé de cela. Cela

22 s'est passé un an avant la reconnaissance internationale de la Bosnie-

23 Herzégovine et neuf mois ou huit mois avant la reconnaissance

24 internationale de la Croatie, de la Slovénie, de la Bosnie-Herzégovine et

25 quatre mois avant le début de la guerre.

Page 11337

1 Donc, à l'époque de Karadjordjevo, nous sommes à une époque où existe la

2 Yougoslavie qui est toujours un Etat reconnu en tant qu'Etat sur le plan

3 international.

4 M. Nobilo (interprétation). – Monsieur le Professeur, la reconnaissance de

5 la Bosnie-Herzégovine par la Croatie s'est produite après la réunion de

6 Karadjordjevo. C'est ce que vous voulez dire ?

7 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, à peu près un an après.

8 M. Nobilo (interprétation). – Très bien.

9 Eh bien, en ce qui concerne la réunion de Karadjordjevo, combien de temps

10 après cette réunion a été déclenchée cette guerre massive entre la Serbie,

11 la JNA et la Croatie ?

12 M. Bilandzic (interprétation). – Je voudrais bien vous comprendre. A

13 partir de la réunion de Karadjordjevo… ?

14 M. Nobilo (interprétation). – Entre Karadjordjevo et le début de la

15 guerre, combien de temps s'est-il écoulé ?

16 M. Bilandzic (interprétation). – A peu près quatre mois.

17 La vraie guerre a commencé à l'été 1991 et, jusqu'à cette date, il y avait

18 des escarmouches en Krajina, à Pakrac et ailleurs, mais la vraie guerre

19 sur le territoire de Croatie a commencé en raison de la Serbie à l'été

20 1991.

21 M. Nobilo (interprétation). – Monsieur le Professeur, vous avez d'énormes

22 connaissances scientifiques, politiques et, bien sûr, de très grandes

23 connaissances dans la vie. Donc, veuillez dire au Tribunal en tant que

24 responsable politique quelle conclusion tirez-vous du fait que la guerre

25 ait éclaté après la réunion de Karadjordjevo, une guerre au cours de

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1 laquelle la grande ville de Vukovar a été frappée, au cours de laquelle la

2 ville de Dubrovnik a été frappée, etc ?Quelles conclusions tirez-vous du

3 fait que cette guerre ait éclaté après la réunion de Karadjordjevo ? Quel

4 est votre avis à ce sujet ? Que s'est-il passé à Karadjordjevo ?

5 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président,

6 Messieurs les Juges, c'est

7 une question intéressante, mais, en-dehors de toute analyse approfondie,

8 et l'Histoire fournira certainement une réponse plus détaillée, en tout

9 cas en l'absence d'analyse plus approfondie, il est évident qu'une guerre

10 aussi sanglante entre les deux parties n'aurait pas pu éclater si les deux

11 parties étaient parvenues à une sorte d'accord mutuel parce que, s'il y

12 avait eu un accord, il devenait impossible d'expliquer pourquoi la guerre

13 a éclaté et, comme chacun le sait, cette guerre a été véritablement une

14 guerre sanglante.

15 A ce moment-là, il y a eu environ 15 000 soldats tués à cause de la JNA,

16 une dizaine de villes ont été détruites, 40 000 soldats ont été blessés.

17 M. Nobilo (interprétation). – De quel côté ?

18 M. Bilandzic (interprétation). – Du côté croate.

19 Il est absolument impossible de comprendre qu'une telle guerre aussi

20 sanglante ait pu éclater s'il avait existé un quelconque accord.

21 M. Nobilo (interprétation). – Donc, 15 000 morts, 40 000 blessés,

22 10 villes détruites, après que Tudjman et Milosevic aient conclu un accord

23 entre eux, pour vous, c'est impossible à croire ?

24 M. Bilandzic (interprétation). – Absolument.

25 M. Nobilo (interprétation). – Merci, Monsieur le Président, je n'ai plus

Page 11339

1 d'autres questions.

2 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président,

3 Messieurs les Juges, est-ce que je peux vous présenter une requête ?

4 M. le Président. – Oui, Monsieur le Professeur car nous allons procéder à

5 une pause maintenant, avant que les juges ne vous posent des questions.

6 Vous vouliez rajouter quelque chose ?

7 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Président, je voulais

8 simplement dire que j'ai laissé à la maison ma femme qui est très malade.

9 J'ai un billet d'avion pour demain.

10 Donc, si vous pouviez m'entendre, y compris plus longuement aujourd'hui,

11 il faut vraiment que je rentre à la maison d'urgence. J'ai reçu

12 aujourd'hui un appel téléphonique qui m'informe que ma femme doit être

13 hospitalisée.

14 M. le Président. – Vous avez tout à fait raison de le signaler,

15 Monsieur le Professeur, mais je pense qu'après la pause, nous en

16 terminerons avec les questions que vont vous poser les juges et que vous

17 serez donc tout à fait libéré ce soir.

18 M. Bilandzic (interprétation). – Merci beaucoup.

19 (L'audience, suspendue à 16 h 54, est reprise à 17 h 15.)

20 M. le Président. – La séance est reprise. Introduisez l'accusé.

21 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

22 M. Kehoe (interprétation). – Monsieur le Président, je crois que j'ai

23 oublié de demander le versement au dossier des pièces à conviction que

24 j'ai présentées au cours du contre-interrogatoire et j'aimerais avec

25 l'autorisation du Tribunal le faire maintenant, si vous me le permettez.

Page 11340

1 M. le Président. - Pas d'opposition ?

2 M. Nobilo (interprétation). – Nous aimerions que le Procureur précise le

3 document dont il parle car il a utilisé un grand nombre de documents.

4 M. le Président. - La vidéo, je pense ?

5 M. Kehoe (interprétation). – Oui, Monsieur le Président, la vidéo qui se

6 divise en deux séquences, pièces à conviction 4-6-3A et B, l'article du

7 "National" daté du 25 octobre 1996, pièces à conviction 4-6-4 et 4-6-4A,

8 et le texte de rétractation, pièce à conviction 4-6-5 –il n'en existe que

9 la version BCS-.

10 M. Nobilo (interprétation). – Pas d'objection.

11 M. le Président. – Bien, les pièces sont versées selon la numérotation

12 confirmée par le greffier ?

13 M. le Greffier. – Tout à fait, Monsieur le Juge.

14 M. le Président. – Très bien.

15 Nous allons terminer assez rapidement, Monsieur le Professeur, mais c'est

16 aux juges de poser maintenant les questions. Je passe tout de suite la

17 parole à M. le Juge Riad.

18 M. Riad (interprétation). – Bonjour, Monsieur le Professeur. Vous

19 m'entendez ?

20 M. Bilandzic (interprétation). – Je vous entends tout à fait, je vous

21 remercie.

22 M. Riad (interprétation). – J'ai écouté avec la plus grande attention le

23 contenu de votre déposition qui est d'une très grande qualité sur le plan

24 historique et j'aurais souhaité, en fait, pouvoir en entendre davantage et

25 lire un plus grand nombre de vos écrits. J'espère que je pourrai le faire,

Page 11341

1 mais il y a tout de même quelques éléments sur lesquels je souhaiterais

2 quelques éclaircissements.

3 L'un de ces éléments m'intéresse tout particulièrement, pas seulement en

4 rapport avec votre déposition d'ailleurs. Il s'agit du droit dont vous

5 avez parlé, du fait que le droit d'une nation pouvait reposer sur des

6 principes ethniques ou sur l'appartenance nationale ou encore sur

7 l'Histoire. Vous semblez identifier le principe ethnique avec le principe

8 d'appartenance nationale et vous avez dit que l'appartenance nationale

9 pouvait être comparée à l'autodétermination. J'aimerais donc un

10 éclaircissement car je pensais que le principe ethnique était davantage

11 lié à la race. Est-ce bien cela que vous pensiez, que l'appartenance

12 ethnique peut être la base de la création d'une nation ou est-ce que vous

13 envisagiez la question sous un angle plus large ? Est-ce que ma question

14 est claire pour vous, Monsieur le Professeur ?

15 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, tout à fait.

16 M. Riad (interprétation). – C'était donc ma première question qui portait

17 sur le principe ethnique. Qu'entendez-vous par là ?

18 M. Bilandzic (interprétation). – Monsieur le Juge, Monsieur le Président,

19 selon la théorie européenne, une nation est une association sociale qui

20 doit comporter un certain nombre d'éléments : la langue, la culture,

21 l'histoire et la composante spécifique, et la plus importante réside dans

22 le sentiment individuel que telle ou telle personne a le sentiment dans sa

23 conscience d'appartenir à une nation déterminée.

24 Je distingue entièrement la notion de nation de la notion de race.

25 D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup utiliser le terme de race. Mais, si ce

Page 11342

1 terme devait être entendu du point de vue conventionnel et populaire, dans

2 ce cas, à l'intérieur d'une race, il peut exister plusieurs nations. Par

3 exemple, et je dois dire que sur ces questions je ne suis pas vraiment un

4 expert, mais, parmi les Arabes, il peut exister dix nations ; parmi les

5 Slaves qui ne constituent pas une race d'ailleurs, mais un groupe social

6 de grande importance, il y a également une dizaine de nations. Donc, la

7 nation est un groupe plus restreint et, selon les critères européens, la

8 nation est indivisible, la nation ne peut pas se séparer en plusieurs

9 groupes, elle reste une et entière.

10 En ce qui concerne maintenant le principe d'autodétermination,

11 l'autodétermination est une qualification politique qui peut ou ne peut

12 pas, que l'on veut ou que l'on ne veut pas accorder à un peuple. Le peuple

13 a le droit ou n'a pas le droit à l'autodétermination. Par exemple, dans la

14 politique de Staline, le droit à l'autodétermination n'était pas accordé

15 aux peuples, les peuples n'avaient pas le droit de sortir de l'Union

16 Soviétique aussi longtemps que l'Union Soviétique ne s'est pas

17 désintégrée.

18 Maintenant, le principe ethnique vient du terme "ethnos". Un groupe

19 ethnique devient une nation lorsqu'il se détermine par rapport à son désir

20 en faveur d'un certain nombre de principes, mais le principe historique

21 est un principe que, moi, je n'accepte pas, que je ne reconnais pas. En

22 d'autres termes, je ne reconnais pas par exemple la possibilité pour des

23 empires anciens, parce qu'ils ont eu le pouvoir sur certains peuples à une

24 certaine époque, je ne leur accorde pas l'autorisation, le droit, de

25 bénéficier de nouveau de ce droit de dominer ces peuples plus tard, même

Page 11343

1 si le droit à l'autodéterrmination et le droit aux frontières historiques

2 se maintiennent.

3 Dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, les deux grands peuples -d'ailleurs,

4 pour être plus précis, il convient d'employer les termes de Serbie et de

5 Croatie- la Serbie et la Croatie ont, pendant plus de 150 ans, revendiqué

6 le droit à Bosnie-Herzégovine, aussi bien au nom du principe ethnique

7 qu'au nom du principe historique.

8 Je ne sais pas si j'ai été assez clair. En Europe, vous avez des nations

9 telles que la nation allemande, la nation française, la nation russe, la

10 nation italienne, la nation croate, la nation hongroise... Ce sont des

11 nations.

12 M. Riad (interprétation). - Pour revenir sur votre dernière affirmation,

13 lorsque vous avez dit que la Croatie et la Serbie prétendaient avoir un

14 droit sur la Bosnie sur la base du principe ethnique et sur la base du

15 principe historique, quel est ce principe historique et quel est ce

16 principe ethnique dans ce cas bien particulier de la Bosnie ?

17 M. Bilandzic (interprétation). - Nous parlons ici d'une tendance qui

18 remonte à 150 ans, tendance qui est née au milieu du 19ème siècle en tant

19 qu'idée, que projet, en tant que plan. Cette conception est née en raison

20 du fait que les deux parties estimaient que les Musulmans étaient des

21 Slaves, c'est-à-dire étaient Serbes pour les uns et Croates pour les

22 autres. Les deux parties s'appuyaient sur le fait que les uns et les

23 autres avaient une confession différente, car quand les Musulmans se sont

24 exprimés, il n'y avait pas de nation musulmane à l'époque en Europe, dans

25 le sens donné au terme de nation par la grande Révolution française.

Page 11344

1 C'est-à-dire que, lorsque la Bosnie-Herzégovine, en 1500 et quelque, a

2 pris le contrôle de la Bosnie-Herzégovine, s'est emparée de la Bosnie-

3 Herzégovine, elle n'y a trouvé que des Slaves, et des Slaves dont la

4 confession était pour les uns catholique, pour les autres orthodoxe.

5 Ensuite, leurs idéologues nationaux ont déclaré... Les idéologues

6 nationaux ont dit que les Musulmans qui ont adopté l'islam étaient

7 uniquement des Catholiques. C'est la théorie défendue

8 en Croatie. Alors qu'en Serbie, d'après Karadzic, d'autres théoriciens

9 disaient qu'il s'agissait uniquement d'Orthodoxes qui avaient adopté la

10 foi islamique et qui, donc, sont restés Serbes en changeant de religion

11 -ce qui, sur le plan scientifique, est impossible à prouver complètement,

12 dans la mesure où la conscience sociale du 19ème siècle n'avait rien à

13 voir avec la conscience sociale d'aujourd'hui... La conscience sociale du

14 Moyen-Age n'avait rien à voir avec la conscience sociale d'aujourd'hui.

15 M. Riad (interprétation). - Mais le dernier mot à dire, c'est bien que les

16 Bosniaques étaient des Slaves.

17 M. Bilandzic (interprétation). - C'est exact.

18 M. Riad (interprétation). - Il est vrai qu'on les appelle parfois des

19 Turcs. Est-ce une affirmation exacte ?

20 M. Bilandzic (interprétation). - Ceci aussi est exact. Mais sur le plan

21 ethnique, ils ont subi des évolutions, car les Turcs (même si je ne

22 connais pas bien leur histoire) ont peuplé la Bosnie. A l'époque, ils se

23 considéraient comme Bosniaques pour les uns, Turcs pour les autres...

24 C'est un statut qui est resté assez indéterminé pendant longtemps. Mais

25 les trois parties ont leur propre interprétation au sujet de ce statut.

Page 11345

1 Les Bosniaques d'aujourd'hui, les Serbes, les Croates ont chacun leur

2 explication par rapport au statut des Musulmans au Moyen-Age.

3 M. Riad (interprétation). - Quelle est l'interprétation, la version donnée

4 par les Bosniens ?

5 M. Bilandzic (interprétation). - La version donnée par les Bosniens (je

6 vous livre ici le point de vue contemporain)... Les Musulmans de Bosnie se

7 sont toujours considérés comme constituant un peuple distinct, un peuple

8 séparé. Lorsque la nation de Croatie et la nation serbe se sont créées,

9 les Musulmans de Bosnie ont adopté le point de vue consistant à dire

10 qu'ils étaient un élément autochtone. Cette tendance était faible, car

11 certains d'entre eux se

12 considéraient réellement Serbes ou Croates, mais à partir de la fin du

13 19ème siècle et surtout à partir de la création du royaume de Yougoslavie,

14 à partir de la création de la Yougoslavie socialiste de Tito. Les

15 Musulmans de Bosnie ont davantage que par le passé insisté sur le fait

16 qu'ils constituaient une unité nationale autochtone. La Yougoslavie leur a

17 accordé le droit de se considérer ainsi. Pour la première fois, ce droit

18 s'est vu inscrit dans la constitution de 1971. Autrement dit, aujourd'hui,

19 les Musulmans de Bosnie constituent de façon définitive une nation qui

20 possède une conscience nationale selon laquelle ils constituent une nation

21 distincte.

22 M. Riad (interprétation). - Merci beaucoup des informations que vous venez

23 de nous livrer.

24 J'aurais maintenant une autre question qui me vient à l'esprit. Vous

25 n'êtes pas obligé de répondre, d'ailleurs. Quand vous avez parlé des

Page 11346

1 négociations de Karadjordjevo, entre le Président Tudjman et le

2 Président Milosevic, vous avez dit que ces négociations portaient sur le

3 fait de savoir quels traitements accorder à la Bosnie-Herzégovine. Que

4 voulez-vous dire par là, qu'entendez-vous par le mot "traitement" ? Est-ce

5 que vous avez une définition ou une explication à nous fournir à ce

6 sujet ?

7 M. Bilandzic (interprétation). - Etant donné que je n'ai pas obtenu une

8 information complète et certaine quant au fait qu'il a réellement été

9 question de partage au cours de cette réunion, chose que j'ai déjà dite,

10 j'ai considéré cette réunion comme une action politique menée avant la

11 guerre et dont le but consistait à interroger l'adversaire, l'adversaire

12 dont on s'attend à ce qu'il fasse éclater la guerre, qu'on l'interroge

13 pour connaître son point de vue sur le problème.

14 Et, en deuxième lieu, j'ai pensé que cette réunion avait pour but de

15 gagner du temps.

16 Mais, sur le plan personnel, comme vous le savez, je suis favorable à

17 l'unité de la Bosnie-Herzégovine, donc quand quelqu'un a une conviction

18 personnelle, il n'est pas prêt à accepter des directives d'où qu'elles

19 viennent. Mais, je prétends de la façon la plus ferme qui soit que je n'ai

20 reçu aucun document au sujet de la réunion de Karadjordjevo et que

21 personne ne m'a

22 rien dit oralement à ce sujet, hormis le fait que cette réunion était

23 destinée à tester le point de vue des Serbes en ce qui concerne la Bosnie-

24 Herzégovine pour voir s'il était possible d'arriver à une sorte d'accord.

25 M. Riad (interprétation). - Je vous remercie.

Page 11347

1 M. Bilandzic (interprétation). – Je vous remercie.

2 M. Shahabuddeen (interprétation). – Monsieur le Professeur Bilandzic,

3 comme le Président de la Chambre vient de vous le dire, un Tribunal n'est

4 pas une académie d'Histoire. Néanmoins, nous vous sommes reconnaissants

5 d'être venu déposer ici. Et j'espère que je parviendrai à faire preuve de

6 la prudence nécessaire pour ne pas empiéter sur des sujets qui sont hors

7 de ma portée. Je me contenterai donc de vous poser quelques questions et

8 je commencerai par vous interroger au sujet de M. Djilas.

9 Est-ce que vous parliez de l'auteur yougoslave bien connu quand vous avez

10 parlé de M. Djilas ?

11 (Signe affirmatif du témoin.)

12 M. Shahabuddeen (interprétation). – Merci. M. Djilas avait donc une

13 personnalité à plusieurs facettes, n'est-ce pas, c'était à la fois un

14 responsable politique et un auteur. Mais je l'ignorais.

15 M. Bilandzic (interprétation). - C'est exact.

16 M. Shahabuddeen (interprétation). - Comme vous l'aurez apprécié, les juges

17 de cette Chambre s'intéressent particulièrement à la réunion de

18 Karadjordjevo et je comprends tout à fait, du moins je l'espère, la

19 position que vous avez exprimée. Vous avez dit avoir entendu parler de

20 cette réunion, mais n'avoir jamais rien vu qui émanait de cette réunion,

21 et vous ne vous sentez pas compétent pour dire ce qui peut s'être passé à

22 Karadjordjevo ou ce qui peut ne pas s'être passé à Karadjordjevo. Ai-je

23 raison de penser ainsi ?

24 M. Bilandzic (interprétation). – Oui.

25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Cependant, est-ce que je suis en droit

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1 de supposer, Monsieur le Professeur, que vous avez sans doute entendu des

2 théories circuler quant

3 au fait que la rencontre de Karadjordjevo a porté sur la division de la

4 Bosnie-Herzégovine ?

5 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, des rumeurs de cette nature ont

6 circulé.

7 M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur le Professeur, en tant que

8 personnalité scientifique, est-ce que vous avez pu être amené à penser que

9 c'était là une question importante ?

10 M. Bilandzic (interprétation). – Oui, je suis d'accord.

11 M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur, est-ce que vous avez pu

12 estimer que, sur la base de votre enquête scientifique, vous auriez pu

13 être encouragé, sinon largement incité à vérifier la nature de cet accord

14 allégué ?

15 M. Bilandzic (interprétation). - Eh bien, si je vis encore cinq ou six

16 ans, car j'ai 75 ans aujourd'hui, j'espère que pendant ces cinq ou six

17 années à venir, j'accéderai à des informations que je ne connais pas

18 aujourd'hui et d'ailleurs pas seulement au sujet de Karadjordjevo, mais

19 sur bien d'autres sujets.

20 Il est bien connu que des informations se font jour aujourd'hui au sujet

21 de l'empire romain, et uniquement aujourd'hui. Il est bien connu qu'en ce

22 qui concerne la vie politique et la vie sociale en URSS ou dans l'ex-

23 Yougoslavie, certaines informations se font jour aujourd'hui. Le recul du

24 temps est absolument indispensable pour procéder à une analyse valable, de

25 qualité probante et équitable sur le passé.

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1 M. Shahabuddeen (interprétation). – Donc, je crois comprendre que ce que

2 vous me dites, c'est oui, vous reconnaissez qu'il s'agit là d'une question

3 importante qui aurait probablement suffi à mobiliser l'esprit d'un

4 scientifique de haut rang. Mais vous reconnaissez que pour des raisons

5 matérielles, que pour des raisons de temps, il convient de remettre à plus

6 tard l'examen approfondi de la question de façon à parvenir à une

7 appréciation objective de ce qui

8 s'est passé.

9 M. Bilandzic (interprétation). - C'est ainsi, c'est bien cela.

10 M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur le Professeur, avez-vous

11 vu... Enfin, je sais que vous l'avez vu, mais accepteriez-vous de vous

12 rappeler la séquence vidéo qui vous a été diffusée hier et aujourd'hui, je

13 parle de cette séquence d'une émission télévisée ? Je crois que vous vous

14 êtes préparé à cette émission et qu'après vous y être préparé, après y

15 avoir parlé, M. Letica a également pris la parole dans cette émission

16 télévisée. Vous savez de qui je parle ?

17 (Signe affirmatif du témoin.)

18 Est-ce que je me rappelle bien ce qu'il a dit, je n'ai pas pris ses propos

19 en note, mais je me rappelle qu'il a parlé de carte et de la division de

20 la Bosnie-Herzégovine. Vous rappelez-vous l'avoir entendu parlé de ces

21 sujets ?

22 M. Bilandzic (interprétation). - Oui.

23 M. Shahabuddeen (interprétation). - Le connaissiez-vous ?

24 M. Bilandzic (interprétation). - Oui.

25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Avez-vous jamais vu cette séquence

Page 11350

1 vidéo, cette séquence de l'émission de télévision avant la journée

2 d'aujourd'hui ?

3 M. Bilandzic (interprétation). - Je crois que c'est une séquence qui a été

4 tirée du film de la BBC, vie et mort de l'ex-Yougoslavie et si c'est cela,

5 j'ai vu ce film, vie et mort de l'ex-Yougoslavie. Je me rappelle qu'il s'y

6 est exprimé et je puis vous dire, en toute honnêteté, qu'en tant qu'idée,

7 en tant que projet, je n'ai jamais vu la moindre carte relative à la

8 division de la Bosnie. Quant au fait de savoir si lui avait des

9 connaissances à ce sujet, je n'ai jamais parlé de cette question avec lui.

10 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je reconnais... Je comprends cela

11 parfaitement bien. Vous n'avez pas, personnellement, eu la moindre

12 connaissance des cartes. Mais en regardant de temps en temps des émissions

13 à la télévision, avez-vous estimé avoir la moindre raison de penser qu'il

14 ne disait pas la vérité ?

15 M. Bilandzic (interprétation). - L'émission télévisée est relativement

16 bien écrite, relativement honnêtement écrite, mais il y a une chose que

17 j'ai oubliée de vous dire ici, je suis entré dans la vie politique en 1939

18 et ce, au sein du mouvement communiste, le mouvement communiste a

19 condamné, avec la plus grande énergie, je souligne avec la plus grande

20 énergie, la bourgeoisie serbe et croate en raison du partage de la Bosnie.

21 Et pendant 50 à 60 ans, c'est-à-dire à partir de 1939 et même avant

22 d'ailleurs, les communistes défendaient une conception complètement

23 différente.

24 Dans la guerre, en 1941, ils ont décidé que la Bosnie devait être un Etat,

25 ce que je veux dire par là, c'est que la Bosnie devait être une des

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1 entités fédérales à égalité avec les autres et pour nous communistes...

2 M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur le Professeur, peut-être

3 dois-je vous fournir des explications complémentaires, je ne suis pas en

4 train de vous interroger au sujet de votre position personnelle, ce que je

5 vous demande simplement c'est si à l'époque vous pensiez que M. Letica ne

6 disait pas la vérité.

7 M. Bilandzic (interprétation). - Je ne peux pas vous répondre précisément

8 à cette question parce que Letica n'est pas très clair non plus sur ce

9 sujet. Il a dit qu'il existait des cartes mais il n'a pas dit : "J'ai vu

10 ces cartes" de sorte que je ne sais pas et moi je ne lui ai pas posé la

11 question, mais j'aurais voulu conclure en disant que nous, les

12 communistes, nous avons acquis dans nos veines, dans nos capillaires,

13 l'idée que la Bosnie devait exister.

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je vous comprends tout à fait,

15 Monsieur le Professeur, mais permettez-moi de vous poser une question

16 complémentaire sur ce même point. Au moment où vous avez vu cette

17 séquence, y a-t-il eu quelqu'un, une personne ayant des responsabilités en

18 Croatie qui ait dit que M. Letica ne disait pas la vérité ?

19 M. Bilandzic (interprétation). - A Zagreb, il n'y a pas eu de débats

20 publics dans les milieux officiels, dans les milieux importants de la

21 société au sujet de cette émission, de sorte que je n'ai pas eu la

22 possibilité d'apprendre ce que les particuliers ou l'opinion publique de

23 façon générale pensait de cette émission et plus précisément des propos

24 tenus par Letica.

25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Monsieur le Professeur, sur la base de

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1 ce que vous avez dit, nous savons que vous vous êtes opposé, pour les

2 raisons que vous avez expliquées, à la division de la Bosnie-Herzégovine.

3 Suis-je en droit de penser que ce que vous avez dit, que le fait que vous

4 ayez fait opposition, que vous vous soyez opposé à division de la Bosnie-

5 Herzégovine impliquait que vous saviez qu'il existait un plan visant à

6 diviser la Bosnie-Herzégovine et que c'est à cela que vous vous opposiez ?

7 M. Bilandzic (interprétation). - Dans la vie politique publique, dans les

8 mass média et dans d'autres instruments publics, le thème de la Bosnie

9 était toujours au premier plan. Et j'ai réagi à tous les propos que

10 j'entendais dans le public au sujet de la Bosnie-Herzégovine en affirmant

11 chaque fois qu'il convenait de s'en tenir à la constitution de 1974, mais

12 je suis un peu fatigué en ce moment et je ne vois pas très bien ce que je

13 pourrais dire de plus sur ce sujet.

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Je comprends bien. Je ne vais donc pas

15 vous épuiser. Je conclurai, si vous me le permettez, avec deux questions

16 brèves. Le Président aura également des questions à vous poser, mais je

17 suis tout à fait certain qu'il satisfera à votre désir de vous échapper,

18 si je puis m'exprimer ainsi.

19 Monsieur le Professeur, vous avez été membre de la commission qui a été

20 officiellement créée, je suppose, est-ce qu'elle a été créée

21 officiellement, légalement par un édit ? De quelle façon a-t-elle été

22 créée ?

23 M. Bilandzic (interprétation). - La dénomination n'était pas la

24 dénomination de commission, mais de groupe d'experts. Ce groupe d'experts

25 était chargé d'interroger l'autre partie pour connaître ses intentions au

Page 11353

1 sujet de la Bosnie-Herzégovine et, d'une façon ou d'une

2 autre, se faire une idée de la stratégie qui était en cours de préparation

3 à l'évidence à l'époque, car la situation était extrêmement dramatique, la

4 guerre était tout à fait imminente. Donc, il importait d'entendre ce que

5 les autres acteurs de ce drame pensaient dans ce contexte. Et dans ce

6 contexte, il y a eu également des discussions au sujet de la Bosnie-

7 Herzégovine.

8 M. Shahabuddeen (interprétation). - Mais ce groupe d'experts avait-il un

9 quelconque mandat ?

10 M. Bilandzic (interprétation). – Non, absolument pas.

11 M. Shahabuddeen (interprétation). - Cette commission s'est heurtée à un

12 certain nombre de difficultés que vous avez expliquées.

13 (Signe affirmatif du témoin.)

14 M. Shahabuddeen (interprétation). - Ces difficultés portaient-elles sur le

15 principe de la division de la Bosnie-Herzégovine ou bien portaient-elles

16 sur des obstacles liés à la mise en oeuvre du principe de la division de

17 la Bosnie-Herzégovine ?

18 M. Bilandzic (interprétation). - C'est une très bonne question, c'est une

19 question, d'ailleurs, qui m'inspirera des idées dans l'avenir, qui sera

20 pour moi une source d'inspiration dans mes réflexions à l'avenir.

21 Sur le plan psychique, sur le plan de la conscience, sur le plan de

22 l'esprit, comme vous voudrez, nous étions obsédés par le problème de

23 l'intégralité du conflit qui avait éclaté, qui allait éclater sur le

24 territoire de l'ex-Yougoslavie. Et notre attention était concentrée, j'ai

25 du mal à trouver le terme le plus approprié, mais nous nous occupions à

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1 tel point du problème consistant à se demander si nous allions sortir de

2 cette situation impossible ou si le sang allait couler, que le groupe

3 d'experts s'est axé sur les problèmes de la Yougoslavie en tant qu'entité

4 intégrale, nous avons décidé de penser d'abord à la Yougoslavie en tant

5 qu'entité intégrale avant de décider si nous allions respecter et nous

6 pensions que, si nous respections le droit des Républiques en tant

7 qu'entité, nous arriverions à empêcher la guerre et c'est ainsi qu'à 95 %,

8 notre réflexion et le débat de l'époque au sujet de la Bosnie-Herzégovine

9 étaient axés sur une vision de la Yougoslavie unifiée.

10 Quel était le projet serbe, s'agissant de l'intégralité de la Yougoslavie

11 ou quel était le projet croate s'agissant de l'intégralité de la

12 Yougoslavie, n'était pas notre problème prioritaire à l'époque, car nous

13 étions obsédés par ce sujet et par la nécessité de trouver une issue à la

14 situation.

15 M. Shahabuddeen (interprétation). - Il y a encore un intérêt que j'ai à

16 l'esprit. Vous avez parlé de la publication d'une rétractation partielle

17 par rapport au contenu de l'article du "National" et dans cette

18 réfutation, rétractation, vous dites, je cite : "Ceci n'est pas une

19 déformation substantielle de ce que j'ai dit." (fin de citation). En

20 d'autres termes, dans la correction que vous avez apportée au contenu de

21 l'article, vous avez souligné certaines erreurs, mais vous avez dit que

22 ces erreurs n'avaient pas déformé de façon substantielle ce que vous aviez

23 dit. Vous vous rappelez cela ?

24 (Signe affirmatif du témoin)

25 M. Shahabuddeen (interprétation). - Et vous avez rédigé cette correction,

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1 cette rétractation de votre propre main ?

2 (Signe affirmatif du témoin)

3 M. Shahabuddeen (interprétation). - Est-ce que cette déclaration

4 s'applique également à la partie inédite de votre rétractation ? Seriez-

5 vous prêt à dire aujourd'hui que, eu égard à la partie qui n'a pas été

6 publiée de votre rétractation…

7 M. Bilandzic (interprétation). - Dans ce démenti, j'ai simplement déclaré

8 que mon interprétation au sujet des tractations à venir quant à la

9 division de la Bosnie-Herzégovine n'a pas été donnée au Président Tudjman,

10 mais que ce sont les journalistes qui l'ont élaborée. Mais ils ont laissé

11 cela de côté, car ils avaient sans doute un dessein déterminé à l'esprit.

12 M. Shahabuddeen (interprétation). - Nous savons tous quelles difficultés

13 peuvent

14 poser les journalistes. Permettez-moi de vous poser une dernière question.

15 Si le Président Tudjman et le Président Milosevic avaient bien conclu un

16 accord visant à diviser la Bosnie-Herzégovine, considéreriez-vous cela

17 comme une question de fond ?

18 M. Bilandzic (interprétation). - Eh bien, si vous voulez savoir ce que je

19 pense à ce sujet aujourd'hui, et je ne parle pas de ce que je pensais de

20 cela à l'époque, je pensais que ces deux dirigeants politiques essayaient

21 de se leurrer l'un l'autre par le moyen de la ruse et de la manoeuvre au

22 cours de ces pourparlers, d'une part pour que la guerre soit retardée sur

23 le territoire de la Croatie et d'autre part, pour que la Serbie parvienne

24 à attirer la Croatie dans un jeu qui n'était pas à l'avantage de la

25 Croatie.

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1 C'est la raison pour laquelle j'ai dit que la mission de notre groupe

2 d'experts consistait principalement à prendre en compte la Yougoslavie en

3 tant qu'unité intégrale.

4 M. Shahabuddeen (interprétation). - Les responsables politiques jouent

5 souvent un jeu de poker, vous connaissez cette expression. Eh bien, si

6 votre première déclaration publiée dans le National faisait référence à un

7 accord conclu à Karadjordjevo entre les deux Présidents, serais-je en

8 droit de supposer que le démenti publié par vous ultérieurement n'avait

9 pas pour but de s'appliquer à ce sujet, de concerner ce sujet ?

10 M. Bilandzic (interprétation). - Cette partie où je parlais ici de ces

11 obstacles, je voulais simplement dire qu'il n'était pas exact que je

12 m'étais adressé au Président Tudjman ou que j'avais fait une déclaration à

13 cette personne.

14 Là, ici je n'ai pas réussi tout à fait à voir quel était le centre de la

15 question, je vais reprendre la question.

16 M. Shahabuddeen (interprétation). - Oui, ici votre rétractation, dans

17 votre rétractation si vous disiez que les erreurs dont vous vous êtes

18 plaint n'avaient pas altéré le contenu, la teneur relative à la première

19 obligation, de la première déclaration, eh bien la deuxième question est

20 la suivante : si la première publication qui se rapportait à vous et qui

21 se

22 rapportait également à Karadjordjevo relative à l'établissement en vue

23 d'un partage de la Bosnie-Herzégovine, est-ce que vous considéreriez ceci

24 comme un sujet ayant une incidence directe dans le contenu de...

25 M. Bilandzic (interprétation). - Oui dans la réponse que j'ai transmise...

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1 D'abord ce n'était pas moi qui leur ait parlé à eux de ces trois obstacles

2 et je leur ai dit que je n'avais jamais vu aucune carte. Eux, par leur

3 propre raison qui leur appartenait, ils ont extrait cette formulation du

4 démenti, j'ai essayé d'écrire un troisième démenti sur ces entrefaites.

5 Donc parfois les rédacteurs des journaux ont parfois des relations quelque

6 peu différentes avec les auteurs. Ils veulent conserver et parfois ils ne

7 souhaitent même pas modifier les attitudes, les opinions qu'ils ont eux-

8 mêmes en matière politique.

9 M. Shahabuddeen (interprétation). - Oui, Professeur vous m'encouragez ici

10 à vous poser quelques autres questions, mais nous sommes déjà à 17 h 55 et

11 déjà vous êtes quelque peu fatigué, également votre épouse est souffrante,

12 donc j'aimerais ici reprendre, je m'adresse d'une voix au Président de la

13 Chambre, je vous remercie.

14 M. le Président. - Monsieur le Juge et je le dis également au Juge Riad,

15 vous voulez qu'on termine ce soir et il va de soi, Monsieur le

16 Juge Shahabuddeen, que si vous avez d'autres questions à poser, vous les

17 posez, il n'y a aucun problème. Bien, écoutez, nous avons entendu que vous

18 êtes fatigué, vous avez subi un long interrogatoire et un long contre-

19 interrogatoire. Je vais aller très vite. Je vais d'abord vous demander une

20 précision. Vous êtes un opposant à M. Tudjman depuis quand exactement ?

21 M. Bilandzic (interprétation). - Oui, moi en tant que membre du comité

22 central du parti communiste de Croatie, j'ai participé de manière continue

23 aux travaux de ce parti et ce parti a modifié son nom en tant que parti

24 social-démocrate et ce parti a procédé à des modifications radicales de sa

25 politique et de son idéologie en rejetant les caractéristiques

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1 fondamentales du communisme. Elle a rejeté le régime de parti unique,

2 l'idéologie marxiste en

3 matière d'économie et accepté un régime multipartite, elle a accepté les

4 mécanismes du marché.

5 M. le Président. - Permettez-moi, puisque nous voulons allez vite, ma

6 question est

7 très simple, vous êtes un opposant à M. Tudjman depuis quand exactement ?

8 C'est une question claire, ça doit être facile. C'est en 1988, 1989,

9 1990 ?

10 M. Bilandzic (interprétation). - Formellement, nous sommes dans

11 l'opposition depuis le moment où nous avons perdu le pouvoir. Nous avons

12 perdu le pouvoir, nous ex-communistes, au moment des premières élections

13 parlementaires en mai 1990, nous avons été contraints de passer à

14 l'opposition. Encore aujourd'hui, nous sommes dans l'opposition, en

15 espérant qu'à l'occasion des prochaines élections nous serons en mesure de

16 participer à la constitution d'un nouveau pouvoir.

17 M. le Président. - C'est le but de tout parti politique dans un régime

18 démocratique, de conquérir de nouveau le pouvoir quand on l'a perdu.

19 Vous êtes donc, en mai 90, dans l'opposition. Pourtant, si j'ai bien

20 compris, le Président Tudjman fait appel à vous comme conseiller. Vous

21 occupez des fonctions... Elles sont quoi, ces fonctions ? Un peu occultes,

22 cachées, pas cachées, officielles, pas officielles ? Vous occupez quand

23 même... Il vous demande de faire une mission en Serbie. Quel est votre

24 rôle ? Cela ne doit pas être confortable comme rôle, je suppose. Vous

25 voyez ma question ? Vous êtes un confident du Président Tudjman ou vous

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1 êtes un opposant officiel... J'avoue que je ne comprends pas très bien.

2 M. Bilandzic (interprétation). - Nous, depuis 1939, nous sommes membres du

3 mouvement communiste. Donc nous avons été des communistes. Nous avons,

4 pendant quatre ans, été des partisans...

5 M. le Président. - J'ai compris tout cela...

6 M. Bilandzic (interprétation). - ... et l'un et l'autre, nous avons

7 poursuivi, de manière privée (et ceci à l'époque de l'ancien régime)...

8 Nous nous sommes efforcés de

9 poursuivre des contacts particuliers. A l'époque où il était nécessaire

10 d'aller à Belgrade, il est parti d'un fait de base qui était que, moi,

11 j'avais vécu à Belgrade pendant vingt ans et que je connaissais une masse

12 considérable de gens là-bas et particulièrement les classes dirigeantes de

13 Belgrade. Le Président Tudjman avait la conviction qu'une personne qui

14 connaît aussi bien les hommes politiques de la Serbie et les intellectuels

15 de la Serbie était la personne la plus idoine pour établir des contacts.

16 M. le Président. - Voilà qui est une réponse très claire.

17 Votre parti, dont vous êtes, semble-t-il, un membre éminent, a-t-il dans

18 son programme d'opposition, au moment de tous ces événements, a-t-il une

19 position très claire sur la question de la Bosnie ? Est-ce un point

20 essentiel dans l'opposition au Président Tudjman, ou avez-vous d'autres

21 oppositions sur l'économie, la culture, le partage des richesses, etc.

22 Est-ce un point important d'opposition ? Est-ce que, quand vous voyez

23 M. Tudjman -puisque vous êtes amis, semble-t-il- est-ce que vous lui

24 dites : "mon parti ne peut pas accepter cette position vis-à-vis de l'une

25 des Républiques fondatrices ?"

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1 M. Bilandzic (interprétation). - Le point central des divergences entre le

2 parti au pouvoir et moi est que nous avions un projet différent en ce qui

3 concernait les méthodes relatives à la privatisation des anciens éléments

4 de propriétés sociales, en ce qui concernait les relations par rapport aux

5 moyens de communication, en ce qui concernait l'établissement de l'Etat de

6 droit... Et peut-être que vous allez être un peu étonnés de cela : nous,

7 qui pendant 50 ans, avions tenté de réaliser un régime conformément à une

8 idéologie, quand nous avons subi une défaite, nous avons estimé qu'il

9 était nécessaire d'entrer dans la société civile de manière plus résolue

10 et qu'il était nécessaire de développer les institutions d'une société

11 politique multipartite et la pratique d'un parti dominant, avec un

12 comportement triomphaliste qui s'emparerait du pouvoir. Une telle

13 approche, par sa nature-même, va introduire des éléments d'autoritarisme

14 dans la société. Et nous, nous pensions, de notre côté, que nous avions

15 été guéris d'une pareille maladie. Nous l'espérons, nous le pensons...

16 Peut-être que nous allons être mauvais lorsque nous arriverons au pouvoir,

17 mais...

18 M. le Président. - Nous ne sommes pas là dans une tribune politique.

19 Je poursuis mon raisonnement. Votre parti est un parti d'opposition

20 classique : sur nombre de points, vous avez des conceptions différentes du

21 parti au pouvoir. Mais sur la question cruciale dans les années 88-90 de

22 la tragédie qui se prépare, est-ce que votre parti, dans son congrès

23 annuel par exemple, est-ce qu'il émet des positions fermes ? J'ai cru

24 comprendre qu'il y en avait une qui était ferme : le maintien des

25 frontières des six Républiques internes. Est-ce que c'est cela, ou est-ce

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1 que vous ne vous en occupez pas ?

2 M. Bilandzic (interprétation). - Le parti communiste de Croatie a été

3 connu qu'elle avait une rotation presque exclusivement titoïste. Elle

4 s'attachait de manière très ferme au principe de l'intangibilité des

5 frontières inter-républicaines de l'ancienne Yougoslavie. Et pas seulement

6 cela : nous, jusqu'au début de la dissolution de la fédération yougoslave,

7 nous n'avons jamais, même en pleine imagination (et encore moins dans la

8 réalité), nous n'avons jamais pu songer au fait que nous aurions pu

9 accepter la modification des frontières inter-républicaines. Il s'agissait

10 ici d'une référence fondamentale pour nous autres communistes. Il

11 s'agissait d'un élément de croyance fondamental.

12 M. le Président. - La question que je voudrais vous poser maintenant :

13 lorsque se développe toute une propagande, aussi bien en Bosnie centrale

14 que certainement peut-être à Zagreb, par rapport à cette annexion, cette

15 possibilité, sur la base ethnique, historique, culturelle, que cette

16 partie de ce territoire bosniaque devrait devenir une sorte de grande

17 Croatie... Ma question précise est celle-ci : est-ce que votre parti fait

18 quelque chose ? Est-ce que, non seulement il le dit, mais il fait ? Est-ce

19 que vous avez publié des articles ? Est-ce que vous avez dénoncé cette

20 propagande ? Est-ce que vous avez dit que le bain de sang allait arriver ?

21 Est-ce que vous avez dit que le droit international, humanitaire serait en

22 danger et

23 qu'en fin de compte toutes les Républiques finiraient par y perdre leur

24 âme ? Est-ce que votre parti a fait quelque chose et vous aussi par là-

25 même ? Ou est-ce que, au fond, vous avez laissé s'écouler ? Car la

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1 propagande vous l'avez entendue, je suppose, quel est votre sentiment là-

2 dessus, comment s'est défini votre parti ?

3 M. Bilandzic (interprétation). – Là, j'aimerais ici me corriger moi-même.

4 Quand j'ai dit que nous étions dans l'opposition depuis le premier jour,

5 j'ai oublié de vous dire qu'au cours de l'été 1991, au moment de la guerre

6 généralisée avec l'armée populaire yougoslave et avec la Serbie, a été

7 créé ce que l'on a appelé le gouvernement d'unité nationale ou le Vice-

8 Président de mon parti a assumé les fonctions de Vice-Président de ce

9 gouvernement d'union nationale dans le nouveau régime et il a été dans ses

10 fonctions pendant une année, un peu moins d'une année et, à ce moment-là,

11 le parti, du moins l'opinion publique ne le savait pas et notre parti ne

12 le savait pas, au moment où avait lieu, pour parler de Karadjordjevo,

13 notre parti n'a pas fait de déclaration publique à ce moment-là, mais il a

14 toujours répété qu'il continuait à rester sur la position de

15 l'intangibilité des frontières de la Bosnie-Herzégovine et non seulement,

16 pas seulement notre parti, mais également une pareille position a été

17 également adoptée par des partis comme par exemple le parti populaire

18 croate, le parti paysan croate et ainsi donc, la plus grande partie des

19 parties importantes de l'opposition, les trois ou quatre partis les plus

20 importants de l'opposition.

21 Ils se sont tous déclarés pour l'intégralité territoriale de la Bosnie

22 mais quand un peuple se trouve dans la guerre, à ce moment-là,

23 l'opposition se met dans une position un peu plus discrète et au nom de la

24 défense, je vais ici vous parler d'un fait que vous ne connaissez pas

25 encore peut-être, il n'y a jamais eu dans l'Histoire de la Croatie un

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1 événement comme celui de 1990-1991.

2 On n'avait jamais vu une situation… à ce moment-là, on n'a pas pu trouver

3 trois personnes en Croatie qui auraient défendu les positions de

4 l'agresseur au cours de la deuxième

5 guerre mondiale. La Croatie, à cette époque-là, avait été tragiquement

6 divisée, deux armées se sont combattues, pendant quatre ans, mais, à ce

7 moment-là, il y a eu une unité totale de la nation et là, l'ensemble des

8 partis se sont unis autour de l'unité de la nation et les partis

9 d'opposition à ce moment-là, n'ont pas souhaité, ne pouvaient pas apporter

10 des critiques dures à l'égard de la politique menée par le parti au

11 pouvoir, car il s'agissait d'une agression à ce moment-là contre l'Etat

12 qui venait d'être constitué et, à ce moment-là… donc là, maintenant, nous

13 trouvons une situation où le parti au pouvoir n'est plus en situation

14 aussi difficile.

15 M. le Président. – Je comprends très bien que lorsqu'il y a des événements

16 tragiques comme ceux-là, et qu'il y a un gouvernement d'union nationale,

17 l'opposition évidemment est obligée de nuancer son opposition.

18 Ma dernière question est celle-ci : sur la base des positions de votre

19 parti, des positions traditionnelles de votre parti, héritier du parti

20 révolutionnaire et communiste, ma question est celle-ci : si lorsque

21 l'étau, la guerre contre les Serbes se termine, s'il était prouvé devant

22 vous, je dis bien s'il était prouvé devant vous, que votre pays –là, nous

23 ne sommes plus dans une situation aussi tragique d'union nationale, s'il

24 était prouvé d'une façon ou d'une autre que votre pays participe d'une

25 manière ou d'une autre à un projet d'infiltration militaire de propagande

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1 dans une partie de la Bosnie, cela a été prouvé, est-ce que vous

2 condamneriez ceci ?

3 M. Bilandzic (interprétation). - Notre parti, s'il avait eu la possibilité

4 de condamner une pareille politique, ceci aurait été une conséquence

5 directe de sa stratégie politique, de cette doctrine politique de

6 l'idéologie de notre parti.

7 M. le Président. – Merci, vous avez répondu très complètement à toutes les

8 questions, vous devez être très fatigué, Monsieur le Professeur. J'espère

9 que vous allez arriver à prendre votre avion, et que surtout, quand vous

10 rentrerez, vous trouverez de meilleures nouvelles de votre épouse.

11 Vous vouliez ajouter quelque chose peut-être, sinon c'est terminé.

12 M. Bilandzic (interprétation). - Oui j'aimerais ajouter.

13 (Le témoin se lève.)

14 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je suis absolument conscient

15 de la terrible responsabilité que vous avez prise sur vous, même si le

16 droit se concentre sur l'être humain, vous avez uniquement ici un être

17 humain devant vous, vous avez eu ici toute une série de peuples qui sont

18 passés par un calvaire tragique. Moi je sais pour ma part que vous portez

19 en vous une conscience à propos de cela et que vous devez assumer une

20 fonction extrêmement lourde, mais ma propre expérience personnelle, est

21 que -et également ceci a été prouvé devant ce Tribunal- il existe une

22 éthique du droit et cette éthique m'a laissé une impression très agréable,

23 très positive, je suis enthousiasmé par la procédure extrêmement correcte

24 qui a été appliquée ici.

25 Si j'ai pu être d'une aide quelconque au cours de cette procédure, c'est

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1 une chose qui m'aura été d'autant plus agréable, je sais à quel point

2 votre fonction est difficile et j'espère voilà, comme on dit, selon le

3 dicton : "Que Dieu vous aide". Je vous remercie et je suis très heureux

4 d'avoir eu la possibilité de vous apporter une aide quelle qu'elle pût

5 être.

6 M. le Président. - Je peux vous rassurer d'ores et déjà tout de suite que

7 vous nous avez apporté une aide très précieuse et le Tribunal, je me fais

8 l'interprète de mes collègues pour vous remercier et vous dire toute notre

9 gratitude d'être venu pour ces deux longues journées de témoignage.

10 A présent, nous vous souhaitons un retour serein en espérant que vous y

11 trouverez de bonnes nouvelles dans votre famille.

12 Nous allons vous raccompagner. Vous n'allez pas bouger. Nous allons lever

13 la séance, nous la reprenons demain -je ne voudrais pas me tromper comme

14 hier- Monsieur le Greffier, à 10 heures, demain matin.

15 M. le Greffier. - C'est bien cela.

16 M. le Président. - A présent, l'audience est levée.

17 L'audience est levée à 18 heures 15.

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