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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-14-T
2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE
3
4 LE PROCUREUR
5 c/
6 Tihomir BLASKIC
7 Mercredi 17 février 1999
8
9 L’audience est ouverte à 13 heures 40.
10 M. le Président. – Veuillez vous asseoir. Monsieur le greffier,
11 vous pouvez faire entrer l'accusé, s'il vous plaît.
12 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)
13 Bien, je voudrais d'abord m'assurer que les interprètes et les
14 personnes qui m'entendent. La technique est au point.
15 Je salue les conseils de l'accusation, les conseils de la
16 défense et l'accusé. Nous continuons notre procédure d'audition des
17 témoins de la défense. Je donne la parole à Me Hayman ou Me Nobilo ?
18 M. Nobilo (interprétation). – Bonjour, Monsieur le Président,
19 Messieurs les Juges. Je propose que le témoin de la défense, le général
20 Tihomir Blaskic prenne la place du témoin et que l'on commence
21 l'interrogatoire principal.
22 M. le Président. – Nous allons inviter l'accusé à devenir
23 témoin. Si le général Blaskic peut venir au banc des témoins procéder à
24 son audition et à son interrogatoire principal.
25 Vous restez debout et vous prenez les écouteurs. Bien, est-ce
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1 que vous m'entendez ?
2 M. Blaskic (interprétation). – Oui. Monsieur le Président,
3 Messieurs les Juges, je vous entends.
4 M. le Président. - Vous allez rester debout quelques instants.
5 Vous allez, aux Juges et à la Cour, rappeler vos prénom, nom et votre
6 grade dans l'armée, votre dernière résidence au moment où vous vous êtes
7 rendu volontairement à La Haye. Ensuite, vous prêterez serment comme le
8 veulent les règles de procédure en vigueur devant ce Tribunal. Nous vous
9 écoutons.
10 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
11 les Juges, je suis le général Tihomir Blaskic, ma dernière résidence a été
12 Zagreb. A Zagreb, j'ai décidé de me rendre librement au Tribunal à
13 La Haye.
14 M. le Président. – Pouvez-vous nous rappeler vos date et lieu de
15 naissance, s'il vous plaît ?
16 M. Blaskic (interprétation). – Je né le 2 novembre 1960, à
17 Kiseljak, dans la municipalité de Kiseljak.
18 M. le Président. – Je vous remercie. Pouvez-vous prêter serment,
19 après quoi vous pourrez vous asseoir.
20 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
21 les Juges, je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la
22 vérité et rien que la vérité.
23 M. le Président. - Vous pouvez à présent vous asseoir pour une
24 période de temps qui sera vraisemblablement assez longue d'après ce que
25 nous ont dit vos défenseurs.
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1 Je vous rappelle que vous êtes mis en accusation devant le
2 Tribunal pénal international pour trois infractions prévues par notre
3 Statut, à savoir :
4 l'article 2 "Infractions graves aux Conventions de Genève",
5 l'article 3 "Violations des lois aux coutumes de la guerre"
6 et, enfin, l'article 5 "Crime contre l'humanité".
7 D'autre part, aux termes de nos règles de procédure,
8 l'article 85 prévoit que l'accusé peut, s'il le souhaite, comparaître en
9 qualité de témoin pour sa propre défense. Le Tribunal n'a pas à juger de
10 l'opportunité de ce choix de mode de défense, qui est la stratégie mise au
11 point par vos conseils.
12 Dans ces conditions, vous allez devenir, le temps de votre
13 déposition, un témoin soumis aux mêmes obligations qu'un autre témoin,
14 notamment en ce qui concerne la véracité du témoignage. A présent, je
15 crois que nous pouvons commencer. Les juges ont accédé à la demande de vos
16 défenseurs que les gardes qui vous entourent soient à une distance
17 convenable pour que vous puissiez bien vous installer.
18 Je vous rappelle ce que vous savez, que vous ne devez pas parler
19 trop vite sinon les interprètes auront du mal à vous suivre. Vous pouvez
20 le cas échéant utiliser des notes. Vous ne pouvez pas faire -vous le ferez
21 peut-être une autre fois- de déclaration générale. Vous devez donc
22 simplement consulter des notes pour rafraîchir votre mémoire. Détendez-
23 vous ! Vous êtes un témoin comme un autre témoin à partir de maintenant.
24 Vous allez commencer, soit votre déposition libre, soit répondre aux
25 questions de Me Nobilo. Après quoi, comme vous le savez, vous aurez à
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1 répondre aux questions du contre-interrogatoire assumé par l'accusation.
2 Maître Nobilo, c'est à vous.
3 M. Nobilo (interprétation). - Merci monsieur le Président. Etant
4 donné que vous avez mentionné les notes, je souhaite poser une question
5 préliminaire. Général Blaskic, est-ce que vous pouvez expliquer aux juges
6 de quelle manière vous avez préparé votre déposition d'aujourd'hui ?
7 Quelles actions avez-vous entreprises ? De quelle manière avez-vous
8 l'intention d'utiliser certains papiers ou certains documents ?
9 M. Blaskic (interprétation). - Au moment où j'ai pris
10 connaissance de l'acte d'accusation à mon encontre, en novembre 1995, à
11 l’époque déjà, j'ai commencé à préparer des notes personnelles sur la base
12 des documents que j'avais alors à ma disposition. Il s'agissait de
13 journaux de guerre, de journaux opérationnels et de certains ordres que
14 j'avais à ma disposition. Ce que j'ai fait pour la plupart, c’était de
15 réécrire ces documents et de me concentrer sur les dates, les événements
16 et éventuellement, les protagonistes de ces événements-là.
17 Après avoir fait ces notes, les avoir terminées, c'est à ce
18 moment-là que je suis arrivé ici. C'était en avril 1996 et je m'attendais
19 à ce que mon procès commence le 2 juin 1996. C’est à ce moment-là que j'ai
20 donné une interview au bureau du Procureur, mais mon conseil a considéré
21 qu'il fallait arrêter avec ce genre de déposition. J'ai commencé à
22 préparer ma déposition sur la base de mes notes. Ce que j’ai ici, il ne
23 s'agit pas d'une déclaration personnelle ; il s’agit uniquement de dates
24 et de certains points qui servent à rafraîchir ma mémoire, concernant
25 certains événements liés à cette guerre qui a duré deux ou plutôt trois
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1 ans.
2 M. Nobilo (interprétation). - Le premier sujet que je souhaite
3 aborder avec vous, c'est d’expliquer brièvement aux juges le parcours que
4 vous avez fait dans votre vie, votre formation, votre profession, votre
5 vie avant la décision d’aller vous rendre en Bosnie-Herzégovine.
6 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, je vais
7 parler dans ma déposition de ma carrière et je sais que, à un certain
8 moment, je me suis retrouvé en Bosnie centrale et je faisais de mon mieux
9 pour améliorer les choses. Je regrette profondément que ce que j'ai fait
10 de mon mieux n'a quand même pas suffi.
11 Comme je l’ai déjà dit, je suis né le 2 novembre 1960, dans la
12 municipalité de Kiseljak. Mes parents étaient ouvriers ; mon père
13 travaillait dans une mine et par la suite, il était chauffeur de société.
14 Dans ma famille, j'ai également une sœur qui s’appelle Zrinka qui est née
15 en 1966 et un frère Mario, né en 1972. C'est une personne handicapée qui
16 n'est pas
17 entièrement indépendante encore aujourd'hui.
18 J'ai vécu dans la communauté locale de Brestovsko. Il s'agit
19 d'un endroit dans la municipalité de Kiseljak. Mes voisins étaient des
20 Musulmans de Bosnie. Il y a eu également une agglomération de Tziganes, de
21 même que des Serbes. C'est là que j'ai terminé mon école primaire. J'y ai
22 vécu jusqu'à environ 1975, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 15 ans.
23 Après avoir terminé l'école primaire, j'ai poursuivi mes études
24 à Zagreb. J'ai passé deux ans à Zagreb dans l'école où j'ai acquis une
25 formation technique et chimique. Il s'agissait d'une école civile.
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1 Pour ma famille, le fait que je poursuivais mes études à Zagreb
2 constituait un grand fardeau financier, étant donné qu'il s'agissait d'un
3 coût de 115 000 dinars, à l'époque, alors que mon père gagnait environ
4 130 000 dinars par mois.
5 C'est surtout pour ces raisons financières, et pour d'autres
6 raisons, que j'ai décidé de continuer mes études à Belgrade, à l'école
7 militaire "Fraternité-Unité". Et c'est là que j'ai poursuivi ; j'ai fait
8 deux années de ma scolarité en 1979 et 1980.
9 M. Nobilo (interprétation). - Permettez moi de vous arrêter.
10 Vous avez dit que le nom de l'école militaire était "Fraternité-Unité".
11 Est-ce que vous pouvez expliquer aux Juges quelle est l'origine
12 de ce nom ?
13 Qu'est-ce que ce nom signifiait dans la doctrine de
14 l'ex-Yougoslavie ?
15 M. Blaskic (interprétation). - C'était une communauté
16 multiethnique, composée de plus de 25 groupes ethniques qui vivaient dans
17 cette région et ce nom "Fraternité-Unité" représentait l'égalité de tous
18 les points de vue, y compris du point de vue de la représentation de
19 certains groupes ethniques, de même que le respect et la liberté totale de
20 chaque peuple, de chaque groupe ethnique, de ses coutumes et de sa
21 confession.
22 Au sein de la JNA, on a considéré que ceci constituait la base
23 du fonctionnement de l'armée populaire yougoslave à l'époque et que cela
24 constituait la base sur laquelle toute l'armée
25 devait se fonder.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Merci. Poursuivez, s'il vous
2 plaît.
3 M. Blaskic (interprétation). - Après avoir terminé le lycée
4 militaire, j'ai eu le droit de passer un concours pour entrer dans l'une
5 des académies militaires. Je me suis inscrit à l'académie militaire de
6 l'armée de terre à Belgrade et c'est là que j'ai terminé encore trois ans
7 de mes études. Etant donné que j'ai choisi la section d'infanterie, j'ai
8 terminé la quatrième année de mes études à Sarajevo. Quant à la promotion
9 de tous les étudiants de l'académie militaire, pour moi, elle s'est passée
10 comme pour tout le monde le 30 juillet 1983.
11 Au sein de l'école militaire, les études ont été organisées
12 selon huit semestres. Durant la première année, il s'agissait surtout de
13 sujets généraux, donc pas spécialisés. Au cours de la troisième et de la
14 quatrième année, il s'agissait surtout de sujets militaires spécialisés.
15 Pendant une année de mes études, nous suivions également les
16 cours sur le droit militaire. Tout au long de mes études à l'académie
17 militaire, durant cette période ou j'ai été séparé de ma famille, entre
18 1975 et 1983, j'ai été interne : j'étais logé dans des chambres où
19 d'habitude il y avait un Croate, un Slovène, un Macédonien, un Albanais ou
20 bien un membre d'un autre groupe ethnique. Cela dépendait bien évidemment
21 de la taille des chambres, si elle était prévue pour deux ou trois ou
22 quatre personnes.
23 Après la fin de mes études, dans la période entre 83 et 87, j'ai
24 vécu dans les hôtels militaires. Et le principe était le même, c'est-à-
25 dire que, dans les Chambres, nous étions toujours un Croate, un Slovène,
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1 ou bien un Musulman et un Serbe. Il s'agissait donc de foyers militaires.
2 Durant mes études, nous étions stagiaires à des endroits
3 différents. Et moi-même je l'ai fait en tant que soldat recrue à Ohrid, en
4 1983. Et tout comme chaque autre soldat de la JNA, j'y ai passé deux mois
5 au cours desquels, j'ai suivi l'entraînement dans le cadre de
6 l'infanterie.
7 Ensuite, en 1982, j'ai effectué un autre stage. Je crois que
8 ceci s'est produit au mois d'avril, à Belgrade, dans la République
9 socialiste de Serbie. Durant ce stage, j'ai eu le poste de commandant de
10 peloton. Mon dernier stage à eu lieu à Niksic, dans l'ex-République
11 socialiste du Monténégro, en avril 83. Mon poste était celui de commandant
12 de peloton.
13 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit que vous avez eu vos
14 stages au sein de trois républiques, trois ex-Républiques socialistes
15 d'ex-Yougoslavie, alors que vous étiez croate, originaire d'une quatrième
16 République de l'ex-Yougoslavie.
17 M. Blaskic (interprétation). - Oui.
18 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit également que, dans
19 votre chambre, il y avait toujours un représentant de chaque groupe
20 ethnique ?
21 M. Blaskic (interprétation). - Oui.
22 M. Nobilo (interprétation). - Ces stages et ce mode de vie avec
23 la composition mixte, par exemple dans vos chambres, était-ce le produit
24 d'une coïncidence ? Ou bien était-ce planifié comme cela ? Dans ce cas,
25 quel en était le but ?
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1 M. Blaskic (interprétation). - Bien évidemment, il ne s'agissait
2 pas d'une coïncidence, au sein du lycée militaire et, par la suite, à
3 l'académie militaire. J'ai passé quatre années au sein de foyers
4 militaires également. J'ai toujours pu comprendre qu'il ne s'agissait pas
5 d'une coïncidence, mais que cela faisait partie de la doctrine de la JNA
6 qui souhaitait appliquer cette attitude égalitaire vis-à-vis de chaque
7 groupe ethnique et vis-à-vis de chaque nation.
8 Une attitude semblable était visible au sein des unités de la
9 JNA ou dans les commissions, au moment où les recrues étaient déployées,
10 l'on faisait un effort de les déployer selon le même principe, c'est-à-
11 dire le principe de la représentation égalitaire de chaque groupe
12 ethnique, chaque nation et minorité nationale qui existait sur le
13 territoire de l'ex-Yougoslavie.
14 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce qu'une telle attitude a
15 contribué à une meilleure compréhension entre les membres des différents
16 groupes ethniques qui se trouvaient au sein de la JNA, selon vous ?
17 M. Blaskic (interprétation). - Oui, je pense que cela a permis
18 une contribution importante des personnes pour accéder à ces institutions
19 de militaire, à l'âge de 14, 15 ou 16 ans. Il était donc important pour
20 les recrues, et pour toute la population en général, de connaître mieux
21 les membres d'autres groupes ethniques pour pouvoir ensuite œuvrer, de son
22 côté, pour cette même égalité et compréhension ethnique.
23 M. Nobilo (interprétation). – Après avoir terminé vos études
24 militaires, quel fut votre premier poste ?
25 M. Blaskic (interprétation). - J'ai commencé à travailler au
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1 sein de la 9ème armée des forces armées de l'ex-Yougoslavie, donc 9ème Corps
2 d'armée, qui se trouvait sur le territoire de l'ex-République socialiste
3 de Slovénie.
4 Tout d'abord, j'ai travaillé à Lubljana ; puis, à Pivka et
5 Postojna. A Lubljana, j'ai eu le poste de commandant de peloton
6 d'entraînement de l'école d'officiers de réserve. La taille de cette école
7 correspondait à une compagnie et le but était de donner un entraînement à
8 ces personnes pour qu'elles fassent partie de la défense territoriale dans
9 la République de Slovénie.
10 Peu de temps après, l'ancienne JNA s'est vue réorganisée et en
11 1995, cette unité a cessé d'exister, c'est-à-dire qu'elle a été
12 restructurée. A ce moment-là, j'ai pris le poste d'adjoint chargé de
13 l'entraînement des recrues à Lubljana. J'enseignais la défense populaire
14 généralisée. J'ai fait cela jusqu'en 1996, jusqu'au mois de mars.
15 J'enseignais des sujets liés à la tactique et je travaillais
16 avec le commandant Anton Tovornik. Etant donné que j'ai passé une certaine
17 période au sein du commandement du 9ème Corps d'armée, j'ai eu l'occasion
18 d'être au contact avec de hauts officiers de l'ex-JNA. En discutant avec
19 eux, j'ai appris qu'ils avaient prévu de me déplacer à la nouvelle
20 garnison à
21 Postojna.
22 Le 28 décembre 1985, la personne chargée du service de personnel
23 de mon ancienne unité, il s'agissait du 14ème Régiment de Lubljana, m'a
24 appelé pour me dire que j'allais être muté à Postojna où l'on était en
25 train de créer de nouvelles forces qui s'appelaient des forces "prêtes".
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1 Ils m'ont dit également que, probablement, ils allaient envoyer
2 l'une de ces unités au Kosovo.
3 M. Nobilo (interprétation). - Dites aux juges, à l'époque, je
4 crois que le nom était "Province autonome de Kosovo au sein de la
5 République socialiste de Serbie", que se passait-il dans cette région ?
6 Pourquoi fallait-il envoyer ces forces au Kosovo ?
7 M. Blaskic (interprétation). - C'est exact. Le nom était "La
8 province autonome du Kosovo". Il s'agissait d'une pratique périodique
9 employée par la JNA jusqu'à la création du corps d'armée de Pristina. Et
10 ces forces englobaient, et cette doctrine impliquait l'envoi d'unités
11 militaires au Kosovo, sur le territoire du Kosovo, avec plusieurs
12 missions.
13 Il fallait montrer la puissance des forces armées, créer une
14 certaine peur au sein de la population. Moi, j'avais déjà une certaine
15 expérience concernant la création de ces forces grâce à Milovan Dilas, qui
16 était le commandant en chef du 4ème régiment, qui, lui, avait déjà servi au
17 Kosovo, qui avait déjà été muté au Kosovo.
18 M. Nobilo (interprétation). - Quelles étaient les informations
19 que vous possédiez ? Pourquoi fallait-il créer la peur au sein de la
20 population du Kosovo ? Quelle était la population du Kosovo à l'époque ?
21 Expliquez cela aux juges, s'il vous plaît.
22 M. Blaskic (interprétation). - La population était surtout la
23 population musulmane, de confession musulmane. Ils se prononçaient comme
24 des Albanais. Et ils n'étaient pas d'accord avec les droits dont ils
25 disposaient en tant que groupe ethnique. Ils demandaient plus de liberté.
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1 Et aussi, à l'époque, le représentant politique exprimait leurs
2 désaccords avec la politique prédominante en République socialiste de
3 Serbie. L'idée était de montrer la puissance des forces armées et,
4 éventuellement, d'avoir recours à ces forces selon les besoins et selon
5 les événements.
6 De même que la création de la peur au sein de cette
7 population-là pour leur montrer qu'il fallait qu'ils soient beaucoup plus
8 prudents et qu'ils tiennent compte de tout ce qui pouvait leur arriver
9 s'ils continuaient à exercer leurs activités telles que les
10 manifestations, etc.
11 M. Nobilo (interprétation). - Dans une telle situation politique
12 et de sécurité au Kosovo que vous nous avez décrite, qui est certainement
13 liée aux événements au Kosovo aujourd'hui, quelle a été votre réaction ?
14 Est-ce que vous avez accepté cette tache ou non ?
15 M. Blaskic (interprétation). - Lors de ce premier entretien,
16 j'ai dit tout de suite à la personne chargée du service du personnel au
17 sein du 14ème régiment que je ne souhaitais absolument pas accepter un tel
18 mandat. Je lui ai dit très clairement et publiquement que je ne souhaitais
19 pas faire partie de ces forces qui allaient être envoyées au Kosovo,
20 quelles que soient les conséquences qui risquaient de se présenter pour
21 moi.
22 Lui-même, il a dit tout de suite que ceci représentait un refus
23 d'obéir aux ordres et que cela pouvait entraîner certaines sanctions.
24 Après cet entretien, son député m'a convié encore une fois. Nous
25 avons eu pratiquement un entretien identique au premier.
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1 Ensuite, j'ai parlé avec l'adjoint chargé de la morale au sein
2 du 14ème Régiment. Cette discussion concernant ce déploiement au Kosovo ont
3 duré jusqu'en mars 1986. Entre-temps, j'ai eu plusieurs discussions
4 officielles avec le commandant de bataillon, avec le commandant adjoint du
5 régiment et le commandant du régiment lui-même, M. Jovo Uzelac.
6 J'ai dit clairement et ouvertement à tout le monde que je ne
7 souhaitais absolument pas accepter ce mandat au sein de cette mission et
8 au sein de ces unités qui devaient être
9 envoyées au Kosovo.
10 M. Nobilo (interprétation). – Pouvez-vous dire aux Juges si,
11 dans une carrière militaire, le fait d'aller au Kosovo impliquait certains
12 bénéfices et si oui, lesquels ?
13 M. Blaskic (interprétation). – Oui, cela entraînait dès le début
14 un salaire plus important. Je sais avec certitude qu'en 1986, la personne
15 qui était sur place, au Kosovo, recevait des compensations de guerre qui
16 s'élevaient au montant de compensations prévues pour le temps de guerre.
17 Ensuite, il y eu d'autres avantages concernant les vacances, les
18 promotions, l'amélioration du statut et les déplacements futurs du
19 militaire. Mais, malgré tout ces avantages et toutes ces primes, je n'ai
20 pas pu accepter un tel mandat.
21 M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous dire aux Juges, s'il
22 vous plaît, si vous avez effectivement dû effectuer cette mission ou si
23 vous avez réussi à l'éviter ?
24 M. Blaskic (interprétation). – Non, je n'ai pas exécuté cette
25 mission, j'ai été muté le 6 mars à 1986 à la garnison de Pivka. Je me
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1 souviens très bien de mon premier contact là-bas d'ailleurs. Au cours de
2 la matinée, lorsque je suis venu me présenter pour la première fois, je me
3 suis entretenu avec le chef d'état-major de la garnison de Pivka –il était
4 lieutenant-colonel-, M. Dusan Reljanovic. Il m'a dit ce matin-là : "Que
5 s'est-il passé ?Quelle a été votre erreur pour que vous soyez envoyé
6 ici ?"
7 C'est très exactement ce qu'il m'a dit. Je suis allé me
8 présenter au commandant. J'ai donc commencé à exécuter les fonctions qui
9 m'avaient été assignées. J'ai été commandant de la seconde compagnie du
10 1er Bataillon.
11 M. le Président. – Monsieur, excusez-moi de vous interrompre.
12 Quel est le grade que vous occupiez à ce moment-là. Capitaine ?
13 Lieutenant ?
14 M. Blaskic (interprétation). – A l'époque, Monsieur le
15 Président, j'étais lieutenant.
16 M. le Président. - Excusez-moi, allez-y.
17 M. Blaskic (interprétation). – Comme je l'ai dit, je me suis
18 rendu à Pivka. Le
19 commandant de la compagnie qui devait me dire quelles étaient mes tâches a
20 été vraisemblablement surpris de la situation. Il ne s'attendait pas à me
21 voir là. Il s'appelait Jasmin Sahinovic.
22 Lorsque j'ai donc pris mon service à Pivka, j'y suis resté
23 jusqu'en juillet 1988.
24 A l'époque, une organisation était en cours et mon unité, celle
25 que je dirigeais, inclue dans le 1er bataillon, et le 1er bataillon ont été
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1 transférés de Pivka à Postojna, qui était une autre garnison. Moi-même et
2 mon unité avons rejoint cette garnison. J'y suis resté jusqu'au 12 août
3 1991.
4 Mes tâches en tant que commandant de compagnie étaient d'assurer
5 ma succession. C'était le lieutenant Svrkota. Je crois que c'était en
6 1989, en février ; peut-être en 1990, je ne sais plus.
7 J'ai donc pris mes fonctions. A ce moment-là, j'étais commandant
8 adjoint du 1er Bataillon et j'étais également chargé d'assurer le moral
9 des troupes.
10 J'ai assumé ces fonctions jusqu'à mon départ de l'armée
11 populaire yougoslave, c'est-à-dire lorsque j'ai quitté les rangs d'active.
12 Après avoir terminé l'académie militaire, on nous a attribué nos
13 grades selon un système automatique. Nous avons tous obtenu notre premier
14 grade le 30 juillet 1983. Nous étions tous lieutenants, ou sous-
15 lieutenants plus précisément ; ceux d'entre nous qui avaient fait
16 l'académie militaire technique ont obtenu le grade de lieutenant
17 directement. Moi-même, j'ai obtenu le grade de lieutenant le 30 juillet
18 1984.
19 Après avoir passé un an en tant que sous-lieutenant, je suis
20 devenu lieutenant. Trois ans plus tard, j'ai été évalué par mes supérieurs
21 hiérarchiques et j'ai obtenu le grade de capitaine, le 30 juillet 1987. Là
22 encore, le 30 juillet 1990, j'ai été évalué à nouveau et j'ai reçu le
23 grade de capitaine de première classe. C'était une promotion tout à fait
24 inhabituelle. Je l'ai obtenue le 22 décembre 1990.
25 M. Nobilo (interprétation). - Pourquoi s'agissait-il d'une
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1 promotion tout à fait inhabituelle ou d'un avancement extraordinaire ?
2 Quelle est la différence entre ce type d'avancement et un avancement tout
3 à fait normal ?
4 M. Blaskic (interprétation). - La différence était la suivante :
5 vous obteniez cet avancement en attendant moins que d'habitude. L'un des
6 critères qui devaient être remplis pour obtenir cet avancement était que
7 deux des dernières notes devaient être excellentes, exceptionnelles. Il
8 fallait obtenir les notes les plus élevées qui étaient attribuées par
9 l'armée populaire yougoslave, à l'époque. Dans mon cas, commandant d'une
10 compagnie, j'aurais dû attendre au moins trois ans avant de pouvoir passer
11 à un autre poste. J'ai donc obtenu un avancement plus tôt que prévu, grâce
12 aux résultats obtenus dans le cadre de mon travail. En fait, c'était une
13 incitation, si une personne faisait preuve de qualités exceptionnelles.
14 M. Nobilo (interprétation). - Par conséquent, vous avez suivi
15 cette carrière purement militaire, en tant qu'officier de carrière. Vous
16 avez également poursuivi vos études. Pourriez-vous nous en parler ?
17 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
18 les Juges, au cours de la première année que j'ai passée à l'académie
19 militaire, j'ai décidé que j'allais poursuivre d'autres cours et
20 poursuivre mes études. Mais il y a eu de nombreuses circonstances qui ont
21 fait que je n'ai pas pu commencer ces études dès le début. Nous devions
22 travailler sur le terrain au cours de ma formation militaire. Lorsque je
23 parle du terrain, je parle d'activités à l'extérieur des murs de
24 l'académie militaire, sur différents terrains d'entraînement. En fait,
25 nous avons traversé l'ensemble de la Yougoslavie.
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1 Par conséquent, je n'ai pas eu suffisamment de temps, au cours
2 des années passées à l'académie militaire, pour participer à d'autres
3 types d'études civiles.
4 En 1987, je me suis inscrit à un cours post-universitaire à
5 Banja Luka, cours qui portaient sur l'informatique et sur..
6 professionnelle. En 1989, j'ai terminé ces études, j'ai obtenu
7 mon diplôme et j'ai participé à l'examen oral qui me permettrait d'obtenir
8 ma maîtrise. Cependant, je n'ai pas pu présenter mon mémoire étant donné
9 les conditions de guerre qui régnaient à l'époque. Par conséquent, je n'ai
10 jamais terminé ce diplôme même si je dispose d'un certificat disant que
11 j'ai bien participé aux quatre années d'études et que j'ai passé l'examen
12 oral de ma maîtrise.
13 Mon intention de suivre de nouveaux cours et de m'inscrire à la
14 faculté avait, d'une certaine façon, trait à ce que je souhaitais faire
15 par la suite. Je ne souhaitais pas poursuivre ma carrière militaire à
16 cette époque. Avant cela, j'avais décidé de quitter les rangs d'active de
17 l'armée. Mais je me suis vu dans l'obligation de passer deux fois plus de
18 temps dans les rangs d'active que le temps qu'a duré ma formation. Et
19 comme cette formation et ces cours avaient duré six ans, j'ai été obligé
20 de rester douze ans dans les rangs d'active en tant qu'officier de
21 carrière. Après cela, une fois ces douze années terminées, j'ai obtenu le
22 droit de mettre un terme à mon service militaire.
23 Correction des interprètes : Le général a tenté de passer son
24 doctorat de troisième cycle et non pas sa maîtrise.
25 M. Nobilo (interprétation). - Vous étiez donc un officier avec
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1 beaucoup de succès. Pourquoi avez-vous décidé de regagner la société
2 civile ? Quels étaient vos motifs ?
3 M. Blaskic (interprétation). - Il y avait un certain nombre de
4 raisons à cela. Dès 1979 et vers 1980, l'armée a commencé à être plus
5 mobilisée qu'auparavant. Par exemple, il y a eu une mission au Kosovo. Par
6 la suite, l'armée a été réorganisée dans le cadre de l'armée populaire
7 yougoslave. L'armée a signalé à ce moment-là que certains individus
8 allaient recevoir une certaine promotion.
9 M. Nobilo (interprétation). - Mais lorsque vous parlez
10 d'individus, vous parlez de différents groupes ethniques ?
11 M. Blaskic (interprétation). - Oui. Il y avait un certain
12 déséquilibre au sein de la
13 JNA. Le principe de base de l'égalité ou de la représentation égalitaire
14 n'était plus respecté. Dès 1985, c'était un phénomène tout à fait
15 flagrant. Il suffisait de regarder les structures de direction ou la voie
16 hiérarchique.
17 Dans toutes les armées, si l'on regarde les postes supérieurs,
18 on y voit certaines indications.
19 M. Nobilo (interprétation). - Quel groupe ethnique est devenu le
20 groupe ethnique dominant à l'époque ?
21 M. Blaskic (interprétation). - En adoptant une démarche directe
22 vis-à-vis de ce problème, on voyait que le groupe ethnique dominant était
23 le groupe ethnique serbe. Mais il y avait également des Serbes de
24 Bosnie-Herzégovine, des Serbes de la Serbie même et d'autres régions de
25 l'ex-Yougoslavie.
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1 Par exemple, dans le bataillon dans lequel j'ai été versé, le
2 commandant de ce bataillon était Serbe. Les commandants des compagnies
3 étaient également, de façon prédominante, des Serbes. Les commandants des
4 brigades étaient également Serbes. Pour ce qui est du chef d'état-major et
5 des commandants adjoints, ainsi que des hauts commandants, eh bien, à
6 l'époque ils étaient presque tous occupés par des individus provenant d'un
7 seul groupe ethnique. Et ceci m'a motivé pour mettre un terme à ma
8 carrière militaire.
9 Et en 1987, j'ai tenté, avec mes parents et mes beaux-parents,
10 d'ouvrir une entreprise qui allait employer quelque quarante personnes.
11 Nous avons obtenu tous les documents de la municipalité de Cerknica dans
12 la République socialiste de Slovénie et dans la municipalité de Postojna
13 également.
14 Nous avons réussi à remplir toutes les formalités
15 administratives. Cependant, nous avions besoin d'une déclaration de douane
16 pour obtenir tout le matériel dont nous avions besoin. J'ai décidé
17 d'abandonner le projet.
18 Les frais de scolarité pour mon doctorat, qui étaient assumés
19 par ma famille uniquement, à savoir par moi-même et par ma femme, mon
20 inscription avait trait avec ma profession future, celle que j'allais
21 entamer après la fin de ma carrière militaire.
22 M. Nobilo (interprétation). - Pendant combien de temps êtes-vous
23 resté dans la JNA ? Quand avez-vous décidé que le temps était venu de
24 quitter l'armée ? Pourriez-vous dire cela aux juges, s'il vous plaît ?
25 M. Blaskic (interprétation). - J'ai pris ma décision à la fin du
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1 mois de juin 1991 lorsque le conflit ouvert a eu lieu en Slovénie.
2 Cependant, moi-même, comme nombre de mes collègues, nous nous sommes
3 trouvés là lorsque l'ordre a été donné par le commandant des forces
4 armées, vers la fin du mois de juin, début juillet, ordre donc proclamant
5 l'état d'alerte.
6 Et la décision a été prise à l'époque que nous ne pouvions pas
7 mettre un terme à notre carrière militaire en vertu de la loi gouvernant
8 les forces armées à l'époque.
9 Par conséquent, nos droits ont été suspendus à l'époque. L'ordre
10 est resté en vigueur jusqu'à la fin de juillet. Par la suite, cet ordre a
11 été retiré. Et lorsque cet ordre a été retiré, le 12 août 1991, j'ai
12 déposé ma demande visant à mettre un terme à ma carrière.
13 Ce jour-là, j'ai quitté mon poste à la garnison et j'ai, en
14 fait, utilisé les jours de vacances que je n'avais pas pris au cours de ma
15 carrière. Je n'ai pas attendu d'obtenir l'autorisation officielle. Je
16 pensais qu'elle allait me parvenir au cours des mois suivants. Cela
17 correspondait à la période de vacances que je devais prendre.
18 M. Nobilo (interprétation). – Pouvez-vous expliquer aux Juges
19 pourquoi le conflit en Slovénie a éclaté ?
20 M. Blaskic (interprétation). - En Slovénie, le conflit opposait
21 la Défense territorial de première étape de la création de force armée de
22 Slovénie et le MUP. D'autre part, il y avait également les forces de la
23 JNA, et, de l'autre côté… Plutôt la première étape était les forces du
24 MUP. C'est en tout cas comme cela qu'ils se présentaient en tout cas. Ce
25 conflit, pour sa plus grande partie, avait trait au pouvoir et à
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1 l'autorité qui devaient s'exercer dans les zones de frontière, qui devait
2 prendre le contrôle dans ces régions.
3 Tout s'est produit après que l'Assemblée de Slovénie a pris la
4 décision de proclamer l'indépendance de la Slovénie en tant que
5 République, à savoir que la Slovénie devait devenir un Etat souverain
6 indépendant et autonome dans le territoire de l'ex-Yougoslavie.
7 M. Nobilo (interprétation). – A l'époque, par conséquent,
8 lorsque le conflit a éclaté entre la JNA et les forces slovènes, vous vous
9 êtes rendus en Autriche, à Vienne, n'est-ce pas ?
10 M. Blaskic (interprétation). – Oui, avec ma femme. Enfin ma
11 femme avait quitté le territoire quelque temps auparavant. Elle était
12 allée à Vienne avant moi. Je suis allée chez ma belle-soeur, sa sœur à
13 elle, qui est de nationalité autrichienne.
14 Ma femme Ratka, son nom de jeune fille est Barisic, donc elle
15 s'appelle Barisic-Blaskic, ma femme est née en 1970, en Autriche et elle a
16 passé la plupart de sa vie en Autriche avec ses parents, et en Allemagne.
17 Toute sa famille, sa mère habite encore en Autriche, ses parents en fait,
18 et nous deux nous nous sommes rendus à Vienne.
19 Pendant les premiers mois, nous avons fait vécu dans un
20 appartement qui appartient à sa sœur. Il y avait deux chambres pour nous
21 tout seuls dans cet appartement. Après ces premiers mois, nous avons
22 réussi à louer un petit appartement.
23 M. Nobilo (interprétation). - Veuillez poursuivre. Pouvez-vous
24 nous décrire la vie que vous avez menée en Autriche ? Avez-vous pu
25 organiser la vie quotidienne ?
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1 M. Blaskic (interprétation). - Au début, ma femme a trouvé un
2 travail. Elle avait terminé toutes ses études ou la plupart de ses études
3 en Autriche et elle parlait bien la langue. Notre fils, Dean, est né en
4 1988. Ce sont mes beaux-parents qui le gardaient, ses grands-parents donc.
5 Au début de 1992, il est allé à la maternelle en Autriche. A
6 l'époque, je passais la plupart de mon temps à apprendre la langue. J'ai
7 d'ailleurs également rempli tous les documents
8 nécessaires pour obtenir un permis de travail. Je travaillais de temps en
9 temps et nous avons réussi à nous organiser assez rapidement en Autriche,
10 d'autant plus que nos conditions de vie étaient bonnes. Nous avions réussi
11 à déménager la plupart de nos objets personnels et de nos meubles en
12 Autriche, ce qui nous permettait de vivre une vie tout à fait normale.
13 M. Shahabuddeen (interprétation). - Dans cette narration, peut-
14 être pourriez-vous demander au témoin de nous dire la date de son mariage,
15 à moins que ceci n'ait déjà été dit.
16 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez raison, Monsieur le
17 Juge. Je pensais le faire au cours du témoignage du général. Je ne voulais
18 pas l'interrompre. Mais cela nous amène à la décision de vous rendre en
19 Bosnie. Je voudrais vous poser quelques questions sur votre vie de
20 famille.
21 Quand avez-vous épousé votre femme ? Quelle est la date de
22 naissance de votre premier enfant, de votre deuxième enfant ? Pouvez-vous
23 nous en dire plus.
24 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
25 les Juges, je me suis marié en 1987. J'ai épousé Ratka Blaskic, née en
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1 1970, en Autriche.
2 Elle est technicienne de transport de profession et elle n'a pas
3 travaillé pendant une longue période. Elle a consacré tout son temps à
4 s'occuper de notre famille. Nous avons eu deux enfants. Notre fils Dean
5 est né en 1988, à Postojna, en République socialiste de Slovénie, en
6 juillet. Notre second fils, Ivan, est né en mars 1996, à Zagreb.
7 M. Nobilo (interprétation). - Puisque nous en sommes à la
8 naissance d'Ivan, pouvez-vous nous dire pourquoi vous êtes venu à La Haye
9 le 1er avril et pas un ou deux mois avant, lorsque vous avez entendu
10 parler de l'acte d'accusation délivré à votre encontre ?
11 M. Blaskic (interprétation). – La raison était que ma femme
12 avait eu une grossesse difficile. Il fallait qu'elle soit suivie par un
13 médecin pendant toute sa grossesse. J'ai d'ailleurs tous les documents
14 relatifs à ce suivi médical. Notre premier enfant, nous l'avons perdu à
15 cause de ces difficultés-là. Elle a fait une fausse couche et lorsqu'elle
16 a été enceinte de notre premier
17 fils, Dean, elle a dû être suivie de façon permanente par les médecins.
18 Entre novembre et mars, je suis resté avec ma femme. Je l'ai emmenée afin
19 qu'elle subisse de nombreux examens médicaux à Zagreb.
20 Je crois que c'est l'hôpital Petrova. Il y a l'unité de
21 maternité là-bas et c’est la raison pour laquelle je ne me suis pas rendu
22 immédiatement à La Haye et placé sous la garde de ce Tribunal.
23 M. Nobilo (interprétation). - Par conséquent, vous l'avez fait
24 dès la naissance de votre enfant.
25 M. Blaskic (interprétation). - Ma femme a quitté l'hôpital le
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1 lundi matin et le jour même, je suis parti à La Haye.
2 M. Nobilo (interprétation). - Je voudrais revenir en arrière et
3 revenir à votre séjour en Autriche. Vous avez dit que vous avez réussi à
4 vivre de façon normale, sans problèmes, sans difficultés particulières.
5 Cependant, vous avez décidé de retourner et d'aller en Bosnie où une
6 guerre régnait. Pouvez-vous expliquer aux Juges quelles ont été vos
7 motivations ? Pourquoi avez-vous quitté une vie aussi calme et tranquille
8 afin de vous rendre en Bosnie-Herzégovine dans cette guerre qui venait en
9 fait de commencer ?
10 M. Blaskic (interprétation). - Eh bien, il est exact qu'avec mon
11 épouse et grâce à sa famille avant tout, mais aussi grâce au fait qu'elle
12 connaissait la langue et qu'elle pouvait travailler, nous sommes parvenus
13 en très peu de temps à nous créer des conditions de vie satisfaisantes. Je
14 dirais même des conditions de vie agréables, au moins aussi confortables
15 que la vie que nous avions en ex-Yougoslavie. Mais mes parents et ma
16 famille plus éloignée sont restés en Bosnie-Herzégovine.
17 Et puis, je me rendais compte que l'effondrement qui avait eu
18 lieu en Slovénie et en Croatie allait se produire également en Bosnie-
19 Herzégovine. Je recevais des appels fréquents des membres de ma famille et
20 des représentants du pouvoir de la municipalité de Kiseljak
21 également. Ce qui m'a motivé, c'est l'engagement moral que je considérais
22 comme étant le mien parce que je connaissais mes compétences et je savais
23 que je pouvais préparer la réaction à l'agression qui menaçait, à ce
24 moment-là, la Bosnie-Herzégovine.
25 M. Nobilo (interprétation). - Dites aux Juges qui menaçait la
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1 Bosnie-Herzégovine ? Qui était votre adversaire potentiel à cette époque-
2 là ?
3 M. Blaskic (interprétation). - Lorsque la dislocation des forces
4 populaires yougoslaves s'est produite, au moment de ce coup qui a été reçu
5 en Slovénie, le gros du contingent a été muté en Bosnie-Herzégovine. Et
6 puis, la même chose est arrivée aux contingents très importants qui sont
7 arrivés de la République de Croatie. Mais, il y a un élément qui était
8 peut-être moins visible pour le public, à savoir la situation des éléments
9 matériels et techniques qui étaient concentrés dans les installations les
10 plus importantes.
11 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous parlez des moyens
12 matériels et techniques, je vous demanderai de bien vouloir expliquer ce
13 terme parce que je suppose que vous allez l'utiliser souvent dans votre
14 déposition.
15 M. Blaskic (interprétation). - Cela recouvre les munitions, les
16 canons, les armes d'infanterie, les mines, tous les moyens qui permettent
17 de faire la guerre, ainsi que les équipements, les stocks, les pièces de
18 rechange et tout ce qui permet à une formation militaire de montrer son
19 pouvoir, notamment eu égard à l'armement.
20 M. Nobilo (interprétation). - Donc, à Vienne, en Autriche
21 lorsque vous prenez la décision de repartir en Bosnie-Herzégovine, est-ce
22 que vous pensiez avec certitude qu’en Bosnie-Herzégovine allait éclater
23 une guerre très dure qui allait faire couler le sang et qui allait
24 concerner avant tout les Croates et les Musulmans ?
25 M. Blaskic (interprétation). - Pendant quelque temps, j'étais
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1 plongé dans l'hésitation. Je ne savais pas quoi faire. Je comprenais
2 manifestement qu'un conflit allait éclater, mais je ne me rendais pas
3 compte que ce conflit allait avoir une telle importance. En
4 tout état de cause, je savais qu'il y aurait affrontements, opérations
5 militaires.
6 Par ailleurs, quand j'ai discuté avec ma femme de cette
7 situation pour trouver une solution, mon épouse m'a fait part de son
8 désaccord par rapport à ma volonté de partir. Elle estimait que nous
9 devrions chercher à créer notre avenir dans le pays où elle était née. De
10 sorte que j'ai tardé à prendre ma décision. Je ne l’ai prise qu'au mois de
11 mars 1992. A ce moment-là, j'ai parlé avec un responsable de la cellule
12 municipale de crise. C'est à ce moment-là que j'ai accepté de partir pour
13 la Bosnie-Herzégovine, mais j'ai posé une condition, à savoir que mon
14 intervention soit temporaire et qu'elle ne dure au maximum que deux mois.
15 M. Nobilo (interprétation). - Pour que tout soit clair, veuillez
16 dire aux Juges, veuillez plus précisément définir ce que vous prévoyiez.
17 Quelles étaient les parties au conflit en Bosnie-Herzégovine dont vous
18 prévoyiez l'intervention ?
19 M. Blaskic (interprétation). – En tout état de cause, je me
20 rendais compte qu'il y aurait, d'un côté, l'armée populaire yougoslave,
21 quelle que soit la dénomination qui lui aurait été donnée après sa
22 restructuration ou sa transformation. Car, suite aux décisions de l'état-
23 major qui avait ordonné que toutes les armes et tous les équipements
24 soient placés sous la responsabilité de l'armée populaire yougoslave, la
25 partie qui serait face à la JNA manquerait d'armes et d'équipement. Donc,
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1 de l'autre côté, je pensais qu'il y aurait les Croates et les Musulmans de
2 Bosnie.
3 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez reçu un appel de la
4 cellule de crise. Pouvez-vous nous dire de quelle cellule de crise il
5 s'agit ? De la cellule de crise de quelle localité ? Qui vous a appelé ?
6 Que s'est-il passé au moment où vous avez entrepris votre voyage ?
7 M. Blaskic (interprétation). - Ce n'est pas une seule personne
8 qui m'a appelé. J'ai reçu pas mal d'appels, mais c'est M. Pero Madzar qui
9 m'appelait le plus souvent. Il m'appelait au nom de la cellule de crise
10 municipale. C'est d'ailleurs en ces termes qu'il se présentait à moi.
11 M. Nobilo (interprétation). - Dans quelle localité ?
12 M. Blaskic (interprétation). - Dans la municipalité de Kiseljak.
13 M. Nobilo (interprétation). - C'est votre lieu de naissance ?
14 M. Blaskic (interprétation). – Oui, c'est mon lieu de naissance,
15 c'est ma région. Bien entendu, j'étais très fortement motivé par le besoin
16 d'apporter mon aide à la région d'où je provenais.
17 M. Nobilo (interprétation). - Merci. Monsieur le Président, nous
18 allons maintenant parler de la Bosnie-Herzégovine et de Kiseljak. Donc la
19 pause s'impose.
20 M. le Président. – Nous avons une longue après-midi. Nous allons
21 donc faire une première pause. Nous reprendrons d'ici quinze à vingt
22 minutes.
23 Le dispositif va changer légèrement. Monsieur le Greffier,
24 veillez donc à ce que l'accusé témoin soit ramené dans le lieu qui est le
25 sien, le plus approprié. Par contre, lorsque la Cour reviendra, nous
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1 souhaiterions que le témoin, le général Blaskic, soit en place. Merci.
2 L'audience, suspendue à 14 heures 45, est reprise à 15 heures 15.
3 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous
4 asseoir.
5 Maître Nobilo, vous pouvez poursuivre.
6 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
7 Nous avons donc interrompu au moment où vous parliez de votre
8 décision d'aller en Bosnie-Herzégovine pour accepter des fonctions
9 militaires dans la municipalité de Kiseljak, dans la défense de cette
10 ville.
11 Je vous demanderai de raconter aux juges ce qui s'est passé au
12 cours de votre voyage à Kiseljak et de nous donner la date de votre départ
13 à destination de Kiseljak, le voyage n'ayant pas été sans encombre.
14 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
15 les Juges, je suis parti le 5 avril de Vienne via Zagreb pour me rendre à
16 Kiseljak. J'ai passé la nuit à Zagreb. Le matin, ainsi qu'en soirée du 5,
17 j'ai rendu visite à mon frère. Le 6, j'ai passé également la matinée avec
18 mon frère dans l'école de Zlavko Ratko de Zagreb où il travaillait. Et
19 puis, je suis parti de Zagreb en passant par Bosanski Samac pour me rendre
20 à Kiseljak.
21 Le voyage par cet itinéraire a été un peu plus long que
22 normalement parce que la route était coupée à divers endroits, aussi bien
23 en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine où il y avait des barrages routiers. A
24 14, 15 heures dans l'après-midi du 6 avril, nous avons été arrêtés sur le
25 territoire bosniaque par des officiers civils appartenant au MUP de
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1 Bosnie-Herzégovine.
2 Les policiers qui se trouvaient à cet endroit étaient des
3 Serbes ; ce que j'ai pu constater en entendant le dialecte qu'ils
4 parlaient et aussi parce que, tous près de là, il y avait des forces de
5 l'armée populaire yougoslave, des forces de la police militaire de la
6 police de la JNA qui étaient installées.
7 Ces policiers ont fouillé notre véhicule. Dans la porte du
8 conducteur, ils ont trouvé un fusil de petit calibre et dans la poche du
9 chauffeur, ils ont trouvé un chapelet.
10 Ils ont demandé au chauffeur s'il avait un permis de port
11 d'arme. Le chauffeur a déclaré que ce n'était pas nécessaire puisque
12 c'était une arme de petit calibre.
13 Après cela, nous avons été placés en arrestation dans l'école.
14 Je me suis rendu compte que j'étais à Podnovlje, une localité qui se
15 trouve non loin de Doboj où je n'avais jamais mis les pieds jusqu'à cette
16 date.
17 A cet endroit, nous avons subi un interrogatoire. Nous avons dû
18 fournir nos papiers d'identité. Nous avons subi quelques mauvais
19 traitements jusqu'à 21 heures. A 21 heures, nous avons été placés à bord
20 de deux véhicules blindés de la police militaire qui nous ont emmenés à la
21 garnison de Doboj, garnison de l'armée populaire yougoslave.
22 L'interrogatoire a été repris à cet endroit. Il a duré tard dans
23 la nuit, après quoi, on nous a installés dans le bâtiment administratif de
24 la caserne où nous avons été placés en état d'arrestation par l'armée.
25 Tôt le matin, deux blindés de transport de troupes de la police
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1 militaire nous ont emmenés, moi-même et mon ami, qui s'appelait Mladen
2 Coric et qui conduisait le véhicule dans lequel je me trouvais, ils nous
3 ont emmenés à la caserne de Tuzla où était installé le commandement du
4 corps d'armée de Tuzla de la JNA. La caserne dans laquelle on nous a
5 emmenés s'appelait la caserne des mineurs de Husinjski. Je m'en suis rendu
6 compte en lisant l'inscription qui figurait à l'entrée de la caserne. Mais
7 je n'étais jamais allé à cet endroit par le passé.
8 Je suis resté là jusqu'au 13 avril. En ce lieu, j'ai subi
9 plusieurs interrogatoires et eu à répondre de plusieurs accusations,
10 notamment d'une accusation de désertion de l'armée et puis d'une
11 accusation de service pour une puissance étrangère parce que j'avais dans
12 la poche un manuel d'anglais et un carnet dans lequel je prenais des notes
13 personnelles.
14 Après ces interrogatoires, le 13 avril, on nous a annoncé qu'on
15 allait faire l'objet d'un échange et que nous allions être échangés contre
16 des prisonniers de Sremska Mitrovica. L'après-midi, aux alentours de
17 17 heures, nous avons été remis en liberté ; nous avons pu quitter la
18 caserne et nous ne sommes pas allés au lieu de l'échange, à Sremska
19 Mitrovica.
20 Mais nous avons eu quelques difficultés à récupérer les papiers
21 de l'automobile dans laquelle nous voyagions. Le 13 avril, aux alentours
22 de 13 heures, nous avons pu récupérer les papiers de la voiture mais, dans
23 cette caserne, se trouvaient également des soldats qui, par le passé,
24 avaient fait partie de la garnison de Postojna. C'étaient des hommes qui
25 avaient servi dans les rangs de l'armée à Postojna et qui me connaissaient
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1 d'avant.
2 Donc, nous sommes partis de Tuzla, en direction de Doboj : là,
3 nous avons de nouveau subi une fouille. Nous avons donc subi des fouilles
4 au niveau de plusieurs barrages
5 routiers, tout cela jusqu'à Zenica. Nous avions l'intention d'aller à
6 Busovaca, mais des membres des forces de réserve du MUP nous ont dit, à un
7 certain endroit, que la route de Busovaca était coupée et que l'on ne
8 pouvait passer que par Visoko et Kiseljak. C'est donc cet itinéraire que
9 nous avons suivi pour arriver assez tard dans la nuit, le 14 avril 1992, à
10 Kiseljak.
11 M. Nobilo (interprétation). – Donc, le 14 avril 1992, vous êtes
12 arrivé à Kiseljak ?
13 M. Blaskic (interprétation). - Oui.
14 M. Nobilo (interprétation). - Pouvez-vous nous dire avec qui
15 vous avez établi un contact, qu'est-ce qui vous a été dit à ce moment
16 quant à la situation prévalant à Kiseljak ?
17 M. Blaskic (interprétation). – Le 14 avril, dans l'après-midi,
18 je suis allé voir le président de la municipalité de Kiseljak, M. Josip
19 Boro. C'est d'ailleurs à ce moment-là que nous avons fait connaissance,
20 car je ne m'étais jamais rendu dans ce bureau du président de la
21 municipalité. Il faut savoir que, depuis 1975, je ne m'étais pas trouvé
22 dans cette localité, hormis quelques brefs séjours pour les vacances.
23 Donc, il m'a donné des informations générales sur la situation
24 dans la région. Il m'a annoncé qu'il s'attendait à me voir arriver. Il m'a
25 déclaré qu'il remplissait les fonctions de président de la cellule de
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1 crise et que l'assemblée municipale ne fonctionnait plus. Néanmoins, lors
2 de sa dernière réunion, elle avait élu les membres de la cellule de crise
3 municipale dans laquelle était paritairement représentés les Musulmans et
4 les Croates. Il m'a dit également que cette cellule de crise se chargeait
5 de toutes les affaires civiles et militaires sur le territoire de la
6 municipalité de Kiseljak.
7 Je lui ai fait savoir que je n'avais pas l'intention de rester
8 plus longtemps que deux mois dans la région, mais que, pendant les deux
9 mois où j'étais d'accord pour rester dans cette région, j'étais tout à
10 fait prêt à fournir mon aide pour préparer le territoire et les habitants
11 à se défendre contre l'attaque de l'armée serbe.
12 Je lui ai dit également qu'à mon avis, ces deux mois devraient
13 suffire pour
14 organiser la défense dans cette région. J'avais également dit au cours de
15 cette conversation que je ne demandais aucun avantage particulier, aucune
16 récompense et que l'homme qui allait me servir de chauffeur était un de
17 mes cousins. Je n'avais donc besoin ni d’une voiture de fonction ni
18 d’aucun autre privilège de quelque nature que ce soit.
19 Au bout de quelques jours, après mon arrivée, j'ai eu l'occasion
20 de participer à des séances de la cellule municipale de crise, même si je
21 n'ai jamais été officiellement membre de la cellule de crise de Kiseljak.
22 J'ai constaté que la structure, l'organisation militaire au sein de cette
23 cellule municipale de crise étaient très insuffisante, à savoir que le
24 chef du secrétariat de la Défense populaire municipale, le chef d'une
25 instance civile, était membre de la cellule de crise et c'est M. Tomislav
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1 Trutina, ainsi que le commandant de l'état-major municipal de la Défense
2 territoriale qui dirigeait les affaires dans la région.
3 M. Nobilo (interprétation). - Un instant ! Il y a une erreur
4 dans le compte rendu en anglais, le prénom de M. Trutina est bientôt
5 Tomislav, pas Vojislav.
6 M. Blaskic (interprétation). - Oui, Tomislav.
7 L'autre partie de cette instance militaire relevait du
8 commandant de l’état-major de la Défense territoriale de la municipalité
9 de Kiseljak qui s'appelait Sead Sinanbasic.
10 M. Nobilo (interprétation). - Etait-il Musulman ?
11 M. Blaskic (interprétation). - Oui, c’était un Bosnien musulman.
12 M. Nobilo (interprétation). - Et Trutina, était-il Croate ?
13 M. Blaskic (interprétation). - Oui, Croate.
14 Cette instance politico-militaire avait un commandement
15 conjoint. A partir du 23 avril, j'ai accepté de commander les forces
16 armées municipales de Kiseljak pour les Croates. Le commandant des forces
17 armées municipales de Kiseljak, Bakir Alispahic, représentait à mes côtés,
18 la population musulmane bosnienne.
19 M. Nobilo (interprétation). - La structure militaire était donc
20 assez mal définie.
21 Quelles ont été vos autres observations quant à la municipalité ? Est-ce
22 que cette municipalité s'inscrivait dans une organisation impliquant
23 d'autres structures du pouvoir à un niveau supérieur ?
24 M. Blaskic (interprétation). - Non, elle ne s'inscrivait pas
25 dans une structure de pouvoir comportant des niveaux supérieurs. Cette
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1 municipalité de Kiseljak avait gardé toutes les fonctions qui étaient les
2 siennes par le passé. Compte tenu de la situation nouvelle, elle avait
3 acquis des fonctions nouvelles qui s'ajoutaient à ses fonctions
4 traditionnelles.
5 De sorte que, à elle seule, avec toutes ses responsabilités,
6 elle représentait un pouvoir distinct dont les frontières étaient celles
7 de la municipalité. Un certain nombre d’activités étaient rendues urgentes
8 en raison de la situation et toutes ces activités étaient menées à bien
9 sur le territoire de la municipalité.
10 M. Nobilo (interprétation). - Donc, outre cette structure
11 municipale, qui avait des compétences militaires en même temps que les
12 compétences classiques d'une municipalité, pouvez-vous nous dire sur le
13 territoire de Kiseljak quelles étaient les formations militaires, les
14 groupes armés que vous avez trouvés au moment où vous êtes arrivé sur les
15 lieux et où vous avez pris vos fonctions ?
16 M. Blaskic (interprétation). - Je m'attendais à trouver des
17 formations de la Défense territoriale sur place ou, en tout cas, des
18 formations correspondant à celles que j'avais pu voir en République de
19 Slovénie. Mais sur le territoire de la municipalité de Kiseljak, j'ai pu
20 constater rapidement qu'il y avait des villages armés, des villages dont
21 les habitants s’étaient procuré des armes par divers moyens.
22 Puis, il y avait aussi des unités organisées par des
23 particuliers, à savoir que des personnes influentes et matériellement à
24 l'aise avaient créé leurs propres unités militaires de façon à se défendre
25 contre les groupes de criminels qui existaient déjà dans la municipalité.
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1 Il s'agissait donc d'unités qui étaient des unités privées, dirais-je. Il
2 y avait aussi des unités composées de chasseurs, d'hommes qui avaient déjà
3 des armes, qui s'étaient organisés par eux-mêmes.
4 Et puis, une autre chose que j'ai pu constater dans les
5 villages, c'était que ces villages jouissaient d'une très grande
6 autonomie. Leurs représentants ou commandants s'étaient faits les
7 interprètes de l'opinion des habitants. Ils étaient donc les porte-parole
8 des habitants des villages et ne reprenaient pas du tout les avis des
9 véritables commandants qui se trouvaient dans ces villages.
10 Et puis, outre ces forces villageoises, neuf postes de la police
11 civile étaient déjà mobilisés. Sur le plan de leurs effectifs, leur
12 composition était assez hétérogène, mais nous pouvons dire qu'il y avait
13 vingt-cinq à trente policiers qui étaient mobilisés dans ces neuf postes
14 de police de guerre.
15 On trouvait dans ces postes de police également des forces du
16 MUP, c'est-à-dire des représentants de la police civile de Kiseljak. Et
17 puis, il y avait aussi les forces de la ligue patriotique dans la région
18 dont le commandement a été installé pendant un certain temps à l'hôtel
19 Dalmacija de Kiseljak ; après quoi, il a été transféré dans l'école
20 élémentaire de la ville de Kiseljak.
21 Il y avait aussi les unités de la Défense territoriale. A
22 Lepenica, il y avait les signes noirs des groupes assez peu nombreux. Il y
23 avait aussi, dans la ville de Kiseljak et dans la communauté locale de
24 Lepenica, les forces du HOS et des groupes du HVO.
25 A ces formations s'ajoutaient des groupes de réfugiés armés qui
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1 circulaient dans Kiseljak, Kiseljak étant une ville de passage. Et puis,
2 il y avait aussi les unités de l'armée populaire yougoslave. Depuis pas
3 mal de temps déjà, une division de lance-roquettes multiples de
4 128 millimètres était stationnée dans cette municipalité. C'était une
5 unité qui avait un pouvoir de feu très important.
6 Il y avait aussi une unité de la police militaire, une compagnie
7 qui avait été transférée de Zagreb, de la caserne du maréchal Tito, pour
8 s'installer dans la caserne de Kiseljak.
9 De plus, il y a eu des forces qui se trouvaient au poste de
10 Cubren, qui appartenaient aussi à l'ancienne JNA. Donc, il y a eu tout un
11 nombre de groupes armés dans une région relativement petite.
12 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit qu'il s'agissait
13 d'un nombre de groupes armés. Quelle était la caractéristique principale
14 de ces groupes ?
15 Dans cette situation, est-ce que vous avez réussi à vous imposer
16 en tant que représentant de tous ces groupes, ou bien de certains de ces
17 groupes, ou bien de personne ?
18 M. Blaskic (interprétation). - La caractéristique principale et
19 l'activité principale de ces groupes, à l'exception des forces de la JNA
20 qui restaient toujours sur place dans la région de la municipalité de
21 Kiseljak, était de faire une sorte de parade avec les armes et en uniforme
22 dans les villes. Alors que les groupes qui se trouvaient plus près des
23 axes de communication continuaient à établir les barrages routiers afin
24 d'atteindre certains bénéfices matériels et financiers pour eux-mêmes.
25 Moi, en tant que commandant, à l'époque, je n'ai pas été accepté
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1 par ces groupes, sauf dans les situations où ils souhaitaient avoir
2 recours à mon aide professionnelle. Donc, de temps en temps, lorsqu'ils
3 avaient besoin de mes connaissances, ils s'adressaient à moi en tant que
4 commandant. Mais il était très difficile d'avoir une autorité réelle sur
5 eux.
6 L'impression que j'avais était que j'avais besoin de temps pour
7 mériter ce droit auprès d'eux et pour demander à ces groupes de m'obéir.
8 M. Nobilo (interprétation). - Dans une telle situation, qui
9 n'était pas une situation habituelle du point de vue militaire telle que
10 vous la connaissiez au sein de votre carrière militaire, quelles étaient
11 les méthodes de travail que vous avez employées ?
12 Avez-vous pu, dans une telle situation, appliquer vos
13 connaissances en ce qui concerne votre commandement ou avez-vous appliqué
14 d'autres méthodes ? Si oui, pourriez-vous nous les décrire ?
15 M. Blaskic (interprétation). - Bien évidemment, je ne pouvais
16 pas appliquer la doctrine de commandement que je connaissais le mieux,
17 étant donné que je n'ai pas eu, au-dessous de moi, les niveaux de
18 commandement subordonné. Je vais vous donner l'exemple de deux villages.
19 Si dans un village, il y avait 25 hommes en âge d'être
20 mobilisés, c'est-à-dire apte à combattre, dans ce cas là, ce village avait
21 un représentant qui serait remplacé plusieurs fois par jour. Si le village
22 était un peu plus grand, et qu'il s'agissait dans ce cas-là de 200 hommes,
23 il n'y avait qu'un seul représentant.
24 Moi, en tant que commandant, il m'est arrivé qu'une fois ces
25 villages me convie à une réunion, mais en me précisant que je pouvais
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1 assister à la réunion uniquement en tant qu'observateur et que je n'avais
2 aucune autre autorité. Cela s'est produit dans le village de Lepenica,
3 dans la région de Kiseljak.
4 En ce qui concerne la structure de commandement, il faut savoir
5 qu'il y avait plusieurs types d'armes, des armes légères de calibre
6 différent, et parfois certaines personnes utilisaient même les armes
7 datant de la 2ème guerre mondiale.
8 Pour ma part, j'ai appliqué trois méthodes de travail et, en
9 même temps, j'étais conscient que je ne pouvais pas m'attendre à ce que
10 mes ordres soient toujours suivis de manière efficace. Donc, ce que j'ai
11 essayé de faire, c'était de parler aux gens, d'essayer de persuader, de
12 convaincre ces leaders de village, officiels et officieux. Par ailleurs,
13 je choisissais les représentants de certains villages et, avec eux, je me
14 rendais sur les positions. J'inspectais les positions que je considérais
15 comme étant les plus importantes pour établir les lignes de front.
16 M. Nobilo (interprétation). - Avant d'expliquer de quelle
17 manière vous avez établi les lignes de défense, pouvez-vous nous expliquer
18 quelle est l'attaque à laquelle vous vous attendiez ?
19 M. Blaskic (interprétation). – Nous avons organisé la défense de
20 la municipalité de Kiseljak, tout d'abord par rapport aux forces de
21 l'armée de JNA à l'époque, qui est devenue par la suite l'armée de la
22 Republika Srpska, depuis la direction de Ilidza étant donné qu'en avril
23 déjà, ces forces-là avaient attaqué Rakovica. C'est un village qui se
24 trouve juste à côté de la municipalité de Kiseljak. Ils ont expulsé
25 environ 300 Musulmans bosniaques. Il s'agissait du premier grand flux de
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1 réfugiés qui sont arrivés dans la région de la municipalité de Kiseljak.
2 Nous défendions la municipalité de Kiseljak de l'armée de la Republika
3 Srpska.
4 M. Nobilo (interprétation). – Pouvez-vous dire aux Juges, en
5 termes plus concrets, quel était votre travail avec ces représentants de
6 différents villages ? Quelles étaient les instructions que vous leur
7 donniez ?
8 M. Blaskic (interprétation). - Le matin, avec Bakir ?
9 M. Nobilo (interprétation). - Vous parlez de Bakir Alispahic, le
10 commandant musulman ?
11 M. Blaskic (interprétation). – Oui, c'était le commandant
12 musulman qui je rencontrais pratiquement chaque matin. Nous nous mettions
13 d'accord pour savoir qui de nous allait partir et dans quel village. Il
14 s'agissait surtout des villages limitrophes des municipalités de Lepenica
15 et de Brnjaci.
16 Si vous le souhaitez, Monsieur le Président, je peux montrer
17 cela sur la maquette.
18 M. Nobilo (interprétation). – Allez-y, cela nous permettra de
19 comprendre où se trouvaient les lignes de défense et d'où vous attendiez…
20 M. le Président. – Il serait intéressant de mettre la maquette
21 sur le rétroprojecteur, de façon que le public puisse suivre
22 éventuellement.
23 M. Kehoe (interprétation). – (hors micro)
24 M. le Président. - Vous pouvez vous approcher.
25 C'est un peu compliqué : il faut que les Juges voient, la
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1 galerie du public doit voir, le témoin doit pouvoir s'exprimer, les
2 parties doivent pouvoir contrôler. Il faut essayer d'organiser cela. Nous
3 y étions arrivés, je crois, au tout début, Maître Nobilo, avec la
4 maquette ?
5 M. Harmon (interprétation). – Hors micro.
6 Peut-être que ce serait mieux si tous les conseils pouvaient
7 s'approcher étant donné que pour nous, il est difficile aussi de
8 comprendre le colonel Blaskic sans l'interprétation.
9 M. le Président. – Il n'y aura plus que les Juges qui ne verront
10 plus rien. Essayons. Approchez-vous.
11 M. Nobilo (interprétation). - Général, tout au début, peut-être,
12 vous pourriez, à titre d'orientation des Juges, indiquer les grandes
13 villes sur cette maquette. On parle de la vallée de Lepenica.
14 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
15 les Juges, je montre Kiseljak : c'est l'endroit où je me suis rendu le
16 14 avril.
17 M. le Président. – Le nord est vers où, s'il vous plaît, par
18 rapport aux cartes que je peux avoir ? Le nord ?
19 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, le nord se
20 trouve dans la direction de ce pointeur. Le nord est là.
21 M. le Président. – D'accord, allez-y.
22 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
23 les Juges, Kiseljak, où je suis arrivé le 14 avril 1992, est ici. Mon
24 travail durant pratiquement toute la période du mois d'avril et du mois de
25 mai se déroulait dans la région de ce complexe Kokoska. Il s'agit de ce
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1 massif-là, au nord de la route principale, Kiseljak – Rakovica – Ilidza -
2 Sarajevo. Et
3 Sarajevo se trouve dans cette direction-là. Ensuite, le col de Kobiljaca.
4 Et cette position, ici, position militaire avec la cote 6-5-1. Ensuite, le
5 site de Pljesevac: cette partie-là s'appelle Pljesevac. Et ce col, entre
6 Pljesevac et le site suivant, s'appelle Ravne Njive. Je montre Ravne Njive
7 et le site d'Ostrik. Sur la droite d'Ostrik, le massif que je montre
8 maintenant s'appelle Godusa.
9 Ici se trouvaient les forces de la Défense territoriale de la
10 municipalité de Kiseljak, alors que dans Ostrik Pljesevac, le col de
11 Kobiljaca, avec la cote 6-5-1, et Kokoska se trouvaient les forces du HVO.
12 Plus loin, c'étaient de nouveau les forces de la Défense territoriale de
13 Visoko.
14 M. Nobilo (interprétation). - Donc vous venez de décrire la
15 ligne de front vers les Serbes. Dites-nous, de manière non
16 professionnelle, quelles étaient les activités exercées dans cette région-
17 là ? Quelles étaient les instructions que vous leur donniez ?
18 M. Blaskic (interprétation). – Moi, je me rendais tous les jours
19 dans ces villages limitrophes, le village d'Azapovici, de Dugandzica Kuce.
20 C'est comme cela qu'on les appelle. Ce sont les villages qui longent la
21 ligne de front. Et je rencontrais les leaders de ces villages et, avec
22 eux, chaque jour, je marchais autour des positions d'Ostrik, Pljesevac,
23 Kobiljaca et Kokoska. Et je montrais aux villageois où il fallait creuser
24 les tranchées, les abris souterrains et d'autres fortifications.
25 Et du point de vue du génie militaire, j'organisais les lignes
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1 de front ou plutôt les lignes de défense.
2 Après avoir fait tout cela, je me rendais sur place de nouveau
3 pour vérifier s'ils s’étaient acquittés des tâches que je leur avais
4 données. Cette situation se reproduisait durant une période plus longue
5 étant donné qu'ils s'acquittaient de ces tâches-là assez lentement, étant
6 donné que personne n'avait beaucoup d'enthousiasme pour creuser les
7 tranchées.
8 M. Nobilo (interprétation). - Ces lignes de défense, est-ce
9 qu'il s'agissait des lignes de défense croato-musulmanes mixtes ou avez-
10 vous travaillé avec les deux côtés ? Comment avez-vous organisé tout
11 cela ?
12 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai déjà
13 dit que dans la région de Koscan et Mokrine, j'ai pu voir que les forces
14 de la Défense territoriale de Kiseljak, Hadzici et parfois de Jablanica
15 tenaient ces positions-là, alors qu'autour de Kokoska vers Kralupi et
16 Godusa se trouvaient les forces de la Défense territoriale de Visoko. Je
17 me suis rendu dans tous ces villages de la région.
18 Au début, je ne m'intéressais même pas à savoir quel était le
19 village croate ou le village musulman, sauf si les habitants me le
20 disaient. Au début, j'étais à Zabrde, à Mokrine, à Tulica aussi, de même
21 que dans le village de Grahovci.
22 Donc, je me suis rendu sur toutes ces positions. Moi, je ne
23 faisais aucune différence entre les villages croates et les villages
24 musulmans. Je leur montrais ces lignes de défense et avec eux, je leur
25 expliquais comment il fallait les organiser du point de vue du génie
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1 militaire afin de préparer la défense.
2 J'ai déjà dit que Bakir et moi-même -il me l'a suggéré ou je lui
3 ai suggéré- allions ensemble parfois dans certains villages. Cela
4 constituait une manière de montrer publiquement à ces habitants que nous
5 ne souhaitions pas nous diviser, même si déjà auparavant, c'est déjà le
6 HVO qui avait ces positions ici, la Défense territoriale ici ou encore, la
7 Défense territoriale de Visoko ici et également entre Kokoska et la
8 rivière de Bosna.
9 M. Nobilo (interprétation). - Mis à part cette définition des
10 lignes de défense et de position, mis à part cette organisation-là, est-ce
11 que vous avez essayé d'expliquer aux villageois quelle était l'importance
12 de l'entraînement et de quelle manière vous vous attendiez à ce que les
13 forces de la Republika Srpska lancent leur attaque ?
14 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, durant ma
15 formation au sein
16 de l'académie militaire, j'ai reçu de l'entraînement tactique au niveau de
17 compagnie sur la position de Rakovica. Donc nous avons élaboré des plans
18 de défense vis-à-vis de Sarajevo au cas où l'ennemi lancerait une attaque
19 depuis les positions de Lepenica.
20 J'ai donc eu recours à ces connaissances. Et avec les
21 représentants de villages, j'ai essayé de leur expliquer dans un entretien
22 d'où une attaque de l'armée de Republika Srpska risquait d'être lancée, à
23 quoi il fallait que nous nous attendions du point de vue de la tactique et
24 ce qu'il fallait faire.
25 Avec eux, nous avons créé les positions de réserves qui se
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1 trouvaient sur tous les flancs du Mont de Kuber et en haut des villages
2 qui se trouvaient dans la vallée de Lepenica.
3 Mis à part ces activités-là, j'ai essayé d'organiser un
4 entraînement rudimentaire afin d'apprendre aux gens à manipuler les armes
5 dont ces villageois armés disposaient. Mais j'ai rencontré plusieurs
6 difficultés étant donné que plusieurs fois, dix personnes avaient dix
7 types d'armements différents.
8 Un autre problème était le fait que chaque personne considérait
9 qu'elle était suffisamment entraînée tout simplement parce qu'elle savait
10 comment charger l'arme et comment tirer avec son fusil.
11 Ensuite, j'appliquais la méthode suivante, c'est-à-dire que je
12 me rendais dans certains villages, généralement dans l'après-midi ou le
13 soir, et je discutais avec les habitants du village essayant de les
14 convaincre qu'il fallait exercer toutes ces activités de préparation de la
15 défense, qu'il fallait s'entraîner étant donné que l'hiver approchait,
16 étant donné qu'il s'agit d'un hiver extrêmement fort dans cette région-là,
17 et aussi compte tenu des intentions de l'ennemi, c'est-à-dire de l'armée
18 de la Republika Srpska.
19 M. Nobilo (interprétation). - Vous avez dit que certains
20 villages limitrophe, qui se trouvaient près de la ligne de défense,
21 étaient croates et certains étaient musulmans. Est-ce que la Défense
22 territoriale était une organisation mixte à l'époque et le HVO regroupait-
23 il surtout
24 les Croates ?
25 M. Blaskic (interprétation). - D'une certaine manière, nous
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1 pouvons dire que le HVO était composé également de certains Musulmans. La
2 ligue patriotique était composée uniquement de Musulmans.
3 M. Nobilo (interprétation). – Ce sont donc les Musulmans ?
4 M. Blaskic (interprétation). – Oui, ce sont les Musulmans
5 bosniens. Puis, nous avons rencontré une autre difficulté : les membres de
6 la Défense territoriale ont exprimé leur volonté de rejoindre les rangs du
7 HVO. Parfois cela signifiait pour eux la possibilité d'éviter quelque
8 obligation que ce soit. Nous avions la même situation du côté du HVO, à
9 savoir que parfois une personne était membre du HVO pendant une semaine et
10 membre de la Défense territoriale une autre semaine. Il faisait tout cela
11 pour éviter des tâches concrètes.
12 M. Nobilo (interprétation). – Mis à part tout cela, pouvons-nous
13 dire en terme général que la Défense territoriale regroupait les membres
14 du peuple musulman, alors que le HVO, lui, regroupait surtout les
15 Croates ?
16 M. Blaskic (interprétation). – Oui, nous pouvons dire cela, à
17 l'exception de la situation que j'ai décrite et à l'exception de la
18 situation liée à la levée du blocus de Sarajevo où les membres de la
19 Défense territoriale ont commencé à quitter la Défense territoriale. Mais
20 en terme général, on peut dire que la Défense territoriale était musulmane
21 et le HVO croate.
22 M. Nobilo (interprétation). – Vous pourriez peut-être regagner
23 votre place et ensuite, nous pourrons continuer.
24 Donc vos activités portaient surtout sur l'organisation des
25 lignes de défense ou des lignes front. Qui était chargé de la sécurité à
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1 l'intérieur de ces territoires, donc de la sécurité des habitants, de la
2 population, au sein de la municipalité de Kiseljak ?
3 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
4 les Juges, j'ai déjà dit que la municipalité comportait neuf postes de
5 police civile avec des policiers de réserve qui,
6 à l'époque, étaient mobilisés.
7 Pour autant que je sache, ces postes de police ont été créés
8 déjà vers la fin de l'année 1991. Avec les policiers civils actifs, ils
9 étaient chargés de la sécurité de l'ordre public sur le territoire de la
10 municipalité de Kiseljak.
11 A l'époque, ils étaient plutôt bien armés et ils ont surtout
12 érigé les points de contrôle devant leurs postes de police qui se
13 trouvaient sur les routes menant vers la municipalité de Kiseljak.
14 M. Nobilo (interprétation). - Est-ce que nous pouvons dire que
15 la police civile était exclusivement chargée de la sécurité de l'intérieur
16 de ce territoire ?
17 M. Blaskic (interprétation). - Oui, elle était chargée de la
18 sécurité sur ce territoire, d'autant plus que le chef de la police civile
19 faisait également partie de la cellule de crise municipale. C'était donc
20 le comité de crise au niveau de la municipalité et il y était ex officio.
21 Il s'agissait d'une structure complètement équilibrée.
22 Ce que je veux dire par là, c'est que le chef était croate, son
23 député était musulman bosnien, le chef de la police civile de Kiseljak
24 était un Musulman bosnien et que son adjoint était un Croate. Leur tâche
25 consistait à exercer le contrôle sur ces territoires, derrière la première
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1 ligne de défense, dans la région de la municipalité de Kiseljak.
2 M. Nobilo (interprétation). - La défense civile existait-elle ?
3 Si oui, était-elle organisée de manière militaire et était-elle unifiée ?
4 A quoi ressemblait la situation, de ce point de vue-là, quand vous êtes
5 arrivé ?
6 M. Blaskic (interprétation). - Quand je suis arrivé, je pense
7 que c'était vers le 26 avril, les forces aériennes de la JNA, ou bien de
8 l'armée de Republika Srpska, ont bombardé Busovaca et, pendant plusieurs
9 jours, leurs avions volaient assez bas.
10 Je voulais savoir si certaines mesures étaient entreprises. Je
11 souhaitais voir la personne chargée de la Défense civile pour savoir si
12 les activités d’évacuation de la population
13 civile étaient prévues. J'ai eu une réunion avec le responsable, le
14 commandant de la Défense civile et le chef de la Défense civile. Nous
15 avons donc eu cette discussion-là -je dispose de certains documents à
16 l'appui- et je peux dire que la tâche de la Défense civile, à l'époque,
17 était d'organiser la défense des civils dans la mesure du possible.
18 Je me souviens très bien de cette réunion avec le chef de la
19 Défense civile pour deux raisons. Tout d'abord, j’ai demandé quelles
20 étaient les directions d'évacuation des citoyens de Kiseljak au cas où une
21 attaque serait lancée contre eux. Il m'a répondu que c'était vers Ilidza
22 et Lepenica. Alors que, justement, c'étaient là les lignes de front. Les
23 civils devaient être déplacés de Kiseljak vers les lignes de front. Je lui
24 ai dit que ce n'était pas du tout logique...
25 M. Nobilo (interprétation). - Veuillez ralentir le débit.
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1 M. Blaskic (interprétation). - ..étant donné que cela signifiait
2 qu'on évacuerait la population vers les lignes de front. Lui, il m’a dit
3 que ceci était prévu dans ses documents et qu'il n'était pas habilité à
4 changer cela avant de recevoir l'accord du chef de la Défense civile au
5 niveau de la République, donc de son supérieur. Nous avons réussi à
6 trouver un compromis. Il ne devait pas changer son document, mais nous
7 avons décidé d'évacuer la population dans une autre direction et non pas
8 vers les lignes de front.
9 La deuxième question qui se posait était la répartition des
10 tâches dans le cadre de la protection civile entre le HVO et la Défense
11 territoriale. J'ai exprimé ma position selon laquelle il n'était pas
12 nécessaire d'opérer une telle répartition parce que c'était toute la
13 population qui devait être couverte et protégée sur le territoire de la
14 municipalité de Kiseljak, population croate et population musulmane, ainsi
15 que des membres d'autres groupes ethniques qui vivaient dans la même
16 municipalité.
17 M. Nobilo (interprétation). - Pour conclure, avant de passer à
18 un nouveau domaine, si nous devions résumer les méthodes utilisées,
19 pourrions-nous dire que vous avez agi en tant que commandant militaire
20 vis-à-vis des soldats ou bien la procédure était-elle différente ? Comment
21 pourriez-vous décrire la situation ?
22 M. Blaskic (interprétation). - Non, en fait, je pensais et
23 j'espérais que je trouverais une structure militaire déjà établie sur
24 place. En fait, je n'ai pu observer que la présence de groupes armés. Ces
25 habitants de villages étaient pour moi des hommes qui avaient pris les
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1 armes, qui s'étaient vêtus d'uniformes et qui, au lieu d'aller à l'usine,
2 étaient prêts à jouer un rôle, le rôle qu'on voulait bien leur attribuer.
3 Je n'étais pas à même de donner des ordres. Je pensais que quelqu'un parmi
4 mes subordonnés directs exécuterait les tâches nécessaires parce que moi,
5 je n'avais aucune structure sur laquelle je pouvais me fonder et compter.
6 M. Nobilo (interprétation). - Par conséquent, il n'y avait pas
7 de structure, de hiérarchie inférieure qui était établie. Mais qu’en
8 était-il de la structure des supérieurs ? Y avait-il une voie hiérarchique
9 qui vous était supérieure dans le HVO ?
10 M. Blaskic (interprétation). - Au cours de la réunion de la
11 cellule municipale de crise, vers le 23 avril 1992, j'ai été nommé
12 commandant des formations armées locales par la cellule municipale de
13 crise de Kiseljak. Je n'ai pas été amené à penser qu'il existait une telle
14 structure militaire ni au cours de la première réunion ni par la suite,
15 une structure au-dessus du niveau de la municipalité dont je devais
16 obtenir l'aval ou qui pourrait confirmer ma nomination. D'autre part, eu
17 égard au travail que je devais exécuter, je n'ai jamais entendu parler
18 d'une structure supérieure.
19 Je n'ai jamais acquis le sentiment qu'elle existait, une
20 structure sous la responsabilité de laquelle je devais être placé et à qui
21 je devais faire rapport de mes activités quotidiennes.
22 De temps à autres, j'informais les membres de la cellule de
23 crise de Kiseljak de mes activités ou bien les membres du quartier général
24 du HVO à Kiseljak. Mais il n'existait pas de structure militaire à ce
25 moment-là.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Quand et comment avez-vous
2 rencontré quelqu'un qui, au moins sur papier, aurait pu être votre
3 supérieur hiérarchique ?
4 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs
5 les juges, au début du mois de mai 1992, vers le 5, le commandant du
6 quartier général municipal du HVO, Tomislav Trutina, m'a proposé de
7 l'accompagner vers Busovaca afin d'évaluer la situation qui régnait sur le
8 terrain et j'ai obtempéré.
9 Nous sommes arrivés au motel "Tisa" qui se trouve à l'entrée de
10 la ville de Busovaca. C'est dans ce motel que j'ai rencontré et salué
11 M. Pasko Ljubicic. Nous avons eu une conversation détendue qui a duré
12 quelques instants ; c'était au bureau de réception de l'hôtel. Ensuite, je
13 me suis assis avec Tomo à une table de restaurant.
14 M. Nobilo (interprétation). – Que vous a-t-on dit ? Quel était
15 le poste occupé par Pasko Ljubicic ?
16 M. Blaskic (interprétation). - A l'époque, Tomo m'a dit :
17 "Voilà, cette personne s'appelle Pasko, il est commandant de l'état-major
18 régional du HVO pour la Bosnie centrale."
19 Nous nous sommes donc assis à la table de ce restaurant. Pasko
20 devait passer quelques coups de téléphone, il s'est donc éloigné. Un
21 homme, dont j'ai appris par la suite qu'il s'appelait Filip Filipovic, qui
22 était colonel dans l'ex-JNA et lieutenant-colonel, puisque c'était
23 effectivement son grade, le lieutenant-colonel Filipovic nous a fait part
24 de ses impressions sur l'opération de Slimena.
25 C'était une opération au cours de laquelle les forces du HVO
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1 sont intervenues. Je ne sais pas si la Défense territoriale y a également
2 participé. Ceci s'est produit sur le territoire de la municipalité de
3 Travnik. Un entrepôt a été encerclé où étaient entreposés les armes de la
4 Défense territoriale municipale de Busovaca, Travnik, Novi Travnik et
5 Zenica.
6 M. Nobilo (interprétation). - Lorsque vous parlez de la Défense
7 territoriale, parlez-vous de la Défense territoriale musulmane ou de la
8 Défense territoriale qui était toujours placée
9 sous le contrôle de la JNA ?
10 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, messieurs
11 les Juges, je parle maintenant de la Défense territoriale qui faisait
12 partie des forces armées de l'ex-Yougoslavie ou, pour être plus précis,
13 qui était donc placée sous le contrôle de l'ex-JNA. Je ne parlais pas de
14 la Défense territoriale créée ou placée sous le contrôle des dirigeants de
15 la Bosnie-Herzégovine.
16 M. Nobilo (interprétation). - Comment ces armes ont-elles été
17 réparties ?
18 M. Blaskic (interprétation). - Je n'ai pas relu les documents
19 pertinents afin de vérifier comment ont été réparties les armes ou, plus
20 précisément, je n'ai pas eu accès à ces documents. Mais j'ai écouté, dans
21 ce restaurant, ce qu'a dit Filip Filipovic à ce sujet. Il a déclaré
22 qu'environ 75 % des armes ont fini aux mains des Musulmans bosniens et
23 qu'environ 25 % des armes, donc le reste, est allé aux Croates. Il a
24 également déclaré que les membres du HVO comptaient des victimes dans
25 leurs rangs. Suite à ces opérations, des personnes ont été tuées et
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1 d'autres blessées.
2 Mais il a également déclaré qu'il avait réussi à parvenir à un
3 accord avec les représentants de la Défense territoriale et que la
4 répartition devait être équitable, 50/50 à peu près. Cependant, il a
5 ajouté qu'il s'était mis d'accord sur cette répartition, qu'il avait donné
6 son accord.
7 M. Nobilo (interprétation). – Parlez-nous de cet entretien.
8 Avez-vous reçu des instructions, des ordres venant de Pasko Ljubicic ou de
9 Filip Filipovic ?
10 M. Blaskic (interprétation). – Non. J'ai été surpris à ce
11 moment-là parce que je pensais que l'entretien allait débuter et qu'au
12 cours de cette réunion, le lieutenant-colonel Filipovic allait nous
13 apprendre ce qui se passait.
14 Cependant, à un moment donné, le commandant Tomislav Trutina m'a
15 dit qu'il était temps que nous repartions et nous sommes retournés à
16 Kiseljak sans avoir reçu d'ordres, d'informations ou de rapports
17 militaires, de consignes. C'est ainsi que j'ai rencontré pour la première
18 fois ce supérieur et c'est ainsi que la réunion s'est terminée.
19 M. Nobilo (interprétation). – Résumons : Pasko Ljubicic était
20 officiellement, théoriquement, votre supérieur hiérarchique, le commandant
21 qui se trouvait au-dessus de vous ; même chose pour Pasko Ljubicic qui
22 était le commandant de la police militaire en Bosnie centrale ?
23 M. Blaskic (interprétation). - Oui.
24 M. Nobilo (interprétation). - Pourriez-vous décrire la réunion
25 suivante, celle qui vous a permis de rencontrer vos supérieurs du HVO ?
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1 M. Blaskic (interprétation). – Ceci s'est produit vers la fin du
2 mois de mai 1992, je crois que cela s'est produit plus précisément le
3 23 mai 1992. Mon commandant, Tomislav Trutina, et moi-même avons quitté
4 Kiseljak pour Busovaca. Nous devions vérifier s'il y avait des armes
5 antichars parce que la menace d'une attaque menée par des chars pesait sur
6 Kiseljak.
7 Dans un motel, je crois que c'est le motel "Vila Titovac" à
8 Busovaca, j'ai rencontré un général de brigade qui s'est présenté sous le
9 nom de Zarko Tole. Il était accompagné de deux hommes en uniforme, l'un
10 d'entre eux était son chauffeur et l'autre son garde du corps sans doute.
11 M. Nobilo (interprétation). - Quel était le poste de Zarko
12 Tole ?
13 M. Blaskic (interprétation). - Je sais simplement ce qu'il m'a
14 dit lorsqu'il s'est présenté. Il m'a dit qu'il était commandant de l'état-
15 major régional de la Bosnie centrale.
16 M. Nobilo (interprétation). – Une autre question encore. Cela
17 veut-il dire que Zarko Tole avait, entre-temps, remplacé Pasko Ljubicic ?
18 M. Blaskic (interprétation). – Oui, effectivement, c'est sans
19 doute ce qui s'est passé. Il y avait un nouveau commandant et Zarko Tole
20 était le nouveau commandant.
21 M. le Président. - Nous allons faire une pause de 15 minutes.
22 Puis, nous
23 reprendrons de 16 heures à 17 heures 30.
24 L'audience, suspendue à 16 heures 15, est reprise à 16 heures 40.
25 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous
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1 asseoir.
2 Maître Nobilo ?
3 M. Nobilo (interprétation). - Avant la pause, nous en étions au
4 23 mai, lorsque vous êtes arrivé à la réunion avec le commandant de
5 l'état-major du HVO de Bosnie centrale. Vous vous êtes rendu compte qu'il
6 y avait un nouveau commandant, M. Tole.
7 Pouvez-vous nous parler de la discussion que vous avez eue avec
8 lui ?
9 M. Blaskic (interprétation). - Oui, effectivement, c'était le
10 nouveau commandant que j'ai rencontré pour la première fois ce jour-là.
11 Il nous a parlé des événements en concentrant son intervention
12 sur le front de Kupres et sur les intentions probables de l'armée de
13 Republika Srpska. Dans la région de Burino, Gornji Vakuf, Prozor,
14 Tomislavgrad et Novi Travnik, Travnik et Jajce.
15 Cependant, il a ajouté que ce jour-là, à 19 heures, une réunion
16 était prévue avec les autorités civiles et militaires de la municipalité
17 de Busovaca, dans sa salle municipale, et qu'il serait bon que nous
18 assistions à cette réunion.
19 Il a souligné que cette réunion, qui devait se tenir dans la
20 salle de la municipalité de Busovaca, regrouperait des membres, des
21 représentants des communautés croate et musulmane. Tomislav Trutina et
22 moi-même sommes restés pour assister à cette réunion. Et au cours de cette
23 réunion, c'est le commandant Tole qui a surtout parlé. Il a décrit quelle
24 était son appréciation de la situation militaire. Et il a déclaré que les
25 représentants des communautés croate et musulmane devraient combler
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1 certains différends, mettre un terme à certains désaccords et concentrer
2 leurs forces pour contrer l'attaque diminuante de l'armée de la
3 Republika Srpska.
4 Il a surtout souligné la nécessité d'une défense conjointe. Il
5 nous a informé qu'un commandement conjoint avait déjà été établi, qui se
6 concentrait sur l'évolution de la situation sur le front de Kupres.
7 Cependant, au terme de cette réunion, nous n'avons pas reçu
8 d'ordre définitif, ferme, de ce nouveau commandement. Nous avons
9 simplement reçu des informations sur la situation actuelle ; mais ceci
10 était tout à fait habituel.
11 Il a également déclaré qu'une réunion avait été tenue à Travnik
12 avec des représentants des communautés croate et musulmane. Je crois
13 également qu'il y a eu une autre réunion à Vitez ou à Novi Travnik. Après
14 cette réunion, j'ai rejoint l'état-major municipal à Kiseljak et poursuivi
15 mes activités quotidiennes.
16 M. Nobilo (interprétation). - Avez-vous reçu des ordres ou des
17 instructions de combat de la part de votre supérieur, M. Tole ?
18 M. Blaskic (interprétation). - Non, hormis les informations que
19 j'ai reçues qui avaient surtout trait à la façon dont il percevait le rôle
20 des représentants civils dans le domaine de l'assistance, de la logistique
21 et tout ce qui avait trait au domaine de la défense. Concernant la façon
22 dont une ligne de défense devait être établie en Bosnie centrale, il n'a
23 pas délivré d'ordre ou de consigne particulière. En tout cas, je n'ai rien
24 reçu de sa part.
25 M. Nobilo (interprétation). - Quand l'avez-vous rencontré suite
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1 à cette réunion ?
2 M. Blaskic (interprétation). - La nouvelle réunion a eu lieu et,
3 là encore, il y avait un nouveau commandant à la tête de l'état-major
4 régional pour la Bosnie centrale. La réunion suivante s'est tenue le
5 5 juin 1992 à Gornji Vakuf.
6 M. Nobilo (interprétation). - Qui était commandant à l'époque ?
7 M. Blaskic (interprétation). - C'était une nouveau.
8 M. Nobilo (interprétation). – Etait-ce le même commandant ou un
9 nouveau
10 commandant ?
11 M. Kehoe (interprétation). - Excusez-moi, Conseil, de vous avoir
12 interrompu. Je crois qu'il est question du 5 juin 1992. C'est en tout cas
13 ce que j'ai entendu dans l'interprétation et, sur l'écran, on lit : "le
14 15 juin 1992". J'espère que mon interruption n'aura pas de conséquence
15 néfaste. Je souhaitais que le compte rendu soit précis.
16 M. Nobilo (interprétation). – Le 5 juin, n'est-ce pas ?.
17 M. Blaskic (interprétation). – Oui.
18 M. Nobilo (interprétation). - Merci de votre intervention,
19 Maître Kehoe. Par conséquent, la réunion s'est tenue le 5 juin. Très bien.
20 Au cours de cette réunion, qui était le nouveau commandant de
21 l'état-major de la Bosnie centrale ?
22 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
23 les Juges, nous nous sommes retrouvés un peu plus tôt pour cette réunion.
24 Là encore, c'était un nouveau commandant qui s'est présenté sous le nom de
25 Zulu. Il ne nous a pas donné son nom, tout son nom, mais je suppose que
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1 c'était son nom de guerre.
2 Au cours de cette réunion, le commandant Zulu s'est donc
3 présenté en tant que nouveau commandant de l'état-major régional de Bosnie
4 centrale. Il nous a informés de la situation sur le front de Kupres.
5 Principalement de l'évolution de la situation à Gornji Vakuf, Bugojno,
6 Novi Travnik et Hadzici, et leurs environs.
7 Cette réunion a été interrompue par l'arrivée d'un soldat qui
8 venait apporter un message au commandant. Quelque 15 à 20 minutes plus
9 tard, nous avons appris quelle était la raison de cet interruption : le
10 commandant nous a dit simplement qu'il souhaitait que la prochaine réunion
11 se tienne le 9 juin 1992, toujours à Gornji Vakuf.
12 M. Nobilo (interprétation). - Ce nouveau commandant vous a-t-il
13 donné des ordres ou des instructions ? Ou a-t-il établi une voie
14 hiérarchique quelconque de subordonnés ?
15 M. Blaskic (interprétation). – Non, il ne nous a donné aucun
16 ordre. Il ne nous a même pas demandé nos noms afin de savoir qui avait
17 participé à la réunion, quels commandants y avaient assisté. Il n'a
18 délivré aucun ordre, encore moins des ordres de combat. C'est une réunion
19 qui a duré très peu de temps. En fait, au cours de cette réunion, nous
20 n'avons entendu que ce qu'il a souhaité nous dire sur la situation et sur
21 ce qu'il pensait être la situation sur le terrain. Il y avait une grande
22 différence entre la façon dont le commandant précédent, M. Tole, agissait
23 et la façon dont celui-ci opérait, le commandant Zulu.
24 M. Nobilo (interprétation). – Laissons un instant de côté vos
25 contacts avec vos supérieurs directs, jusqu'au moment où vous êtes devenu
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1 vous-même l'officier supérieur dans la région. Pourriez-vous formuler
2 certaines remarques sur les autorités civiles de Kiseljak ? Comment vous
3 les perceviez après deux ou trois mois ?
4 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
5 les Juges, j'ai rencontré directement la première fois les autorités
6 civiles lorsque je suis arrivé à Kiseljak et que je me suis présenté à
7 elles.
8 Lorsque j'étais étudiant à l'académie militaire et, par la
9 suite, lorsque je suis devenu officier de carrière, j'ai eu affaire à un
10 système tout à fait isolé des autorités civiles. Et ce n'était que,
11 lorsque je devais faire état de mon lieu de résidence -à Postojna, à
12 Ljubljana- que j'ai eu affaire à ces autorités civiles. L'ex-JNA disposait
13 ou fournissait tous les services nécessaires dans la structure militaire.
14 Je me suis rendu compte que le pouvoir supérieur était en fait
15 aux mains de la cellule de crise municipale sur la municipalité de
16 Kiseljak et que tous les ordres, de nature civile ou militaire, émanaient
17 de cet organisme. Les autorités civiles, à l'époque, ont essayé de
18 maintenir le pouvoir qu'elles détenaient auparavant. Mais à mon avis,
19 c'est la cellule de crise qui a été obligée d'assumer toutes les autres
20 fonctions, fonctions de gouvernement parce que les structures d'Etat ne
21 fonctionnaient plus à cet endroit.
22 La cellule de crise municipale fonctionnait principalement par
23 le biais de réunions conjointes auxquelles assistaient des représentants
24 des Croates et des Musulmanes bosniens. J'ai pu remarquer, au cours de ces
25 réunions, qu'il n'y avait généralement pas d'ordre du jour préparé avant
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1 la réunion qui allait guider le cours de la réunion ; mais en fait
2 c'étaient certains événements qui se produisaient sur le territoire de la
3 municipalité de Kiseljak qui décidaient de l'ordre du jour.
4 Généralement, cette autorité municipale réagissait aux
5 événements, comme lorsqu'il y a un échange de tirs quelque part ou
6 lorsqu'il qu'il y a une équipe de lutte contre les incendies, lorsque
7 certains incidents ou événements se produisaient, il y avait une réaction
8 de la part de la cellule de crise. Les décisions étaient prises sur la
9 base d'un consensus ou par vote. Lorsque ces décisions étaient prises par
10 vote, les Croates détenaient généralement une faible majorité. Il arrivait
11 souvent que les décisions prises par vote ne soient pas reconnues par le
12 côté musulman. Il exprimait souvent son opposition vis-à-vis des règles,
13 des règlements adoptés par l'Assemblée municipale locale.
14 Outre ce genre de méthode utilisée pour prendre les décisions,
15 je n'ai jamais vu d'autres organismes de gouvernement civil supérieur ou
16 tout autre type de coordination entre organismes supérieurs de
17 gouvernement.
18 Par exemple, il y a eu la question d'approvisionnement en
19 nourriture. Lorsqu'il y avait pénurie de nourriture, une commission
20 municipale était établie, mais seulement après constatation de la pénurie.
21 Lorsqu'une solution était nécessaire afin de trouver de nouvelles sources
22 d'approvisionnement, à ce moment-là les structures d'aide humanitaire
23 n'étaient pas encore en place et le nombre très élevé de réfugiés qui
24 arrivaient dans la région posait problème.
25 M. Nobilo (interprétation). - Passons à un autre domaine.
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1 Passons à la période qui a précédé votre nomination en tant que commandant
2 de la zone opérationnelle. Je parle de la
3 période d'été de 1992 (juin et juillet). Y a-t-il eu des conflits à ce
4 moment- là ? Etait-ce une période de paix ? Y a-t-il eu des conflits
5 armés ? Pouvez-vous quelque peu nous décrire la situation, nous décrire
6 quelques-uns des incidents qui se sont produits et comment cela s'est
7 reflété par la suite dans le cadre des conflits armés qui se sont
8 déroulés ?
9 M. Blaskic (interprétation). – Monsieur le Président, la
10 dislocation de l'Etat et le fait que les structures de l'Etat ont cessé de
11 fonctionner sont allés de pair avec une dislocation du pouvoir et de
12 l'autorité avec un armement de la population dans la zone de Kiseljak,
13 ainsi qu'avec un trouble généralisé de l'ordre public et avec le mouvement
14 de groupes armés dans la région de Kiseljak. Tout ceci a fait naître une
15 situation très instable et généralement de nombreux incidents se
16 déroulaient.
17 J'ai remarqué d'emblée, au début de cette période, que les
18 incidents se produisaient généralement dans les villages, à savoir que les
19 incidents ne se produisaient pas dans les structures du gouvernement, du
20 pouvoir municipal ou dans les états-majors municipaux, dans la cellule de
21 crise municipale, mais surtout dans les villages. Pourquoi ?
22 Surtout pour des raisons économiques ou sociales. Quelles que
23 soient les raisons de ces incidents, tous -et il y en a eu beaucoup- ont
24 eu un effet sur la population de Kiseljak, à savoir que la population a
25 été effrayée et qu'un climat de méfiance a commencé à régner.
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1 Très souvent, la population prenait l'initiative de réagir. Si
2 les parties à l'affrontement, en quelque sorte, étaient des membres de
3 groupes ethniques différents, cela exacerbait le sentiment de méfiance et
4 de peur, et cela amenait la perpétration de nouveaux incidents.
5 Il suffisait qu'une personne sache qu'une opération allait avoir
6 lieu pour qu'un incident de plus grande envergure se produise. Il
7 suffisait qu'une personne apprenne qu'il y avait des mouvements de soldats
8 ou de groupes armés à l'extérieur de la municipalité pour qu'un nouvel
9 incident se produise.
10 Parfois, certaines réactions étaient justifiées ; d'autres ne
11 l'étaient pas, mais l'effet de tous les incidents restait le même, à
12 savoir d'approfondir le fossé et d’exacerber le climat de méfiance. Cela
13 tendait à créer deux camps définis : d'un côté, la population croate qui
14 se regroupait et, de l'autre, la population musulmane. Mais, de façon
15 générale, on pouvait observer qu’effectivement, ces incidents avaient bien
16 lieu et qu'il s'agissait d'incidents entre membres du HVO et du MOS, entre
17 membres de la Défense territoriale et de la Ligue patriotique ; également
18 entre les habitants des villages armés provenant des villages croates
19 environnants, à savoir les habitants d’un village croate contre les
20 habitants d'un autre village croate. Il y avait des conflits entre les
21 membres armés des villages musulmans bosniens et ceux des villages
22 croates ; et puis également entre les habitants des villages serbes et
23 ceux des villages musulmans.
24 Il y avait aussi des incidents qui opposaient les membres des
25 formations paysannes armées croates, d'une part, musulmanes bosniennes,
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1 d'autre part. Ces incidents étaient dirigés contre les membres des forces
2 de réserve de la police civile qui composaient les neuf postes dont j'ai
3 déjà parlé. Il y a eu des incidents qui ont opposé des membres de la
4 police militaire également et des membres de la police civile.
5 Il y a eu aussi des incidents à moment-là qui ont opposé des
6 groupes armés qui s'occupaient d'achats d'armes et d'autres activités qui
7 allaient de pair avec ces temps de guerre. Autrement dit, ce que nous
8 avions l’habitude de désigner sous le nom de marché noir. Il y a eu aussi
9 des incidents qui ont eu lieu au moment de l'arrivée d'unités qui venaient
10 de l'extérieur, d'unités qui, selon un plan inconnu des gens de la région,
11 arrivaient et agissaient selon leurs plans à elles sur le territoire de la
12 municipalité de Kiseljak.
13 M. Nobilo (interprétation). - Vous venez de dépeindre la
14 situation, mais pourriez-vous parler de quelques incidents qui ont eu lieu
15 au mois de mai, au mois de juin 1992 de façon à étayer par des faits les
16 propos que vous venez de tenir ?
17 M. Blaskic (interprétation). - Monsieur le Président, Messieurs
18 les Juges, j'aimerais citer un incident en particulier qui a eu lieu le
19 3 mai 1992, à la sortie de la municipalité de Kiseljak. Ce jour-là, une
20 colonne s'est constituée ; elle était composée de dix véhicules
21 appartenant au HOS. Elle s'est composée en fin de soirée ; elle a fait
22 mouvement depuis la municipalité de Kiseljak jusqu'à la communauté locale
23 de Brnjaci et plus loin jusqu'à Lepenica.
24 Alors que cette colonne avançait, elle a utilisé des armes
25 d'infanterie pour ouvrir le feu. Le voyage, le trajet était de dix à douze
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1 kilomètres, mais cela nous a créé d'énormes problèmes parce que les
2 habitants de ces deux communautés locales qui étaient des Croates, des
3 Musulmans et des Serbes habitant sur le territoire de la municipalité de
4 Kiseljak, donc toute cette population a eu l'impression que l'armée de la
5 Republika Srpska était en train de lancer une attaque pour prendre le
6 contrôle de ces deux communautés locales.
7 Donc, que cela suffise pour vous dire que nous avons passé toute
8 la nuit pour essayer de comprendre ce qui était en train de se passer, de
9 comprendre la réalité de la situation et d'apaiser la situation.
10 M. Nobilo (interprétation). - Vous rappelez-vous le convoi de
11 Foca accompagné par des membres du MUP de Bosnie-Herzégovine et des
12 troubles que cela a créé au sein de la municipalité de Kiseljak ?
13 M. Blaskic (interprétation). - Oui, après cet incident du 3,
14 moi-même et le commandant Bakir avons été convoqués à une séance de la
15 cellule de crise municipale où l'on nous demandait de faire un rapport
16 bref au sujet des faits.
17 Le 4 mai 1992, l'après-midi, je me suis rendu à cette réunion
18 accompagné de Bakir. Mais Bakir a demandé à son chauffeur de le conduire
19 jusqu'au carrefour qui se trouve à cet endroit.
20 (Le témoin montre l'endroit sur la maquette).
21 J'étais un peu surpris. Je ne voyais pas pourquoi il voulait
22 aller à ce carrefour puisque nous avions rendez-vous. Nous devions aller à
23 la réunion de la cellule municipale de crise où nous devions faire état de
24 l'incident survenu la nuit précédente. Bakir m'a dit qu'il allait revenir
25 dans 10 ou 15 minutes et que, en tout état de cause, il serait présent à
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1 la réunion.
2 Je suis arrivé à la réunion de la cellule municipale de crise où
3 l’on m'a demandé si je savais quelle était la provenance de ce convoi qui
4 apportait des équipements militaires et des armes. J'ai répondu que je
5 l'ignorais puisque j'avais passé toute la journée à Kobiljaca où j'étais
6 allé inspecter les lignes et confirmer l'existence des positions.
7 Et pendant que nous discutions de la nature exacte du convoi,
8 pendant que nous parlions de l'itinéraire suivi vraisemblablement par ce
9 convoi et de sa provenance, nous avons entendu des bruits de circulation
10 dans la rue principale de Kiseljak. Il n'y en a qu'une d'ailleurs. Nous
11 avons entendu aussi un brouhaha, des bruits de voix.
12 Quand j'ai réussi à sortir du bâtiment, j'ai vu devant le
13 bâtiment municipal une voiture, une Golf appartenant à la police civile.
14 Les phares étaient allumés. Ce véhicule était suivi de plusieurs blindés.
15 A 15 ou 20 mètres du bâtiment de la municipalité, on voyait des soldats de
16 la Défense territoriale et de la Ligue patriotique qui étaient déployés en
17 ordre militaire et qu'accompagnait Bakir. Ils avaient des armes qui
18 visaient le bâtiment de la municipalité.
19 J'ai reconnu certains de ces soldats ; ils étaient originaires
20 de ma communauté locale et j'avais passé mon enfance avec certains d'entre
21 eux. A ce moment-là, j'ai demandé aux membres du MUP, dans leur véhicule
22 de patrouille, ce qui se passait et qui ils accompagnaient dans cette
23 colonne. L'un des hommes s'est approché de moi. A ce moment-là, je ne me
24 rappelle pas exactement son nom ; c'était un Bosnien musulman, un membre
25 du poste de police de Foca. Je sais aussi qu'il escortait ce convoi dans
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1 l'intention de se frayer un passage dans la direction de Visoko.
2 Bien entendu, ce brouhaha et ce déploiement des soldats ont
3 entraîné une réaction chez les membres du HVO qui s'étaient déjà déployés
4 de l'autre côté, en face donc, à une trentaine de mètres des membres de la
5 Défense territoriale et de la Ligue patriotique.
6 Après une heure, le convoi a redémarré.
7 Lorsque je lui ai demandé pourquoi il ne m'avait pas dit pour
8 quelle raison il se rendait au carrefour, Bakir m'a répondu que lui non
9 plus ne savait rien de ce convoi et que c'est par hasard qu'il s'est
10 trouvé au milieu de cette escorte du convoi, au milieu de ces hommes en
11 armes. C'est de cette façon que s'est achevé cet incident relatif au
12 convoi.
13 Au cours de la matinée de cette même journée du 4 mai, je
14 revenais des positions de Kobiljaca. Dans la voiture, j'étais accompagné
15 par Zvonko Anic qui d'ailleurs conduisait la voiture. Pendant ce voyage de
16 retour à Paleska Cuprija, à l'entrée même de la ville de Kiseljak, nous
17 avons été arrêtés par Fabjan Dugandzic et son fils Marko.
18 M. Nobilo (interprétation). – Etaient-ce des Croates ?
19 M. Blaskic (interprétation). – Oui, ils sont croates. Fabjan
20 Dugandzic avait sorti un pistolet et l'avait armé, c'est-à-dire que la
21 sécurité du pistolet était repoussée vers l'arrière ; on le voyait très
22 bien. Son fils, lui, portait un fusil automatique. Et ils m'ont visé. Ils
23 étaient à peine à 50 centimètres de moi. Ils m'ont parlé de ce qu'avait
24 fait le HOS dans leur village. Ils ont exigé de moi que ce genre de
25 comportement ne se reproduise pas, en me disant que si ce genre de choses
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1 devait se renouveler, ils allaient me liquider.
2 Cet incident, causé par Fabjan et son fils, s'est reproduit deux
3 jours plus tard. Mais cette fois-ci les personnes visées étaient des
4 soldats du HVO et du HOS qui, le 6 mai 1992, avaient effectué des travaux
5 de génie sur la cote 651, à savoir une position située sur le front
6 opposant nos forces aux forces serbes. Et l'excuse qu'ils ont donnée a
7 consisté à dire que, si les Serbes se rendaient compte que des
8 fortifications étaient érigées, ils allaient pilonner leur maison.
9 M. Nobilo (interprétation). - Ils ont donc donné pour excuse le
10 fait que les Serbes allaient pilonner la maison des Dugandzic ?
11 M. Blaskic (interprétation). - Oui.
12 M. Nobilo (interprétation). – Ils ne voulaient pas que des
13 tranchées soient creusées dans son village ?
14 M. Blaskic (interprétation). – Oui. Il est venu avec son fils et
15 il a chassé ces soldats qui étaient en train de travailler à cet endroit
16 et d'ériger, de construire des abris.
17 M. Nobilo (interprétation). - Vous rappelez-vous, le 1er mai
18 1992, l'attaque contre le village de Palez et de Duhri ?
19 M. Blaskic (interprétation). – Oui, je me rappelle. Il s'agit du
20 village de Gornji Palez et du village de Duhri. Il y avait des gardes
21 villageois qui protégeaient le village, qui patrouillaient dans le
22 village. Ce qui s'est passé d'abord, c'est qu'il y a eu des arrestations,
23 de part et d'autre, parmi les villageois de Palez et de Duhri.
24 Un peu plus tard, ces arrestations ont débouché sur la création
25 de tranchées, de fortifications militaires et sur l'accumulation d'armes
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1 dans un des deux villages contre l'autre. Gornji Palez a construit des
2 fortifications destinées à se défendre contre le village de Duhri ; le
3 village de Duhri a érigé des fortifications dirigées contre le village de
4 Gornji Palez.
5 Ce problème était réglé, dès le 1er mai, grâce à l'intervention
6 du commandant de l'état-major municipal du HVO de Kiseljak, Tomislav
7 Trutina, qui lui-même était originaire de Gornji Palez. C'est là qu'il
8 était né.
9 Il est donc allé dans le village et il a rencontré les
10 représentants des deux villages. A l'issue de cette réunion, ils se sont
11 mis d'accord sur le fait que les tranchées devaient être comblées et la
12 situation normalisée.
13 M. Nobilo (interprétation). - Mon collègue me prévient qu'il y a
14 peut-être eu un problème au niveau de l'interprétation en anglais.
15 Est-ce que nous sommes en droit de comprendre que les habitants
16 de ces deux villages ont construit des tranchées dirigées contre les
17 habitants de l'autre village ?
18 M. Blaskic (interprétation). – Oui, c'est ce qui s'est passé le
19 1er mai.
20 M. Nobilo (interprétation). – Mon collègue m'informe à nouveau
21 que l'interprétation est incorrecte. Des tranchées ont été creusées, des
22 tranchées dirigées contre l'autre village, n'est-ce pas ?
23 M. Blaskic (interprétation). – Oui.
24 M. Nobilo (interprétation). – Donc, les tranchées de Gornji
25 Palez sont dirigées contre Duhri et les tranchées creusées à Duhri sont
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1 dirigées contre Gornji Palez. Est-ce que c'est bien cela que vous vouliez
2 dire dans votre déposition ?
3 M. Blaskic (interprétation). – Oui.
4 M. Nobilo (interprétation). - Le 1er mai, il y a également eu un
5 affrontement entre les paysans de Gromiljak et la police civile. C'est
6 vous qui êtes intervenu pour régler ce problème ?
7 M. Blaskic (interprétation). - Oui, il était déjà assez tard. Je
8 crois qu'il devait être 9 ou 10 heures du soir. En tout cas, c'était déjà
9 le soir. Les membres de la police civile de réserve m'ont demandé mon
10 aide, parce qu'ils étaient accusés en permanence de ne rien faire, de
11 n'être en fait que présents dans le poste de police. Ce genre
12 d'accusations était le fruit d'un mécontentement aussi bien parmi la
13 population bosnienne musulmane que de la population croate.
14 Quant aux soldats qui montaient déjà la garde sur les lignes de
15 front les séparant des forces serbes, ils étaient mécontents aussi. C'est
16 ainsi qu'a éclaté cet incident le 1er mai, journée au cours de laquelle,
17 en soirée, des rafales ont été tirées par les paysans armés, des Musulmans
18 bosniens qui ont donc tiré sur le poste de police de guerre de Gromiljak.
19 Les policiers présents au poste de police de Gromiljak m'ont
20 donné leur nom. C'est en entendant leur nom que j'en ai conclu qu'il
21 s'agissait de Musulmans bosniens qui s'acquittaient de leur tâche, qui
22 étaient de garde à ce moment-là.
23 Ces affrontements se sont amplifiés. Ils ont atteint la
24 communauté locale de Brestovsko et d'autres communautés locales par la
25 suite.
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1 M. Nobilo (interprétation). - La division de Vrazija était
2 connue pour ses excès, n'est-ce pas, "La division des diables" comme elle
3 s'appelait. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé lorsque vous avez
4 voulu confisquer les cigarettes ?
5 M. Blaskic (interprétation). - Oui. C'était une division qui
6 était connue, qui se faisait connaître sous le nom de division des
7 diables. Ce n'était pas, bien entendu, une formation classique. Elle ne se
8 composait pas de dix à douze hommes comme c'était l'habitude. Elle se
9 composait d'une cinquantaine d'hommes.
10 Vers midi, ou au début de l'après-midi, un jour, cette division
11 a effectué un raid sur le marché de Kiseljak où elle a mis la main sur des
12 cigarettes et sur un certain nombre de produits de valeur à ce époque-là,
13 époque de pénurie. Elle l'a fait sans donner un centime aux commerçants
14 qui proposaient leurs produits sur le marché.
15 Après cela, les membres de cette formation se sont rendus à la
16 station-service de Kiseljak. C'était la seule qui fonctionnait à ce
17 moment-là à Kiseljak. Ils ont fait le plein de leurs véhicules et ont
18 manifesté l'intention de partir sans payer.
19 M. Nobilo (interprétation). - Comment pourrions-nous la définir
20 d'un point de vue national ? Cette division des diables était composée
21 d'hommes de quelle nationalité ? Les victimes étaient de quelle
22 nationalité ?
23 M. Blaskic (interprétation). - J'ai parlé aux commerçants qui se
24 sont adressés à moi pour se plaindre. J'ai parlé aussi avec les personnes
25 qui travaillaient à la station service. Ces personnes étaient Croates.
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1 Quant aux membres de la division des diables, ils étaient en majorité
2 Croates, mais il y avait également au sein de cette division un certain
3 nombre de Bosniens musulmans.
4 M. Nobilo (interprétation). - Ce jour-là, un affrontement a
5 éclaté également entre deux unités du HVO aux alentours de Srupina ?
6 M. Blaskic (interprétation). - Oui, Monsieur le Président et
7 Messieurs les Juges, Srupina est cette position qui se trouve ici. C'est
8 un site qui domine l'ensemble de la vallée de Lepenica. C'est le site qui
9 se trouve ici sur la maquette.
10 A cet endroit, l'ex-JNA avait un émetteur radio qu'elle
11 utilisait dans ses transmissions. Et la frontière de la municipalité
12 passait au milieu de ce site de Sruben, de sorte que le bâtiment dans
13 lequel était installé le personnel se trouvait sur le territoire de la
14 municipalité de Kiseljak, alors que l'émetteur radio, c'est-à-dire ce
15 pylône métallique, était sur le territoire de la municipalité de Kresevo.
16 Mais il n'y avait que 10 à 15 mètres entre l'émetteur et le bâtiment.
17 En dépit de cela, cette séparation entre deux municipalités
18 posait un grand problème aux pouvoirs civils tant de la municipalité de
19 Kresevo que de la municipalité de Kiseljak, car les deux cellules de crise
20 de ces deux municipalités ne parvenaient pas à s'entendre sur les
21 compétences respectives des uns et des autres. Et ce jour-là, un
22 affrontement s'est produit entre des unités armées du HVO de Kresevo et de
23 Kiseljak.
24 M. Nobilo (interprétation). - Il s’est agit ce jour-là d’un
25 conflit entre le HVO et le HVO. Mais le lendemain, un ultimatum a été
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1 lancé le 11 mai. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet ?
2 M. Blaskic (interprétation). - Cet ultimatum n’a été que le
3 début d'un problème plus grave à Kiseljak. Et cet incident avait un
4 rapport avec les tentatives faites pour lever le siège de Sarajevo. Les
5 Croates qui habitaient sur le territoire du village ont reçu instruction
6 de remettre leurs armes et leurs équipements militaires, malgré le fait
7 que ce village se situait sur
8 la ligne de front, même vis-à-vis du front de l'armée de la Republika
9 Srpska. La Défense territoriale est restée aux mains des Bosniens
10 musulmans qui ont adressé cet ultimatum aux Croates du village de
11 Medvjednica
12 M. Nobilo (interprétation). - Le village de Medvjednica se situe
13 dans quelle communauté locale ?
14 M. Blaskic (interprétation). - Le village de Medvjednica se
15 situe sur le territoire de la communauté locale de Lepenica pour partie et
16 sur le territoire de la municipalité de Kiseljak également.
17 M. Nobilo (interprétation). - Cet ultimatum a été adressé le
18 11 mai. Mais le 12 mai, déjà, la Défense territoriale a adressé un
19 ultimatum au village de Sotnice et a fait usage de ses armes. Pouvez-vous
20 expliquer aux juges dans quelles conditions ?
21 M. Blaskic (interprétation). - Le village de Sotnice se trouve
22 sur le territoire de la communauté locale de Brestovsko.
23 Durant la journée du 11 mai, des tirs d'armes automatiques ont
24 été entendus et dirigés contre des Croates qui représentaient une minorité
25 dans le village.
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1 M. Nobilo (interprétation). - Vous disiez que le feu avait été
2 ouvert, mais qui a ouvert le feu ?
3 M. Blaskic (interprétation). - La Défense territoriale. C'était
4 des Bosniens musulmans parce que ce village était majoritairement
5 musulman. Il est possible qu'il ait eu quelques représentants de la Ligue
6 patriotique qui était en cause. Mais, pour l’essentiel, il n’y avait dans
7 ce village que des Musulmans de Bosnie et des Croates.
8 M. Nobilo (interprétation). - Le 12 mai 1992, les Croates de
9 Fojnica et de Busovaca ont pillé un convoi. Pouvez-vous parler de cela ?
10 M. Blaskic (interprétation). - Oui. En fait, c'était la première
11 fois que la Défense territoriale était parvenue à se procurer des blindés
12 transports de troupes. Jusqu'à ce jour-là, nous n'avions jamais vu de tels
13 véhicules. C'était des blindés que l'on voit sur les premières lignes et
14 qui, ensuite, ont été repris par la Défense territoriale de Visoko.
15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les Croates de
16 Fojnica ont pillé ce convoi et ils se sont saisis de tout l'équipement que
17 transportait ce convoi. Par la suite, avec un certain nombre de Croates,
18 membres du HVO de Busovaca, ils ont décidé de prendre le chemin de
19 Busovaca, Fojnica et, ensuite, d'aller jusqu'à Fojnica avec ces blindés.
20 Et pendant ce trajet, ils ont ouvert le feu en se servant de leurs armes
21 automatiques et cela a provoqué une réaction de toute la ville.
22 M. Nobilo (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Nous
23 pouvons peut-être suspendre maintenant.
24 Monsieur le Président, vous vous rappelez peut-être le témoin de
25 la défense, le professeur Jankovic, qui était un expert en artillerie. Le
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1 Tribunal a demandé qu'on lui remettre l'ouvrage qui traite de cet obusier
2 122 millimètres.
3 M. Hayman (interprétation) - Bonne chance !
4 M. le Président. - C'est sur cette conclusion que nous allons
5 lever la séance et nous la reprenons, n'est-ce pas M. le greffier en chef,
6 demain à 10 heures ?
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8 L'audience est levée à 17 heures 30.
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