DÉCLARATION DU PRÉSIDENT JORDA ET DU JUGE SHAHABUDDEEN

1. Nous souscrivons à la décision qui a été rendue et nous souhaitons nous exprimer sur un point : le fait que la Chambre d’appel rejette un recours sur la base d’un moyen la dispense d’examiner tout autre moyen d’appel soulevé par l’appelant, même si rien au vu de la jurisprudence de ce Tribunal ne s’oppose à ce qu’elle le fasse. Si la Chambre d’appel décide d’examiner un autre moyen d’appel, elle n’est pas tenue pour autant d’examiner l’ensemble des moyens d’appel.

2. En l’espèce, il suffisait à la Chambre d’appel de débouter la Croatie pour défaut de qualité, mais elle n’en a pas moins décidé de se pencher sur un autre argument de la Croatie selon lequel « l’Accusation doit entendre ou proposer d’entendre tout accusé potentiel avant de demander confirmation de l’acte d’accusation » (par. 12 de la Décision).

3. Cette question portait sur un point de droit et la Chambre d’appel l’a examinée sur ce terrain, comme le démontre le paragraphe précité. La marche du Tribunal serait facilitée par l’adoption rapide d’une ligne directrice générale sur la question de savoir s’il est nécessaire d’entendre un accusé avant de demander confirmation de l’acte d’accusation établi à son encontre.

4. Il en va autrement pour l’argument de la Croatie selon lequel M. Bobetko satisfaisait aux conditions requises pour une mise en liberté provisoire, et que, par suite, il n’était nul besoin de procéder à son arrestation puisqu’il bénéficierait immédiatement de la mise en liberté provisoire (par. 13 de la Décision). S’agissant de ce point, les questions de fait devraient être appréciées selon les circonstances propres à l’espèce.

5. La Chambre d’appel devait en particulier indiquer si, au vu des éléments qui lui ont été présentés par la Croatie, elle acceptait l’argument de celle-ci selon lequel M. Bobetko comparaîtrait au procès aux fins de remplir les conditions requises pour sa mise en liberté provisoire. Si M. Bobetko devait ultérieurement déposer une demande en ce sens devant une Chambre de première instance, il se fonderait vraisemblablement sur l’ensemble, ou du moins sur une large partie, des éléments qui ont été présentés devant la Chambre d’appel. Tout appel de la décision de la Chambre de première instance serait interjeté devant cette même Chambre d’appel.

6. Si la Chambre de première instance et la Chambre d’appel ne sont pas juridiquement tenues par les conclusions rendues en l’espèce par cette dernière, nous sommes d’avis qu’il serait en pratique difficile de les ignorer, notamment s’agissant de la conclusion hypothétique selon laquelle, au vu des éléments factuels disponibles, M. Bobetko ne se présenterait pas au procès. Dans toute demande aux fins de mise en liberté provisoire, M. Bobetko ferait valoir exactement le contraire et pourrait se plaindre de l’iniquité dont il est victime. Bien sûr, une réponse exhaustive en droit pourrait être apportée. Toutefois, s’il est possible de l’éviter, et nous pensons que c’est le cas, M. Bobetko n’aurait pas à se contenter d’une telle réponse.

7. La Chambre d’appel devrait se garder de s’exprimer, lorsque rien ne l’y oblige, sur des questions de fait sur lesquelles pourrait se prononcer ultérieurement la Chambre de première instance, puis cette même Chambre d’appel en cas de recours formé devant elle. Dès lors que la Chambre d’appel a examiné le deuxième argument relatif à la nécessité d’entendre l’accusé, elle n’était pas tenue de se pencher sur l’argument relatif à la mise en liberté provisoire. La Chambre d’appel pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard. Dans les circonstances de l’espèce, elle l’a exercé à bon droit.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d'appel
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Le Juge Claude Jorda

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Le Juge Mohamed Shahabuddeen

Fait le 29 novembre 2002
La Haye (Pays-Bas)