LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Liu Daqun

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
27 juin 2000

LE PROCUREUR

C/

Radoslav BRDANIN & Momir TALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE MOMIR TALIC
AUX FINS DE COMMUNICATION DE MOYENS DE PREUVE

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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland

Les Conseils de la Défense :

M. John Ackerman pour Radoslav Brdanin
Maître Xavier de Roux et Maître Michel Pitron pour Momir Talic

 

1. Introduction

1. Dans sa Requête aux fins de communication de moyens de preuve, l'accusé Momir Talic («Talic») a prié la Chambre de premicre instance de faire droit aux trois demandes suivantes1 :

1) fixer à l'Accusation un délai, en application de l'article 66 A) ii) du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»), pour communiquer à l'accusé les copies des déclarations de tous les témoins qu'elle entend citer à l'audience et de toutes les déclarations sous serment ou déclarations certifiées visées à l'article 94 ter du Règlement2,

2) ordonner à l'Accusation de lui transmettre dans le même délai «toutes pièces, autre que les déclarations susvisées» et

3) ordonner à l'Accusation, en application de l'article 68 du Règlement, de lui communiquer toutes pièces de nature à le disculper.

2. Contexte

2. Le 17 décembre 1999, Talic a reçu les copies expurgées des picces jointes à l'acte d'accusation. Le 25 février 2000, l'accusé a reçu deux classeurs de pièces complémentaires dont il prétend qu'elles n'entrent pas dans le champ des pièces jointes à l'acte d'accusation3. Talic allcgue que la présente instance est la quatricme affaire portée par l'Accusation devant ce Tribunal, concernant des faits identiques survenus dans la même région et que le Procureur enquête sur ces événements depuis 1994. Par conséquent, Talic estime que l'Accusation doit etre considérée comme disposant à ce jour de l'ensemble des éléments lui permettant de soutenir les accusations contre lui. L'accusé a besoin de ces éléments pour pouvoir préparer sa défense4.

3. La question de savoir si l'Accusation a le droit d'expurger les copies des pièces jointes à l'acte d'accusation fait l'objet d'une requête distincte, qui devrait prochainement être tranchée5. La présente requête, quant à elle, ne porte pas sur ces documents.

3. Argumentation

4. Dans sa Requête, Talic ne précise pas si les deux classeurs de documents qu'il a reçus lui ont été transmis en application de l'article 66 A) ii) du Rcglement mais sa demande repose sur l'idée que tel n'était pas le cas. Dans sa Réponse6, déposée avant que Talic ne corrige l'erreur commise dans sa Requete, concernant l'article sur lequel se fondaient ses demandes, l'Accusation ne dit pas si les deux classeurs ont bien été communiqués en vertu des obligations inscrites audit article ; toutefois, le fait qu'elle se soit opposée aux demandes de la Défense peut impliquer qu'ils ne l'étaient pas7.

5. L'article 66 A) ii) du Règlement fait obligation à l'Accusation de mettre à la disposition de l'accusé des documents du type de ceux que réclame Talic dans sa première demande, «dans le délai fixé par la Chambre de première instance ou par le Juge de la mise en état». Talic requiert en l'espcce que ce délai soit fixé. À quoi l'Accusation répond que cette demande est prématurée puisque aucune date n'a encore été proposée pour l'ouverture du procès de l'accusé et que la Requête aux fins de mesures de protection reste pendante8.

6. La Chambre de première instance n'accepte pas l'argument, implicite dans la Réponse, selon lequel les obligations de l'Accusation visées à l'article 66 A) ii) sont nécessairement liées soit à la nécessité d'ordonner des mesures de protection, soit à la proximité de l'ouverture du procès. Même si la Chambre de première instance devait accueillir les arguments présentés par l'Accusation dans sa Requête aux fins de mesures de protection, cela ne dispenserait pas cette dernière de respecter les dispositions de l'article 66 A) ii) du Règlement une fois le délai fixé, en mettant à la disposition de l'accusé des copies expurgées des documents pertinents. Toutefois, étant donné que la décision relative à la Requête aux fins de mesures de protection est imminente, la Chambre accorde qu'il est préférable de surseoir à statuer sur la première demande jusqu'à ce que soit rendue ladite décision. La Chambre prendra les mesures nécessaires, le cas échéant, lors de la conférence de mise en état fixée au 20 juillet 2000.

7. La nature des documents visés par la deuxième demande de Talic n'a pas été définie. Le droit d'un accusé r se voir communiquer l'ensemble des pièces par le Procureur est énoncé aux articles 66 et 68 du Règlement. Dans le cas où des documents particuliers, censés exister, n'entrent pas dans le champ d'application de l'un ou l'autre de ces articles et qu'un accusé demande qu'ils lui soient communiqués dans un but légitime juridiquement pertinent (legitimate forensic purpose), il doit présenter une requête où sont définis les documents visés par sa demande. Un accusé n'a pas le droit de se contenter de demander copie de tous les documents se trouvant en possession de l'Accusation. La pratique de ce Tribunal, commune à bon nombre d'autres juridictions, n'autorise pas une partie à aller de la sorte à la pêche aux informations (fishing expedition). Avant d'obtenir l'accès à des documents, quel qu'en soit le détenteur, une partie doit démontrer qu'ils sont susceptibles de l'aider matériellement à présenter ses moyens ou tout au moins, qu'il existe de bonnes chances pour qu'ils le fassent9. Dans la mesure où Talic cherche à obtenir d'autres documents que ceux auxquels il a droit en vertu des articles 66 et 68 du Rcglement, il n'a pas prouvé de manière satisfaisante le bien-fondé des mesures qu'il sollicite.

8. La troisième demande de Talic se fonde sur l'article 68 du Règlement. L'Accusation doit s'acquitter «aussitôt que possible» de son obligation d'informer l'accusé de l'existence de tout élément de preuve dont elle a connaissance, qui est de nature à disculper en tout ou en partie ce dernier ou qui pourrait porter atteinte à la crédibilité des éléments de preuve à charge. Le terme «élément de preuve» énoncé à l'article 68 doit être interprété très largement. Il ne se limite pas aux seuls éléments qui, par leur forme, seraient admissibles en tant qu'éléments de preuve. Il inclut toute information qui est de nature à disculper en tout ou en partie l'accusé ou qui pourrait porter atteinte à la crédibilité des éléments à charge. Cette obligation est permanente et n'est soumise à aucun délai. Si, à ce jour, l'Accusation a connaissance de l'existence de tout élément de ce type, elle se doit d'en informer l'accusé «aussitôt que possible». Les arguments avancés dans la Réponse de l'Accusation, à savoir qu'il est actuellement prématuré pour elle de s'acquitter de cette obligation et qu'elle devrait être autorisée à attendre la décision de la Chambre relative à la Requête aux fins de mesures de protection, sont par conséquent rejetés.

9. La Chambre de première instance accueille néanmoins l'argument de l'Accusation selon lequel il aurait été préférable de régler les questions soulevées par la Requête de la Défense par une discussion entre les parties. Ces dernières devraient être uniquement autorisées à présenter une requête lorsqu'elles ne sont pas parvenues à un accord après discussion. Ayant désormais précisé les obligations de l'Accusation inscrites à l'article 68 du Règlement, la Chambre de première instance est d'avis qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures particulières à ce stade de la procédure.

4. Note

10. Talic s'est plaint du fait que la traduction en anglais de sa Requete (déposée en français, comme le Règlement le lui permet) comportait deux erreurs10. Que cette réclamation soit fondée ou non, il aurait été plus utile à tous que l'accusé y joigne une version de ce qu'il estimait être la traduction correcte.

5. Dispositif

11. Pour les raisons susmentionnées, la Chambre de première instance décide de ne pas faire droit aux demandes de l'accusé.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 27 juin 2000,
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
(signé)
M. le Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1. 5 juin 2000 (la «Requête»).
2. La Requête mentionnait à l'origine l'article 66 B) ii) du Règlement ; toutefois, Talic a entre-temps informé le Tribunal qu'une erreur s'était glissée dans le document. Cf. Mémorandum relatif à la Requête aux fins de communication de moyens de preuve en date du 5 juin 2000, 16 juin 2000 (le «Mémorandum de Talic»), par. 1.
3. Requête, par. 1
4. Ibid., par. 2.
5. Requête aux fins de mesures de protection, 10 janvier 2000 (la «Requête aux fins de mesures de protection») déposée par l'Accusation.
6. Réponse de l'Accusation à la «Requête aux fins de communication de moyens de preuve» déposée par le conseil de l'accusé Momir Talic. 13 juin 2000 («la Réponse»).
7. Après que l'erreur a été corrigée, l'Accusation a informé oralement la Chambre qu'elle ne souhaitait pas déposer de réponse supplémentaire à la Requête.
8. Réponse, par.1 à 3.
9. Le Procureur c/ Delalic, affaire n° IT-96-21-A, Arrêt relatif à la requête aux fins de conservation et de communication d'éléments de preuve, 22 avril 1999, p. 5 ; Opinion individuelle du Juge Hunt concernant la requête d'Esad Landžo aux fins de conservation et de communication d'éléments de preuve, par. 4 à 7.
10. Mémorandum de Talic, par. 2.