LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II
Devant : M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 31 juillet 2000
LE PROCUREUR
c/
Radoslav BRDANIN & Momir TALIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE MOMIR TALIC
AUX FINS DACCÈS À DES INFORMATIONS CONFIDENTIELLES
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Le Bureau du Procureur :
Mme Joanna Korner
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland
Le Conseil de la Défense :
M. John Ackerman pour Radoslav Brdjanin
Maître Xavier de Roux et Maître Michel Pitron pour Momir Talic
1. Momir Talic («Talic») est accusé de diverses infractions résultant de son implication présumée, en 1992, dans un projet de «nettoyage ethnique» du nouveau territoire serbe dont la création était envisagée en Bosnie-Herzégovine (région actuellement connue comme «Republika Srpska»), consistant à faire partir quasiment toute la population musulmane de Bosnie et croate de Bosnie des zones revendiquées pour ce territoire, notamment de la Région autonome de Krajina («RAK»)1.
2. Talic a demandé au Greffier de lui accorder laccès aux comptes rendus et pièces à conviction relatifs à quatre autres affaires dont ce Tribunal a été ou est actuellement saisi, qui ont également découlé dévénements qui sont survenus ou sont censés être survenus en RAK durant la même période2. Selon lui, ces pièces «peuvent avoir une valeur considérable» pour la préparation de sa défense3.
3. Certaines de ces pièces ont été déposées auprès du Tribunal ou admises au dossier à titre confidentiel, et Talic a demandé à la Chambre de première instance de prendre les mesures nécessaires pour autoriser le Greffier [cest-à-dire le Greffe] à lui donner accès à ces pièces4. Talic affirme que lAccusation a accès auxdites pièces mais que lui-même en est actuellement privé, et il fait valoir quen application de larticle 21 du Statut du Tribunal, il a lui aussi le droit dy avoir accès5. Il sagit en loccurrence dune référence aux principes de l«égalité des armes» et du droit à un procès équitable énoncés à larticle 21 du Statut6.
4. Les quatre affaires auxquelles Talic se réfère sont les suivantes :
Le Procureur c/ Tadic7, jugée par la Chambre de première instance II,
Le Procureur c/ Kovacevic8, jugée par la Chambre de première instance II,
Le Procureur c/ Kvocka9, actuellement pendante devant la Chambre de première instance I,
Le Procureur c/ Sikirica et consorts10, actuellement pendante devant la Chambre de première instance III.
5. LAccusation sest opposée à cette requête pour trois raisons. Elle semble premièrement avancer, sans le formuler clairement, que Talic devrait être assuré que lAccusation remplira les obligations que lui imposent les articles 66 A) et 68 du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»)11. Aux termes de larticle 66 A) du Règlement, lAccusation est tenue de communiquer à la Défense les copies des pièces qui sont jointes à lacte daccusation lors de la demande de confirmation et celles des déclarations faites par tous les témoins que le Procureur entend citer à laudience. Quant à larticle 68 du Règlement, il impose au Procureur lobligation permanente dinformer la défense
[ ] de lexistence déléments de preuve dont il a connaissance qui sont de nature à disculper en tout ou en partie laccusé ou qui pourraient porter atteinte à
la crédibilité des éléments de preuve de laccusation12.
6. Nous rejetons tout argument selon lequel cest lAccusation qui contrôle laccès des accusés aux pièces détenues par le Tribunal. LAccusation ne peut pas forcément prévoir quelles pièces pourraient être pertinentes pour des moyens de défense qui nont pas encore été invoqués. Même si on ne saurait, dans ces circonstances, lui faire grief de méconnaître larticle 68 du Règlement, il en résulte néanmoins un préjudice pour laccusé. Les articles 66 et 68 du Règlement concernent lobligation de communication qui incombe à lAccusation. Ils ne concernent pas la communication de pièces demandées par laccusé, quil peut identifier de manière suffisante et dont il est capable de prouver quelles pourraient lui être utiles. Par exemple, lAccusation ne pourrait empêcher un accusé de consulter des pièces accessibles au public en faisant valoir que laccusé ne peut les obtenir quen application des articles 66 et 68 du Règlement. LAccusation dispose, bien sûr, du droit à être entendue sur laccès dun accusé (ou de toute autre personne) à des pièces versées ou admises au dossier à titre confidentiel, mais cest là une autre question.
7. Deuxièmement, lAccusation soppose à la Requête au motif que Talic chercherait en fait à obtenir communication des pièces quelle détient, alors quil na pas identifié de manière suffisante un but légitime juridiquement pertinent justifiant sa demande ce qui signifie que laccusé doit démontrer que, selon toute probabilité, les pièces demandées renforceront considérablement son dossier13. Cest pour le même motif que la Chambre de première instance avait, dans sa Décision sur la communication de moyens de preuves, refusé dordonner à lAccusation la communication de «toutes pièces, autres que les déclarations» visées aux articles 66 et 68, sollicitée par Talic dans sa requête précédente14. Nous interprétons la présente Requête comme une tentative de réparer les omissions faites par Talic dans la précédente.
8. Nous ne sommes pas davis que Talic cherche en fait, par cette Requête, à obtenir la communication des pièces détenues par lAccusation. On peut raisonnablement dire que les comptes rendus et pièces à conviction relatifs à dautres affaires jugées devant le Tribunal, nées dévénements qui auraient eu lieu dans la même région et à la même époque que celles de lespèce, renforceront considérablement son dossier15. Nous sommes convaincus que lAccusation a déjà examiné ces pièces pour préparer le procès ou quelle le fera avant le début de celui-ci. Or, encore une fois, lAccusation ne sait pas nécessairement quelles pièces pourraient être pertinentes pour une défense en lespèce. Beaucoup de questions dordre général sont communes à lensemble de ces affaires et nous ne considérons pas que la présente Requête revienne à aller «à la pêche aux informations (fishing expedition) [ ] dans lespoir dy trouver des arguments à faire valoir» en faveur de Talic16. Tout cela sentend sous réserve dune modification des ordonnances de protection qui sont actuellement en vigueur.
9. La troisième raison pour laquelle lAccusation soppose à la Requête est que la présente Chambre de première instance ne serait pas un cadre approprié pour une telle demande, puisquil revient aux ou à la Chambre(s) de première instance ayant prononcé les mesures de protection de les modifier17. Cela est exact18. Dailleurs, ce principe est désormais expressément inscrit à larticle 75 D) du Règlement :
Une fois que des mesures de protection ont été accordées en faveur dune victime ou dun témoin, seule la Chambre les ayant accordées peut les modifier ou les annuler ou autoriser la communication de pièces confidentielles à une autre Chambre pour leur utilisation dans une autre instance. Si, à la date de la requête aux fins de modification ou de communication, la Chambre initiale nest plus constituée des mêmes juges, le Président peut autoriser la modification ou la remise.
10. Sagissant des deux affaires pendantes devant les Chambres de première instance I et III, cest donc à ces chambres quil revient dentendre la requête de Talic et de statuer sur la modification des mesures de protection pertinentes quelles ont ordonnées19. Les chambres tiendront certainement compte du degré de pertinence que les pièces confidentielles concernées pourraient présenter au regard des questions spécifiques soulevées par lacte daccusation modifié et de toute autre question définie de manière circonstanciée dans la requête de Talic, une telle question devenant plus sensible lorsquelle a trait à des pièces confidentielles que lorsque dautres documents sont en jeu. Nous attirons respectueusement lattention desdites chambres sur le vu exprimé par le Greffier, dans sa réponse à la Requête, de présenter des conclusions supplémentaires sur la procédure à suivre20. Sagissant des deux affaires jugées par la Chambre de première instance II, cette chambre ne peut être reconstituée avec les juges qui ont entendu ces affaires, soit parce que ceux-ci ne sont plus en fonction, soit parce quils ont démissionné depuis que ces affaires ont été jugées21. La requête de Talic doit donc être soumise au Président.
11. Par ces motifs, nous INVITONS le Greffier à transmettre la Requête :
i) au Président, afin quil se prononce sur les modifications sollicitées pour les mesures de protection ordonnées dans les affaires Le Procureur c/ Tadic et Le Procureur c/ Kovacevic,
ii) à la Chambre de première instance I, afin quelle se prononce sur les modifications sollicitées en ce qui concerne les mesures de protection ordonnées dans laffaire Le Procureur c/ Kvocka et
iii) à la Chambre de première instance III, afin quelle se prononce sur les modifications sollicitées en ce qui concerne les mesures de protection ordonnées dans laffaire Le Procureur c/ Sikirica et consorts.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Fait le 31 juillet 2000
La Haye (Pays-Bas)
Le Juge de la mise en état
________(signé)_______
David Hunt
[Sceau du Tribunal]