Affaire n° : IT-99-36-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
Mme le Juge Ivana Janu
Mme le Juge Chikako Taya

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
3 juin 2003

LE PROCUREUR
c/
RADOSLAV BRDJANIN

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DÉCISION RELATIVE À LA PRÉSENTATION PAR L’ACCUSATION DE LA DÉCLARATION DU TÉMOIN EXPERT EWAN BROWN

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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Andrew Cayley

Les Conseils de la Défense :

M. John Ackerman
M. David Cunningham

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU les Déclarations de témoins experts soumises par l’Accusation en application de l’article 94 bis du Règlement (Prosecution’s Submission of Statements of Expert Witnesses Pursuant to Rule 94 bis), déposées le 12 décembre 2002, parmi lesquelles l’Accusation communique notamment, en application de l’article 94 bis A) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), l’intégralité de la déclaration d’Ewan Brown (le « Témoin »), témoin expert à charge que l’Accusation entend citer à comparaître,

VU la Réponse aux déclarations de témoins experts soumises par l’Accusation en application de l’article 94 bis du Règlement (Response to the Prosecutor’s Submission of Statements of Expert Witnesses Pursuant to Rule 94 bis) et la Réponse modifiée aux déclarations de témoins experts soumises par l’Accusation en application de l’article 94 bis du Règlement (Amended Response to the Prosecutor’s Submission of Statements of Expert Witnesses Pursuant to Rule 94 bis), déposées respectivement les 2 et 3 janvier 2003 par la Défense, dans lesquelles cette dernière se réserve le droit de contester tant la qualité d’expert du Témoin que sa déclaration,

VU les audiences qui se sont tenues les 14 janvier, 6 février et 12 mars 2003, pendant lesquelles la Défense a indiqué qu’elle déposerait de nouvelles écritures en application de l’article 94 bis B) iii) du Règlement,

VU la Réponse à la présentation du témoin expert à charge Ewan Brown (Response to Prosecutor’s Expert Witness Submission as to Ewan Brown), déposée par la Défense le 9 mai 2003, dans laquelle cette dernière conteste l’admission du témoignage du Témoin en invoquant les arguments suivants :

i) le Témoin n’a pas la qualité d’expert « dans le domaine militaire que ce soit en ex-Yougoslavie ou dans tout autre pays »,

ii) la déclaration et le témoignage du Témoin ne sont pas impartiaux puisque ce dernier fait partie du Bureau du Procureur,

iii) la déclaration et le témoignage du Témoin ne sont pas crédibles,

iv) la déclaration et le témoignage du Témoin ne présentent guère d’utilité pour la Chambre de première instance,

v) la déclaration et le témoignage du Témoin se fondent sur de nombreux faits qui n’ont pas été versés au dossier,

Vu la requête par laquelle la Défense demande que le témoignage du Témoin soit rejeté ou, à défaut, qu’une audience soit tenue devant la Chambre de première instance afin de déterminer si « l’admission du témoignage d’un tel expert se justifie »,

VU la Réplique de l’Accusation à la réponse de l’accusé à la présentation du témoin expert à charge Ewan Brown déposée le 9 mai 2003 et l’Annexe A confidentielle (Prosecution’s Response to Accused’s Response to Prosecutor’s Expert Witness Submission as to Ewan Brown filed on 09 May 2003 and Confidential Annex « A ») et le Corrigendum de l’Accusation à la réplique de l’Accusation à la réponse de l’accusé à la présentation du témoin expert à charge Ewan Brown déposée le 9 mai 2003 (Prosecution’s Corrigendum to Prosecution’s Response to Accused’s Response to Prosecutor’s Expert Witness Submission as to Ewan Brown filed on 09 May 2003), déposés à titre confidentiel les 14 et 16 mai 2003 respectivement, dans lesquels l’Accusation avance que :

i) le Témoin a la qualité d’expert,

ii) le fait que le Témoin fasse partie du Bureau du Procureur n’a aucune incidence sur l’admissibilité de sa déclaration et de son témoignage,

iii) la fiabilité de la déclaration et du témoignage du Témoin est une question relative à la valeur des moyens de preuve et pourra être vérifiée lors du contre-interrogatoire,

iv) il est prématuré d’insinuer que la déclaration et le témoignage du Témoin ne présentent guère d’utilité pour la Chambre de première instance,

v) il n’est pas nécessaire que la déclaration et le témoignage d’un témoin expert ne se fondent que sur des éléments versés au dossier,

ATTENDU que l’Accusation demande, par conséquent, que la déclaration du Témoin soit admise comme expertise sans que soit tenue d’audience spécifique destinée à contester ses qualifications, et que le Témoin soit cité à l’audience afin de permettre à la Chambre de première instance d’apprécier, comme il se doit, le poids qu’il convient d’accorder à son témoignage,

VU la décision orale de la Chambre de première instance du 19 mai 2003 de refuser toute nouvelle audience, dans la mesure où les questions en litige ont été suffisamment traitées dans les écritures des parties,

ATTENDU qu’en substance, les objections de la Défense portent sur la question de savoir si le témoignage du Témoin peut être admis comme expertise,

ATTENDU que la Chambre de première instance doit d’abord déterminer si le Témoin a la qualité d’expert, avant de dire si son témoignage est admissible en tant qu’expertise,

ATTENDU que, dans la mesure où l’article 94 bis du Règlement ne définit pas explicitement ce qu’est un témoin expert, la Chambre de première instance adopte la définition suivante issue de la jurisprudence du Tribunal :

une personne qui, grâce à ses connaissances, ses aptitudes ou une formation spécialisée, peut aider le juge du fait à comprendre ou à se prononcer sur une question litigieuse1,

ATTENDU que, selon l’Annexe A confidentielle jointe à la réplique de l’Accusation, le Témoin a la qualité d’expert et qu’en raison de ses connaissances, de sa formation et de son expérience, il a les qualifications requises pour témoigner au sujet du déroulement des opérations militaires dans la Bosanska Krajina en 1992,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 89 C) du Règlement, la Chambre de première instance peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante, et que pour être admissible, ledit élément de preuve doit se rapporter aux questions soulevées au procès,

ATTENDU que l’article 94 bis du Règlement n’ajoute pas aux dispositions de l’article 89 C) de condition d’admissibilité qui n’est pas explicitement prévue par cet article et, par conséquent, ne fixe pas de condition plus restrictive à l’admission du témoignage d’un témoin expert que les conditions d’admissibilité normales consacrées par l’article 89 C) du Règlement,

ATTENDU que la Chambre de première instance a le pouvoir d’apprécier la valeur probante de la déclaration et du témoignage d’un témoin expert, et de déterminer le poids qu’il convient d’y accorder,

ATTENDU que le simple fait pour un témoin expert d’être employé ou rémunéré par l’une des parties n’interdit pas sa citation en tant qu’expert,

ATTENDU que rien n’indique dans la déclaration du Témoin que celle-ci n’est pas crédible, ce qui, dans le cas contraire, lui enlèverait toute valeur probante et la rendrait donc irrecevable,

ATTENDU que toutes préoccupations concernant l’indépendance et l’impartialité du Témoin, l’exactitude de son témoignage ou la mesure dans laquelle celui-ci sera utile à la Chambre de première instance relèvent de l’appréciation des éléments de preuve et non de leur recevabilité, et que l’on peut y répondre de façon satisfaisante au cours du contre-interrogatoire,

ATTENDU qu’il n’est nulle part indiqué dans le Règlement qu’une expertise ne doit se fonder que sur des faits admis, mais qu’au contraire, comme le précise à juste titre l’Accusation, intrinsèquement, une expertise se fonde également sur des faits qui n’ont pas encore été admis,

ATTENDU que la Chambre de première instance déterminera à la fin du procès et en tenant compte de tous les éléments de preuve produits le poids à accorder aux expertises, et que l’admission de l’expertise du Témoin ne veut pas nécessairement dire que la Chambre de première instance souscrit à ses conclusions,

ATTENDU que la Défense a le droit de présenter une contre-expertise et de citer ses propres témoins experts durant la présentation de ses moyens,

ATTENDU que, par conséquent, l’équité du procès ne sera pas compromise si la déclaration du Témoin est admise et si ce dernier est cité comme témoin expert,

PAR CES MOTIFS

EN APPLICATION des articles 21 du Statut et 89 et 94 bis du Règlement,

ORDONNE QUE :

1. La déclaration du Témoin soit admise,

2. Le Témoin soit cité à comparaître pour son contre-interrogatoire.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 3 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
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Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]
1. Le Procureur c/ Stanislav Galić, IT-98-29-T, Décision relative aux témoins experts Ewa Tableau et Richard Philipps, 3 juillet 2002 ; Le Procureur c/ Stanislav Galić, IT-98-29-T, Décision relative aux rapports de témoins experts présentés par la Défense, 27 janvier 2003.