LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Liu Daqun

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
2 avril 2001

LE PROCUREUR

C/

Radoslav BRÐANIN et Momir TALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DU PROCUREUR

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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Nicolas Koumjian
M. Andrew Cayley
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman, pour Radoslav Brdanin
MM Xavier de Roux et Michel Pitron, pour Momir Talic

 

1. Rappel

1. La Chambre de première instance a rendu un certain nombre de décisions en l’espèce concernant des mesures de protection sollicitées par l’Accusation afin que l’identité de ses témoins ne soit pas révélée aux accusés et aux équipes chargées de leur défense1. Dans sa Première Décision relative aux mesures de protection, la Chambre de première instance enjoignait à l’Accusation de fournir aux accusés, le 24 juillet 2000 au plus tard, des copies de déclarations non expurgées ; n’étaient toutefois pas concernées les déclarations pour lesquelles les mesures de protection avaient été sollicitées dans l’intervalle2.

2. L’Accusation a ensuite déposé quatre autres demandes de mesures de protection. Il a été fait droit à certaines et non à d’autres. Le refus d’accorder les mesures de protection demandées à certains témoins particuliers a eu pour effet de contraindre l’Accusation à se plier à l’ordre donné par la Chambre dans sa Première Décision relative aux mesures de protection et, ainsi, à communiquer aux accusés une version non expurgée des déclarations préalables de ces témoins. L’Accusation a demandé, en vain, l’autorisation d’interjeter appel de chacun de ces refus3. Bien que n’ayant pas demandé à surseoir à l’exécution de la Première décision relative aux mesures de protection tant qu’il n’aura pas été statué sur les demandes d’autorisation d’interjeter appel des autres Décisions relatives aux fins de mesures de protection, l’Accusation ne s’est pas conformée à ladite Première décision.

2. Demande de prorogation de délai

3. L’Accusation demande à présent une prorogation de délai afin de pouvoir se conformer à cette décision4. Elle affirme qu’elle est en train de prendre contact avec les témoins concernés pour les informer des décisions prises, mais que quatre d’entre eux sont injoignables par téléphone et que c’est donc un enquêteur qui les rencontrera en personne. La Chambre de première instance ne voit nullement pourquoi l’Accusation ne peut se conformer à ladite décision sans préalablement informer les témoins de l’obligation qu’elle a de le faire. Toutefois, le délai demandé (sept jours) ne saurait pénaliser la Défense plus qu’elle ne l’a été par la position injustifiée adoptée par l’Accusation en ce qui concerne les mesures de protection en général. Il s’agit d’un délai plus court que celui qui serait nécessaire à la Défense pour déposer une réponse à la Requête de l’Accusation. La prorogation sera donc accordée.

3. Requête aux fins d’éclaircissements

4. L’Accusation a également demandé à la Chambre de première instance de lui apporter des «éclaircissements» concernant sa Quatrième Décision relative aux mesures de protection, et plus particulièrement son refus de l’autoriser à celer l’identité du témoin n° 7.47 aux accusés et aux équipes chargées de leur défense5. Dans la requête qui est à l’origine de la Quatrième Décision relative aux mesures de protection, l’Accusation justifiait sa demande par le fait que, bien qu’elle soit tenue, aux termes de l’article 66 A) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international («le Règlement»), de communiquer les copies de toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation (dont la déclaration du témoin 7.47), elle n’avait pas l’intention de citer à comparaître ce témoin6. Pour les raisons qu’elle avait déjà exposées dans sa Deuxième Décision relative aux mesures de protection7, la Chambre de première instance a rejeté cette requête8. L’appel interjeté contre cette décision a lui aussi été rejeté.

5. L’Accusation a maintenant, pour la première fois, informé la Chambre de première instance que les pièces pertinentes jointes à l’acte d’accusation comprenaient uniquement le compte rendu expurgé (à savoir, la version publique du compte rendu) de la déposition faite par le témoin 7.47 dans l’affaire Tadic, et de sa déclaration préalable. Dans ce compte rendu, le témoin est désigné par un pseudonyme (en conformité avec les mesures de protection accordées par la Chambre de première instance Tadic). La déclaration ne comprend plus aucun élément d’identification. Ces documents ont déjà été communiqués à la Défense sous cette forme9. Il est regrettable que l’Accusation n’ait pas informé la Chambre de première instance de ce nouvel élément d’information au moment même où elle a sollicité les mesures de protection10. La Chambre de première instance peut uniquement faire le nécessaire en ce qui concerne les pièces que les parties lui présentent et elle est en droit de supposer que celles-ci agissent avec diligence et compétence s’agissant des pièces dont elles disposent.

6. À l’évidence, l’article 66 A) i) du Règlement n’oblige nullement l’Accusation à fournir aux accusés autre chose que les copies des pièces jointes à l’acte d’accusation telles qu’elles se présentaient lors de la demande de confirmation. L’Accusation ne serait tenue de divulguer l’identité des témoins que si ces pièces entraient aussi dans le cadre des articles 66 A) ii) (déclarations de tous les témoins que le Procureur entend citer à l’audience) ou 68 (moyens de preuve à décharge). Si l’identité du témoin 7.47 n’a pas été communiquée au juge de confirmation, elle n’a pas à l’être à la Défense aux termes de l’article 66 A) i) du Règlement.

7. Si donc cette information avait été communiquée à la Chambre de première instance quand elle aurait dû l’être, celle-ci aurait pris une décision en ce sens, au lieu de refuser à l’Accusation l’autorisation de ne pas révéler l’identité du témoin 7.47 aux accusés et à la Défense. Mais, l’adoption d’une telle décision à présent constitue plus qu’une simple clarification du dispositif de la Quatrième Décision relative aux mesures de protection11, comme l’Accusation le demande. Cela nécessite qu’il soit modifié comme suit :

i) supprimer dans le troisième point du dispositif les mots et chiffres «7.19, 7.28 et 7.47» et les remplacer par «7.19 et 7.28» et

ii) ajouter un quatrième point :

4. S’agissant du témoin 7.47, l’Accusation s’est acquittée de l’obligation que lui impose l’article 66 A) i) du Règlement en communiquant aux accusés des copies des pièces pertinentes jointes à l’acte d’accusation telles qu’elles se présentaient lors de la demande de confirmation.

La Chambre de première instance ordonne cette modification.

4. La Décision du Président

8. Cependant, la Chambre de première instance appelle l’attention de l’Accusation sur l’importance, pour cette requête, des ordonnances rendues par le Président Jorda relativement aux requêtes des deux accusés aux fins d’accès à des informations confidentielles provenant, entre autres, de l’affaire Tadic12. Le Greffier est tenu, en pleine coopération avec le Bureau du Procureur, de communiquer aux accusés en l’espèce «les pièces à conviction et les comptes rendus d’audiences confidentiels» relatifs à l’affaire Tadic, sous réserve «des mêmes mesures de protection, mutatis mutandis» que celles ordonnées dans l’affaire Tadic13. Le Président a affirmé que le fait que le Conseil de la Défense en l’espèce soit tenu de respecter les mesures de protection ordonnées dans l’affaire Tadic ne signifie pas que les comptes rendus et les pièces à conviction doivent lui être communiqués dans leur version expurgée, mais bien que l’Accusation pourrait demander à la Chambre de première instance de :

[…] prendre des mesures de protection supplémentaires, telles que l’adoption de pseudonymes différents et l’interdiction de mentionner qu’un témoin a déjà été entendu par le Tribunal […]14

Par conséquent, à ce stade, le Greffier est tenu de communiquer à la Défense en l’espèce les pièces à conviction et comptes rendus confidentiels se rapportant à l’affaire en question, sous réserve des seules mesures de protection ordonnées dans l’affaire Tadic – lesquelles n’empêchaient pas les conseils de connaître l’identité du témoin 7.47. Les Ordonnances du Président autorisent donc la Défense à connaître son identité.

9. L’Accusation a analysé cette situation dans un document ultérieur, intitulé «Requête de l’Accusation relative aux documents confidentiels concernant les affaires Tadic et Kovacevic»15, par lequel elle sollicitait (en dépit de son titre), soi-disant en plein accord avec la phrase citée du Président dans sa Deuxième ordonnance, de nouvelles mesures de protection garantissant que l’identité de tout témoin ayant déposé dans l’affaire Tadic (notamment le témoin 7.47) ne serait pas révélée à la Défense tant qu’il ne serait pas établi que l’accès à ce témoin pourrait, d’une manière précise, considérablement aider la défense dans la présentation de sa cause et que celle-ci ne peut raisonnablement pas bénéficier de cette aide autrement16.

10. Il n’a pas été statué sur cette requête de l’Accusation car toute décision en la matière dépendait nécessairement de celle de la Chambre d’appel sur les demandes d’autorisation d’interjeter appel des Décisions relatives aux mesures de protection auxquelles il est fait référence plus haut. Comme la demande d’autorisation a été rejetée, il faut statuer sur la Requête de l’Accusation. Aucun des accusés n’a déposé de réponse à cette requête – peut-être en raison du titre trompeur que lui a donné l’Accusation –, la Chambre de première instance rendra donc une ordonnance portant calendrier donnant 14 jours pour répondre.

5. Dispositif

11. Pour ces raisons, la Chambre de première instance II ordonne ce qui suit :

1. Conformément à l’ordre donné par la Chambre de première instance dans sa Première Décision relative aux mesures de protection, rendue le 3 juillet 2000, l’Accusation communiquera aux accusés, le 9 avril 2001 au plus tard, les déclarations non expurgées, sauf si des mesures de protection ont été prises en faveur d’un témoin en particulier,

2. Le dispositif de la Quatrième Décision relative aux mesures de protection rendue le 15 novembre par la Chambre de première instance est modifié comme suit :

i) supprimer dans le troisième ordre des mots et chiffres «7.19, 7.28 et 7.47» et les remplacer par «7.19 et 7.28» et ,

ii) ajouter un quatrième point :

4. S’agissant du témoin 7.47, l’Accusation s’est acquittée de l’obligation que lui impose l’article 66 A) i) du Règlement en communiquant aux accusés des copies des pièces pertinentes jointes à l’acte d’accusation telles qu’elles se présentaient lors de la demande de confirmation.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 2 avril 2000,
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance

(signé)
M. le Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1. Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 3 juillet 2000 («la Première Décision relative aux mesures de protection») ; Décision relative à la deuxième requête de l’accusation aux fins de mesures de protection, 27 octobre 2000 («la Deuxième Décision relative aux mesures de protection») ; Décision relative à la troisième requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 8 novembre 2000 («la Troisième Décision relative aux mesures de protection») ; Décision relative à la quatrième requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 15 novembre 2000 («la Quatrième Décision relative aux mesures de protection») ; Décision relative à la cinquième requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 15 novembre 2000 («la Cinquième Décision relative aux mesures de protection»).
2. Première Décision relative aux mesures de protection, par. 65 2).
3. Décision relative aux Requêtes du Procureur aux fins d’autorisation d’interjeter appel des Décisions de la Chambre de première instance II des 27 octobre, 8 novembre et 15 novembre 2000, rendue le 22 mars 2001.
4. Notification par l’Accusation de son observation des décisions de la Chambre de première instance, et requête aux fins d’éclaircissements, 26 mars 2001 («Requête de l’Accusation»), par. 2.
5. Requête de l’Accusation, par. 3 et 4.
6. Quatrième Requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection pour des victimes et des témoins, 21 septembre 2000 («Quatrième Requête»), par. 10.
7. Paragraphes 26 à 32.
8. Quatrième Décision relative aux mesures de protection, par. 19.
9. Requête de l’Accusation, par. 3.
10. Cela n’aurait pas non plus été signalé à la Chambre d’appel, mais il n’était pas été approprié de le faire.
11. Paragraphe 20. 3.
12. Ordonnance relative aux requêtes de Momir Talic et Radoslav Brdanin aux fins d’accès à des informations confidentielles des affaires Le Procureur c/ Tadic et Le Procureur c/ Kovacevic, 11 septembre 2000 («la Première ordonnance du Président»), tel qu’éclaircie par l’Ordonnance relative à la Requête de l’Accusation aux fins de réexaminer l’Ordonnance rendue le 11 septembre 2000 par le Président, 11 janvier 2001 («la Deuxième Ordonnance du Président»).
13. Première Ordonnance du Président, p. 3 et 4.
14. Deuxième Ordonnance du Président, p. 4.
15. 26 janvier 2001 («Requête de l’Accusation aux fins de réparation»).
16. Requête de l’Accusation aux fins de réparation, par. 14 à 17. L’Accusation s’appuie sur les termes utilisés par la Chambre de première instance dans sa décision en l’espèce intitulée «Deuxième Décision relative aux requêtes de Radoslav Brdanin et Momir Talic aux fins d’accès à des documents confidentiels», 15 novembre 2000, par. 12.