LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit : M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état

Assistée de : M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le : 1er juin 2001

LE PROCUREUR

C/

Radoslav BRDANIN et Momir TALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’UNE AUDIENCE CONSACRÉE À LA REQUÊTE DÉPOSÉE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 66 C) DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Nicolas Koumjian
M. Andrew Cayley
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman, pour Radoslav Brdjanin
Me Xavier de Roux et Me Michel Pitron, pour Momir Talic

 

1. L’Accusation a déposé une requête en application de l’article 66 C) du Règlement de procédure et de preuve («le Règlement») du Tribunal, dans laquelle elle demande que soit délivrée une ordonnance la dispensant de son obligation de divulguer certaines informations en sa possession, et qu’elle devrait normalement communiquer à la Défense1. Elle a qualifié la Requête de dépôt ex parte, sous scellés et à titre confidentiel.

2. L’article 66 C) du Règlement prévoit la possibilité de déposer une telle demande devant «la Chambre de première instance siégeant à huis clos», et exige de l’Accusation qu’elle fournisse les informations dont elle sollicite la confidentialité «uniquement à la Chambre de première instance». On entendait à l’origine par audience «à huis clos» une audience se tenant dans le cabinet privé, appelé encore la chambre (camera en latin) du juge, plutôt que dans un prétoire. Aujourd’hui, il s’agit tout simplement d’une audience qui se tient en l’absence du public, comme le prévoit l’article 79 du Règlement («Audiences à huis clos»). Cela ne signifie pas que l’audience est ex parte. La distinction qu’établit l’article 66 C) du Règlement entre la demande (qui doit normalement être notifiée à la Défense), et les pièces qui en font l’objet (qui ne doivent être communiquées qu’à la Chambre de première instance et non à la Défense) implique qu’une telle demande ne doit pas nécessairement être ex parte.

3. La Chambre de première instance a déjà débattu, en l’espèce, des circonstances dans lesquelles des procédures ex parte se justifient2. Elles ne devraient être envisagées, a-t-elle conclu, que si la communication aux autres parties au litige des informations figurant dans la requête, ou le simple fait que la requête soit déposée, risque de nuire indûment à la partie requérante ou à toute personne impliquée dans la requête ou s’y rattachant3. La partie sollicitant le dépôt ex parte doit préciser en quoi la communication du contenu de la requête à l’autre partie au litige causerait injustement pareil préjudice4.

4. Rien ne laisse à penser que la divulgation du dépôt de la Requête nuirait à quiconque dans la présente espèce, et l’Accusation a dûment notifié par écrit chacun des accusés de son intention de la présenter. L’existence de cette demande et certains de ses aspects ont été brièvement abordés lors d’une récente conférence de mise en état5. Mais il ressort clairement des pièces en cause que, d’un point de vue pratique, il est impossible d’en évoquer le contenu sans révéler les informations mêmes que l’Accusation ne veut pas communiquer. Dans ces circonstances, le dépôt ex parte de la présente Requête en application de l’article 66 C) du Règlement est justifié6.

5. Dans sa Requête, l’Accusation demande à être entendue par la Chambre de première instance7; elle l’a en outre informée qu’elle souhaitait être entendue en audience8. Toutefois, le Tribunal n’a pas pour pratique d’entendre des exposés sur des requêtes avant le procès, sauf si des raisons convaincantes en justifient la nécessité9. Dans son Ordonnance relative au dépôt des requêtes, rendue en la présente espèce10, la Chambre a indiqué qu’aucun exposé ne serait entendu sur les requêtes, sauf avec son approbation préalable, compte tenu de la nécessité d’assurer un procès équitable et rapide. Conformément à cette pratique du Tribunal, la partie sollicitant une audience doit présenter des raisons valables pour justifier une dérogation à la pratique généralement suivie en matière de requêtes préalables au procès.

6. Il n’a pas été démontré en l’espèce que l’Accusation ne pouvait valablement présenter par écrit les arguments à l’appui de sa Requête. A priori, la question à trancher ne donne pas à penser qu’un exposé aiderait davantage la Chambre que des conclusions écrites. Les pièces à examiner sont si nombreuses qu’il serait infiniment plus pratique qu’elle dispose des arguments sur papier. Le compte rendu d’un débat oral a rarement la précision d’une argumentation écrite. Des conclusions écrites permettraient également d’examiner les pièces en cause sans qu’il soit nécessaire d’interrompre le procès dont la Chambre est actuellement saisie. La demande d’audience est donc rejetée.

7. Si l’Accusation estime que ses arguments sont insuffisamment exposés dans sa Requête, la Chambre l’autorise à déposer une requête supplémentaire ex parte dans les quatorze jours de la date de la présente Décision. Des éléments de la présente Requête peuvent en être exclus pour rester dans les limites imposées à la longueur des textes par le paragraphe 5 de la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes11.

8. Rien dans la présente Décision ne justifie qu’elle soit rendue sur une base ex parte. Comme elle traite d’une question d’intérêt général - la procédure prévue par l’article 66 C) du Règlement - et ne révèle rien qui doive être gardé confidentiel à l’égard des parties, il est inutile que la Décision soit déposée à titre confidentiel.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 1er juin 2001
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état
(Signé)
Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1. Requête de l'Accusation en application de l'article 66 C) du Règlement, 8 mai 2001 («la Requête»).
2. Décision relative à la deuxième Requête de l'Accusation aux fins de mesures de protection, 27 octobre 2000 («Décision relative à la deuxième Requête»).
3. Ibid, par 11, suivant le principe général énoncé dans Le Procureur c/ Simic, affaire n° IT-95-9-PT, Décision relative 1) à la Requête de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la décision du 27 juillet 1999, 2) à la Requête du CICR aux fins de réexaminer l'Ordonnance portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d'accès aux pièces, 28 février 2000 («Décision Simic»), par. 41.
4. Décision Simic, par. 42 et 43 ; Décision relative à la deuxième Requête, par. 11.
5. Conférence de mise en état, 18 mai 2001, compte rendu d'audience en anglais, p. 312, 313, 326 et 327.
6. Voir Décision Simic, par. 40.
7. Requête, par. 10.
8. Conférence de mise en état, 18 mai 2001, compte rendu d'audience en anglais, p. 313 et 328.
9. Le Procureur c/ Krnojelac, Affaire IT-97-25-PT, Décision relative à l'Exception préjudicielle de la Défense pour vices de forme de l'acte d'accusation, 24 février 1999. Voir également la pratique adoptée par la Chambre d'appel en matière d'appels interlocutoires : Le Procureur c/ Delalic, Affaire n° IT-96-21-A, Ordonnance relative à la Requête d'Esad Landzo aux fins d'un débat devant la Chambre, 26 mars 1999, p. 2.
10. Ordonnance relative au dépôt des requêtes, 31 août 1999, point 4 du dispositif.
11. IT/84, 19 janvier 2001.