LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II
Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Liu Daqun
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
7 juin 2001
LE PROCUREUR
C/
Radoslav BRDJANIN et Momir TALIC
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DÉCISION RELATIVE AU DÉPÔT DE RÉPLIQUES
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Le Bureau du Procureur :
Mme Joanna Korner
M. Andrew Cayley
M. Nicolas Koumjian
Mme Anna Richterova
Mme Ann Sutherland
Le Conseil des accusés :
M. John Ackerman pour Radoslav Brdjanin
MM. Xavier de Roux et Michel Pitron pour Momir Talic
1. Laccusé Momir Talic («Talic») a déposé une Exception préjudicielle pour vice de forme du nouvel acte daccusation modifié déposé par lAccusation1. Talic y demandait que soit fixée une date limite de dépôt dune éventuelle réplique à la Réponse de lAccusation2. Cependant, la partie requérante ne dispose pas dun droit absolu à déposer une réplique. Elle doit en demander lautorisation, et celle-ci ne sera accordée que si la réponse soulève une question qui touche à dautres points que ceux abordés dans lException préjudicielle proprement dite3. La réponse déposée par lAccusation en lespèce ne soulève aucune nouvelle question4. En conséquence, Talic nest pas autorisé à déposer une réplique à la Réponse de lAccusation.
2. Après un débat lors dune récente conférence de mise en état concernant la validité de la façon dont le but commun avait été invoqué dans lacte daccusation5, le Procureur a demandé de pouvoir le modifier de nouveau pour ce qui est de cette allégation de but commun6. Talic a maintenant déposé une réponse à la Requete de lAccusation7. Il soppose à ce que lAccusation soit autorisée à modifier lacte daccusation pour deux raisons : 1) la modification proposée ne remédie pas aux carences que lacte daccusation en vigueur présente au regard du dessein commun8, et 2) elle est elle-même entachée de vices de forme9.
3. Il est fondamental, avant dautoriser une modification de lacte daccusation, de se demander si la modification sera injustement préjudiciable à laccusé10. Le mot «injuste» vise à souligner le fait que modification ne sera pas refusée simplement parce quelle aide lAccusation à obtenir, en toute équité, une condamnation. Pour être pertinent, le préjudice infligé à un accusé devrait normalement nuire à léquité du procès. Quand une modification est demandée pour sassurer que les questions réellement en jeu en lespèce soient tranchées, la Chambre de première instance exercera, en principe, son pouvoir discrétionnaire pour lautoriser, dans la mesure où elle ne cause aucune injustice à laccusé, et où elle ne nuit pas injustement à sa défense11. Laccusé ne devrait subir aucune injustice sil lui est donné la possibilité de préparer convenablement une défense effective à lacte daccusation modifié. Pour répondre à la question de savoir si tout délai résultant de la modification enfreint le droit de laccusé à être jugé sans retard excessif, il conviendra de prendre en considération i) les circonstances de lespèce12, y compris de tout avantage tactique indu recherché par lAccusation13, et ii) la nature exceptionnelle des procédures pénales qui portent sur des crimes de guerre, y compris la complexité et les difficultés générales inhérentes aux enquêtes menées sur ces crimes14. Ces modifications doivent être approchées avec une souplesse raisonnable15. Toutefois, si la modification proposée est si futile quelle serait supprimée si elle figurait dans lacte daccusation initial, la Chambre de première instance nexercera généralement pas son pouvoir discrétionnaire de lautoriser.
4. Un cas intermédiaire se présente quand la modification peut clairement avoir eu pour but de veiller à ce que les véritables questions en lespèce soient tranchées mais que son libellé est à son tour entaché de vices de forme. Nous nous trouverions dans cette hypothèse si les irrégularités de la modification à présent alléguées par Talic étaient accueillies. Il est alors inutile de rejeter une demande dautorisation de modification simplement en raison de la manière dont on a rédigé la modification, pour autant que lon puisse statuer sur le grief relatif à la forme en même temps que sur la demande de modification. Lautorisation peut être accordée, sous réserve du respect de toute ordonnance relative à la forme de la modification faisant droit à la demande.
5. Lapproche du procès commande que cette voie soit suivie en lespèce, et la Chambre de première instance entend se prononcer sur les vices allégués de la modification proposée en même temps que sur la demande de modification. Pour être juste envers les deux parties, la Chambre autorise lAccusation à déposer une réplique aux allégations figurant dans la Réponse de Talic, selon lesquelles la modification proposée est entachée de vices de forme, comme sil sagissait dune nouvelle exception préjudicielle. Cette réplique doit, le cas échéant, être déposée dans les sept jours de la présente décision.
6. Il est toutefois nécesaire de faire remarquer que les vices de forme allégués dans la Réponse de Talic ne concernent pas uniquement la modification proposée. Les seuls vices présumés qui sappliquent effectivement à ladite modification sont les suivants :
1) il nexiste pas de définition des «moyens illégaux» par lesquels lentreprise criminelle (à laquelle les accusés auraient participé) a abouti à lévacuation définitive de la majorité des habitants musulmans et croates de Bosnie du territoire de lÉtat serbe envisagé16, et
2) létat desprit de laccusé à présent invoqué dans la modification proposée par lAccusation est insuffisant17.
Les autres vices de forme allégués dans la Réponse de Talic ont trait à lacte daccusation dans sa version actuelle. Deux de ces vices allégués réitcrent en fait simplement des points déjà soulevés dans lException préjudicielle initiale de Talic : lacte daccusation ne définit pas la participation présumée de Talic à lentreprise criminelle, et on ne peut pas conclure à sa responsabilité pénale uniquement sur la base du poste quil occupait18. La Chambre de première instance doit encore trancher dans sa décision relative à lException préjudicielle de Talic la question de léventuelle existence de ces vices de forme. Trois autres vices de forme de lacte daccusation dans sa version actuelle sont également allégués :
i) aucun lien nest montré entre la création de lAssemblée des Serbes de Bosnie et lentreprise criminelle en cause19,
ii) les participants présumés à lentreprise criminelle sont présentés de façon si large quils pourraient inclure lensemble du peuple serbe de Bosnie, de sorte quen fin de compte les participants ne sont pas identifiés20, et
iii) lacte daccusation ne fournit aucune précision sur lintention de Talic de participer volontairement à lentreprise criminelle, ni sur sa connaissance de lexistence de ladite entreprise21.
7. Ces vices présumés, qui sont soulevés pour la première fois, ne seraient pas autorisés dans une nouvelle exception préjudicielle, sauf octroi dune prorogation du délai accordé pour sopposer à la forme de lacte daccusation initial22. Les premier et deuxième points évoqués pour la première fois ne sont pas de nature à justifier une prorogation de délai, et ils ne seront pas examinés par la Chambre de première instance lorsquelle se prononcera sur lException préjudicielle de Talic. Le troisicme point soulcve une question susceptible davoir une certaine importance, et une prorogation de délai est accordée à Talic pour laborder. Sil est tiré parti de lautorisation accordée, la réplique de lAccusation ne doit porter que sur les deux vices présumés de la modification proposée et sur le troisième des nouveaux vices allégués de lacte daccusation en vigueur.
Dispositif
8. En conséquence, la Chambre de première instance :
a) nautorise pas Talic à déposer une réplique à la Réponse de lAccusation,
b) proroge le délai dans lequel le grief énoncé au paragraphe 2.2 de la Réponse de Talic doit etre exposé, et
c) autorise lAccusation à déposer une réplique à la Réponse de Talic dans un délai de sept jours.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Fait le 7 juin 2001
La Haye (Pays-Bas)
Le Président de la Chambre de première instance
(signature)
Juge David Hunt
[Sceau du Tribunal]
1. Exception préjudicielle relative aux vices
de forme de l'acte d'accusation en date du 12 mars 2001 (l'«Exception préjudicielle
de Talic»), 5 avril 2001.
2. Exception préjudicielle de Talic, partie V : Conclusion,
dernier paragraphe.
3. Le Procureur c/ Brdanin, Nouvelle décision relative
à la demande aux fins d'une ordonnance d'habeas corpus au nom de Radoslav
Brdanin, 9 décembre 1999, par. 2 à 4 ; Le Procureur c/ Brdanin et Talic,
Décision relative aux requêtes de Momir Talic 1) aux fins de rejeter l'acte
d'accusation, 2) de mise en liberté et 3) d'autorisation de déposer une réplique
à la réponse de l'Accusation à la requête aux fins de mise en liberté provisoire,
1er février 2000 par. 17.
4. Réponse de l'Accusation à l'exception préjudicielle relative
aux vices de forme de l'acte d'accusation en date du 12 mars 2001, déposée par
l'accusé Momir Talic (la «Réponse de l'Accusation»), 3 mai 2001.
5. Conférence de mise en état, 18 mai 2001, compte rendu d'audience
p. 313 à 316.
6. Supplément à la réponse de l'Accusation à l'«exception préjudicielle
relative aux vices de forme de l'acte d'accusation en date du 12 mars 2001»
déposée par l'accusé Momir Talic et requête aux fins d'autorisation d'amender
le nouvel acte d'accusation modifié (la «Requête de l'Accusation»), 22 mai 2001,
par. 5.
7. Réponse à la requête de l'Accusation aux fins d'autorisation
d'amender le nouvel acte d'accusation modifié (la «Réponse de Talic»), 1er juin
2001.
8. Ibid., partie III : Discussion, troisième paragraphe.
9. Ibid., par. 1 et 2.
10. Cf. Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, affaire
n° IT-98-34-PT, Décision relative à l'opposition de Vinko Martinovic et à l'exception
préjudicielle de Mladen Naletilic concernant l'acte d'accusation modifié, 14
février 2001, p. 4 à 7.
11. Ibid., p. 4 et 7.
12. Le Procureur c/ Kovacevic, affaire n° IT-97-24-AR73,
Arrêt motivant l'ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d'appel, 2
juillet 1998, par. 30.
13. Ibid., par. 32.
14. Ibid., Opinion individuelle de M. le Juge Mohamed
Shahabuddeen, p. 4.
15. Ibid., Opinion individuelle de M. le Juge Mohamed
Shahabuddeen, p. 4.
16. Réponse de Talic, partie III, par. 1.1.
17. Ibid., par. 2.3.
18. Ibid., par. 2.1 ; Cf. Exception préjudicielle de
Talic, partie III : Les carences quant aux faits reprochés au général Talic,
par. 1.b.
19. Réponse de Talic, partie III, par. 1.2.
20. Ibid., par. 1.3.
21. Ibid., par. 2.2.
22. Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT,
Décision relative à l'excpetion préjudicielle pour vices de forme de l'acte
d'accusation modifié, 11 février 2000, par. 15.