LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Antonio Cassese, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge David Hunt

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
5 octobre 1999

LE PROCUREUR

C/

Radoslav BRDANIN

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE
AUX FINS DE REJETER L’ACTE D’ACCUSATION

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Joanna Korner
M. Michael Keegan
Mme Ann Sutherland

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman

I. Introduction

1. Le prévenu (Radoslav Brdjanin) est accusé d’avoir commis un crime contre l’humanité à raison de persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses1.

2. Il est allégué dans l’Acte d’accusation que :

i) En 1992, des actions ont été conduites dans certaines régions de Bosnie-Herzégovine, notamment dans la Région autonome de Krajina (RAK), qui ont eu pour conséquence la mort ou le départ forcé de la majorité des Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie habitant cette région2.

ii) Ces actions ont été menées par des unités de police, des groupes paramilitaires, des unités de la Défense territoriale et des unités de l’Armée populaire yougoslave3.

iii) Les Cellules de crise (plus tard rebaptisées « Présidences de guerre ») ont été créées aux échelons régional et municipal en tant qu’organes chargés d’exécuter la plupart de ces actions4.

iv) En mai 1992, la Cellule de crise de la RAK s’est publiquement proclamée autorité régionale suprême et a annoncé que ses ordres et directives étaient impératifs5.

v) Les membres constituants de la Cellule de crise de la RAK ont agi de concert en planifiant, incitant à commettre, ordonnant, commettant ou de toute autre manière, en aidant et en encourageant l’exécution de toute la gamme d’opérations liées à la conduite des hostilités et à la destruction de communautés musulmane de Bosnie, croate de Bosnie et d’autres communautés non-Serbes de la Région autonome de Krajina6.

vi) L’accusé était un membre de la Cellule de crise de la RAK avant d’en devenir le Président. À ce titre, il était chargé de la gestion des activités de la Cellule de crise, de l’exécution et de la coordination des décisions et conclusions de ladite Cellule, de ses rapports d’activités ainsi que de la signature de ses ordres et décisions. Par ailleurs, il convoquait et présidait ses réunions et contrôlait son ordre du jour. En outre, il a joué un rôle important dans l’organisation de la campagne de propagande qui a constitué un élément déterminant du succès du plan de création d’un État serbe7.

vii) En tant que Président de la Cellule de crise de la RAK, l’accusé est individuellement responsable (au sens de l’article 7 1) du Statut du Tribunal)8 de la prise de pouvoir matérielle de la municipalité de la RAK, des attaques violentes dirigées contre des villages et des régions musulmans de Bosnie et croates de Bosnie, du déplacement forcé des personnes non-serbes hors de ces régions, du meurtre de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie ainsi que les mauvais traitements physiques infligés à ces populations, de la détention des personnes non-serbes dans des camps et autres lieux de détention et du transfert forcé ou la déportation de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie de la région de la RAK. Tous ces actes ont été commis dans le but d’expulser les populations musulmane de Bosnie, croate de Bosnie et les autres populations non-serbes de la Région autonome de Krajina en raison de leur identité politique, raciale et religieuse. L’accusé occupait la plus haute fonction exécutive de la RAK9.

viii) La Cellule de crise de la RAK avait également le pouvoir de donner des instructions au Centre régional de sécurité publique et au Procureur de la République afin qu’ils examinent, arrêtent et poursuivent toute personne soupçonnée d’avoir commis des crimes sur le territoire de la RAK, dans les camps comme ailleurs, mais il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs10.

ix) En sa qualité de Président de la Cellule de crise de la RAK, l’accusé occupait un poste de supérieur hiérarchique et était donc responsable (au sens de l’article 7 3) du Statut du Tribunal)11 des événements décrits au paragraphe vii)12.

3. Dix paragraphes dans l’Acte d’accusation apportent des détails relatifs à l’allégation selon laquelle l’accusé aurait mis en place un «plan en trois parties»13:

1) créer des conditions de vie impossibles, notamment en exerçant des pressions et en semant la terreur, afin d’encourager les non-Serbes à quitter la région ; 2) expulser et chasser ceux qui refusaient de partir ; et 3) liquider les non-Serbes restés dans la région et qui n’adhéraient pas au concept de l’État serbe.

L’exécution de ce plan aurait compris14:

1) le déni des droits fondamentaux des Musulmans et Croates de Bosnie, y compris le droit au travail et à la liberté de déplacement,
2) la destruction arbitraire des régions et villages musulmans de Bosnie et croates de Bosnie, notamment d’édifices consacrés à la religion et à la culture dans les régions attaquées,
3) le meurtre de Musulmans de Bosnie, de Croates de Bosnie et d’autres personnes non-Serbes,
4) des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de Musulmans de Bosnie, de Croates de Bosnie et d’autres personnes non-Serbes,
5) la détention de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie en les soumettant intentionnellement à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique d’une partie de ces populations, et
6) le transfert forcé ou l’expulsion de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie hors des régions de Bosnie-Herzégovine proclamées territoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine.

 4. Le Juge Rodrigues a examiné cet Acte d’accusation et l’a confirmé le 14 mars 1999. L’accusé a été mis en détention le 6 juillet et transféré à La Haye où a eu lieu sa comparution initiale devant le Tribunal le 12 juillet. En raison du retard dans la désignation d’un conseil, le délai de dépôt des exceptions préjudicielles prévu à l’article 72 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») a été prorogé jusqu’au 2 septembre15.

 

II. Requête

5. Le 31 août, l’accusé a déposé une « Requête aux fins de rejeter l’Acte d’accusation » (la « Requête ») au motif que les allégations qui y figure ne sont étayées par aucune des pièces jointes fournies par l’Accusation au Juge Rodrigues en application de l’article 47 B) du Règlement - en particulier, qu’elles n’établissent pas que l’accusé disposait d’une quelconque autorité sur les affaires militaires dans la RAK, qu’il a participé au nettoyage ethnique ou qu’il a joué un rôle dans les camps de détention de la région, qu’il a ordonné (ou aurait pu ordonner) des déportations ou qu’il savait ou avait des raisons de savoir que l’un quelconque de ces actes avait été commis. Il est également indiqué dans la Requête que les éléments justificatifs ne font pas état de la manière dont l’accusé a voté lors des réunions de la Cellule de crise et ne précisent pas s’il a voté pour ou contre les décisions de la Cellule de crise. La Requête affirme que les pièces jointes présentées par l’Accusation prouvent en fait le contraire de ce qui est affirmé dans l’acte d’accusation, à savoir que les forces serbes et serbes de Bosnie étaient en réalité contrôlées par l’état-major général de l’armée de la Republika Srpska, par l’intermédiaire du général commandant du 1er corps de Krajina, et que ces forces comprenaient les anciennes unités de la Défense territoriale, des forces paramilitaires et des forces de police engagées dans des opérations de combat.

6. L’accusé a fait valoir ce qui suit :

(1) la procédure de confirmation a trait à la compétence et tout vice de procédure annulerait celle-ci16, et

(2) le Tribunal n’est compétent pour le juger sur tout chef exposé dans un acte d’accusation que si les éléments justificatifs viennent étayer l’existence dudit chef17,

c’est pourquoi il se fonde sur l’article 72 A) i) du Règlement. L’accusé n’a fait valoir ces arguments que dans sa réplique à la réponse de l’Accusation à sa requête.

 

III. EXAMEN ET DÉCISIONS

7. La Chambre de première instance rejette les deux arguments de l’accusé. Le premier peut être rapidement réfuté.

8. À supposer (sans trancher) que la Chambre de première instance est habilitée à déterminer si la procédure de confirmation d’un acte d’accusation, prescrite par le Statut du Tribunal et le Règlement, a bien été suivie, l’accusé n’a produit aucun élément de preuve tendant à démontrer que la procédure n’a pas été respectée en l’espèce. Il a seulement fait valoir que le Juge Rodrigues a conclu à tort que les éléments justificatifs établissaient des présomptions justifiant des poursuites à son encontre18 et que le Statut et le Règlement «n’étaient pas respectés puisqu’un acte d’accusation était confirmé alors même que les éléments justificatifs ne fournissaient pas de preuve à l’appui»19. Toutefois même si l’on acceptait à titre d’argument que les éléments justificatifs n’établissaient pas des présomptions justifiant des poursuites, une erreur commise par le juge dans sa décision ne démontre pas qu’il n’a pas respecté la procédure. Le premier argument de l’accusé confond la forme et le fond. Son véritable argument est le second.

9. Traditionnellement, c’est l’acte d’accusation lui-même qui fonde une juridiction pénale à juger une personne et c’est cet acte d’accusation qui déclenche cette compétence en présentant comme faits matériels les éléments fondamentaux de sa compétence, à savoir sa compétence matérielle (ratione materiae), personnelle (ratione personae), territoriale (ratione loci) et temporelle (ratione temporis)20. Les éléments fondamentaux de la compétence du Tribunal sont énoncés aux articles premier à 8 de son Statut. L’article 1er dispose ce qui suit :

Compétence du Tribunal international

Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, conformément aux dispositions du présent statut.

Les articles 2 à 5 définissent les crimes particuliers que le Tribunal est habilité à juger. L’article 6 donne compétence au Tribunal à l’égard des personnes physiques. L’article 7 définit la responsabilité pénale individuelle précitée, laquelle comprend la responsabilité au titre de la complicité en général21. L’article 8 définit les compétences territoriale et temporelle du Tribunal conformément à l’article premier.

10. On ne saurait avancer en l’espèce, et personne l’a fait, que l’acte d’accusation ne présente pas suffisamment de faits matériels pour pouvoir déclencher la compétence qu’a le Tribunal de juger l’accusé à raison des crimes qui lui sont reprochés. Si on avançait un tel argument s’agissant du domaine traditionnel de compétence d’une juridiction pénale, celle-ci examinerait les faits allégués dans l’acte d’accusation et non la question de savoir si l’Accusation dispose d’éléments de preuves pour établir la véracité des faits allégués.

11. L’accusé fait toutefois valoir que le Statut du Tribunal et le Règlement imposent des conditions plus strictes que celles généralement requises pour déclencher la compétence d’une juridiction pénale. Il convient d’examiner les dispositions invoquées à l’appui de cet argument.

L’article 18 4) du Statut dispose comme suit :

S’il décide qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites, le Procureur établit un acte d’accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé en vertu du statut. L’acte d’accusation est transmis à un juge de la Chambre de première instance.

L’article 19 1) du Statut dispose comme suit :

Le juge de la Chambre de première instance saisi de l’acte d’accusation examine celui-ci. S’il estime que le Procureur a établi qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites, il confirme l’acte d’accusation. À défaut,  il le rejette.

L’article 47 du Règlement, dans la mesure où il est pertinent, dispose comme suit :

[...]

B) Si l’enquête permet au Procureur d’établir qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement qu’un suspect a commis une infraction relevant de la compétence du Tribunal, le Procureur établit et transmet au Greffier pour confirmation par un juge un acte d’accusation auquel il joint tous les éléments justificatifs22.

[...]

D) Le Greffier transmet l’acte d’accusation et les pièces jointes au juge désigné, lequel informe le Procureur de la date fixée pour l’examen de l’acte d’accusation.

E) Le juge désigné examine chacun des chefs d’accusation et tout élément que le Procureur présenterait à l’appui de ces chefs d’accusation, afin de décider, en application de la norme posée par l’article 19 1) du Statut, si un dossier peut être établi contre le suspect.

12. Il ressort clairement du Statut que seul l’acte d’accusation doit établir qu’au vu des présomptions il y a lieu d’engager des poursuites. Le Statut est conforme à l’idée traditionnelle selon laquelle c’est l’acte d’accusation et lui seul qui fonde et qui déclenche la compétence d’une juridiction pénale. Il ne fait pas référence aux éléments justificatifs qui sont mentionnés pour la première fois à l’article 47 du Règlement. Il peut être utile de souligner que les dispositions que les juges sont autorisés à adopter au titre de l’article 15 du Statut portent uniquement sur le fait de :

[...] régir la phase préalable à l’audience [...] et d’autres questions appropriées23.

Le Règlement ne peut modifier les dispositions du Statut.

13. En garantissant qu’il existe des éléments à l’appui des faits exposés dans l’acte d’accusation, l’article 47 E) du Règlement veille à ce que le juge de confirmation de l’acte d’accusation joue en quelque sorte le rôle de grand jury ou (« committing magistrate ») en common law, ou de juge d’instruction dans certains systèmes juridiques civilistes24. Cependant, au moment de décider si, au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites en application de l’article 19 1) du Statut, les éléments justificatifs ne sauraient être utilisés pour  combler d’éventuelles lacunes dans l’exposé des faits matériels dans l’acte d’accusation25. Cet article impose une obligation totalement différente au juge de confirmation.

14. Il se pourrait, comme le suggère l’accusé26, qu’un des objectifs de la procédure de confirmation soit :

[...] de placer une autorité judiciaire entre le Procureur et un éventuel accusé de sorte que les mises en accusation et les arrestations de personnes ne se fondent pas sur des allégations fantaisistes.

Mais s’agissant de la compétence du Tribunal, cet objectif ne pose pas de conditions allant au delà de celles déjà imposées par le Statut. L’article 19 2) du Statut indique clairement que si le Statut exige l’examen et la confirmation de l’acte d’accusation, c’est pour justifier l’émission d’un mandat d’arrêt27. Il n’a pas pour objectif de limiter la compétence du Tribunal.

15. Encore une fois, même s’il on admet en l’espèce que les éléments justificatifs ne viennent pas étayer les présomptions figurant dans l’acte d’accusation, la compétence du Tribunal ne dépend toujours que de ce qui est invoqué dans ce dernier. L’existence ou non de preuves à l’appui des accusations formulées dans l’acte d’accusation est une question qu’il revient à la Chambre de première instance de trancher à la clôture du procès ou (si la question est soulevée) à la clôture de la présentation des moyens de preuve de l’Accusation, à l’instar des systèmes juridiques tant de common law que de droit écrit28.

16. Rien dans la jurisprudence du Tribunal ne porte directement sur ce point. La Chambre d’appel ne traite pas de cette question dans l’Arrêt Tadic relatif à la compétence29. Un certain nombre de décisions de la Chambre d’appel portent sur des recours interjetés dans le cadre d’affaires jugées par le Tribunal du Rwanda pour lesquels elle a dû déterminer si une requête particulière contestait la compétence de ce Tribunal (la possibilité d’interjeter un appel dépendant de cette question), mais elles ne nous aident pas en l’occurrence30.

17. Il existe cependant une décision d’une Chambre de première instance de ce Tribunal dont on pourrait arguer qu’elle porte sur ce point. Dans l’affaire Le Procureur c/ Djukic31, l’accusé a demandé de toute urgence à la Chambre de première instance, après l’ouverture supposée du procès, de rendre une ordonnance aux fins de sa mise en liberté en raison à la fois de «l’insuffisance d’éléments justificatifs à l’appui de l’acte d’accusation» et de la gravité de son état de santé. En guise de réponse et en raison du deuxième motif invoqué par l’accusé, l’Accusation a demandé l’autorisation de retirer l’acte d’accusation. L’accusé s’y est opposé en demandant que l’acte d’accusation soit retiré pour le premier motif invoqué. La Chambre de première instance a décidé qu’un acte d’accusation ne pouvait pas faire l’objet d’un retrait pour des raisons médicales, quelle que soit la gravité de l’état de santé du prévenu. Après avoir estimé que la Chambre de première instance pouvait, malgré l’état de santé de l’accusé, assurer à ce dernier le procès équitable auquel il avait droit, elle a déclaré :

ATTENDU par ailleurs que ne saurait davantage être accueilli le retrait de l’acte d’accusation, tel que sollicité par la Défense [...] ; qu’une telle demande est en effet non pertinente à ce stade de la procédure ; que la question des éléments de preuve prétendus suffisants ou insuffisants ne pourrait être examinée qu’ultérieurement, soit dans le cadre des exceptions préjudicielles, soit au cours de l’examen au fond ;

ATTENDU dès lors que le retrait de l’acte d’accusation ne peut être autorisé ;

[...].

En raison de son état de santé, l’accusé s’est néanmoins vu accorder le bénéfice d’une mise en liberté provisoire.

18. Avec tout le respect dû, la décision de la Chambre de première instance semble confondre : (1) le fait de présenter suffisamment d’éléments justificatifs pour qu’il y ait confirmation (ce à quoi l’accusé semble se référer) et le fait de présenter, pendant le procès, suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des accusations portées contre l’accusé et (2) la requête d’un accusé aux fins du retrait de l’acte d’accusation et sa demande aux fins du rejet de l’acte d’accusation au motif que les éléments de preuve sont insuffisants. Elle n’est pas plus claire lorsqu’elle dit que «la question [...] pourrait être examinée [...] dans le cadre des exceptions préjudicielles» et elle ne précise pas comment cette question pourrait être «examinée» durant le procès proprement dit. La présente Chambre de première instance estime que cette décision ne lui est d’aucune aide en l’espèce.

19. L’Accusation se fonde sur une décision d’une Chambre de première instance du Tribunal du Rwanda dans laquelle il a été conclu selon elle que l’article 72 du Règlement ne peut pas être invoqué pour contester la décision d’un juge unique qui confirme un acte d’accusation. Le Procureur c/ Nahimana32. La Chambre de première instance a déclaré ce qui suit33:

[...] la Chambre estime que ni l’article 47 ni les articles 72 et 73 du Règlement ne permettent de faire appel d’une décision rendue par un juge siégeant seul pour confirmer un acte d’accusation. Une exception fondée sur la forme d’un acte d’accusation ne peut être utilisée comme moyen indirect pour obtenir le réexamen par une Chambre de première instance d’une décision portant confirmation d’un acte d’accusation qu’en des circonstances exceptionnelles.

Comme aucune pièce produite en l’espèce ne démontre l’existence d’un vice de forme dans la procédure de confirmation en l’espèce, il n’est pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si une Chambre de première instance peut connaître d’une contestation relative à la forme de cette procédure. Bien que la Chambre de première instance approuve ce qui semble implicite dans la décision – à savoir que l’insuffisance des éléments justificatifs ne saurait autoriser à remettre en question la compétence du Tribunal – elle préfère fonder sa décision sur le libellé du Statut et n’adhère pas nécessairement au raisonnement de la Chambre de première instance dans l’affaire Nahimana pour ce qui est de cette conclusion.

20. La Chambre de première instance est convaincue que l’insuffisance d’éléments justificatifs n’est pas pertinente pour ce qui est de la compétence du Tribunal. Cette remise en question de la compétence ne peut donc pas aboutir.

21. Le Règlement ne contient aucune disposition autorisant la Chambre de première instance à examiner la décision du juge de confirmation, que ce soit en appel ou autrement. En effet, le Règlement prend soin de séparer les fonctions du juge de confirmation et celles de la Chambre de première instance. Par exemple, l’article 15 C) dispose que :

Le juge d’une Chambre de première instance qui examine un acte d’accusation conformément à l’article 19 du Statut et aux articles 47 ou 61 du Règlement ne peut siéger à la Chambre appelée à juger ultérieurement l’accusé.

L’article 50 prévoit que, jusqu’à la présentation des éléments de preuve à la Chambre de première instance, seul le juge de confirmation ou un juge désigné par le Président peut autoriser la modification de l’acte d’accusation. C’est seulement après la présentation des éléments de preuve que cette tâche incombe à la Chambre de première instance.

22. Ceci ne signifie pas que les membres de la Chambre de première instance seraient automatiquement empêchés de siéger au procès de l’accusé si, pour une quelconque raison, ils venaient à apprendre la teneur des éléments justificatifs présentés par l’Accusation au juge de confirmation. Cette division des tâches vise à éviter toute contamination de la Chambre par la nature non contradictoire de la procédure de confirmation. Si la Chambre de première instance a fait droit à la demande d’autorisation aux fins de modifier l’acte d’accusation, elle doit examiner les pièces justificatives aux fins de confirmer l’acte d’accusation modifié. Cet examen se fait alors en audience contradictoire et publique et en présence de l’accusé, et la confirmation de l’acte d’accusation modifié ne peut intervenir qu’après audition des parties34. La possibilité d’une contamination par la nature non contradictoire de la procédure de confirmation se trouve dès lors effectivement éliminée35.

23. Il n’en reste pas moins que le Règlement n’autorise aucunement la Chambre de première instance à examiner la décision du juge de confirmation déclarant qu’il est convaincu que l’Accusation lui a fourni les éléments justificatifs nécessaires à l’appui des faits matériels exposés dans l’acte d’accusation. Comme il est dit plus haut, la Chambre a pour fonction de déterminer si les éléments de preuve présentés pendant le procès suffisent à établir le bien-fondé des chefs d’accusation exposés dans l’acte d’accusation.

 

IV. Dispositif

24. Par ces motifs, la Chambre de première instance rejette la Requête.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Fait le 5 octobre 1999
La Haye (Pays-Bas)

Le juge de la mise en état
(signé)
M. le Juge David Hunt
(à la demande du Président de la Chambre de première instance)

[Sceau du Tribunal]


1. Article 5 du Statut du Tribunal
2. Paragraphe 9
3. Paragraphe 9
4. Paragraphes 8 et 10
5. Paragraphe 8
6. Paragraphe 14
7. Paragraphes 12 et 16
8. L’article 7 1) du Statut du Tribunal dispose que :

Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 5 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.

9. Paragraphes 14, 16 et 35
10. Paragraphes 15 et 36
11. L’article 7 3) du Statut du Tribunal dispose que :

Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.

12. Paragraphe 36
13. Paragraphe 22
14. Paragraphe 23
15. Ordonnance accordant une prorogation de délai en application de l’article 72, 4 août 1999.
16. Réplique de Radoslav Brdjanin à la Réponse de l’Accusation à la Requête aux fins de rejeter l’acte d’accusation (« Réplique »), 15 septembre 1999, par. 7.
17. Ibid, par. 5.
18. Requête aux fins de rejeter l’acte d’accusation, 31 août 1999, par. 7 et 8.
19. Réplique, par. 13.
20. La légalité de l’instrument par lequel le Tribunal a été crée a été considéré comme une question de compétence dans Le Procureur c/ Tadic (1995) TPIY I, RJ p. 353, p. 363 à 375 (par. 9 à 22), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
21. Le Procureur c/ Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, par. 234 et 235.
22. Il n’est pas nécessaire d’examiner ici la question de savoir si le degré de preuve requis du Procureur à l’article 47 B) concorde avec les dispositions de l’article 18 4) du Statut.
23. Non souligné dans l’original.
24. Le Procureur c/ Kordic, affaire n° IT-95-14-I, Décision relative à l’examen de l’acte d’accusation, 10 novembre 1995, p. 3 ; Le Procureur c/ Milosevic, Affaire n° IT-99-37-I, Décision relative à l’examen de l’acte d’accusation et ordonnances y relatives, 24 mai 1999, par. 2.
25. Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle de la Défense pour vices de forme de l’acte d’accusation, 24 février 1999, par. 15.
26. Réplique, par. 6.
27. L’article 19 2) dispose ce qui suit :

S’il confirme l’acte d’accusation, le juge saisi, sur réquisition du Procureur, décerne les ordonnances et mandats d’arrêt, de détention, d’amener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès.

28. Article 98 bis du Règlement (Demande d’acquittement) relatif aux cas où il est conclu que les moyens de preuve sont insuffisants.
29. Le Procureur c/ Tadic (1995) RJ I du TPIY, p. 353.
30. Cf., par exemple : Le Procureur c/ Rutaganda, affaire n° TPIR-96-3-A, 8 juin 1998 ; Nsengiyuma c/ le Procureur, affaire n° TPIR-96-12-A, 3 juin 1999 ; Kanybashi c/ le Procureur, affaire n° TPIR-96-15-A, 3 juin 1999.
31. Affaire n° IT-96-20-T, Décision portant maintien de l’acte d’accusation et mise en liberté provisoire, 24 avril 1996.
32. Affaire n° TPIR-96-11-T, 24 novembre 1997. Les articles auxquels il est fait référence sont en substance semblables à ceux du Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal et portent les mêmes numéros.
33. Par. 6.
34. Article 50 A) iii) du Règlement.
35. Le Procureur c/ Krnojelac, Décision relative à la Réponse du Procureur concernant la décision du 24 février 1999, 20 mai 1999, par. 11 et 12.