Affaire n° : IT-99-36-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Amin El Mahdi
Mme le Juge Andrésia Vaz

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
12 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

RADOSLAV BRDJANIN

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EX PARTE

ORDONNANCE PORTANT MODIFICATION DE MESURES DE PROTECTION

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla del Ponte

 

  1. La Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »), est saisie de la demande de modification de mesures de protection présentée par l’Accusation (Prosecutor’s Application for Variation of Protective Measures) (la « Demande »), publique et déposée à titre ex parte le 23 août 2005, accompagnée de ses annexes confidentielles.

  2. L’Accusation demande à pouvoir mettre certaines informations confidentielles (les noms, coordonnées et dépositions de plusieurs témoins protégés) à la disposition des autorités de Bosnie-Herzégovine. Ces dernières ont sollicité l’aide du Procureur pour obtenir ces informations en faisant savoir qu’elles avaient placé en détention une personne soupçonnée d’avoir commis des crimes présentant un lien avec ceux dont Radoslav Brdjanin, l’Appelant en l’espèce, a été déclaré coupable. Afin d’inculper ce suspect et d’établir un acte d’accusation à son encontre avant le 17 septembre 2005, date de l’expiration de l’ordonnance de placement en détention délivrée contre lui, les autorités de Bosnie-Herzégovine affirment qu’elles ont besoin de s’entretenir avec certains témoins protégés dans le cadre de l’affaire Brdjanin afin d’obtenir leur coopération.

  3. Cette demande n’est pas la première présentée par les autorités de Bosnie-Herzégovine. Dans son Ordonnance portant modification de mesures de protection rendue le 13 mai 2005 (l’« Ordonnance du 13 mai »), la Chambre d’appel, répondant à une demande de l’Accusation, a permis aux autorités de Bosnie-Herzégovine de consulter des informations concernant d’autres témoins protégés dans la présente espèce. La Chambre d’appel a cité les résolutions 1503 (2003) et 1534 (2004) adoptées par le Conseil de sécurité, selon lesquelles il « est crucial, dans le cadre de la Stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal international, de favoriser le renvoi des affaires de crimes de guerre devant les juridictions nationales de l’ex-Yougoslavie ». Elle s’est également appuyée sur « le pouvoir inhérent Squ’elle aC en tant que chambre saisie de la présente instance, de modifier les ordonnances rendues précédemment en l’espèce, y compris celles rendues en application de l’article 75 A) du Règlement [de procédure et de preuve] ».

  1. L’Ordonnance du 13 mai n’a été rendue qu’après que la Section d’aide aux victimes et aux témoins du Tribunal international eut pris contact avec les témoins protégés en question et obtenu leur consentement à ce que les informations demandées soient communiquées. Par ailleurs, la Chambre d’appel a autorisé la communication desdites informations sous réserve que les autorités de Bosnie-Herzégovine s’engagent par écrit à garantir la confidentialité des pièces et à prendre les mesures nécessaires pour protéger les témoins. Non seulement la Chambre d’appel compte sur le fait que les autorités bosniaques tiendront leurs engagements, mais elle leur a aussi ordonné, en invoquant l’article 29 du Statut du Tribunal international qui fait obligation aux États Membres de l’ONU de se conformer à toute ordonnance émanant du Tribunal international, de respecter, une fois reçues ces informations, les mesures permettant de garantir leur confidentialité.

  2. La Chambre d’appel estime que les mêmes principes s’appliquent à la Demande, identique à la précédente si ce n’est pour les témoins protégés et le suspect en détention qu’elle concerne. Dans le cas présent toutefois, l’Accusation a pris ses dispositions pour régler plus vite la question. D’une part, elle a déjà obtenu les engagements écrits du Procureur et du Ministre de la justice de Bosnie-Herzégovine de respecter les mesures de protection ordonnées en l’espèce, y compris toute ordonnance rendue par la Chambre d’appel, de préserver l’anonymat des témoins et de garantir la sécurité et la protection de ces derniers. D’autre part, elle a déjà obtenu le consentement de deux des trois témoins bénéficiant des mesures de protection ordonnées dans l’affaire Brdjanin. S’agissant du troisième, qui, contrairement aux deux autres, n’est pas appelé à déposer dans un procès actuellement en cours, l’Accusation demande que la Section d’aide aux victimes et aux témoins soit priée de le contacter.

  3. À la lumière de ces développements et pour les raisons énoncées dans l’Ordonnance du 13 mai, la Chambre d’appel estime qu’il y a lieu de communiquer aux autorités de Bosnie-Herzégovine les informations et les dépositions demandées pour ce qui est des deux témoins ayant déjà donné leur accord.

Dispositif

Par ces motifs, la Chambre d’appel FAIT DROIT à la Demande de l’Accusation et MODIFIE les mesures de protection accordées aux témoins protégés dans l’affaire Brdjanin qui sont mentionnés dans l’Annexe B confidentielle à la Demande comme suit :

  1. l’Accusation peut sans délai communiquer aux autorités de Bosnie-Herzégovine les noms, coordonnées et dépositions des témoins protégés dans l’affaire Brdjanin, dont elle a obtenu le consentement,

  2. le Greffe a pour instruction de prendre contact avec le dernier témoin mentionné dans l’Annexe B confidentielle afin d’obtenir son consentement en veillant à l’informer des circonstances décrites par l’Accusation dans l’Annexe C à la Demande, et de faire rapidement savoir à l’Accusation si le témoin donne ou non son accord,

  3. si le dernier témoin donne son consentement, l’Accusation pourra communiquer son nom, ses coordonnées et sa déposition aux autorités de Bosnie-Herzégovine,

  4. les autorités de Bosnie-Herzégovine sont tenues d’honorer les engagements qu’elles ont pris par écrit envers le Tribunal international et, une fois communiquées les pièces demandées, de respecter les conditions suivantes :

    1. les informations communiquées seront tenues secrètes et ne seront communiquées à personne si ce n’est aux membres de la section chargée des crimes de guerre et des tribunaux bosniaques, pour les besoins des poursuites engagées contre le suspect actuellement en détention en Bosnie Herzégovine, ainsi qu’à ce dernier et à son conseil dans les conditions précisées au paragraphe b) ci-dessous,

    2. ces informations ne seront communiquées au suspect et/ou à son conseil que si le Procureur de Bosnie-Herzégovine obtient, conformément à la loi en vigueur en Bosnie-Herzégovine, l’assurance que ceux-ci respecteront rigoureusement leur confidentialité,

    3. les autorités de Bosnie-Herzégovine prendront toutes les mesures juridiques et pratiques nécessaires pour garantir la protection et la sécurité des témoins.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
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Theodor Meron

Le 12 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal international]