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1 (Mercredi 23 janvier 2002.)
2 (Audience publique.)
3 (L'audience est ouverte à 9 heures 05.)
4 M. le Président (interprétation): Bonjour. Il s'agit de la première
5 journée de ce procès. Je vois que les accusés ont déjà été amenés dans le
6 prétoire.
7 Je vais demander à la Greffière d'audience de nous annoncer l'affaire.
8 Mme Chen (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
9 C'est l'affaire IT-99-36-T, le Procureur contre Radoslav Brdanin et Momir
10 Talic.
11 M. le Président (interprétation): Tout d'abord, je dois confirmer:
12 Monsieur Brdjanin et Monsieur le général Talic, je dois bien m'assurer que
13 vous êtes en mesure de suivre les débats dans une langue que vous
14 comprenez.
15 Monsieur Brdjanin, est-ce que vous me comprenez?
16 M. Brdanin (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
17 M. le Président (interprétation): Monsieur le général Talic, est-ce que
18 vous pouvez suivre les débats dans une langue que vous comprenez?
19 M. Talic (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
20 M. le Président (interprétation): Les parties peuvent-elles se présenter?
21 D'abord l'accusation.
22 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges,
23 Andrew Cayley et Joanna Korner au nom de l'accusation. Nous avons
24 l'assistance de Mme Denise Gustin.
25 M. le Président (interprétation): Pour M. Brdanin?
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1 M. Ackerman (interprétation): Je m'appelle John Ackerman. Je bénéficie de
2 l'assistance de Mme Milka Maglov, pour l'assistance juridique, de Milos
3 Perec et, pour ce qui est de la langue, de l'aide de l'interprète
4 Radislava Mirkovic.
5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.
6 Avant de poursuivre, j'aimerais vous présenter les deux autres Juges qui
7 vont constituer avec moi la Chambre de première instance. A ma droite, se
8 trouve la Juge Janu qui vient de la République Tchèque; à ma gauche, se
9 trouve la Juge Taya du Japon. Je vous remercie.
10 (Directives de M. le Président.)
11 Il y a quelques questions préliminaires à aborder avant de commencer nos
12 travaux, avant que je ne donne la parole à Mme le Procureur Joanna Korner.
13 Ce que je vais vous dire va concerner en partie certaines des pratiques et
14 politiques adoptées par la présente Chambre dans le cadre de ce procès. La
15 Chambre estime, et ce n'est pas là un avertissement que nous vous
16 adressons, mais la Chambre estime que vous devez être informés de ce à
17 quoi vous pouvez vous attendre, vu les circonstances; je pense surtout ici
18 à l'administration de la preuve et aux procédures en place dans ce procès.
19 De cette façon, il n'y aura pas lieu d'avoir de nouvelles discussions à un
20 stade ultérieur.
21 Mais avant d'en venir à cela, je me tourne vers les accusés, MM. Brdanin
22 et Talic. J'aimerais leur rappeler l'existence de l'Article 21 du Statut
23 de ce Tribunal. L'Article 21 énonce plusieurs garanties statutaires
24 destinées à assurer l'équité du procès et le respect des droits
25 fondamentaux de l'homme. Je crois qu'ils sont déjà au courant de ces
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1 dispositions. Mais étant donné que nous sommes au début du procès,
2 puisqu'en d'autres termes, c'est une nouvelle phase à la procédure déjà
3 entamée auparavant, mais c'est peut-être la phase la plus cruciale pour
4 les deux accusés, je vais me permettre de vous renvoyer aux dispositions
5 fondamentales dudit Article 21.
6 Messieurs Brdanin et Talic, vous avez la première disposition de l'Article
7 21 qui nous dit ceci: "Tous sont égaux devant le Tribunal international".
8 Et, s'agissant des charges retenues contre vous dans l'Acte d'accusation
9 qui a été modifié de façon définitive, vous avez aussi droit à ce que dit
10 la deuxième disposition de l'Article 21, à savoir que vous avez droit à ce
11 que votre cause soit entendue équitablement et publiquement. Inutile
12 d'aller plus loin.
13 Plus tard, j'aborderai autre chose qui vous permettra de vous souvenir
14 qu'en vertu de la clause n°3 de l'Article 21, vous êtes présumés innocents
15 jusqu'à ce que votre culpabilité ait été établie conformément aux
16 dispositions du présent Statut qui gouverne le fonctionnement du Tribunal.
17 En vertu du Statut, vous avez droit, pour vous défendre des accusations
18 portées contre vous, aux garanties minimales suivantes; j'insiste que
19 c'est un minimum de garanties: il y a d'autres garanties dont vous pourrez
20 bénéficier au fil du procès. Ce sont des garanties admises et appliquées
21 universellement; en tout cas, en Europe, elles sont considérées comme
22 essentielles à la tenue d'un procès équitable.
23 La première condition -et je pense qu'elle a déjà été en gros remplie,
24 même s'il y a eu des contestations à son propos par le passé-, c'est
25 d'être informé, dans le plus court délai, dans une langue que vous
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1 comprenez et de façon détaillée de la nature et des motifs de l'accusation
2 portée contre vous.
3 Nous en avons discuté, débattu -je parle ici de la deuxième disposition-
4 et nous y reviendrons sans doute à l'avenir: vous avez le droit de
5 bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de votre
6 défense et le droit de communiquer avec le conseil de votre choix.
7 Vous avez le droit d'être jugés sans retard excessif. Soyez sûrs que cette
8 Chambre de première instance fera tout ce qu'elle peut pour assurer un
9 procès rapide et équitable, tout en respectant bien sûr tous vos droits.
10 Vous avez également le droit d'être présents à votre procès et non pas par
11 contumace, de vous défendre vous-même ou de bénéficier de l'assistance
12 d'un défenseur de votre choix.
13 Le droit également d'être informés. Au cas où vous n'auriez pas de
14 défenseur de ce droit -j'espère qu'il ne faudra pas arriver à cette
15 extrémité-, mais si ceci devait se produire au cours du procès, nous vous
16 rappellerions vos droits.
17 Vous avez également le droit d'avoir un avocat commis d'office si
18 l'intérêt de la justice l'exige, sans frais si vous vous n'avez pas les
19 moyens de rémunérer ledit avocat. C'est important, vos avocats le savent
20 sans doute mieux que vous.
21 Vous avez le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à
22 charge qui déposeront ici à la barre. Vous avez le droit d'obtenir la
23 comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes
24 conditions que les témoins à charge. Qu'est-ce que ceci veut dire
25 également même si ce n'est pas dit explicitement dans le texte? C'est que
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1 vous avez le droit de produire tout document, toute pièce qui, selon vous,
2 serait nécessaire à votre défense; sous réserve bien sûr de l'application
3 d'autres Articles du Règlement de procédure et de preuve qui s'appliquent
4 dans un procès tel que le nôtre.
5 Vous avez également le droit de vous faire assister gratuitement d'un
6 interprète si vous ne comprenez pas ou ne parlez pas la langue utilisée à
7 l'audience. Je vois que nous avons une équipe d'interprètes ici à notre
8 disposition, mais si, à un moment donné au cours du procès, vous éprouvez
9 des difficultés, n'hésitez pas à m'interrompre, moi et mes collègues, ou
10 quiconque a la parole à ce moment-là, pour nous le dire. Il est essentiel
11 qu'à tout moment du procès, vous soyez pleinement informés de ce qui se
12 passe.
13 Enfin, vous avez le droit de ne pas être forcés de témoigner contre vous-
14 même ou de vous avouer coupable.
15 Ceci m'amène au premier point que je voulais évoquer, à savoir le droit de
16 garder le silence et aussi le droit de ne pas vous incriminer.
17 Je viens de vous dire qu'en vertu de l'Article 21 du Statut, il y a un
18 principe essentiel qui va sans nul doute régir tous nos débats, à savoir
19 que vous êtes tous les deux présumés innocents jusqu'à ce que votre
20 culpabilité soit établie et, la charge de la preuve, c'est en général
21 l'accusation qui doit l'assumer. Conséquence inévitable de cela qui est un
22 principe corollaire: vous avez le droit fondamental de garder le silence
23 pendant toute la durée du procès si tel est votre souhait.
24 Vous bénéficiez aussi du droit de ne pas vous accuser; c'est une garantie
25 que nous allons vous octroyer tout au long du procès.
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1 Pourquoi avez-vous ce droit de garder le silence et de ne pas vous
2 accuser? Ceci, c'est pour vous protéger de l'obligation qui pourrait vous
3 être imposée de témoigner contre votre volonté, contre vos intérêts ou
4 d'avouer sous la contrainte votre culpabilité. Je vous rappelle aussi que
5 l'accusation n'a pas le droit, au cours de ce procès, de tirer de
6 conclusions ou de déductions quelconques, en tout cas négatives,
7 s'agissant du silence que vous voudriez garder. Mais n'oubliez pas que si,
8 à un stade ultérieur de la procédure, vous veniez à décider de votre
9 propre choix de déposer en personne, à quelques exceptions près qui ont
10 été mises en exergue dans la jurisprudence déjà établie par ce Tribunal, à
11 ce moment-là, vous vous trouveriez dans la même situation que tout autre
12 témoin et le même traitement que tous les autres témoins vous serait
13 réservé. Par exemple, si vous décidez de venir à la barre, vous prononcez
14 cette déclaration solennelle consistant "à dire la vérité, toute la vérité
15 et rien que la vérité". C'est exactement cela que nous attendrons de vous.
16 Demeure bien sûr la question soulevée par le Procureur au cours de la
17 dernière phase, de la dernière partie, dirais-je, de la conférence
18 préalable au procès, lundi. Le Procureur avait demandé ce à quoi on
19 pouvait s'attendre de votre part si, par la suite, vous décidiez qu'il est
20 de votre intérêt de déposer en personne: à quel moment, a-t-il été
21 demandé, devriez-vous le faire?
22 Je sais que le Tribunal n'a pas toujours eu une pratique uniforme, à
23 savoir qu'il y a eu plusieurs variations sur ce thème. Mais si vous
24 décidiez de déposer, je pense qu'il serait souhaitable que vous le fassiez
25 avant la comparution de tout autre témoin que vous souhaiteriez faire
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1 déposer à votre décharge; je le dis dans votre propre intérêt.
2 Dans ce contexte, permettez également de vous rappeler qu'à mon souvenir,
3 il n'y a que deux autres affaires dans lesquelles les accusés ont décidé
4 de déposer; mais après la comparution de tous les témoins à décharge. Et,
5 dans ces cas-là, il a été dit clairement aux accusés que la valeur
6 probante de leur déposition, vu les circonstances, pourrait en pâtir. Je
7 vous réitère ce conseil, ce n'est pas un avertissement: cette Chambre vous
8 dit que vous pouvez bien sûr déposer, mais elle préférerait que vous le
9 fassiez avant tous les témoins à décharge parce que, si vous décidez de ne
10 pas le faire et si vous déposez plus tard, vous aurez peut-être ce
11 problème.
12 Les questions directives: nous avons décidé de faire preuve d'une
13 ouverture d'esprit à cet égard et de mettre nos cartes sur la table dès
14 maintenant. Là aussi, la pratique de ce Tribunal n'a pas toujours été
15 uniforme ou constante. Mais je vais vous expliquer comment, dans ce
16 procès, la présente Chambre va aborder la question des questions
17 directives. Elle n'autorisera pas de question directive pendant
18 l'interrogatoire principal.
19 Je veux être clair. En effet, je me rends compte que nous avons des
20 conseils issus de systèmes juridiques divers. Personnellement, moi je
21 viens d'une tradition juridique qui a réussi à panacher les deux cultures
22 juridiques. Je vais vous expliquer ce que j'entends par question
23 directive, du moins aux fins du présent procès.
24 Une question directive à mes yeux, enfin à nos yeux, c'est une question
25 qui est formulée de façon à suggérer au témoin la réponse qu'on attend de
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1 lui ou d'elle. Il y aura quelques exceptions à cette règle, à ce principe
2 et ces exceptions se fondent sur la jurisprudence établie par ce Tribunal,
3 mais elles se fondent aussi sur la pratique adoptée à l'égard des
4 questions directives dans le passé.
5 Il y aura des exceptions à ce principe lorsqu'un témoin affirme certains
6 faits et qu'un autre témoin est appelé à la barre aux fins de confronter
7 ou de contredire les dires du premier témoin. Le second témoin va peut-
8 être se voir poser de façon directe la question de savoir si tel ou tel
9 fait énoncé par le premier témoin s'est bien produit, des questions qui ne
10 font qu'introduire d'autres questions plus matérielles ou qui portent sur
11 des questions non contestées. Ce genre de questions sera en général
12 autorisé sans qu'il y ait objection.
13 Les questions directives seront autorisées lorsque la partie citant le
14 témoin a reçu le droit de traiter le témoin qui est à la barre comme étant
15 un témoin hostile ou réfractaire. Les questions directives seront
16 autorisées pour des questions qui ne sont pas contestées et, au cas par
17 cas, elles seront aussi autorisées lorsque les témoins n'ont qu'une
18 compréhension limitée. J'espère qu'il n'y en aura pas trop de cette sorte.
19 Les questions directives seront également autorisées lorsque les souvenirs
20 d'un témoin sont épuisés mais qu'on est en droit de croire qu'il connaît
21 ou qu'il est en possession de faits supplémentaires qui sont importants en
22 l'espèce.
23 Enfin, et c'est là que la pratique n'a pas tout toujours été constante
24 dans ce Tribunal, les questions directives s'appliqueront toujours pour le
25 contre-interrogatoire. Je suis très clair: ces règles s'appliquent aux
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1 deux parties, à l'accusation comme à la défense, même si certaines
2 Chambres de première instance ont adopté pour pratique de ne pas autoriser
3 de questions directrices au contre-interrogatoire. Ceci ne sera pas le
4 système que nous, ici, nous allons adopter. Je voudrais que ceci soit
5 clair d'emblée.
6 L'ouï-dire: les praticiens de common law connaissent bien ce principe.
7 Manifestement, c'est une question qui s'est posée à plusieurs reprise, ici
8 dans ce Tribunal, dans divers procès; et le Tribunal s'est prononcé à cet
9 égard. Je ne fais que relayer cette information pour vous dire que nous
10 allons bien entendu faire nôtre la jurisprudence de ce Tribunal en la
11 matière.
12 Mais soyons plus précis: au fond, la Règle se retrouve au paragraphe C de
13 l'Article 89 du Tribunal qui dit clairement que "la présente Chambre peut
14 déclarer recevable tout moyen de preuve qu'elle considère pertinent".
15 Ce Tribunal international a également indiqué, dans l'affaire Blaskic, que
16 c'est un Tribunal sui generis, avec son propre Statut, son propre
17 Règlement et qui n'est pas une simple transposition de systèmes
18 judiciaires nationaux. Au cours de ces dernières années, ce Tribunal s'est
19 avéré être en fait un système hybride. Ceci aura son incidence sur la
20 façon dont la présente Chambre va aborder la question des moyens de preuve
21 par ouï-dire.
22 Les Règles régissant l'ouï-dire au pénal, du moins de l'avis de la
23 présente Chambre, se présentent de la façon suivante: les déclarations
24 antérieures de toute personne, que cette personne soit témoin ou non dans
25 ce procès; toutes ses déclarations ne peuvent être admises si la fin de
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1 leur versement serait de montrer la preuve de certaines questions
2 affirmées, à moins qu'elles ne soient fournies par un accusé et ne
3 constituent des admissions de faits pertinents pour l'affaire.
4 Cependant, dans l'affaire Aleksovski, on a défini l'ouï-dire de façon plus
5 restreinte, à savoir que c'est la déclaration d'une personne faite
6 ailleurs que dans une procédure ou dans la procédure où on en demande le
7 versement, mais dont le versement a cependant été demandé afin d'établir
8 la véracité des dires de la personne.
9 La présente Chambre de première instance, en ce présent procès, va avoir
10 pour attitude ceci: elle vous dira que l'ouï-dire n'a jamais été considéré
11 comme étant une règle absolue même en common law donc ceci ne sera pas
12 considéré comme étant irrecevable ou interdit par principe, pour autant
13 qu'il soit prouvé que ces dires ont une valeur probante.
14 Deux points moins importants qui ont un lien entre eux; ils sont
15 complémentaires même si l'un de ces points n'épuise pas l'autre.
16 Je suppose que les deux parties vont connaître ce phénomène du témoin
17 hostile. Cela arrive et, quand cela arrive, cela peut poser problème.
18 Pourquoi? Parce que vous vous préparez à procéder de telle ou telle
19 manière à l'interrogatoire ou au contre-interrogatoire de ce témoin,
20 témoin dont vous avez demandé la comparution vous-même. Donc c'est plutôt
21 l'interrogatoire principal. Et puis vous êtes surpris par l'attitude
22 adoptée par ce témoin.
23 La Règle appliquée par la Chambre, c'est que la partie citant le témoin
24 -et bien sûr, ici, nous parlons d'un témoin que vous avez vous-même cité à
25 la barre- eh bien, vous, en tant que partie citant le témoin, vous ne
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1 pourrez pas attaquer la crédibilité du témoin sans l'autorisation de la
2 Chambre de première instance. En d'autres termes, il faut d'abord demander
3 à cette Chambre de première instance l'autorisation de traiter ce témoin
4 comme étant un témoin réfractaire ou hostile. Si vous obtenez cette
5 permission, vous pourrez traiter ce témoin comme étant réfractaire ou
6 hostile; je pense que les Américains parlent plutôt de témoins
7 réfractaires qu'hostiles. Vous pourrez à ce moment-là essayer de
8 contredire les dires du témoin par d'autres moyens de preuve,
9 éventuellement par des moyens de preuve déjà versés précédemment.
10 Ceci m'amène au deuxième point, à savoir l'utilisation ou l'usage autorisé
11 de déclarations préalables. Cette Chambre adopte pour pratique que les
12 déclarations faites hors prétoire seront autorisées en vertu des
13 directives données dans l'affaire le Procureur contre Kvocka, à savoir que
14 la Règle sera celle-ci: le principe de l'oralité des débats. Donc, en
15 règle générale, les moyens de preuve sont produits à l'audience au cours
16 des débats.
17 Ce principe de l'oralité des débats devra primer, mais des références à
18 des déclarations antérieures du témoins, fournies hors prétoire, seront
19 éventuellement autorisées. Comme ce Tribunal l'a déjà indiqué, attendez-
20 vous à ce que, dans ces circonstances, la Chambre insiste pour que ces
21 déclarations soient lues au témoin qui est à la barre avant que des
22 questions ne soient posées à ce témoin sur ses déclarations préalables.
23 Ceci m'amène au dernier point que je voulais évoquer. J'ai eu le plaisir
24 de travailler avec vous depuis déjà, je pense, 12 heures d'audiences qui
25 se sont étalées sur trois parties de la conférence préalable au procès.
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1 Donc j'attends beaucoup de vous. Cependant je sais également que des
2 procès, ce sont des procès, qu'il y aura des incidents de procédure, que
3 tout ne va pas être simple du début à la fin. Permettez-moi de vous
4 rappeler certaines règles d'éthique et des comportements dont on attend le
5 respect de votre part.
6 Je vous rappelle certaines de vos obligations, obligations qui vous sont
7 dictées par le Statut mais aussi par le code de déontologie. Bien sûr, je
8 ne serai pas complet dans cet examen, mais je pense que c'est dans
9 l'intérêt de vos clients d'entendre ce que je vais dire.
10 Tout d'abord, j'espère que nous ne devrons pas en arriver à ces conditions
11 mais, dans certains cas extrêmes -là, je m'adresse aux conseils des deux
12 parties-, vous allez peut-être devoir faire l'objet de mesures
13 disciplinaires régies par le Règlement de ce Tribunal tel que modifié. Il
14 est donc impératif que vous soyez conscients de vos droits et de vos
15 obligations.
16 Vous avez également le devoir de garder vos clients au courant de l'état
17 de leur affaire parce que votre client est une partie intéressée. En
18 d'autres termes, vous devez aussi vous exécuter et exécuter toutes les
19 requêtes raisonnables pour garder vos clients informés.
20 Vous devez en tout temps respecter le Règlement et toute décision relative
21 à la conduite du procès, à votre conduite, telle que cette Chambre est
22 susceptible de les prononcer au cours du procès.
23 Et vous devez respecter la bonne tenue du procès.
24 Il y a quelque chose d'important, je suis sûr que vous en êtes conscient
25 mais je vous le rappelle quand même: sauf si le Règlement le permet ou
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1 sauf si votre code de déontologie le permet, ou si l'un quelconque des
2 Juges vous le permet, vous n'êtes pas censés avoir de contact avec l'un
3 quelconque des Juges sans en informer d'abord, et en même temps, l'autre
4 partie. Il ne vous est pas autorisé de soumettre des pièces, des notes ou
5 des documents sans les communiquer, en même temps ou d'abord, aux conseils
6 de la partie adverse. Nous allons rester aux aguets pour assurer le
7 respect qui est essentiel pour la bonne tenue de ce procès.
8 Il est interdit que vous présentiez une version erronée de faits
9 essentiels au procès, ni d'offrir des moyens de preuve dont vous savez
10 qu'ils ne sont pas exacts. Vous avez également pour obligation d'assurer
11 l'intégrité des moyens de preuve, qu'ils soient écrits, oraux ou autres;
12 moyens de preuve qui risquent d'être soumis à ce Tribunal pour examen.
13 Nous vous lançons un appel, et ceci est conforme à votre code de
14 déontologie: tout autre conseil en ce procès doit être considéré par vous
15 comme étant un collègue, un confrère. Il faut donc agir de façon honnête
16 et courtoise à leur égard et à l'égard de leur client. Ceci s'applique
17 donc aussi bien à l'accusation qu'à la défense.
18 Une règle professionnelle et d'éthique très importante, j'insiste là-
19 dessus: vous ne pouvez pas communiquer avec le client d'un autre conseil,
20 sauf si le conseil de ce client vous l'autorise. C'est quelque chose qui,
21 dans les procès de cette nature, est peut-être plus important que dans des
22 procès normaux, tels que nous les connaissons dans nos juridictions
23 nationales.
24 Je m'attends à la fois que l'accusation et la défense fassent preuve de la
25 plus grande courtoisie à l'égard des témoins au cours de leurs
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1 interrogatoire et contre-interrogatoire. Vous êtes libre bien sûr
2 d'interroger et de contre-interroger les témoins de votre mieux et de la
3 façon que vous estimez opportune, compte tenu de l'attitude que prendra
4 chacun des témoins à un moment donné. Traiter de façon adéquate un témoin,
5 c'est une chose, mais ne pas faire preuve de courtoisie ou le fait de
6 recourir à des pratiques qui ne seraient pas acceptées par le Tribunal,
7 telle que l'agressivité à l'égard du témoin, ne sera pas autorisé. Vous ne
8 soumettrez pas non plus des témoins sous forme de harcèlement inutile et
9 non autorisé.
10 Excusez-moi d'avoir pris tout ce temps pour passer tout ceci en revue,
11 mais je pense que cela me donnait l'occasion, à moi-même et à mes
12 collègues, de vous donner les directives nécessaires d'emblée, pour savoir
13 à quoi vous attendre dans certaines circonstances lorsqu'on en viendrait à
14 certains des aspects que j'ai évoqués.
15 Je pense qu'à ce stade, je vais regarder à ma gauche et je vais demander à
16 Mme Korner de faire votre déclaration liminaire.
17 Maître Ackerman?
18 M. Ackerman (interprétation): Est-ce que je pourrais soulever une
19 question?
20 M. le Président (interprétation): Oui.
21 M. Ackerman (interprétation): Lorsque je suis arrivé ce matin, j'ai trouvé
22 ces documents, ce lot de documents supplémentaires venant du Bureau du
23 Procureur. Je vous ai dit la semaine dernière, lors de nos conférences de
24 mise en état, que ce procès n'était pas prêt à débuter; et l'une des
25 raisons pour lesquelles il ne pouvait pas commencer, c'est qu'il y avait
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1 des milliers de pages et de documents qui devaient encore être communiqués
2 à la défense.
3 Je comprends que nous commençons le procès et que cette pratique n'est pas
4 sur le point de changer. Mais j'ai une requête à présenter humblement. Il
5 me faudra à peu près deux jours pour pouvoir cataloguer, répartir ces
6 documents, les faire entrer dans les dossiers qui correspondent, les lire
7 d'une façon qui me permette de comprendre ce que je lis.
8 Je voudrais donc demander que chaque fois qu'un lot de documents -là, il y
9 en a beaucoup, vous le voyez; je n'ai pas compté les pages, peut-être 700,
10 800 pages, je ne sais pas-, chaque fois qu'une pile de documents de ce
11 volume…
12 M. le Président (interprétation): Je n'ai peut-être pas les lunettes qu'il
13 faut, mais je ne pense pas qu'il y ait 700 pages là.
14 M. Ackerman (interprétation): C'est peut-être écrit sur les deux pages, je
15 n'ai pas regardé. Je ne connais pas le nombre de pages qu'il y a, mais je
16 pense que cela va prendre pas mal de temps, simplement de voir ce dont il
17 s'agit, de les lire et de les classer comme il convient.
18 Je voudrais dire que, chaque fois que nous recevons un volume important de
19 documents comme ceci, nous devrions arrêter ce que nous sommes en train de
20 faire. Par exemple, pour ce qui est des contre-interrogatoires des
21 témoins, nous devrions stopper tout ce que nous faisons, de façon à
22 pouvoir cataloguer les documents pour les comprendre, savoir quel pourrait
23 être leur effet sur les prochains interrogatoires auxquels on va procéder.
24 En plus, il y a ici des nouveaux documents pour le premier témoin, M.
25 Donia, qui viennent juste de nous parvenir ce matin. Cela aurait dû nous
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1 être communiqué il y a des mois; il semble que ces documents étaient en
2 possession de l'accusation depuis des mois.
3 Donc je voudrais demander que chaque fois que nous avons des documents, la
4 Chambre veuille bien nous nous donner une suspension deux jours pour qu'on
5 puisse avoir le temps d'examiner les documents parce que sinon cela ne
6 vaut...
7 M. le Président (interprétation): Puis-je vous demander spécifiquement ce
8 que sont ces documents?
9 M. Ackerman (interprétation): Je n'ai pas encore pu les regarder, ils ont
10 été remis. Je crois qu'ils sont importants, je crois qu'ils devaient nous
11 être communiqués. Ce sont des documents Article 68. Je sais qu'il y en a
12 certains qui ont trait avec le témoin Donia qui va être entendu à la
13 barre, mais s'ils ne sont pas importants alors, à ce moment-là, on
14 n'aurait pas dû nous les communiquer. Nous devons les traiter comme s'ils
15 étaient importants, sérieusement, les lire attentivement, les comparer
16 avec d'autres documents comparables, dans des cas comparables. En même
17 temps, la Chambre voudrait que nous soyons toujours prêts à faire les
18 contre-interrogatoires des témoins.
19 M. le Président (interprétation): Pourrais-je vous rappeler sur le fait
20 que vous entrez dans une contradiction ici? Non pas lundi dernier, mais à
21 la séance précédente du vendredi, lorsque nous examinions la question des
22 800 pages environ de compte rendu et des éléments de preuve que M. Donia
23 avait données à la déposition, une question s'est posée de savoir quelle
24 était l'importance et s'il était sage de les garder, d'en maintenir la
25 présentation ou de les retirer.
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1 Maître de Roux a été très précis sur la question: si l'accusation les
2 retire, ils ne sont pas importants. L'accusation était prête à les
3 retirer. Et maintenant, vous dites: si ces documents que nous avons reçus
4 aujourd'hui ne sont pas assez importants, pourquoi les avons-nous?
5 Pourquoi devraient-ils se trouver dans le dossier de l'affaire? Pourquoi
6 devraient-ils prendre de notre temps?
7 Quoi qu'il en soit, indépendamment de tout cela -parce qu'à l'évidence,
8 vous élevez un grief qui peut avoir un poids considérable-, je voudrais
9 savoir de l'accusation de quels documents Me Ackerman parle et a reçus
10 aujourd'hui.
11 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, je peux vous éclairer.
12 Le problème -et vous vous en souvenez- que nous avons discuté lors des
13 dernières réunions, c'étaient les traductions. L'un des plus grands
14 problèmes, c'est un journal qui a été tenu et qui a été reçu par
15 l'accusation. On avait expliqué que les services de la traduction avaient
16 dit qu'ils pourraient traduire environ 300 pages. Mais le volume total de
17 ces documents, que Me Ackerman et Me de Roux ont reçus ce matin, sont des
18 pages traduites du journal de Banja Luka. Il y a trois traductions de
19 documents auxquelles il sera fait référence par le docteur Donia et ce
20 sont les seuls documents qui le concernent. C'est un problème qui va se
21 poser tout au long de ce procès à cause du retard des traductions.
22 Si la situation est que Me Ackerman ne veut pas recevoir les traductions
23 au fur et à mesure qu'on les reçoit, alors bien sûr on ne les fournira
24 pas. Mais s'il souhaite les recevoir -et je prévois que, bien sûr, il
25 souhaite les recevoir- alors il continuera de les recevoir, peut-être par
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1 petits morceaux, peut-être parfois en volume important. Nous allons
2 essayer de faire en sorte que les documents auxquels il sera fait
3 référence par les témoins ont bien été communiqués ou traduits d'avance.
4 Cela n'est pas toujours possible et des erreurs pourraient se produire.
5 Voilà la situation en ce qui concerne les documents auxquels Me Ackerman
6 se réfère.
7 M. le Président (interprétation): Les trois documents sur lesquels M.
8 Donia se référera dans sa déposition, quelle est leur importance?
9 Mme Korner (interprétation): Je ne peux pas vous décrire ce dont il s'agit
10 exactement, Monsieur le Président.
11 M. le Président (interprétation): Quel est leur volume? Est-ce qu'ils sont
12 très volumineux?
13 Mme Korner (interprétation): Oui, je crois assez. Monsieur Cayley a traité
14 de la question.
15 M. Cayley (interprétation): Oui, ce sont des documents très brefs, en ce
16 qui concerne M. Donia. La vérité, c'est que, dans son rapport, il y a
17 quelque chose comme 237 notes de bas de page, dans ce rapport qui se
18 réfère à des ouvrages, des livres, des publications et documents et
19 certains journaux, les seuls documents dont nous avons l'intention de
20 demander le dépôt au dossier comme pièces à conviction, plutôt que les
21 publications type livre, article etc. Nous avons communiqué l'ensemble
22 jusqu'à hier, indépendamment de trois qui, simplement pour des raisons
23 humaines -en l'occurrence ma faute-, n'ont pas été vus en regardant les
24 notes. Je crois qu'il s'agit d'un document de deux pages qui a été
25 communiqué hier.
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1 Telle est la position. Le document le plus long a deux pages, Monsieur le
2 Président.
3 M. de Roux: Il ne s'agit pas d'un problème technique; il ne s'agit pas
4 simplement dans ce cas- là d'un problème de traduction. L'accusation verse
5 au débat le journal intime d'un témoin, tenu au jour le jour pendant les
6 événements. Nous avons dit depuis longtemps qu'un journal intime devait
7 être, était composé d'impressions quotidiennes et que la défense voulait
8 voir la totalité du document. Car, dans les événements qui se sont
9 produits, il est évident que telle ou telle réaction quotidienne est
10 importante et peut être interprétée de façon tout à fait différente. C'est
11 donc un problème de fond.
12 Or nous n'avons jamais eu accès à ce document dans sa totalité, alors que
13 nous le demandons depuis des mois. Ce n'est pas une affaire d'hier,
14 c'était bien avant que vous preniez vos fonctions, Monsieur le Président.
15 Et on nous donne maintenant une partie choisie par l'accusation, dont on
16 nous dit que cette partie choisie, alors que nous ne connaissons pas la
17 partie qui n'a pas été choisie, va servir à poser des questions au premier
18 témoin.
19 Alors je crois que, si nous commençons comme cela ce procès, nous sommes
20 mal partis!
21 Nous demandons depuis longtemps à avoir accès aux documents de façon à ce
22 que nous fassions notre jugement sur ces documents, mais sur l'entièreté
23 du document, ce qui semble être le bon sens.
24 Deuxièmement, me semble-t-il, il convient qu'après tout, nous ne sommes
25 que des conseils et que ceux qui étaient là pendant ces événements, ceux
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1 qui les ont vécus, ce sont nos clients. Et sur un document de ce genre,
2 qu'est-ce qui est important? C'est que le général Talic puisse le lire
3 parce qu'il était là pendant ces événements et puisse dire à son conseil
4 quelles sont ses réactions. Moi, à la lecture d'un texte comme celui-là,
5 en français ou en anglais, cela représente un intérêt, certainement, pour
6 ma compréhension des choses. Mais sur l'interprétation des faits, il n'y a
7 que mon client, que le général Talic qui peut me le dire et qui peut me
8 donner sa version des faits, son regard sur les faits qui sont décrits
9 dans ce document.
10 C'est pour cela que je me joins à la requête de Me Ackerman. Je pense que
11 nous devons pouvoir commencer ce procès avec l'égalité des armes.
12 L'accusation -et nous le disons sans cesse, je suis désolé de me répéter-
13 a des pièces depuis plusieurs année, depuis même avant que l'Acte
14 d'accusation ne soit signifié à mon client. Et on nous apporte aujourd'hui
15 ces éléments trois ans, quatre ans, cinq ans plus tard.
16 Alors, si l'accusation estime pouvoir mener son procès en sortant de sa
17 manche, tous les jours, des documents que nous ne connaissons pas, sur
18 lequel nous aurons 24 ou 48 heures pour nous prononcer, sans même que
19 notre client ait eu le temps de les connaître et de les comprendre dans sa
20 langue, puisque le général Talic ne parle que le serbo-croate, eh bien, je
21 dis que ce procès est mal parti!
22 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Ackerman?
23 M. Ackerman (interprétation): Deux choses: premièrement, c'est que vos
24 commentaires concernant les déclarations préalables avant la déposition du
25 témoin, pour le Dr Donia, qui représente à peu près 800 pages, qui nous
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1 avait été remise par l'accusation, je n'ai jamais dit que ce n'était pas
2 nécessaire. C'est absolument nécessaire et le Règlement l'exige: il faut
3 que cela nous soit remis. Nous ne pouvons pas dire "Reprenez-les" et les
4 enlever du dossier. Il faut que cela nous soit remis en vertu du
5 Règlement.
6 L'accusation vous a dit que le volume de ces documents, que nous avons
7 reçus ce matin, était de nouvelles traductions (expurgé). Voilà
8 la partie qui est la nouvelle traduction (expurgé) Et voici le
9 volume qui sont des documents tout à fait nouveaux. Et voici, ce que je
10 vous montre, ça également, ce sont des documents tout à fait nouveaux. Ce
11 ne sont pas des traductions, ce sont des documents que nous n'avons jamais
12 vus.
13 M. le Président (interprétation): Et qui ont trait à quoi?
14 Mme Korner (interprétation): Puis-je interrompre un instant? Pourrait-on
15 se référer au journal, sans dire le journal de qui il s'agit?
16 Monsieur Cayley me demande si nous pourrions avoir une réduction du compte
17 rendu? Est-ce qu'il y a transmission publique? Je vous prie de m'excuser.
18 Est-ce qu'on pourrait expurger le compte rendu?
19 M. le Président (interprétation): Oui.
20 M. Ackerman (interprétation): Voilà les documents que je n'ai pas encore
21 eu le temps de voir. Il semble que ce soit un gros lot de documents qui
22 sont essentiellement en BCS; donc je ne vais pas pouvoir les lire de toute
23 manière.
24 Une partie, je pourrais lire… On se demande s'il y aura une traduction de
25 cela un jour, si on l'obtiendra un jour, mais je les caractérise comme
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1 étant des documents tout à fait nouveaux.
2 M. le Président (interprétation): De quel type de documents s'agit-il, en
3 vertu de l'Article 93?
4 Mme Korner (interprétation): Je suis en train de vérifier. On me dit que
5 c'étaient les nouvelles traductions du journal. Or, il s'agit de la pièce
6 93, me dit Me Ackerman.
7 M. Ackerman (interprétation): Oui, indice des documents déposés "Documents
8 divers, 22 janvier 2002". Et voilà le volume.
9 M. le Président (interprétation): Mais il s'agit de savoir de quel type de
10 documents il s'agit, Maître Ackerman.
11 Et c'est dans une langue que votre client comprend?
12 Mme Korner (interprétation): Non, maintenant, je vois où j'en suis. Ce qui
13 s'est passé, c'est-à-dire que, très récemment, on nous a fourni des
14 minutes de réunions d'assemblée que nous n'avions pas encore reçues. Je
15 voudrais d'abord traiter de ce qu'a dit Me de Roux au sujet du journal.
16 Nous avons communiqué immédiatement ces documents.
17 M. le Président (interprétation): S'agit-il de documents qui seront
18 présentés aux témoins, les témoins qui seront appelés? Est-ce qu'on
19 demandera aux témoins d'y faire référence, les témoins qui seront appelés
20 la semaine prochaine?
21 Mme Korner (interprétation): Pendant que j'ai la parole, je voudrais
22 répondre à certaines choses que Me de Roux a dites. Vous aviez donné un
23 avertissement, Monsieur le Président, en ce qui concerne le fait de donner
24 une description inexacte des faits.
25 L'ensemble du journal en BCS a été communiqué. Par conséquent, le général
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1 Talic…
2 M. le Président (interprétation): La Chambre va vous arrêter sur ce point
3 parce que c'est une question qui a été pratiquement tranchée. Pour moi,
4 c'était un chapitre terminé.
5 Dès la première audience préalable au procès, j'ai posé plusieurs
6 questions à ce sujet. Je me souviens qu'on m'a dit, et il y avait eu
7 accord général, que le journal lui-même avait été communiqué et que ce
8 n'était que la traduction qui posait des problèmes; donc un arrangement
9 avait été trouvé selon lequel, pour des fins pratiques, il y aurait 300
10 pages qui seraient prêtes pour le 21 janvier, date à laquelle le procès
11 était censé commencer.
12 (Mme Chen remet un document au Président.)
13 Nous avons débattu le 10 décembre de cette question. Nous nous étions mis
14 d'accord qu'il n'y avait pas de désaccord sur cette question, qu'il n'y
15 avait aucune façon dont la Chambre pourrait avoir des doutes sur le fait
16 qu'elle avait à sa disposition le document dans son entièreté.
17 Les griefs originaires soulevés par Me Pitron concernaient la même
18 question et on avait terminé ce chapitre à l'époque.
19 Mme Korner (interprétation): Cela me paraît important parce que, comme
20 vous le savez, des allégations ont été faites de façon assez
21 systématiquement, que les méthodes de l'accusation pour traiter les
22 documents…
23 Je voudrais dire, au sujet du journal, qu'il n'était pas en notre
24 possession avant l'arrestation du général Talic; nous l'avons eu en notre
25 possession en août ou septembre de cette année.
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1 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Ackerman et Maître de Roux,
2 en tout état de cause, la Chambre prend acte de votre demande et de vos
3 observations.
4 Dès que nous réunirons à nouveau, après la suspension ou peut-être dès que
5 Mme Korner aura terminé sa déclaration liminaire, je voudrais voir ces
6 documents pour pouvoir me consulter avec mes deux autres collègues et être
7 mieux à même de prendre une décision selon le besoin.
8 On reviendra sur cette question à la fin de l'audience d'aujourd'hui,
9 après que Mme Korner aura terminé sa déclaration liminaire.
10 Alors, Madame Korner, je pense que vous pouvez maintenant commencer à
11 faire votre déclaration liminaire, mais à 10 heures 30, nous suspendrons
12 la séance pour une brève suspension.
13 Mme Korner (interprétation): … (inaudible)
14 M. le Président (interprétation): Le micro, Madame Korner, je vous prie.
15 Mme Korner (interprétation): Avant de débuter ce propos liminaire, je me
16 permettrai de revenir quelques instants sur les remarques très utiles
17 venant de vous, Monsieur le Président, quant à la façon dont le procès
18 allait se dérouler et je vous demanderai un peu plus tard d'aborder une
19 certaine question qui peut avoir une incidence sur la comparution du
20 témoin. Ne perdons pas ceci de vue, Monsieur le Président.
21 (Déclaration liminaire de Mme Korner.)
22 Mme Korner (interprétation): J'aimerais maintenant commencer le propos qui
23 sera le mien ce matin.
24 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, en 1992, la région connue sous
25 le nom de Région autonome de Krajina, que l'on a l'habitude de désigner
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1 par le sigle RAK, a été le théâtre d'une des plus violentes campagnes
2 particulièrement concertées de ce que décrit l'euphémisme "nettoyage
3 ethnique".
4 Il va sans dire que le nettoyage ethnique n'existe pas en droit.
5 Le comportement évoqué par ces mots recouvre toute une série d'infractions
6 reprises dans l'Acte d'accusation de la présente affaire. Au minimum, il
7 s'agit de négations de droits humains fondamentaux, tels que le droit à
8 l'emploi, la liberté de circulation, le droit à des procédures judiciaires
9 en bonne et due forme, et il s'agit également de déplacements de
10 population moyennant l'expulsion de son domicile, de destructions de
11 villes, villages, bâtiments du culte et immeubles d'habitation. Il s'agit
12 d'internements de personnes dans des camps, où le passage à tabac, la
13 torture, le viol, l'agression sexuelle des femmes de façon générale, et le
14 meurtre faisaient partie du quotidien. Il s'agit enfin d'assassinats
15 visant des particuliers, mais également des groupes humains, parfois des
16 centaines de personnes à la fois.
17 Tous les crimes que je viens d'énumérer, les éléments de preuve qui seront
18 présentés dans la présente affaire démontreront qu'ils ont été commis par
19 des Serbes de Bosnie, ainsi que par des Serbes de Serbie et du Monténégro.
20 Et ces crimes ont été commis contre les Musulmans de Bosnie et les Croates
21 de Bosnie qui, depuis des générations, étaient les voisins des auteurs de
22 ces crimes.
23 La majeure partie des éléments de preuve qui vous seront soumis, Monsieur
24 le Président, Mesdames les Juges, a trait à la population musulmane.
25 Simplement parce que, dans les régions concernées dans la présente
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1 affaire, ce sont les Musulmans qui constituaient la majorité de la
2 population non serbe, à savoir qu'ils étaient plus nombreux dans ces
3 régions que les Croates. Mais cela ne signifie pas que les Croates ont été
4 mieux traités simplement en raison du fait qu'ils étaient moins nombreux.
5 Quel a été le motif de ces crimes? L'accusation affirme que les éléments
6 de preuve présentés, s'agissant de ce qui a été dit et de ce qui a été
7 fait, démontrent que le motif consistait à créer un Etat serbe au sein de
8 la Bosnie-Herzégovine ou, tout au moins, de créer une partie d'un Etat
9 serbe plus grand. Afin de créer cet Etat, l'intention -et j'insiste sur ce
10 mot- a consisté à déplacer de façon permanente la population non serbe des
11 zones destinées à faire partie de cet Etat et d'effectuer ce déplacement
12 par le biais des crimes décrits dans l'Acte d'accusation de la présente
13 affaire.
14 Nous affirmons que les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie ont
15 subi ces crimes pour une et seule simple raison, à savoir le fait qu'ils
16 étaient Musulmans ou Croates.
17 L'accusation déclare qu'une fois que les éléments de preuve de la présente
18 affaire auront été examinés, la Chambre de première instance sera
19 convaincue de l'existence du crime de persécution, pour des raisons
20 politiques raciales et religieuses, ainsi que de l'existence des autres
21 crimes énumérés à l'Article 5 du Statut de ce Tribunal.
22 Mais l'accusation va plus loin encore: elle déclare que les éléments de
23 preuve démontreront que, dans certaines municipalités, les méthodes
24 utilisées pour déplacer la population non serbe ont été particulièrement
25 féroces. L'accusation affirme que les éléments de preuve démontreront
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1 l'échelle des meurtres commis, démontreront à quel point les dirigeants
2 ont été pris pour cible, démontreront l'importance des passages à tabac,
3 des incarcérations et des expulsions, démontreront les attaques et la
4 destruction de domiciles et de villages, démontreront l'intention de
5 détruire les populations musulmanes et croates de Bosnie, partiellement en
6 détruisant une partie des non-Serbes vivant dans la région autonome de
7 Krajina.
8 L'accusation déclare que les accusés sont pénalement responsables de ce
9 génocide, et ce, à quatre titres.
10 Premièrement, parce que les accusés ont eu l'intention de détruire les
11 Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie partiellement, afin de
12 réaliser l'objectif et les buts de cette entreprise criminelle, pour
13 laquelle les persécutions auraient été insuffisantes s'agissant d'obtenir
14 le résultat souhaité. Ou en raison du fait que les conséquences naturelles
15 et prévisibles de cette entreprise criminelle commune, consistant à
16 déplacer par la force, de façon permanente, les non-Serbes, étaient un
17 comportement génocidaire pour lequel une intention était nécessaire. Ou
18 encore, parce que les supérieurs, au titre de la signification donnée à ce
19 terme dans l'Article 73 du Statut, prouvent que les accusés savaient ou
20 avaient des raisons de savoir qu'un comportement génocidaire était sur le
21 point d'être mis en oeuvre avec une intention génocidaire et qu'ils n'ont
22 rien empêché ou rien puni. Ou encore en raison du fait qu'en tant que
23 complices, ils connaissaient les auteurs des crimes, savaient que les
24 auteurs de ces crimes avaient un comportement génocidaire et une intention
25 génocidaire.
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1 Ainsi, contre certaines parties de la population non serbe de la région
2 autonome de Krajina, l'objectif de la campagne consistant à mettre en
3 oeuvre des persécutions pour débarrasser, vider la région de sa population
4 non Serbe, a été réalisé par le biais du génocide.
5 Les accusés, c'est ce qu'affirme l'accusation, sont les principaux
6 responsables sur le plan pénal de ce génocide: parce que, premièrement,
7 ils avaient l'intention de mettre en oeuvre ce comportement génocidaire.
8 Parce que, deuxièmement, il s'agissait d'une conséquence naturelle et
9 prévisible de leur projet criminel. Parce que, troisièmement, ils savaient
10 ou avaient des raisons de savoir et n'ont rien fait pour empêcher cela. Ou
11 parce que, quatrièmement, ils ont aidé les auteurs dans la commission de
12 ces crimes.
13 Les éléments de preuve démontreront que les deux accusés n'ont pas été
14 seulement très proches du niveau de direction le plus élevé dans leur
15 sphère de responsabilités respectives, c'est-à-dire le politique pour
16 Brdanin et le militaire pour Talic, mais également qu'ils ont exercé leur
17 influence et leur autorité au sein de la région autonome de Krajina. Les
18 ailes politiques et militaires dont dépendaient les Serbes de Bosnie
19 étaient liées de façon indissociable. La branche politique fournissait les
20 objectifs et la branche militaire jouait son rôle dans la réalisation de
21 ses objectifs, mais n'aurait pas pu le faire sans l'appui logistique de la
22 branche politique.
23 Par ailleurs, l'accusation affirme que sur la base des éléments de preuve
24 présentés aux Juges de cette Chambre, il paraît clairement que les
25 dirigeants militaires des Serbes de Bosnie, dont le général Talic faisait
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1 partie, partageaient l'idéologie de leurs homologues politiques.
2 Le rôle de la police dans cette entreprise, c'est-à-dire dans les
3 événements survenus en Krajina de Bosnie n'a pas été moins important. En
4 fait, la police a servi de trait d'union entre l'aile politique et l'aile
5 militaire. Elle a joué son rôle dans le domaine civil en émettant des
6 ordres destinés à désarmer la population non serbe, en réalisant des
7 arrestations de celles qui étaient considérées comme des personnes
8 indésirables, à savoir les dirigeants des Musulmans de Bosnie et des
9 Croates de Bosnie. La police a fourni le personnel travaillant dans les
10 camps. Elle a fourni le personnel chargé des interrogatoires; et vous en
11 entendrez, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, quelle était la
12 nature de ces interrogatoires.
13 S'agissant du domaine militaire, la police a apporté son soutien en levant
14 des bataillons de combattants connus parfois sous le terme de "forces
15 spéciales" pour agir sous le commandement des militaires. Il est possible
16 que les policiers ne soient pas aussi nombreux dans la présente affaire
17 que dans d'autres affaires, et ce pour une raison très simple: c'est que,
18 s'agissant de ces mêmes événements survenus dans la région autonome de
19 Krajina, on trouve parmi eux un coaccusé, Stojan Zupljanin, dont il a
20 beaucoup été question dans la présente affaire.
21 Il était le chef des services de sécurité de Banja Luka, connu sous le
22 sigle de "CSB", mais ne sera pas jugé devant vous, Monsieur le Président,
23 Mesdames les Juges, car au jour d'aujourd'hui, il n'a pas encore été
24 arrêté et ne s'est pas non plus livré de son plein gré. Mais, comme je
25 viens de le dire, son nom sera largement évoqué dans la présente affaire.
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1 Voilà, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, c'étaient des
2 observations liminaires.
3 Et je crois pouvoir maintenant passer à un exposé plus détaillé, en disant
4 d'abord quel est l'objectif de ma déclaration.
5 Je commencerai par l'aspect négatif. Cette déclaration n'a pas pour but de
6 passer en revue l'ensemble des éléments de preuve qui vous seront soumis
7 dans la présente affaire, Monsieur le Président, Mesdames les Juges. Je
8 vois que vous souriez, Monsieur le Président, car vous parler de tous ces
9 éléments de preuve prendrait des jours et des jours et ne serait pas
10 particulièrement utile, à notre avis. Mais nos arguments ont été
11 développés à l'envi dans notre mémoire préalable au procès.
12 Il va sans dire qu'au terme du présent procès, les Juges de cette Chambre
13 de première instance rendront leur décision sur la base des éléments de
14 preuve et pas simplement sur la base des arguments développés par
15 l'accusation.
16 Ce que nous avons l'intention de faire consiste simplement à anticiper sur
17 ces éléments de preuve. Nous n'avons pas l'intention, au stade actuel, de
18 faire autre chose que d'évoquer brièvement ce qui sera dit, parce que
19 l'important c'est que les accusés comprennent bien de quelle façon
20 l'accusation présente la charge de génocide, puisque c'est la charge la
21 plus importante et la première fois utilisée qui pèse sur les accusés de
22 la présente affaire. En tout cas, la première fois qu'elle est utilisée de
23 façon aussi large.
24 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, par conséquent, nous ne
25 traiterons pas des points de droit. Nous ne mentionnerons même pas le
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1 sujet du conflit armé international.
2 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, notre objectif est le suivant:
3 présenter aux Juges de cette Chambre une idée générale des éléments de
4 preuve dont nous prévoyons qu'ils seront utilisés et examiner le contexte
5 de la présente affaire en abordant certains sujets qui émergeront à
6 l'examen de ces éléments de preuve. Finalement, dans cette déclaration
7 liminaire, nous avons dû faire un choix, nous avons dû faire un tri. Mais
8 nous aimerions souligner devant vous, Monsieur le Président, Mesdames les
9 Juges, que ce n'est qu'un des aspects des éléments de preuve qui sera
10 mentionné ici, et que d'autres ne le seront pas. Ce qui ne signifie pas
11 que nous considérons ceux qui ne seront pas évoqués comme moins
12 importants.
13 Cette déclaration est censée être uniquement un guide, une introduction
14 aux éléments de preuves qui seront présentés par les témoins et par voie
15 documentaire.
16 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, j'aimerais rapidement parler
17 maintenant de la biographie de chacun des deux accusés.
18 Radoslav Brdanin est né le 9 février 1948; il est donc âgé de 53 ans,
19 presque 54. Il est né dans la municipalité de Zelinac, qui se trouve en
20 banlieue de Banja Luka. Et vous entendrez des éléments de preuves liés à
21 cette municipalité, Monsieur le Président, Mesdames les Juges.
22 Il était ingénieur de construction civile. Il a travaillé dans le domaine
23 du bâtiment. En novembre 1990, lors des premières élections multipartites
24 organisés en Bosnie, il a été candidat pour le SDS dans la région de
25 Zelinac et a été élu comme membre de l'Assemblée de Bosnie Bosnie-
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1 Herzégovine.
2 En avril 1991, une association désignée sous le nom d'Association des
3 municipalités de Krajina de Bosnie, ce qui correspond à un sigle en langue
4 serbe "ZOBK", que je ne m'aventurerai pas à vous développer ici, en tout
5 cas, donc cette association de municipalités a été mise en place et le
6 président de cette association était un homme répondant au nom de Vojo
7 Kupresanin, alors que le vice-président était Radoslav Brdanin.
8 En septembre 1991, cette association s'est transformée pour devenir
9 l'Assemblée de la Région autonome de Krajina. Mais les postes de président
10 et de vice-président sont restés les mêmes que dans la période antérieure.
11 Le 5 mai 1992, la création de la Région autonome de Krajina a été
12 officiellement annoncée par la cellule de crise de la région. Radoslav
13 Brdanin est devenu le président de cette région, alors que Kupresanin
14 n'était qu'un membre de cet organe. Et, en temps utile, nous le
15 constaterons à la lecture de documents qui vous seront soumis.
16 Le 15 septembre 1992, Brdanin a été nommé au poste de Ministre de la
17 construction, de la circulation et des entreprises publiques, et il est
18 devenu vice-président de la Republika Srpska, nom désormais donné à la
19 Région serbe de Bosnie.
20 Et pour compléter les choses, je dirai qu'il a été arrêté à Banja Luka le
21 6 juillet 1999.
22 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, parlons maintenant de Momir
23 Talic.
24 Il est né le 15 juillet 1942; il a donc 59 ans aujourd'hui. Il est né à
25 Piskavica -j'espère que je prononce bien ce nom-, dans la municipalité de
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1 Banja Luka.
2 En 1961, il a rejoint ce qui était à l'époque l'armée populaire yougoslave
3 de Yougoslavie, la JNA, en tant qu'officier de carrière.
4 En juillet 1991, il avait le grade de colonel; il devenu chef d'état-major
5 et vice-commandant du 5e Corps de la JNA qui existait à l'époque et était
6 stationné à Banja Luka. Plus tard, il a été promu au grade de général de
7 Brigade, c'est-à-dire au grade de général-major en langue serbe.
8 Le 19 mars 1992, il a été nommé commandant du 5e Corps. Lorsque, le 19 mai
9 1992, l'armée serbe de Bosnie, connue sous le sigle VRS, a été créée, le
10 5e Corps de la JNA est devenu le 1er Corps de la Krajina, que l'on désigne
11 très souvent par le sigle 1er KK.
12 Le 31 décembre 1991, il a été promu au grade de général de Corps d'armée
13 et il est resté commandant du 1er Corps de la Krajina pendant toute la
14 durée du conflit en Bosnie, c'est-à-dire jusqu'à la signature des accords
15 de Dayton.
16 En février 1998, Biljana Plavsic, alors Ministre responsable de l'armée,
17 l'a nommé au poste de chef d'état-major de la VRS. Et c'est le poste qu'il
18 occupait, le poste de chef d'état-major lorsqu'il a été arrêté à Vienne,
19 le 25 août 1999.
20 J'aimerais maintenant, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, vous
21 parler du contexte dans lequel ces événements ont eu lieu.
22 Nous affirmons qu'il est impossible de comprendre la nature de ces
23 événements, événements au sujet desquels vous allez voir un certain nombre
24 d'éléments de preuve, il est également impossible de comprendre le rôle
25 joué par les accusés, sans quelques explications relatives au contexte qui
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1 permettent donc de replacer ces événements dans leur contexte.
2 Mais le point de départ, bien sûr, ne peut qu'être arbitraire. Cela étant,
3 ce point de départ, pour la plupart des témoins que vous entendrez, se
4 situe au moment où ont eu lieu les élections de novembre 1990 qui, pour la
5 première fois, ont mis au cœur des débats un certain nombre de tendances
6 nationalistes en plein essor.
7 La majorité, sinon tous les témoins, viendront vous dire que, dans la
8 période qui a suivi les élections, les trois groupes ethniques vivant en
9 Bosnie, à savoir les Serbes, les Musulmans, qu'il est devenu courant par
10 la suite d'appeler les Bosniens, et les Croates, vivaient côte à côte en
11 harmonie. La plupart vivaient dans des quartiers où ils étaient ensemble,
12 notamment dans les zones urbaines, et les mariages mixtes étaient choses
13 courantes.
14 Au cours de ces élections, trois grands partis ont vu le jour. Le parti
15 des Serbes de Bosnie, le SDS, le parti des Musulmans de Bosnie, le SDA, et
16 le parti des Croates de Bosnie, le HDZ. C'est le SDA qui a emporté la
17 majorité des sièges à l'assemblée de la République, suivi par le SDS, le
18 HDZ arrivant en troisième et dernière position, ce qui bien sûr peut être
19 dû au fait que le nombre des habitants croates en Bosnie était inférieur
20 aux deux autres groupes ethniques. Les autres sièges se sont partagés
21 entre les autres partis et sont allés notamment à l'ancien parti
22 communiste.
23 Quand on examine les événements qui caractérisent la présente affaire, il
24 peut être utile de se rappeler qu'un grand nombre d'attributs du système
25 communiste étaient toujours en place. Tous ceux qui ont acquis un certain
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1 pouvoir ou ont gardé un certain pouvoir au début des années 90, la plupart
2 des personnes soumises à ce pouvoir étaient le produit de ce système.
3 Le contrôle des médias était devenu très simple puisque,
4 traditionnellement, toutes les personnes responsables de la radio et de la
5 télévision étaient des personnes nommées par le politique. Les directeurs
6 des entreprises commerciales étaient, dans leur grande majorité, encore
7 nommés par le politique et la plupart des entreprises, au début des années
8 1990, étaient toujours sous contrôle politique.
9 La privatisation, comme les témoins vous le diront, Monsieur le Président,
10 Mesdames les Juges, n'en était qu'à ses tout premiers stades à cette
11 époque-là.
12 Donnons un exemple: un ordre qui a été émis, selon lequel la direction des
13 postes dans les entreprises de Krajina devait nécessairement être assurée
14 par des personnes absolument loyales à la République serbe de Bosnie-
15 Herzégovine, cet ordre a été émis le 11 mai par la cellule de crise
16 régionale de la Région autonome de Krajina. C'était un ordre qu'il était
17 relativement simple de mettre en oeuvre.
18 En 1991, a eu lieu le démembrement ou le début du démembrement de la
19 Yougoslavie.
20 Je sais, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, que vous connaissez
21 très bien ces événements. Je n'en traiterai que rapidement.
22 Le 25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance
23 suite à un référendum tenu dans chacune de ces deux républiques. La JNA a
24 quitté la Slovénie après une courte guerre de dix jours seulement. En
25 Croatie, le conflit opposant la JNA qui avait reçu l'aide de forces
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1 paramilitaires irrégulières et les forces croates, a commencé en juin 1991
2 et s'est terminé en janvier 1992, date à laquelle, en raison de pressions
3 internationales, la JNA s'est retirée en direction de la Bosnie.
4 Le conflit survenu en Croatie a eu une grande incidence sur la Bosnie. Une
5 mobilisation avait été décrétée, les Serbes de Bosnie y avaient répondu
6 mais, dans leur grande majorité, les Croates de Bosnie et les Musulmans de
7 Bosnie ne l'ont pas fait, ce qui a causé pas mal de troubles. Plus
8 particulièrement, dans les municipalités qui seront évoquées dans la
9 présente affaire, c'est-à-dire les municipalités situées à la frontière
10 avec la Croatie où, tout près de cette frontière, la montée du pouvoir du
11 SDS a commencé très prématurément.
12 Il est devenu clair que la Bosnie-Herzégovine allait marcher sur les
13 traces de la Slovénie et de la Croatie, s'agissant de demander son
14 indépendance. Mais le SDS n'était pas d'accord avec cette voie. Le 24
15 octobre 1991, le SDS crée donc sa propre assemblée. A cette réunion,
16 participent entre autres: Krajisnik, Karadzic, Biljana Plavsic et Radoslav
17 Brdanin.
18 En fait, la première allocution, après les propos liminaires, a été
19 l'allocution de Radoslav Brdanin au cours de cette réunion.
20 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, tout au long des réunions de
21 l'assemblée du SDS organisées entre ce mois d'octobre et le 12 mai 1992
22 -je cite cette date délibérément, mais d'autres réunions ont encore eu
23 lieu par la suite-, dans cette période, aucun des dirigeants qui s'est
24 exprimé n'a gardé secrètes ses intentions, ce que l'on voit dans le
25 document émis après la réunion de l'assemblée du 12 mai. Une des tragédies
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1 de la présente affaire, selon l'accusation, réside dans le fait que les
2 gens n'ont pas écouté assez attentivement ce qui s'est dit au cours de ces
3 réunions.
4 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il peut être utile à ce stade
5 de mon propos de m'interrompre quelques instants, car nous aimerions vous
6 montrer une séquence vidéo très courte de cette assemblée du 12 mai.
7 M. le Président (interprétation): Donc nous allons suspendre pendant vingt
8 minutes.
9 Maître Ackerman?
10 M. Ackerman (interprétation): J'ai ces documents à vous montrer.
11 M. le Président (interprétation): Je préférerais les voir pendant la pause
12 et je m'engage à les regarder de très près et à vous les restituer à la
13 reprise de nos débats.
14 Maître Ackerman, j'aimerais d'abord que ces documents soient montrés à Mme
15 Korner pour qu'il soit bien sûr que vous ne me donnez que ce que vous avez
16 reçu tout récemment et pas davantage. Je plaisantais, en fait.
17 Je crois que je peux à présent examiner ces documents.
18 Mme Korner (interprétation): Je confirme ce fait, Monsieur le Président.
19 M. le Président (interprétation): Très bien, nous allons examiner ces
20 documents et nous reviendrons sur la question à la reprise, après la
21 pause.
22 Nous reprendrons donc nos débats à 11 heures moins 10.
23 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 10 heures 58.)
24 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)
25 Mme Korner (interprétation): Avant de poursuivre, je vous précise ceci: M.
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1 Cayley n'est plus parmi nous, il m'a demandé de l'excuser auprès de vous.
2 Ce n'est pas qu'il s'ennuie de mes propos ou marquerait un désaccord
3 quelconque avec ceci, loin de là. En fait, il appelle le Dr Donia: il doit
4 veiller à ce que tout soit réglé afin qu'il n'y ait pas d'interruption, du
5 genre de ce matin, demain.
6 Mesdames les Juges, Monsieur le Président, au moment de la pause, j'allais
7 vous demander d'examiner un extrait vidéo qui vient de la télévision de
8 Banja Luka. Il vous montre une partie des débats de l'assemblée du 12 mai
9 1992, assemblée qui s'est tenue à Banja Luka. Vous y voyez la plupart des
10 protagonistes et notamment les accusés en l'espèce.
11 Est-ce que ces images peuvent être diffusées sur vos écrans?
12 (Diffusion de la vidéo.)
13 Avec votre permission, est-ce qu'on peut faire un arrêt sur image? Je vous
14 remercie.
15 L'homme assis sur la droite de cette image que vous voyez… La
16 transcription n'a rien à voir avec ces images, c'est pour plus tard. Je
17 parle de l'image que vous voyez sur vos écrans, cet homme en uniforme
18 militaire, c'est le lieutenant-colonel Sajic. Nous reparlerons de lui,
19 c'était lui qui était le commandant de la Défense territoriale de Banja
20 Luka. Il était en fait vice-président de la cellule de crise de la RAK. A
21 ses côtés, se trouve le général Talic.
22 Nous poursuivons sur cette rangée, nous balayons la première rangée à côté
23 du général Talic. Et c'est assez surprenant, vous avez le général Mladic
24 qui a l'air beaucoup plus jeune sur ces images, il faut bien le dire.
25 Est-ce que nous pouvons continuer?
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1 Inutile de vous dire qui est cet homme: c'est Krajisnik. A côté de M.
2 Krajisnik, je ne sais pas si nous avons pu déterminer l'identité de cet
3 homme. Mais nous revoyons la première rangée et ses occupants. Je ne sais
4 pas si nous avons pu découvrir quelle était l'identité de ce nom qu'on
5 vient de voir. Celui-ci n'a pas besoin d'être présenté, il s'agit bien
6 entendu de Radovan Karadzic.
7 Assis à notre gauche, mais à la droite de Karadzic c'était Subotic,
8 Ministre de la défense de la Republika Srpska.
9 L'homme qui porte des lunettes, c'est Koljevic, un des présidents en
10 exercice et nous pensons que l'homme qui porte la moustache à droite
11 s'appelle Rajko Dukic; c'était le président exécutif du SDS.
12 Un instant. Est-ce qu'on peut arrêter l'image sur cet homme? Nous pensons
13 qu'il s'agit du Dr Vukic; vous entendrez beaucoup parler de lui.
14 Nous poursuivons. Se trouve à l'avant plan, à la première rangée, l'accusé
15 Radoslav Brdanin.
16 Nous ne sommes pas tout à fait sûrs de l'identité de cet homme que nous
17 voyons à l'écran et nous ne connaissons pas l'identité de la dame qu'on
18 vient de voir, ni de cet homme-ci.
19 La caméra revient sur la première rangée, je vous remercie.
20 Entre le mois d'octobre 1991 et le mois de mai 1992, qui est le moment où
21 s'est tenue cette assemblée, voici quels sont les grands événements qui
22 s'étaient produits.
23 Les 9 et 10 novembre 1991, il y avait eu un plébiscite organisé par le
24 SDS. Celui-ci était destiné à demander aux électeurs si ceux-ci
25 souhaitaient rester au sein de la Yougoslavie. Très peu de non-Serbes se
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1 sont exprimés. Le résultat -et il n'est pas surprenant- fut que s'est
2 dégagée une majorité écrasante en faveur du rejet de l'indépendance de la
3 Bosnie-Herzégovine, volonté exprimée par les Serbes.
4 Le 19 décembre 1991, le SDS et son comité central ont délivré un jeu
5 d'instructions qu'on a désigné sous le nom d'"Options A et "B".
6 Je pense qu'il n'est pas inutile de vous soumettre, par la voie du
7 rétroprojecteur, quelques-unes des pages de ces options pour vous faire
8 comprendre ce que nous entendons par là. Est-ce que nous pouvons demander
9 l'aide de l'huissier?
10 M. Ackerman (interprétation): Permettez-moi d'indiquer que nous avons
11 soulevé une objection et que nous soulevons une objection encore quant à
12 l'authenticité de ce document.
13 Je crois comprendre qu'un contre-interrogatoire mené par le personnel du
14 Bureau du Procureur, dans l'affaire Celebici, a aussi contesté
15 l'authenticité de ce document.
16 M. le Président (interprétation): Vous parlez de quoi?
17 M. Ackerman (interprétation): Vous savez que c'étaient des Musulmans qui
18 ont été jugés et ce document a été utilisé s'agissant d'un accusé
19 musulman, et c'est M. Niemann qui a contesté l'authenticité. Je n'en ai
20 pas le compte rendu d'audience aujourd'hui, mais en tout cas, il y a eu
21 contestation. Je ne m'oppose pas à ce que ce document vous soit soumis,
22 mais comprenez bien qu'il se peut que ce document ne soit pas authentique.
23 M. le Président (interprétation): Nous reviendrons à cette question en
24 temps utile. Je vous remercie.
25 Poursuivez, Madame Korner.
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1 Mme Korner (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
2 Est-ce qu'on peut placer sur le rétroprojecteur la première page pour que
3 vous voyiez le titre, l'intitulé?
4 C'est bien sûr une traduction que vous avez sous les yeux. Il y a
5 plusieurs copies de ces documents ici, vous avez l'exemplaire n°96
6 "Instructions en ce qui concerne l'organisation et l'activité des organes
7 du peuple serbe en en Bosnie-Herzégovine dans des circonstances
8 extraordinaires".
9 Peut-on placer la page suivante?
10 Vous verrez quelle est la raison d'être de ces instructions à la lumière
11 de ce que vient de vous dire Me Ackerman. Je suppose que vous allez
12 examiner ce document d'assez près.
13 Mais voyons pour le moment le paragraphe n°4: "Afin de veiller à une
14 application uniforme et rapide, l'établissement des tâches, mesures et
15 autres activités doit se faire dans le respect ou conformément aux options
16 A et B, et ceci, en deux étapes."
17 Est-ce que qu'on peut passer à la page indiquée suivante?
18 Je ne vais pas la parcourir dans sa totalité, mais voyez: l'option A ou la
19 variante A, elle consistait à s'appliquer là où les Serbes avaient la
20 majorité, alors que, dans la variante B, les Serbes n'avaient pas la
21 majorité.
22 Ici, je pense que c'est le point 3 qui est le plus important: "Le comité
23 municipal du SDS va constituer immédiatement une cellule de crise du
24 peuple serbe de la municipalité qui se composera des personnes suivantes".
25 Vous constaterez, ici, quelles sont les descriptions des personnes qui
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1 sont censées en faire partie.
2 Je reviendrai à la question de la cellule de crise par la suite.
3 Et enfin, je vais demander qu'une dernière page vous soit soumise. Il y a
4 eu des variations. Malheureusement, je ne pense pas que ce soit le passage
5 qui nous intéresse, même si le point 8 n'est pas sans intérêt: "Augmenter
6 les activités d'information et de propagande afin d'informer le peuple
7 serbe de façon complète et opportune de la situation qui se présente dans
8 la municipalité et au-delà en matière politique et sécuritaire".
9 Je reviendrai plus tard à la question de la propagande de façon distincte.
10 Est-ce que c'était la dernière page, Monsieur l'huissier?
11 Désolée, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, ce n'est pas facile de
12 travailler à distance.
13 Monsieur l'huissier, est-ce que je pourrais consulter le document un
14 instant?
15 (Intervention de l'huissier. Madame Korner consulte le document.)
16 Permettez-moi d'attirer votre attention sur le paragraphe ou le point 7:
17 "La cellule de crise a la responsabilité des formes spéciales de
18 l'organisation de la défense sur le territoire de la municipalité où les
19 Serbes ne constituent pas la population majoritaire, et où la cellule de
20 crise a pour obligation d'assurer la supervision ou le suivi permanent de
21 la situation au sein de la municipalité, ainsi que de suivre l'évolution
22 de la situation politique, militaire au sens large. Elle doit prendre des
23 mesures immédiates, des actions appropriées face à toute situation qui se
24 présente et aux conséquences de celle-ci".
25 Voilà ce paragraphe porte plus précisément sur la variante B.
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1 Le libellé est anodin et banal. Ce sera vrai de beaucoup des documents que
2 vous allez devoir examiner, mais nous faisons valoir qu'en fait, ce
3 document donnait carte blanche à ce qu'on a appelé les cellules de crise,
4 pour leur permettre de gérer la situation de la façon qui fut la leur;
5 nous le verrons.
6 Je vous remercie, Monsieur l'huissier.
7 Nous avons entendu l'objection que soulevait Me Ackerman quant à
8 l'authenticité de ce document. C'est peut-être surprenant: cela s'est
9 passé et je crois que ceci se produit dans une autre affaire, en ce moment
10 même, au sein du Tribunal.
11 Ces instructions ont été publiées dans leur intégralité, en mars 1992,
12 dans un quotidien qui s'appelle Slobodna Bosna.
13 De surcroît, en 1995, Karadzic a fait un discours dans lequel il a fait
14 référence à ces instructions. Il s'adressait à la 50e Assemblée de ce qui
15 était devenu alors la Republika Srpska.
16 Voici ce qu'il a dit: Vous vous souviendrez des variantes A et B. Dans la
17 variante B: "La situation, où nous étions en situation de minorité, 20 à
18 15 %, il nous fallait établir un gouvernement et une brigade". C'est ce
19 que nous citons, le reste importe peu. Manifestement, il ne peut faire
20 qu'une chose, c'est se référer à ces fameuses instructions.
21 Et nous disons que ces instructions, en fait, c'était la matrice qui
22 présidait à ce qui devait suivre et à ce qui s'est fait par la suite.
23 Le 29 février, ainsi que le 1er mars 1992, le gouvernement de Bosnie-
24 Herzégovine a organisé son propre référendum, pour ainsi dire, pour
25 demander aux électeurs s'il fallait déclarer l'indépendance de la Bosnie-
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1 Herzégovine ou pas. Le SDS a demandé à la population serbe de boycotter ce
2 référendum, ce qu'ils ont fait pour l'essentiel. Les Musulmans et les
3 Croates ont eux participé à ce référendum qui s'est soldé par un vote
4 favorable à l'indépendance.
5 La Communauté européenne avait reconnu l'indépendance de la Slovénie et de
6 la Croatie le 15 janvier 1992. A la lumière des résultats du référendum en
7 Bosnie, la Communauté européenne a déclaré sa volonté de reconnaître la
8 Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant et que cette décision
9 prendrait effet à partir du 6 avril 1992.
10 On pourrait dire que cette date 6 avril 1992 marque le véritable début du
11 conflit.
12 Permettez-moi de passer pendant quelques instants à autre chose avant
13 d'évoquer la question de savoir ce qu'était cette Région autonome de
14 Krajina.
15 Je voudrais en effet revenir au contexte militaire puisque ceci a une
16 incidence sur les accusations portées contre le général Talic.
17 Je vous ai dit qu'en 1991 il était commandant adjoint du 5ème Corps de la
18 JNA et qu'il a pris le commandement vers le 19 mars 1992.
19 L'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine qui, par la suite a
20 été appelée VRS, a été créée officiellement le 12 mai 1992 dans le cadre
21 de la réunion de l'assemblée. Le général Ratko Mladic a été placé à la
22 tête de ces forces de l'armée. Je vous l'ai déjà dit, Talic, lui, il est
23 resté commandant du Corps d'armée pendant toute la durée de la guerre en
24 Bosnie.
25 Si l'on essaie de comprendre le contexte de cette transformation de la JNA
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1 en ce qui est devenu l'armée des Serbes de Bosnie, il apparaît, semble-t-
2 il, que les objectifs poursuivis par la JNA au début de 1992 étaient de
3 maintenir la Bosnie dans le cadre d'une fédération de la Yougoslavie.
4 Il a été indiqué clairement également que l'objectif était de protéger les
5 parties serbes de Croatie et d'empêcher des conflits ethniques en Bosnie
6 afin que celle-ci demeure au sein de l'Etat yougoslave.
7 L'annonce de l'indépendance de la Bosnie, le fait que la Bosnie était
8 reconnue par la communauté internationale, et l'indépendance croissance et
9 la légitimité de cet Etat de Bosnie ont fait que l'objectif du maintien de
10 la Bosnie dans la Yougoslavie devenait pratiquement irréalisable. Et une
11 fois que la Bosnie est devenue un Etat indépendant, ceci a transformé la
12 JNA en armée d'occupation par la JNA. Une armée d'occupation surtout pour
13 ceux qui s'y opposaient.
14 Cependant, pour les Serbes de Bosnie, c'était une armée protectrice; vous
15 le verrez dans beaucoup de documents. On dit à la JNA qu'elle doit rester
16 sur place afin d'assurer la protection des Serbes et, au cours de cette
17 période marquée par beaucoup de tensions encouragées aussi par la
18 propagande nationaliste et par des intérêts personnels apparemment, il y a
19 eu manifestement convergence d'intérêts qui s'est développée entre le
20 parti serbe, le SDS, et la JNA de Bosnie. Et je pense ici surtout aux
21 premiers mois de l'année 1992.
22 Afin de trouver une solution au problème suivant, à savoir qu'on percevait
23 la JNA comme étant une armée d'occupation, une décision-clé a été prise;
24 elle consistait à transformer la JNA en Bosnie en armée, surtout serbe,
25 afin que les intérêts des Serbes de Bosnie soient dûment protégés et, de
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1 façon accessoire bien sûr, afin que les objectifs du SDS soient mieux
2 servis si ce parti avait une armée qui le soutenait.
3 Pour ce qui est du 5e Corps d'armée, au cours du printemps 1992, entre le
4 mois de janvier, début du printemps, donc au départ de l'année, cette
5 armée a surtout été engagée dans des combats dans l'ouest de la Slavonie
6 et en Croatie où elle avait été déployée fin 1991. La justification de ce
7 déploiement c'était, avait-on dit, qu'il fallait protéger les Serbes du
8 génocide.
9 Vous l'entendrez souvent, on a beaucoup galvaudé ce terme de génocide. Les
10 partis l'utilisaient avec beaucoup d'entrain.
11 Au cours de cette période, il y a une mise en oeuvre des cessez le feu des
12 Nations Unies en Slavonie occidentale; en même temps, la situation se
13 détériorait en Bosnie, ce qui veut dire que le 5e Corps a commencé à
14 redéployer des forces dans les endroits où l'on s'attendait à ce qu'il y
15 ait des foyers de crise, dans les municipalités de la Krajina de Bosnie.
16 On a donc transporté des unités d'artillerie là où on s'attendait à ce
17 qu'il y ait des points chauds.
18 Parallèlement et par rapport à la totalité de la JNA, le 5e Corps a
19 considéré que ce déploiement en Bosnie avait pour objectif de réduire les
20 tensions ethniques qui sévissaient dans la région. Mais ceci est devenu de
21 moins en moins probable. De ce fait, le 5e Corps a commencé à se
22 rapprocher de la position adoptée par le SDS. De plus en plus, c'est
23 devenu un corps d'armée qui soutenait, qui appuyait la ligne politique
24 adoptée par le SDS dans la région de la Krajina.
25 Nous avons eu l'occasion d'examiner rapidement un extrait de la vidéo qui
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1 vous montrait les débats de l'assemblée le 12 mai. Il apparaît clairement
2 qu'il y avait présence des militaires et ils étaient à l'avant plan, à la
3 première rangée parmi les personnes qui assistaient à cette réunion.
4 Il y a eu en fait deux grands domaines de discussion et deux types
5 d'annonces. Tout d'abord, des déclarations des objectifs stratégiques des
6 Serbes de Bosnie et, deuxièmement, l'établissement de la création de
7 l'armée de la République serbe qui s'appellera désormais VRS.
8 Ces objectifs stratégiques ont été annoncés à l'occasion de cette réunion
9 et, effectivement, ont été le manifeste, la matrice de ce qui allait
10 devenir la Republika Srpska, l'Etat Serbe. Je l'appelle Republika Srpska,
11 mais ce n'est pas de cette façon-là qu'elle a été décrite au départ.
12 On a ainsi délimité les confins, les frontières de cet Etat, ainsi que le
13 territoire qui, de l'avis des Serbes de Bosnie, était le leur. Et ce qui
14 est encore plus important, on a ainsi déterminé quel genre d'Etat ceci
15 allait être. Ce serait dès lors un Etat surtout serbe. Et en quintessence,
16 la campagne de nettoyage ethnique, elle peut être en fait rattachée à
17 cette réunion et aux objectifs qui ont été annoncés à l'occasion de cette
18 réunion.
19 Je pense, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, ce n'est peut-être
20 pas le cas, mais je pense que nous reviendrons sur ce document par la
21 suite.
22 Les objectifs stratégiques étaient les suivants: séparation des deux
23 autres communautés nationales, établissement d'un corridor ou d'un couloir
24 entre la Krajina de Bosnie et la Serbie -vous aurez amplement l'occasion
25 d'entendre différents faits relatifs à ce couloir ou corridor; c'était la
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1 zone qui se trouvait entre la Krajina de Bosnie et la Serbie à proprement
2 parler-, l'établissement d'un corridor également dans la vallée de la
3 Drina, la création d'une frontière sur la rivière Una et sur la rivière
4 Neretva -j'ai toujours pas mal de problème pour prononcer ces noms-, la
5 division de la ville de Sarajevo et, enfin, l'accès à la mer.
6 Etablissement d'une armée serbe: ceci incluait la création officielle, le
7 fait de donner une nouvelle dénomination aux unités de la TO qui devenait
8 VRS, l'établissement d'unités et de commandements, ainsi que la
9 désignation de Mladic en tant que chef d'état-major.
10 A cette réunion, se trouvaient rassemblés les militaires et les hommes
11 politiques qui partageaient les mêmes objectifs et ces objectifs ont eu
12 pour conséquence naturelle ce qu'on a appelé le nettoyage ethnique.
13 Permettez-moi d'aborder brièvement, à ce stade de mon propos, la question
14 de la formation du 1er Corps de la Krajina. Il y a eu mobilisation
15 générale et expansion de ce corps d'armée pendant toute l'année 1992; y
16 ont été intégrées les unités de la Défense territoriale des municipalités
17 serbes qui sont devenues des brigades d'infanterie légère.
18 Talic, en fait, a maintenu le même quartier général du corps d'armée, la
19 même composition de l'état-major que celle qu'il avait pour le 5e Corps et
20 il a maintenu en fait beaucoup des unités de la JNA qui existaient dans le
21 cadre du 5e Corps, qui avaient acquis une certaine expérience en matière
22 de combat en Slavonie occidentale et avaient aussi beaucoup du matériel
23 militaire de la JNA.
24 Ce corps était un des meilleurs, un des mieux équipés de toute la VRS. Fin
25 1992, ce corps était devenu un des plus grands, sinon le plus grand corps
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1 en matière; je parle ici de questions numériques dans la VRS. On assistait
2 surtout sur la coopération avec les instances civiles, que ce soit au
3 niveau de la municipalité ou de la région. On assistait sur la coopération
4 avec la police à ces mêmes niveaux et sur l'expulsion, la mise à l'écart
5 de Musulmans et de Croates de Bosnie de postes d'autorité dans la
6 hiérarchie militaire, comme on visait à la mise à l'écart de ces Musulmans
7 et de ces Croates dans le milieu civil et dans le milieu des affaires.
8 En un mot, le 1er Corps de la Krajina se trouvant sous le commandant du
9 général Talic a mené toute une série d'opérations au cours de l'été et de
10 l'automne 1992. Ces opérations avaient pour objectif de prendre le
11 contrôle de territoires qui avaient été désignés comme étant serbes,
12 indépendamment du fait de savoir si, à ce stade, il y avait beaucoup de
13 Serbes qui occupaient ce territoire. Ces opérations ont été exécutées pour
14 contribuer à la séparation entre les communautés ethniques. Elles ont pour
15 objectif de sécuriser les frontières de l'Etat et de défendre ce
16 territoire une fois qu'on s'en serait emparé. Ces opérations militaires
17 étaient justifiées au public, et ceci a été dit publiquement, pour –
18 disait-on- "protéger les Serbes du génocide".
19 Il y a eu plusieurs opérations de combat au niveau des municipalités pour
20 prendre le contrôle de leurs territoires et pour écraser toute résistance
21 par des non-Serbes. Il y a eu aussi des opérations à plus grande échelle,
22 opérations militaires visant à prendre le contrôle de terrains-clés ou
23 d'objectifs-clés. Il y a eu notamment "l'opération corridor ou couloir"
24 qui a réussi à rétablir le lien entre la Krajina de Bosnie et la Serbie.
25 S'agissant des attaques au niveau des municipalités, elles ont suivi un
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1 certain schéma. Et je reviendrai à la question des schémas et des
2 démarches systématiques par la suite.
3 Voici quel était ce schéma d'opération: il y avait pénétration de forces,
4 ou l'apport de forces avant l'attaque, dont de l'artillerie, et puis il y
5 avait des alertes, il y avait des dates butoirs qui étaient données. Puis,
6 on passait rapidement à des points où il y avait des points chauds. Puis
7 il y avait des pilonnages, des attaques, des meurtres et puis des actions
8 de représailles. Il y avait rafle de la population qui était emmenée dans
9 des camps de détention. Autres conséquences de ces actes: expulsions,
10 meurtres, sévices, et tout ce dont nous avons parlé dans l'Acte
11 d'accusation.
12 Ces unités ont été félicitées après avoir mené ces actions. Plus tard,
13 j'évoquerai la question de la résistance, mais disons d'emblée, dès
14 maintenant, ce que l'accusation ne veut pas laisser entendre: elle ne veut
15 pas dire qu'il n'y a pas eu de résistance du tout ni de résistance à ce
16 qui se passait. Il y a eu de la résistance et ce n'est sans doute pas
17 surprenant vu les circonstances.
18 En ce qui concerne le pillage, il y a eu du pillage à grande échelle,
19 généralisé. On en a parlé, on en a fait état dans les documents
20 militaires; c'était souvent consécutif à des attaques et c'était le fait
21 des militaires. Des réglementations ont été édictées par la hiérarchie
22 militaire pour interdire le pillage mais, à toutes fins utiles, si l'on
23 voit quelles étaient ces réglementations et ces instructions, on les a
24 émises uniquement parce que ce type de pillages empêchait les autorités
25 serbes de s'approprier les biens pillés pour les intérêts de l'Etat.
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1 Je reviendrai plus tard à la question de la propagande. Elle a été aussi
2 courante dans le monde militaire que dans le monde politique.
3 Les thèmes étaient très analogues, se ressemblaient beaucoup. Quels
4 étaient ces thèmes? Il y avait la menace de génocide dirigée contre les
5 Serbes, disait-on. On disait que l'armée servait à protéger les Serbes du
6 génocide ou d'une conspiration internationale croato-musulmane.
7 En ce qui concerne le contrôle, le commandement, la structure
8 hiérarchique, qui est manifestement une question capitale s'agissant du
9 général Talic, il avait un quartier général de corps qui fonctionnait avec
10 toutes les branches de l'armée qu'on avait dans tout système d'armée:
11 opérations, renseignements, sécurité, moral des troupes, logistique et
12 ainsi de suite. Bon nombre des officiers d'état-major, qui étaient déjà
13 dans le 5e Corps, se sont retrouvés directement dans le 1er Corps de la
14 Krajina.
15 Pour assurer le bon fonctionnement du quartier général du Corps, pour
16 veiller à ce que l'information soit bien relayée à tous les niveaux, Talic
17 s'est servi des méthodes suivantes: de façon hebdomadaire, il y avait des
18 briefings ad hoc avec ses officiers de corps; il y avait des briefings
19 aussi des commandants à un niveau inférieur; des rapports de combat
20 quotidiens, des instructions, des ordres écrits, des demandes
21 d'information, de renseignements; des visites à des unités et à des
22 formations des corps, ainsi que des instructions aussi bien écrites
23 qu'orales. C'est sans doute pareil dans toutes les armées, où qu'on soit
24 dans le monde.
25 Le général Talic a reçu des informations, les a transmises et les a reçues
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1 de ses supérieurs, à savoir le grand ou haut état-major de la VRS et il
2 les a transmises de façon idoine.
3 Les réglementations de la JNA, ces règlements en fait ont été repris par
4 la VRS. Ces règlements précisaient quels étaient les rôles et obligations
5 des commandants de corps. Je pense que c'est le poste individuel le plus
6 élevé dans la hiérarchie d'un corps que celle du commandant, pour ce qui
7 est de la responsabilité, de l'autorité absolue, ainsi que de la
8 responsabilité des comptes qu'on doit rendre à ses supérieurs. C'est le
9 poste-clé.
10 Le premier devoir d'un commandant de corps, c'est d'assurer le
11 commandement actif des forces se trouvant sous ses ordres. D'après les
12 règlements –là, je n'en fais qu'une synthèse très succincte-, le droit de
13 commander les unités est une institution qui se trouve sous la
14 responsabilité exclusive du commandement; c'est lui qui endosse la
15 responsabilité de la bonne exécution d'une mission donnée. Il prend des
16 décisions, donne des missions à ses subordonnés, organise, coordonne la
17 coopération et contrôle la bonne application, la bonne mise en oeuvre des
18 tâches. Il a pour responsabilité d'harmoniser les activités de son
19 commandement, des commandements subordonnés et des quartier généraux
20 subordonnés. Plus particulièrement, lorsqu'il y a action de combat, il a
21 la responsabilité d'assurer l'intégration de l'organisation dans la zone
22 concernée. Légalement parlant et à titre individuel, il a pour obligation
23 -je cite- "de contrôler les activités du corps" pardon! "du commandement
24 du corps, d'assigner des tâches à ses subordonnés, de veiller à la bonne
25 exécution de celles-ci et d'assurer la responsabilité pleine et entière de
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1 leur exécution".
2 Il a la possibilité d'autoriser des officiers du commandement à commander
3 des unités ou à prendre des décisions ou à signer des rapports. Il n'en
4 demeure pas moins qu'il est le seul responsable du travail et des
5 activités de ses unités et de leurs officiers.
6 Dans les instructions concernant son rapport, les rapports qu'il
7 présentait, il devait assurer un contrôle permanent de la situation dans
8 la zone de combat et en faire rapport à ses supérieurs. Vous le verrez à
9 l'examen des documents que gardait son propre Corps, il demandait à ses
10 subordonnés de le garder informé par le biais de rapports réguliers, très
11 fréquents portant sur toutes les activités pertinentes du Corps. Lui,
12 personnellement, déposait des rapports auprès de ses commandants
13 supérieurs.
14 Parlons de la discipline.
15 Les commandements de Corps ont reçu ou bénéficié de pouvoirs
16 disciplinaires et judiciaires importants destinés à leur permettre de
17 veiller à une bonne discipline militaire et à une conduite correcte de la
18 part des subordonnés.
19 Les ordres de la discipline militaire étaient reconnus par la JNA comme
20 étant des conditions essentielles, des conditions de base si l'on voulait
21 remplir les objectifs militaires.
22 Chacun des commandants du Corps était investi des moyens administratifs et
23 judiciaires qui étaient nécessaires au maintien de l'ordre et aux
24 sanctions portant sur les auteurs de violation aux règlements militaires.
25 Il pouvait y avoir des actions disciplinaires, mais cela pouvait aller
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1 jusqu'à la Cour martiale et des poursuites judiciaires.
2 Il y avait un procureur militaire, un tribunal militaire qui avait été mis
3 en place par la VRS et qui était tout à fait opérationnel au cours de
4 l'automne 1992.
5 Parlons maintenant des règles des conflits armés.
6 Le commandant du Corps avait la responsabilité individuelle de veiller de
7 la part de ces unités au respect du droit international des conflits
8 armés. Ce commandant de Corps avait l'obligation d'engager des poursuites
9 judiciaires s'il y avait violation du droit international ou du droit
10 national y afférent, et il avait pour mission expresse -et ici nous
11 parlons de Talic-, pour obligation de veiller à ce que ces commandants
12 d'unité subordonnée respectent bien la loi dans leurs activités.
13 Nous affirmons que cette partie du règlement et d'autres sections du
14 règlement sont tout à fait dépourvues d'ambiguïté; cela ne laisse aucun
15 doute quant aux obligations qu'avaient le commandant du Corps, à savoir
16 qu'il devait sanctionner toute violation du droit qui aurait été commise
17 par lui-même ou par des personnes se trouvant sous son commandement.
18 Nous estimons qu'en l'espèce, les moyens de preuve apporteront la preuve
19 qu'il y a eu violation flagrante de ces dispositions du droit
20 international.
21 Parlons maintenant de la Région autonome de Krajina, la RAK.
22 Je vais demander à ce que vous soit montrée une carte, qui devrait
23 apparaître sur vos écrans; je ne la vois pas sur le mien pourtant.
24 Est-ce qu'il y a un problème technique? Excusez-moi, est-ce que vous voyez
25 cette carte sur l'écran, Monsieur le Président, Mesdames les Juges?
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1 M. le Président (interprétation): Oui.
2 Mme Korner (interprétation): Eh bien, cette image a de nouveau disparu.
3 Je la vois, je ne sais pas si l'on peut faire un gros plan. Sans doute que
4 non.
5 Vous constaterez, quoi qu'il en soit, qu'il y a une partie en rouge; elle
6 représente la RAK. Elle se situe au nord-ouest de la Bosnie. Ce que vous
7 ne voyez pas ici, mais, au nord, vous avez la frontière avec la Croatie; à
8 gauche, vous avez aussi la frontière avec la Croatie.
9 En fait, il est important de signaler ici qu'il y avait deux zones de
10 Krajina. Vous aviez la Région autonome de Krajina, qui se trouve en
11 Bosnie, et ce qu'on appelle aussi la RSK, la Krajina de la Republika
12 Srpska qui est juste de l'autre côté de la frontière, en Croatie.
13 Des tentatives ont été faites pour assurer l'unification de ces deux
14 Krajina, mais ceci s'est manifestement soldé par un échec. Ces tentatives
15 avaient été effectuées en 1991 et 1992. Il y avait dans cette région
16 plusieurs municipalités. Nous allons présenter des moyens de preuve
17 concernant 16 de ces municipalités.
18 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
19 Mme Korner (interprétation): Je vais énumérer les municipalité sur
20 lesquelles porteront les moyens de preuve.
21 La carte précise...
22 M. le Président (interprétation): Je ne sais pas si ceci va vous faciliter
23 le travail. Votre écran a la même taille que le mien, je suppose. Mais
24 moi, je ne vois pas bien les noms. Cependant, si vous examinez la page
25 6456 du mémoire préalable au procès de l'accusation, vous avez là la même
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1 carte et, si vous examinez cette page, vous pourrez suivre les noms.
2 Mme Korner (interprétation): Nous avons une carte plus grande, mais cela
3 prendrait beaucoup de temps de vous la présenter sur le chevalet; c'est
4 plus rapide en vous la montrant sur l'écran.
5 M. le Président (interprétation): Si je vous le dis, c'est parce qu'il
6 n'est pas simple de lire le nom à l'écran.
7 Mme Korner (interprétation): Vous avez raison.
8 M. le Président (interprétation): Mais je peux suivre en vérifiant sur la
9 carte en annexe à votre mémoire: il y a n'y a pas de problème, car elles
10 sont identiques.
11 Mme Korner (interprétation): Vous voyez la composition ethnique de ces
12 municipalités qui proviennent du recensement effectué en 1991. Voilà la
13 composition ethnique telle qu'elle se présentait en 1991, puis en 1995,
14 ces dernières références émanant d'un document préparé par les Serbes eux-
15 mêmes.
16 En 1991, Banja Luka avait une majorité de Serbes, 54,6%, les Musulmans
17 constituaient 14,6% et les Croates 14,8%, le reste étant composé de
18 personnes qui s'appelaient Yougoslaves, donc autres nationalités. Donc
19 vous voyez qu'il y avait là une majorité absolue des Serbes de Bosnie.
20 M. Ackerman (interprétation): Excusez-moi, je ne vois pas les cartes sur
21 mon écran, je ne la vois pas alors qu'elle apparaît sur d'autres écrans.
22 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous avez appuyé sur la
23 touche "monitor"?
24 M. Ackerman (interprétation): J'ai essayé, mais je...
25 M. le Président (interprétation): Il faut être aussi patient parce l'image
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1 n'apparaît pas de façon instantanée, il faut attendre. Moi aussi
2 j'apprends au fur et à mesure.
3 M. Ackerman (interprétation): Je vous vois sur mon écran, mais pas la
4 carte. C'est peut-être mieux, de toute façon.
5 M. le Président (interprétation): C'est ce que j'allais dire. Maintenant,
6 je peux voir la carte sur mon écran. Est-ce que vous la voyez sur le
7 vôtre?
8 M. Ackerman (interprétation): Oui.
9 M. le Président (interprétation): Fort bien. Voilà un problème de réglé.
10 Poursuivez, Madame Korner.
11 Mme Korner (interprétation): Maintenant, vous voyez la municipalité de
12 Prijedor; c'est sans doute la municipalité qui a la plus triste réputation
13 au vu des événements qui s'y sont produits. Plusieurs procès se sont déjà
14 tenus à son propos.
15 Là, il y avait 42,3% de Serbes; quant aux Musulmans, ils représentaient
16 43,9%. Donc là, on était pratiquement à égalité, avec une légère tête
17 d'avance pour les Musulmans; il y avait quelques Croates également. Arrivé
18 l'année 1995, vous voyez qu'il y a eu des modifications dans la
19 composition démographique.
20 Municipalité suivante, celle de Sanski Most: là, il y avait une majorité
21 de Musulmans avec 46,7%; quant aux Serbes, ils représentaient 42,1%. Une
22 fois de plus, légère supériorité numérique des Musulmans par rapport aux
23 Serbes. Et on voit quels étaient les chiffres en 1995.
24 Municipalité suivante sur laquelle vous entendrez des éléments de preuve,
25 c'est celle de Kljuc: légère supériorité numérique des Serbes sur les
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1 Musulmans: 45% de Serbes, 47,3% de Musulmans.
2 Celinac est la municipalité suivante. Là, majorité écrasante de Serbes:
3 88,5% de Serbes et il y a 7,7% de Musulmans. Et c'est de là que vient
4 Brdjanin. C'est une des municipalités les plus proches de Banja Luka.
5 Bosanski Novi, municipalité à la frontière, où vous aviez 60,2% de Serbes
6 et 33,7% de Musulmans; donc majorité Serbe.
7 Prnjavor est la municipalité suivante. Là aussi, c'est un fief serbe:
8 71,2% contre 15,2% de Musulmans et très peu de Croates. Vous le
9 constaterez, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il n'y avait
10 pratiquement qu'un village croate dans la municipalité.
11 Vous avez ensuite la municipalité de Sipovo: 79,2% de Serbes contre 19% de
12 Musulmans.
13 Donji Vakuf: 38,8% de Serbes, 55% de Musulmans.
14 Vous l'entendrez, une des choses les plus remarquables, les plus
15 caractéristiques de cette municipalité c'est que la plupart des Musulmans
16 étaient à ce point terrifiés dans la municipalité de Banja Luka que très
17 tôt dans le conflit, ils ont pris la fuite en dépit du fait qu'il y avait
18 plus de Musulmans que de Serbes dans cette municipalité.
19 Vous avez ensuite la municipalité de Bosanska Krupa, autre municipalité
20 frontalière: 23,7% de Serbes contre 73,9% de Musulmans.
21 Bosanska Gradiska: 59,6% de Serbes, 26% de Musulmans. Forte majorité de
22 Serbes.
23 Bihac/Ripac, parce que c'était une municipalité qui a été divisée par la
24 suite: là, on avait une majorité musulmane; il y avait 66% de Musulmans
25 contre 17,9% de Serbes.
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1 Bosanska Dubiska: une fois de plus, forte majorité serbe de 68,7%, contre
2 une vingtaine de pour-cent de Musulmans et très peu de Croates.
3 Teslic: municipalité serbe 55,1% de Serbes, 21% à peu près de Musulmans et
4 là un peu plus de Croates qu'ailleurs, 15% de Croates.
5 Bosanski Petrovac: de nouveau là une forte majorité serbe, 74,9% contre
6 21% de Musulmans, la quantité de Croates étant à ce point minime qu'elle
7 n'apparaît pas dans le graphique.
8 Kotor Varos: vous le verrez, là, il y avait une participation à part égale
9 entre les trois groupes, avec une très légère supériorité numérique serbe:
10 38,1% de Serbes, 30% de Musulmans; quant aux Croates, ils représentent
11 29%.
12 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, les chefs SDS semblaient avoir
13 mis au point une idée selon laquelle les associations régionales des
14 municipalités seraient un moyen d'aller vers l'unification des zones
15 considérées comme étant historiquement, quels qu'aient été les éléments
16 constitutifs de la population d'aujourd'hui et le 25 avril 1991, la
17 première assemblée des associations des municipalités de Bosanska Krajina
18 s'est tenue à Celinac. 14 municipalités ont voté pour se joindre à cette
19 association, elle comprenait Bosanska Dubica, Bosanska Gradiska, Bosanska
20 Petrovac, Celinac, Kljuc, Prnjavor, Sipovo. Kupresanin a été élu Président
21 de l'association et Radoslav Brdanin vice-Président, mais il se peut qu'il
22 ait été l'un des deux vice-présidents. Dix autres municipalités dans la
23 région ont été invitées à se joindre et certaines l'ont faite à un stade
24 ultérieur: c'étaient celles de Banja Luka proprement dit, Bihac, Bosanska
25 Krupa, Bosanski Novi, Donji Vakuf et Prijedor.
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1 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
2 Mme Korner (interprétation): Cela aurait dû s'améliorer de beaucoup après
3 longtemps. Il n'y avait que Kotor Varos et Sanski Most, qui étaient les
4 municipalités pour lesquelles nous ferons présenter les preuves, qui n'ont
5 pas fait partie de l'association.
6 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
7 Nous avons l'intention d'interrompre à midi et demi. Si vous préfériez
8 maintenant interrompre bientôt, veuillez me l'indiquer. Je me rends compte
9 que de parler pendant une heure et demie, puis ensuite encore une heure et
10 demie peut être fatigant. Donc lorsque vous pensez que vous aurez besoin
11 d'une interruption, dites-le.
12 Mme Korner (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
13 Le 16 septembre 1991, l'assemblée de cette association a voté pour changer
14 son nom pour devenir la Région autonome de la Krajina, la R-A-K. Le
15 changement de nom a eu lieu, plus ou moins, au même moment que celui où la
16 direction de la SDS avait ordonné la création de quatre autres régions
17 autonomes serbes: le sigle est S-A-O.
18 Si nous regardons un document… Vous pouvez le présenter. Je vais demander
19 que ce document soit mis sur le rétroprojecteur.
20 La décision de changer le nom, de modifier la dénomination…
21 Excusez-moi, Monsieur le Président. Il faut juste que je vérifie si je
22 dois projeter ceci sur l'écran.
23 Oui, peut-être qu'on pourrait mettre ceci sur le rétroprojecteur, le
24 projeter.
25 Ceci montre la décision qui a été prise…
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1 (Intervention de l'huissier.)
2 Est-ce que vous pouvez le voir, Monsieur le Président, Mesdames les Juges?
3 Oui.
4 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)
5 Evidemment, ceci sans préjudice de la question de l'authenticité, si cela
6 devait être évoqué par la suite.
7 Poursuivez.
8 Mme Korner (interprétation): Pouvez-vous le voir sur votre écran?
9 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, vous verrez que ce sont les
10 procès-verbaux de la première réunion de la municipalité, tenue le 16
11 septembre. Cela a trait à Vojo Kupresanin; il est fait référence à Vojo
12 Kupresanin. Et nous voyons l'adoption d'une déclaration pour déclarer
13 autonome la Région de la Krajina.
14 Si nous descendons au point 1, le vice-président de l'assemblée est
15 Radoslav Brdanin.
16 "Par cette décision, nous assurons l'indépendance de la région. Nous ne
17 voulons déranger personne qui ne veut pas quitter la Yougoslavie, mais
18 personne ici ne peut-être autorisé à faire différents types de pression
19 sur nous. La présidence de la Bosnie-Herzégovine a refusé encore
20 aujourd'hui d'aller à Belgrade pour négocier. Nous sommes pour la paix,
21 mais nous ne voulons pas que cette paix soit mise en oeuvre en nous
22 forçant. Et comme les autres chefs le veulent, nous le savons tous que les
23 Serbes appuient l'armée. Cette décision a été adoptée."
24 Je vous remercie.
25 En même temps, la direction de la SDS a créé un certain nombre d'autres
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1 régions autonomes, quatre en l'occurrence. Cette décision a été modifiée
2 par l'assemblée de la population serbe en Herzégovine, tenue à Sarajevo le
3 21 novembre 1991.
4 A sa toute première réunion, l'assemblée de la RAK a pris des mesures pour
5 assurer son financement et pour avoir des fonds du gouvernement légitime
6 de la Bosnie-Herzégovine, pour retenir ces fonds. Et le procès-verbal de
7 cette session, tenue le 6 novembre 1991, fait déjà apparaître les biens
8 entre la République régionale et les membres au point de vue de
9 municipalité.
10 Pourrai-je demander que la première page soit présentée au
11 rétroprojecteur?
12 (Intervention de l'huissier.)
13 On peut voir à l'écran qu'il y a un extrait du procès-verbal, 6 novembre
14 1991. Et si nous pouvons descendre en dessous de "Ordre du jour", on voit
15 le point 1.
16 "Après une discussion dans laquelle un certain nombre de membres de
17 l'assemblée ont pris part, il a été décidé que les présidents de la
18 municipalité n'avaient pas pleinement exécuté les conclusions que nous
19 avions adoptées ensemble lors de la dernière session. On a également
20 relevé que, dans certaines municipalités -Sanski Most, Kotor Varos,
21 Prijedor, Bosanska Krupa, Bihac- il avait été impossible de mettre en
22 œuvre ces conclusions du tout parce qu'elles ne pouvaient être mises en
23 oeuvre qu'au sein du parti, la chose étant que, dans ces partis, le SDS
24 n'était pas le parti majoritaire.
25 Les raisons pour lesquelles on n'avait pas été exécuté ces décisions sont
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1 données.
2 Si l'on peut descendre quelques lignes plus bas? J'ai besoin du paragraphe
3 qui commence par "Based on the above"; c'est plus bas.
4 "Sur la base de ce qui précède, il a été décidé que le vice-président de
5 l'assemblée de la Région autonome de la Krajina, Radoslav Brdanin, devrait
6 informer le président de la Bosnie-Herzégovine, SDS, Radovan Karadzic,
7 quant à la mise en oeuvre des conclusions adoptées à cette session de
8 l'assemblée de la Région autonome de la Krajina".
9 Comme vous le voyez, Monsieur le Président, on voit à nouveau le lien
10 entre les niveaux des plus élevés et les moins élevés. Au niveau régional,
11 on le mettait entre les municipalité et les niveaux supérieurs, à ce
12 stade, du SDS.
13 Je vous remercie.
14 Le 28 février 1992, l'assemblée serbe de la Bosnie-Herzégovine s'est
15 réunie à Banja Luka, ayant adopté la Constitution de la République serbe
16 de Bosnie-Herzégovine le même jour. Le jour suivant, l'assemblée régionale
17 de la RAK s'est réunie et a également adopté à l'unanimité la
18 Constitution; elle a ajouté une conclusion à cette séance qui était
19 d'établir immédiatement un contrôle très strict du territoire de la RAK.
20 Monsieur le Président, pourrais-je traiter maintenant de la question de la
21 cellule de crise avant la suspension?
22 Vous vous souviendrez, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, que les
23 variantes A et B donnaient l'obligation aux cellules SDS régionales de
24 créer des cellules de crise dans les municipalités.
25 Tout au long de cette période qui concerne la présente affaire, cela a
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1 subi un certain nombre de modifications de dénominations, certaines
2 officielles, d'autres non. L'organe en question s'appelait "cellule de
3 crise" ou "comité de crise" ou "comité de guerre" ou "présidence de
4 guerre". Les instructions de changer les dénominations venaient parfois de
5 la direction, mais quelle qu'ait été la dénomination, c'était toujours le
6 même organe et son caractère est demeuré le même.
7 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, nous saurons -de ceux qui sont
8 plus experts des questions constitutionnelles de la Yougoslavie que je ne
9 le suis moi-même-, en fait, que les cellules de crises semblent être
10 tirées des lois concernant la défense nationale, qui devaient être mises
11 en oeuvre par l'ex Yougoslavie et dans la Bosnie-Herzégovine proprement
12 dite.
13 Ceci permettait à cet organe de remplir toutes les fonctions de
14 l'assemblée pendant un état de guerre ou dans le cas de danger immédiat de
15 guerre. Les fonctions de l'assemblée, en fait, seraient assumées par la
16 présidence, de sorte que la présidence pourrait faire les lois que
17 normalement l'assemblée aurait faites. Une fois que l'état d'urgence était
18 terminé, ces décrets ou lois devaient être à ce moment-là soumis à
19 ratification par l'assemblée.
20 Et en l'occurrence, à la fin de la période considérée pendant le
21 fonctionnement des cellules de crise dans la Région autonome de la
22 Krajina, ces décisions, qui avaient été prises, ont été soumises à
23 l'assemblée régionale.
24 Dans chacune des municipalités qui figurent dans la présente affaire, le
25 SDS a formé des cellules de crise constituées par des membres de
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1 l'assemblée serbe, qui avait été constituée dans la municipalité, et par
2 d'autres personnalités de la municipalité, y compris les militaires. Dans
3 tous les cas, dans chaque municipalité, le président serait le président
4 de l'assemblée municipale serbe et devenait le président de la cellule de
5 crise. La seule exception à cette règle s'est trouvée avec la déclaration
6 de la cellule de crise régionale de la RAK, le 5 mai 1992.
7 Avant que la cellule ait été faite, il faut relever qu'il semble y avoir
8 eu un organe antérieur qui a été constitué, parce qu'au début, le 3 avril,
9 Banja Luka a été "prise", si c'est le mot qui convient, par une
10 organisation paramilitaire qui s'appelait ou qui se faisait appeler "SOS".
11 Cette organisation a construit des barricades et s'est emparée de
12 l'immeuble de la municipalité. L'une de leurs exigences était la
13 nomination d'une cellule de crise avec laquelle ils pourraient négocier.
14 Il y en a eu une de désignée; elle comportait Radoslav Brdanin et
15 certaines des autres personnes qui, par la suite, sont devenues membres de
16 la cellule de crise qui intéresse la présente affaire.
17 Mais ceci, et l'organe précédent, n'a duré que très peu de temps. Mais il
18 est important de garder à l'esprit qu'il était distant de la cellule de
19 crise qui fait vraiment l'objet de la présente instance.
20 L'autre fait qu'il faut garder en mémoire, c'est que la municipalité de
21 Banja Luka, indépendamment de l'assemblée régionale qui en fait se
22 déplaçait dans la région, avait sa propre assemblée. Le président de cette
23 assemblée était un homme nommé Predrag Radic. Cet organe était distinct de
24 l'assemblée régionale et il comportait une cellule de crise municipale au
25 cours de cette période. Et Radic, en tant que chef de la municipalité,
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1 était chef de cette cellule de crise.
2 Donc il semble qu'en même temps, il y avait du personnel à un niveau
3 inférieur et le personnel de crise de la RAK a été officiellement déclaré
4 le 5 mai 1992.
5 Certaines suggestions disent qu'elle fonctionnait déjà officieusement
6 avant cette date.
7 Il existe deux versions que le Bureau du Procureur a en sa possession de
8 cette décision: l'une qui porte un sceau et l'autre qui est imprimée au
9 Journal Officiel.
10 Monsieur le Président, il est important que nous regardions ce document.
11 Comme j'ai oublié le document, je me demande si l'on ne pourrait pas faire
12 la suspension de séance maintenant.
13 M. le Président (interprétation): L'audience est suspendue pour vingt
14 minutes.
15 Nous reprendrons à 12 heures 25.
16 (L'audience, suspendue à 12 heures 07, est reprise à 12 heures 30.)
17 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, avant de poursuivre,
18 j'aimerais évoquer un point.
19 Je crois qu'il est prévu de suspendre l'audience aujourd'hui à 13 heures
20 45. Et j'estime peu probable que j'en ai terminé à cette heure-là. Donc il
21 restera un peu à dire demain matin. Et me fondant sur les commentaires
22 très utiles que vous avez faits ce matin, Monsieur le Président, notamment
23 sur les questions directives, j'aimerais traiter de ce point. Donc peut-
24 être pourrais-je le faire maintenant?
25 M. le Président (interprétation): Vous pouvez le faire maintenant.
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1 Mme Korner (interprétation): Je vous demanderais l'autorisation de
2 poursuivre d'abord sur le point que j'avais entamé, car j'ai trouvé le
3 document.
4 M. le Président (interprétation): Je ne souhaite pas vous interrompre.
5 Donc procédez comme bon vous semblera, mais au moment où vous souhaiterez
6 évoquer cette question, vous pourrez le faire.
7 Mme Korner (interprétation): Merci beaucoup.
8 Monsieur le Président, j'aimerais soumettre aux Juges de cette Chambre la
9 liste publiée des cellules de crise de la Région autonome de Krajina.
10 (Intervention de l'huissier.)
11 Vous constaterez qu'il est fait mention du 5 mai.
12 M. le Président (interprétation): Vous venez d'utiliser le futur, c'est
13 tout à fait approprié.
14 Mme Korner (interprétation): Oui, en effet.
15 M. le Président (interprétation): Oui, maintenant, nous voyons cette
16 mention sur l'écran. Mais non, je ne vois plus la date.
17 Mme Korner (interprétation): La date est en haut du document. J'aimerais
18 que l'on puisse voir le haut du document. Merci, Monsieur l'huissier.
19 Vous voyez, Monsieur le Président, Mesdames les Juges: "5 mai 1992", c'est
20 la date qui est mentionnée. C'est la version de ce texte qui est parue
21 dans les journaux officiels qui, je crois, a été publiée un peu plus tard.
22 Il y en a une autre version, comme je l'ai déjà dit, mais je ne vais pas
23 vous la montrer en cet instant même, bien qu'elle comporte quelques
24 changements par rapport à la publication officielle. Mais ces changements
25 ne concernent que certaines personnes dont les noms apparaissent à la fin
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1 de la liste.
2 Donc passons en revue cette liste. Nous voyons que Radoslav Brdanin était
3 président de la cellule de crise et le vice-président était le lieutenant-
4 colonel Milorad Sajic, dont je vous ai montré le visage sur la séquence
5 vidéo du 12 mai. Il était assis à la droite de M. Talic.
6 Le n°3, Vojo Kupresanin, il est désigné ici comme étant un membre. Et je
7 dois dire que, dans toutes les municipalités, c'était toujours le
8 président de l'assemblée qui devenait président de la cellule de crise.
9 Mais pour une raison ou une autre, dans le cas présent, Vojo Kupresanin
10 n'est que membre de la cellule de crise.
11 L'homme, dont le nom vient ensuite en quatrième position, Nikola Herceg, a
12 signé ce document; il s'agit du Ministre du conseil exécutif. Je ne trouve
13 pas le terme exact, je ne le trouverai dans quelques instants. En tout
14 cas, c'était un homme qui comptait dans le domaine politique.
15 N°5, Predrag Radic, président de l'Assemblée municipale, décrit parfois
16 comme maire de Banja Luka. Les représentants de la communauté
17 internationale notamment, lorsqu'ils parlent du maire, pensent à lui.
18 N°6, le Dr Radislav Vukic. Il s'agissait d'un médecin, qui était également
19 président du conseil du SDS au niveau de la région. Et je crois qu'il
20 s'agit de l'homme qui avait une barbe dans la séquence vidéo, mais je n'en
21 jurerais pas.
22 N°7, le Dr Milovan Milanovic. Je crois qu'il s'agissait également d'un
23 médecin.
24 N° 8, le général Momir Talic.
25 N°9, Zoran Jokic, membre des forces aériennes.
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1 N°10, Stojan Zupljanin, membre du CSB, c'est-à-dire du poste de sécurité
2 publique de Banja Luka.
3 N°11, le Dr Rajko Kuzmanovic, qui était recteur de l'université de Banja
4 Luka.
5 N°12, Milan Puvacic. Je suis désolée, mais je ne me souviens pas
6 exactement quelles étaient ses fonctions.
7 N°13, Jovo Resic, président du Tribunal de Banja Luka.
8 N°15, Nenad Stefandic, que je permettrais d'appeler "le responsable à la
9 jeunesse" de la cellule de crise.
10 Je ne me rappelle pas non plus qui était M. Bulic, le n°16. Mais M. Kesic,
11 le n°17, était le chef du DSB, qui, je suppose, peut se définir comme
12 l'équivalent des services secrets, service de renseignement.
13 Donc comme vous le voyez, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, les
14 membres de cette cellule de crise venaient de tous les milieux dirigeants
15 de la Krajina.
16 Je vous remercie, Monsieur l'huissier.
17 Alors, comment fonctionnait cette cellule de crise? Il y a peu de doute
18 que les réunions, notamment dans la première période d'existence de la
19 cellule de crise, se déroulaient tous les jours. Pour certaines des
20 municipalités, le Bureau du Procureur est en possession des comptes rendus
21 de ces réunions, mais ce n'est pas le cas s'agissant de la cellule de
22 crise régionale et de ses réunions.
23 Cependant nous disposons de copies, assorties de signatures et de sceaux,
24 de ces réunions de la cellule de crise régionale; notamment lorsqu'elles
25 ont été publiées au Journal Officiel. Et cette cellule de crise régionale
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1 tenait également des réunions régulières.
2 La cellule de crise régissait tous les aspects de la vie au sein de la
3 municipalité, depuis les aspects les plus anodins jusqu'aux aspects les
4 plus importants. Et certaines des réunions de la cellule de crise
5 municipale montrent qu'il y a eu des contacts réguliers, des rencontres
6 régulières avec des dirigeants militaires locaux.
7 Le rôle de la cellule de crise de la RAK, donc de la cellule de crise
8 régionale, a été défini par elle-même dans une série de décisions rendues
9 en mai 1992.
10 Le 9 mai, nous lisons ce qui suit -je cite-: "Décisions adoptées par la
11 cellule de crise des régions autonomes. Celles-ci doivent très strictement
12 respectées par tous les organismes publiques et économiques". Fin de
13 citation.
14 Le 18 mai 1992, il est question du rôle des cellules de crise au sein des
15 municipalités, et nous lisons ce qui suit -je cite-: "Les cellules de
16 crise sont désormais les organes suprêmes du pouvoir au sein des
17 municipalités". Fin de citation.
18 Et le 26 mai 1992, nous lisons ce qui suit –je cite-: "Le travail de la
19 cellule de crise de la RAK est soutenu de la façon la plus absolue
20 puisqu'il s'agit désormais de l'organe suprême du pouvoir au sein de la
21 RAK. Les décisions des cellules de crises sont exécutoires pour toutes les
22 cellules de crise dans toutes les municipalités". Fin de citation.
23 Il a été dit au nom de M. Brdanin que tout organe, et je veux parler des
24 organes publics, pouvait se décréter "autorité suprême", mais si personne
25 n'en tenait compte, cela n'était qu'une simple plaisanterie.
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1 Si nous laissons de côté le fait que nombre des témoins qui vont témoigner
2 ici diront dans leur déposition que, pour ce qui les concerne, la cellule
3 de crise régionale était la voix de l'autorité.
4 Le Procureur, pour sa part, affirme disposer d'éléments de preuve
5 démontrant que cette autorité était bien réelle et n'était pas une
6 plaisanterie. Stojan Zupljanin, le 6 mai, c'est-à-dire quelques jours
7 après que cette décision a été rendue, a convoqué une réunion des chefs
8 des postes de sécurité publique au niveau des municipalités, ce qui
9 s'appelait précédemment la SJB. Au cours de cette réunion, il leur a dit
10 -je cite-: "Au cours de toutes nos activités, nous sommes dans
11 l'obligation de respecter toutes les mesures et d'appliquer toutes les
12 procédures ordonnées par la cellule de crise de la RAK." Fin de citation.
13 Dans les municipalités pour lesquelles nous disposons d'exemplaires des
14 comptes rendus de réunions et des décisions rendues, on constate que les
15 décisions de la cellule de crise régionale avaient un effet tout à fait
16 déterminant. Par exemple à Sanski Most, le 7 mai 1992, la cellule de crise
17 locale a mis en oeuvre trois décisions rendues par la cellule de crise
18 régionale la veille.
19 S'agissant de Kljuc, à présent, les membres de la cellule de crise ont
20 rédigé un rapport en juillet 1992 dans lequel ils traitent de leurs
21 actions jusqu'à la période s'achevant en juillet 1992. Dans ce rapport,
22 ils déclarent que "les conclusions de la cellule de crise régionale sont
23 exécutoires s'agissant toutes les questions liées à la vie et au travail
24 au sein de cette municipalité".
25 A Kotor Varos, au mois de juillet -et les événements ont débuté à Kotor
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1 Varos beaucoup plus tard que dans les autres municipalités et se sont
2 poursuivis d'ailleurs plus longtemps également-, un document nous prouve
3 que la cellule de crise de la RAK a nommé un coordonnateur responsable de
4 la cellule de crise de Kotor Varos. Les documents montrent aussi que les
5 membres de la cellule de crise régionale de la RAK participaient aux
6 réunions au niveau municipal et vice versa.
7 Ces décisions et ces conclusions montrent de la façon la plus claire qui
8 soit, je tiens à le dire, que les rapports entre la cellule de crise
9 régionale de la RAK et les cellules de crise municipale ne s'établissaient
10 pas d'une façon simple sur le plan hiérarchique. Il ne s'agissait pas
11 d'une structure opérationnelle comme celle qui existe au sein de la police
12 ou de l'armée. Apparemment, il s'agissait d'un système relativement
13 nouveau qui n'avait pas été testé et qui présentait nombre de signes
14 d'improvisation. Et il apparaît que les cellules de crise municipale
15 disposaient d'une certaine autonomie.
16 Il n'existait pas, semble-t-il, de structures très strictes s'agissant de
17 la façon dont les rapports devraient être rédigés ou communiqués,
18 contrairement à ce qui se passe au sein de la police et de l'armée. Et il
19 n'y avait pas de chaîne de commandement très clairement définie. Le
20 rapport entre la cellule de crise municipale, la police et les autorités
21 militaires, la cellule de crise régionale de la RAK et les responsables
22 militaires et de la police au niveau de la République étaient des rapports
23 symbiotiques.
24 Mais, même si la chaîne de responsabilité n'était pas simple, si la chaîne
25 hiérarchique n'était pas simple, même si, dans la pratique, la cellule de
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1 crise régionale de la RAK n'était pas en mesure d'exercer pleinement son
2 contrôle et son pouvoir formel selon ses désirs, les éléments de preuve
3 démontreront que celle-ci avait une grande influence sur le déroulement
4 des événements dans la zone correspondant à la RAK, en raison des
5 décisions rendues par elle et du rôle joué par elle, en tout cas en tant
6 que coordonnateur et intermédiaire entre les niveaux municipaux et le
7 niveau du Gouvernement de la République.
8 Radoslav Brdanin était président de cet organe et les décisions rendues
9 par la cellule de crise régionale font apparaître son nom.
10 Vous savez déjà, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, qu'une
11 question se pose quant à déterminer clairement si la signature qui
12 apparaît sur ces documents est réellement la sienne.
13 Le Procureur déclare qu'il est inconcevable -si l'on examine les éléments
14 de preuve démontrant son lien avec les événements qui ont conduit à la
15 création de cet organe, les déclarations publiques faites par lui, les
16 actions qui ont été les siennes au cours de la période citée dans l'Acte
17 d'accusation, le poste qu'il a obtenu après le démantèlement des cellules
18 de crise-, il est inconcevable qu'il n'ait été qu'une potiche.
19 Il était, selon le Procureur, un responsable politique très engagé
20 s'agissant de cet objectif de créer un Etat serbe en Bosnie-Herzégovine.
21 En fait, il était tellement engagé par rapport à cet objectif qu'il est
22 souvent décrit comme un extrémiste et nous disons que, compte tenu du
23 poste qu'il occupait, il était capable de faire avancer cet objectif. Pour
24 que la cellule de crise ait une légitimité et une autorité légale, elle
25 devait compter parmi ses membres des dirigeants d'institution exerçant un
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1 certain contrôle ou une certaine influence sur les événements. Par
2 conséquent, la police et l'armée étaient des composantes absolument
3 vitales de son pouvoir.
4 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je vous ai déjà rappelé, en
5 tout cas je vous ai informés de ce qui a été dit lors de la convocation de
6 la réunion des chefs des postes de police locale par Brdanin.
7 Mais j'aimerais à présent aborder le problème de la participation du
8 général Talic. Son lien avec les événements son rôle, son rapport avec la
9 cellule de crise régionale de la RAK ont été l'objet d'un grand nombre de
10 débats et de requêtes juridiques durant la procédure préalable au procès.
11 Le Procureur déclare que le rôle joué par lui dans l'entreprise criminelle
12 conjoint consistait, pour une large part, à exercer son poste de
13 commandant du 1er Corps de la Krajina, mais pour que la cellule régionale
14 de la RAK ait une légitimité réelle, un poids réel, il fallait que, parmi
15 ses membres, on trouve des dirigeants de l'armée. Le général Talic n'a
16 peut-être pas participé à de nombreuses réunions de la cellule de crise
17 régionale, mais il y a certainement au moins une référence, dans l'un des
18 documents, au général Talic à qui il est demandé de participer à ces
19 réunions ou en tout cas d'y envoyer un membre de son état-major.
20 Il n'y a pas d'éléments de preuve, je tiens à le dire de la façon la plus
21 claire, prouvant qu'il ait participé aux discussions qui ont abouti à la
22 prise de décision. Aucun compte rendu ne l'indique. Les comptes rendus des
23 réunions municipales indiquent que l'armée a participé aux réunions à ce
24 niveau et aux discussions, mais comme je viens de le dire, nous n'avons
25 aucun élément de preuve concernant le général Talic et démontrant qu'il
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1 ait participé à ces discussions.
2 Cependant, il y a quelques éléments de preuve selon lesquels son
3 assistant, enfin le commandant qui l'assistait et qui était responsable
4 des affaires civiles, un homme répondant au nom de colonel Vojnovic, a
5 assisté, lui, au moins à une réunion, le 12 juin, lorsqu'il a été discuté
6 des postes que des officiers musulmans et croates occupaient encore au
7 sein du Corps.
8 Par ailleurs, à aucun moment, le général Talic ne s'est dissocié des
9 annonces publiques faites par la cellule de crise régionale en sa capacité
10 de cellule de crise régionale. Il aurait pu le faire s'il l'avait
11 souhaité. Le recteur de l'université de Banja Luka, comme vous avez pu le
12 voir, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, a démissionné et a été
13 remplacé par un autre représentant de l'université.
14 Il ne fait aucun doute que, si le général Talic avait présenté sa
15 démission, il aurait pu porter un coup sévère au front uni que les Serbes
16 de Bosnie cherchaient à présenter vis-à-vis de la communauté
17 internationale dans leurs efforts pour démontrer que leurs actes
18 politiques et militaires ne faisait qu'un, en fait.
19 La cellule de crise régionale de la RAK n'était pas une institution
20 autonome, elle n'était -selon le procureur de ce tribunal- que l'une des
21 structures du pouvoir en place, destinée à poursuivre la réalisation de
22 cet objectif de création d'un Etat serbe.
23 Et en fait, elle a eu une durée de vie relativement brève puisque sa
24 création officielle a été annoncée en mai 1992 et que -théoriquement, en
25 tout cas- elle a été démantelée le 17 juillet, date à laquelle l'assemblée
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1 de la RAK s'est réunie pour ratifier la décision prise par la cellule de
2 crise régionale.
3 En septembre 1992, la Constitution de la Republika Srpska -et j'utilise
4 les termes Republika Srpska en tant que dénomination, mais cette
5 dénomination a finalement été officiellement adoptée- a été amendée et les
6 régions autonomes serbes, les SAO, ont été abolies de sorte que le
7 gouvernement est devenu centralisé à partir de cette date-là. Il n'y a
8 plus eu l'existence de plusieurs couches entre l'action régionale et
9 l'action des municipalités, et de la République.
10 Et par la suite, Radoslav Brdanin a joué sa part dans la réalisation de
11 l'objectif dont il est question ici, en sa qualité de ministre et de vice-
12 président du gouvernement.
13 Le général Talic a continué à exercer ses fonctions en tant que commandant
14 du 1er Corps de Krajina et d'agir en cette qualité.
15 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, j'aimerais maintenant parler de
16 l'évolution des événements.
17 J'ai déjà dit précédemment que, si le monde avait écouté ce qui s'était
18 dit au cours des réunions des assemblées, le but poursuivi par les Serbes
19 de Bosnie lui serait apparu de la façon la plus claire qui soit.
20 Il y a une allocution faite par Radovan Karadzic, le 15 octobre, qui en
21 fait ne peut pas être plus claire que ce qu'elle est.
22 J'aimerais demander maintenant que les images de cette prise de parole
23 vous soient montrées, Monsieur le Président, Mesdames les Juges. Cette
24 séquence vidéo est tirée de l'émission intitulée "Vie et mort de l'ex-
25 Yougoslavie".
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1 (Diffusion de la vidéo.)
2 Merci, Monsieur le Président.
3 Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'objectif poursuivi ne peut pas être
4 plus clair.
5 (Interprète: Il était question dans la vidéo de disparition du peuple
6 musulman.)
7 Même s'il y a des variantes dans les thèmes et des diversités dans les
8 dates, le mode d'évolution des événements dans les municipalités
9 contrôlées par le SDS était assez similaire.
10 La force utilisée pouvait varier d'une municipalité à l'autre, notamment
11 lorsque les municipalités étaient majoritairement peuplées de Serbes,
12 mais, pour simplifier les choses, Monsieur le Président, Mesdames les
13 Juges, on peut parler de gradations, de zones grises et de zones plus
14 évoluées, de certaines différences, de certaines nuances, mais l'évolution
15 des événements a pour une large part suivi un cours identique.
16 La création de l'assemblée du peuple serbe était proclamée dans les
17 municipalités. Même si ce processus a commencé dès 1991 dans certains
18 endroits, les armes détenues par les unités territoriales dans divers
19 dépôts d'armes, ainsi que dans des usines et autres entreprises du même
20 genre, ont été reprises par la JNA; ces armes ont été ensuite distribuées
21 aux Serbes de la région, à l'homme de la rue.
22 Par la suite, une demande a été présentée par les autorités exigeant que
23 tous les non-Serbes signent un acte de loyauté vis-à-vis de l'Etat serbe
24 qui venait d'être proclamé. Les noms de ces personnes étaient fournis
25 d'abord et avant tout à la police. Ceux qui ne se pliaient pas à cette
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1 exigence perdaient immédiatement leur emploi.
2 L'étape suivante, c'était la transformation de l'Assemblée serbe. Le 4
3 mai, une décision est publiée dans la Région autonome de Krajina; elle
4 vient du lieutenant-colonel Sajic, l'homme que nous avons vu sur les
5 images d'une séquence vidéo, il y a quelques instants. J'ai maintenant son
6 titre exact: il était secrétaire du Conseil de la défense nationale dans
7 la Région autonome.
8 Dans le même temps, un ordre est émis, le même ordre en fait selon lequel
9 les formations paramilitaires et les particuliers qui possèdent
10 illégalement des armes et des munitions doivent immédiatement, et avant 15
11 heures, le 11 mai 1992 en tout cas, remettre ces armes au quartier
12 municipal de la Défense territoriale ou au poste de sécurité publique le
13 plus proche.
14 Et cet ordre de restitution des armes a sans doute été l'un des ordres les
15 plus importants émis dans cette période. Il a agi -en tout cas, c'est ce
16 qu'affirme le Procureur- comme un catalyseur pour faire éclater la
17 violence. Sa rédaction était assez neutre: elle stipulait que "toute
18 personne en possession d'armes, illégalement, devait remettre ces armes".
19 Et cet ordre s'appliquait notamment aux formations paramilitaires. Comme
20 je viens de le dire, cet ordre était rédigé en termes relativement neutres
21 mais, en fait, l'exécution de cet ordre ne concernait que la population
22 non-serbe. Et cette date butoir du 11 mai a été prorogée par la suite
23 jusqu'au 14 mai et jusqu'à une date encore ultérieure dans d'autres
24 municipalités, mais toujours une date au mois de mai.
25 Après expiration de cette date limite, les forces serbes sont entrées dans
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1 les zones peuplées par des non-Serbes. Et je vais vous donner deux
2 exemples de la façon dont ceci s'est passé, dans deux municipalités qui
3 sont toutes deux dans la zone de responsabilité du général Talic.
4 A Prijedor, à partir du 23 mai, des attaques militaires ont été lancées
5 par les forces armées combinées du 1er Corps de Krajina, les réservistes
6 de l'armée à Prijedor et les officiers de police réservistes de Prijedor,
7 associés à des unités paramilitaires. Les principales attaques qui ont eu
8 lieu, ont visé les villages musulmans de Hambarine, Kozarac et Kamicani.
9 Le 27 mai 1992, le village, majoritairement peuplé de Musulmans, de
10 Hrstovo a été pilonné par des unités de l'armée serbe. Et à Kljuc, la
11 cellule de crise municipale a émis un ultimatum destiné à garantir la
12 restitution des armes à la police, au plus tard le 28 mai. Le pilonnage
13 des villages musulmans a commencé l'après-midi de ce même jour.
14 Puisque je viens d'évoquer Kljuc, je suis ramené à la question de la
15 résistance dont j'ai dit, lorsque j'ai parlé des responsabilités du
16 général Talic, que j'allais en traiter. Comme je l'ai dit, le Procureur
17 n'affirme en aucun cas qu'il n'y a eu aucune résistance à ces événements.
18 A Kljuc, dans le village de Krasulje notamment, un affrontement a opposé
19 des villageois musulmans et une patrouille de police des Serbes de Bosnie.
20 Au cours de cet affrontement, le commandant de la police serbe a été tué.
21 Il semblait agir en réponse à un signal destiné à lancer ces attaques.
22 A Kotor Varos, pour prendre un autre exemple, dans le village de Vrhpolje,
23 une résistance très importante aux forces serbes s'est développée pendant
24 plusieurs mois. Et dans toutes les municipalités, des actes individuels de
25 résistance ont eu lieu. Cependant, l'accusation déclare que cette
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1 résistance ne s'est développée qu'en réaction à la menace et à ce qui est
2 devenu plus tard une attaque généralisée contre la population civile
3 musulmane et croate.
4 Il est vrai que certains civils non-serbes ont reçu des armes. Vous
5 entendrez dire parfois que ces armes leur ont parfois été remises par des
6 Serbes qui les avaient acquises au moment où elles ont été distribuées et
7 qui, plus tard, ont pu fournir à la police des informations quant à
8 l'identité des non-Serbes qui étaient en possession d'armes.
9 Nombre de Croates et de Musulmans avaient des armes personnelles avec
10 permis, enfin possédaient avec autorisation des armes personnelles comme,
11 par exemple, des fusils de chasse, des revolvers ou des carabines. Et
12 l'ordre destiné à obtenir le désarmement de ces personnes ne parlait que
13 d'armes détenues illégalement. Les personnes qui étaient en possession de
14 ces armes les possédaient légalement, avaient des permis. La chasse était
15 une activité assez courante dans la région, notamment dans les zones
16 rurales en Bosnie.
17 Dans de nombreux cas, les non-Serbes ont mis en place des patrouilles
18 villageoises et des barrages routiers dans les environs de leur village.
19 Mais l'accusation affirme que tout cela s'est fait en réaction à la menace
20 d'une attaque. En fait, la résistance aux Serbes n'a pas toujours été
21 importante. Dans certains cas, elle a été insignifiante et ne présentait
22 aucun espoir de l'emporter, notamment lorsqu'on devait affronter la
23 réalité de la supériorité en armes et en entraînement des forces serbes de
24 Bosnie, compte tenu du fait qu'elles bénéficiaient de l'assistance et du
25 soutien d'un grand nombre de membres de la JNA transformés désormais en
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1 armée serbe de Bosnie.
2 Les dirigeants des Serbes de Bosnie, depuis le niveau supérieur de la
3 république jusqu'au niveau municipal qui est le niveau inférieur, avaient
4 déclaré leur intention de la façon la plus claire qui soit: ils menaçaient
5 les non-Serbes de violence et pas seulement de violence d'ailleurs mais,
6 comme le déclare l'accusation, d'expulsion et, dans certains cas,
7 d'élimination. C'est donc en réaction à ces menaces que la résistance
8 s'est développée au mieux de ses capacités.
9 Ces actes de résistance ont été exagérés par les médias serbes et utilisés
10 à titre de justification par les Serbes de Bosnie pour excuser, pour
11 justifier le fait que les Serbes disaient agir en légitime défense et pour
12 permettre aux Serbes de mettre en place un système généralisé de campagne
13 militaire contre les non-Serbes.
14 J'ai décrit les attaques qui ont eu lieu à Prijedor, Sanski Most et Kljuc.
15 Dans les endroits où ce genre d'attaque a dû avoir lieu, les Serbes de
16 Bosnie constituaient…, dans les endroits où ces attaques étaient jugées
17 superflues, les Serbes de Bosnie étaient en majorité. Mais, dans les
18 autres, ils voulaient terrifier la population pour la forcer à partir,
19 comme cela s'est produit à Donji Vakuf.
20 Et le modèle appliqué était toujours le même. Cela commençait par le fait
21 que les non-Serbes perdaient leur emploi, ce qui très souvent allait de
22 paire avec la perte de son logement, parce que l'obtention d'un logement
23 était très souvent liée à l'obtention d'un emploi. Des barrages routiers
24 étaient érigés pour empêcher la liberté de circulation des non-Serbes; la
25 police et/ou des Serbes en armes, parfois membres de forces militaires
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1 régulières, d'autre fois de formations paramilitaires et parfois de
2 simples habitants de la région, donc des voisins des gens qui subissaient
3 la menace, voisins qui avaient revêtu un uniforme et qui avaient empoigné
4 une arme, eh bien, ces hommes entraient dans les villages musulmans et
5 croates.
6 Dans certains cas, des arrestations étaient faites. Apparemment, ces
7 arrestations visaient des cibles très définies qui étaient des hommes
8 dirigeants la communauté. Dans d'autre cas, on regroupait les habitants
9 d'un village; les gens étaient forcés de sortir de leurs maisons qui,
10 ensuite, étaient pillées, endommagées ou détruites par des explosions ou
11 des incendies.
12 La population était séparée en deux: les hommes d'un côté, les femmes et
13 les personnes âgées de l'autre, âgées signifiant en général d'un âge
14 supérieur à 60 ou 65 ans; avec les personnes âgées se regroupaient les
15 femmes et les enfants. Les hommes, pour certains, étaient d'abord emmenés
16 au poste de police pour interrogatoire et, avant, pendant ou après
17 l'interrogatoire, quelquefois pendant les trois étapes, avaient lieu des
18 passages à tabac.
19 A partir du poste de police, les hommes étaient emmenés dans des camps,
20 d'autres étaient emmenés directement dans les camps, certains dans des
21 lieux de logement temporaire, d'autres pour un séjour plus permanent. Et
22 en temps utile, je parlerai des camps plus en détail, car ce sera un sujet
23 particulier de mon propos.
24 Les femmes et les enfants étaient également emmenés vers les camps dans
25 des conditions pratiquement toujours inférieures aux conditions
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1 acceptables et, pour qualifier ces conditions, le mot "terrible" n'est pas
2 en un mot exagéré.
3 L'élimination de la population non serbe était le but de cette campagne de
4 terreur. De façon générale, les méthodes utilisées ont largement abouti.
5 La majorité de la population non serbe s'est enfuie avant ou pendant les
6 attaques et, comme je l'ai déjà dit, en mai 1992, la plupart des habitants
7 musulmans de la ville de Donji Vakuf avaient quitté cette ville. Dans
8 d'autres municipalités, des convois ont été organisés. A Bosanski Novi,
9 par exemple, en juillet 1992, les responsables d'organisation des Nations
10 Unies présents de l'autre côté de la frontière avec la Croatie ont subi ce
11 que l'on peut définir comme un chantage pour accepter d'aider au transport
12 de centaines, sinon de milliers de Musulmans hors de cette zone.
13 La plupart des gens qui avaient été placés en détention dans des villages
14 et des villes, s'ils n'étaient pas emmenés dans des camps, ont été
15 contraints d'aller à pied jusqu'à des villes comme Travnik; à partir de
16 là, certains sont partis pour la Croatie.
17 Ceux qui étaient placés en détention dans des camps, une fois relâchés,
18 étaient contraints de quitter le territoire. Et pour rendre les choses
19 encore plus difficiles, avant de partir, les non-Serbes étaient forcés de
20 signer des documents remettant leurs biens aux autorités locales et les
21 objets de valeur qu'ils pouvaient emporter avec eux étaient strictement
22 limités. Personne ne pouvait partir en emportant plus de 300 Deutsche
23 Mark; ceux dont la somme dépassait ce montant se la voyaient
24 automatiquement "confisquée".
25 Fondamentalement, on donnait aux personnes qui commettaient ces vols le
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1 droit de voler. Les gens essayaient de partir en emportant des objets de
2 valeur, mais dans ce cas, ces objets leur étaient enlevés. Le 19 juin, la
3 cellule de crise a déclaré "que les biens abandonnés étaient proclamés
4 propriété de l'Etat". Comme je l'ai déjà dit, l'une des raisons pour
5 essayer d'arrêter les pillages dû à l'armée résidait dans le fait que
6 l'Etat n'en tirait aucun bénéfice.
7 Pour l'essentiel, le Procureur affirme que les éléments de preuve qui
8 seront montrés au cours de la présente affaire démontreront qu'il existait
9 un modèle mis en œuvre, s'agissant de ce qui se passait dans toutes les
10 municipalités mentionnées dans la présente affaire.
11 Le Procureur affirme que la similitude des événements démontre que ces
12 événements n'étaient pas l'effet du hasard, mais qu'ils ont fait partie
13 d'une campagne coordonnée qui avait pour objectif d'éliminer les non-
14 Serbes du secteur, secteur considéré par les Serbes comme un territoire
15 serbe. Et pire encore, l'objectif consistait également à s'assurer que
16 ceux qui n'étaient pas tués ou emprisonnés ne reviendraient jamais dans
17 cette région.
18 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je voudrais maintenant aborder
19 un thème que j'ai déjà annoncé précédemment, à savoir la propagande. Le
20 dictionnaire anglais Oxford définit la propagande comme étant "un
21 programme organisé de publicité destinée à fournir des informations
22 sélectionnées, visant à propager une doctrine ou une certaine pratique".
23 Je pense que ceci qualifie au mieux ce qui s'est passé en l'espèce.
24 Le recours à la propagande en soi n'est pas une infraction, certes. Mais
25 ceci faisait partie intégrante de ce qui a mené aux événements visés à
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1 l'Acte d'accusation. Sous sa forme la plus extrême, tout au minimum, elle
2 crée une ambiance, un climat dans lequel les gens sont prêts à tolérer la
3 perpétration d'infractions. Sous sa forme la plus extrême, elle peut être
4 considérée comme étant une incitation au crime.
5 Les dirigeants serbes étaient parfaitement conscients de l'importance
6 qu'il y avait d'avoir le contrôle des médias. Des décisions ont été prises
7 au niveau de la République mais aussi dans l'assemblée de la région afin
8 que soient mises en place des stations radio et des chaînes de télévision.
9 Un des premiers événements qu'il faut mentionner, qui est antérieur à la
10 période couverte par l'Acte d'accusation, cela a été la capture de
11 l'émetteur qu'il y avait au mont Kozara en août 1991. Une fois l'émetteur
12 saisi, les communautés qui recevaient ces programmes n'étaient plus en
13 mesure de recevoir des programmes venant de Belgrade, Banja Luka, Novi Sad
14 et Pale, qui étaient des fiefs serbes. En fait, cette capture s'est
15 effectuée; elle était le fait d'un groupe serbe paramilitaire venant de
16 Prnjavor. Nous en parlerons par la suite.
17 Ce groupe avait le nom de "Loups de Vucak", mais cette capture a reçu
18 l'assistance du président du comité exécutif de l'assemblée de la région
19 autonome de Krajina, un homme répondant au nom de Karabac (phonétique).
20 Une des premières décisions par la RAK, le 6 mai, précise ceci: les médias
21 reçoivent pour ordre de fournir le maximum d'informations s'agissant de
22 l'évolution de la situation dans la République Serbe. Les stations radio,
23 telles que Banja Luka, Radio Banja Luka plus exactement, et Radio
24 Prijedor, ont vu aussi un remplacement de personnel.
25 En fait, ont été destitués les employés non serbes; ils ont été remplacés
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1 par des personnes qui suivaient tout à fait la ligne du parti SDS.
2 Sous sa forme la plus élémentaire, la propagande décrit les non-Serbes,
3 donc la population musulmane, comme étant des extrémistes, des "bérets
4 verts", des Turcs ou, de façon plus commune, plus générale comme étant des
5 "balija". On parlait des Croates comme étant des Oustachis, renvoyant
6 ainsi à la qualification de la Deuxième Guerre mondiale. Sous sa forme la
7 plus extrême, ceci a pu entraîner vraiment un paroxysme de violence. Vous
8 le verrez ici sur ce document.
9 Je demande l'aide de l'huissier pour qu'il vous soit présenté sur le
10 rétroprojecteur.
11 (Intervention de l'huissier.)
12 Il s'agit ici d'un texte publié qui avait pour titre "L'informateur". Ceci
13 vient de Sanski Most et ceci a été publié en juillet 1992.
14 "Cher frère serbe,
15 Savez-vous ce que nos ennemis assoiffés de sang préparent pour nous? Ils
16 avaient pour objectif de nous découper, de nous enlever les yeux, de nous
17 découper nos corps, de violer nos femmes et nos gamines devant nous, de
18 procéder à notre circoncision, de nous détruire notre religion, de nous
19 écraser parce qu'il se fait que nous sommes des Serbes.
20 Ne pensez pas qu'ils soient prêts à épargner la famille de quiconque parmi
21 nous. Ce sont des monstres prêts à violer les femmes serbes et à nous tuer
22 systématiquement, chacun de nous, Serbe. Bientôt, nous allons voir qu'ils
23 ont utilisé ces épées du Moyen-Age, ces marteaux. Tous sont autant
24 d'instruments du Moyen-Age pour nous égorger et nous traiter de la pire
25 des façons, de la façon la plus bestiale possible.
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1 Ils ont préparé… En fait, vers Vrpolje, un Oustachi a tué ses deux enfants
2 et puis il s'est retourné contre nous pour tirer sur l'armée. En fait, un
3 de nos soldats est tombé entre leurs mains, il a été équarri de la façon
4 la plus bestiale possible.
5 Ils préparent un génocide contre les Serbes mais ils ne n'en sortiront pas
6 aussi facilement car nous avons vu ce qu'ils veulent faire. Nous sommes
7 avertis et nous avons préparé notre peuple à temps. Les dirigeants du SDS
8 sont déterminés et sont résolus à faire tout ce qu'il est nécessaire pour
9 garder le peuple serbe et pour accomplir la mission que nous a confié le
10 peuple serbe.
11 Cher frère, la guerre n'est pas encore finie".
12 Il est pratiquement inconcevable ici, dans ce prétoire, difficile de
13 croire qu'une chose de ce genre ait pu être publiée. Mais vu le climat de
14 l'époque, c'est quelque chose à quoi les gens ont cru manifestement. Ce
15 type de propagande en fait a existé à une seule fin. Une seule fin, à
16 savoir celle de faire croire aux Serbes de la rue qu'ils étaient vraiment
17 sérieusement menacés par leurs voisins, par ces ennemis, et pour les
18 convaincre qu'il fallait prendre les actions nécessaires pour parer à
19 cela.
20 D'après les témoins que vous entendrez, Radoslav Brdanin ainsi que le Dr
21 Vukic ont été parmi ceux qui ont tenu les propos les plus incendiaires à
22 la radio.
23 Brdanin est souvent cité comme étant l'auteur de ceci: à savoir qu'un
24 faible pourcentage, seulement 2 ou 5% de Musulmans devraient être
25 autorisés à rester à Banja Luka. Les personnes qui ont entendu ces propos
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1 ont compris clairement que ce qui poussait Brdanin à dire cela: c'était
2 pour semer la terreur chez les non-Serbes afin qu'ils partent.
3 Momir Talic, lui aussi, n'a pas hésité à tenir ce genre de propos, même
4 s'il n'a pas toujours tenu des propos aussi incendiaires, aussi négatifs.
5 En 1995, il a fourni un entretien à la télévision. Il a fourni plusieurs
6 entretiens mais ici, en particulier, on lui a demandé si le fait qu'il n'y
7 avait pas eu de génocide dans sa zone de responsabilité, celle du 1er
8 Corps de la Krajina, était dû au fait qu'il y avait un souvenir, une
9 mémoire génétique, ou si c'était dû au manque de préparation du 1er Corps
10 de la Krajina. Bien sûr, ce que je vous dis maintenant est une traduction
11 en anglais et en français.
12 Voici sa réponse: "Je crois que vous avez pratiquement répondu à la
13 question que vous posez. L'Histoire, mais aussi les parents de cette
14 génération ont enseigné à cette génération ce que signifie le couteau,
15 l'arme de l'Oustachi, ce que le converti turc et son couteau signifient".
16 (Fin de citation)
17 Les militaires ne se contentaient pas d'exécuter les ordres de leur maître
18 politique, les militaires partageaient, outre cela, les vues et
19 l'idéologie des autres Serbes.
20 Parlons maintenant des camps. Il fallait que les Serbes trouvent des
21 endroits où ils allaient placer les non-Serbes qui avaient été chassés de
22 leurs foyers ou qu'ils voulaient mettre en détention. Dans chaque
23 municipalité, ils ont dès lors établi des lieux de détention, qualifiés
24 quelquefois -sous forme d'euphémisme- de "lieu d'accueil", "centre
25 d'accueil".
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1 Je crois que nous allons voir maintenant apparaître à l'écran une carte
2 qui nous montre plusieurs de ces camps.
3 Je ne l'ai pas sur mon écran mais vous, normalement, Mesdames les Juges et
4 Monsieur le Président, vous devriez la voir. C'est un peu de la magie,
5 cette technique, quelquefois.
6 Est-ce que vous avez cette carte sur vos écrans?
7 M. le Président (interprétation): Elle apparaît, elle disparaît.
8 Mme Korner (interprétation): Elle est un peu floue, cette image. Parce que
9 comme ça, on n'y voit pas grand-chose.
10 Vous voyez qu'il y a une municipalité où il y a le plus grand nombre de
11 camps. C'est vers le milieu de cette carte et c'est la municipalité de
12 Prijedor. Mais ça n'apparaît pas très clairement. Je vais réprimander mon
13 expert en technologie; c'est lui qui est l'auteur de cette carte.
14 En tout cas, vous avez une idée générale de l'emplacement des camps. Et
15 ici, ce ne sont bien sûr que les grands camps qui sont repris, nous
16 n'avons pas repris les camps plus petits, les camps de fortune.
17 Le traitement réservé aux détenus est décrit de façon très précise dans
18 l'Acte d'accusation, au paragraphe 42. Je ne vais pas revenir là-dessus.
19 Au minimum, au bas mot, on pourrait dire que le traitement était inhumain:
20 trop de monde, pas assez d'hygiène ni de nourriture ni de traitement
21 médical. Les hommes détenus étaient souvent en butte à des rituels
22 destinés à les humilier; ça, c'était le minimum. On les frappait à ce
23 point brutalement quelquefois que ceci entraînait la mort. Et la torture
24 était aussi monnaie courante.
25 Des camps ont été établis dans les usines, dans des écoles, dans des
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1 stades de football. Parfois, c'étaient simplement des camps de transit
2 temporaires; d'autres étaient plus permanents. Les gardes en général
3 étaient des policiers, des militaires ou quelquefois un peu des deux.
4 Je vais revenir dans le détail sur deux des camps, si vous me le
5 permettez.
6 A Prijedor, on a eu quelques-uns des exemples les pires qu'on ait
7 rencontrés. Keraterm et Omarska sont concernés; ils ont fait l'objet de
8 procès récents.
9 Keraterm a été créé le 23 mai. C'était une usine désaffectée qu'on a
10 utilisée pour se faire dans la ville de Prijedor même. Ce camp a été
11 démantelé le 21 août. Cela a été le théâtre de quelques-uns des meurtres
12 les plus notoires de la région. Vers le 20 juillet, quelque 150 ou 200
13 civils ont été amenés à Keraterm; ils ont été placés en détention dans la
14 salle le n°3. Quelque quatre jours plus tard, une fusillade les a tués. Ce
15 sont des Serbes qui se sont servis de mitraillettes.
16 Sikirica était le commandant du camp; il a plaidé coupable au regard de
17 ces infractions. Et il était reconnu par cet homme, par Sikirica que,
18 hormis ces faits-là, d'autres individus avaient été tués dans ce camp. Les
19 détenus étaient torturés, faisaient l'objet de passages à tabacs brutaux,
20 violents.
21 Omarska a commencé à fonctionner en 1992, le 22 avril, et a été démantelé
22 le 21 août. La plupart des détenus qui s'y trouvaient avaient été évacués
23 début août.
24 Entre le 27 mai et le 16 août de cette année, 3334 personnes ont été
25 placées en détention dans ce qu'on a appelé le centre d'enquête d'Omarska.
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1 Sur ces quelque 3300 personnes, il y avait 37 femmes. Pendant les premiers
2 jours de fonctionnement du camp, a été logé dans ce camp l'essentiel de
3 l'élite croate et musulmane de la localité; se trouvaient aussi en
4 détention les dirigeants politiques, administratifs, religieux et
5 commerciaux. Beaucoup de ces personnes ont été passées à tabac dès leur
6 arrivée et, pratiquement quotidiennement, il y a eu des sévices, des
7 meurtres. Les détenus ont été forcés à se battre l'un l'autre, à se
8 frapper l'un l'autre. Beaucoup de sévices ont été perpétrés sous les yeux
9 même des autres détenus. Des femmes ont été violées ou ont été les
10 victimes de sévices sexuels de la même façon.
11 Beaucoup de documents permettent de montrer que beaucoup de ces 3300
12 personnes n'ont pas été retrouvées. Beaucoup ont été emmenés ou sortis de
13 la salle où ils étaient détenus et on ne les a plus revus. Des corps ont
14 été évacués du camp par camions.
15 Ce camp a reçu la visite de membres de la cellule de crise de la RAK, dont
16 Radoslav Brdanin. Une équipe de la chaîne de télévision ITN a rendu visite
17 à ce camp, ainsi qu'au camp de Trnopolje, le 4 août 1992, et c'est ce qui
18 a attiré l'attention du monde sur ce qui se passait en Bosnie.
19 Il n'est pas eu inutile de revoir quelques-unes de ces images, images qui,
20 à l'époque, furent diffusées à la télévision. Nous avons coupé le son pour
21 une portion, là où l'on portait des allégations. En tout cas, les
22 personnes à qui on posait des questions avaient posé quelques questions
23 qui sont contestées; nous avons donc coupé le son pour ce qui est de ces
24 parties.
25 (Diffusion de la vidéo.)
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1 "Ce sont les prisonniers musulmans d'Omarska. Ils sont amenés par petits
2 groupes sous fort contrôle serbe. Ils sont emmenés dans la cantine."
3 Est-ce que ceci apparaît sur vos écrans?
4 M. le Président (interprétation): Oui.
5 Mme Korner (interprétation): Fort bien, parce que moi, je n'ai pas les
6 images.
7 Je remercie la régie. Veuillez poursuivre la diffusion.
8 (Diffusion de la vidéo.)
9 "La plupart sont détenus depuis deux mois et ils disent ne pas savoir
10 pourquoi ils sont détenus. En tout cas, ils ont été pris de chez eux.
11 Ils avaient trop peur pour parler du traitement qui leur est réservé et
12 des conditions de détention qu'ils subissent, conditions qu'on cache au
13 monde entier, car les Serbes ont refusé l'accès à ces camps aux Nations
14 Unies et à la Croix-Rouge internationale.
15 Le lieu de détention, c'est une mine désaffectée dans la partie nord de la
16 Bosnie. Il y a un bureau au-dessus de la cantine. Le commandant du camp et
17 la porte-parole des autorités serbes disent qu'il y a 2500 détenus -c'est
18 ainsi qu'ils les qualifient-, des personnes qui sont interrogées parce que
19 ce seraient des combattants musulmans.
20 C'est un centre d'enquête, ce n'est pas un camp, dit la porte-parole.
21 C'est un camp de transit.
22 Les détenus sont amenés à la cantine de l'endroit où ils sont détenus, un
23 pavillon assez grand.
24 Le Dr Karadzic a promis qu'il ferait preuve d'ouverture et qu'il nous
25 laisserait voir.
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1 -Question: Oui, il nous a promis quelque chose?
2 -La porte-parle: Non, il a promis quelque chose: il a promis que vous
3 pouviez faire ceci ou cela, mais pas autre chose.
4 Notre escorte nous faisait comprendre que la visite était terminée.
5 -Le journaliste: On nous demande de quitter le camp alors qu'on n'a rien
6 vu d'autre que la cantine. On nous dit que la promesse du Dr Karadzic,
7 même s'il nous l'a faite, n'a aucun poids ici. On nous a fait comprendre
8 que ce n'était pas l'armée qui contrôlait le camp qui, selon leurs dires,
9 était sous la tutelle des autorités locales et de la milice.
10 On nous a alors menés vers un autre camp, celui de Trnopolje dans la même
11 région, où vous avez plus de 700 prisonniers d'Omarska qui avaient été
12 transférés ce jour-là et qui, apparemment, est aussi un lieu où se
13 seraient commises des atrocités.
14 Les conditions étaient déplorables dans ce camp. Il fait très chaud, plus
15 de 30 degrés. Des hommes sont forcés à rester dehors derrière les fers
16 barbelés. Leur maigre ration se compose de quelques tranches de pain et
17 d'un bol de soupe; c'est tout ce qu'ils ont chaque jour. Ici aussi, ils
18 disent avoir été victimes d'une rafle, le village ayant été vidé des
19 hommes. Et ces hommes ont dit avoir peur.
20 Dans le centre médical de fortune, il y avait des cas de rage, de
21 diarrhée. Les médecins disaient souffrir d'une pénurie de médicaments.
22 Parmi eux, un docteur musulman; on lui a demandé s'il y avait eu des cas
23 de sévices, de passages à tabac."
24 Mme Korner (interprétation): Je vous remercie.
25 Il est intéressant de remarquer que la veille de cette visite, le 3 août,
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1 le général Talic a envoyé un ordre au commandement du camp de Manjaca à
2 Prijedor -je vais en parler dans un instant-, à la 43e Brigade de
3 Prijedor, ainsi qu'à la police de Prijedor, leur donnant l'ordre de rendre
4 les conditions satisfaisantes à Manjaca, à Trnopolje, à Omarska ainsi qu'à
5 Keraterm, du fait d'une visite éminente de la communauté internationale et
6 des médias internationaux.
7 L'accusation soutient que Talic et Brdanin étaient parfaitement au courant
8 des conditions qui prévalaient dans ces camps. Après la visite de cette
9 équipe de télévision, la plupart des détenus ont été transférés soit à
10 Trnopolje, soit à Manjaca. Ce dernier camp était un lieu de détention du
11 1er Corps de la Krajina. Il se trouvait dans un périmètre d'entraînement
12 de la JNA ou de la VRS au sud de Banja Luka. A partir de juin jusqu'en
13 décembre 1992 des milliers de personnes ont été détenues dans des étables
14 puisqu'une partie de ces terrains étaient destinés à l'agriculture.
15 Il y a eu des jeunes prisonniers, les prisonniers malades aussi qui
16 étaient détenus avec des hommes qui avaient de 18 à 60 ans. Les conditions
17 n'étaient pas correctes; il y avait des passages à tabac systématiques qui
18 ont parfois entraîné des blessures graves, parfois la mort. Une fois de
19 plus, les intellectuels, les dirigeants musulmans semblaient être les
20 cibles privilégiés.
21 En juin 1992, un groupe de prisonniers a été amené de Sanski Most; six de
22 ces prisonniers ont été tués directement devant le camp. Au mois d'août,
23 un autre groupe a été transféré depuis Omarska. Ces prisonniers ont été
24 passés à tabac, dès leur arrivée au camp, par l'escorte de la police qui
25 les avait accompagnés. Beaucoup d'entre eux ont trouvé la mort.
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1 Ce camp a reçu la visite, fin août 1992, d'une délégation internationale
2 qui avait à sa tête Sir John Thompson. Cette mission était accompagnée de
3 membres de la mission d'observation de la communauté européenne qu'on
4 désigne sous le sigle anglais de ECMM.
5 Deux des membres de cette organisation ECMM vous parleront de leur
6 impression qu'ils ont eue à la visite de ce camp. Le moins qu'on puisse
7 dire, c'est qu'ils étaient vraiment dévastés de voir ce qui se passait.
8 Malheureusement, c'est intéressant, mais ceci traduit malheureusement bien
9 ce qui s'est passé pour beaucoup de gens de Manjaca, d'autres camps,
10 surtout d'Omarska. Les conditions quant à elles étaient à peine
11 supportables.
12 Manjaca était contrôlée et avait le personnel du 1er Corps de la Krajina.
13 Le commandant du camp faisait rapport directement au général Talic.
14 Beaucoup de documents vous montreront que Talic était au courant de ce qui
15 se passait, de façon détaillée, dans le camp et qu'il a lui-même pris part
16 au fonctionnement de ce camp.
17 Le général Talic a autorisé la visite d'une organisation humanitaire
18 musulmane qu'on appelle Merhamet. On ne sait pas exactement ce qui est
19 advenu de la nourriture et des vêtements qui ont été fournis par cette
20 organisation.
21 Le CICR a effectué une inspection en juillet 1992. Un des officiers du
22 général Talic, le lieutenant-colonel Vukolic a dressé un rapport à la
23 suite de cette visite et il en a fait rapport au général Talic; il a dit
24 que la Croix-Rouge avait émis des critiques sur les conditions de
25 détention et avait demandé la libération de certains des prisonniers qui
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1 étaient manifestement malades. Le colonel Vukolic recommande qu'à
2 l'avenir, on demande un préavis de deux ou trois jours avant la visite de
3 la Croix-Rouge.
4 Manjaca a sans nul doute reçu la visite de Kupresanin et certains éléments
5 de preuve indiquent qu'il y a eu également la visite de Radoslav Brdanin.
6 Que pense Brdanin des camps? Son avis s'exprime de façon tout à fait
7 explicite dans une émission télévisée diffusée fin août. Il apparaît sur
8 le plateau et dit ceci: "Si Hitler, Staline et Churchill pouvaient avoir
9 des camps de travail, nous aussi, nous pouvons en avoir parce que nous
10 sommes en guerre."
11 Est-ce que nous pouvons faire une pause, Monsieur le Président? Je pense
12 que demain, je n'aurai pas besoin de beaucoup plus qu'une heure.
13 J'aimerais parler de la destruction et surtout de lieux de culte et
14 d'édifices culturels. Je pense qu'il y a une carte qui va à apparaître sur
15 vos écrans; peut-être que vous pourrez la voir, peut-être que non.
16 M. Ackerman (interprétation): Dans l'intervalle, permettez-moi, de vous
17 dire que je voudrais déposer une requête oralement. Elle sera assez brève,
18 mais j'aimerais la faire dès aujourd'hui. C'est important.
19 Mme Korner (interprétation): Est-ce qu'il n'est pas préférable...
20 M. le Président (interprétation): Hors micro.
21 Excusez-moi, oui, faisons une pause. Nous reprendrons demain. Ce sera donc
22 une suspension d'audience.
23 Nous pourrons maintenant entendre ce que vous aviez à dire, Madame Korner,
24 et puis aussi nous saisir de la requête que voulait déposer Me Ackerman
25 oralement.
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1 Mais commençons par vous, si vous le voulez bien.
2 (Questions de l'accusation par Mme Korner.)
3 Mme Korner (interprétation): Vous aviez parlé du contexte dans lequel
4 peuvent se poser des questions directives. Manifestement, cela pouvait se
5 faire s'il y avait consensus, mais s'agissant des experts, si un expert a
6 préparé un rapport dans lequel il fournit son avis, par le biais d'analyse
7 de documents, ce genre de choses, en règle générale -me semble-t-il-, je
8 pense qu'on peut agir plus rapidement si l'on pose des questions ciblées.
9 M. le Président (interprétation): Madame Korner, ce que je n'ai pas dit ou
10 ajouté ce matin c'est ceci: il y aura des situations dans lesquelles moi,
11 personnellement, je comprendrais ou je conclurais qu'il est préférable
12 d'avoir ce genre de questions. Je le dirais peut-être à vous, à Me
13 Ackerman, à Me de Roux; je vous dirais: "Oui, posez une question directe.
14 Quelquefois la situation se prête à ce genre de questions, sans porter de
15 préjudice à qui que ce soit. Ne craignez rien, nous allons faire preuve de
16 bon sens; nous connaissons bien ce sujet, cela n'est rien de neuf pour qui
17 que ce soit.
18 Cependant, d'après ce que j'ai lu, si je vois ce que vous dit le général
19 Talic en réponse à votre demande de faits établis, je peux vous dire:
20 "Allez-y. Effectivement, posez une question directe ici". Ou "Ne le faites
21 pas", ou "Laissez le témoin s'exprimer librement sans le diriger d'une
22 quelconque façon, sans lui suggérer sa réponse".
23 Ne vous vous en faites pas, nous agirons au cas par cas. Je comprends bien
24 la nature du problème. Ce problème peut se poser avec des témoins experts
25 mais aussi avec un témoin ordinaire. Nous allons nous servir de
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1 l'expérience qui est la nôtre à tous pour faire preuve de bons sens.
2 Mme Korner (interprétation): J'espérais, et je crois vous l'avoir dit dès
3 la dernière conférence préalable au procès, que les conseils de la défense
4 seraient prêts à me rencontrer avant la citation de tel ou tel témoin ou
5 pour être d'accord qu'il n'y a pas contestation, ce qui fait qu'on peut
6 poser des questions plus directrices.
7 M. le Président (interprétation): Oui, d'ailleurs la Chambre se livrera
8 elle-même à ce genre d'exercice en guise de préparation à ces conférences
9 de mise en état supplémentaires, dont je parlais avant-hier, qui
10 interviendront au cours du procès. J'étudie la question pour le moment,
11 mais je ne pense pas que ceci porte, outre mesure, à controverse.
12 Mais il me faut vous indiquer ceci. Si vous, vous pensez que quelque chose
13 peut aisément être considéré comme un fait établi, ne vous attendez pas à
14 ce que ceci rencontre le consentement de la défense, puisqu'il y a
15 beaucoup de choses qui sont contestées. Et là, n'espérez pas avoir,
16 jamais, l'accord de la défense.
17 Il y aura des faits déjà établis pour lesquels la Chambre interviendra en
18 personne pour les faire admettre ex officio ou proprio motu, mais ceci
19 surgira au cas par cas.
20 Et quand j'ai parcouru la réponse fournie par le général Talic à cet
21 égard, j'ai compris qu'il y a aussi d'autres points, d'autres faits
22 concrets qui ne sont pas contestés par le général Talic. Ces points ne
23 sont pas nombreux certes, mais ce sont des faits matériels et, pour autant
24 que nous soyons tous au courant de leur existence, je crois que ceci
25 pourrait nous aider à réduire le temps de déposition de certains témoins.
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1 Il faut faire preuve d'un esprit de coopération, de toute façon, entre les
2 deux parties mais aussi avec le Tribunal. Moi, j'essaierai de vous aider
3 dans ce sens. Je ne pense que ceci s'avère être un exercice trop compliqué
4 mais, je le répète, ne croyez pas que tout ce que vous, vous pensez
5 pouvoir être admis en tant que fait établi le sera en tant que tel. La
6 Chambre n'est pas toujours d'accord avec vous à bien des égards.
7 Mme Korner (interprétation): Dans ce cas, nous sommes perdus!
8 M. le Président (interprétation): Mais nous verrons cela lorsque la
9 situation se présentera. Inutile de prendre un document volumineux, et
10 finalement de perdre plus de temps qu'on y gagnerait.
11 Mme Korner (interprétation): Je sais que Me Ackerman veut intervenir, je
12 ne vais pas prendre de son temps, mais je voulais quand même vous parler
13 de la question des témoins hostiles ou réfractaires. Ce n'est pas urgent.
14 Cependant, s'agissant des témoins relevant de l'Article 92, le conseil du
15 général Talic a déposé une requête après notre réponse et n'a pas voulu
16 donner les motifs de ce dépôt à l'audience.
17 Je ne pense qu'il soit vraiment nécessaire de parler de cette question
18 pour les premiers témoins, pour les témoins décédés. Nous allons essayer
19 de vous convaincre de la possibilité de simplement verser ces documents
20 comme lus. Mais ce sera peut-être là l'objet d'une argumentation à
21 l'audience.
22 M. le Président (interprétation): Effectivement, ce sera discuté à
23 l'audience.
24 Maître Ackerman, vous avez la parole.
25 (Requête de la défense par M. Ackerman.)
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1 M. Ackerman (interprétation): C'est avec une certaine circonspection que
2 je prends la parole parce que j'ai toujours l'impression d'intervenir pour
3 dire que nous avons trop de travail et pas assez de temps; ce genre de
4 choses. Pourtant, je pense qu'il est important que je prenne la parole
5 parce que j'aimerais avoir une ligne directrice de votre part, des
6 consignes.
7 Vu le temps qui sera consacré à la déposition du Dr Donia, ce que j'essaie
8 de faire, je sais que vous avez pris une décision déjà différente, mais
9 j'essaie de faire l'impossible d'ici à lundi matin pour être prêt, je
10 l'espère du moins, à mener mon contre-interrogatoire. Je travaille
11 vraiment d'arrache-pied pour y parvenir.
12 Mais cela veut dire qu'il y a une autre tâche qui me revient, que j'ai
13 reçu l'ordre d'exécuter, ordre que vous m'avez donné; eh bien, je ne
14 pourrai pas l'exécuter.
15 La Chambre m'a dit que je devais sérier les problèmes, avoir un ordre de
16 priorité. Il faut que je me prépare au contre-interrogatoire. Et en
17 seconde position, on m'a donné l'ordre de compléter mon mémoire préalable
18 au procès par une réponse à la portion présentée par le Procureur, sur le
19 droit. Je ne peux pas m'acquitter de ces deux tâches simultanément.
20 Je vais vous faire une suggestion qui me semble marquée au coin du bon
21 sens en matière de temps aussi: c'est qu'on me donne quelques semaines
22 supplémentaires pour fournir un complément dans mon mémoire préalable au
23 procès, parce que c'est moins urgent que la question de la préparation
24 pour le contre-interrogatoire du Dr Donia, pour éviter qu'il ne revienne
25 plus tard.
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1 Mais je vous demande votre avis: que pensez-vous que je doive faire?
2 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.
3 Madame Korner, est-ce que une prorogation déjà accordée à Me Ackerman vous
4 satisferait puisqu'il ne semble pas être en mesure de fournir ce
5 complément? Est-ce que ceci va perturber votre programme ou vous causer un
6 préjudice indu?
7 Mme Korner (interprétation): Qu'il nous donne davantage de détails sur sa
8 ligne défense, c'est plus important.
9 M. le Président (interprétation): Oui, je comprends bien quelle est la
10 situation de Me Ackerman: il rencontre un véritable problème.
11 Mme Korner (interprétation): Pas la moindre objection.
12 M. le Président (interprétation): Vous avez besoin de combien de temps
13 supplémentaire?
14 M. Ackerman (interprétation): Deux semaines supplémentaires sans doute?
15 M. le Président (interprétation): Vous recevez trois semaines.
16 M. Ackerman (interprétation): Je vais utiliser chacun de ces moments pour
17 ce travail, je vous l'assure.
18 M. le Président (interprétation): J'espère que vous allez aussi tirer
19 partie de l'interruption assez courte à Sarajevo.
20 M. Ackerman (interprétation): C'est tout ce que je ferai. Je travaille
21 d'arrache-pied à la préparation de ce procès.
22 M. le Président (interprétation): Eh bien, ceci met un terme à notre
23 audience d'aujourd'hui. Je crois comprendre que vous allez terminer demain
24 matin, Madame Korner, votre propos liminaire?
25 Mme Korner (interprétation): Oui.
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1 M. le Président (interprétation): Et puis nous entendrons l'audition de M.
2 Donia.
3 Quelle sera la durée probable de sa déposition?
4 Mme Korner (interprétation): Pour l'interrogatoire principal?
5 M. le Président (interprétation): Oui.
6 Mme Korner (interprétation): Je ne peux pas vous dire parce que, vous le
7 savez, c'est M. Cayley qui va s'en occuper. Mais je peux m'enquérir. Je
8 suppose que cette déposition pour l'interrogatoire principal prendra au
9 moins, puisque moi je vais prendre une heure demain, le reste de
10 l'audience de demain lui sera consacré et puis aussi vendredi.
11 M. Ackerman (interprétation): Vous avez encore les documents qui m'ont été
12 communiqués ce matin, Monsieur le Président?
13 M. le Président (interprétation): Oui, je vais vous les rendre dès
14 maintenant.
15 Je ne vais pas vous donner deux jours, car moi j'ai pratiquement parcouru
16 tous ces documents en l'espace de vingt minutes, première pause, et vingt
17 minutes, deuxième pause. Ce sont surtout des photographies; il faut lire
18 certains des documents, car ce sont des déclarations fournies, je le
19 suppose, par des témoins qui comparaîtront à l'audience. Mais pour le
20 reste, c'est le journal intime dont nous avons parlé précédemment. Ce sont
21 surtout des documents en BCS que vous ne comprenez pas de toute façon. Et
22 votre client aura amplement l'occasion de les parcourir.
23 Il y a peut-être tel ou tel cas où de nouveaux documents vous seront
24 fournis à la hâte, qui demanderont non pas deux jours mais davantage de
25 temps, mais ce n'est pas le cas pour ce lot que vous avez reçu ce matin.
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1 M. Ackerman (interprétation): Tout ira mieux à partir de samedi, car
2 j'aurais une personne qui pourra faire ce travail pour moi.
3 M. le Président (interprétation): Mais ce que nous avons fait aujourd'hui
4 va nous servir d'exemple pour l'avenir.
5 Si vous rencontrez ce genre de difficultés, n'hésitez pas à en faire état
6 parce que, quelquefois, ce sont des griefs tout à fait justifiés;
7 quelquefois, ce n'est pas toujours le cas. Cela a été vrai aujourd'hui,
8 mais ce n'est pas votre faute parce que je reconnais que vous n'avez pas
9 eu l'occasion de prendre connaissance de ce lot de documents avant
10 l'audience.
11 Veuillez, Monsieur l'Huissier, remettre ces documents à Me Ackerman.
12 M. Ackerman (interprétation): Je vais essayer de soulever des requêtes
13 futiles.
14 M. le Président (interprétation): Je ne veux pas vous empêcher de poser
15 ces questions, vous avez le devoir envers votre client de soulever ce type
16 de questions quand ceci s'avère nécessaire, mais vous comprenez bien
17 entendu que, si vous aviez attendu jusqu'à la pause et si vous aviez fait
18 ce que moi j'ai fait, vous auriez pu garder le silence.
19 M. Ackerman (interprétation): Mais cela fait pas mal de temps que
20 j'examine ce lot de documents.
21 M. le Président (interprétation): Oui, c'est assez effrayant. Hier, j'ai
22 vu toute une équipe de fonctionnaires qui sont venus chez moi, dans mon
23 bureau, avec des piles de documents; moi, je n'ai même plus de place pour
24 moi-même dans mon bureau, sans parler de tous ces documents qu'on
25 m'apporte. Mais ce sont des problèmes qu'on réglera au cas par cas, au fur
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1 et à mesure. Chacun doit s'organiser. On verra.
2 Merci à vous tous de votre bonne coopération de ce matin. C'est un peu
3 comme cela que je voyais les choses quand il s'agit d'assurer une bonne
4 tenue de la procédure: il n'y a pas eu d'interruption. C'est comme cela
5 que ça doit se passer.
6 Reste à espérer que demain, Madame Korner, vous pourrez mettre un terme à
7 vos déclarations liminaires en peu de temps, ce qui nous permettra de
8 commencer la déposition du témoin.
9 Merci. A demain.
10 (L'audience est levée à 13 heures 51.)
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