Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 25 avril 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 14 heures 18.)

3 (Audience publique.)

4 (Questions relatives à la procédure.)

5 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)

6 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, voudriez-vous

7 énoncer l'affaire?

8 Mme Chen (interprétation): L'affaire IT-99-36-T, le Procureur contre

9 Radoslav Brdanin et Momir Talic.

10 M. le Président (interprétation): Monsieur Bradin, bonjour. Est-ce que

11 vous m'entendez dans une langue que vous comprenez?

12 M. Brdanin (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, je vous

13 entends et je vous comprends.

14 M. le Président (interprétation): Merci, veuillez vous asseoir.

15 Général Talic, m'entendez-vous dans une langue que vous comprenez?

16 M. Talic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les

17 Juges. Je vous entends dans une langue que je comprends.

18 M. le Président (interprétation): Les représentants de l'accusation?

19 Mme Korner (interprétation): Joanna Korner, Andrew Cayley, et commise aux

20 affaires Denise Gustin. Bonjour.

21 M. le Président (interprétation): Représentants de Radoslav Brdanin?

22 M. Ackerman (interprétation): Bonjour. John Ackerman avec Mirela Madzovic.

23 Mme Fauveau: Bonjour, Monsieur et Mesdames les Juges. Je suis Natasha

24 Ivanovic-Fauveau, je représente le général Talic ensemble avec Me Fabien

25 Masson.

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1 M. le Président (interprétation): Pourrait-on m'expliquer l'absence de Me

2 de Roux, s'il vous plaît?

3 Mme Fauveau: Je pense que je l'ai excusé hier.

4 M. le Président (interprétation): Oui, mais c'était afférent à hier

5 justement! Et pour aujourd'hui?

6 Mme Fauveau: Autant que je sache la présence est demandée du conseil

7 principal ou du co-conseil. Elle n'est pas demandée de deux conseils en

8 même temps.

9 M. le Président (interprétation): Vous avez tort Maître Fauveau, vous

10 devriez demander des précisions au bureau. La présence des deux conseils

11 est exigée, ce n'est qu'à titre exceptionnel pour de juste motif que l'un

12 ou l'autre d'entre vous peut se permettre d'être absent.

13 Général Talic, avez-vous été informé que Me de Roux ne serait pas présent

14 aujourd'hui?

15 M. Talic (interprétation): Oui, j'en ai été informé, Monsieur le

16 Président.

17 M. le Président (interprétation): Très bien, alors merci.

18 Madame Korner, vous avez la parole.

19 Mme Korner (interprétation): Vous êtes certainement conscients, Monsieur

20 le Président, Mesdames les Juges, vous êtes certainement conscients des

21 événements dont nous avons eu connaissance ce matin pendant la conférence

22 tenue selon la Règle 65ter avec votre juriste hors classe et la requête

23 qui a été déposée ce matin de façon conjointe au nom des deux accusés.

24 J'ai reçu littéralement une minute avant d'entrer dans cette salle

25 d'audience, une ordonnance concernant l'ordre du jour, le calendrier pour

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1 ce procès.

2 M. le Président (interprétation): Oui, nous ne l'avons pas vu nous-mêmes.

3 On sait qu'on vous l'a donnée; c'était entre les mains du juriste hors

4 classe; mais je ne l'ai même pas vue moi-même.

5 (Intervention de l'huissier.)

6 Oui, Madame Korner.

7 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, en fait, cela soulève

8 plusieurs questions. En premier lieu, à mon avis, le fait d'avoir déposé

9 cette requête, eh bien, c'est le résultat de plusieurs malentendus

10 découlant notamment…

11 M. le Président (interprétation): Madame Korner, puis-je vous interrompre

12 pour l'instant parce que vous abordez déjà un point que nous voudrions

13 nous-mêmes éclaircir?

14 Avant le début de cette audience d'aujourd'hui, outre la décision prise

15 par le Juge Schomburg dont je viens de prendre connaissance, à titre

16 provisoire il est décidé que la procédure peut continuer jusqu'à nouvel

17 avis, et les parties doivent se présenter aujourd'hui à 14 heures 15. Nous

18 avions convenu de faire une déclaration publique aujourd'hui, parce que

19 nous estimons qu'il s'agit là d'une question fort importante.

20 La déclaration est comme suit. Il s'agit d'une déclaration commune.

21 Madame Korner?

22 Mme Korner (interprétation): J'aimerais vous interrompre un instant. Je

23 pense que Me Ackerman va sans doute dire exactement la même chose que moi.

24 Un des problèmes qui va se poser -je ne suis pas sûre que les accusés

25 soient bien conscients de la situation, qu'on ait tenu compte de leur

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1 position- peut-être qu'avant de faire une déclaration il faudrait leur

2 donner l'occasion de se prononcer. Je crois que cela s'applique surtout à

3 M. Brdanin, mais peut être au général Talic aussi.

4 M. le Président (interprétation): Je vois que Me Ackerman voudrait prendre

5 la parole.

6 M. Ackerman (interprétation): J'aimerais demander 20 minutes pour discuter

7 avec mon client avant que vous ne prononciez cette déclaration.

8 M. le Président (interprétation): Très bien. Nous suspendons pendant 20

9 minutes.

10 (L'audience, suspendue à 14 heures 25, est reprises 14 heures 48.)

11 (Les accusés sont réintroduits dans le prétoire.)

12 M. le Président (interprétation): Est-ce que les parties souhaitent

13 prendre la parole, Mme Korner, M. Ackerman ou quelqu'un d'autre?

14 Mme Korner (interprétation): Je pense que si la Chambre a préparé une

15 déclaration, peut-être conviendrait-il que nous entendions cette

16 déclaration et nous verrons comment nous allons procéder.

17 M. le Président (interprétation): Très bien. Les trois Juges se sont donc

18 réunis sur la question qui découle du dépôt de la requête ce matin et nous

19 avons convenu de faire la déclaration commune suivante qui fera partie du

20 compte rendu, du procès-verbal de cette affaire.

21 Les trois Juges de cette Chambre de première instance, eu égard à la

22 requête conjointe des accusés déposée ce matin qui cherchent à récuser la

23 Chambre de première instance, souhaitent prononcer la déclaration formelle

24 suivante.

25 La requête semble être fondée notamment sur la déclaration contenue dans

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1 le document qui a été soumis aux parties, intitulé liste de faits

2 potentiellement admis, la requête qualifie cette liste de liste qui aurait

3 été élaborée par la Chambre elle-même.

4 Les trois Juges souhaitent préciser que la requête est manifestement

5 fondée sur un malentendu en ce sens qu'aucun des trois Juges dans cette

6 affaire n'a influencé l'élaboration de cette liste de faits

7 potentiellement admis. D'ailleurs aucun des trois Juges n'avait même vu

8 cette liste avant le dépôt de la requête.

9 Après avoir déclaré cela formellement, la Chambre souhaite ajouter que les

10 trois Juges souhaiteraient que les parties acceptent cette affirmation que

11 nous n'avons en aucune manière contribué à l'élaboration de cette liste de

12 faits qui sont contestés.

13 Mme Korner (interprétation): J'aimerais dire sans doute que j'étais

14 arrivée à cette même conclusion et je l'ai dit lors de la réunion ce

15 matin. Monsieur le Président, Mesdames les Juges, cette liste contient une

16 erreur de fait manifeste puisqu'il est dit qu'une lettre avait été envoyée

17 à l'accusation le 28 février alors qu'en fait -et je crois que M. Ackerman

18 le reconnaît maintenant-, c'est une lettre qui avait été envoyée à toutes

19 les parties concernant des accords que l'on espérait pouvoir conclure.

20 On voit que cette lettre est adressée à moi-même, à Me de Roux, à Mme

21 Fauveau, à Me Ackerman. Et cette lettre énonce ce que reflète l'intention

22 de la Chambre d'expédier les choses du mieux possible. Mais

23 malheureusement il semblerait que la personne qui a rédigé cette liste de

24 faits qui serait potentiellement admise, d'une part a affirmé que la

25 Chambre avait élaboré cette liste ce qui a donc amené les conseils de la

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1 défense à penser que la Chambre avait élaboré cette liste.

2 Par ailleurs, cette liste essaie de formuler un accord sur un fait qui dès

3 le départ a été contesté et litigieux notamment le fait que le général

4 Talic était membre de la cellule de crise de la RAK. Et c'est la raison

5 pour laquelle je dis que cette situation découle de toute une série de

6 malentendus, je sais que ni l'un ni l'autre des accusés ne vient d'un

7 système judiciaire où l'on produit ce type de document au cours d'un

8 procès.

9 J'aimerais tenter d'expliquer pour eux que la Chambre le sait déjà et leur

10 expliquer quelle était notre intention et nous l'avons déjà évoqué dans le

11 cadre de l'affaire. Cette affaire a trait à la responsabilité alléguée

12 d'un général et d'un homme politique de haut niveau, leurs responsabilités

13 pour certains événements du fait de leur pouvoir à l'époque.

14 Il n'est pas allégué -sauf pour ce qui est de certaines réunions

15 particulières où par exemple quand le général Talic s'est rendu à Sanski

16 Most-, il n'est pas allégué que l'un ou l'autre des accusés ait participé

17 à des sévices corporels ou à des meurtres.

18 La thèse de l'accusation est qu'ils sont responsables du point de vue

19 pénal en raison des postes qu'ils occupaient et de leur autorité. Les deux

20 accusés, comme M. Brdanin l'a dit l'autre jour, attendent déjà depuis

21 longtemps l'issue de ce procès. Ce n'est pas de leur faute.

22 Pour assurer le déroulement le plus efficace possible du procès, pour

23 permettre à la Chambre de se concentrer sur les faits les plus pertinents,

24 eh bien, ce qui est la procédure courante de par le monde, c'est que les

25 faits qui ne sont pas contestés parce que les accusés ne peuvent pas en

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1 fait savoir si ces événements ont eu lieu ou non, et comme nous avons

2 parlé avec M. Von Hebel et les conseils de la défense, les accusés

3 n'étaient pas présents lors de cette réunion. Je n'ai malheureusement pas

4 de copie, mais j'ai sur moi le procès-verbal de cette réunion où la

5 question a déjà été évoquée.

6 La question a été abordée justement, dans le cadre de la durée du procès,

7 du nombre de témoins qui seraient cités à comparaître et j'ai dit alors

8 que si les témoins n'allaient pas nommer l'un ou l'autre des accusés, si

9 la défense pouvait me dire tout de suite quels éléments seraient

10 contestés, lesquels ne le seraient pas.

11 Monsieur Von Hebel, suite à cette requête de ma part, a demandé aux

12 conseils de la défense, et Me de Roux a répondu: "Oui, personnellement je

13 ne peux pas donner mon accord parce que l'accusation voudrait établir un

14 certain nombre de faits." C'est assez difficile de suivre ce qu'il a dit,

15 mais il a dit -je crois- qu'il y a certains faits dont nous pouvons

16 évidemment discuter.

17 L'opinion de Me Ackerman a également été sollicitée et il a indiqué que,

18 comme il y a deux accusés, il est difficile de parvenir à un accord

19 puisqu'un accusé serait peut-être prêt à accepter toute une liste de

20 faits, alors que l'autre accusé ne serait pas prêt à les admettre tous. Et

21 puis il a dit: "Mais au fil du temps, nous allons pouvoir trouver une

22 solution à ce problème".

23 Ensuite M. Von Hebel a dit que: "Avant d'en arriver à la municipalité où

24 certains événements n'impliquent pas directement les accusés peut-être

25 pourrions-nous nous mettre d'accord, entre les parties, sur certains

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1 faits, et j'exhorte l'accusation à cet égard -ce qui est de cette

2 municipalité- de tenter d'élaborer une liste peut-être sur la base d'une

3 liste qui avait déjà été rédigée auparavant."

4 Puis Me de Roux a dit ce qui suit: "Il y a un certain nombre de faits dont

5 la défense n'a pas la moindre connaissance, nous ne pouvons donc pas

6 accepter une liste de faits à propos desquels nous ne savons rien".

7 Puis une discussion a eu lieu sur des faits qui ne pouvaient être

8 contestés par la défense. Nous en sommes restés là, mais la question a été

9 abordée à d'autres reprises notamment.

10 En fait, la Chambre elle-même a évoqué ce point, le 18 février, lors d'une

11 audience. Le Président a parlé de faits admis, à la page 1883 du compte

12 rendu, et vous avez évoqué la possibilité avec l'aide, peut-être, du

13 juriste hors classe de tenter d'identifier un certain nombre de faits où

14 il n'y aurait aucune raison pour qu'il y ait un désaccord. Et la défense a

15 pu entendre ce que vous avez dit à ce propos, les exemples que vous avez

16 cités.

17 Maître Ackerman a répondu ce qui suit: "Une discussion avait eu lieu sur

18 ce point, c'était difficile en raison des problèmes de représentation du

19 général Talic, la situation était quelque peu incertaine." Et au bas de la

20 page 1887:

21 "Cela serait tout à fait inutile à ce stade ou peut-être même à l'avenir

22 de nous réunir avec l'accusation parce que nous savons bien quels sont les

23 faits allégués par le Procureur et nous sommes tout à fait capables, les

24 deux équipes de la défense, de nous asseoir autour d'une table et de nous

25 mettre d'accord sur certains faits que nous pourrions admettre.

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1 Je demanderai à la Chambre de tenir compte d'une chose, afin de faciliter

2 notre tâche, plutôt que d'être obligés de dire à la Chambre 'nous

3 reconnaissons certains faits', qu'on nous autorise à dire plutôt 'nous ne

4 contestons pas certains faits'."

5 (L'interprète demande à ce que Mme Korner lise un peu moins rapidement.)

6 "Donc ce n'est pas la même chose de dire 'nous reconnaissons les faits',

7 par exemple ce qui s'est passé au camp d'Omarska. C'est autre chose de

8 dire 'nous ne les contestons pas'. Et je tiens à mettre l'accent sur ce

9 qui suit. Dans la tradition juridique qui est la mienne, on peut même

10 adopter nolle contendere qui veut dire que, sans admettre quoi que ce

11 soit…"

12 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous voudriez bien, s'il vous

13 plaît, Madame Korner parler un peu moins rapidement.

14 Mme Korner (interprétation): Oui, je regrette, je ne veux pas en effet

15 parler trop rapidement parce que cela se sont des questions qui sont de la

16 plus grande importance et j'aimerais que les accusés entendent cela.

17 "C'est une chose que de dire 'nous reconnaissons, nous admettons tous les

18 faits allégués par rapport aux événements du camp d'Omarska", c'est autre

19 chose que de dire simplement 'nous ne les contestons pas'.

20 C'est une question qui, à ma connaissance, n'a jamais été soumise à une

21 Chambre de première instance ici au Tribunal pénal international, mais

22 c'est quelque chose de tout à fait courant dans la tradition juridique qui

23 est la mienne. On peut même formuler des conclusions de nolle contendere

24 qui veut dire que l'on n'admet rien du tout. Alors qu'il serait difficile

25 d'admettre certains faits, de les admettre, il est bien plus facile de

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1 dire 'je ne les conteste pas', en tout cas dans le cadre de ce procès,

2 pour les besoins de ce procès.

3 Et je crois qu'en fin de compte on arrive au même résultat: cela décharge

4 l'accusation, le Procureur; cela allège le fardeau de la preuve. Je vous

5 demanderai donc si vous accepteriez cette approche?"

6 Votre réponse, Monsieur le Président, a été de dire que vous en

7 discuteriez avec vos collègues, avec les autres Juges. Et puis vous avez

8 dit: "Je peux en tout cas vous assurer que la Chambre n'a aucun doute pour

9 ce qui est d'une chose en tout cas, c'est à dire qu'on peut vous demander

10 ou vous pouvez dire de votre plein gré, de façon volontaire "nous ne

11 contestons pas ces faits", puis vous avez dit: mais cela ne sera pas

12 interprété comme signifiant que vos clients ont eu connaissance à l'époque

13 de ces faits, ou que vos clients acceptent que ces faits ne soient pas

14 contestés.

15 Vous avez donné l'exemple d'Omarska en disant "les termes, nous ne

16 contestons pas cela, ne doivent pas être interprétés comme un accord de

17 leur part, le fait qu'ils avaient connaissance de ces événements à

18 l'époque ou avaient un certain pouvoir sur la situation." Vous avez

19 réitéré cela à plusieurs reprises.

20 Monsieur le Président, la question a de nouveau été évoquée lors de la

21 déposition du témoin BT12 le 11 avril, et Me Ackerman a soutenu la

22 position qui avait déjà été soutenue par Me Fauveau: le fait qu'un meurtre

23 avait été commis n'était pas contesté.

24 Monsieur le Président, dans cette affaire, le fait que si les conseils de

25 la défense acceptent de ne pas contester certains faits, cela ne veut en

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1 aucun cas dire que les accusés admettent leur culpabilité. La Chambre l'a

2 dit très clairement.

3 L'accusation est tout à fait disposée à continuer à citer des témoins à

4 comparaître aussi longtemps qu'il faudra pour établir les faits allégués

5 dans l'Acte d'accusation par rapport aux infractions dont nous affirmons

6 qu'elles ont été commises par d'autres personnes, autres que les accusés.

7 Il incombe à la Chambre et au conseil de s'assurer que le témoignage, les

8 témoignages que l'on entend de vive voix ont trait de manière précise à la

9 culpabilité des deux accusés.

10 Monsieur Von Hebel, lors de la dernière réunion que nous avons eue avec

11 lui, a dit de façon très claire que la Chambre se préoccupe du fait que de

12 nombreuses personnes attendent leur procès, qui sont en détention

13 préventive, qui attendent presque aussi longtemps que l'a fait M. Brdanin,

14 et à moins de parvenir à un accord quelconque, eh bien, ce procès va

15 continuer, comme je l'ai dit à la Chambre hier, pendant près de 2 ans ou

16 même plus si aucun accord n'est conclu.

17 Et je ne sais franchement pas si c'est dans l'intérêt des accusés de

18 devoir subir une procédure pendant 2 ans.

19 Monsieur le Président, il me semble que si les accusés y réfléchissent

20 mûrement -c'est une mesure qui leur appartient, leurs avocats peuvent les

21 conseiller mais finalement la décision leur appartient- ce qui s'est passé

22 avec cette liste de faits potentiellement admis, c'est que la personne qui

23 a rédigé la liste n'a pas prêtée une attention suffisante à ce qui pouvait

24 vraiment faire l'objet d'un accord.

25 Cela reflète un effort de la part de la Chambre d'administrer cette

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1 affaire et la justice au mieux, mais cela ne reflète en aucun cas une

2 décision ni une ébauche de décision qui aurait été prise par la Chambre

3 sur les faits. Je demanderai simplement qu'avant de prendre des mesures,

4 d'autres mesures que l'on réfléchisse mûrement à tout cela.

5 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman?

6 M. Ackerman (interprétation): Je n'ai pas l'intention de m'appesantir sur

7 ce que Mme Korner vient de dire, ou de faire un long discours. Je crois

8 qu'il n'est pas opportun de le faire.

9 Ce que je voudrais dire c'est que j'accepte entièrement la déclaration

10 faite par la Chambre selon laquelle vous n'aviez aucune connaissance de ce

11 document, mais le problème est qu'on lit dans ce document que la Chambre a

12 rédigé cette liste. Il n'y a donc pas d'autre façon de l'interpréter, il

13 s'agit bien de vous-mêmes, des Juges ici présents, ou si vous ne l'avez

14 pas rédigée vous-mêmes, vous avez donné les instructions pour ce faire.

15 Je vous demande donc, Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

16 d'appliquer à vous-mêmes les mêmes critères que vous appliquez aux

17 accusés, c'est-à-dire que si vous ne saviez pas quelque chose, vous auriez

18 dû le savoir.

19 J'admets que si vous l'aviez su, cette liste n'aurait jamais été publiée,

20 et je n'aurais pas dû alors essayer d'expliquer à mon client. Je pourrais

21 essayer de passer une année à expliquer tout cela à M. Brdanin que cela ne

22 reflète pas le fait que la Chambre estime que ces faits sont déjà établis,

23 mais je ne sais pas comment je pourrais lui faire comprendre cela.

24 Une déclaration selon laquelle Radoslav Brdanin a été président de la

25 cellule de crise de la RAK à partir du 5 mai 1992. Cela est tout à fait

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1 inacceptable. Qu'est-ce que cela veut dire "à partir de telle date"? Est-

2 ce que cela voudrait dire à ce jour? Nous savons bien que la cellule de

3 crise n'a été instituée que pour une très courte période. Tout ce que je

4 peux dire, en fait, c'est un document qui m'a atterré, je n'ai même pas pu

5 dormir la nuit dernière à cause de cela.

6 C'est une requête, la requête que nous avons déposée, elle l'a été après

7 mûre réflexion; c'est une position que j'ai eue, une extrême difficulté

8 adopté, je ne l'ai pas fait de façon hâtive. J'ai demandé conseil à toute

9 une série de personnes en qui j'ai une entière confiance. Je peux vous

10 assurer, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, que toutes les

11 personnes à qui j'ai demandé conseil sans que je les influence ont lu ce

12 document et m'ont assuré que c'était absolument ahurissant et qu'il y a de

13 quoi être outrés. Et j'en suis toujours convaincu et je pense qu'on aurait

14 jamais eu un tel document produit si la Chambre était au courant de ce qui

15 se passait en coulisse.

16 Je trouve cela très malheureux que nous en soyons arrivés là. Je ne

17 voulais pas qu'on en arrive là. Je n'ai pas demandé qu'on en arrive là, et

18 le fait de savoir si certains faits sont admis ou non, il me semble que

19 cela concerne l'accusation et la défense.

20 A mon avis, les Juges doivent être des arbitres tout à fait impartiaux qui

21 disent trancher et statuer sur les faits qu'ils entendent. Je crois que je

22 devrais m'en limiter là. Mais voilà ce que je ressens à l'heure actuelle.

23 M. le Président (interprétation): Y a-t-il d'autres déclarations? Maître

24 Fauveau, souhaitez-vous prendre la parole?

25 Mme Fauveau: Monsieur le Président et Mesdames les Juges, j'accepte

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1 entièrement votre déclaration, mais je me joints entièrement à la

2 déclaration de Me Ackerman. Je vais être très brève.

3 J'accepte également ce que Mme Korner a dit. Il est tout à fait permis que

4 le Procureur nous demande d'admettre certains faits. Il est tout à fait

5 normal qu'on admette certains faits. Il est aussi vrai que l'admission de

6 certains faits ne signifient pas la culpabilité de nos clients, surtout du

7 mien.

8 Malheureusement dans ce document une phrase m'a choquée profondément, une

9 phrase sur laquelle on se bat presque depuis trois ans: c'est sa

10 participation à la cellule de crise. Là, il ne s'agit pas d'un fait

11 précis, il ne s'agit pas d'un fait éloigné, il s'agit du cœur de la

12 responsabilité du général Talic. Je ne sais pas d'où il vient ce document

13 et je veux bien croire qu'il ne vient pas de vous. Mais malheureusement

14 sur ce document c'est écrit que c'est la Chambre qui l'a rédigé.

15 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, si vous me permettez,

16 je souhaite ajouter quelques propos à la lumière de ce qui vient d'être

17 entendu. Il me semble que ni Me Ackerman ni Me Fauveau n'entendent le sens

18 de nos propos. Comme je l'ai déjà dit la décision appartient aux accusés.

19 Les conseils ont le devoir de les conseiller, mais c'est évident que c'est

20 aux accusés de prendre la décision. Et je voudrais leur demander très

21 sincèrement de bien se pencher sur leur position.

22 Une autre chose qui doit être absolument claire est celle qui concerne la

23 manière dont cette liste a été dressée. Peut-être que ceci était fait de

24 manière tout à fait inadéquate, mais une manière simple de répondre pour

25 le conseil de la défense aurait été de dire "mais enfin ceci est

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1 ridicule!"

2 Bien sûr que nous n'allons pas admettre des faits comme celui-ci, à savoir

3 que le général Talic était membre de la cellule de crise ou que Brdanin

4 était le président de la cellule de crise à partir du 5 mai 1992. Nous

5 avons déjà présenté des éléments de preuve jusqu'à un certain point et

6 nous avons montré déjà des documents à ce sujet.

7 M. le Président (interprétation): Madame Korner, vous savez cela fait 25

8 ans que j'exerce mon métier. Je ne peux pas être très facilement

9 impressionné.

10 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, la question au fond

11 est que je ne sais pas ce que propose le conseil de la défense. Est-ce

12 qu'il souhaite de nouveau conférer avec leurs clients?

13 M. le Président (interprétation): Certainement, nous n'allons pas le

14 discuter, nous!

15 Mme Korner (interprétation): Non.

16 M. le Président (interprétation): Une chose à laquelle, je m'opposerai. Si

17 vous recevez un document, un document qui doit servir de base de

18 discussion, quel que soit le sujet de l'affaire -donc par exemple pour

19 cette réunion informelle qui a été prévue ce matin- un document sur lequel

20 figurent une esquisse, des points qui devraient être traités lors de cette

21 réunion, et si ceci vous est présenté par les juristes de la Chambre, par

22 notre personnel, qui n'a pas de position par rapport à vous, je

23 m'opposerai à cela, à ce que nos juristes vous fournissent un document

24 disant: ce sont les points qui devraient à notre avis faire l'objet de

25 votre discussion.

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1 Je ne vois donc absolument pas quoi que ce soit d'inadéquat là-dedans si

2 quelqu'un parlait de la Chambre dans ce document car compte tenu du

3 contexte en voyant qu'il s'agit d'un projet fait par la Chambre,

4 s'arrêterait normalement sur ce point et confirmerait. Tout d'abord,

5 chercherait à confirmer qu'il s'agit bien d'un document qui émane de la

6 Chambre. Il n'y aura donc pas eu de suite lors de cette réunion, on se

7 serait vu et aurait dû normalement nous poser la question qui était de

8 savoir si c'est effectivement la Chambre qui a rédigé ce projet de

9 document. Cela aurait donc été une attitude normale de réagir, c'est comme

10 cela que j'aurais fait. Peu importe. A présent, je pense qu'il n'y a pas

11 lieu de s'étendre sur cette affaire.

12 Mme Korner (interprétation): Non, pas du tout, Monsieur le Président. La

13 question est de savoir comment nous allons poursuivre.

14 M. le Président (interprétation): Nous n'avons plus rien à voir avec cela,

15 nous savons à qui appartient le rôle de prendre une décision sur ce genre

16 de requête.

17 Mme Korner (interprétation): Oui, j'ai remarqué que l'ordonnance du Juge

18 Schomburg était qu'il fallait poursuivre nos travaux, que le procès devait

19 continuer.

20 M. le Président (interprétation): Heureusement, puisque sinon, nous

21 aurions eu la même situation toutes les semaines.

22 Mme Korner (interprétation): Oui.

23 M. le Président (interprétation): Nous aurions dû arrêter le procès entre-

24 temps.

25 Mme Korner (interprétation): Il y a un autre point que je souhaite

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1 aborder, la requête demande une audience, si je puis vérifier cela dans le

2 Règlement, à savoir que l'audience soit tenue demain à 9 heures 30, qu'il

3 y ait une réunion qui sera tenue dans le bureau du Juge.

4 M. le Président (interprétation): Oui.

5 Mme Korner (interprétation): L'Article 65ter se réfère au Juge de la mise

6 en état.

7 M. le Président (interprétation): Oui, mais il faut voir cela avec le Juge

8 Schomburg?

9 Mme Korner (interprétation): Je dois en être certaine maintenant que cela

10 puisse être communiqué au Juge Schomburg au plus tôt pour que nous

11 puissions nous mettre d'accord au moins sur ce point, donc qu'il y ait une

12 position conjointe de tous les conseils à savoir s'il doit y avoir une

13 réunion portant sur ce sujet. C'est une requête qui n'est pas

14 confidentielle, cela doit être fait en audience publique avec un procès-

15 verbal complet.

16 M. le Président (interprétation): Je communiquerai cette requête au Juge

17 Schomburg, mais je ne peux pas continuer de parler de ce sujet. Tout

18 simplement je m'attends à ce qu'on prenne mon avis comme cela est prévu

19 dans le Règlement.

20 Mme Korner (interprétation): S'il n'y a rien d'autre.

21 M. le Président (interprétation): Monsieur Von Hebel, le Juge Schomburg

22 est pris cet après-midi. A quel moment sera-t-il libre?

23 (M. Von Hebel se consulte avec le M. le Président.)

24 Je communiquerai cette information au Juge Schomburg. Je pense donc que

25 nous pouvons commencer.

Page 4971

1 Un autre point, il nous faudra nous arrêter aujourd'hui à 18 heures, car

2 je suis demandé pour une affaire urgente. Je pense que c'est Mme la

3 Greffière d'audience qui me guidera.

4 Pourriez-vous, s'il vous plaît, me dire à quel moment on suspendra

5 l'audience pour une pause? Si le Juge Schomburg fait une pause de 15

6 minutes, moi-même je préférerais faire une petite pause.

7 Mme Chen (interprétation): Vous voulez faire une pause maintenant?

8 M. le Président (interprétation): Je ne sais pas à quelle heure il y a une

9 pause dans l'affaire dont il est saisi.

10 Mme Korner (interprétation): Je pense qu'il travaille par séquence d'une

11 heure et demie donc vers 4 heures moins le quart. Il y aura une pause.

12 M. le Président (interprétation): Nous pouvons commencer et faire une

13 pause dans un quart d'heure.

14 Je m'adresse à la Greffière d'audience, nous

15 sommes en train de dire que la première partie de la transcription où

16 figure notre déclaration conjointe soit copiée et communiquée aux Juges

17 Schomburg, s'il vous plaît, qui est le Juge qui préside la Chambre de

18 première instance n°II.

19 (Le témoin M. Adil Draganovic, est introduit dans le prétoire.)

20 M. le Président (interprétation): Bonjour Monsieur le Juge.

21 Je vous souhaite encore une fois la bienvenue dans ce prétoire. Veuillez

22 nous excuser de vous avoir fait attendre aussi longtemps, mais il

23 s'agissait d'une question que je ne vous souhaite d'avoir à avoir aborder,

24 c'est malheureusement un problème juridique qui nous a retenus depuis le

25 début de cette audience.

Page 4972

1 Je vous présente encore une fois nos excuses, mais en tant que juge vous

2 allez comprendre la situation.

3 Je vous prie de donner lecture encore une fois de la déclaration

4 solennelle.

5 M. Draganovic (interprétation): Je déclare solennellement de dire la

6 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

7 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.

8 Madame Korner?

9 (Interrogatoire principal du témoin, M. Adil Draganovic, par Mme Korner.)

10 Mme Korner (interprétation): Merci.

11 Monsieur le Juge, hier au moment où nous avons suspendu l'audience, nous

12 venions de parler du fait qu'on vous a arrêté et qu'on vous a emmené au

13 bâtiment du SUP, et qu'on vous a passé à tabac à l'extérieur. Eh bien, à

14 la station de police, au poste de police, où est-ce qu'on vous a emmené?

15 M. Draganovic (interprétation): Au poste de police de Sanski Most, on m'a

16 fait passer par l'entrée principale et on m'a fait entrer dans un hall.

17 Dans ce hall, il a fallu que je m'arrête pendant un petit moment. Ils

18 m'ont fouillé, ils m'ont enlevé les lacets de mes chaussures, la ceinture

19 de mon pantalon également, puis ils m'ont fait passer par un couloir et

20 m'ont fait entrer par la dernière porte où se trouvaient des garages et

21 des pièces appartenant à la prison. Ils m'ont mis dans une cellule de la

22 prison, dans un bâtiment qui se trouve dans cette enceinte derrière le

23 poste de police ou poste de sécurité publique.

24 Question: Lorsqu'on vous a placé dans cette cellule, il y avait déjà

25 combien de personnes là-dedans?

Page 4973

1 Réponse: J'ai été placé dans la cellule n°1. Sur place, j'ai trouvé quatre

2 hommes.

3 Question: Par la suite, quatre personnes supplémentaires sont-elles

4 arrivées et ont-elles été placées dans la même cellule?

5 Réponse: C'est cela. Nous étions en tous 9 dans la même cellule.

6 Question: Approximativement quelle était la taille de cette cellule?

7 Réponse: C'était une cellule qui était de 2 mètres de large et 2,5 mètres

8 de long.

9 Question: Pouviez-vous vous allonger, vous 9, qui étiez dans cette

10 cellule?

11 Réponse: Non on ne pouvait pas s'allonger, on devait se tenir accroupi et

12 assis.

13 Question: Y avait-il une fenêtre dans cette cellule?

14 Réponse: On peut dire que la cellule était pratiquement blindée. Il y

15 avait une petite fenêtre qui était fermée et qui était clouée. En fait, il

16 y avait une toile de zinc qui recouvrait la fenêtre. Donc, cette tôle

17 rendait la cellule pratiquement blindée. Il y avait quelques petits trous

18 sur cette tôle de zinc, quelques petits trous qui ont été faits avec des

19 punaises. Et puis, il avait une porte en métal qui empêchait l'air de

20 rentrer.

21 Question: En mai 1992, il faisait quel temps?

22 Réponse: Pendant que j'étais à la prison, il pleuvait. En fait, la

23 température variait, c'était un temps mitigé, il y avait du soleil et de

24 la pluie en alternance, mais on respirait mal. Il faisait un temps lourd.

25 Question: Du au fait qu'il n'y avait pas assez d'air et qu'il y avait un

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1 certain nombre de personnes dans cette cellule, que s'est-il passé dans la

2 cellule? Que pouvez-vous dire au sujet des murs?

3 Réponse: Eh bien, ces murs étaient complètement noircis de moisissure,

4 d'humidité, et on voyait des goûtes couler le long des murs. Nous-mêmes,

5 on était trempés à cause de la transpiration. Ces murs étaient donc

6 quasiment noirs, ils étaient complètement noircis.

7 Lorsqu'on m'a mis dans cette cellule, ces murs étaient jaunâtres, et

8 ensuite on peut dire qu'à cause de cette humidité, ils étaient devenus

9 complètement noirs. et quant à ce zinc sur la fenêtre, sur la petite

10 fenêtre, il n'était pas le seul, il y avait aussi une tôle sur le

11 radiateur. On voyait l'eau couler en permanence sur cette tôle à cause de

12 l'évaporation de notre transpiration.

13 Durant des heures, je me suis tenu à côté de cette tôle, à côté d'un petit

14 trou afin de pouvoir respirer. Sinon c'était quasiment impossible. Et les

15 autres faisaient pareils, mes codétenus dans cette cellule.

16 Question: De cette cellule, vous a-t-on emmenés pour vous faire subir un

17 interrogatoire, ou plutôt vous a-t-on emmenés à trois ou quatre occasions?

18 Pouvez-vous répondre par oui ou par non?

19 Réponse: Oui, on nous a emmenés pour nous interroger.

20 Question: Et les personnes qui vous ont interrogés, c'étaient des gens que

21 vous connaissiez?

22 Réponse: Pour la plupart, oui.

23 Question: C'étaient des policiers, des militaires, c'étaient des civils,

24 qui étaient ces gens-là?

25 Réponse: Je connaissais ces gens qui nous interrogeaient, je les

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1 connaissais tous. Ils étaient du service d'enquête criminelle, donc des

2 gens de la police, puis des hommes qui faisaient partie des unités de

3 réserve de la sûreté d'Etat, rattachés à l'armée. Et c'étaient également

4 des gens de Prijedor, de la sûreté d'Etat de Prijedor.

5 Question: Et ils vous posaient quel genre de questions? Qu'est-ce qui les

6 intéressait?

7 Réponse: Ils avaient des questions préparées à l'avance; il nous fallait

8 répondre à celles-ci.

9 Question: Vous étiez interrogé à part, ou il y avait plusieurs prisonniers

10 qui étaient interrogés en même temps?

11 Réponse: On me faisait sortir seul de ma cellule pour m'interroger.

12 Généralement, il y avait deux inspecteurs qui se relayaient et c'est comme

13 cela qu'ils emmenaient les autres détenus également, un par un.

14 Question: Vous avez dit qu'ils avaient des questions préparées à l'avance.

15 Pourriez-vous nous résumer quel était le contenu de ces questions?

16 Question: Quant à moi, ils m'ont interrogé à deux ou trois reprises en me

17 faisant aller dans le poste de police. Et ils m'ont interrogé au sujet du

18 référendum, par exemple: pourquoi ai-je organisé le référendum? Pourquoi

19 étais-je hostile à l'armée populaire yougoslave? Pourquoi m'étais-je rendu

20 à des réunions, à un certain nombre de réunions du parti SDA? Ils m'ont

21 interrogé au sujet des armes.

22 En fait, ces questions m'ont stupéfait car, à l'avance, on m'accusait au

23 sujet de ces armes alors que je n'en avais aucune. Je n'avais que mon

24 pistolet de fonction alors qu'ils m'ont demandé des fusils automatiques.

25 Ils m'ont posé des questions au sujet des fusils automatiques, une

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1 vingtaine, je ne sais plus exactement; puis ils m'ont accusé en disant

2 qu'ils avaient trouvé des armes chez moi, dans ma maison, qu'ils ont

3 trouvé un fusil mitrailleur, deux mitraillettes, 3.500 balles pour un

4 fusil-mitrailleur, qu'ils ont trouvé des tranchées creusées autour de ma

5 maison, ce qui n'était pas exact. En fait, j'ai vu qu'on m'a condamné à

6 mort à l'avance.

7 Et tout simplement je me suis retrouvé bouche bée. Quant à l'inspecteur

8 qui m'a interrogé, c'était Jobot Branko, c'est quelqu'un avec qui j'ai

9 travaillé car il faisait partie de ce service d'enquêtes chargé des

10 affaires criminelles. Donc il nous est arrivé de travailler ensemble,

11 c'était un collègue. Je lui ai dit: "Mais enfin Branko, tu me connais, tu

12 sais qui je suis". C'étaient des questions dont je me souviens, mais il y

13 en a eu d'autres également.

14 Question: Très bien.

15 Réponse: Ils m'ont également demandé pourquoi j'ai envoyé ma femme et mes

16 enfants en Allemagne, et ils m'ont demandé leur adresse en Allemagne. Ils

17 voulaient se renseigner au sujet de nombre de mes voisins, des juges qui

18 étaient partis. Et ils voulaient savoir pourquoi je m'étais opposé à

19 certaines décisions prises par la cellule de crise. Ensuite, ils m'ont dit

20 que je voulais mettre sur pied une politique musulmane, que je voulais

21 organiser leur service d'enquête criminelle, ils m'ont demandé pourquoi je

22 suis montré critique à l'égard du chef de la police lorsqu'il n'a pas

23 identifié les acteurs des actes terroristes, etc. donc c'était ça le genre

24 de questions qu'ils m'ont posé.

25 Question: Tout d'abord, est-ce essayons de voir si vous aviez ce fusil-

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1 mitrailleur, ces balles, tout ce qu'ils ont dit avoir trouvé chez vous.

2 Aviez-vous tout cela en votre possession chez vous?

3 Répondez par un oui ou par un non, s'il vous plaît.

4 Réponse: Je n'avais rien de tout cela.

5 Question: Vous avez dit qu'ils vous ont accusé de vouloir mettre sur pied

6 une politique musulmane, était-il vrai que vous vouliez organiser une

7 force de police musulmane?

8 Réponse: Non jamais, mais de toute façon cela ne relevait pas de mes

9 fonctions, je travaillais au tribunal c'était cela ma profession.

10 Question: A un moment quelconque vous a t-on reproché un délit quel qu'il

11 soit au sujet de ces choses au sujet desquelles on vous interrogeait?

12 Réponse: Pendant que j'étais en prison au poste de sécurité de police, je

13 m'attendais à avoir un acte t'accusation, mais en fait, je n'ai rien reçu

14 par écrit. Même si le président de la cellule de crise Nedeljko Rasula, le

15 lendemain de mon arrestation et de mon emprisonnement accompagné de deux

16 autres membres de la cellule de crise est venu me voir à la cellule, pas

17 seulement moi mais nous tous, ils nous ont dit que nous allions être

18 jugés, ils nous ont dit que nous allions payer de notre vie si au moment

19 où les armes seront remises ou rendues il devait y avoir une victime serbe

20 ou si un Serbe était tué.

21 Question: Vous nous avez dit qu'au cours de ce processus de désarmement,

22 vous étiez censé payé les frais. C'est à dire de payer de votre ville si

23 jamais il y avait des morts?

24 Réponse: Ils avaient dit de que de toute façon nous serions jugés, ils

25 nous avaient menacé également de payer de notre vie pour chacune des têtes

Page 4978

1 serbes ou chaque Serbe tombé, il y aurait une centaine de Musulmans tués

2 et nous qui étions en prison étions coupables de tous.

3 Et ce jour là, nous étions seize, dans ces deux cellules parce qu'il y en

4 avait d'autres dans une autre cellule?

5 Question: Bien. Vous a t-on jugé à quelque moment que ce soit?

6 Réponse: Il n'y a pas eu de procès.

7 Question: Vous nous avez dit que Rasula étaient venus avec deux autres

8 membres de la cellule de crise, vous souvenez-vous de leur nom?

9 Réponse: Oui, je m'en souviens.

10 Réponse: Qui était-ce?

11 Réponse: L'un était un professeur Tripkovic Nemanja, l'autre avait été

12 désigné pour être commandant de cette prison. Il avait été chef de la

13 police auparavant, puis envoyé à la retraite. Par la suite, il avait été

14 réactivé, il s'appelait Papric Milutin, il portait un uniforme bleu avait

15 des grappes. Vous avez dit que son nom était comment?

16 Réponse: Tripkovic Nemanja.

17 Question: Pendant l'interrogatoire en question, est-ce que l'on a fait

18 recours à la violence à votre égard?

19 Réponse: Il n'y avait pas que moi. Nous tous chaque fois qu'on nous

20 faisait sortir individuellement.

21 Question: Et pouvez-nous dire ce qu'il vous est arrivé à vous-même pendant

22 ces interrogatoires dont vous avez parlé? Que vous est-il arrivé au juste?

23 Réponse: Une fois lorsqu'on m'avait fait sortir, les enquêteurs avaient

24 quitté la pièce où je me trouvais, puis, il est venu un jeune gaillard que

25 je ne connaissais pas. Lui il m'a battu sur la plante des pieds avec un

Page 4979

1 bâton. Puis, il y a eu des injures qui pleuvaient, puis sont revenues

2 ensuite les personnes qui m'avaient interrogé au départ. C'est ainsi qu'à

3 une ou deux reprises encore, j'ai été battu dans l'enceinte, c'est-à-dire

4 entre ce bâtiment et la prison.

5 Une fois, je suis allé chercher de l'eau pour la ramener vers la cellule,

6 et cette eau se trouvait dans une citerne à côté du bâtiment, à quelque 30

7 voire 50 mètres de la prison. Là aussi, on m'a donné des coups avec un

8 bâton en bois, une batte de base-ball, et ceci notamment dans la région

9 des côtes.

10 Question: Et juste avant la pause, je voudrais vous demander, au sujet de

11 cette personne qui vous avez battu avec cette batte de base-ball: qui

12 était-ce au fait? Quel était son travail à cette personne-là?

13 Réponse: Cet homme-là travaillait ou accomplissait des tâches de nettoyage

14 parce qu'il portait des gants dans la Mahala, il portait des gants où il

15 n'y avait pas les doigts, où on avait coupé les doigts. Il portait des

16 lunettes, je crois qu'il avait aussi un uniforme. Il me semble que son nom

17 était Stupar.

18 Question: Je m'excuse de vous interrompre. S'agissait-il d'un policier,

19 d'un militaire enfin d'un soldat, ou d'un policier ordinaire ou d'un

20 policier de la police militaire?

21 Réponse: il faisait partie de l'armée, mais je ne sais pas s'il avait été

22 de la police militaire.

23 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, je crois qu'il

24 faudrait que nous arrêtions maintenant si vous voulez faire passer un

25 message au Juge Schomburg.

Page 4980

1 M. le Président (interprétation): Oui, tout à fait. Nous allons faire une

2 pause d'une demi-heure. Donc nous allons reprendre à 16 heures 15, puis

3 nous allons continuer jusqu'à 18 heures sans pause.

4 (L'audience, suspendue à 15 heures 48, est reprise 16 heures 25.)

5 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Ackerman?

6 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, je voudrais vous

7 informer de deux choses. Il semblerait que le problème dont j'ai parlé

8 hier au sujet du témoin 207 a été résolu.

9 M. le Président (interprétation): Oui, vous êtes en train de parler du

10 témoin 207?

11 M. Ackerman (interprétation): Il s'agit du journal. Oui, c'est le journal.

12 M. le Président (interprétation): Ah oui, oui.

13 M. Ackerman (interprétation): Je crois que les choses sont résolues. Je

14 voudrais vous dire que, suite à une consultation avec Mme Fauveau, nous

15 nous proposerions d'informer le Juge Schomburg et nous informons la

16 Chambre à présent du retrait d'une partie de notre requête qui consistait

17 à conduire, à continuer le procès en attendant la décision concernant la

18 requête.

19 M. le Président (interprétation): Eh bien, je vous remercie Maître

20 Ackerman.

21 Entre-temps, s'agissant de la suggestion que vous aviez présentée tout à

22 l'heure, en présence de mes collègues, Mesdames les Juges et du juriste

23 hors classe, j'ai transmis le message au Juge Schomburg pour ce qui était

24 de la teneur de votre requête. J'imagine que je ne serais pas en mesure de

25 vous fournir une réponse officielle dès à présent mais s'il n'y avait pas

Page 4981

1 de nouvelle entre-temps, il faudrait en tout état de cause accepter la

2 décision telle quelle jusqu'à nouvel ordre.

3 De toute façon, n'allez pas croire qu'il s'agit là d'une information

4 officielle de notre part à votre égard.

5 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Juge, je voudrais juste dire une

6 petite chose avant que de passer à la continuation du témoignage. Je

7 tenais à ce qu'il soit précisé en toute clarté qu'à notre avis cela est

8 tout à fait inapproprié et loin d'être en accord avec le Règlement.

9 M. le Président (interprétation): Oui, Madame Korner mais je vous rappelle

10 que je ne suis pas la personne à laquelle il faudrait que vous vous

11 adressiez.

12 Mme Korner (interprétation): Non.

13 M. le Président (interprétation): Je suppose que vous devriez à moins d'un

14 contre-ordre faire comme il vous a été dit de faire.

15 Mme Korner (interprétation): La seule raison pour laquelle j'ai pris la

16 parole pour en parler c'est que demain matin, à moins qu'il n'y ait

17 contre-ordre, le Juge Schomburg accepte la question, et la question

18 pourrait être examinée demain matin en session publique. Donc il ne

19 pourrait pas y avoir en même temps de procès.

20 M. le Président (interprétation): Oui, mais étant donné qu'il y a retrait

21 d'une partie de cette objection ou de cette contestation, à savoir que

22 personne n'est en train de demander une interruption du procès, la

23 question ne se pose pas.

24 Mme Korner (interprétation): Oui mais je voudrais que l'on aille le plus

25 vite possible.

Page 4982

1 M. le Président (interprétation): Eh bien, nous serons le plus vite

2 possible.

3 Mme Korner (interprétation): Bien.

4 M. le Président (interprétation): Je crois que nous sommes en train de

5 procéder avec la plus grande attention et la plus grande urgence.

6 Mme Korner (interprétation): Oui, mais ce n'est peut-être pas ce que

7 j'avais entendu.

8 M. le Président (interprétation): Mais il ne m'appartient pas d'en

9 décider.

10 Mme Korner (interprétation): Je voulais juste préciser que les choses

11 devraient être claires et je voulais également que le Greffe entende bien

12 ce que j'avais l'intention de dire. Et c'est dans l'intérêt de

13 l'efficacité qu'il nous faudrait nous pencher à nouveau sur ce journal et

14 sur ce que Me Ackerman a dit tout à l'heure, à savoir qu'il n'avait pas pu

15 en dormir la nuit passée. Je crois devoir lui dire que Mme Gustin a pu

16 dormir parce qu'elle avait travaillé la nuit précédente, donc il fallait

17 bien qu'elle se repose.

18 En fin de compte, je voulais mentionner une chose concernant un détail

19 dont j'ai eu vent hier. Quelqu'un m'avait dit qu'il avait souhaité suivre

20 l'affaire dans la journée d'hier, et cela n'avait pas pu être fait parce

21 que quelqu'un des services de sécurité avait dit qu'il s'agissait d'un

22 huis clos total. Je voudrais dire qu'il faudrait tenir compte de ce fait.

23 Je sais que nous avons eu pas mal de sessions à huis clos et il ne

24 faudrait pas que le public s'imagine que nous sommes constamment à huis

25 clos.

Page 4983

1 M. le Président (interprétation): Je ne sais pas, ce que je puis vous dire

2 c'est que j'ai vu hier des personnes dans cette galerie du public et je

3 crois pouvoir mieux voir la galerie du public, je crois pouvoir même dire

4 qu'il y a une personne qui se trouvait là hier.

5 Mme Korner (interprétation): Oui, je suis d'accord. Il y a eu certaines

6 personnes.

7 M. le Président (interprétation): Je ne sais pas si certaines personnes

8 ont été admises à l'intérieur et d'autres pas.

9 Mme Korner (interprétation): Exactement. Il faudrait que les gens du

10 service de sécurité se concertent et disent la même chose, au lieu de dire

11 à chacun une chose différente.

12 M. le Président (interprétation): Eh bien Madame Korner, je vais essayer

13 de passer un message à ce sujet par le biais du Greffe vers le chef du

14 service de sécurité. Je vous remercie Madame Korner, je vous demande de

15 continuer avec votre contre-interrogatoire.

16 Mme Korner (interprétation): Monsieur, nous avions parlé de passage à

17 tabac dans la cour, dans l'enceinte pendant les interrogatoires. Je

18 voudrais que vous nous disiez si l'on vous avait battu ailleurs ou à une

19 autre occasion.

20 M. Draganovic (interprétation): J'ai été battu au camp de Manjaca une fois

21 arrivé là-bas, et c'est une chose dont je vous parlerai en effet.

22 Question: Je m'excuse, ce que je voulais vous poser comme question,

23 c'était une question afférente au poste de police. Est-ce qu'au sein du

24 poste de police vous avez été battu ailleurs, enfin dans un autre

25 emplacement?

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1 Réponse: Non.

2 Question: Bien. Vous nous avez parlé des gens qui se trouvaient avec vous

3 dans la cellule, vous avez dit qu'à l'origine il y en avait quatre, puis

4 que l'on en avait emmené quatre autres. Est-ce qu'il est resté pendant

5 tout ce temps dans cette cellule 9 personnes ou est-ce que le nombre de

6 personnes s'est réduit un peu plus tard?

7 Réponse: Je vous ai déjà dit que j'ai été emmené là-bas le 25 mai. J'y ai

8 trouvé quatre personnes. J'étais la cinquième. Le jour d'après ou dans le

9 courant des deux journées qui ont suivi on a fait venir encore quatre

10 hommes dans la même cellule.

11 Question: Est-ce qu'ils sont restés là jusqu'à votre transfert vers

12 Manjaca? Donc pendant tout ce temps il y avait là-bas 9 personnes?

13 Réponse: Avant d'être transféré à Manjaca -et je précise que j'ai été

14 transféré le 17 juin, ce qui fait que j'ai passé 24 jours dans la cellule-

15 donc avant que de m'en aller un groupe de 5 personnes a été sorti. Ces

16 personnes ne sont plus revenues dans la cellule. Cela s'est passé le 12

17 juin, je pense que c'était le 12 juin ou le 6. En tout état de cause, il

18 s'agissait de quelque deux semaines avant mon départ.

19 Question: Bien, mais ces quatre personnes qui étaient restées avec vous

20 dans la cellule, connaissez-vous leur nom?

21 Réponse: Oui. Il y avait moi, il y avait Sabic Suad, M. Biscevic Faik et

22 M. Jakupovic Ismet.

23 Question: S'agissant des personnes dont vous venez de citer les noms,

24 pourriez-vous nous dire quelles étaient leurs fonctions avant d'être

25 arrêtées? Que faisait M. Sabic?

Page 4985

1 Réponse: Monsieur Sabic de par sa profession était juriste, avocat. Il

2 était engagé sur le plan politique et il avait été député dans l'assemblée

3 municipale de Sanski Most. Il avait été membre du parti SDA et même membre

4 du comité principal du parti du SDA à Sarajevo, en même temps que membre

5 de ce comité municipal du parti SDA.

6 Question: Et M. Faik Biscevic que faisait-il, lui?

7 Réponse: Monsieur Faik Biscevic travaillait dans le secteur de la santé.

8 C'était sa profession. Il était dentiste. Il était également député au

9 niveau de l'assemblée municipale de Sanski Most. Il représentait le parti

10 du SDA. Il avait, je pense, même pendant un certain temps, était vice-

11 président de ce comité municipal du SDA à Sanski Most.

12 Question: Bien. Et M. Ismet Jakupovic?

13 Réponse: Monsieur Jakupovic Ismet avait été le directeur d'une compagnie

14 d'assurance, la compagnie d'assurance "Dunav" à Sanski Most. Je crois

15 qu'il avait été membre du parti des forces réformistes, c'était un parti

16 politique.

17 Question: Aviez-vous été détenu avec un certain M. Catic?

18 Réponse: Monsieur Catic Stipo faisait partie du groupe dont j'ai parlé

19 tout à l'heure, à savoir des 5 premières personnes que l'on avait fait

20 sortir de notre cellule. Il était croate, lui. Il avait travaillé dans la

21 Yugobanka et il avait été membre d'un parti d'opposition, le parti des

22 forces réformistes.

23 Question: Et M. Fikret Seletovic?

24 Réponse: Monsieur Seletovic, lui, était professeur. Il était également

25 membre du parti réformiste, ce parti d'opposition.

Page 4986

1 Question: Et s'était-il retrouvé lui aussi avec vous dans cette cellule

2 pendant un moment?

3 Réponse: Oui. C'est précisément le 25 mai qu'il avait été arrêté et je

4 l'avais retrouvé en arrivant dans la cellule.

5 Question: En sus des personnes qui s'étaient trouvées dans la cellule avec

6 vous, dites-nous, je vous prie, si vous aviez appris qui avait été arrêté

7 et détenu dans les autres cellules?

8 Réponse: Dans l'autre cellule, il y avait Mirzet Karabeg, il était

9 président du conseil exécutif de la municipalité, puis il y avait M.

10 Kurbegovic Redzo. A l'époque, il avait été le président élu du parti du

11 SDA. Puis, il y avait Osmancevic Hase qui était un homme d'affaires dans

12 le secteur privé, et il avait également été président de Merhamet. Puis il

13 y avait Nedzad Muhic qui lui avait été président du tribunal municipal de

14 simple police. Puis il y avait Hukanovic Sevdaga, un mineur. Il devait

15 avoir vers 17 ans. Il était originaire d'une cité, d'un hameau, Vrhpolje.

16 Question: Ok. Il n'est guère nécessaire de nous fournir d'autres noms.

17 Vous venez de nous indiquer qu'il s'agissait de personnes qui avaient

18 occupé des fonctions très variées. Pourriez-vous nous dire si parmi ces

19 détenus qui se trouvaient dans ce segment de prison du poste de police, il

20 y avait tel ou tel autre nombre de personnes qui faisaient partie de

21 personnalités en vue qu'il s'agisse de Musulmans ou de Croates?

22 Réponse: A mon avis, c'étaient des personnalités en vue qui avaient détenu

23 certaines positions éminentes dans la vie de Sanski Most, si vous exceptez

24 le mineur qui avait été amené depuis Vrhpolje parce qu'il avait travaillé

25 chez un jeune homme qui était suspecté d'avoir fait partie des Bérets

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1 verts à Vrhpolje.

2 Question: Pendant que vous vous trouviez dans ces cellules du poste de

3 police, avez-vous entendu ou vu quoi que ce soit qui est à voir avec

4 l'attaque qui a eu lieu à Mahala, Mahala, le quartier où vous aviez

5 résidé?

6 Réponse: En date du 26 mai, à savoir le jour d'après, après mon

7 arrestation j'entends, dans le courant de la soirée, à savoir vers 21

8 heures, j'ai entendu un pilonnage. On avait tiré quelques obus, c'était

9 terrible parce qu'on avait tiré des obus toute la nuit avec des espaces

10 d'une minute ou de deux ou trois minutes à peine entre les tirs.

11 Nous ne savions pas où atterrissaient ces obus mais je sentais que c'était

12 tiré depuis le toit de la prison ou alors depuis le stade de foot de

13 Podgrmec qui se trouvait juste derrière le bâtiment en question, ou encore

14 avait-on tiré depuis Betonirka qui se trouve à proximité immédiate de la

15 prison. Les détonations étaient effroyables. Au début, j'avais compté les

16 déflagrations, il y en avait eu environ 400, puis j'ai cessé de compter.

17 Question: Je voudrais vous montrer, ou je voudrais vous demander de vous

18 pencher une fois de plus sur le plan de Sanski Most, il s'agirait de la

19 pièce P475.1. Merci.

20 (Intervention de l'huissier.)

21 Vous nous avez dit que vous aviez entendu des déflagrations et que vous

22 avez pensé que ces tirs venaient du terrain de football ou du toit de la

23 prison. Je voudrais maintenant que vous vous penchiez sur le plan et peut-

24 être serait-il préférable de placer le plan sur le rétroprojecteur et de

25 nous indiquer l'emplacement du terrain de football dont vous aviez parlé

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1 tout à l'heure.

2 (Intervention de l'huissier.)

3 Réponse: Ici, on voit l'emplacement du terrain de football Podgrmec et

4 juste à côté du bord ou de la limite du terrain, il y a une clôture en

5 béton et derrière ce mur se trouvent les cellules de la prison.

6 Question: Et comme on peut le voir, Mahala se trouve tout de suite de

7 l'autre côté du fleuve, de la rivière.

8 Réponse: Je ne savais pas à l'époque où les obus atterrissaient. Nous ne

9 pouvions que faire des suppositions, nous qui étions dans cette prison,

10 apeurés comme nous l'avions été. Ce n'est que tôt le matin, vers 5 heures,

11 lorsque les policiers ont ouvert la porte de notre cellule qu'on nous a

12 dit qu'on avait tiré sur Mahala. Je vais vous montrer maintenant

13 l'emplacement de la cité Mahala. C'est là que se trouvent Muhici et Otoci.

14 Question: Merci. Voilà vous pouvez maintenant retirer la carte.

15 (Intervention de l'huissier.)

16 (Hors micro.) C'est ce que vous avez entendu pendant la nuit. Y a-t-il eu

17 un moment où vous-même et d'autres avez été emmenés afin d'être témoins de

18 ce qui se passait?

19 Réponse: Le lendemain, c'est-à-dire le 27 mai, dans l'après-midi, pour

20 être exact, ils sont venus, ils ont ouvert la porte de la cellule, ils

21 nous ont obligés à en sortir. C'était un groupe assez large de policiers,

22 de force de réserve, il y avait des soldats également, des soldats qui

23 avaient été à Mahala. Ils nous ont emmenés pour que l'on puisse voir

24 l'incendie de Mahala, voir la fumée. J'ai vu des nuages noirs, le ciel

25 était rempli de nuages noirs du côté sud, donc on voyait qu'il y avait un

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1 incendie; c'est à ce moment-là que j'ai pu constater que Mahala brûlait.

2 Question: Et les soldats que vous avez évoqués, qui se trouvaient à

3 Mahala, de quel type de soldat s'agissait-il? Est-ce que vous avez pu

4 identifier l'unité à laquelle ils appartenaient?

5 Réponse: Ils étaient membres de la 6e Brigade de la Krajina et de la

6 Défense territoriale serbe. Je connaissais ces gens, ils étaient membres

7 également de la cellule de crise.

8 Question: Oui, nous y reviendrons. Comment saviez-vous qu'ils avaient été

9 à Mahala? Est-ce qu'ils vous l'ont dit?

10 Réponse: Comme je l'ai dit, à 5 heures du matin, le 27 mai, un policier

11 est arrivé qui a ouvert la porte de la cellule, il était armé, il était

12 suivi de plusieurs autres personnes, et il nous a dit que, pendant la

13 nuit, ils avaient attaqué Mahala. C'est donc comme cela que je l'ai su.

14 En fait, il était très en colère, animé d'une grande frustration et nous a

15 menacés en disant que nous allions payer pour cela. Il a dit, par exemple,

16 qu'un millier de personnes avaient été tuées et que 400 Bérets verts

17 étaient encore sur place, ne s'étaient pas encore rendus, mais que pendant

18 la journée ces Bérets verts seraient certainement vaincus et tués.

19 J'ai donc entendu des choses terrifiantes et cela m'a bien sûr laissé en

20 état de choc, je ne voulais pas le croire. Je savais qu'il n'y avait pas

21 eu la moindre résistance à Mahala et je savais qu'il s'agissait de

22 propagande.

23 Question: En fait, je visais autre chose: comment avez-vous su que ces

24 soldats et le SOS, qui vous ont emmenés, que ces soldats en particulier,

25 ces membres-là du SOS avaient participé à l'offensive contre Mahala?

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1 Réponse: Eh bien, ils l'ont dit explicitement eux-mêmes qu'ils avaient été

2 à Mahala, qu'ils avaient détruit la mosquée et ils ont dit qu'il y avait

3 des tireurs isolés qui tiraient depuis ma maison et que Bosko Banjac, un

4 ami et un enseignant, avait appelé au téléphone, qu'il avait demandé un

5 canon et qu'il avait demandé à Njunja à Dusan Saovic de venir, et à l'aide

6 de ce canon d'empêcher ou de riposter à cette offensive. Et tout cela

7 depuis ma maison. Mais j'ai dit: "Il n'y a personne qui se trouve chez-

8 moi." Je leur ai même montré que j'avais la clef de ma maison dans ma

9 poche. Je leur ai dit: "Ma femme et mes enfants se trouvent en Allemagne.

10 Il n'y a personne chez moi".

11 Ils ont répondu à cela qu'ils avaient dû mettre le feu à ma maison et

12 c'est Bosko Banjac qui m'a dit cela, Banjac qui m'a dit cela, donc cet ami

13 ainsi que Nemanja Tripkovic et encore un autre soldat, un voisin, un Serbe

14 de la rue Lutka. Ils m'ont dit qu'ils avaient été dans ma rue et que l'on

15 avait mis le feu à ma maison. Donc les autres me l'ont dit également.

16 Question: Vous nous avez dit que M. Tripkovic était membre de la cellule

17 de crise, et il vous a rendu visite dans votre cellule. Y avait-il

18 d'autres personnes dont vous saviez à l'époque ou dont vous avez appris

19 par la suite qu'elles étaient membres de la cellule de crise de Sanski

20 Most?

21 Réponse: J'ai dit que Nemanja Tripkovic était accompagné de Rasula, donc

22 deux membres de la cellule de crise.

23 Question: Donc Rasula était l'un de ceux qui vous a emmené pour que vous

24 puissiez assister à l'incendie de votre maison ou de Mahala?

25 Réponse: Rasula n'était pas là à ce moment précis. Il était en compagnie

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1 de Tripkovic et comme je l'ai dit c'était le 26, donc dans la cellule.

2 Question: Nous devons préciser cela: est-ce que vous dites que lorsqu'on

3 vous a emmené de votre cellule pour assister à l'incendie de Mahala, est-

4 ce que M. Tripkovic était là à ce moment-là ou bien est-ce que vous parlez

5 du moment où il vous a rendu visite dans votre cellule?

6 Réponse: Monsieur Tripkovic arborait un uniforme militaire à l'époque et

7 Bosko Banjac portait également un tel uniforme et il venait d'arriver à

8 cet endroit.

9 Question: Oui, mais est-ce qu'il faisait partie des gens qui étaient à vos

10 côtés, à l'extérieur de la cellule lorsque vous avez pu observer

11 l'incendie de Mahala?

12 Réponse: Oui, en effet. Il était là.

13 Question: Et pendant ce temps, est-ce que vous-même et les autres

14 prisonniers qui se trouvaient à l'extérieur de la cellule ont subi… est-ce

15 que vous avez subi quoi que ce soit? Vous est-il arrivé quelque chose?

16 Réponse: Le soir même Tomo Delic est arrivé, il était un Vojvoda, un Turc.

17 Il nous a amené une bouteille de cognac, il nous a obligés à boire cela,

18 même devant un tel spectacle horrifiant. Il ne nous ont pas autorisé à

19 retourner tout de suite dans notre cellule. Un incident aurait pu se

20 produire entre la police et l'armée. Nous avons été contraints à boire

21 face à tout ce spectacle horrifiant.

22 A ce moment-là Tomo Delic m'a dit: "Vous avez été membre d'une commission

23 de recensement au sein de la municipalité de Sanski Most, pourquoi n'avez-

24 vous pas enregistré les noms des victimes de la Deuxième Guerre mondiale,

25 les victimes serbes qui avaient souffert ou qui avaient été à Susnjar? "

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1 J'ai répondu que je n'avais jamais été membre de cette commission de

2 recensement.

3 Il a donc dit que nous allions donc tous devoir en payer le prix et qu'il

4 allait calculer le nombre de personnes qui avaient perdu leur vie au cours

5 de la Deuxième Guerre mondiale et que nous allions devoir payer pour les

6 événements de Susnjar.

7 Question: Et ce Tomo Delic, qui était-il? Quelles étaient ses fonctions?

8 Réponse: Tomo Delic, d'après ce que je sais, avait été nommé commandant du

9 SOS mais il était aussi membre du 4e Bataillon de la 6e Brigade la

10 Krajina. Il était l'un des principaux financeurs de la 6e Brigade de la

11 Krajina.

12 Question: Et pour être tout à fait précis, mis à part ce qui est

13 manifeste, le fait que vous étiez témoin de l'incendie de votre maison,

14 pourquoi est-ce que le fait d'être contraint à boire à ce moment-là,

15 pourquoi était-ce aussi affreux?

16 Réponse: Eh bien, surtout, parce que comme vous le savez, nous sommes

17 musulmans, par ailleurs dans ces moments qui ont été les moments les plus

18 éprouvants de notre vie, ces moments d'horreur, on nous a contraint à

19 boire.

20 M. le Président (interprétation): Je pense que vous pouvez passer à la

21 question suivante.

22 Mme Korner (interprétation): Oui, je ne voulais pas présumer que tout le

23 monde avait compris le sens de cela.

24 M. le Président (interprétation): Très bien.

25 Mme Korner (interprétation): Bien. Vous êtes resté à ce commissariat de

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1 police jusqu'au 17 juin lorsque vous avez été emmené, mais avant que l'on

2 vous emmène, y avait-il eu des convois antérieurs de prisonniers que l'on

3 avait emmenés à Manjaca?

4 M. Draganovic (interprétation): Lorsque nous étions emprisonnés, nous ne

5 savions pas ce qui se passait à l'extérieur. J'ai déjà eu l'occasion de

6 dire que 4 des prisonniers qui se trouvaient dans notre cellule, ont été

7 emmenés, nous ne savions pas où ils avaient été emmenés et puis dans une

8 autre cellule, d'autres prisonniers avaient également été emmenés.

9 Nous savions qu'il y avait, je crois, aussi quatre personnes qui restaient

10 détenues dans cette cellule-là. Et puis, un jour, Muhamed Arapovic, un

11 ingénieur qui travaillait auparavant dans la municipalité comme inspecteur

12 en matière de construction, donc cet ingénieur est venu nous voir dans

13 notre cellule le 27 mai donc et nous a dit qu'on avait annoncé à la radio,

14 plutôt qu'on l'avait accusé d'être tireur embusqué et de tirer sur les

15 gens à partir, depuis son immeuble alors qu'en fait, il était chez ses

16 parents dans une autre rue.

17 Il était venu de son propre gré pour en faire état à la police. Et puis,

18 il nous a dit qu'en traversant le pont, il avait vu des tireurs embusqués

19 qui tiraient depuis une Chambre dans l'hôtel Sanus, et qu'il s'agissait de

20 soldats membres de la 6e Brigade de la Krajina qui avaient été postés en

21 cet endroit auparavant.

22 Question: A moins que cela ne soit particulièrement pertinent pour ce qui

23 est des convois de prisonniers que l'on emmenait vers Manjaca, j'aimerais

24 bien me concentrer sur cet aspect.

25 Réponse: Je voudrais simplement ajouter qu'il nous a dit que le docteur

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1 Alagic, Mehmed Alagic, avait été tué devant le grand magasin. C'est tout

2 ce que je souhaitais dire.

3 Question: Oui, comme je vous l'ai déjà dit hier, Monsieur, il y aura

4 d'autres personnes qui vont aborder d'autres événements et donc les

5 événements auxquels vous faisiez allusion, mais pour nous limiter aux

6 convois vers Manjaca, est-ce que le premier convoi de prisonniers emmenant

7 des prisonniers de votre cellule ou de votre prison est parti le 6 juin?

8 Réponse: Oui, c'est exact.

9 Question: Est-ce que vous avez ensuite appris, soit sur la base de

10 conversation ou sur la base d'enquête, que 6 personnes avaient été

11 obligées de quitter le convoi lors de ce premier transport vers Manjaca?

12 Réponse: Oui, j'ai appris cela lorsque je me suis trouvé à Manjaca, que 6

13 personnes avaient disparu et on ne les a plus jamais revues.

14 Question: Et est-ce que le deuxième convoi est parti vers le 11 ou le 12

15 juin?

16 Réponse: Oui, c'est cela.

17 Question: Et là encore, est-ce que 6 personnes ont été retirées de ce

18 convoi, des personnes que l'on n'a plus jamais revues par la suite?

19 Réponse: Oui, et là encore, j'ai appris cela lorsque je me trouvais à

20 Manjaca. Ce sont les autres détenus qui se trouvaient dans ce convoi qui

21 me l'ont rapporté, le nom des personnes. Il y avait donc 6 personnes qui

22 s'étaient trouvées dans ce convoi ou dans ce camion, qui ont été renvoyées

23 et que l'on n'a plus jamais retrouvées.

24 Mme Korner (interprétation): Enfin, est-ce que vous-même vous avez été

25 envoyé à Manjaca, vous avez fait partie du troisième convoi qui a été

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1 emmené à Manjaca le 17 juin? C'est ce que vous nous avez dit, je crois.

2 M. Draganovic (interprétation): Oui, en effet, je me suis trouvé dans ce

3 convoi, dans un camion, le 17 juin 1992.

4 M. le Président (interprétation): Avant de poursuivre, Madame Korner,

5 j'aimerais vous faire une annonce, le Juge Schomburg vient de me demander

6 de vous transmettre ce qui suit: suite à la requête que vous avez

7 formulée, l'audience sur la requête aura lieu dans la salle d'audience I,

8 donc ce sera une audience devant le Juge Schomburg à 9 heures et demie du

9 matin en séance publique en présence des accusés.

10 Dans cette mesure l'ordonnance antérieure de ce matin est annulée.

11 Mme Korner (interprétation): Je vous sais gré de nous avoir prévenus.

12 M. le Président (interprétation): Oui, pour nous assurer que vous soyez

13 prêts pour cette audience.

14 Mme Korner (interprétation): J'aimerais maintenant que vous revoyiez une

15 séquence vidéo de la région de Sanski Most. Vous avez déjà vu cette

16 séquence, donc cela avant de passer plus précisément à Manjaca. Nous avons

17 déjà visionné cette séquence, mais j'aimerais que le témoin puisse

18 identifier précisément quelques endroits. Vous avez déjà vu cette

19 séquence, est-ce que vous pouvez nous dire ce que l'on voit sur ce cliché?

20 M. le Président (interprétation): Eh bien, tout cela ne paraît pas très

21 clair, cela m'étonnerait que le témoin puisse nous dire grand chose.

22 Mme Korner (interprétation): Si, si, il pourra nous expliquer. On en a

23 déjà discuté.

24 M. Draganovic (interprétation): Permettez-moi un instant. C'est donc à

25 Prijedor, le pont de Carakovo, je crois, et puis là on voit Sanski Most.

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1 Question: On voit là un immeuble, un grand immeuble avec un toit blanc,

2 donc un immeuble tout en longueur.

3 Réponse: Oui, cet immeuble assez étroit, long et étroit avec un toit

4 blanc.

5 Question: Et c'est l'usine "Krings"?

6 Réponse: Oui, c'est cela, avec un toit blanc.

7 Question: Bon, alors on peut continuer à visionner la séquence vidéo.

8 Réponse: Là on voit le centre sportif.

9 Question: Est-ce qu'on pourrait revenir un petit peu en arrière, faire une

10 pause? Où voit-on juste ce centre sportif? Si on peut de nouveau avancer

11 quelque peu.

12 Réponse: Oui, si on s'arrête là.

13 Question: Quel est l'immeuble du centre sportif, là où l'on voit le champ?

14 Réponse: Sur la gauche, à l'extrême gauche, vers le bas avec le toit

15 rouge, c'est donc le centre sportif municipal. Avant cela nous avons vu ce

16 centre Krings où les gens ont été emprisonnés le jour de l'offensive

17 contre Sanski Most et on a également utilisé le centre sportif pour y

18 emprisonner des personnes de Mahala, de Muhici et d'Otoci, tout cela le 27

19 mai 1992.

20 Question: Est-ce qu'on peut continuer à voir la séquence? Est-ce qu'on

21 peut s'arrêter là un instant?

22 Réponse: Ca c'est l'arrondissement de Mahala depuis le grand magasin

23 jusqu'à la mosquée; la mosquée se trouve à l'entrée de ce quartier, donc

24 c'est un quartier, le quartier de Mahala, qui est sur la rive gauche de la

25 rivière Sana, du fleuve Sana.

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1 Question: Et qu'est devenue cette mosquée? On le sait, cette photographie

2 a été prise l'année passée, mais pendant la période dont nous parlons

3 qu'est-il arrivé à cette mosquée?

4 Réponse: Eh bien, la mosquée que l'on voit ici est une nouvelle mosquée

5 qui a été construite après 1997 ou 1998. Auparavant il y avait une autre

6 mosquée en cet endroit qui a été détruite par les forces armées de la 6e

7 Brigade de la Krajina.

8 Question: Le 27 mai, pour la première fois, ils ont tenté de la détruire

9 grâce à des engins explosifs mais la destruction a en fait eu lieu en

10 trois phases. La mosquée a été entièrement détruite, tous les débris ont

11 été entièrement enlevés et cela a été transformé, le terrain a été

12 transformé en aire de stationnement.

13 Question: J'aimerais juste vous demander, vous poser une autre question

14 concernant les mosquées et les édifices religieux. Combien de mosquées

15 comptait Sanski Most en mai 1992?

16 Réponse: Dans la municipalité de Sanski Most, on comptait en tout 27

17 mosquées et toutes ces mosquées ont été détruites de fond en comble, ainsi

18 que 4 églises catholiques.

19 Question: Et dans la ville même de Sanski Most, combien de mosquées y

20 avait-il? Une seule mosquée ou davantage?

21 Réponse: Nous n'avions qu'une seule mosquée en ville, la mosquée

22 Hanzibegova.

23 Question: Et y avait-il des églises catholiques à Sanski Most?

24 Réponse: Oui, nous avions également une église catholique dans la rue

25 Banja Luka, à proximité immédiate de l'école primaire.

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1 Question: Très bien. Poursuivons. Excusez-moi, pourriez-vous s'il vous

2 plaît arrêter l'image, revenir en arrière? Merci, merci. Le pont, je veux

3 voir le pont. C'est un pont et de l'autre côté du pont, on voit l'endroit

4 où se trouvait l'hôtel Sanus.

5 Réponse: L'hôtel Sanus se trouve de l'autre côté du pont, tout de suite à

6 droite. Dès que l'on a passé le pont, on tombe sur l'hôtel. Sur l'autre

7 côté à gauche, on voit un grand magasin Sajnanka.

8 Question: Très bien. Poursuivons.

9 (Suite de la diffusion de la vidéo.)

10 Réponse: Stop. A droite, en bas, on voit l'école primaire, elle s'appelle

11 Hasan Kikic. Ici aussi il y a eu des hommes enfermés, des Musulmans et des

12 Croates. C'étaient des citoyens de la municipalité de Sanski Most.

13 A droite, derrière l'école, dans le gymnase, là aussi ces hommes ont été

14 maltraités. Après on les emmenait de cette école et on les conduisait à

15 Manjaca.

16 Question: Très bien. Continuez à diffuser la cassette, s'il vous plaît.

17 (Suite de la diffusion de la vidéo.)

18 Réponse: Stop. Ici, vous voyez l'église orthodoxe serbe au centre. Cette

19 église est totalement intacte, elle n'a absolument pas été touchée.

20 Question: Très bien. Continuez.

21 (Suite de la diffusion de la vidéo.)

22 Réponse: C'est Betonirka.

23 Question: Stop.

24 Réponse: Avancez encore un petit peu parce qu'on pourrait voir les

25 garages, c'est là qu'il y avait des détenus que l'on a soumis à de mauvais

Page 4999

1 traitements. Avancez encore un petit peu, s'il vous plaît.

2 Question: Avancez, s'il vous plaît.

3 (Suite de la diffusion de la vidéo.)

4 Réponse: Stop. Tout à fait en bas, dans l'angle gauche, on peut voir trois

5 portes, ce sont des garages en béton. Le 26 autrement dit, ainsi que le

6 27, donc le 26 c'était la veille de l'attaque, puis le lendemain aussi

7 c'est là qu'il y a eu des Bosniens et des Croates qui ont été enfermés

8 dans ces trois garages. Environ 150 personnes se sont retrouvées

9 enfermées, on a torturé ces hommes, on les a passés à tabac.

10 Question: Je vous interromps, excusez-moi. Nous allons entendre d'autres

11 témoins à ce sujet. Je voudrais savoir à présent où se trouvait le poste

12 de police par rapport à ces garages que vous venez de nous montrer?

13 Réponse: Est-ce qu'on peut avancer s'il vous plaît?

14 (Diffusion de la cassette vidéo.)

15 Réponse: Revenez s'il vous plaît. Stop. Le poste de police se trouvait à

16 gauche, un peu au-dessus du milieu de l'écran. Vous voyez les deux parties

17 qui constituent ce commissariat de police. La prison, en fait les pièces

18 qui constituent la prison longent le mur tout à fait à gauche et jouxtent

19 le stade de football. On peut voir une surface grise, c'est la prison et

20 en parallèle avec le bâtiment on voit un entrepôt où était entreposé des

21 armes et l'équipement, car c'est là également qu'étaient situés le

22 commandement du quartier général de la Défense territoriale et le

23 commandement de la 6e Brigade de la Krajina. Ce commandement a été déplacé

24 à partir du moment où l'attaque a été lancée sur les collines.

25 Question: C'est le stade de football dont vous avez parlé que nous voyons

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1 juste derrière, à gauche sur l'image?

2 Réponse: C'est cela, c'est cela.

3 Question: Avancez.

4 (Diffusion de la cassette vidéo.)

5 Réponse: Ici on le voit le mieux. Stop, s'il vous plaît. Est-ce qu'on peut

6 revenir en arrière un l'instant?

7 (Diffusion de la cassette vidéo.)

8 Stop. Voilà. Maintenant on peut voir. On voit le bâtiment le plus haut,

9 c'était le bâtiment de la Défense territoriale serbe. Et c'est là que se

10 trouvait également l'émetteur radio et puis dans le prolongement c'est la

11 police, au rez-de-chaussée il y a un hall et la prison, comme je l'ai déjà

12 expliqué, et la partie un peu plus basse en direction du stade de foot. Et

13 la partie un peu plus élevée c'est là qu'étaient déposés les armes et

14 l'équipement.

15 Question: Très bien. Avançons s'il vous plaît.

16 (Diffusion de la cassette vidéo.)

17 J'attends Monsieur le Président, je pense qu'il y a une autre partie. Très

18 bien, merci beaucoup.

19 Réponse: Oui.

20 Question: Ces images que nous voyons à présent, cela nous montre la zone,

21 vers quelle direction si vous pouvez nous le dire?

22 Réponse: Il me semble que c'est en direction de Tomina et du pont de

23 Vrhponska (Vrhpolje).

24 Question: Je pense que nous pouvons continuer à visionner le film, ce

25 n'est pas très long je pense, juste une minute.

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1 (Diffusion de la cassette vidéo.)

2 Réponse: C'est l'agglomération de Tomina. Ici on voit la route principale

3 qui va de Sanski Most vers Kljuc, donc à droite et à gauche on voit

4 l'agglomération de Tomina. Au fond ou plutôt à la fin de cette route,

5 normalement on devrait voir un pont sur la rivière Sana dans la localité

6 de Vrhpolje et c'est là qu'il y a eu des crimes commis. Ca c'est le pont

7 dont je suis en train de parler.

8 Question: Peut-on arrêter l'image ici, s'il vous plaît? Nous apprendrons

9 plus tard que vous étiez présent au moment des exhumations à côté du pont.

10 Où est-ce qu'on a trouvé des tombes?

11 Réponse: Si vous me le permettez, une précision. Ce chemin que l'on voit

12 sur la gauche eh bien, ça c'est le chemin que nous avons emprunté

13 lorsqu'on nous a emmenés à Manjaca donc à partir de cette intersection.

14 Quant à votre question, je peux vous répondre en disant que c'est un pont

15 récent qui a été construit après la guerre, l'ancien pont a été détruit en

16 septembre 1995, ce sont des forces armées serbes qui l'ont détruit. Sous

17 le pont qui ressemblait énormément à celui-ci que l'on voit aujourd'hui,

18 nous avons découvert et nous avons exhumé deux charniers. Il s'agissait de

19 civils qui ont été tués, de civils de Vrhpolje, Hrustovo, Kljevci.

20 Un charnier a été retrouvé et exhumé à droite du pont, tout de suite sous

21 le pont, immédiatement sous le pont. Quant à l'autre charnier, il a été

22 trouvé à gauche du pont, tout de suite à gauche sous le pont. Un troisième

23 charnier sur le même site a été trouvé en aval, à environ 150 mètres du

24 pont sur la rive droite.

25 Question: Oui, très bien. Merci Monsieur. Nous pouvons arrêter de

Page 5002

1 visionner ce film à présent. C'est la pièce P447, Monsieur le Président,

2 mon assistante Mme Gustin est en train de me le faire remarquer.

3 Monsieur le Juge, je voudrais que nous parlions à présent de Manjaca.

4 C'est le 17 juin que vous avez été emmené là-bas. Vous faisiez partie d'un

5 groupe de combien de personnes?

6 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, il s'agissait d'un camion à ce

7 moment-là. J'ai été emmené de ma cellule avec M. Ismet Jakupovic et le

8 camion nous attendait devant Betonirka. On m'a appelé par mon nom, c'était

9 l'un de mes ex-collègues, un juriste, qui travaillait au SUP, Drago

10 Vojnic. C'est lui qui portait les listes. Lorsqu'on nous a fait sortir de

11 la cellule, il m'a ordonné de regarder par terre et de placer mes mains

12 derrière le dos. Il y avait deux hommes armés qui m'ont escorté alors que

13 deux autres soldats ont escorté M. Ismet Jakupovic, nous sommes passés par

14 le couloir et lorsque nous sommes sortis du bâtiment de la police, il y

15 avait des hommes alignés, c'étaient des policiers, des civils, des

16 militaires. C'était affreux.

17 Ils nous ont emmenés à une distance de 150 mètres pour atteindre

18 l'enceinte de Betonirka. J'ai demandé à Drago: "Où est-ce que vous nous

19 emmenez?" Il m'a répondu: "Vous verrez". Quand nous sommes arrivés au

20 camion, il nous a ordonné de monter dedans, dans le camion. Il y avait 22

21 ou 23 Bosniens, pour la plupart c'étaient des hommes que je connaissais,

22 des intellectuels ou bien des gens qui avaient chacun un commerce privé,

23 des entrepreneurs.

24 Question: Très bien. Continuez.

25 Réponse: Eh bien, tout cela, c'étaient des hommes qui étaient en vue dans

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1 la ville de Sanski Most et dans les environs. Nous étions 23 en tout.

2 Question: L'un quelconque de ces hommes portait-il un uniforme quelconque

3 de quelque forme que ce soit?

4 Réponse: Personne, absolument personne.

5 Question: L'un quelconque de ces hommes a-t-il fait l'objet de charge lui

6 reprochant un délit ou un acte criminel?

7 Réponse: Non, personne. Autrement dit, aucun de ces hommes n'a jamais reçu

8 une charge quelconque formulée à son encontre par écrit.

9 Question: L'un quelconque de ces hommes, pour autant que vous le sachiez,

10 a-t-il été impliqué dans une forme quelle qu'elle soit de résistance à

11 l'encontre des Serbes du SDS, de la 6e Brigade de la Krajina ou du SOS?

12 Réponse: Aucun.

13 Question: On vous a emmenés à Manjaca, je voudrais maintenant que nous

14 voyions ce qui s'est passé lorsque vous êtes arrivé à Manjaca. Je voudrais

15 savoir si avant d'y arriver, vous aviez entendu parler de Manjaca?

16 Réponse: Premièrement une fois montés dans ce camion, j'ai pu voir que les

17 hommes qui étaient autour de moi, portaient des blessures sur le visage,

18 qu'on les avait passés à tabac, qu'ils en avaient des traces sur le corps.

19 Une fois que la bâche a été baissée et que le camion est parti, on ne

20 savait pas si on allait être tué, si on allait être ramené chez nous. On

21 l'ignorait totalement.

22 Question: Je voudrais savoir si vous connaissiez Manjaca, si vous saviez

23 si c'était une sorte de centre de détention militaire ou bien si c'était

24 un polygone d'entraînement militaire. Je voudrais savoir si même avant

25 votre arrestation, vous en aviez entendu parler?

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1 Réponse: Oui, oui, je savais pas mal de choses car Manjaca était un

2 terrain d'entraînement important qui appartenait à la JNA, c'était l'un

3 des terrains d'entraînement les plus importants de l'armée, c'était un

4 polygone qui couvrait une vaste zone environ 40 km², située à environ 30

5 km de Banja Luka ou à environ 40 km de Sanski Most ou un peu moins entre

6 les municipalités de Banja Luka, de Sanski Most, de Kljuc et de Mrkonjic

7 Grad.

8 Question: Très bien. On vous a donc emmené par camion, on vous a emmenés

9 au camp. Que vous est-il arrivé une fois arrivés au camp?

10 Réponse: Une fois arrivés, ils ont enlevé la bâche et ils se sont mis à

11 nous appeler par notre nom. En fait, c'est Vujanic Drago qui nous appelait

12 par notre nom, c'est lui qui portait les listes et il nous demandait de

13 descendre. Or, on pouvait déjà entendre les soldats, les militaires et la

14 police. A chaque fois que l'un d'entre nous descendait du camion on se

15 mettait à le frapper, à lui asséner des coups violents. Chacun d'entre

16 nous, au moment où il descendait, se faisait frapper.

17 En fait, ils portaient des bâtons en bois et lorsque nous étions tous

18 descendus ils nous ont ordonné de placer nos mains derrière notre dos, de

19 regarder par terre. On n'avait pas le droit de lever le regard. On devait

20 passer entre des militaires et des policiers alignés qui nous assénaient

21 des coups.

22 Question: Tout d'abord, vous avez dit qu'ils étaient déjà munis de bâton

23 en bois, ont-ils utilisé d'autres instruments pour vous frapper, pour vous

24 frapper vous ainsi que vos codétenus?

25 Réponse: Ils nous ont donné des coups avec des massues, des crosses de

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1 fusil, des coups de pied de botte, des fils électriques. Chacun d'entre

2 nous a été passé à tabac et violemment. Après, ils nous ont fait rentrer à

3 l'intérieur, enfin de l'autre côté de la clôture. Ils nous ont forcés à

4 l'intérieur dans des sortes d'étable et lorsque nous sommes rentrés à

5 l'intérieur de l'une de ces étables, ils nous ont dit que l'on pouvait

6 redresser la tête et jeter un coup d'œil autour de nous.

7 Question: Avant d'aborder cela, vous dites que c'est Drago qui vous

8 appelait par votre nom, que c'est lui qui avait les listes. Au moment où

9 votre nom a été prononcé, quelqu'un a réagi? Est-ce qu'il y a eu une

10 réaction quelconque?

11 Réponse: Oui, tout à fait, lorsqu'il a prononcé mon nom à ce moment-là ils

12 se sont jetés sur moi et ils ont dit: "Voilà un autre Draganovic qui nous

13 arrive". J'ai eu peur, encore plus qu'avant mais je me suis dit que

14 vraisemblablement il devait y avoir d'autres personnes qui portaient le

15 même nom de famille, des parents.

16 Question: La plupart de vos parents vivaient à quel endroit?

17 Réponse: Je dois dire que je suis né sur le territoire de la municipalité

18 de Kljuc à Hadzici ou plutôt Pudin Han, c'est là que vivaient mes parents,

19 enfin des membres de ma famille.

20 Question: Très bien. Vous nous avez dit que l'on vous a emmenés dans des

21 étables, et que s'est-il passé à partir du moment où vous êtes arrivés à

22 cet endroit?

23 Réponse: Si vous me le permettez, il faut que je commence par le début.

24 Nous sommes rentrés dans une première étable et à ce moment-là ils nous

25 ont dit que l'on pouvait regarder les autres qui avaient été amenés à cet

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1 endroit avant nous; et on a vu qu'ils étaient morts et ils nous ont dit

2 qu'il allait nous arriver la même chose qu'à eux. J'ai vu que ces gens

3 avaient la tête rasée, qu'ils étaient pieds nus, qu'ils étaient allongés

4 par terre, d'un côté de l'étable dans un box et également de l'autre côté

5 de l'étable, dans un box. Ils étaient assez nombreux. Il y en avait peut-

6 être 200. Alors j'ai jeté un coup d'œil et j'ai vu qu'ils étaient tous

7 allongés par terre, au sol et la tête tournée vers le bas, les mains

8 derrière le dos mais en haut et c'était comme des bûches de bois. Ils se

9 sont remis à nous asséner des coups.

10 Puis on est allés dans une autre étable. Une fois entrés dedans ils ont

11 ordonné de nouveau que l'on s'arrête et qu'on lève le regard. On a donc pu

12 regarder et j'ai vu la même chose, j'ai vu des gens la tête rasée, les

13 pieds nus, pratiquement sans aucun vêtement. Ils étaient allongés ventre à

14 terre et ils avaient eux aussi les mains redressées en haut et ils étaient

15 alignés comme des sardines dans une boîte.

16 Ils nous ont fait passer dans une autre étable. Tout cela se faisait en

17 courant. Ils continuaient à nous battre. Ils étaient plusieurs d'un côté

18 et de l'autre des détenus. Puis ils nous ont emmenés dans une pièce. Plus

19 tard, je devais apprendre que cette pièce était une cellule d'isolement,

20 c'est là qu'ils gardaient, enfin que des chevaux avaient été gardés et se

21 trouve en bas par rapport aux étables, au camp n°1. Donc c'étaient des

22 écuries. C'est là qu'ils nous ont fait rentrer dans cette écurie.

23 Ils ont continué à nous donner des coups et ils nous ont ordonné de nous

24 allonger par terre. En fait c'était un sol en béton. On n'avait pas le

25 droit de relever la tête. Ils nous ont dit de mettre les mains dans le dos

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1 et ils ont continué à nous frapper et ce passage à tabac a duré une heure,

2 peut-être deux. Ensuite, ils nous ont laissés, et ils sont repartis pour

3 se changer.

4 En fait, ils nous ont d'abord fouillés. On a dû sortir l'argent que l'on

5 avait sur nous, tout ce qu'on avait dans nos poches. Ils ont pris l'argent

6 de chacun d'entre nous. Ils ont dit que s'ils allaient trouver de l'argent

7 sur l'un d'entre nous qu'ils allaient tuer cette personne. Moi j'avais de

8 l'argent sur moi. J'avais des billets qui étaient cousus dans ma culotte

9 et pendant la fouille j'ai déchiré ma culotte, j'ai sorti les billets et

10 j'ai placé l'argent dans une main qui était donc derrière mon dos et c'est

11 comme cela qu'ils ont pris l'argent à chacun d'entre nous.

12 Puis, ils nous ont dit encore une fois de nous allonger sur le béton. Ils

13 sont partis se changer, mais la pluie s'était mise à tomber, ils étaient

14 donc un petit peu mouillés ou ils ont transpiré à force de donner des

15 coups, mais ils sont revenus le même soir, ils se sont remis à nous

16 battre. Je n'arrive pas à trouver les mots qu'il faut pour décrire cela.

17 Durant cette première nuit, à plusieurs reprises, ils sont revenus et ils

18 nous ont passé à tabac, tous. Ils ont frappé à l'aide de bâtons en bois

19 dont ils s'étaient munis auparavant. C'étaient des bâtons qui avaient 1,5

20 mètre environ de long et de 5 à 10 centimètres d'épaisseur à peu près.

21 Puis avec des câbles électriques qui avaient environ 5 centimètres de

22 diamètre et 1 mètre de long environ. Puis ils avaient toutes sortes de

23 matraques, c'était aussi des objets divers.

24 Question: Je vous arrête ici. Qui est-ce qui vous battait?

25 Réponse: Il s'agissait de membres de la police militaire, des gens en

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1 uniforme et nous n'avions pas le droit de les regarder pendant qu'ils nous

2 battaient, mais pendant ces coups, c'est-à-dire pendant qu'on nous

3 assénait ces coups, il nous arrivait de tomber, de nous retourner et bien

4 sûr qu'on les voyait, on voyait qu'il s'agissait de soldats, qu'ils

5 avaient des uniformes militaires avec des ceinturons blancs et qu'ils

6 portaient des insignes de la police militaire.

7 Question: Est-ce que vous étiez en mesure de dire s'il y avait des

8 officiers là-bas ou s'il s'agissait de simples policiers de l'armée? Si

9 vous ne pouvez pas le dire, ne le dites pas.

10 Réponse: Je ne sais pas, parce que nous n'osions pas trop regarder. Si

11 vous me laissez dire, j'ajouterai que cette nuit-là ou éventuellement la

12 nuit d'après, après tous ces passages à tabac, il nous a fallu nous mettre

13 là-bas et ils nous faisaient tomber un par un en nous frappant dans le

14 dos. Le soldat qui nous assénait des coups prenait un certain élan et nous

15 donnait des coups de karaté, des "mae geri",dans le dos et ce type de

16 coups, je vous assure que je les sens de nos jours encore.

17 Question: Bien, vous vous étiez trouvé à Manjaca jusqu'au mois de

18 décembre, me semble-t-il, de l'année 1992, n'est-ce pas?

19 Réponse: C'est cela, jusqu'au 14 décembre 1992.

20 Question: Je voudrais que nous parlions à présent de différents aspects de

21 la vie à Manjaca, pendant cette période, la période que vous avez passée

22 là-bas? Tout d'abord, je voudrais que nous parlions des passages à tabac.

23 Vous avez décrit ce qui vous était arrivé la première nuit, par la suite

24 vous est-il arrivé d'être battu encore?

25 Réponse: Dans cette cellule d'isolement avec le groupe en question j'ai

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1 passé six, sept ou huit jours, je ne me souviens plus exactement et toutes

2 les nuits, tous les jours on se faisait tabasser, tous. Puis, ils

3 faisaient se lever deux ou trois d'entre nous, la nuit pour nous battre

4 vers deux heures, trois heures du matin et j'ai fait partie du lot deux ou

5 trois fois.

6 On m'a donc fait me lever, et on me battait par exemple une demi-heure ou

7 une heure, 45 minutes. Ils étaient cinq et parmi eux je sais qu'il y avait

8 trois membres de la police militaire. Il y avait un soldat qui portait un

9 uniforme de camouflage et un casque sur la tête. Sur ce casque, il y avait

10 encore un élément de camouflage et il nous battait. L'un d'entre eux nous

11 battait avec un câble électrique. Un deuxième nous battait avec une espèce

12 de matraque. Deux d'entre eux nous assénaient des coups de botte dans

13 l'estomac, dans la poitrine, la bouche, et le petit soldat c'est celui qui

14 battait le plus fort, lui il donnait des coups de poing dans la région du

15 cœur. Il assénait ces coups en demandant d'abord de se mettre au garde-à-

16 vous, de passer les mains derrière le dos et il assénait ces coups en

17 rafale, comme un boxeur dans la zone du cœur.

18 J'ai reçu cette fois-là plus de 20 coups et pendant qu'il les assénait,

19 les autres battaient en même temps. Je suis tombé sur le béton à plusieurs

20 reprises, puis je me suis relevé, je ne sais comment d'ailleurs, quand on

21 tombe, on se fait battre davantage encore parce qu'ils enfoncent leurs

22 bottes, ils enfonçaient leurs bottes, je ne sais pas comment j'ai survécu

23 à cette nuit-là. Cela s'est passé une fois et la deuxième fois ils étaient

24 trois.

25 Question: Oui. Et s'agissant de cette période de six mois ou presque,

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1 avez-vous été battu à nouveau de cette manière-là?

2 Réponse: Lorsque nous sommes sortis de cette cellule d'isolement, il y a

3 eu plusieurs passages à tabac quand j'étais à l'écurie, une fois avec un

4 certain Popovic qui était policier dans l'armée, qui m'avait donné des

5 coups de poing sur la figure. Il y a eu plusieurs appels dans le courant

6 de la nuit, mais il ne s'agissait pas de mon nom seul, on avait cité le

7 nom d'autres personnes encore.

8 Question: Est-ce que ces passages à tabac ont eu lieu pour ce qui vous

9 concerne sur une base quotidienne ou sur une base hebdomadaire ou est-ce

10 que cela arrivait ça et là?

11 Réponse: Si vous parlez de ma personne seulement, je puis vous dire

12 qu'après cela j'ai été battu peut-être encore quatre ou cinq fois et puis

13 je n'ai plus été battu, mais il y a eu des gens qui ont été tabassés bien

14 plus que moi-même. Il y a eu des gens qui sont morts suite aux passages à

15 tabac.

16 Question: Je ne vais pas vous poser de questions au sujet de ces

17 personnes. Je vais me concentrer sur vous. Quand ces passages à tabac se

18 sont-ils arrêtés pour ce qui vous concerne, combien de temps après votre

19 arrivée plus ou moins?

20 Réponse: Lorsque je me trouvais dans cette cellule d'isolement, on nous

21 emmenait pour interrogatoire hors de cette enceinte vers le poste de

22 commandement et après l'interrogatoire, l'officier qui était chargé de

23 recueillir nos dépositions, m'avait demandé si nous avions été battus et

24 moi, ma figure, mon corps étaient déjà noirs ou assombris de coups et j'ai

25 dit que je n'avais pas été battu. Est-ce que vous pouvez reposer l'autre

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1 segment de votre question?

2 Question: Ecoutez, oui je vous comprends. Ce sera ma dernière question

3 pour le moment. Vous avez dit que vous avez été battu à plusieurs reprises

4 et je voulais savoir combien de temps après votre arrivée au camp, étant

5 donné que vous avez été battu cinq ou six fois, combien de temps après

6 votre arrivée au camp, les passages à tabac ont-ils stoppé? Etait-ce au

7 bout d'une semaine, au bout de deux semaines ou bout d'un mois?

8 Réponse: Je crois qu'au bout de 60 jours, il n'y a plus eu de passages à

9 tabac dans ce camp, et que je n'ai pas été tabassé. Mais ces 60 premières

10 journées avaient été terribles pour nous tous.

11 Question: Juste une petite question encore. Vous avez décrit que vous avez

12 dit que vous étiez noir ou que vous aviez le visage et le corps noircis de

13 coups. Est-ce que vous avez des blessures qui sont la résultante, ou des

14 séquelles qui sont la résultante de ces passages à tabac?

15 Réponse: J'ai eu des lésions de la colonne vertébrale, puis j'ai eu des

16 dents, deux dents de cassées. J'ai eu des blessures sur le visage puis aux

17 jambes. J'avais les jambes enflées, la circulation sanguine était très

18 mauvaise. J'ai eu une lésion au niveau du rein gauche. J'ai eu des lésions

19 au niveau du thorax. C'étaient donc les lésions que j'avais subies.

20 Question: Je voudrais vous demander si vous avez demandé des soins

21 médicaux, mais je crois que vous, je voulais aussi vous demander si vous

22 aviez encore des séquelles dont vous souffrez de nos jours encore?

23 Réponse: Oui, je ressens la chose de nos jours encore. Il s'agit notamment

24 de traumatismes psychiques qui sont présents de nos jours encore et qui

25 datent de l'époque. Cela réapparaît, cela se manifeste de temps en temps,

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1 je ressens encore des douleurs au niveau des articulations. J'ai des

2 douleurs fréquentes ou permanentes au niveau de la colonne vertébrale.

3 Lorsque je respire, lorsque j'inspire profondément et lorsque j'essaie de

4 retenir ma respiration; c'est alors que je sens que l'air quitte quand

5 même les poumons.

6 Mme Korner (interprétation): Merci.

7 M. le Président (interprétation): Eh bien, Monsieur le Juge, nous allons

8 nous arrêter là pour aujourd'hui. Cela vous permettra de vous reposer et

9 nous allons reprendre nos travaux demain à 2 heures 15 dans cette même

10 salle d'audience.

11 Mme Chen (interprétation): Une petite correction, j'ai été informé que

12 l'audience relative à la requête fixée par le Juge Schomburg allait avoir

13 lieu dans la salle d'audience II au lieu de la Chambre I.

14 Mme Korner (interprétation): Est-ce que c'est une information définitive?

15 M. le Président (interprétation): Oui, je crois que c'est définitif. Il y

16 a eu plusieurs informations, mais de toute manière nous allons reprendre

17 l'audience du témoignage de ce témoin à 2 heures et quart.

18 Merci Monsieur le Témoin.

19 (Le témoin NC est reconduit hors du prétoire.)

20 (L'audience est levée à 18 heures.)

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