Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 6113

1 (Mardi 28 mai 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 02.)

3 (Audience publique.)

4 (Le témoin, M. Mirzet Karabeg, est déjà dans le prétoire.)?

5 M. le Président (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-99-36-T, et du

6 procès du Procureur contre Radoslav Brdanin et Momir Talic.

7 Bonjour, Monsieur Brdanin. M'entendez-vous dans une langue que vous

8 comprenez?

9 M. Brdanin (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je vous comprends

10 et je vous entends dans une langue que je connais.

11 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur Talic. M'entendez-vous

12 dans une langue que vous comprenez?

13 M. Talic (interprétation): Bonjour Mesdames et Monsieur les Juges. Je vous

14 entends dans une langue que je comprends.

15 M. le Président (interprétation): Monsieur Talic, vous pouvez vous

16 asseoir.

17 Le Bureau du Procureur?

18 M. Cayley (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président.

19 Andrew Cayley et, pour le Bureau du Procureur, Denise Gustin.

20 M. le Président (interprétation): Et pour la défense?

21 M. Ackerman (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je suis John

22 Ackerman, assisté de Mme Tanja Radosavljevic.

23 M. le Président (interprétation): Il semble que l'on ait confondu votre

24 nom et votre sexe, ce matin.

25 Bonjour, Monsieur le Témoin. Eh bien, nous allons poursuivre votre

Page 6114

1 audition en tant que témoin ce matin. Et, avant de ce faire, j'aimerais

2 vous demander de répéter votre déclaration solennelle comme vous l'avez

3 fait hier matin.

4 M. Karabeg (interprétation): Je jure de dire la vérité, toute la vérité et

5 rien que la vérité.

6 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Vous pouvez vous

7 asseoir.

8 Monsieur Cayley, vous pouvez commencer.

9 Madame Fauveau?

10 Mme Fauveau: J'ai revu hier la déclaration du témoin 7.76, qui concerne le

11 meurtre à Skrljevita. Pour ce qui me concerne, ces déclarations concernent

12 certaines informations que nous ne reconnaissons pas. Donc je voudrais

13 bien que le témoin apparaisse.

14 Si, toutefois, le Procureur préfère introduire la déclaration en

15 application de l'Article 92bis, je demanderai que le témoin soit présent

16 pour le contre-interrogatoire.

17 M. le Président (interprétation): Monsieur Cayley, est-ce que cela dépend

18 de vous ou est-ce que cela dépend de Mme Korner?

19 M. Cayley (interprétation): Je peux effectivement m'occuper de cela, nous

20 allons appeler le témoin, mais je reviendrai sur l'ordre des témoins.

21 Parce que ce témoin 7.76 était le témoin suivant sur la liste après celui-

22 ci. Nous allons réorganiser cette liste, je vous fournirai une liste

23 définitive à la fin de la journée d'aujourd'hui.

24 M. le Président (interprétation): Si nécessaire… non, de toute façon, nous

25 y reviendrons plus tard. Donc le témoin comparaîtra.

Page 6115

1 Eh bien, vous pouvez poursuivre votre interrogatoire du témoin. Je vous

2 remercie.

3 (Interrogatoire principal du témoin, M. Mirzet Karabeg, par M. Cayley.)

4 M. Cayley (interprétation): Je vous remercie.

5 Je voudrais, Monsieur Karabeg, vous rappeler simplement le point où nous

6 en étions, hier. Nous avions atteint le 19 avril 1992, et vous aviez

7 commencé à nous parler de l'ultimatum que vous aviez reçu émanant de M.

8 Rasula.

9 Pouvez-vous indiquer aux Juges ce qui s'est passé, quelle a été la

10 succession des événements à partir du moment où vous avez reçu cet

11 ultimatum, et ce que vous avez fait?

12 M. Karabeg (interprétation): Le 19 avril 1992, aux environs de 21 heures

13 30, Rasula a appelé Suad Sabic et a dit qu'il lançait un ultimatum, et

14 que, pour 22 heures, il fallait que nous sortions de l'immeuble, que nous

15 nous rendions dans l'immeuble et que nous déposions nos armes, que nous

16 nous rendions et qu'il ne nous arriverait rien. Mais, si nous ne faisions

17 pas cela, alors, l'immeuble de la municipalité serait attaqué.

18 Nous avons accepté l'ultimatum, de réfléchir aux options qui étaient

19 ouvertes à nous. Nous étions aux fenêtres, et nous avons pu voir par les

20 fenêtres des mouvements à la droite de l'immeuble. Et il a dit que, venant

21 de la direction de Cedovac(?), une longue colonne de véhicules était en

22 route. Alors, nous savions qu'il s'agissait du colonel Basara de Lusci

23 Palanka avec la 6e Brigade de la Krajina qui était en garnison là-bas.

24 Nous avons donc, à ce moment-là, accepté de sortir par une issue de côté

25 et nous nous sommes, pour la plupart, dirigés vers Cedovac(?) qui était le

Page 6116

1 village le plus proche de Sanski Most. Et le reste, un petit village qui

2 s'appelle Gornja Mahala ou le "haut Mahala".

3 Question: Nous aimerions montrer la pièce 757.2 qui est la gare de Sanski

4 Most. Pendant que l'on fait cela, je vais vous poser une question.

5 Vous avez dit dans votre témoignage: "Et il a dit venant de la direction

6 de Djedovaca"; mais qui a dit cela?

7 Réponse: Sara Edzi(?), une personne qui était à la fenêtre et qui pouvait

8 voir cette colonne de véhicules.

9 Question: La carte est projetée: avez-vous, vous-même, vu cette colonne de

10 véhicules?

11 Réponse: Oui, effectivement, je l'ai vue.

12 Question: Vous étiez à Sanski Most. Pouvez-vous nous montrer d'où venait

13 cette colonne de véhicules?

14 Réponse: La colonne de véhicules venait de la direction de Lusci Palanka.

15 Et donc, elle suivait la route normale de Lusci Palanka, Miljevci, Gorica,

16 Naprelj, Kamengrad, Donje Kamengrad et Prodbrijezje. Mais, entre temps,

17 une colonne arrivait de l'autre direction de Lusci Palanka, vers

18 Jelasinovci, Stanici, Djedovaca et Sanski Most.

19 La carte, en fait, ne montre pas cette route. Lusci Palanka vers

20 Jelasinovci, Gornji Dabar et Sanski Most.

21 Question: A quel moment avez-vous été en mesure d'observer ces véhicules,

22 à quel point sur la route?

23 Réponse: Nous avons pu apercevoir la colonne de véhicules peut-être cinq

24 minutes après avoir reçu l'ultimatum.

25 Question: A quelle distance de Sanski Most se trouvait cette colonne de

Page 6117

1 véhicules, quand vous les avez aperçus pour la première fois?

2 Réponse: Cette colonne était à une distance d'à peu près deux kilomètre de

3 Sanski Most. Donc il y a une colline, et les véhicules descendaient la

4 colline vers la vallée de Sanski Most.

5 Question: La colonne était à 2.000 mètres de l'endroit d'où vous

6 observiez, est-ce exact, approximativement?

7 Réponse: Oui, approximativement.

8 Question: A quelle hauteur par rapport au sol vous trouviez-vous lorsque

9 vous avez aperçu cette colonne?

10 Réponse: Je me tenais au premier étage du bâtiment municipal; il y a donc

11 le rez-de-chaussée et le premier étage.

12 Question: Vous nous dites que vous saviez que c'était la 6e Brigade.

13 Pourquoi est-ce que vous et les autres avez-vous conclu qu'il s'agissait

14 d'une colonne de la 6e Brigade qui se dirigeait sur Sanski Most?

15 Réponse: Eh bien, une colonne aussi importante ne pouvait pas être autre

16 chose qu'une colonne militaire, et donc de la 6e Brigade. Nous étions à

17 99% persuadés, dès lors, que cette colonne suivait une autre route par

18 Djedovaca, par des voies détournées pour arriver sur Sanski Most.

19 Question: Bien, vous avez indiqué dans votre témoignage que vous vous êtes

20 finalement retiré du bâtiment pour vous rendre à Sehovci. Savez-vous ce

21 qui s'est passé avec cet immeuble municipal, une fois que vous l'avez

22 quitté?

23 Réponse: Eh bien, après notre départ, vers à peu près 22 heures, nous

24 avons entendu des tirs d'artillerie et des explosions parce que le village

25 de Sehovci est à deux ou trois kilomètres de Sanski Most. Et le village de

Page 6118

1 Podlug aussi, qui fait face au village de Sehovci. Nous avons aussi

2 entendu des tirs, des explosions, et des expressions insultantes pour les

3 Croates et les Bosniens

4 Question: Pouvez-vous nous montrer sur la carte le village de Sehovci, à

5 proximité de Sanski.

6 Réponse: Oui, je le vois, il est ici. Et Podlug est ici.

7 Question: Donc, je sais que plus tard vous avez pu apercevoir l'immeuble

8 municipal, nous y reviendrons tout à l'heure. J'aimerais passer au jour

9 suivant, le 20 avril 1992: que s'est-il passé ce jour?

10 Réponse: Eh bien, après être arrivés à Sehovci, nous y avons passé la

11 nuit. Aux alentours de 7 heures du matin, 7 heures 5 minutes, Rasula nous

12 a téléphoné. En termes plus pratiques, il a appelé Redzo Kurbegovic, et il

13 a dit que nous devions nous rendre au bâtiment municipal de Sanski Most

14 pour des discussions, à midi précise, et que le général Talic serait aussi

15 présent.

16 Question: Vous êtes-vous rendus à cette réunion?

17 Réponse: Eh bien, oui, nous nous y sommes rendus. Mais je voulais dire que

18 nous avons refusé l'invitation car il a dit qu'il viendrait nous chercher

19 et que leur police nous escorterait. Nous avons donc répondu que nous nous

20 n'y rendrions pas si nous n'étions pas escortés par notre propre police

21 désignée et nommée légalement. Nous ne sommes pas arrivés à un accord et,

22 à 8 heures du matin, Rasula nous a rappelés, nous a dit qu'il était

23 d'accord, que nous pouvions venir accompagnés et escortés par notre propre

24 force de police, la police régulière.

25 Nous avons alors accepté, et nous nous sommes rendus à cette réunion à

Page 6119

1 laquelle nous avons participé.

2 Question: Peut-on donner au témoin la pièce 759 qui se trouve dans le

3 dossier des Juges?

4 (Intervention de l'huissier.)

5 Pouvez-vous chercher et montrer la page exacte du document?

6 Monsieur le Témoin, il s'agit là du journal que nous avons examiné, hier.

7 Alors, je sais que vous ne reconnaissez pas l'écriture, cependant ce

8 journal fournit un rapport de la réunion à laquelle vous étiez apparemment

9 présent. J'aimerais, dès lors; reprendre les écritures dans ce journal et

10 vous demander si vous avez souvenir de ce qui s'est passé ce jour-là, à

11 partir de cela. Alors, avez-vous souvenir de l'endroit où la réunion s'est

12 tenue?

13 Réponse: Oui, la réunion s'est tenue dans le bâtiment de la municipalité.

14 Et une, dans la salle de Rasula.

15 Question: C'est à la page 15, la traduction en anglais. La réunion indique

16 que les présents étaient le général Talic, colonel Basara (inaudible) et

17 les représentants du SDS, SDA et du HDZ. Ensuite, il indique présents

18 Mirzet, Redzo, Sabic, Ante et Vlado.)

19 Alors qui est le Mirzet auquel on fait référence dans ce journal?

20 Réponse: Eh bien, c'est moi. Le président du parti SDA, Kurbegovic Redzo.

21 Question: Kurbegovic?

22 Réponse: Kurbegovic Redzo et Suad Sabic. Ante, je ne me souviens pas de

23 son nom de famille… si Tujnic, Tunjic Ante.

24 Question: Et le dernier, Vlado, souvenez-vous de qui il s'agit?

25 Réponse: Ca devait être Vlado Vrkes.

Page 6120

1 Question: A la ligne suivante, on peut lire -et je ne vais pas reprendre

2 la totalité du texte car je sais que vous avez des difficultés à lire le

3 document-, mais le point auquel je voudrais arriver, c'est là où l'on a

4 dit que -demande page 16: "Les éléments suivants: un, garantie de la

5 sécurité publique des citoyens et de leurs biens. Deux: la création de

6 l'organisation et du fonctionnement d'un service de sécurité public légal

7 et un commissariat de police, trouver les équipements requis et répartir

8 les ressources en date de immédiatement.

9 Troisièmement, fonctionnement de l'assemblée municipale légale et de ses

10 organes à partir de immédiatement".

11 Alors, je ne vais pas lire le point 4 qui porte sur les questions

12 économiques.

13 "Le point 5: la mise en œuvre d'activités par toutes les activités

14 publiques et entreprises, en insistant plus particulièrement sur

15 l'activité sur la station de radio avec une programmation paritaire à

16 partir de maintenant.

17 Six: Détermination de la séquence des événements les 18 et 19 avril 1992,

18 par le biais d'une commission mixte avec la présence d'observateurs de la

19 communauté européenne et de représentants de l'armée régulière.

20 Objection contre la police militaire, essentiellement venant de Prijedor,

21 sans que des individus criminels participent, Jovic, Lukac, B, le

22 chauffeur du colonel Basara les irrite".

23 Alors, ces revendication sont-elles les revendications que vous avez

24 souvenir d'avoir entendu formuler lors de cette réunion du 20 avril 1992?

25 Réponse: Oui, oui.

Page 6121

1 Question: Avez-vous souvenir d'une autre revendication qui ait été faite,

2 mise à part celle qui figure ici?

3 Réponse: Eh bien, il y avait la revendication que le général Talic se

4 rende à la station de radio de Sanski Most directement, et qu'il fasse

5 état des conclusions afin que le public soit informé.

6 Question: J'y arriverai tout à l'heure.

7 Avez-vous souvenir des discussions portant sur les points de contrôle ou

8 les postes de contrôle lors de la réunion?

9 Réponse: Oui, oui, ils ont été discutés.

10 Question: Qu'ont revendiqué les représentants du SDA en ce qui concerne

11 les points de contrôle -s'ils ont formulé une revendication?

12 Réponse: Eh bien, que les postes de contrôle soient retirés et que l'armée

13 aussi se retire des postes de contrôle. C'était, en fait, un des premiers

14 points formulé dans les conclusions.

15 Réponse: Est-ce que les activités de la 6e Brigade ont été abordées lors

16 de cette réunion ?

17 Réponse: Oui, ce fut le cas.

18 Question: Mais quelles activités spécifiques de la 6e Brigade ont été

19 discutées avec le général Talic?

20 Réponse: Premièrement, que les postes de contrôle soient éliminés,

21 dissous. Deuxièmement, que les coups de feu cessent, qu'il n'y ait plus

22 d'intimidation de la population, qu'il n'y ait plus d'ivresse publique;

23 c'étaient les points principaux.

24 Question: Est-ce que quelque chose a été discuté concernant les nombreuses

25 explosions qui s'étaient produites à Sanski Most, au cours des mois

Page 6122

1 précédents?

2 Réponse: Oui, on sait que les explosions devaient cesser et, à ce moment,

3 nous en avions enregistré 42. Et qu'une enquête devait être entreprise par

4 des organes judiciaires et répressifs légitimes, afin de déterminer qui

5 étaient les auteurs et afin qu'ils soient amenés devant la justice.

6 Question: Et là, en fait, vous nous parlez des auteurs des explosions dans

7 Sanski Most?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Continuons à lire ce journal de Rasula, vous y êtes cité. Alors,

10 encore une fois, il ne s'agit pas d'un compte rendu, il s'agit d'un

11 résumé, d'une synthèse, de la compréhension qu'a quelqu'un d'autre de

12 cette réunion. Alors, je vais vous lire une version apparemment abrégée de

13 ce que vous avez dit.

14 "Mirzet: résultat de la coopération. Hier soir, nous avons reçu un télex

15 de la Défense territoriale concernant la mobilisation, mais nous sommes en

16 voie d'arriver à un accord. Ignorez les pourcentages de la structure

17 nationale. Le parti SDS a pris le bâtiment du SUP, et le président a dit:

18 vous n'avez plus votre place ici.

19 Donc emménager dans l'immeuble est une solution temporaire. Nous avons

20 accepté tout ce qui nous a été arraché, mais nous nous voyons confrontés à

21 de nouvelles revendications. Et donc, soyons le moins divisés possible.

22 Et qu'en est-il de nos travailleurs de Rudnik "Famos"?

23 Et en ce qui concerne l'armée, qui s'y trouve? Le SDS ne peut rien faire

24 par rapport à la police militaire. Donc, maintenant, je me rends compte

25 que nous parlons de quelque chose qui s'est produit il y a dix ans ou plus

Page 6123

1 de dix ans".

2 Avez-vous souvenir d'avoir discuté de ces questions dans la soirée du 20

3 avril 1992, lors de la réunion?

4 Réponse: Oui, je m'en souviens

5 Question: Une question qui apparaît. Vous avez mentionné, il y a un

6 moment, qu'il a été indiqué que le chauffeur du colonel Basara les

7 irritait; c'est une citation. S'agit-il du chauffeur du colonel Basara qui

8 avait placé un pistolet contre votre tempe dans le bâtiment municipal?

9 Réponse: Oui, Macola.

10 M. Cayley (interprétation): Bien, j'aimerais que nous passions maintenant

11 à la dernière partie de cette réunion, et j'aimerais que nous revenions

12 sur les conclusions qui ont apparemment été celles du général Talic. Je

13 vais vous donner lecture d'un passage, et je vous demanderai ensuite quels

14 sont vos souvenirs plus exactement.

15 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Fauveau?

16 Mme Fauveau: Pour le compte rendu, nous avons des doutes que cette partie

17 à laquelle M. Cayley va venir maintenant est falsifiée

18 M. le Président (interprétation): Avez-vous la version en BCS sous les

19 yeux ou la version en anglais?

20 Mme Fauveau: Oui, la version en BCS.

21 M. le Président (interprétation): Alors là, malheureusement, je ne peux

22 rien faire pour vous.

23 Mme Fauveau: (Inaudible)… à mon contre-interrogatoire du témoin précédent.

24 M. Cayley (interprétation): Il s'agit de la dernière partie.

25 Mme Fauveau: Il paraît qu'il y avait un grave problème d'interprétation,

Page 6124

1 c'est ce que j'ai voulu dire, que nous contestons l'authenticité de cette

2 partie de ce journal de Rasula, journal prétendu de Rasula. Et je me

3 réfère au contre-interrogatoire que j'ai mené avec le témoin précédent

4 M. Cayley (interprétation): Là, vraiment, je ne peux pas m'exprimer. Il

5 faudrait un expert en graphologie pour affirmer que cette partie-là a fait

6 l'objet d'une falsification. Nous devons attendre avant de nous prononcer.

7 M. le Président (interprétation): En tout état de cause, vous ne remettez

8 pas en question la partie du journal qui prétendument est rédigée par

9 Rasula, enfin, vous savez de quoi il s'agit, vous comprenez bien de quelle

10 partie il s'agit pour ces questions?

11 Un instant. Quel est le problème, général?

12 M. Talic (interprétation): En ce qui me concerne, en tant qu'accusé, je

13 conteste la totalité de ce journal, tout le journal est inexact. Pour ce

14 qui est des citations qui ont été lues par l'accusation, on n'en a

15 absolument pas parlé à la réunion; la position des Nations Unies, cela on

16 en a absolument pas parlé à la réunion. J'ai participé à cette réunion.

17 Et, dans la déclaration préalable du témoin, il n'en est question à aucun

18 moment. Là, vraiment, je vous prie de m'excuser.

19 M. le Président (interprétation): Ecoutez, vous avez entièrement le droit

20 d'intervenir si vous le souhaitez, à condition que vous ne commenciez pas

21 à faire des déclarations et à vous exprimer plutôt que votre conseil. Mais

22 vous avez le droit d'intervenir.

23 Je crois que nous savons plus ou moins où nous en sommes.

24 Nous aurions aimé obtenir une précision de la part M. Cayley quant à la

25 partie pertinente du journal de M. Rasula à laquelle il a fait référence,

Page 6125

1 sur laquelle portait sa question. Mais si j'ai bien compris, ce n'est pas

2 ce qui vous préoccupe. Ce qui vous préoccupe, c'est que vous souhaitez

3 inscrire au compte-rendu d'audience le fait que vous contestez une partie

4 précise du journal, cette partie-là. Et maintenant, le général Talic vient

5 de nous le dire: il conteste la totalité du journal. Voilà la situation

6 selon moi.

7 Mme Fauveau: Si je peux clarifier: pour nous, cette partie du journal…

8 M. le Président (interprétation): Général, vous pouvez vous asseoir,

9 merci.

10 Mme Fauveau: (inaudible)… est clairement falsifiée. En revanche, il est

11 évident que, si, sur une partie du journal, on a des forts doutes qu'elle

12 est falsifiée, que l'on a des doutes sur le journal entier; donc on le

13 conteste en totalité

14 M. le Président (interprétation): Très bien

15 M. Cayley (interprétation): Donc, l'ensemble du journal fait l'objet d'une

16 contestation, si je comprends bien?

17 M. le Président (interprétation): Oui, c'est la façon dont je comprends

18 les choses également.

19 M. Cayley (interprétation): Alors j'aimerais, s'il vous plaît….

20 M. le Président (interprétation): Cela ne vous empêche pas bien entendu de

21 poser des questions.

22 M. Cayley (interprétation): Oui, c'est à la défense du général Talic

23 d'invoquer des éléments de preuve pour prouver qu'il s'agit d'un faux.

24 M. le Président (interprétation): Je crois que vous devriez peut-être

25 collaborer avec Mme Korner là-dessus, car c'est elle qui s'est chargée de

Page 6126

1 la déposition du témoin concerné.

2 M. Cayley (interprétation): Oui, j'ai lu cette partie du compte-rendu

3 d'audience. Alors, je vais vous donner lecture, Monsieur le Témoin, des

4 propos qui ont apparemment été ceux du général Talic.

5 Je vais vous donner lecture de six ou sept lignes -je cite: "Conclusions

6 du général Talic: arriver à un accord sans retard. La police et la police

7 militaire de Prijedor resteront, et si besoin est, des forces de police de

8 Banja Luka. Nous ne reconnaissons pas les forces paramilitaires, nous

9 n'autorisons pas des barrages routiers a être érigés, et l'armée populaire

10 yougoslave se chargera de garantir la paix des citoyens et la sécurité des

11 biens. Nous vous demandons votre aide".

12 Et il ajoute: "Vous verrez ensuite un mot barré, vous le verrez barré. Ne

13 demandez de l'aide à personne car sinon vous aurez Kupres, Bosanski Brod,

14 Vukovar; le mufti de Banja Luka a demandé de l'aide, écoutez-le". (Fin de

15 citation.)

16 Mme Fauveau: Il y a un grave problème avec cette partie du journal de

17 Rasula puisque le témoin précédent… apparemment, le texte de ce qui était

18 écrit ici serait "we don't ask for your help". Et maintenant, M. Cayley

19 dit que cette partie du journal dit "we are asking for your help".

20 M. Cayley (interprétation): Dans la traduction anglais, en réalité les

21 deux apparaissent.

22 M. le Président (interprétation): Oui, je comprends bien ce que vous êtes

23 en train de dire, Madame Fauveau, mais je crois que ce qu'il importe pour

24 l'instant -pour que nous puissions bien suivre-, c'est ce qui figure dans

25 cette dernière ligne et demie, en page 17 du prétendu journal. Et je crois

Page 6127

1 que nous pourrons peut-être nous en tenir là. Nous savons ce qu'a dit le

2 témoin précédent. J'imagine que M. Cayley est informé, apparemment c'est

3 ce qu'il vient de nous dire.

4 Je crois que vous pouvez passer à la question suivante.

5 M. Cayley (interprétation): Peut-être pourrions-nous demander à ce témoin-

6 ci ce qu'il en pense.

7 Monsieur Karabeg, vous avez également entendu ces remarques de

8 conclusions, vous avez également entendu toutes les objections qui ont été

9 exprimées; d'après vos souvenirs qui remontent à dix ans, qu'a dit le

10 général Talic?

11 M. Karabeg (interprétation): Ecoutez, ces mots qui figurent dans le

12 journal ont été dit par le général Talic dans ce contexte. En effet, il

13 était convenu que nous nous retrouvions à 18 heures dans le bâtiment de la

14 municipalité, tout seuls, après son départ. Je me souviens que nous étions

15 en train de nous dire au revoir, de nous serrer la main.

16 Et, au moment où j'ai serré la main au colonel Hasetic, il m'a serré la

17 main bien fort et j'ai senti qu'il y avait peut-être un signe, mais je

18 n'ai rien dit. Mais, après leur départ, moi, Suad et Redzo, nous nous

19 sommes réunis et j'ai dit: "Redzo, Suad, mais est-ce que le colonel

20 Hasetic vous a aussi serré la main un peu trop fort?", ils m'ont répondu:

21 "Oui, c'était peut être un signe nous enjoignant de faire attention, et le

22 général Talic semble nous menacer et nous dire des mots qui vont dans le

23 sens de Vukovar, Kupres, enfin, quelque chose dans ce sens".

24 Question: Ce sont là vos souvenirs de ce qui a été dit ce jour-là?

25 Réponse: Oui.

Page 6128

1 Question: Est-ce que le général Talic, après cela, est allé à la station

2 de radio et a annoncé les exigences auxquelles il avait fait droit?

3 Réponse: Au moment où nous avons demandé qu'il fasse connaître sa décision

4 à la radio, le directeur de la radio, Sana, M. Orlovic, a dit que c'était

5 impossible. Et le général Talic a dit qu'il était très pressé. Nous lui

6 avons dit: "Mais pourquoi ne pas téléphoner, pourquoi le général de cette

7 pièce même ne téléphonerait pas à la station de radio, et pourquoi ne

8 diffuserait-on pas son communiqué?", mais cela n'a pas été fait.

9 Question: Il a donc été convenu que vous vous retrouviez une fois de plus,

10 à 18 heures, au bâtiment de la municipalité ce soir-là, n'est-ce pas?

11 Réponse: Oui, nous tous. Donc le général Talic avec ses collaborateurs est

12 parti à Banja Luka. Il avait été convenu que nous nous retrouverions, nous

13 les représentants de tous les partis de la municipalité de Sanski Most,

14 nous devions nous retrouver à 18 heures, ce soir-là, dans le bâtiment de

15 la municipalité.

16 Question: Est-ce que vous vous êtes effectivement réunis à 18 heures au

17 bâtiment de la municipalité?

18 Réponse: Oui, je suis parti, j'ai trouvé un barrage de chevaux de frise(?)

19 devant moi; devant le bâtiment, la police s'y trouvait. On m'a dit: "Mais

20 enfin, de quelle réunion s'agit-il? Aucune réunion n'a eu lieu".

21 Question: Après cette réunion, est-ce que les postes de contrôle ont été

22 démantelés autour de la ville?

23 Réponse: Non, et la situation a empiré le jour-même, le soir-même.

24 Question: De quelle façon?

25 Réponse: La situation s'est dégradée de la façon suivante: ce jour-là, la

Page 6129

1 population a été soumise à des tirs, des rafales qui ont été tirées en

2 l'air, des intimidations, les membres de l'armée étaient plus nombreux.

3 Question: Qu'en est-il des explosions à Sanski Most et autour de la ville?

4 Est-ce que le nombre de ces explosions a diminué ou augmenté?

5 Réponse: Ce soir-là, je ne suis pas en mesure de vous le dire. Mais il y

6 avait des explosions tous les 4 ou 5 jours; à ce moment-là, elles étaient

7 espacées de 4 à 5 jours et non pas de 15 à 20 jours.

8 Question: Pourrions-nous montrer au témoin, je vous prie, la pièce de

9 l'accusation P622?

10 (Intervention de l'huissier.)

11 Il s'agit d'un rapport de combat ordinaire du commandement du 5e Corps

12 d'armée, sous le commandement du général Talic. Il est signé pour le

13 général Talic. Le paragraphe qui m'intéresse est le paragraphe 3,

14 paragraphe 2 en réalité. Et je cite: "La situation dans la zone où des

15 excès ont été observés est maintenant maîtrisée. La visite du commandant

16 du Corps d'armée à Sanski Most, ainsi que sa visite à Babanovci

17 aujourd'hui, a permis de calmer la situation". (Fin de citation.)

18 Vous étiez à Sanski Most pendant cette période: est-ce que, à votre avis,

19 la visite du général Talic à Sanski Most a eu pour effet de calmer la

20 situation?

21 Réponse: L'effet a été inverse. Loin de calmer la situation, la situation

22 a empiré.

23 Question: Après votre réunion avec le général Talic, avez-vous eu un

24 quelconque autre contact avec lui après le 20 avril 1992?

25 Réponse: Ce que j'ai oublié de dire, c'est que, le 20 avril, au moment où

Page 6130

1 nous nous sommes séparés, le général Talic s'est adressé à moi en tant que

2 représentant du pouvoir civil et m'a dit: "Monsieur le président, si la

3 situation devait se dégrader, je vous donne mon numéro de téléphone au cas

4 où. Et s'il y a un problème, n'hésitez pas à m'appeler". J'ai noté son

5 numéro de téléphone.

6 Question: Est-ce que vous l'avez appelé?

7 Réponse: Je ne l'ai pas appelé dès le lendemain, mardi, parce que je

8 pensais que les membres du SDS allaient écouter ce qu'il avait dit. Et je

9 pensais que si la réunion de 18 heures n'avait pas lieu, ils allaient

10 certainement nous convoquer le lendemain; or cela n'a pas eu lieu.

11 Alors, le 27, ou plutôt mercredi, j'ai pris son numéro de téléphone, je

12 l'ai appelé, j'ai appelé le général Talic. J'étais un peu étonné et j'ai

13 été satisfait de constater qu'au bout de 15/20 minutes, on m'a tout de

14 même mis en communication avec lui. La centrale a permis à mon appel

15 d'aboutir. Nous avons discuté. Je lui ai dit pour commencer que la réunion

16 qui avait été fixée pour 18 heures n'avait pas eu lieu, que Rasula n'avait

17 pas convoqué d'autre réunion, et que la situation dans la Sana s'était

18 dégradée.

19 Il a répondu à cela que Rasula était un personnage mauvais, il l'a

20 insulté, et j'étais assez heureux de voir qu'il réagissait comme cela; il

21 m'avait l'air tout à fait sincère.

22 Le lendemain, j'ai regardé le journal à la télévision. Je pense que

23 c'était peut-être une rediffusion de quelque chose qui avait été diffusé

24 la veille; il y avait une fête à Banja Luka et j'ai vu le général Talic

25 avec tous les autres, Krajisnik, Plavsic et les autres. J'ai vu qu'ils

Page 6131

1 s'embrassaient les uns les autres, mais j'ai vu là aussi Rasula. Et là, je

2 me suis dit: "Vraiment, il nous a menti, il s'est moqué de nous. Ils

3 affirment une chose et ils en font une autre". Et depuis lors, je ne l'ai

4 pas revu, je n'ai plus aucun contact avec lui jusqu'à hier.

5 Question: Après ce contact avec le général Talic, est-ce que vous a eu un

6 quelque autre contact avec le colonel Basara?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Pouvez-vous dire aux Juges quelle était la nature de vos

9 contacts avec le colonel Basara? Et avant que vous ne répondiez, est-ce

10 que vous avez estimé que le colonel Basara était subordonné au général

11 Talic? Et si vous ne le savez pas, dites nous simplement que vous ne le

12 savez pas.

13 Réponse: Oui, il devait certainement l'être parce que, à cette réunion à

14 laquelle nous avons participé, on voyait très clairement que le colonel

15 Basara était subordonné au général Talic. Et je vous parle de la réunion

16 qui a eu lieu le 20 avril, à la municipalité de Sanski Most.

17 Question: Je vais peut être répéter ma question: pouvez-vous dire aux

18 Juges en quoi consistaient vos contacts avec le colonels Basara, après le

19 20 avril 1992?

20 Réponse: Oui, je vais le faire.

21 Nous avons rencontré à plusieurs reprises le colonel Basara. En effet,

22 c'était notre seul espoir et c'était le seul moyen, pour nous, d'entrer de

23 nouveau en contact avec le SDS. Et avec le colonel Basara, ces mêmes

24 problèmes de contact ont été perçus et nous avons même demandé à Fuad

25 Kurbegovic de faire en sorte, au nom de la Ligue des communistes, que

Page 6132

1 Basara devienne citoyen d'honneur de Sanski Most.

2 Il nous promettait tout. Il nous promettait qu'il allait contrôler

3 l'armée, il nous a promis qu'il n'y aurait pas de fouilles au poste de

4 contrôle, et nous a promis qu'il n'y aurait pas de tirs en rafale, qu'il

5 n'y aurait pas d'ivresse publique. Or, c'est l'inverse qui se produisait:

6 le nombre des postes de contrôle augmentait, des nids de mitrailleuses ont

7 été mis en place, deux transports de troupes sont apparus dans la

8 municipalité; tout cela a culminé avec une explosion qui a eu lieu une

9 nuit, et ces explosions avaient lieu toutes les nuits, chaque nuit, et non

10 pas uniquement tous les 3 ou 4 jours. La situation s'est donc

11 considérablement dégradée.

12 Question: Pourrions-nous montrer au témoin, je vous prie, la pièce P626 de

13 l'accusation?

14 (Intervention de l'huissier.)

15 Monsieur le Témoin, il s'agit là des conclusions de la réunion de la

16 cellule de crise de la municipalité serbe de Sanski Most, réunion qui

17 s'est tenue le 28 avril 1992. Je vais vous donner lecture d'une partie de

18 ces conclusions: "Tous les citoyens de la municipalité de Sanski Most qui

19 détiennent une quelconque arme doivent la remettre au poste de sécurité

20 publique, à l'unité la plus proche de l'armée populaire yougoslave ou à

21 l'état-major de la Défense territoriale de la municipalité serbe de Sanski

22 Most". (Fin de citation.)

23 Ensuite, on donne les heures auxquelles on peut remettre ces armes et on

24 poursuit: "Les citoyens qui détiennent des armes privées, avec port d'arme

25 d'un organe compétent, ainsi que les membres des formations des défenses

Page 6133

1 territoriales armées, les policiers d'active et les policiers de réserve,

2 ainsi que l'armée populaire yougoslave ne sont pas touchés par cette

3 décision". (Fin de citation.)

4 Aviez-vous connaissance de cette décision, à l'époque?

5 Réponse: Non.

6 Question: Saviez-vous que la population était désarmée à la fin du mois

7 d'avril 1992?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Est-ce que tous les groupes ethniques ont fait l'objet de ce

10 désarmement, pour autant que vous puissiez vous en souvenir? Est-ce que

11 les Serbes, les Croates et les Musulmans ont été désarmés, à ce moment-là?

12 Réponse: C'était uniquement la population non-serbe qui était désarmée.

13 Ceux qui étaient non-serbes devaient rendre leurs armes: les Bosniens, les

14 Croates et les autres.

15 Question: Comment savez-vous cela?

16 Réponse: Je le sais parce que c'est ce qui s'est passé et je l'ai vu de

17 mes propres yeux.

18 Question: Le dernier paragraphe de ce document dit -et je cite: "La

19 cellule de crise de la municipalité serbe de Sanski Most rencontrera le

20 commandant de la 6e Brigade de Krajina, le colonel Basara, et commencera à

21 réglementer le rapport entre les forces armée de la Défense territoriale

22 serbe et l'armée yougoslave."

23 Saviez-vous, à ce moment-là, au moment où vous avez rencontré le colonel

24 Basara, qu'il était également en train de rencontrer la cellule de crise

25 de la municipalité serbe de Sanski Most?

Page 6134

1 Réponse: Non, je ne le savais pas.

2 Question: Est-ce que vous avez encore le journal de Rasula? Est-ce que le

3 témoin dispose toujours de la pièce P759?

4 (M. Cayley recherche le document en question parmi son dossier et le fait

5 remettre au témoin.)

6 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il s'agit de la page 37 de la

7 traduction anglaise. Il s'agit d'une réunion de la cellule de crise le 24

8 mai 1992. Voilà ce qui est dit, et je vais vous en donner lecture,

9 Monsieur le Témoin, si vous n'arrivez pas à le lire.

10 "Article 3: L'opération a été couronnée de succès jusqu'à présent, surtout

11 dans le cas des armes qui appartiennent à la Défense territoriale et à la

12 police républicaine, pendant que rien n'a été fait en ce qui concerne les

13 armes provenant de sources illégales."

14 Monsieur le Témoin, est-ce que ceci se réfère au processus de désarmement

15 qui arrivait à cette époque-là?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Ligne suivante, citation: "Le colonel Basara a proposé une

18 attaque au point le plus fort. Le colonel Anicic a suggéré que

19 Bonjecic(?), Demasevic(?), Vrci et Okrovec(?)…", ligne suivante -et ceci

20 est à la page 38, Monsieur et Mesdames les Juges: "Le colonel Basara

21 préparera une opération contre Dimitrovici -et le prochain mot, je ne peux

22 pas le lire-, "le soir, la proposition n'a pas été acceptée; il a été

23 décidé qu'elle prendrait place le mardi, au matin."

24 Monsieur le Témoin, si cette réunion s'est tenue le 24 mai 1992, c'était

25 un dimanche. Est-ce que vous êtes d'accord que le mardi suivant, d'après

Page 6135

1 mon calendrier du moins, c'est à dire le 26 mai 1992, est-ce que vous êtes

2 d'accord que c'est bien cette date-là?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Qui était le générale Anicic? Est-ce que vous le connaissiez,

5 est-ce que vous savez qui il était?

6 Réponse: Je l'ai rencontré, j'ai rencontré le colonel Anicic. Je ne le

7 connais pas très bien. Il est né à Sanski Most dans la municipalité, mais

8 il a servi dans l'armée en dehors de Sanski Most. Donc je le connaissais

9 de manière plus ou moins superficielle.

10 Question: Connaissiez-vous son poste, quel était son poste à Sanski Most?

11 Réponse: Eh bien, vous voyez, à l'époque, et avec ces contacts, je n'avais

12 aucun contact avec lui. Mais d'après ce que l'on m'avait dit et d'après ce

13 que nous savions, il était chef de la cellule de crise de la municipalité

14 serbe, c'est à dire la Republika Srpska.

15 Question: Est-ce que vous l'aviez rencontré?

16 Réponse: Non, jamais.

17 Question: Est-ce que vous saviez s'il faisait partie de la Défense

18 territoriale?

19 Réponse: A cette époque, il n'en faisait pas partie.

20 Question: Du moins, d'après ce que vous en savez?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Pourrions-nous, s'il vous plaît, montrer la pièce du Procureur

23 P638, s'il vous plaît?

24 (Intervention de l'huissier.)

25 Je ne veux pas que vous lisiez tout ce document, mais si je puis vous

Page 6136

1 diriger un petit peu, si vous pouviez regarder le cachet, la signature qui

2 se trouve en haut; il est dit "approuvé par le commandant de la Défense

3 territoriale serbe, le colonel Nedjeljko Anicic";

4 Puis, il est dit à côté "strictement confidentiel, Grmec 1992".

5 Donc, j'aimerais simplement lire quelques parties de ce document, c'est un

6 ordre de combat. Et je vais vous poser certaines questions dans quelques

7 instants.

8 Paragraphe 3 de cet ordre, le sujet de l'ordre est l'opération de

9 désarmement à Sanski Most. Donc paragraphe 3: "La 6e Brigade, avec une

10 action coordonnée ou avec les unités de la STO -Défense territoriale

11 serbe-, commence des opérations de combat dans la municipalité de Sanski

12 Most et la zone de Sanski Most, pour désarmer des forces ennemies en

13 plaçant ses forces principales sur la vallée de Skuceni Vakuf, Kamengrad-

14 Dolina, l'ex-Sanski Most Vrhpolje, avec une emphase particulière sur le

15 secteur général de Sanski Most".

16 Sur l'autre page, à la page 2 de la version en anglais, Monsieur et

17 Mesdames les Juges -et ceci se trouve, Monsieur le Témoin, dans votre

18 version BCS au paragraphe n°4, il est dit: "J'ai décidé…", au paragraphe

19 suivant, il est dit: "Une fois que les positions avaient été prises,

20 utilisez les unités STO afin de prévenir l'insertion et la mise en

21 opération de groupes de sabotage dans les villages serbes. Après les

22 préparations d'artillerie, désarmez les hameaux de Mahala, Otoke, Muhici,

23 Marije Bursac, et ceci, dans les voisinages de Omladinsko, le voisinage de

24 Alagica, en coordination avec les unités de la 6e Brigade, afin de causer

25 à l'ennemi des pertes humaines, matérielles et techniques très

Page 6137

1 importantes". (Fin de citation.)

2 Et puis, dans le paragraphe suivant: "Utilisez les forces principales pour

3 des tâches dans le secteur de Sanski Most. Resubordinez les personnels des

4 secteurs sur les unités de Dabar, Lusci, Palanka, Budimlic Japra et les

5 unités de la Défense territoriale de Koprivna, Ostra Luka et Usorci, donc

6 les resubordonner aux opérations de commandement de la 6e Brigade selon

7 les axes secondaires d'attaque".

8 Au paragraphe n°9, il est dit à la deuxième phrase -et c'est, Monsieur et

9 Mesdames les Juges, la préparation de l'artillerie ici: "Ayant terminé les

10 préparations de l'artillerie avec un véhicule "Georgi" remodelé, et en

11 coordination avec des véhicules de combat à main armée de la 6e Brigade.

12 Ceci neutralisera les cibles qui restent, et il faudra faire des fouilles

13 plus poussées dans le secteur de Mahala vers l'Ekonomija".

14 Et puis il est dit, l'ordre continue avec les tâches essentiellement

15 d'intervention sur des ordres séparés, une fois que cet ordre a été

16 terminé.

17 Est-ce que vous voyez cette section à la fin du document, Monsieur le

18 Témoin, qui dit –citation-, et ceci est à la dernière page, en page 5, à

19 la dernière page; est-ce que vous voyez cette dernière page?

20 Il est dit: "Envoyez les rapports et puis, se préparer pour l'attaque à 5

21 heures du matin, le 26 mai".

22 Est-ce que vous voyez cette partie sur le document?

23 Réponse: Oui, je vois cette partie, je la vois.

24 Question: Est-ce que vous vous souvenez, il y a quelques instants je vous

25 ai lu quelque chose du journal de Rasula en ce qui concerne l'attaque, que

Page 6138

1 l'on avait arrêté cette attaque et qu'on l'avait remise au 26 mai; que le

2 colonel Basara avec suggéré un arrêt de cette attaque et qu'on la remettre

3 au 26 mai. Est-ce que vous vous souvenez de ceci?

4 Réponse: Oui, je m'en souviens, je m'en souviens très bien.

5 Question: Est-ce que vous avez encore le journal de Rasula avec vous,

6 Monsieur le Témoin? Est-ce que le journal se trouve devant le témoin?

7 Réponse: Oui, je l'ai.

8 Question: Si vous pouviez le trouver, trouver la partie où il s'agit…

9 c'est le jour suivant, le 25 mai de l'année 1992. Et je peux vous lire,

10 donner une lecture de cette partie car il n'y a pas beaucoup dans cette

11 partie à laquelle j'aimerais que vous portiez votre attention. Monsieur,

12 Mesdames les Juges, ceci est à la page 38 de la version en anglais. Et

13 l'en-tête est encore "cellule de crise, 25 mai 1992".

14 "1: informations sur la sécurité et les caractéristiques importantes.

15 2: rapports sur les développements dans les municipalités sur les 24

16 heures passées.

17 3: le plan de désarmement et le début de ce plan pour arrêter des

18 opérations ennemies:

19 a) arrestations des représentants,

20 b) locaux de détentions Miladin Papric et Mico Krunic.

21 Article 4: arrêter Adil Draganovic à Mahala et arrestation aussi de Redzo

22 Kurbegovic et arrêter aussi M. Mirzet Karabeg.

23 Article 3: Mardi, à 6 ou 7 heures du matin, début de l'opération; le feu

24 ne s'arrêtera pas jusqu'à ce qu'ils se rendent. Ne prenez pas de

25 prisonnier s'ils sont armés, capturez les civils afin qu'ils soient

Page 6139

1 utilisés pour des échanges".

2 Monsieur Karabeg, que vous est-il arrivé le 25 mai 1992?

3 Réponse: Ce jour-là, j'ai été arrêté et l'on m'a emmené au quartier

4 général du poste de police. Deux véhicules sont venus avec huit personnes

5 armées.

6 Question: Où vous ont-ils emmené?

7 Réponse: Ils m'ont amené au poste de police et ceci, précisément à l'unité

8 de détention du poste de police.

9 Question: Nous avons des photographies, Monsieur et Mesdames les Juges,

10 que j'aimerais montrer ici, s'il vous plaît.

11 (Intervention de l'huissier.)

12 Est-ce que vous reconnaissez ce bâtiment?

13 Réponse: Oui, je le reconnais.

14 Question: Qu'est-ce que ce bâtiment?

15 Réponse: C'est le bâtiment du poste de police de Sanski Most.

16 Question: Et est-ce que c'est où l'on vous a amené le 25 mai 1992?

17 Réponse: Oui, en effet.

18 Question: Où vous a-t-on amené dans le poste de police?

19 Réponse: Dans la cellule du poste qui se trouve derrière le bâtiment.

20 Question: La cellule, on ne peut pas la voir d'après cette photographie?

21 Réponse: Non, on ne peut pas voir la cellule sur cette photographie.

22 Question: Et où, dans cette unité de détention, vous a-t-on emmené

23 précisément?

24 Réponse: Cellule n°2.

25 Question: Et qui était en cellule avec vous?

Page 6140

1 Réponse: Il y avait déjà deux personnes dans la cellule: Ibro Kuzelj,

2 Katkic Meho, une personne handicapée mentale, Atlija Marinko. Et puis,

3 dans la cellule d'à côté, j'ai entendu dire que Ismet Jakupovic s'y

4 trouvait, Ismet Alagic, s'y trouvait également. Stipe Catic, Adil

5 Draganovic, Fikret Saletovic. Toutes ces personnes se trouvaient dans la

6 cellule d'à côté.

7 Question: Vous dites qu'une des personnes qui se trouvait dans la prison

8 avec vous était une personne handicapée mentale; que faisait-il dans cette

9 cellule avec vous?

10 Réponse: Bien, personnellement, moi-même, je ne sais pas. Mais il n'était

11 pas serbe. Peut être à cause de cela!

12 Question: L'a-t-on relâché plus tard?

13 Réponse: Oui, on l'a relâché le jour suivant.

14 Question: Que vous est-il arrivé le jour de votre incarcération, le 25

15 mai, si quelque chose s'est passée? Y a-t-il eu quelque chose d'important?

16 Réponse: J'aimerais simplement dire que l'on m'a emmené dans cette

17 cellule. Dans le hall, un policier m'a emmené, il a pris tout ce que

18 j'avais sur moi; mon portefeuille, ma ceinture, mes lacets, et il m'a

19 emmené à la cellule n°2. Personne ne m'a frappé et personne ne m'a

20 maltraité. Personne ne m'a battu, passé à tabac.

21 Question: Que s'est-il passé le prochain jour, le jour suivant, le 26 mai

22 1992?

23 Réponse: Le jour suivant, le 26 mai 1992, nous avons reçu des visites du

24 SDS, Boro Savanovic, Papric Miladin et Tripkovic Nemanja. Ils nous ont

25 parlé. Je leur ai dit: "Eh bien, très bien, vous nous avez arrêtés, mais

Page 6141

1 qu'a fait cet homme? Il ne sait rien, il est handicapé, ce serait correct

2 que vous le libériez". Et en fait, ce jour-même, l'après-midi, il a été

3 libéré, ils l'ont laissé partir.

4 M. Cayley (interprétation): Et son nom une fois de plus, la personne

5 handicapée?

6 M. Karabeg (interprétation): Meho Katkic, connu sous le nom de "Znojko".

7 M. le Président (interprétation): Je suis un petit mélangé. Auparavant,

8 lorsque vous avez parlé, ou le témoin parlait en réponse à votre question

9 "qui était en cellule avec vous?", il a dit: "J'ai trouvé des personnes en

10 cellule avec moi: Ibro Kuzelj, une personne handicapée, et Atlija Marinko.

11 Et puis, dans la cellule suivante, j'ai entend dire…", etc., etc.

12 M. Cayley (interprétation): Je pensais que c'était une description

13 générale d'une personne sans nom.

14 M. le Président (interprétation): Oui, mais cela veut dire qu'il y avait

15 trois personnes et non deux personnes dans cette cellule.

16 M. Cayley (interprétation): Je vais un petit peu éclaircir ce point.

17 Lorsque vous êtes arrivé, combien de personnes se trouvaient dans la

18 cellule n°2? Et quels étaient leur nom, s'il vous plaît?

19 M. Karabeg (interprétation): Il y avait trois personne: Ibro Kuzelj,

20 Katkic Meho connu sous le nom de "Znojko", une personne mentalement

21 retardée, et Marinko Atlija. Et donc, moi, je les ai rejoints et nous

22 étions quatre dans la cellule.

23 M. Cayley (interprétation): Malheureusement, Monsieur le Président, il y

24 aura de nombreuses personnes comme ça dans les cellules.

25 M. Karabeg (interprétation): Oui, vous devez l'admettre, cela fait 10 ans.

Page 6142

1 Moi, je ne sais même plus avec qui j'étais il y a deux semaines. Donc!

2 M. le Président (interprétation): Oui, j'ai eu l'impression, au début,

3 lorsqu'il répondait à votre question, que, bien qu'il nous disait qu'il y

4 avait deux personnes, en fait, j'ai compris qu'il y en avait plus de deux

5 dans cette cellule.

6 Maintenant, le point est éclairci. Très bien. Vous pouvez poursuivre.

7 M. Cayley (interprétation): Est-ce que M. Papric vous a dit quelque chose,

8 le 26 mai 1992?

9 M. Karabeg (interprétation): Eh bien, si nous revenons à la question

10 précédente, j'aimerais vous dire aussi que, dans cette cellule, sept

11 d'entre nous ont passé la nuit car, après cela, d'autres personnes ont été

12 placées dans la même cellule. Et une réponse plus concrète: oui, Miladin

13 Papric est venu à Redzo qui était en cellule, et lui a dit: "Vous voyez,

14 Redzo, ce que vous vouliez faire était avoir un parti national à vous-

15 même. Et regarde ce qui s'est passé!". Voici ce qu'il faisait.

16 Question: En faisant référence à Redzo, est-ce que vous faites référence à

17 Redzo Kurbegovic?

18 Réponse: Oui, Redzo Kurbegovic.

19 Question: Vous n'avez pas dit qu'il était dans votre cellule au poste de

20 police. Où est-ce que Papric a-t-il parlé à Redzo?

21 Réponse: Il parlait à la cellule n°2, mais il avait passé la nuit avec moi

22 dans la cellule. Mais il avait été amené dans la cellule plus tard, dans

23 la soirée, le 25 mai.

24 Question: Donc que ce soit très clair: la nuit du 25 mai, combien de

25 personnes y avait-il au total dans la cellule avec vous?

Page 6143

1 Réponse: Il y en avait sept.

2 Question: Sans comprendre les trois personnes dont vous avez déjà parlé,

3 quelles ont été les autres personnes qui ont été emmenées dans la cellule?

4 Réponse: J'ai déjà trouvé des trois personnes qui s'y trouvaient déjà

5 avant moi; donc moi-même, la cinquième personne était Hase Osmancevic,

6 Nedzad Muhic la sixième personne, et Redzo Kurbegovic était la septième

7 personne a être placée dans cette cellule.

8 M. Cayley (interprétation): Est-ce que le point est maintenant éclairci,

9 Monsieur et Mesdames les Juges?

10 M. le Président (interprétation): Oui, très bien.

11 M. Cayley (interprétation): Et c'était le 26 mai, le jour suivant, que

12 Papric a eu cette conversation avec Redzo; est-ce exact?

13 M. Karabeg (interprétation): Oui, c'est exact.

14 Question: Et qui, si vous le savez, était responsable de cette prison, de

15 ce poste de police de la SUP?

16 Réponse: Les chefs du poste de police étaient Vojnic Drago et Krunic Mico;

17 ils étaient responsables de l'unité de détention.

18 Question: Et à cette époque, les 25 et 26 mai 1992, qui était chef de la

19 police à Sanski Most, si vous le savez?

20 Réponse: Je m'excuse, mais j'aimerais corriger quelque chose que j'ai dit:

21 j'ai mélangé le poste de police et l'unité de détention avec les camps;

22 c'est pour ceux-ci que j'ai parlé de ces deux personnes, Mico Krunic et

23 Drago Vojnic.

24 En ce qui concerne la police, il y avait le chef de police qui avait tous

25 les pouvoirs. Et Mirko Vrucinic était chef de la police.

Page 6144

1 Question: Je ne comprends pas très, très bien ce que vous avez dit. Est-ce

2 que vous pensez qu'il était chef de l'installation du SUP, le 26 mais

3 1992? Qui était chef?

4 Réponse: Papric Miladin était chef.

5 Question: Est-ce que, à un moment ou à un autre, il a arrêté d'être

6 commandant des prisons, chef des prisons? A-t-il été remplacé? Si vous ne

7 le savez pas, dites simplement "non".

8 Réponse: Eh bien, voyez-vous, le chef de police était déjà à la retraite.

9 Et, à cette époque, il a repris ses fonctions, il a été remis en poste.

10 Question: Quel était son nom?

11 Réponse: Je parle de Papric, Miladin Papric.

12 M. Cayley (interprétation): Nous allons revenir à ce point plus tard, le

13 point où il a été remplacé un peu plus tard.

14 Lorsque vous étiez dans votre cellule, le 26 mai, est-ce que vous avez

15 entendu quelque chose que vous considérez comme étant important?

16 M. Karabeg (interprétation): Le 26 mai 1992, à 8 heures précises, j'ai

17 commencé à entendre les bombardements de la municipalité de Sanski Most,

18 et ceux-ci, d'artillerie lourde.

19 M. le Président (interprétation): Je suggérerai que nous arrêtions ici et

20 que nous fassions une pause; c'est un bon moment pour nous arrêter. Je

21 vous remercie. Nous allons faire une pause de 30 minutes et reprendre

22 juste avant 11 heures.

23 M. Cayley (interprétation): Monsieur le Président, juste un point: j'ai

24 parlé avec Mme Fauveau, et elle est prête à faire le contre-interrogatoire

25 aujourd'hui. Il se peut que j'ai terminé aujourd'hui, avant la fin de la

Page 6145

1 séance d'aujourd'hui. Mais je suis tout à fait heureux qu'elle commence

2 demain si elle pense qu'elle sera mieux préparée.

3 Mme Fauveau: Je peux commencer aujourd'hui, mais je ne pourrais pas aller

4 jusqu'au bout. J'ai une partie qui est tout à fait prête, et je pense que

5 ça couvrira toute la session d'aujourd'hui.

6 M. le Président (interprétation): Nous allons gérer ceci plus tard.

7 Monsieur Cayley, s'il vous plaît, lorsque nous allons reprendre,

8 j'aimerais savoir le numéro de cote de la pièce de ce document.

9 M. Cayley (interprétation): 798.

10 M. le Président (interprétation): 798?

11 M. Cayley (interprétation): Oui.

12 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

13 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 11 heures 01.)

14 M. Cayley (interprétation): Monsieur le Président, avant de reprendre je

15 voudrais faire quelques observations concernant les observations du

16 général Talic au sujet de ce journal, et l'ordre de présentation des

17 éléments de preuve dans cette affaire.

18 Comme vous le savez, l'Article 85 du Règlement de procédure décrit l'ordre

19 de présentation des pièces, et donc, dans l'ordre, les pièces pour

20 l'accusation, défense, accusation, répliques, etc. Et dans les directives

21 que vous nous avez vous-même citées le 23 janvier 2002, vous avez

22 fondamentalement expliqué, page 672, que l'accusé, lorsque c'est possible,

23 vous avez dit "qu'il est souhaitable que l'accusé puisse déposer avant que

24 d'autres témoins le fassent. Vous avez dit que, dans certains cas, cela ne

25 se passe pas: l'accusé a décidé de déposer et puis, ensuite, s'étant

Page 6146

1 rétracté, il ne pouvait plus le faire".

2 Vous avez mentionné aussi l'Article 90 qui porte sur l'audition des

3 témoins, et notamment "G", qui permet le contre-interrogatoire de tout

4 témoin, y compris l'accusé lorsque les déclarations comme celles-ci sont

5 faites. Nous savons que dans les procès en droit civil, les témoins ont le

6 droit de se lever et d'intervenir.

7 A ce moment-là, Monsieur Talic...

8 M. le Président (interprétation): Si c'est là votre hypothèse, je vous

9 demande d'arrêter parce que la Chambre ne considère pas ce qu'a dit le

10 général Talic comme faisant partie de son témoignage. Je veux que ceci

11 soit clair: j'ai permis au général Talic de se lever parce que je ne

12 savais pas quelle objection –pour autant qu'il ait une objection-, il

13 avait à formuler.

14 Et deuxièmement, parce que indépendamment du common law ou du droit

15 civiliste, à tout moment, si l'accusé a le sentiment que son point de vue

16 n'est pas présenté de la manière dont il souhaite ou de ses directives ou

17 de son avis, il a pleinement le droit de le signifier; il peut soit le

18 faire directement avec intervention des juristes ou, comme cela s'est

19 passé tout à l'heure dans la journée, de la manière dont il a procédé.

20 Mais ne pensez pas que la Chambre considère que sa déclaration fait partie

21 des éléments de preuve ou de son témoignage.

22 M. Cayley (interprétation): Ceci me rassure, car ce genre de déclaration…

23 moi, j'avais envie de le faire en contre-interrogatoire.

24 M. le Président (interprétation): Il a le droit de fournir des éléments de

25 preuve ou de ne pas fournir des éléments de preuve au moment choisi.

Page 6147

1 M. Cayley (interprétation): Oui.

2 M. le Président (interprétation): Entre maintenant et à ce moment-là… ce

3 que je veux dire, c'est que ce n'est pas limité au général Talic. Si l'un

4 ou l'autre d'entre eux décide de se lever et d'intervenir sous, bien sûr,

5 le contrôle de la Chambre, je veux que les choses soient claires: je ne

6 vais pas laisser une situation se produire où l'accusé prendrait le

7 contrôle de la situation par rapport aux avocats de la défense.

8 M. Cayley (interprétation): Je vous remercie, les choses sont claires, et

9 ceci vaudra pour l'avenir.

10 M. le Président (interprétation): C'est exact.

11 M. Cayley (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

12 Monsieur le Témoin, avant l'interruption vous avez signalé que vous avez

13 entendu le pilonnage de Sanski Most. Soyons clairs: vous n'avez pas pu

14 assister à ces tirs parce que vous étiez détenu; est-ce exact?

15 M. Karabeg (interprétation): C'est exact, je ne l'ai pas vu.

16 Question: Peut-on montrer au témoin la pièce 641?

17 (Intervention de l'huissier.)

18 Alors, il s'agit là d'un document en date du 26 mai 1992, municipalité

19 serbe de Sanski Most, personnel de protection civile municipale, et qui

20 porte sur les conclusions au niveau de la cellule de crise et de personnel

21 civil. Il s'agit d'un ordre selon lequel la population déplacée qui s'est

22 réfugiée de Mahala, Muhici, et de Otoke vers la zone de Krkjevci soit

23 transférée par Sana Trans DB -donc un autocar dépendant des services

24 sociaux-, vers la salle des sports pour qu'ils soient hébergés et traités.

25 Et la police militaire STE assurera la sécurité de la colonne.

Page 6148

1 Alors, Monsieur Karabeg, quand –si pour autant c'est le cas-, avez-vous

2 découvert que la population déplacée de ces régions avait été transférée

3 vers la salle de sport de Sanski Most?

4 Réponse: Ils ont été transférés le 27 mai 1992.

5 Question: Ce n'est pas la question que je vous avais posée. La question

6 est la suivante: quand avez-vous personnellement appris que la population

7 avait été transférée, gardant à l'esprit que vous étiez prisonnier dans

8 une cellule qui se trouvait derrière le poste de police? Donc vous

9 souvenez-vous du moment où vous l'avez appris?

10 Réponse: Oui, je me souviens. J'ai appris ce transfert de la population.

11 Je ne sais pas si c'était le 27 ou le 28 mai, mais c'était lors d'une

12 visite de Toma Delic et Nemanja Tripkovic et Savanovic qui sont venus nous

13 rendre visite dans la prison.

14 Question: Comment avez-vous appris qu'il y avait eu ce transfert de

15 population, lors de cette visite qui vous a été rendue?

16 Réponse: Eh bien, ils sont venus nous voir en prison vers huit heures du

17 soir; ils nous ont apporté du café et de l'eau-de-vie, et ils ont vu la

18 fumée qui s'élevait des maisons qui brûlaient à Gornja Mahala, parce que

19 Gornja Mahala se trouve dans les environs immédiats, de l'autre côté de la

20 rivière Sana. Et Toma Delic nous a informé que leur "héros" -comme il l'a

21 dit-, avait libéré Gornja Mahala et Otoke des mains des extrémistes. Et

22 que Gornja Mahala avait été incendiée et qu'il possédait une bande vidéo

23 qui montrait la mise à feu de Gornja Mahala, et que son père avait dit que

24 les Serbes contrôleraient Sanski Most pour les cinq siècles à venir et que

25 pas plus de cinq Serbes mourraient. Et qu'ils avaient transféré les

Page 6149

1 populations Krkojevci, population qui s'était apparemment enfui de leur

2 domicile. Et Krkojevci est tout à côté de Gornja Mahala, à un kilomètre.

3 Question: Pouvez-vous rappeler à la Cour qui était Toma Delic, Nemanja

4 Tripkovic et Boro Savanovic?

5 Réponse: Boro Savanovic et Nemanja Tripkovic faisaient partie du comité

6 exécutif du SDS de Sanski Most, donc la structure suprême du parti SDS de

7 Sanski Most.

8 Question: Et Toma Delic?

9 Réponse: Toma Delic aussi, il était aussi membre. Il est apparu en

10 uniforme, il portait un casque. Et, à ce moment-là, je ne le savais pas

11 mais, en fait, il était à la tête des forces de défense serbe, des forces

12 de Sanski Most.

13 Question: Nous proposons de montrer au témoin la pièce 643.

14 (Intervention de l'huissier.)

15 Donc, à Mahala, fin mai 1992, il y avait des Musulmans, des Musulmans

16 armés; est-ce exact?

17 Réponse: Oui, c'est exact.

18 Question: Vous n'étiez pas là à ce moment-là. Avez-vous ensuite entendu

19 dire par quiconque quelque chose concernant la force effective ou la

20 résistance de ces Musulmans armés qui étaient à Mahala, lorsque Mahala a

21 été attaquée?

22 Réponse: Il n'y a eu aucune résistance.

23 Question: Qui vous a informé de cela?

24 Réponse: Je l'ai appris de Toma Delic lui-même, parmi d'autres. Il n'a

25 jamais mentionné des combats à Mahala, il n'a pas dit: "J'ai un

Page 6150

1 enregistrement vidéo des combats à Mahala". Il a dit par contre: "J'ai un

2 enregistrement vidéo de la mise à feu de Mahala."

3 Question: Cette pièce que vous avez devant vous, la partie qui m'intéresse

4 sont les deux premiers paragraphes de cet ordre -et je cite: "Le terrain

5 dans la région Mahala…" -encore une fois il s'agit d'une conclusion

6 suivant une décision de la cellule de crise de la municipalité. "Signal,

7 ordre: le terrain de la région Mahala, Otok et Muhici, doit être épuré. De

8 manière à pouvoir remplir cet ordre, il faudra faire ce qui suit: les

9 corps doivent de toute urgence être récupérés, identifiés et enterrés dans

10 les sites désignés, il s'agit d'un site d'enfouissement signalé."

11 Quand avez-vous découvert que des individus avaient été tués dans ces

12 trois localités?

13 Réponse: J'ai appris cela en prison, parce qu'il y avait un jeune homme

14 parmi nous qui s'était plaint de tout cela. Et lorsqu'il était de service,

15 il nous racontait ce qui se passait à Sanski Most. Et, en octobre 1995,

16 pendant la libération de Sanski Most, j'étais présent lorsque ce site a

17 été mis à jour, et j'étais présent pour les funérailles et

18 l'identification des personnes qui avaient été tuées lors de ces jours-là.

19 Question: Pour se concentrer plus sur mai 1992, saviez-vous, à ce moment-

20 là, combien de personnes avaient été tuées dans ces différents endroits

21 qui sont mentionnés dans cet ordre?

22 Réponse: Je ne le savais pas.

23 Question: Quand l'avez-vous découvert?

24 Réponse: Je l'ai découvert après. Je ne pouvais pas le savoir en mai parce

25 que j'étais en prison, et je n'avais pas de contact.

Page 6151

1 Question: Combien de personnes, si vous en avez souvenir –si vous ne le

2 savez pas, dites "je ne sais pas"-, mais combien de personnes, si vous en

3 avez souvenir, ont été tuées dans ces trois localités?

4 Réponse: 42.

5 Question: Peut-on présenter au témoin la pièce 646 du dossier de

6 l'accusation?

7 Un dernier point cependant: où ces corps ont-ils été enterrés suite à

8 l'ordre que vous voyez ici? Si vous ne le savez pas, dites simplement "je

9 ne sais pas". Savez-vous où se trouvait le site d'enfouissement?

10 Réponse: Mais je sais où ils ont été enterrés, car, en 1995, j'étais

11 présent lors des exhumations; il s'agit de Greda à Sanski Most. Donc le

12 site s'appelle Greda à Sanski Most. Un trou avait été creusé et les corps

13 y avaient été jetés.

14 Question: Vous avez maintenant la pièce 646 devant vous; il s'agit là d'un

15 rapport de combat normal ou régulier du général Talic. Ce qui m'intéresse,

16 c'est la référence qui est faite au nombre de référence au 1er Corps de

17 Krajina, à ce moment-là. Je vais vous lire quelques paragraphes seulement

18 de ce rapport.

19 Paragraphe 1, huitième ligne: "Signale ce qui suit: il demeure une

20 résistance faible à la confiscation d'armes dans la région élargie de

21 Prijedor, Sanski Most et Kljuc. Les formations armées ont été brisées,

22 mais certaines de leurs composantes -des individus et même des escouades-

23 continuent à résister à l'armée de la république serbe de Bosnie-

24 Herzégovine au fur et à mesure de leur fuite. Un nombre important de

25 rebelles armés ont été capturés dans ces villes".

Page 6152

1 Monsieur le Témoin, lorsque vous avez été arrêté à Sanski Most, le 25 mai

2 1992, étiez-vous armé?

3 Réponse: Non, je ne l'étais pas.

4 Question: Savez-vous si l'homme handicapé mental qui était avec vous en

5 cellule était armé, lors de son arrestation?

6 Réponse: Il ne l'était pas.

7 Question: Est-ce qu'une quelconque des personnes avec vous était armée

8 lors de son arrestation? Si vous le savez dites-le, sinon dites "je ne

9 sais pas".

10 Réponse: Aucune des personnes n'était armée.

11 Question: Paragraphe 2: "Les unités du 1er Corps de Krajina tiennent les

12 positions prises antérieurement. La ligne de front n'a pas bougé. La

13 coopération avec le MUP de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, de

14 nettoyage du terrain et confiscation des armes détenues par les formations

15 illégales dans la zone de Prijedor, Sanski Most et Kljuc continue".

16 Monsieur Karabeg, en mai 1992, à ce moment-là, avez-vous vu la police et

17 l'armée travailler conjointement -comme c'est indiqué dans ce rapport- à

18 l'état-major principal de l'armée serbe de Bosnie?

19 Réponse: Si je l'ai vu? Non, je ne l'ai pas vu.

20 Question: Qui avait la direction du poste de police, qui avait la

21 direction des cellules où vous étiez détenu: la police ou l'armée?

22 Réponse: Je vais vous dire. Il y avait à la fois l'armée et la police.

23 Dans l'enceinte, il y avait des militaires aussi.

24 Question: Savez-vous si ces militaires étaient membres de la Défense

25 territoriale locale ou de la 6e Brigade? Encore une fois, si vous ne

Page 6153

1 connaissez pas la réponse, il vous suffit de dire "je ne sais pas".

2 Réponse: Je ne sais pas, parce qu'ils portaient beaucoup d'insignes

3 différents. Il y avait même, sur certains uniformes, 3 ou 4 insignes

4 différents; c'était considéré comme une sorte d'héroïsme.

5 Question: Vous avez mentionné que vous avez constaté que, dans la

6 l'enceinte de la prison et du poste de police, il y avait des policiers

7 militaires. Comment avez-vous déterminé qu'il s'agissait de policiers

8 militaires?

9 Réponse: Eh bien, voyez-vous, jusqu'alors, au cours de cette période, nous

10 savions à quoi ressemblait l'uniforme de la police et nous savions à quoi

11 ressemblait un uniforme militaire. Nous les distinguions par l'uniforme,

12 parce que, à cette époque, les policiers ne portaient pas des uniformes de

13 camouflage; ils portaient encore les anciens uniformes, l'uniforme porté

14 par la police régulière tant qu'elle a existé.

15 Question: Lorsque vous nous dites que vous avez vu des membres de l'armée,

16 quelle était la couleur de l'uniforme qu'ils portaient?

17 Réponse: Certains d'entre eux portaient les nouvelles tenues de

18 camouflage, et un certain nombre d'entre eux portaient les anciens

19 uniformes kaki.

20 Question: Il s'agit des uniformes que vous reconnaissiez de la JNA, donc

21 le SNB, le kaki?

22 Réponse: Oui. Oui, oui exactement ce sont ces uniformes-là, c'est à cela

23 que je pensais.

24 Question: Quelle était la couleur des nouveaux, des nouvelles tenues de

25 camouflage, si vous vous en souvenez?

Page 6154

1 Réponse: Il y avait plusieurs couleurs.

2 Question: Et la police, quelle était la couleur des uniformes qu'elle

3 portait?

4 Réponse: La police portait encore les anciens uniformes, les uniformes en

5 tissu bleu. Mais aux environs de la deuxième moitié de juillet, j'ai

6 commencé à voir des policiers qui portaient des tenues de camouflage

7 aussi.

8 Question: S'agissait-il de tenues de camouflage bleues ou vertes?

9 Réponse: Eh bien, il y avait des uniformes de camouflage bleus, il y avait

10 des uniformes de camouflage verts, et il y avait des uniformes de

11 camouflage jaunâtre, vert; ce sont les seuls dont je me souviens.

12 Question: Eh bien, un certain moment après le 29 mai -peut être est-ce que

13 je me trompe sur la date, veuillez corriger si je me trompe-, mais à ce

14 moment-là on vous a demandé de rédiger une déclaration avec Kurbegovic,

15 vous souvenez-vous de ce moment?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Que vous a-t-on demandé de faire figurer dans cette déclaration?

18 Réponse: Voilà comment cela s'est passé: les gens possédaient des armes,

19 avaient des armes en leur possession, des individus, des armes qu'ils

20 avaient achetées à des réservistes serbes.

21 Question: Alors vous parlez des Musulmans, là?

22 Réponse: Pardon?

23 M. Cayley (interprétation): Lorsque vous dites "les gens, la population

24 possédait des armes", à quelles personnes faites-vous référence?

25 M. Karabeg (interprétation): Mais des Musulmans et des Croates. Des armes

Page 6155

1 qu'ils avaient achetées à des réservistes serbes avec un numéro de

2 matricule. Il y avait donc le numéro de série ou de matricule et la

3 personne à qui l'arme avait été vendue.

4 Et ils ont insisté pour que moi, Redzo et Suad, nous rédigions une

5 déclaration qui serait diffusée par "Radio Sana", demandant à la

6 population de rendre ses armes. Et il en a été de même pour Faik Biscevic

7 qui a été capturé à Magarice par des membres de l'armée.

8 Et d'après ce qu'il a dit -ce qui a été ensuite confirmé par d'autres-, un

9 pistolet lui a été placé sur le front. On lui a donné le cornet du

10 téléphone pour qu'il dise à la population, par le biais de "Radio Sana",

11 que les personnes devaient venir et rendre leurs armes.

12 Donc, voyez-vous, ils connaissaient le nom de chaque citoyen non-serbe qui

13 était en possession d'un fusil, car ils les avaient achetés à des

14 réservistes. Et sur cette liste, on indiquait le nom ainsi que le numéro

15 de série du fusil.

16 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Ackerman?

17 M. Ackerman (interprétation): Le compte rendu indique "d'après ce qu'il a

18 dit -qui a été confirmé par d'autres-, un pistolet a été prêté (en

19 anglais), sur son front". Il semble qu'il y ait une erreur de traduction,

20 je ne comprends pas.

21 M. le Président (interprétation): Oui, j'aimerais vous demander

22 d'expliquer. Il se peut qu'il s'agisse… et c'est probablement d'ailleurs

23 une erreur d'interprétation.

24 Que vous a-t-on dit, que vous a dit Faik Biscevic, ou d'autres, lorsqu'il

25 a raconté ce qui s'est passé, lorsqu'on lui a demandé ou lorsqu'on l'a

Page 6156

1 forcé à prendre le combiné et à faire cet appel que vous avez mentionné

2 sur les ondes de "Radio Sana"?

3 Ce que je veux, c'est un éclaircissement de votre part concernant la

4 manière dont le pistolet joue un rôle dans tout cela. Est-ce que quelqu'un

5 lui a mis un pistolet à la tempe, sur le front; que s'est-il passé?

6 M. Karabeg (interprétation): Eh bien, j'ai essayé de montrer, voilà ce

7 n'était pas sur le front. On lui a posé le pistolet sur la tempe.

8 M. le Président (interprétation): Donc, vous nous dites que quelqu'un lui

9 a mis le pistolet sur la tempe?

10 M. Karabeg (interprétation): Oui.

11 M. le Président (interprétation): Bien.

12 M. Cayley (interprétation): Qui vous a dit cela?

13 M. Karabeg (interprétation): C'est Faiko qui me l'a dit le premier. Il a

14 été emmené à la prison, pendant la nuit du 28 mai, de Magarice.

15 Question: La déclaration que l'on vous a forcé à faire, vous ne l'avez pas

16 faite personnellement à la radio, quelqu'un d'autre en a donné lecture;

17 c'est exact?

18 Réponse: Oui. Nous avons rédigé cette déclaration, nous l'avons signée, et

19 ils l'ont ensuite emportée pour aller la diffuser à la radio.

20 Question: Est-ce que vous, personnellement, vous avez entendu la lecture

21 de cette déclaration?

22 Réponse: Non, je ne l'ai pas entendue parce que nous n'avions pas la

23 possibilité d'écouter la radio.

24 Question: Pourrait-on montrer la pièce 656 au témoin, s'il vous plaît?

25 (Intervention de l'huissier.)

Page 6157

1 Monsieur le Témoin, il s'agit d'un ordre de la cellule de crise de la

2 municipalité de Sanski Most, il s'agit d'un ordre qui a été rendu le 30

3 mai 1992. Et la partie qui m'intéresse est la première partie: "Le

4 directeur de l'entreprise de distribution publique doit fournir des

5 machines, ainsi que des effectifs pour enterrer les personnes qui ont été

6 tuées au cours d'opérations de combat à Vrhpolje et à Hrustovo". (Fin de

7 citation.)

8 Quand avez-vous appris que des opérations de combat avaient eu lieu à ces

9 deux endroits? N'oublions pas que vous étiez toujours détenu dans la

10 cellule au poste de police.

11 Réponse: J'ai appris cela au moment où je suis parti au camp de Manjaca.

12 Question: C'était en août 1992?

13 Réponse: Oui. Plus exactement le 28 août 1992.

14 Question: Et que s'est-il passé, d'après ce qu'on vous a dit, à Vrhpolje

15 et à Hrustovo?

16 Réponse: On m'a dit que des gens avaient été tués: des femmes, des enfants

17 et des vieillards. J'ai entendu que, pour la famille Merdanovic

18 uniquement, 17 membres de la famille avaient été tués; des femmes, des

19 enfants, ainsi que le vieux Merdanovic. Et ses quatre fils étaient, eux,

20 en Suisse; ils travaillaient en Suisse;

21 Question: Qui vous a dit cela?

22 Réponse: Je l'ai entendu des autres détenus dans le camp, des détenus qui

23 venaient de ces zones-là.

24 Question: Et, lorsque vous nous parlez du camp, vous parlez de Manjaca?

25 Réponse: Oui, Manjaca effectivement.

Page 6158

1 Question: Est-ce qu'ils vous ont dit qui était responsable de ces meurtres

2 à Manjaca?

3 Réponse: Oui, ils me l'ont dit; c'étaient les membres de l'armée.

4 Question: Quelle armée?

5 Réponse: L'armée populaire yougoslave de l'époque.

6 M. Cayley (interprétation): Pourrions-nous prendre la pièce P657, s'il

7 vous plaît, très brièvement? C'était uniquement pour attirer l'attention

8 des Juges sur ce document, je ne vais pas poser de questions au témoin sur

9 ce document.

10 La pièce P657.

11 M. le Président (interprétation): Quelle partie du document?

12 M. Cayley (interprétation): Le paragraphe 3, la cinquième ligne du

13 paragraphe 3. Et peut-être pourrait-on également préparer la pièce P661.

14 Il s'agit, dans ce document, d'un rapport de combat ordinaire du

15 commandement du 1er Corps de la Krajina à l'état-major principal de la

16 République serbe de Bosnie-Herzégovine. Il est dit -je cite: "La zone

17 élargie de Sanski Most, Prijedor et Kljuc est contrôlée par nos unités. Le

18 nettoyage de la zone est en cours". (Fin de citation.)

19 Pourrions-nous, à présent, passer à la pièce P661, s'il vous plaît?

20 (Intervention de l'huissier.)

21 Est-ce que vous avez la pièce 661 sous les yeux?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Il s'agit à présent des conclusions de la cellule de crise de la

24 municipalité serbe de Sanski Most du mois de juin 1992. Et je lis, je

25 cite: "Mirko Vrucinic, Nedeljko Rasula, ainsi que le colonel Nedjo Anicic

Page 6159

1 seront chargés de résoudre le problème des prisonniers, leur placement

2 dans différentes catégories et leur déportation vers Manjaca.

3 Première catégorie, hommes politiques; deuxième catégorie, extrémistes

4 nationalistes; troisième catégorie, personnes indésirables dans la

5 municipalité de Sanski Most.

6 Dans cette optique, rentrez en contact avec le colonel Stevilovic du 1er

7 Corps de la Krajina". (Fin de citation.)

8 Monsieur le Témoin, pendant que vous étiez détenu au poste de police,

9 avez-vous jamais entendu parler de ces différentes catégories de

10 prisonniers?

11 Réponse: Non.

12 Question: Si vous deviez vous définir, dans quelle catégorie vous

13 placeriez-vous?

14 Réponse: Moi, je me mettrais dans la catégorie non-Serbes, car je

15 n'appartiens pas au groupe ethnique serbe.

16 Question: Alors êtes-vous en train de nous dire que, si l'on vous a

17 déporté, c'est uniquement parce que vous étiez non-serbe.

18 Réponse: Oui, parce que je suis bosnien, je suis un "balija" ou alors,

19 j'aurais pu être un Croate, un Oustachi.

20 Question: Savez-vous que votre nom figure sur une liste où vous êtes

21 classé comme extrémiste -nous viendrons à cette liste dans un instant?

22 Réponse: Ecoutez, je n'ai vu aucune liste de la sorte. Au moment où j'ai

23 été arrêté, peut-être qu'ils avaient un certain point de vue sur moi. Les

24 premières arrestations ont eu lieu le 25 mai, j'ai donc été arrêté parmi

25 les premiers. Mais, en prison, j'ai retrouvé cette personne handicapée

Page 6160

1 mentale dont j'ai parlé, c'est à dire Meho surnommé "Znojko"; lui aussi

2 c'était un Bosnien, un "balija" comme moi.

3 Question: Au paragraphe 2 de ce document –nous arrivons à cette liste dans

4 un instant-, mais au paragraphe 2 du document, il est dit -je cite: "La

5 cellule de crise décide par la présente de nommer Drago Vujanic comme

6 gardien de la prison, et qu'il faut licencier Papric". (Fin de citation.)

7 Vous nous avez dit qu'au moment où vous êtes arrivé à la prison, Papric

8 était responsable. Est-ce que, à un moment quelconque, vous avez eu

9 connaissance du fait qu'il a été remplacé par Drago Vujanic?

10 Réponse: Je n'ai pas été mis au courant de cela, c'est uniquement par les

11 visites que j'ai pu le sentir.

12 Question: Vous avez vu Drago Vujanic au poste de police, c'est exact?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Jusqu'au 9 et 10 juin 1992, est-ce que des actes de violence

15 quelconques ont été perpétrés contre les détenus au poste de police, dans

16 les cellules, pour autant que vous puissiez vous en souvenir? Y en a-t-il

17 eu avant cette date?

18 Réponse: Jusqu'au 10 juin, les détenus de la prison n'ont rien subi,

19 personne ne nous a touchés.

20 Question: Diriez-vous qu'on vous a bien traités jusqu'au 10 juin?

21 Réponse: On ne nous a pas maltraités.

22 Question: Peut-être pourrais-je vous demander de prendre la pièce 663, à

23 présent?

24 (Intervention de l'huissier.)

25 Il s'agit d'un document à l'intention du commandant de l'unité de

Page 6161

1 formation militaire de Manjaca. C'est le dernier paragraphe de ce document

2 qui m'intéresse: "Nous faisons savoir que nous avons encore plusieurs

3 prisonniers dans les cellules de détention du poste de sécurité publique

4 qui vous seront envoyés pour la suite de la procédure". (Fin de citation.)

5 Une question tout d'abord: le 6 juin 1992, vous trouviez-vous dans les

6 cellules de détention du poste de sécurité publique de Sanski Most?

7 Réponse: Oui, j'étais en prison, j'étais dans la prison qui se trouve dans

8 l'enceinte du service de sécurité publique.

9 Question: Et pour autant que vous puissiez vous en souvenir, combien

10 d'autres Musulmans s'y trouvaient avec vous, à ce moment-là, le 6 juin

11 1992, au poste de sécurité publique?

12 Réponse: Tous ceux que j'ai énumérés tout à l'heure y étaient, mais il y

13 en avait encore d'autres, nous étions plus nombreux.

14 Question: Combien environ, si vous arrivez à vous en souvenir?

15 Réponse: Je crois que nous étions 14 ou 15: dans une cellule, il y en

16 avait 7, et dans l'autre je crois qu'il y en avait 8; donc au total 15.

17 Mais dans l'intervalle, ce Meho dont j'ai parlé a été relâché. Par

18 ailleurs, Marinko a été relâché également ainsi que Ibro Kuzelj.

19 Question: Au début de cet ordre, il est dit que, suite à un accord conclu

20 avec le commandement du Corps de Banja Luka, le colonel Stevilovic, et

21 avec le chef du département de police du centre de service de sécurité de

22 Banja Luka, Stevan Markovic, nous vous envoyons un groupe de personnes qui

23 ont été capturées pendant les opérations de combat dans la municipalité de

24 Sanski Most, ainsi que les personnes qui ont collaboré avec elles et qui

25 ont préparé un soulèvement armé dans la municipalité de Sanski Most". (Fin

Page 6162

1 de citation.)

2 Savez-vous que le 6 juin 1992, ou autour de cette date, un transfert de

3 prisonniers de Sanski Most à Manjaca a eu lieu?

4 Réponse: Oui, j'en ai eu connaissance. Il s'agissait du deuxième groupe de

5 prisonniers de Sanski Most qui ont été transférés à Manjaca.

6 Question: Et si vous arrivez à vous en souvenir, savez-vous à quelle date

7 ce deuxième groupe a été transféré?

8 Réponse: Le 3 juin.

9 Question: La date de cet ordre est le 6 juin 1992; alors, comment est-il

10 possible qu'ils aient été transférés le 3 juin 1992?

11 Réponse: Ecoutez, je ne peux pas le dire avec certitude, mais le premier

12 groupe est arrivé à Manjaca le 3 juin; je crois qu'il y avait environ 152

13 personnes de l'école de Hasan Kikic. Quant à l'autre groupe, environ 172

14 personnes, ils sont arrivés le 6 juin depuis la prison, depuis le complexe

15 Betonirka ainsi que de la salle de sport de Sanski Most.

16 Question: Etant donné que vous étiez dans une cellule au moment où cela

17 s'est passé, comment avez-vous appris que ces transferts avaient eu lieu?

18 Réponse: Le jour même, parce que certaines personnes de la cellule avaient

19 été envoyées en prison. Ibro Kuzelj a été relâché et il se trouvait déjà à

20 Manjaca et figurait parmi les personnes de ce premier groupe qui y ont été

21 envoyées, le 3 juin.

22 M. Cayley (interprétation): J'ai peur de n'avoir pas parfaitement compris

23 la réponse à cette question. Je repose la question: comment saviez-vous

24 que ces deux groupes de personnes ont été transférés de Sanski Most au

25 camp de Manjaca, si vous vous trouviez dans une cellule de prison dans le

Page 6163

1 poste de police?

2 Réponse: Certaines personnes des cellules ont été envoyées à Manjaca.

3 Concrètement, ce jour-là, dans la cellule n°1, Stipe Catic, Fikret

4 Saletovic, Ismet Jakupovic, Ismet Alagic ont été envoyés à Manjaca.

5 On les a appelés, on les a emmenés, et nous avons tout de suite supposé

6 qu'ils ont été envoyés à Manjaca. Et par la suite, cela s'est avéré.

7 Question: Est-ce que, par la suite, vous avez retrouvé ces personnes à

8 Manjaca?

9 Réponse: Oui, oui, je les ai tous revus, retrouvés.

10 Question: J'aimerais maintenant passer aux 9 et 10 juin 1992 où la

11 situation a changé au poste de police. Pouvez-vous dire aux Juge ce qui

12 s'est passé à ce moment-là, ce qui s'est passé, ce qui vous est arrivé?

13 Réponse: Jusqu'au 9 juin j'étais en détention. Une fois, on m'a convoqué

14 pour un interrogatoire et c'était Dosenovic qui s'est chargé de cet

15 interrogatoire. Avec lui, j'ai eu une entretien très correct; il m'a posé

16 des questions sur mon travail, sur le travail du conseil exécutif, il m'a

17 posé des questions...

18 Le 24 et le 25 décembre, pour Noël, donc en 1991, je suis allé en Croatie.

19 Là aussi on m'a posé la question, on m'a demandé pourquoi j'y étais allé.

20 Et moi, j'étais vraiment allé en Croatie parce que nous avions commandé un

21 appareil important pour le chauffage central à Sanski Most; nous l'avons

22 commandé à TPK. Et il s'avère que pour cette chaudière le taux de change

23 était intéressant en Croatie. En effet, il y avait un rapport d'un demi

24 par rapport à ce qui prévalait dans notre région, notre partie; nous avons

25 donc décidé de nous rendre en Croatie pour cette raison, pour confirmer

Page 6164

1 cette commande de la chaudière. Mais le 9 juin, j'ai été convoqué…

2 Question: Nous parlons maintenant de 1992, n'est-ce pas?

3 Réponse: Oui, je parle toujours de 1992. Ou plutôt, là, j'avais fait une

4 incursion en 1991. Mais je reviens en 1992.

5 Le 9 juin 1992, à 10 heures et demie, on m'a convoqué pour un

6 interrogatoire; Redzo Kurbegovic, moi-même, Faik Biscevic ainsi que Hase

7 Osmancevic avons été convoqués. Il nous ont interrogés chacun séparément

8 dans une pièce séparée, et c'est Rajko Stanic qui s'est occupé de

9 l'interrogatoire, surnommé "Rajkica".

10 Il a commencé par me dire ces mots: "Allez! Explique-nous, Mirzo, ce que

11 tu as fait! Mais je vais commencer par te poser une question: est-ce que

12 tu sais où se trouve Adil Draganovic?", j'ai répondu que je ne savais pas.

13 Et il m'a dit: "Bien, écoute pour ton information: Adil Draganovic se

14 trouve à Manjaca. Et il voulait un parti national, eh bien, voilà, il est

15 à sa place maintenant."

16 Nous avons parlé de cette façon-là, mais j'étais assez attristé parce que

17 Rajkica et moi nous étions très proches avant cela. Et il m'a demandé ce

18 que je savais exactement. Et il m'a fait entrer dans une pièce, et les

19 trois personnes qui se trouvaient sur place ont commencé à me donner des

20 coups et ils m'ont passé à tabac pendant une heure.

21 Rajkica revient, et il me redit: "Mais Mirzet raconte!" Et là, pendant

22 trois à cinq minutes, j'ai de nouveau parlé avec Rajkica. Rajkica est

23 parti et ils ont recommencé à me frapper pendant environ encore une heure.

24 La troisième fois qu'il est revenu, il m'a dit: "Mais enfin Mirzet,

25 pourquoi est-ce que tu ne l'écris pas?" Alors j'ai commencé à écrire: "Je

Page 6165

1 m'appelle Mirzet Karabeg de Sanski Most, je suis membre du parti SDA,

2 etc." Il est revenu au bout de quelques minutes, il m'a dit: "Non, cela ne

3 suffit pas, Mirzet!"

4 Et une fois de plus, on a recommencé à me frapper. Mais j'étais assis sur

5 une chaise, ils ont apporté une deuxième chaise, j'ai dû mettre les pieds

6 dessus. Il y en a deux qui me donnaient des coups sur la tête, dans le

7 dos, le troisième était en train de me donner des coups sur les plantes de

8 pied, les pieds, les jambes, de toutes ses forces.

9 Après cela, au bout d'une heure environ, Rajkica est revenu encore une

10 fois et il m'a dit: "Mais Mirzet enfin, descends et réfléchis."

11 Je suis descendu au rez-de-chaussée de ce bâtiment et je suis rentré. J'ai

12 essayé de déplier mes jambes et j'ai regardé le mur en face de moi, j'y

13 suis resté une heure et demie. Et je ne sais pas comment les gens l'ont

14 su, mais les gens sont venus de l'extérieur, ils ont commencé à me

15 frapper, à me donner des coups de poings, à me frapper avec des câbles.

16 Ensuite, ils m'ont ramené. J'ai demandé à Rajkica si je pouvais boire un

17 verre d'eau, il m'a dit "oui" et il m'a donné une peu d'eau dans un broc

18 et j'ai bu de l'eau.

19 Un policier est arrivé et il m'a dit de prendre mes affaires. J'ai pris

20 mes affaires et je suis entré dans Betonirka.

21 Question: Monsieur le Témoin, je dois vous interrompre car j'ai un certain

22 nombre de questions à vous poser. Qui était Stanic?

23 Réponse: Rjako Stanic était juge du tribunal municipal de Sanski Most, et

24 en l'occurrence, il faisait partie des personnes qui menaient ces

25 interrogatoires.

Page 6166

1 Question: Vous souvenez-vous du nom des personnes qui vous ont passé à

2 tabac dans la pièce où se déroulait l'interrogatoire?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Comment s'appelaient-ils?

5 Réponse: Zoric, lui aussi était enquêteur à la police, inspecteur de

6 police. Mico Krunic. Et il y avait encore une autre personne plus jeune,

7 je ne m'en souviens pas très bien, mais il était habillé de façon très

8 soignée et il avait un uniforme où il portait des insignes chetniks.

9 Question: Quelle était votre condition physique avant d'être incarcéré

10 avant de partir de Betonirka?

11 Réponse: J'avais été passé à tabac. C'est très difficile de décrire dans

12 la condition dans laquelle j'étais. J'étais dans des conditions terribles,

13 horribles. Voyez-vous, c'était la première fois de ma vie où j'étais passé

14 à tabac, la première fois.

15 Question: Vous avez dit que la dernière chose que vous avez faite c'est de

16 descendre le palier, et que certaines personnes venaient de la rue. Vous

17 avez vu certaines personnes entrer de la rue. Qui étaient ces personnes?

18 Réponse: Je n'ai pas osé me retourner, je n'avais pas le droit de les

19 voir. Mais, d'après le commentaire que j'ai entendu, il paraît que des

20 individus étaient venus demander: "Qui est cet homme?". Je ne suis pas sûr

21 à cent pour cent, mais à quatre vingt dix neuf pour cent je suis sûr du

22 fait que c'était un homme dénommé "Kudro", un voisin qui a répliqué:

23 "C'est mon voisin, Mirzet". Je n'ai pas osé me retourner pour voir qui me

24 passait à tabac car, peut être que si je m'étais retourné à cet instant,

25 je ne serais pas ici devant vous, aujourd'hui; j'aurais été tué.

Page 6167

1 Question: Avec quoi vous a-t-on passé à tabac lorsque vous vous trouviez

2 au rez-de-chaussée, à ce stade-là?

3 Réponse: Avec les poings, avec des pieds, des coups de pied, des morceaux

4 de câbles électriques, et des gaules en bois, des planches de bois.

5 D'ailleurs une "gaule", en fait, comme nous disons dans notre jargon.

6 Question: Monsieur l'huissier, si vous pouviez nous donner ces

7 photographies, s'il vous plaît, et les présenter aux autres personnes.

8 (Intervention de l'huissier.)

9 C'est la pièce P799, Monsieur le Président.

10 Monsieur Karabeg, si vous pouviez le poser, s'il vous plaît, sur le

11 rétroprojecteur qui se trouve à côté de vous?

12 (Le témoin s'exécute.)

13 Quel est donc cet endroit?

14 Réponse: Ce sont les garages de Betonirka.

15 Question: Et pour le compte rendu, le témoin se réfère à la pièce du

16 Procureur 799.

17 Où vous trouviez-vous détenu dans ces bâtiments, dans ces garages?

18 Réponse: J'étais détenu dans le troisième garage, 1, 2, 3, celui-ci.

19 Question: Le témoin indique la porte rouge du garage sur la gauche de la

20 photographie, la dernière porte sur la gauche lorsqu'on regarde la

21 photographie de face.

22 Réponse: Puis-je, avec votre permission, rajouter ceci: à cette époque-là,

23 ces garages n'avaient pas ce toit, et cette partie qui se trouve ici

24 n'était pas là non plus; elle a été construite après la guerre. Il y avait

25 simplement ces garages avec une plaque de ciment de béton plate, une

Page 6168

1 dalle.

2 Question: Quelle était la taille de la cellule dans laquelle vous vous

3 trouviez dans ce bâtiment? Une taille approximative, s'il vous plaît?

4 Réponse: Plus ou moins trois mètres sur six mètres. Trois mètres de large

5 de six mètres de long.

6 Question: Jusqu'à quand vous a-t-on gardé dans cette pièce?

7 Réponse: Jusqu'au 7 juillet 1992.

8 Question: Combien y avait-il de prisonniers avec vous? Le nombre le plus

9 petit de prisonniers et le nombre le plus grand de prisonniers, si vous

10 vous en souvenez?

11 Réponse: Le plus petit nombre s'y trouvait quand j'y suis arrivé: il y

12 avait quatre personnes dans la cellule. Et le plus grand nombre était au

13 nombre de 36.

14 Question: A une époque, il y avait 36 personnes dans une pièce qui faisait

15 six mètre sur trois, c'est exact? C'est ce que vous dites?

16 Réponse: Oui, c'est exact.

17 Question: Quelle était la qualité des repas que vous receviez?

18 Réponse: On nous donnait des repas le matin et le soir pas. Et d'habitude,

19 c'étaient des restes des repas de leurs hommes qui travaillaient dans la

20 prison, et donc, on nous donnait ce qui restait; c'étaient des hommes qui

21 travaillaient aussi pour la MUP qui nous étaient donnés.

22 Question: Quel était l'état des lieux sanitaires?

23 Réponse: L'état sanitaire des lieux était horrible. Nous étions enfermés

24 dans une cellule, on nous relâchait le matin pendant 5 à 10 minutes et le

25 soir pendant 5 à 10 minutes. Il nous fallait aller aux toilettes dans le

Page 6169

1 garage pour défécation et urination, et nous avions le droit de sortir…

2 nous avions le droit à ce moment-là d'utiliser les toilettes qui étaient

3 sur le terrain dans l'enceinte. Nous dormions sur la dalle de ciment. Nous

4 n'avions pas de couverture. Une fois, on nous a donné du polystyrène mais

5 ce n'était pas très confortable car, quand vous vous allongez sur ce

6 matériel, il se casse, il faut après l'enlever. C'est de la mousse et il

7 faut l'enlever après, cela vous fait mal, c'est comme des morceaux de

8 pierre ou du sable. Donc il fallait l'enlever.

9 Question: Vous avez dit plus tôt, dans votre déposition, que vous avez été

10 passé à tabac avant d'arriver. Est-ce que l'on vous a donné des soins

11 médicaux? Qu'est-ce qui était disponible pour traiter vos blessures

12 lorsque vous êtes arrivés à Betonirka?

13 Réponse: Nous n'avions pas de soins médicaux.

14 Question: Vous avez déjà dit qu'il y avait 36 personnes dans cette pièce.

15 Comment cette pièce était ventilée, comment l'air entrait-il dans cette

16 pièce?

17 Réponse: Sur le côté, il y avait une petite fenêtre et c'était tout. Mais

18 le problème était le suivant: des personnes se plaignaient surtout dans le

19 garage central car il n'y avait pas de fenêtre du tout dans ce garage,

20 celui du centre.

21 Question: Dans votre pièce, y avait-il assez d'air?

22 Réponse: Pas du tout. Il n'y avait pas assez d'air, il y avait 36

23 personnes dans cette pièce à l'intérieur toute la journée!

24 Question: Comment avez-vous pu réussir à dormir avec 36 personnes dans

25 cette cellule?

Page 6170

1 Réponse: Eh bien, la situation était la suivante: à cause des mauvais

2 traitements, des conditions, parfois on s'endort. Mais ils ne vous

3 permettaient pas de s'endormir.

4 Il y avait un homme qui s'appelait Milan Martic qui était le pire; lui, il

5 était le pire. Lorsque c'était sa tournée -il était chef du tour de garde-

6 il nommait l'un d'entre nous dans le garage pour monter la garde. Tous,

7 nous restions sur pied toute la nuit et, comme pour le remercier, pour le

8 féliciter, la personne qui regardait, qui montait la garde, avait le droit

9 de s'asseoir. Nous ne voulions pas accepter, mais si nous n'acceptions

10 pas, nous étions passés à tabac.

11 Et puis, toutes les 15 minutes, il envoyait un policier pour vérifier,

12 pour regarder à l'improviste et pour voir avec une lampe de poche si nous

13 étions tous encore debout. Ceci s'est poursuivi de 7 heures du matin,

14 lorsque son tour de garde commençait jusqu'à 7 heures du matin, lorsque

15 son tout de garde commençait.

16 Question: Et d'après ce que vous savez, pour autant que vous le sachiez,

17 qui était chef du camp de Betonirka?

18 Réponse: Eh bien, la personne principale du camp était Vojnic Drago et son

19 député était Mico Krunic?

20 Question: Vous souvenez-vous du nom des gardes, de certains des gardes?

21 Réponse: Je me souviens de nombreux noms de gardes. Mais maintenant, à

22 présent, je ne me souviens plus de ces noms. Malheureusement, c'étaient

23 des personnes que je connaissais, des personnes de Sanski Most.

24 Question: Nous allons maintenant parler de la violence physique à

25 Betonirka. Si vous pouviez nous faire un petit résumé de ce qu'il vous est

Page 6171

1 arrivé dans le camp, et si vous pouviez faire ce résumé pour les Juges?

2 Réponse: Lorsque les interrogatoires ont commencé dans les prisons et que

3 les maltraitances se sont arrêtées...

4 Question: Vous parlez de poste de police de sécurité publique, n'est-ce

5 pas?

6 Réponse: Non, je parle du 9 juin et les jours qui s'ensuivaient. Le garde

7 m'a dit: "Prends tes affaires et tu vas aller à Betonirka!". Lorsque je

8 suis arrivé là-bas, on m'a dit "va au garage n°3", j'ai laissé mes

9 affaire. Et à cet instant on m'a appelé et on m'a passé à tabac.

10 Et cet homme, Martic, a commencé à me passer à tabac tout de suite,

11 c'était le premier homme à me poser la question: "Qu'avez-vous voulu faire

12 à nos enfants?"; c'était la première fois que j'entendais parler de cela!

13 Il m'a passé à tabac jusqu'à 11 heures du soir. Ce jour-là, le 9 juin,

14 j'ai été passé à tabac de 10 heures 30 du matin jusqu'à 11 heures du soir.

15 Je ne sais pas s'il y avait peut-être une pause de deux heures entre ces

16 passages à tabac. Mais si nous devions rajouter toutes les pauses faites

17 de 5 ou 10 minutes, peut être le total serait de deux heures. Et le temps

18 qu'il a pris pour moi de me déplacer de la prison vers Betonirka, qui se

19 trouve à environ quelques centaines de mètres du poste de police, cela m'a

20 pris environ 15 minutes pour m'y rendre.

21 Question: Quand il vous posait des questions au sujet de ce que vous

22 vouliez faire "à nos enfants" –citation-, à quoi faisait-il référence?

23 Réponse: A la radio, ils avaient commencé à faire des rapports sur le fait

24 que j'avais des listes d'enfants à circoncire, de jeunes enfants de 3 ans

25 et demi et des viols de filles serbes. Et tout d'abord, ils ont dit d'âge

Page 6172

1 de 6, 8 et 12 ans et puis, ils ont dit qu'il avait trouvé ces listes dans

2 mes tiroirs. Et après, j'ai appris -car vous savez comme sont les gens-

3 que personne ne s'était posé la question à savoir si ces listes existaient

4 vraiment, mais tout le monde avait dit: "Comment pouvait-il être si fou

5 que de conserver ces listes dans ces tiroirs?".

6 Donc, vous imaginez cette sorte de propagande qu'ils avaient. Afin de

7 pouvoir faire face à ces choses, ils disaient qu'ils avaient trouvé ces

8 listes dans mes tiroirs.

9 Question: Avez-vous fait ces listes, rédigé ces listes?

10 Réponse: Bien sûr que non. Cela ne m'est jamais par la tête. Et j'aimerais

11 dire aussi que la dernière fois que je me suis rendu dans mon bureau était

12 le 19 avril 1992. Et j'ai été arrêté le 25 mai 1992. Ce qui signifie que

13 s'il y avait eu des listes, elles auraient été découvertes, révélées, et

14 aucun homme raisonné ou intelligent aurait eu de telles idées.

15 Et puis, j'aimerais répéter quelque chose que j'ai dit: cette propagande

16 était qu'ils avaient trouvé ces listes dans mes tiroirs. Et la réaction du

17 peuple a été: "Comment a-t-il pu être aussi fou d'avoir gardé, conservé

18 ces listes dans ces tiroirs." Ces listes qui n'avaient jamais existé ni…

19 la rédaction de telles listes ne m'était jamais passée par la tête, passé

20 par nos têtes.

21 Question: Vous avez parlé de Martic et de l'époque à laquelle il vous a

22 passé à tabac. Nous allons aller un petit peu de l'avant. Vous avez parlé

23 de Martic et Kajtez qui vous ont passé à tabac. Est-ce que vous pouvez

24 dire aux Juges ce qui est arrivé à cette époque-là?

25 Réponse: Après environ deux jours, si je me souviens bien, Nihad Kljucinic

Page 6173

1 avait été accusé, on l'avait suspecté, la même chose pour lui. C'était un

2 homme qui se trouvait avec moi à Betonirka, mais il ne se trouvait pas

3 dans le même garage.

4 Environ à sept heures du soir on nous a permis de sortir, mais Martic et

5 Kajtez passaient à tabac Nihad. "Où sont ces listes?" lui demandaient-ils.

6 Après avoir passé Nihad à tabac, ils m'ont appelé et ont dit à Nihad:

7 "Voici ton copain. Tu découvriras de sa part où se trouvent ces listes!".

8 Ils m'ont forcé à m'agenouiller comme un âne. J'ai dû m'agenouiller sur

9 mes genoux et mes mains. Ils ont donné un bâton à Nihad afin qu'il me

10 frappe. Il commença à me frapper doucement, ils ont pris le bâton, ils ont

11 suivi, ont continué à le battre, lui, et en m'insultant et me frappant

12 plusieurs fois aussi.

13 Après ceci, ils ont laissé partir Nihad et ils ont continué à me battre

14 tous les deux avec ces bâtons. Et puis, il y avait une voiture conduite

15 par Martic; ils m'ont forcé contre la voiture. Martic a pris un bâton et

16 l'a mis sous mon menton. Kajtez a pris un couteau comme s'il allait me

17 couper l'oreille, m'enlever l'oreille et ils ont poursuivi leur passage à

18 tabac. Je ne sais pas quel était le système dans le camp mais je me

19 trouvais entre les deux et l'un me frappait avec, me frappait avec son…

20 par derrière. Et l'autre me frappait avec le bâton, pour continuer à me

21 battre pendant deux heures. Et vous savez, c'était toute à fait typique,

22 normal.

23 Ils m'ont frappé à l'intérieur du camp de Betonirka et les personnes qui

24 venaient de Kruhari -et ceci est un voisinage dont les habitants étaient à

25 99% serbes-, derrière les fils de fer, les personnes regardaient ce qu'il

Page 6174

1 se passait et elles applaudissaient, elles criaient comme si elles

2 regardaient un match de football. Et bien sûr, elles étaient pour les

3 passages à tabac. Elles disaient: "Battez-le, le salaud!"

4 Ces personnes disaient: "Que voulait-il faire à nos enfants? Et des gens

5 comme cela, ne devraient pas avoir le droit de marcher, d'être en vie sur

6 cette terre!"

7 Question: Est-ce que l'on vous avait dit pourquoi on vous passait à tabac?

8 Réponse: Je vous l'ai dit: à cause de cette liste, j'avais une liste. Mais

9 est-ce qu'ils ont retrouvé cette liste, est-ce qu'ils l'ont trouvée dans

10 mes tiroirs? Ils me battaient, ils me battent et me demandent cette liste!

11 Question: Je ne vais pas passer chaque passage à tabac jusqu'au 7 juillet,

12 quand vous êtes parti du camp de Betonirka. Mais y a-t-il eu un jour,

13 lorsque vous vous trouviez dans le camp, où l'on ne vous a pas passé à

14 tabac?

15 Réponse: J'aimerais dire ceci: je crois que c'était peut être le dernier

16 jour ou l'avant-dernier jour que je passais à Betonirka que l'on ne m'a

17 pas battu. Et c'était peut-être le 6 ou 7 juillet car, à environ 11

18 heures, lorsqu'ils étaient partis de Betonirka et envoyé tout le monde à

19 Manjaca, il y avait six d'entre nous qui restaient à Betonirka qui avaient

20 été envoyés en prison.

21 Question: Est-ce que quelqu'un un dénommé Tonci vous a jamais battu?

22 Réponse: Non.

23 Question: Le 7 juillet 1992, vers où vous a-t-on déplacé?

24 Réponse: On m'a déplacé à la prison.

25 Question: Vous parlez du poste de police de sécurité publique à Sanski

Page 6175

1 Most, n'est-ce pas?

2 Réponse: Oui, oui, la prison dans laquelle je me trouvais avant de me

3 rendre à Betonirka.

4 Question: Et combien de temps êtes-vous resté dans ce bâtiment? Quelle

5 était la période de temps de votre séjour?

6 Réponse: Du 7 juillet au 28 août 1992.

7 Question: Et comment vous a-t-on traité au poste de sécurité publique de

8 la période allant du 7 juillet au 28 août 1992?

9 Réponse: Eh bien, le traitement était le même, mais les passages à tabac

10 sont devenus de moins en moins fréquents après que les représentants de la

11 Croix-Rouge internationale soient arrivés et après que nous ayons été

12 enregistrés

13 Question: Pourquoi les passages à tabac sont-ils devenus moins fréquents

14 après la visite de la Croix-Rouge internationale?

15 Réponse: Eh bien, je ne puis vous répondre. Tout ce que je puis dire est

16 que lorsque j'étais enregistré sur la liste de la Croix-Rouge

17 internationale, j'ai commencé à vivre avec un petit peu plus d'espoir de

18 vivre que de survivre; c'est à dire que j'allais peut être survivre car

19 des représentants de la Croix-Rouge internationale, après avoir fait une

20 interview, n'avaient permis à aucun membre de la police d'être présent

21 lors de ces interviews. Nous nous trouvions tout seul avec eux, et, avec

22 chacun d'entre nous, ils avaient fait un interrogatoire honnête et clair.

23 Ils nous ont posé au sujet des conditions dans lesquelles nous vivions,

24 notre santé, si nous avions des contacts avec nos familles. Puis, à partir

25 de là, on nous a permis tous les samedis de rencontrer des membres de nos

Page 6176

1 familles dans l'enceinte de la prison pendant 10 à 15 minutes.

2 Question: Vous souvenez-vous du passage à tabac que vous reçu le 22 août

3 1992, juste avant de partir pour Manjaca?

4 Réponse: Oui.

5 M. Cayley (interprétation): Pouvez-vous décrire ce passage à tabac?

6 M. Karabeg (interprétation): La situation était la suivante: lorsque j'ai

7 dit qu'ils avaient commencé à nous battre de manière moins fréquente, ils

8 nous battaient le soir, samedi soir, afin que nous puissions être en

9 pleine forme le samedi suivant, lorsque les membres de notre famille

10 venaient nous rendre visite.

11 Ce 22 août, je me souviens très bien, c'était un samedi soir, nous avions

12 été habitués à ce passage tabac que nous recevions et ceci, jusqu'au

13 samedi suivant. Et cinq d'entre nous, nous nous trouvions dans la cellule

14 n°2 de la prison; il y avait moi-même, Osmancevic, Nihad Kljucinic, Osman

15 Talic, Franjo Ilicic.

16 C'est à cette époque, juste à ce moment-là que nous avons été relâchés

17 afin d'aller aux sanitaires et nous laver. Nous sommes revenus à la

18 cellule, et là, l'un des policiers a demandé nos noms. J'ai donné que mon

19 nom était Mirzet Karabeg et toutes les autres personnes ont donné leur

20 nom. Lorsque c'est arrivée au tour d'Osmancevic, il lui a demandé: "Est-ce

21 vraiment votre nom?", et il a commencé à le passer à tabac.

22 Et puis, il est revenu à la cellule et on lui a demandé pourquoi on

23 l'avait battu et il a dit: "Je ne sais pas, il m'a demandé mon nom et il

24 m'a frappé environ dix fois, m'a donné des coups de pied, il m'a donné des

25 coups de poing". Nous nous sommes assis dans la cellule.

Page 6177

1 Tout d'abord, Osman Talic a été appelé à l'extérieur. Nous avons pensé

2 qu'il allait nettoyer la cantine pour être dehors pendant quelques temps,

3 et puis…

4 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il faudrait faire une pause

5 pour l'instant, et le témoin pourra se reposer également. Et puis,

6 Monsieur Karabeg, vous allez poursuivre après la pause car nous avons

7 besoin de faire une pause, nous avons des normes qu'il faut respecter. Je

8 vous remercie. Trente minutes, s'il vous plaît.

9 (L'audience, suspendue à 12 heures 31, est reprise à 13 heures.)

10 (Questions relatives à l'absence du Juge Janu.)

11 M. le Président (interprétation): Avant de continuer, Monsieur Cayley,

12 comme vous le voyez, nous ne nous sommes que deux. Le Juge Janu a eu un

13 malaise. Nous espérons qu'elle sera avec nous, parmi nous demain. Entre

14 temps, nous allons appliquer la règle spéciale que nous avons pour

15 poursuivre à deux.

16 Monsieur Cayley?

17 M. Cayley (interprétation): D'accord.

18 M. le Président (interprétation): La défense? Maître Ackerman?

19 M. Ackerman (interprétation): Je tiens à faire objection afin qu'elle

20 figure au compte rendu, objection fait que l'on poursuive avec deux Juges.

21 M. le Président (interprétation): Maître Fauveau?

22 Mme Fauveau: Je rejoins Me Ackerman.

23 M. le Président (interprétation): Monsieur Cayley, avez-vous à réagir?

24 Est-ce que vous faites objection aussi?

25 M. Cayley (interprétation): Non, pas du tout, mais je respecte l'objection

Page 6178

1 formulée par la défense. Pouvez-vous me rappeler cette règle car je ne

2 l'ai pas en tête?

3 M. le Président (interprétation): Je me souviens du cas précédent, c'était

4 la Règle 70 B) en matière de déposition. Je sais que, vu la maladie

5 prolongée dont a souffert le Juge Riad, nous avons modifié les règles,

6 mais là, nous parlons de la Règle 15bis avec trois ou quatre scénarios

7 différents qui se présentent à nous.

8 Le premier scénario est le suivant: en A), lorsque pour cause de maladie

9 ou d'autres raisons personnelles urgentes –mais dans ce cas-ci, il s'agit

10 de maladie puisque vous avez pu constater que Mme le Juge Janu ne se

11 portait pas bien hier et pas mieux ce matin, donc elle est indisposée- où

12 l'activité se rapportant au Tribunal ayant été autorisée, un Juge ne peut

13 continuer à siéger dans une affaire en cours pendant une période qui

14 semble devoir être de courte durée, et les autres Juges de la Chambre sont

15 convaincus que l'intérêt de la justice le commande, ces derniers peuvent

16 continuer à entendre l'affaire en l'absence du premier Juge pendant une

17 période n'excédant pas trois jours.

18 La deuxième possibilité étant B): lorsque pour cause de maladie ou pour

19 raisons personnelles urgentes ou d'activités se rapportant au Tribunal

20 ayant autorisé, un Juge ne peut continuer à siéger dans une affaire en

21 cours pendant une période qui semble devoir être de courte durée, et les

22 autres Juges de la Chambre ne sont pas convaincus que l'intérêt de la

23 justice commande de continuer à entendre l'affaire en l'absence de celui-

24 ci, alors, les Juges présents peuvent toutefois traiter les questions dont

25 ils sont convaincus que l'intérêt de la justice commande de les trancher,

Page 6179

1 même en l'absence de ce Juge, et le Président de la Chambre peut ajourner

2 la procédure.

3 La troisième option, à mon avis, ne doit pas être mentionnée car je n'ai

4 aucune indication que la maladie de la Juge Janu puisse durer plus

5 longtemps qu'une période courte; je m'abstiendrai donc de lire le reste de

6 cet Article. Donc, voilà la position.

7 Donc, en fait, nous appliquons 15bis A). En d'autres termes, nous sommes

8 convaincus qu'il est de l'intérêt de la justice de continuer à entendre

9 l'affaire en l'absence de la Juge Janu.

10 Nous allons procéder à une autre évaluation de la situation à partir de

11 demain, mais elle m'a promis qu'elle sera ici demain.

12 (Suite de l'interrogatoire principal du témoin, M. Mirzet Karabeg, par M.

13 Cayley.)

14 M. Cayley (interprétation): Oui, je vous remercie, Monsieur le Président.

15 Monsieur le Témoin, pouvez-vous me dire à quel point vous vous trouviez

16 avant la pause? J'aimerais que nous puissions terminer pour 13 heures 45,

17 afin qu'il nous reste environ 40 minutes.

18 Vous nous avez dit que le 14 août 1992, un homme -dont vous nous avez dit

19 s'appeler Osman Talic-, a été appelé à sortir. Pouvez-vous nous dire ce

20 qui lui est arrivé et brièvement, ce qui vous est arrivé ce jour-là?

21 M. Karabeg (interprétation): Comme je l'ai dit, Osman a été appelé, on a

22 pensé qu'il allait nettoyer la tinette dans la cour du poste de police et

23 de la prison. Or, après 40 minutes, Osman est revenu à la cellule. Il

24 avait été battu. Il se tenait la main. Et d'après ce qu'il nous a dit, un

25 des gardiens lui avait pris la main et l'avait mise sous le robinet d'eau

Page 6180

1 chaude, a fait couler l'eau chaude, et nous avons pu constater que l'eau

2 chaude lui avait décollé la peau et la chair jusqu'à l'os. Après cela,

3 c'est Nihad qui a été appelé; Franjo battu aussi, et puis on m'a appelé.

4 De la cellule à la cour, il y a à peu près 20 mètres. J'ai été escorté par

5 un policier et deux personnes se parlaient pendant ce temps-là, je me suis

6 rapproché d'eux. Je pensais qu'ils allaient me frapper. L'un m'a donné un

7 coup de pied, il m'a frappé, et l'un d'eux a dit: "Regarde le guerrier

8 d'Alija. Fais-moi voir comment Alija t'a appris à faire la prière et mets-

9 toi à genoux".

10 Alors, je me suis agenouillé, j'ai mis mes mains par terre. Je ne l'ai pas

11 vu, mais il tenait à la main un pied de table en bois et il m'a frappé

12 verticalement, comme cela!

13 Et comme j'étais à genou, le second qui portait des bottes m'a donné un

14 coup de pied et m'a dit: "Lève-toi, espèce de balija! Remets-toi debout,

15 remets-toi à genoux". Ils m'ont frappé à nouveau, mais c'était de l'autre

16 côté et cela a duré quelques 40 minutes. Et puis, ils m'ont ramené en

17 cellule. Et moi, j'ai cru que je n'allais pas survivre et passer la nuit

18 et que je mourrais tellement je ressentais de douleurs. Je suis resté

19 éveillé toute la nuit. Nous avons tous été battus, passés à tabac.

20 Et le matin, lorsque je me suis levé, j'ai essayé de m'allonger sur le

21 ventre. Je me suis allongé, et lorsqu'ils m'ont laissé sortir pour aller

22 aux sanitaires, je me suis regardé dans la glace et sur mon dos: les

23 vaisseaux, c'était comme si on avait pris un feutre rouge et dessiné des

24 lignes sur mon dos. Et donc, pendant les 20 jours qui ont suivi, j'ai

25 dormi sur le ventre. Il n'était pas possible pour moi de dormir sur le dos

Page 6181

1 ou sur le côté.

2 Après 20 jours, j'ai pu dormir pendant un certain temps sur le dos mais

3 pas sur le côté, ni sur le côté droit ni sur le côté gauche. Dès lors,

4 j'ai rencontré… j'ai eu pas mal de problèmes d'insomnie, je ressentais des

5 douleurs que j'ai continué à ressentir pendant une demie année. Et

6 aujourd'hui encore je me réveille, ressentant des douleurs lorsque je me

7 tourne sur le côté gauche pour dormir.

8 Un autre aspect caractéristique, une autre personne que je ne connais pas

9 mais qui était un officier de l'armée, et un autre, un policier dont le

10 nom de famille était "Mauda", je ne connais pas son nom...

11 Question: Un de ces individus vous a donné un coup de pied et portait des

12 bottes. Où le coup a-t-il porté?

13 Réponse: Sur la figure et la tête, alors que j'étais baissé. Mais dès que

14 la porte s'ouvrait, j'ôtais mes lunettes car ils auraient certainement

15 brisé mes lunettes. J'avais un gardien, en fait, qui entrait dans la

16 cellule à Betonirka, qui a trouvé mes lunettes, les a prises et les a

17 cassées.

18 Question: Comment s'appelait-il?

19 Réponse: Dane Kajtez.

20 Question: Quelles ont été vos blessures consécutives à avoir reçu des

21 coups de pied dans la figure et dans la tête?

22 Réponse: Il ne me reste plus une seule dent, je porte une prothèse. Et si

23 vous le voulez, je peux vous le montrer. Mais je ne le ferai que devant

24 les Juges.

25 Question: Non, je pense que les Juges pourront se satisfaire que vous avez

Page 6182

1 perdu toutes vos dents suite à ces coups.

2 Le 28 août, vous avez été transféré à Manjaca. Est-ce exact?

3 Réponse: Oui, effectivement.

4 Question: Est-ce que quiconque qui était avec vous au poste de police est

5 resté au poste de police?

6 Réponse: En fait, nous étions un groupe de 15 dans les cellules de la

7 prison: 13 d'entre nous ont été extraits et nous avons été emmenés aux bus

8 et on nous a dit de rester là; Hasib Kamber et Emir Seferovic sont restés.

9 Question: Les deux personnes que vous avez nommées sont les deux personnes

10 qui sont restées à la prison du poste de police?

11 Réponse: Oui, c'est exact.

12 Question: Qu'est-il advenu d'eux si vous le savez?

13 Réponse: Ils ont été tués.

14 Question: Savez-vous qui les a tués?

15 Réponse: Je ne sais pas qui les a tués mais je sais qu'ils ont été tués

16 et, en fait, leurs corps ont été exhumés pour qu'ils soient ensuite

17 inhumés officiellement. J'étais présent lors de l'exhumation, j'ai vu

18 leurs corps.

19 Question: Vous êtes arrivé au camp de Manjaca. Quelle est la première

20 chose qui vous soit arrivée lorsque vous avez pénétré dans le camp de

21 Manjaca?

22 Réponse: Je voudrais simplement faire une observation, un commentaire.

23 Je pense que dans la nation serbe il y avait des gens de bon sens et des

24 gens biens. L'un des gardiens qui nous a escortés -il y en avait quatre-,

25 lorsque nous avons pénétré dans l'autocar, il nous a dit: "Asseyez-vous

Page 6183

1 dans le car, où vous voulez dans le car."

2 Question: Vous parlez maintenant du voyage de Sanski Most à Manjaca?

3 Réponse: Oui, de Sanski Most à Manjaca.

4 Il a dit: "Vous allez être emmenés à Manjaca, je vous escorte. Personne

5 n'a le droit de vous injurier ni de vous toucher". Et c'est exactement

6 comme cela que ça s'est passé jusqu'à notre arrivée à Manjaca.

7 Lorsque nous sommes arrivés à Manjaca, nous étions 49 dans l'autocar, 13

8 de la prison de la police et le reste de la salle "Krings".

9 Lorsque nous sommes arrivés à Manjaca, nous sommes descendus du bus, et on

10 nous a dit qu'il y avait un autre bus qui emmènerait les détenus relâchés

11 de Manjaca. Et c'est vrai, parce que Nihad Kljucinic est venu à Manjaca.

12 Et son père, qui avait 70 ans, quittait Manjaca. Ils ne leur ont pas

13 permis de se rencontrer, ils ont simplement pu se faire des signes de la

14 main.

15 Lorsque nous sommes arrivés à Manjaca, on nous a dit que nous subirions

16 une vérification ou un examen médical en groupe de huit. Et donc, huit

17 d'entre nous, dans le groupe dont je faisais partie, nous avons dû nous

18 déshabiller complètement. Et deux médecins, qui étaient aussi des détenus

19 de Sanski Most, nous ont examinés, ont demandé nos noms et prénoms, lieux

20 de naissance, date de naissance, et si nous avions des blessures

21 quelconques.

22 Et derrière eux, les gardiens de Manjaca, des Serbes, vérifiaient nos

23 affaires pour voir s'il y avait de l'argent ou de l'or ou toute autre

24 possession d'une valeur quelconque dans les affaires que nous avions

25 amenées avec nous. Après cela, nous nous sommes habillés après que nos

Page 6184

1 affaires étaient inspectées et qu'ils aient pris tout ce qui avait de la

2 valeur. Ils nous emmenaient à un endroit où nous avons attendu. Et une

3 fois que tout le monde eût passé l'examen médical, nous avons été emmenés

4 au camp de Manjaca, au camp n°2, car il y avait un camp, un seul grand

5 camp mais qui était divisé en deux parties par du fil de fer.

6 Question: Pouvons-nous nous arrêter un instant? J'aimerais vous poser

7 quelques questions.

8 Vous avez dit que les gardiens de Manjaca vérifiaient vos effets

9 personnels pour voir si vous aviez de l'argent, de l'or ou autres

10 possessions de valeur. Vous avez aussi ajouté qu'ils ont récolté ce qui

11 avait de la valeur. Pourquoi ont-ils pris ces articles, quelle est la

12 raison?

13 Réponse: Eh bien, pour se les approprier, ces objets. C'était quelque

14 chose qu'ils voulaient prendre pour eux, c'était du pillage, un butin

15 plutôt parce que, ce qu'ils nous ont pris, on ne l'a jamais revu.

16 Question: Est-ce que vous avez souvenir que quelque chose de précis vous

17 ait été pris?

18 Réponse: Mais voyez-vous, moi j'ai réussi à cacher une montre de valeur,

19 il s'agissait d'un souvenir; c'était une montre "Tissot" et je n'avais pas

20 d'argent. Et je n'avais pas d'autre possession de valeur parce que tout

21 avait déjà été pris à Sanski Most, à la prison et à Betonirka. Et je n'ai

22 jamais revu la montre.

23 Question: Donc la montre à laquelle vous avez fait allusion a été prise à

24 Manjaca par les gardiens du camp, est-ce exact?

25 Réponse: C'est exact.

Page 6185

1 Question: Je vais vous montrer quelques photographies que vous n'avez pas

2 vues auparavant, et vous demander si vous reconnaissez certaines de ces

3 photographies.

4 Monsieur l'huissier, pouvez-vous montrer ces photographies numériques qui

5 ont été prises?

6 (Intervention de l'huissier.)

7 (Le témoin examine les photographies.)

8 Pouvez-vous poser cette photographie sur le rétroprojecteur et retirer la

9 carte qui s'y trouve actuellement?

10 (Intervention de l'huissier.)

11 Reconnaissez-vous ces photographies?

12 Réponse: Oui, je les reconnais.

13 Question: Pouvez-vous les décrire aux Juges?

14 Réponse: Eh bien, il s'agit des étables ou des granges où nous avons été

15 hébergés à Manjaca.

16 Question: Avez-vous souvenir de l'étable dans laquelle vous avez été

17 hébergés? S'agissait-il d'une de ces trois qui sont représentées dans la

18 photographie?

19 Réponse: Eh bien, comme je vous l'ai dit, le camp était divisé en deux

20 parties: moi j'étais dans le camp n°2 et l'étable n°2. Et si c'est

21 l'étable n°2, c'est celle du milieu.

22 M. Cayley (interprétation): Le témoin montre sur la photographie qu'il

23 pense que s'il s'agit là d'une photographie du camp n°2, alors il se

24 trouvait dans l'étable qui est représentée au milieu de la photographie.

25 M. le Président (interprétation): Quelle est la cote de cette pièce?

Page 6186

1 M. Cayley (interprétation): C'est la pièce 800 de l'accusation.

2 Pouvez-vous montrer au témoin la photographie suivante?

3 (Intervention de l'huissier.)

4 Il s'agit là de l'intérieur de l'une de ces étables qui étaient toutes les

5 mêmes. Pouvez-vous nous indiquer dans cette photographie… Comme je l'ai

6 dit, il ne s'agit peut-être pas précisément de l'étable dans laquelle vous

7 vous trouviez, mais pouvez-vous indiquer dans la photographie dans quelle

8 partie de l'étable vous vous trouviez lorsque vous avez été détenu à

9 Manjaca?

10 M. Karabeg (interprétation): Eh bien, d'abord, la porte d'entrée se trouve

11 là. Et moi, j'étais à gauche de cette porte d'entrée, très près de la

12 partie supérieure au début. Et c'est là que j'ai séjourné, et c'est aussi

13 là que j'ai dormi.

14 Question: Le témoin indique sur cette photographie une étable au fond, à

15 gauche, près de la porte, au centre de la photographie. Il s'agit de la

16 pièce 801 de l'accusation.

17 Monsieur le Témoin, lorsque vous êtes arrivé à Manjaca fin août 1992,

18 comment pourriez-vous nous décrire les conditions qui prévalaient dans le

19 camp?

20 Réponse: Eh bien, en premier lieu, lorsque je suis arrivé à Manjaca, ce

21 que j'ai observé, c'est que de nombreuses personnes étaient là et

22 n'avaient que la peau et les os, extrêmement maigres; certains individus

23 ne tenaient plus debout, et ceux qui étaient très maigres étaient portés

24 par deux personnes qui faisaient une chaise avec leurs mains et

25 transportaient ces personnes très maigres.

Page 6187

1 En ce qui concerne les conditions, je peux vous dire que lorsqu'on couche

2 sur un sol de béton sans rien pour se couvrir, sans conditions sanitaires

3 pour garantir une hygiène personnelle, sans bloc sanitaire, sans

4 toilettes, et que chaque pas que l'on fait est suivi, et que l'on doit

5 faire attention de ne pas faire un geste qui pourrait être mal apprécié,

6 c'est indescriptible, si ce n'est en disant que ces conditions étaient

7 terribles.

8 Lorsque les individus sont passés à tabac...

9 Question: Y a-t-il une violence dont vous auriez été conscient à Manjaca

10 fin août et à partir d'août, et jusqu'au moment de votre départ?

11 Pouvez-vous décrire la violence physique à laquelle vous avez été soumis,

12 dont vous étiez conscient, et qui était pratiquée dans le camp pendant

13 cette période?

14 Réponse: Eh bien, vous voyez, c'était comme cela. Un détenu a été passé à

15 tabac deux fois parce qu'il a parlé à son frère de l'autre côté de la

16 clôture. Il y a un détenu qui dormait près de moi et qui est allé avec un

17 groupe d'autres détenus sous escorte pour aller chercher de l'eau et la

18 ramener dans des jerricanes. Il a essayé de remplir la jerricane d'eau

19 propre, le gardien s'est approché de lui et l'a passé à tabac à cause de

20 cela. Et je l'ai vu couvert de sang. Il s'appelait Semin Vajzovic.

21 Et on a continué à emmener des personnes pour interrogatoire et les mettre

22 au cachot où on les passait à tabac. Un groupe a été amené… je crois de

23 126 personnes de Kotor Varos, et pratiquement toutes ces personnes ont été

24 battues. Et on a continué à entendre des cris pendant la nuit provenant

25 des passages à tabac qui se passaient au cachot.

Page 6188

1 Question: Est-ce que, personnellement, vous avez été victime d'une

2 quelconque violence physique à Manjaca?

3 Réponse: Une fois, un des gardes m'a frappé, m'a donné un coup de pied

4 dans le dos parce que je suis allé chercher de l'eau de pluie dans un

5 jerricane. J'ai essayé d'aller récupérer cette eau près des cuisines.

6 Etant donné que l'eau était en train de pleuvoir, je voyais mal et j'avais

7 une capuche sur la tête, il s'est approché de moi dans mon dos, il m'a

8 donné un coup de pied, je suis tombé dans la boue et il m'a dit: "Dégage

9 d'ici", et il m'a insulté et il a insulté "Alija".

10 Question: Connaissiez-vous le nom de l'un quelconque des gardes à Manjaca

11 qui passait à tabac les détenus?

12 Réponse: Je connaissais leurs surnoms. L'un d'entre eux s'appelait

13 "Spaga"; un autre, on l'appelait "Tito". Et pendant que j'étais à Manjaca,

14 j'ai essayé de me déplacer le moins possible. Et ce qui m'importait,

15 c'était d'en sortir vivant.

16 Question: Pendant que vous étiez à Manjaca, avez-vous parlé à des

17 prisonniers qui y étaient depuis le mois de juin 1992?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Est-ce qu'ils vous ont décrit les conditions qui régnaient à

20 l'époque?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Quelles étaient les conditions qui régnaient au mois de juin

23 1992? Etaient-elles meilleures ou pires qu'en août?

24 Réponse: En juin 1992, et surtout pour les premiers qui sont arrivés, ils

25 ont vécu des choses terribles.

Page 6189

1 Tout d'abord, ils étaient complètement affamés. Deuxièmement, ils devaient

2 effectuer un travail obligatoire. Ensuite, souvent, on les battait et

3 surtout au cachot pendant la nuit. Eux, ils présentaient cela comme des

4 interrogatoires.

5 Ensuite, très souvent, l'on faisait l'appel pour tous les détenus dans ces

6 trois étables. L'on faisait donc l'appel, on faisait l'appel, on donnait

7 les noms et les prénoms. Et les autres gardes, à ce moment-là, entraient

8 dans les étapes et essayaient de voir si des objets de valeur s'y

9 trouvaient, s'il y avait quelque chose à prendre. Moi-même, j'ai assisté à

10 de tels appels au moment où je suis arrivé à Manjaca.

11 Deux ou trois jours après mon arrivée, c'était peut-être le 29 ou le 30

12 août -étant donné que je suis arrivé le 28-, ils recevaient très peu de

13 nourriture, un tout petit morceau de pain le matin et le soir.

14 Question: Est-ce que les conditions se sont améliorées entre le mois de

15 juin et le mois d'août 1992, pour autant que vous ayez pu le voir à partir

16 de vos conversations avec les détenus?

17 Réponse: Dans mes discussions avec les codétenus, j'ai pu sentir que des

18 changements étaient survenus après la visite du CICR. C'est ce que tout le

19 monde disait. Tout d'abord, pour ce qui est de la nourriture, à l'époque,

20 recevoir un quart de pain le matin et un quart de pain le soir c'est

21 énorme. Le CICR a également organisé une visite médicale.

22 Et d'ailleurs, personnellement, j'ai été confronté à une situation où Omer

23 Kalic, un détenu, avait des problèmes de santé. Il m'a demandé de discuter

24 un peu avec la jeune fille qui était interprète pour qu'il puisse voir un

25 médecin qui savait l'allemand parce que, lui aussi, savait l'allemand. Il

Page 6190

1 lui a demandé de faire en sorte qu'il figure parmi un groupe de détenus

2 qui devaient partir pour Londres pour être soignés; il souhaitait que ce

3 médecin l'examine et le mette sur cette liste, et c'est ce qui s'est

4 passé.

5 C'était la seule façon pour lui de le faire, car il n'avait pas d'autre

6 possibilité étant donné qu'on lui avait posé ce drain et qu'il avait ces

7 problèmes de santé. Mais il ne souhaitait pas qu'on l'examine.

8 Alors, c'est la Croix-Rouge, le CICR qui lui est venu en aide, et c'est

9 grâce au CICR qu'il a survécu.

10 M. Cayley (interprétation): Est-ce que l'on pourrait montrer au témoin la

11 pièce 668, s'il vous plaît?

12 (Intervention de l'huissier.).

13 M. le Président (interprétation): Il vous reste encore cinq minutes.

14 M. Cayley (interprétation): Très bien.

15 M. le Président (interprétation): 668?

16 M. Cayley (interprétation): Oui, 668. Pourriez-vous, s'il vous plaît, me

17 remettre cette pièce?

18 (Intervention de l'huissier.)

19 Monsieur le Témoin, vous avez à présent sous les yeux une liste. Pourrait-

20 on placer cette liste sur le rétroprojecteur, s'il vous plaît?

21 (Intervention de l'huissier.)

22 En réalité, il s'agit de l'autre liste numérotée de façon différente -même

23 s'il s'agit en réalité de la même liste- pour que nous ayons bien la même

24 liste que le témoin sous les yeux.

25 Il s'agit d'une liste intitulée "Liste des extrémistes les plus radicaux

Page 6191

1 sur le territoire de Sanski Most". Est-ce que vous voyez cette liste?

2 M. Karabeg (interprétation): Oui, je vois.

3 Question: Pouvez vous nous dire quels noms figurent à côté du numéro 50

4 sur cette liste?

5 Réponse: Mirzet Karabeg, c'est à dire moi-même.

6 Question: Pouvez vous parcourir cette liste et nous dire si, oui ou non,

7 ces personnes ont été détenues au camp de Manjaca? Si vous ne savez pas,

8 dites-nous que vous ne savez pas.

9 Je vous demanderai de nous dire en passant en revue le nom de cette liste

10 de 1 à 50, si ces personnes ont été détenues au camp de Manjaca.

11 Réponse: Elhad Talic, Fikret Malovcic. Je vais vous donner lecture des

12 personnes qui étaient avec moi au camp: Burnic Ferid, Sahmovic Eniz,

13 Hodzic Rahim, Kamber Dzevad, Avdic Ismet, Handanagic Vahid, Karabeg Rasim,

14 Smajlovic Ferid, Makic Husein, Supuk Bajro, Supuk Senad, Lovric Zdravko,

15 Hromalic Mujo, Bahtic Rifet, Islamcevic Hakija, Celic Emsud, Kugic Senad,

16 Omic Mehmed, Halilovic Nijaz, Sarcevic Fehim, Skripic Andjelko, Kolakovic

17 Ismet, Marijan Josip, Krupic Omer, Besic Enver, Halimovic Midho, Sarajlic

18 Salahudin, Zukic Esef, Krupic Ibrahim, Zukic Asim, Karabegovic Samir,

19 Kurbegovic Nedzo, Biscevic Fajko, Osmancevic Hase, Kljucinic Nihad, Osman

20 Talic, Semso Burnic, Jusuf Kicin, Nesib Okcic, Karic Remzo, Sahic Suad,

21 Karabeg Mirzet.

22 Donc tout le monde y était.

23 Question: Ils étaient tous à Manjaca?

24 Réponse: Oui, ils étaient tous à Manjaca et ils sont tous de Sanski Most.

25 Question: Pouvez-vous décrire ces personnes comme étant des extrémistes

Page 6192

1 radicaux?

2 Réponse: Le tort de ces gens là, c'est qu'ils n'étaient pas serbes.

3 C'étaient des bosniens, c'était des personnes d'appartenance ethnique

4 bosnienne ou croate.

5 M. Cayley (interprétation): Monsieur le Président, j'en ai terminé avec

6 l'interrogatoire principal et nous pouvons à présent commencer le contre-

7 interrogatoire, si mes confrères le souhaitent.

8 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Cayley. Nous

9 commencerons demain le contre-interrogatoire. J'imagine que Me Fauveau

10 commencera, n'est-ce pas?

11 Mme Fauveau: Je vais certainement utiliser la plupart de la session de

12 demain.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Karabeg, nous nous en tiendrons

14 là pour aujourd'hui. Nous reprendrons demain matin à 9 heures.

15 Demain, vous serez soumis au premier des deux contre-interrogatoires.

16 C'est l'équipe de défense du général Talic qui mènera son contre-

17 interrogatoire. Je vous remercie de votre présence.

18 On va vous raccompagner hors du prétoire, merci.

19 (Le témoin, M. Mirzet Karabeg, est reconduit hors du prétoire.)

20 Nous nous retrouvons demain matin à 9 heures. Merci.

21 M. Cayley (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

22 (L'audience est suspendue à 13 heures 46.)

23

24

25