Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 6 juin 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 12 heures 29.)

3 (Audience publique.)

4 (Questions relatives à la procédure.)

5 M. le Président (interprétation): Veuillez citer l'affaire, s'il vous

6 plaît.

7 Mme Chen (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Il s'agit de

8 l'affaire IT-99-36-T, le Procureur contre Momir Talic et Radoslav

9 Brdjanin.

10 M. le Président (interprétation): Monsieur Brdjanin, bonjour. Est-ce que

11 vous m'entendez dans une langue que vous comprenez?

12 M. Brdjanin (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je vous

13 entends et je vous comprends.

14 M. le Président (interprétation): Général Talic, bonjour. Est-ce que vous

15 m'entendez dans une langue que vous comprenez?

16 M. Talic (interprétation): (Hors micro.)

17 M. le Président (interprétation): Pouvons-nous avoir les présentations?

18 Mme Richterova (interprétation): Pour l'accusation, Anna Richterova,

19 assistée de Joanna Korner ainsi que de Denise Gustin, substitut

20 d'audience.

21 M. le Président (interprétation): Merci. Les présentations pour Radoslav

22 Brdjanin?

23 M. Trbojevic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Maître

24 Milan Trbojevic, co-conseil de M. Brdjanin, assisté du conseil principal,

25 Me Ackerman, ainsi que de Marela Jevtovic, notre collaboratrice.

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1 M. le Président (interprétation): Merci. Ne me dites pas bonjour, nous

2 sommes déjà dans l'après-midi.

3 Les présentations pour le général Talic, s'il vous plaît.

4 Mme Fauveau: Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les Juges. Je suis

5 Natasha Ivanovic-Fauveau. Je représente le général Talic.

6 M. le Président (interprétation): Merci. Maître Fauveau. Bonjour,

7 également.

8 Madame Korner, avant que vous ne commenciez…

9 Mme Korner (interprétation): Non, je dois faire des aveux et reconnaître

10 quelque chose cet après-midi.

11 M. le Président (interprétation): Je crois savoir de quoi il s'agit.

12 Mme Korner (interprétation): Si c'est le cas, j'imagine que vous êtes très

13 perspicace parce qu'il s'agit de matériel supplémentaire que nous avons

14 trouvé.

15 M. le Président (interprétation): Non, cela n'est nullement lié à ce que

16 je pensais avoir deviné, car moi-même je me suis aperçu de quelque chose:

17 peu de temps avant la fin de l'audience, hier après-midi, je crois que

18 vous nous avez dit que nous nous réunirions dix jours uniquement au mois

19 de juillet. Or nous avons seize jours à notre disposition.

20 Mme Korner (interprétation): Oui.

21 M. le Président (interprétation): En réalité, vous ne me connaissez peut-

22 être pas encore, mais j'ai l'habitude de tout vérifier plusieurs fois. Et

23 j'ai vérifié hier, je peux vous l'affirmer, nous avons seize jours à notre

24 disposition au mois de juillet.

25 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, contrairement à vous,

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1 je ne suis pas aussi organisée pour ce qui est des chiffres, mais je ne

2 souhaite pas revenir à ce qui a été dit hier. Toutefois, je souhaite dire

3 qu'après coup, je me suis dit que la façon dont j'avais présenté les

4 choses n'était peut-être la meilleure hier après-midi et laissait à

5 désirer.

6 M. le Président (interprétation): Ne vous en faites pas, nous étions tous

7 assez fatigués.

8 Mme Korner (interprétation): Oui, c'était la fin d'après-midi.

9 M. le Président (interprétation): Après toute une matinée de réunion,

10 hier, je n'ai même pas eu le temps de déjeuner d'ailleurs, vous pouvez

11 donc imaginer qu'à 18 heures 30 j'étais dans un triste état.

12 Mme Korner (interprétation): Je croyais que c'était uniquement au Bureau

13 du Procureur que nous avions cette multiplication de réunions.

14 M. le Président (interprétation): Non, et c'est épuisant pour tout le

15 monde, mais ne vous en faites pas.

16 Mme Korner (interprétation): Ce que je souhaitais faire tout de même,

17 Monsieur le Président, étant donné que, même si nous avons cela à notre

18 disposition, cela fait qu'il nous reste très peu de temps sur un mois:

19 nous souhaitons avant toute chose que nous puissions examiner les éléments

20 de preuve. C'est ce que j'ai essayé de dire, et peut-être que je me suis

21 exprimée de façon trop vigoureuse hier après-midi, mais ce n'est pas ce

22 que j'étais sur le point de dire.

23 Nous avons parlé du témoin 7.65. Dans la déclaration que les Juges ont

24 reçue, il est fait référence aux notes que ce témoin a prises pendant

25 qu'il était à Manjaca, ce qui n'est pas la même chose que le journal que

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1 j'ai évoqué hier.

2 M. le Président (interprétation): Très bien.

3 Mme Korner (interprétation): Pour une raison que j'ignore, ces notes n'ont

4 pas été photocopiées au moment où l'enquêteur s'est rendu sur place.

5 L'enquêteur qui a vu ce témoin n'est pas présent -il l'a vu au mois de

6 février ou au mois de juin de l'année dernière- mais il les avait ce matin

7 au moment où je lui ai parlé.

8 Par conséquent, nous avons fait la chose suivante: nous avons photocopié

9 ces notes et nous les avons communiquées à la défense aujourd'hui. Nous

10 avons demandé qu'elles soient traduites de toute urgence par un traducteur

11 interne et non pas un traducteur du CLSS. Nous espérons disposer de cette

12 traduction demain. Voilà ce que nous pouvons faire.

13 M. le Président (interprétation): En terme de volume, de quoi s'agit-il?

14 Mme Korner (interprétation): Peut-être pourrai-je vous faire parvenir une

15 copie pour que vous ayez une idée, une copie des documents supplémentaires

16 que nous avons obtenus ce matin?

17 Tout d'abord, voici une déclaration supplémentaire qui a été faite

18 concernant le carnet ainsi qu'une autre question.

19 M. le Président (interprétation): Est-ce que la défense dispose déjà de

20 copie de ces documents qui ont fait l'objet d'une communication? Oui. Dans

21 ce cas, merci.

22 Mme Korner (interprétation): Ensuite, j'aimerais demander qu'on remette

23 également aux Juges ceci.

24 M. le Président (interprétation): Mais il n'y a qu'un exemplaire ici, non?

25 J'ai ici la déclaration qui a été recueillie le 8 juin ainsi qu'un certain

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1 nombre de documents. Je n'ai qu'un exemplaire de chaque, or nous sommes

2 trois Juges.

3 Mme Korner (interprétation): Nous allons nous en occuper. C'est juste

4 avant que nous ne nous réunissions cet après-midi que nous avons

5 photocopié tout cela, ce qui explique qu'il y en ait qu'un exemplaire.

6 M. le Président (interprétation): Ah! En réalité, je vois que j'ai deux

7 exemplaires de certains documents.

8 Mme Korner (interprétation): Pourrai-je passer en revue les différents

9 documents au moment où vous aurez tous un exemplaire des différentes

10 pièces?

11 (Intervention de l'huissier.)

12 Le premier document est la déclaration supplémentaire qui est très courte.

13 Le document suivant devrait être des pages agrafées, il s'agit d'un

14 document allemand Thyssen, il s'agit du carnet qui a été rédigé à Manjaca

15 avec plusieurs entrées dont on fournit l'explication dans la déclaration.

16 En plus de cela, nous avons photocopié… Ou plutôt le document suivant est

17 quelque chose qui se présente comme ceci, qui accompagnait le carnet, mais

18 il s'agit d'un document séparé. Et une fois de plus dans la déclaration,

19 on explique de quoi il s'agit.

20 Nous avons également photocopié la page de couverture du cahier dans

21 lequel le "journal", comme nous l'avons appelé, a été rédigé. En effet,

22 une inscription figure sur cette page de garde et, pour autant que je

23 puisse m'en souvenir, dans la déclaration on explique de quoi il s'agit,

24 mais je n'arrive plus à la retrouver.

25 Je crois que ce qui est dit c'est... Je crois que ce qui est dit est "à

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1 moins qu'on oublie", mais il y a également une photocopie de la carte

2 d'immatriculation de la Croix-Rouge de Manjaca.

3 Ce que nous avons fait est que nous avons fait figurer en annexe à sa

4 déclaration un certain nombre de cartes qui ont été dessinées à

5 l'intention des enquêteurs -nous n'avons pas fait traduire ce qui figure

6 sur ces cartes- et nous avons également fait figurer en annexe une

7 traduction qui a été faite par un interprète ainsi que l'original.

8 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)

9 Mme Korner (interprétation): Oui, il s'agit de traductions. Il a écrit

10 l'original et nous avons fait traduire les originaux.

11 La situation est la suivante: comme je vous l'ai dit, Monsieur le

12 Président, hier, il est fort peu probable que l'interrogatoire principal

13 et le contre-interrogatoire puissent arriver à leur terme demain. J'ai

14 expliqué à la défense que la traduction serait probablement disponible

15 demain, et personne ne semble trop se plaindre de cette situation.

16 M. le Président (interprétation): Oui. Maître Ackerman, Maître Fauveau,

17 avez-vous des remarques, à part le fait que vous devez encore réagir à ce

18 que Mme Korner a dit hier?

19 M. Ackerman (interprétation): Je n'ai pas de réaction au sujet de ces

20 documents. Je constate qu'il a dit à l'accusation qu'il a écrit ces notes,

21 qu'il a pris ces notes pendant qu'il était à Manjaca; je m'attendais donc

22 à les recevoir plus tôt.

23 M. le Président (interprétation): Maître Fauveau?

24 Pourrais-je demander aux techniciens s'il y a un problème? Car je n'ai

25 rien sur mon moniteur, pour l'instant. Je vois que vous, vous avez quelque

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1 chose qui apparaît alors que moi, ce n'est pas le cas. Et je vois que pour

2 le Juge Janu, ce n'est pas le cas non plus.

3 Je n'ai toujours rien. Je n'ai que le compte rendu d'audience. Je ne peux

4 pas passer de l'un à l'autre.

5 Ah, voilà qui est réparé.

6 Mme Fauveau: Pour autant que je puisse procéder à mon contre-

7 interrogatoire après la pause, je n'ai aucune objection.

8 Je voudrais toutefois une explication. Si j'ai bien compris, on aura la

9 traduction des notes demain? Mais ce qui m'intéresse plus, en fait, c'est

10 la traduction de la déclaration du témoin qui date du 5 juin, en serbo-

11 croate, parce que je voudrais que mon client ait cette déposition en

12 serbo-croate avant qu'on ne procède au contre-interrogatoire après la

13 pause.

14 M. le Président (interprétation): Qu'en est-il? J'imagine que cela ne

15 posera pas problème, étant donné qu'il s'agit d'une courte déclaration?

16 Mme Korner (interprétation): Oui, effectivement, cette déclaration est

17 courte. Je verrai s'il est possible de le faire d'ici à demain également.

18 Mme Fauveau: (Hors micro.)

19 Je préfère la formuler ici. Si la traduction est faite pendant la semaine

20 prochaine, est-ce que je peux demander au Procureur de la transmettre

21 directement, par l'intermédiaire du Greffe, à mon client? Parce que ni moi

22 ni le conseil principal ne serons à La Haye la semaine prochaine.

23 Mme Korner (interprétation): Oui, j'espère que nous pourrons le faire.

24 Mais je pense que nous aurons certainement un avant-projet de traduction

25 dès demain.

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1 M. le Président (interprétation): Merci, Madame Korner.

2 Hier, Maître Ackerman, je vous ai interrompu car nous avions dépassé déjà

3 de six minutes le temps qui nous était imparti. Maintenant, vous avez tout

4 le temps que vous voudrez pour réagir à ce qui a été dit hier.

5 M. Ackerman (interprétation): Je serai bref, Monsieur le Président.

6 Vous avez, Monsieur le Président, déjà évoqué un point que je souhaitais

7 évoquer moi-même, à savoir que nous n'avions que 10 jours pour nous réunir

8 au mois de juillet.

9 M. le Président (interprétation): Oui, c'est fait.

10 M. Ackerman (interprétation): J'ai repris la situation ces quatre derniers

11 mois et je crois que 16 jours au mois de juillet, c'est légèrement

12 supérieur à la moyenne qui a été la nôtre jusqu'ici. Je pense que nous ne

13 pouvons pas nous attendre à mieux que cela, 16 ou 17 jours, un mois donné.

14 M. le Président (interprétation): Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je

15 me permettrai de vous interrompre et je vous dirai que je me suis penché

16 sur la question de façon très approfondie. J'ai essayé de faire une étude

17 comparative de la chose pour chaque Chambre de première instance et chaque

18 affaire.

19 Chaque Chambre se réunit en moyenne 15 ou 16 fois par mois. Ce n'est pas

20 une moyenne, c'est la norme. Voilà donc à quoi il faut s'attendre et voilà

21 ce que nous avons au mois de juillet.

22 M. Ackerman (interprétation): Autre remarque en réaction à ce qui a été

23 dit par Mme Korner hier après-midi, et je le fais en étant conscient de ce

24 qu'elle a dit cet après-midi. Au sujet de ce qu'elle nous a dit hier, deux

25 choses, et je serai extrêmement bref, Monsieur le Président, Mesdames les

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1 Juges.

2 Tout d'abord, Mme Korner a insinué que nous ne contestions pas certaines

3 choses. J'ai cru comprendre –et si je me trompe, veuillez me le dire-, que

4 lorsqu'un accusé plaide non coupable, il conteste toutes les allégations

5 de l'Acte d'accusation déposé par l'accusation, et c'est à l'accusation

6 qu'incombe le fardeau de la preuve et de prouver toutes les allégations

7 au-delà de tout doute raisonnable. Et nous ne devons pas dire tous les

8 jours que nous contestons ceci, nous contestons cela. Si un accusé plaide

9 non, cela équivaut à une telle attitude.

10 Dans un plaidoyer dans non-culpabilité, dans des cas très limités nous

11 avons dit à Mme Korner que sur certains points très limités, très précis,

12 nous ne contestions pas telle ou telle chose. Et nous en avons discuté; le

13 Président s'en souviendra certainement.

14 Nous avons dit que pour certaines de ces questions, il serait plus facile

15 d'avancer si nous partions du principe que nous ne les contestions pas.

16 Pour certains des meurtres, pour certaines des tueries, nous ne pouvons

17 pas admettre car nous ne savons pas, mais nous pouvons dire que nous ne

18 contestons pas, ce que nous avons fait.

19 L'hypothèse selon laquelle nous ne contestons pas telle ou telle chose

20 n'est pas exacte. Nous contestons l'Acte d'accusation et il incombe à

21 l'accusation de prouver la culpabilité, de mon client au moins, au-delà de

22 tout doute raisonnable.

23 Autre point qui me préoccupe particulièrement: je ne sais pas s'il existe

24 un Tribunal au monde –peut-être qu'il existe mais dans ce cas, je n'en ai

25 pas connaissance-, mais je ne sais pas s'il existe une Chambre où

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1 l'accusation dit aux Juges qu'elle va citer un certain nombre de témoins

2 jusqu'à ce qu'elle prouve sa thèse et que les Juges doivent l'arrêter

3 s'ils estiment qu'il y a eu suffisamment de témoins.

4 C'est à l'accusation de citer les témoins qu'elle estime nécessaires pour

5 prouver sa thèse. Elle ne peut se reposer sur les Juges pour qu'ils lui

6 disent s'il elle l'a fait ou non. Elle ne pourra savoir qu'à terme ce

7 qu'en pensent les Juges.

8 Par contre, ce que l'on fait assez souvent au sein de ce Tribunal, c'est

9 que les Juges disent que, pour une question particulière, ils estiment que

10 "quatre témoins suffiront. Alors, veuillez sélectionner les quatre témoins

11 les plus pertinents".

12 M. le Président (interprétation): Oui, c'est la façon dont j'ai compris ce

13 qu'a dit Mme Korner, non pas l'interprétation que vous avez évoquée au

14 début. Elle n'a pas invité les Juges à lui dire s'ils estimaient que la

15 présentation des éléments de preuve devait s'arrêter, s'interrompre sur

16 certains chapitres, conditions d'hygiène ou conditions de façon générale à

17 Manjaca; elle n'a pas dit de l'arrêter en lui disant: "Nous ne voulons pas

18 de témoins supplémentaires"…

19 M. Ackerman (interprétation): Non, je pense que cela n'est pas approprié.

20 Je pense qu'avant Manjaca, avant Sanski Most, avant un quelconque

21 chapitre, vous êtes habilités à dire: "Vous ne devez citer que quatre

22 témoins sur tel ou tel chapitre, et sélectionner les quatre témoins les

23 plus appropriés".

24 M. le Président (interprétation): Mais qu'ai-je dit à Mme Korner hier? Je

25 lui ai dit qu'elle pouvait s'en tenir à quatre ou cinq témoins qui lui

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1 paraissaient les plus pertinents. C'est à elle de choisir, pas à nous.

2 Elle sait très bien qui sont les cinq, six ou sept témoins les plus

3 pertinents.

4 Mais essayons de parler une langue que nous comprenons tous, que la

5 défense, l'accusation et les Juges comprennent, une langue qui nous soit

6 commune.

7 Vous savez aussi bien que moi, aussi bien que nous, qu'avec chaque nouveau

8 témoin qui est appelé à la barre par l'accusation, des éléments de preuve

9 peuvent être avancés, éléments de preuve qui vont peut-être renforcer la

10 thèse de l'accusation, ou peut-être qu'au terme du contre-interrogatoire

11 c'est la défense qui aura marqué des points. Or, cela n'aurait pas été le

12 cas si ce témoin n'avait pas été appelé à témoigner. Et je crois que

13 quiconque a reçu votre formation, en tant que membre de l'accusation ou de

14 la défense, sait cela.

15 Je ne m'exprimerai pas sur les contre-interrogatoires que nous avons

16 entendus dans ce prétoire car, en tant que Juge et en tant qu'ancien

17 conseil de la défense, j'ai mon avis personnel sur la façon dont j'aurais

18 conduit le contre-interrogatoire de tous les témoins que nous avons

19 entendus ici. Je ne vais rien vous apprendre, je ne vais rien à apprendre

20 à Me Fauveau ou aux autres personnes qui composent les équipes de la

21 défense.

22 Lorsqu'on pose des questions, on risque d'obtenir une réponse négative, ce

23 qui risque d'affaiblir vos thèses et de renforcer celles de l'accusation.

24 Je ne vais pas insister sur ce type de considérations car il s'agit là de

25 techniques que vous connaissez sans doute, et il vous incombe d'en tenir

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1 compte.

2 Mais ce que j'aimerais dire, c'est la chose suivante: tant que cette

3 Chambre sera présidée par moi-même, elle n'interviendra pas quant au

4 nombre de témoins à citer à l'appui d'une thèse, qu'il s'agisse de celle

5 de l'accusation ou de celle de la défense. A aucun moment je ne vous

6 dirai: "Nous avons entendu suffisamment de témoins sur tel ou tel

7 chapitre, les conditions à Manjaca ou les conditions à Omarska et dans

8 d'autres camps".

9 N'oubliez pas que la Chambre peut s'appuyer sur un Article du Règlement

10 pour accepter des éléments par d'autres biais. Mais pour ce qui est de

11 Manjaca, je crois qu'il s'agit de la première fois que le problème s'est

12 posé pour Manjaca.

13 En tant que Président, la façon dont je vois les choses est la suivante.

14 L'accusation a un fardeau considérable à assumer, car ce qui se passe ici

15 risque de se passer à l'avenir. Je ne vais pas dire à l'accusation que

16 j'en ai assez entendu sur les conditions d'hygiène, sur l'alimentation ou

17 les autres conditions qui étaient déplorables à Manjaca. Je ne ferai pas

18 cela. Mais l'accusation sait que plus le nombre de témoins cités sera

19 grand, plus ces témoins risqueront d'être contre-interrogés, et plus nous

20 entendrons de témoins ici, s'ils ne font que prouver ce qui est déjà très

21 clair. Là c'est à l'accusation de juger.

22 Je crois toutefois, à mesure que le procès a avancé, nous avons pris des

23 décisions pour essayer d'abréger les choses. Non pas parce que les Juges

24 sont intervenus; cela n'a pas été le cas, vous le savez. Mais je crois que

25 tous les trois, nous avons la chance dans ce procès d'avoir des conseils à

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1 très haut niveau et qui savent très bien à quoi s'en tenir. Et je suis sûr

2 que vous savez tous très bien ce que vous êtes en train de faire. Je n'ai

3 pas interprété ce qu'a dit Mme Korner hier comme étant une invitation à

4 l'intention des Juges pour qu'ils lui disent qu'ils estiment à présent

5 qu'elle a prouvé que les conditions à Manjaca étaient déplorables.

6 Si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur un détail qui a été évoqué

7 hier. Nous avons entendu un témoin hier. Ce témoin nous a dit qu'il a

8 rédigé des certificats de décès qui ne donnaient pas les causes réelles du

9 décès, il en était conscient. Est-ce que Me Fauveau a essayé de profiter

10 de cela pour le retourner à son avantage? Oui, bien sûr. Est-ce qu'elle

11 aurait pu le faire si le témoin d'hier n'avait pas été appelé à témoigner?

12 Non.

13 Ce témoin a été un témoin crucial. Cela ne fait aucun doute. C'était un

14 des témoins les plus importants pour cette municipalité et pour Manjaca.

15 Mais voilà quelle est la réalité pour de tels procès. Ce que nous savons,

16 vous aussi bien que moi. Je ne pense pas devoir vous donner plus

17 d'explications.

18 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, je suis d'accord avec

19 tout ce que vous venez de nous dire et je vous suis reconnaissant de ces

20 explications, car c'est précisément ce que j'essaie d'indiquer moi-même.

21 Sur ce, je n'ai rien à ajouter. Merci.

22 M. le Président (interprétation): Merci. Ne pensez pas que j'ai mal

23 interprété ce qu'a dit Mme Korner. Madame Korner a été très juste hier. Et

24 je crois qu'hier, elle a essayé d'intervenir, en pensant que nous n'avions

25 que dix jours d'audience au mois de juillet, pour voir comment nous

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1 pouvions éventuellement entendre le nombre de témoins.

2 Mais c'est à vous de décider. Je n'interviendrai que si nous sommes dans

3 un cas de manque de pertinence, d'absence de pertinence ou lorsqu'il y a

4 trop de contestations, lorsque trop de choses n'ont pas été contestées;

5 peut-être que j'interviendrai dans des cas comme celui-ci, vis-à-vis de

6 vous-même ou de Mme Korner.

7 J'ai éventuellement l'intention de le faire avec un des témoins qui va

8 être cité prochainement si la situation apparaît comme devant nous

9 échapper, mais peut-être que je vais trop vite en besogne et que la

10 situation ne se présentera pas.

11 Mme Fauveau: D'abord, je rejoins tout ce que Me Ackerman a dit et je

12 considère que ça s'applique également au général Talic.

13 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas la première fois que

14 j'entends cela.

15 Mme Fauveau: J'ai toutefois deux choses à ajouter: une qui concerne les

16 moyens de preuve, et l'autre qui concerne mon client et l'Acte

17 d'accusation.

18 Pour ce qui concerne les moyens de preuve, cette Chambre a délivré une

19 directive relative à la recevabilité des moyens de preuve. Dans cette

20 directive, la Chambre a décidé que, dans cette affaire, s'appliquera une

21 règle qui, en anglais, s'appelle "The best evidence rules". Je le dis en

22 anglais parce que je ne crois pas qu'en français, dans la langue juridique

23 française, cette règle existe.

24 La semaine dernière, nous avions un témoin qui était à Manjaca, le témoin

25 7.29. Ce témoin est arrivé à Manjaca fin août 1992. Et nous avons écouté

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1 pendant deux heures les preuves qu'il a pu apporter sur les conditions à

2 Manaja entre juin et août 1992. De toute évidence, ce n'est pas le témoin

3 qui pourra apporter la meilleure preuve sur Manjaca.

4 Pour ce qui concerne l'autre chose qui concerne mon client, hier, Mme

5 Korner a dit –c'est à la page 98 du "Livenotes"-: "We allege the general

6 Talic is directly responsible for not controling the conditions in that

7 camp."

8 Il apparaît de ces déclarations que Mme Korner, enfin que le Procureur

9 tient le général Talic responsable pour ne pas contrôler ce qui aurait eu

10 lieu au camp de Manjaca. Ne pas contrôler n'entre pas certainement pas

11 dans la définition que le Statut.

12 L'Article 7.1 du Statut prévoit "la planification, l'incitation à

13 commettre les ordres et la commission des crimes".

14 Le fait de ne pas contrôler pourrait entrer dans l'Article 7, paragraphe

15 3. Il s'agirait uniquement de la responsabilité du supérieur. Or, selon

16 l'Acte d'accusation, le général Talic serait présumé responsable de ce qui

17 s'est passé dans le camp de Manjaca, aussi bien en application de

18 l'Article 7.1 qu'en application de l'Article 7.3 du Statut.

19 Si le Procureur considère que le général Talic serait responsable pour ce

20 qui aurait eu lieu dans le camp de Manjaca uniquement en application de

21 l'Article 7.3, il faudrait qu'il le dise clairement et qu'il modifie

22 l'Acte d'accusation par rapport au camp de Manaja. Cela aura certainement

23 une influence sur la défense du général Talic et contribuera certainement

24 à l'accélération de ce procès.

25 Mme Korner (interprétation): Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de

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1 répondre, Monsieur le Président, puisque vous avez l'Acte d'accusation. Je

2 souhaiterais simplement réagir à ce qui vient de nous être dit.

3 Tout d'abord: un plaidoyer non coupable veut dire que l'on conteste l'Acte

4 d'accusation. Bien entendu, cela signifie que cela relève de la

5 responsabilité de l'accusé et que l'on conteste la responsabilité de

6 l'accusé pour chacun des événements, mais cela ne veut pas dire pour

7 autant que chacun des faits dont on parle dans l'Acte d'accusation fait

8 l'objet d'une contestation.

9 Deuxième point, et je reviens de quelque chose dont on a parlé, il y avait

10 une décision de la Chambre d'appel d'ailleurs qui avait trait au concept

11 de la présentation de l'affaire.

12 M. le Président (interprétation): Oui. Est-ce que vous connaissez la

13 décision de cette Chambre d'appel?

14 Mme Korner (interprétation): Il n'y en a pas.

15 M. le Président (interprétation): Si, il y en a une. La Chambre d'appel a

16 décidé aujourd'hui. J'en ai une version française devant les yeux, parce

17 que c'est la seule version qui a été mise à ma disposition; il s'agit

18 d'une décision portant sur votre appel 90H2.

19 Mme Korner (interprétation): Peut-être, M. le Président pourrait-il nous

20 résumer cela pour les conseils?

21 M. le Président (interprétation): Il a été rejeté et notre jugement a été

22 confirmé. Donc la position est telle que maintenue par l'accusation et par

23 la Chambre de première instance dans sa première décision.

24 Voilà. Les choses sont donc beaucoup plus claires maintenant, en dépit du

25 fait qu'au moment des contre-interrogatoires suivants, on a plus ou moins

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1 accepté d'adopter ce qui était requis.

2 Mme Korner (interprétation): Oui, tout à fait, j'en ai entendu parler.

3 C'est vrai que c'est très clair.

4 Il y a simplement une exception et moi je n'en parle qu'en raison de ce

5 que nous a dit Me Ackerman et en raison de ce que moi-même j'ai pu dire à

6 propos de Manjaca. Bien entendu, la crédibilité des personnes, s'agissant

7 de savoir si le portail était à gauche ou s'il y avait un hôpital ou s'il

8 y avait des certificats de décès, a été testée.

9 En revanche, ce qui n'a jamais été présenté, parce qu'aucun des accusés ne

10 nous disait qu'il était à même de savoir, parce qu'aucun d'entre eux ne

11 s'était rendu au camp, donc ils ne pouvaient pas savoir quelles étaient

12 les conditions qui prévalaient au camp, mais si les arguments de la

13 défense, du fait d'instruction ou d'autres moyens d'évidence seront cités

14 ou ont été cités, ce qu'on ne sait pas, c'est si les gens ont été frappés,

15 si les gens sont morts suite à ces passages à tabac.

16 Ce n'est pas ce qui s'est passé. Les témoins ont inventé cela ou ont

17 exagéré les choses et cela doit être dit aux témoins parce que la Chambre

18 a le droit de savoir quelle est leur réponse, lorsqu'on leur dit qu'ils

19 sont en train de mentir ou qu'ils font erreur.

20 M. le Président (interprétation): Vous avez raison.

21 Mme Korner (interprétation): Et c'est la seule question que je soulève: la

22 seule raison pour laquelle je disais "il n'y en a pas" -j'accepte que je

23 suis peut-être allée un peu trop loin parce que cette question a été

24 soulevée-, je dis simplement qu'aucun témoin pour Manjaca n'a contesté le

25 fait qu'il y avait des passages à tabac à Manjaca.

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1 Et c'est pour cela que je me demandais s'il était nécessaire d'appeler les

2 témoins supplémentaires pour cette partie-là de l'affaire, qui n'avait

3 jamais fait l'objet de contestation directe. C'est la seule raison pour

4 laquelle j'en ai parlé.

5 Monsieur le Président et Mesdames les Juges, vous avez tout à fait raison,

6 vous ne pouvez pas dire effectivement "Nous croyons en chacun des mots qui

7 sortent de leur bouche".

8 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas ainsi que je l'ai compris

9 de toute façon.

10 Mme Korner (interprétation): Non. C'est tout ce que j'ai à vous dire.

11 M. le Président (interprétation): Madame Korner, et là encore j'en appelle

12 à votre expérience que nous connaissons tous dans ce domaine, à un moment

13 donné, vous devriez être à même de procéder à une évaluation, une

14 estimation de l'arsenal auquel pourrait avoir recours la défense.

15 Parlons des passages à tabac. Si vous soupçonnez que la défense pourrait

16 éventuellement, à un stade ultérieur, être à même pratiquement de

17 neutraliser vos arguments parce qu'ils se fondent uniquement sur les

18 moyens de preuve émanant de deux ou trois témoins, il faut que vous

19 procédiez à une estimation, à un moment donné ou à un autre. Et les choses

20 peuvent varier d'un cas à l'autre parce que les témoins qui sont allés à

21 Manjaca peuvent parler de la nourriture, des passages à tabac, d'autres

22 conditions générales prévalant au camp, hygiène, torture, meurtre,

23 présence de l'un quelconque des accusés. Je ne sais pas.

24 C'est à vous qu'il appartient de faire cette estimation, cette évaluation.

25 Il est tout à fait possible, d'ailleurs, je puis vous dire: "Restreignez,

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1 limitez le nombre de témoins qui traiteront des conditions prévalant au

2 camp de Manjaca; limitez-les au nombre de six, par exemple"; je pourrais

3 très facilement le faire. Mais n'importe lequel de ces témoins peut porter

4 témoignage quant aux conditions qui prévalaient à Manjaca.

5 Que puis-je vous dire? Si je vous dis "cinq témoins seulement ou six

6 témoins seulement", je vous mets dans une position délicate qui vous

7 amènera à prendre des décisions particulièrement ardues. Et à moins que

8 cela ne me pose aucun problème en termes de conscience, à moi-même

9 personnellement, si je devais limiter le nombre de témoins que vous

10 présentez, ce que je vous dis à vous, Madame Korner, s'applique également

11 à la défense, mais je ne le ferai pas.

12 J'ai beaucoup trop de respect pour cette Chambre. C'est moi-même qui

13 préside cette Chambre et cette Chambre poursuivra ses activités d'une

14 manière qui agrée chacun de nous trois. Et si nous estimons qu'il y a un

15 excès de preuves ou de moyens de preuve, nous vous le dirons.

16 Mme Korner (interprétation): Non, aucun témoin n'a été appelé pour ne

17 parler que de Manjaca.

18 M. le Président (interprétation): C'est la vérité.

19 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, vous allez devoir

20 prendre une décision quand il va falloir savoir si la défense pourra

21 neutraliser mes arguments. Le seul moyen de le faire, c'est par le biais

22 du contre-interrogatoire. Or il n'y a pas eu de contre-interrogatoire sur

23 ces points-là.

24 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous étiez à même de procéder

25 à une évaluation de la situation. Nous évaluons la nature de chacun des

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1 contre-interrogatoires que nous avons entendus, et nous en arriverons

2 nous-mêmes à tirer nos propres conclusions, même si elles sont

3 provisoires, puisque évidemment les conclusions finales, nous ne les

4 tirerons qu'à la fin du procès. Mais si nous, nous sommes à même, sur la

5 base des contre-interrogatoires, de savoir ce que nous sommes à même

6 d'attendre de la défense, je pense que vous aussi vous pouvez prévoir ce

7 qui arrivera de la défense.

8 Mme Korner (interprétation): Oui, Monsieur le Président, mais uniquement

9 si la défense s'en tient aux règles établies et non pas à des règles qui

10 prévalent dans leurs propres juridictions, à savoir présenter au témoin

11 tous les points sur lesquels il n'y a pas accord.

12 M. le Président (interprétation): Oui, mais la défense prend sa décision.

13 Il faudra qu'ils s'accommodent de la décision prise, qu'elle leur plaise

14 ou pas.

15 Je sais que Me Ackerman est habitué au système qui prévaut aux Etats-Unis

16 et qu'il ne reconnaît pas ce que nous avons dans le 90. C'est quelque

17 chose qui existe aux Etats-Unis, mais grosso modo, cela n'existe pas

18 vraiment. Mais telle est la réalité et voilà comment nous devons procéder.

19 Mme Korner (interprétation): Monsieur le Président, je suis très

20 reconnaissante à l'assistance fournie par vous-mêmes, Monsieur le

21 Président, Mesdames les Juges.

22 M. le Président (interprétation): Nous apprécions, nous comprenons que

23 vous êtes toujours dans une position différente de celle de la défense

24 parce que c'est à vous qu'il appartient de communiquer les pièces, de

25 manière générale, même les pièces qui, à terme, seront contre-productives

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1 pour vos arguments.

2 Mme Korner (interprétation): Oui, vous avez tout à fait raison. Nous ne

3 cherchons pas à condamner, quoi qu'il advienne; nous voulons simplement

4 présenter toutes les pièces à conviction à la Chambre.

5 M. le Président (interprétation): Oui, mais la défense n'est pas dans la

6 même position. Je comprends donc tout à fait que certes la défense dispose

7 de davantage d'informations en général sur l'affaire et sur les arguments

8 qui seront présentés par le Procureur, mais cela ne s'applique pas au

9 Procureur. Cela, je le comprends bien. Mais ni le Tribunal ni la Chambre

10 n'a vocation à intervenir dans ces cas-là parce que telle est la loi, tel

11 est le droit.

12 Mme Korner (interprétation): Oui, comme vous l'avez dit à juste titre,

13 Monsieur le Président, c'est à nous de prendre la décision difficile de

14 savoir combien de pièces, de moyens de preuve nous allons présenter et

15 comment nous allons procéder.

16 M. le Président (interprétation): Très bien. Pouvons-nous poursuivre? Pas

17 de mesures de protection pour le témoin?

18 Dans l'intervalle, puisque nous devons attendre l'arrivée du témoin,

19 Madame Korner, j'ai presque eu une crise de panique de la part des

20 personnels juridiques. On nous a présenté le scénario complet à propos de

21 la municipalité de Banja Luka; ils nous ont dit qu'ils ne parviendraient

22 pas à arriver au terme de cela de manière satisfaisante, à moins d'avoir

23 les cotes des pièces à conviction pour le 92, pour la déclaration Article

24 92 du Règlement.

25 Mme Korner (interprétation): Mais ils ne pourront pas finir, de toute

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1 façon, puisque nous n'avons pas appelé tous les témoins.

2 M. le Président (interprétation): La déclaration Banja Luka?

3 Mme Korner (interprétation): Oui. Il n'y a qu'une déclaration au titre du

4 92bis et la cote suivante pour la section Banja Luka est: pièce à

5 conviction du Procureur 548.

6 M. le Président (interprétation): 548. Et vous en prenez note, s'il vous

7 plaît? Transmettez-les, nous procéderons aux vérifications nécessaires.

8 Il y a également un point sans grande importance mais je souhaitais

9 l'aborder avant de passer à l'interrogatoire du témoin. Je vous demanderai

10 de vous souvenir de ce qui s'est passé il y a à peu près deux mois, et

11 même plus de deux mois. Il y a eu une motion, à l'époque, émanant du

12 Procureur, visant à prendre les dépositions à propos de Stakic et puis les

13 réponses. Est-ce que j'ai bien compris? Tout cela est annulé maintenant?

14 Tout est retiré, à présent? Sur ce point, on peut considérer cette affaire

15 comme close?

16 La Chambre ne répondra pas à cette motion et aux réponses émanant du

17 Procureur parce que cette requête est considérée comme retirée.

18 Mme Korner (interprétation): Est-ce que nous devons la retirer, cette

19 requête?

20 M. le Président (interprétation): Non, tout est très ouvert.

21 Mme Korner (interprétation): Ça n'est pas indispensable. Je souhaite

22 simplement éviter que la situation ne se reproduise, donc je souhaiterais

23 que ce soit écrit quelque part.

24 M. le Président (interprétation): Oui, mais la défense doit nous dire

25 également si elle souhaite qu'il y ait décision.

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1 Vous ne souhaitez pas de décision, la défense, Me Fauveau non plus, donc

2 il n'y aura pas de décision portant sur cette requête.

3 (Le témoin, M. Grgo Stojic, est introduit dans le prétoire.)

4 Bien. Bonjour.

5 M. Stojic (interprétation): Bonjour.

6 M. le Président (interprétation): Je suis le Président de la Chambre et,

7 avant de poursuivre, je crois que je vous dois nos excuses. Nous vous

8 présentons nos excuses parce que vous avez dû attendre pendant une heure.

9 La raison pour laquelle vous avez dû attendre, ce n'est pas un caprice de

10 notre part, cela est dû au fait que nous avions des questions d'ordre

11 juridique et procédural que nous devions régler et à propos desquelles

12 nous devions prendre des décisions. C'était important.

13 Elles n'ont pas trait à votre déposition ou à votre présence ici, je vous

14 rassure, cela n'a strictement rien à voir avec vous mais je vous devais

15 nos excuses parce que vous avez dû attendre plus d'une heure. J'espère que

16 vous comprendrez.

17 M. Stojic (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je vous suis

18 reconnaissant.

19 M. le Président (interprétation): Merci.

20 Avant votre déposition, vous êtes tenu ici de faire une déclaration

21 solennelle nous indiquant que vous direz la vérité. La personne juste à

22 côté de vous va vous remettre un carton où figure cette déclaration

23 solennelle dont je vous invite à donner lecture.

24 M. Stojic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

25 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

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1 M. le Président (interprétation): Merci. Veuillez vous asseoir.

2 Et maintenant, avant de commencer l'interrogatoire, permettez-moi de vous

3 fournir quelques explications. Je vais vous dire où vous êtes et ce qui va

4 se produire.

5 Comme je vous l'ai dit, je suis le Président de la Chambre. Je suis

6 assisté à ma droite du Juge Janu de la République tchèque. Je suis moi-

7 même M. Agius, je viens de Malte. Et à ma gauche, Mme Taya, du Japon. Nous

8 sommes les trois Juges qui prendrons la décision sur la base des

9 témoignages présentés dans les dossiers.

10 Les trois personnes qui sont assises ici, devant moi, sont les membres du

11 Greffe.

12 A votre droite se trouvent, au premier rang… Ne vous inquiétez pas des

13 personnes qui sont assises des personnes qui sont assises derrière ces

14 premiers rangs, il s'agit là des assistants juridiques. Et nous avons

15 trois personnes à votre droite; il s'agit de l'équipe des membres de

16 l'accusation.

17 Vous serez interrogé par la dame au milieu, Mme Richterova.

18 Une fois l'interrogatoire principal de l'accusation arrivé à son terme,

19 vous serez interrogé par deux équipes de la défense. La première équipe

20 est constituée des trois personnes à votre gauche, plus proches de vous.

21 Vous serez interrogé par une de ces trois personnes.

22 La première équipe représente ou est chargée de la défense de Radoslav

23 Brdjanin, un des accusés de ce procès. L'autre accusé étant le général

24 Talic qui est représenté par Me Fauveau qui est la dame, à votre gauche,

25 la plus loin de vous. C'est elle qui procédera à votre contre-

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1 interrogatoire pour le général Talic.

2 Ceci étant dit, si vous avez des questions ou si certaines choses ne sont

3 pas claires, n'hésitez pas à le dire à la Chambre et nous nous efforcerons

4 de vous y répondre. Si ça n'est pas le cas, nous pouvons commencer

5 l'interrogatoire de l'accusation.

6 M. Stojic (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai aucune

7 question.

8 M. le Président (interprétation): Merci. Madame Richterova?

9 (Interrogatoire principal du témoin, M. Grgo Stojic, par Mme Richterova.)

10 Mme Richterova (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Mesdames

11 les Juges.

12 Veuillez décliner votre identité ainsi que votre date de naissance.

13 M. Stojic (interprétation): Je m'appelle Grgo Stojic. Je suis né le 30

14 janvier 1968.

15 Question: Nationalité?

16 Réponse: Croate.

17 Question: Et vous êtes de confession catholique?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Et vous êtes né dans le village de Skrljevita dans la

20 municipalité de Sanski Most, est-ce exact?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Monsieur Stojic, combien de fois avez-vous fait des déclarations

23 ayant trait aux événements qui se sont produits au cours de l'année 1992?

24 Réponse: Si je me souviens bien, j'ai fait cinq fois des déclarations.

25 Question: Pourriez-vous être plus spécifique?

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1 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, je pense avoir fait cinq

2 déclarations.

3 Question: Vous souvenez-vous avoir fait une déclaration au Tribunal à

4 Sanski Most en 1996?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Savez-vous qui a pris, recueilli votre déclaration à Sanski

7 Most?

8 Réponse: Le juge municipal de Sanski Most, M. Adil Draganovic.

9 Question: Cette déclaration a-t-elle été typographiée ou enregistrée de

10 quelque autre manière?

11 Réponse: Elle a d'abord été enregistrée et puis ensuite elle a été

12 dactylographiée.

13 Question: Quand l'avez-vous signée?

14 Réponse: Le lendemain.

15 Question: Cela s'est-il fait en présence du Juge Draganovic?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Avez-vous vu le Juge Draganovic au moment de signer votre

18 déclaration?

19 Réponse: Non.

20 Question: Merci. Monsieur Stojic, vous êtes né dans le village de

21 Skrljevita, quelle était la composition ethnique de ce village?

22 Réponse: La majorité de la population était d'appartenance ethnique croate

23 et il y avait un plus petit pourcentage de Serbes.

24 Question: Puis-je demander à l'huissier de montrer au témoin la pièce à

25 conviction, il s'agit d'une carte de Sanski Most qui a déjà été montrée.

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1 (Intervention de l'huissier.)

2 Pourriez-vous la placer sur le projecteur s'il vous plaît?

3 Pourriez-vous aider, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, et situer

4 le village de Skrljevita sur la carte s'il vous plaît?

5 Réponse: Le voici.

6 Question: Pourriez-vous nous dire s'il y avait d'autres villages croates

7 dans la municipalité de Sanski Most?

8 Réponse: Oui, il y en avait.

9 Mme Richterova (interprétation): Pourriez-vous nous montrer ces villages

10 et nous dire comment ils s'appellent?

11 M. Stojic (interprétation): Il y avait le village de Sasina, le village de

12 Poljak, c'est une banlieue de Sanski Most, à part Gornji Kruhari.

13 M. le Président (interprétation): Un petit instant, Monsieur, si vous le

14 permettez.

15 Madame Richterova, le document en haut à gauche indique quels sont les

16 villages qui sont à majorité croate, musulmane ou serbe. Donc la question

17 que vous devriez poser véritablement est la suivante: veuillez examiner la

18 carte, et les villages ou villes indiqués en rouge, et seriez-vous

19 d'accord pour dire que ces villages-là ont une majorité croate? Et nous

20 pourrions en rester là et cela éviterait au témoin d'avoir à se souvenir

21 exactement quels sont les villages qui étaient... S'il n'est pas d'accord,

22 il nous le dira.

23 Mme Richterova (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

24 Veuillez répondre à la question posée par le Président quant à savoir s'il

25 est correct d'affirmer que les villages marqués en rouge sont

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1 essentiellement à population croate?

2 M. Stojic (interprétation): Oui.

3 Question: Monsieur Stojic, vous avez fait votre service militaire

4 obligatoire à partir de décembre 1990 jusqu'en janvier 1992. Lorsque vous

5 êtes revenu du service militaire, êtes-vous retourné dans votre village?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Après votre retour dans votre village, avez-vous pu observer des

8 différences quelles qu'elles soient dans la manière dont les Serbes

9 traitaient les Croates par rapport à la manière dont ils traitaient les

10 Musulmans?

11 Réponse: Je l'ai remarqué. Je l'avais déjà remarqué depuis les élections

12 multipartites en Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire dès 1990. Et puis, après

13 mon retour du service militaire, j'étais de passage, je venais de Sarajevo

14 et j'allais à Sanski Most en passant par Mrkonicgrad vers Kljuc et nous

15 avons été arrêtés par une patrouille, une patrouille de la police

16 militaire. Ils sont montés à bord du bus pour procéder à des

17 vérifications. Et puis nous sommes repartis pour Sanski Most. La guerre

18 avait déjà commencé à l'époque en Croatie, c'est-à-dire en 1991.

19 Question: Monsieur Stojic, je vous demanderai de bien vouloir concentrer

20 vos déclarations sur l'année 1992 et nous dire, aussi brièvement que

21 possible, dans quelle mesure la vie avait changé par rapport aux années

22 précédentes?

23 Réponse: Le référendum était déjà sur le point de se tenir et, en fait, il

24 s'est effectivement le 27 février et le 1er mars 1992. Simplement, seuls

25 les Croates et les Musulmans ont participé au référendum. Mais permettez-

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1 moi de revenir à l'année 1990 et aux élections multipartites. Au bureau de

2 vote de Skrljevita où je vivais, les Serbes d'un quartier de Skrljevita

3 n'ont pas voté à ce bureau de vote. Et ils ont déchiré des affiches de

4 l'Union démocratique de Croatie, le HDZ.

5 Et donc, après leur retour du front en Croatie, les Serbes qui s'étaient

6 rendus volontairement en Croatie passaient par le village et tiraient des

7 coups de feu; ils lançaient des grenades. Et des avions survolaient à très

8 grande vitesse, ils passaient le mur du son; et les gens avaient déjà très

9 peur.

10 Question: Peut-on maintenant passer à l'année 1992? Pouvez-vous nous dire

11 brièvement si quelque restriction que ce soit a été imposée sur vos

12 déplacements dans cette zone, pour autant que vous le sachiez?

13 Réponse: Jusqu'au 19 avril 1992, il n'y avait aucune restriction en place,

14 quant aux déplacements. Mais lorsque les premières attaques eurent lieu

15 contre la municipalité de Sanski Most, les 26, 27 et 28 mai 1992, la

16 liberté de mouvement devient limitée.

17 Question: Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure elle l'était?

18 Réponse: Nous n'étions pas en mesure de traverser Sanski Most. En raison

19 de la radio serbe de Sanski Most, on nous avait demandé de rendre les

20 armes, les armes dont nous ne disposions pas.

21 Question: Ces annonces pour remettre ces armes, nous en parlerons plus

22 tard. Je voudrais revenir cependant à ces obstacles à la liberté de

23 mouvement. Est-ce que vous avez vu des postes de contrôle?

24 Réponse: Oui, lorsque j'allais à Sanski Most, j'en ai vu.

25 Question: Qui était responsable de ces postes de contrôle?

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1 Réponse: Il s'agissait de Serbes armés, mais qui portaient des habits de

2 civils.

3 Question: Etaient-ils tous en civil?

4 Réponse: Non.

5 Question: Ceux qui n'étaient pas habillés en civil, que portaient-ils?

6 Réponse: Ils portaient des uniformes militaires de camouflage.

7 Question: Est-ce qu'ils appartenaient à des unités militaires, à votre

8 connaissance?

9 Réponse: Je sais que certains d'entre eux faisaient partie des forces de

10 réserve de l'armée.

11 Question: Vous parlez de ces postes de contrôle: quel était l'objectif de

12 ces postes de contrôle?

13 Réponse: L'objectif de ces postes de contrôle était bien sûr de contrôler,

14 de vérifier qui entrait dans la ville.

15 Question: Vous n'étiez pas en mesure de vous déplacer librement; alors, si

16 vous vouliez aller de A à B, est-ce que vous aviez besoin d'un permis?

17 Réponse: Je n'allais pas d'un point à un autre, mais un ami à moi

18 voyageait, Franjo Ilicevic; il devait se rendre dans le village de Kljevci

19 et il devait obtenir un permis de façon à aller dans ce village.

20 Question: Vous a-t-il dit auprès de qui il a obtenu ce permis?

21 Réponse: Il les a obtenus du poste de police de Sanski Most.

22 Question: A votre connaissance, est-ce que c'était la procédure normale,

23 si vous deviez aller d'un point à un autre dans la municipalité, d'obtenir

24 ce permis?

25 Réponse: En période de guerre, oui, c'était la procédure normale.

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1 Question: Je voudrais maintenant revenir à la collecte de ces armes.

2 Est-ce que vous avez entendu des annonces à cet effet, c'est-à-dire pour

3 rendre vos armes?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Par quel biais?

6 Réponse: A la radio serbe de Sanski Most.

7 Question: Et quelle était la teneur de cette annonce?

8 Réponse: Tout d'abord, ils avaient recensé tous les villages croates et

9 musulmans dans la région de la municipalité de Sanski Most et on nous

10 avait ordonné de rendre toutes les armes qu'ils avaient en leur

11 possession.

12 Question: Vous souvenez-vous que des Croates et des Musulmans ont été

13 mentionnés plus spécialement?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Quoi d'autre a été mentionné dans cette annonce?

16 Réponse: Cette annonce stipulait que ces armes seraient collectées à un

17 certain endroit, que les véhicules devraient porter un drapeau blanc et

18 qu'ils devaient se rendre auprès du personnel de la cellule de crise de

19 Sanski Most. C'est là où il y avait le Q.G. des forces armées serbes.

20 Question: Y avait-il des armes dans votre propre village?

21 Réponse: Il y avait des fusils de chasse, des pistolets et les personnes

22 avaient un permis de port d'arme pour cela.

23 Question: Est-ce que vous les avez rendues?

24 Réponse: Oui.

25 Question: Est-ce que vous connaissez Ivica Tutic?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Qui est ou qui était Ivica Tutic?

3 Réponse: C'était quelqu'un qui était originaire de mon village. C'était un

4 homme qui était apte à travailler.

5 Question: Est-ce qu'il participait à la vie politique?

6 Réponse: Non.

7 Question: Est-ce que c'est la personne qui a collecté les armes qui ont

8 été collectées dans votre village?

9 Réponse: Oui, nous avons remis nos armes à cette personne, car c'est cet

10 ordre qu'il avait reçu.

11 Question: Savez-vous ce qui est arrivé à Ivica Tutic en 1992?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Que s'est-il passé?

14 Réponse: Au début du mois de juillet, on a ordonné à Ivica Tutic de se

15 présenter au poste de police de Sanski Most. Un officier de police s'est

16 rendu à son domicile; il n'était pas là durant la matinée. On lui a

17 demandé de se présenter avant 9 heures au poste de police de Sanski Most

18 et c'est ce qu'il a fait. Après cela, nous avons perdu sa trace.

19 Question: Monsieur Stojic, vous avez dit que vous avez entendu des

20 annonces pour remettre vos armes?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Est-ce que vous avez entendu des discours à la radio, des

23 discours qui étaient prononcés par des Musulmans, durant 1992?

24 Réponse: Oui, j'ai entendu des discours. Le dentiste Fajko Biscevic ainsi

25 que le Dr Enes Sabanovic. C'est ce que l'annonceur a dit à la radio, il

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1 nous a dit: "Maintenant, ce sont les leaders qui vont prendre la parole",

2 et c'est ce qu'ils ont fait.

3 Question: Et quel était le contenu de leur déclaration radiophonique?

4 Réponse: Je m'en souviens; ils demandaient littéralement aux Croates et

5 aux Musulmans de remettre les armes qu'ils avaient en leur possession. Ils

6 ont dit que, de cette manière, la paix et la sécurité seraient garanties

7 pour eux et ceux qui voulaient partir pourraient le faire.

8 Question: Et vous avez mentionné que, dans ce discours, on disait que si

9 des personnes voulaient quitter la municipalité, elles étaient habilitées

10 à le faire. Est-ce que vous avez entendu des discours similaires émanant

11 d'autres sources, en ce qui concerne le mouvement des populations hors de

12 la municipalité?

13 Réponse: J'ai entendu d'autres discours, d'autres personnes.

14 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je voudrais revenir à une

15 réunion qui s'est tenue à Kruhari durant une attaque contre Sanski Most.

16 Monsieur Tutic, Bono Tutic a été appelé, et Ivica Tutic; ces deux hommes

17 ont été appelés. Et du côté serbe, il y avait Delic Tomo qui était présent

18 ainsi qu'un autre gradé militaire. Et le lendemain, Bono Tutic nous a dit

19 dans le village qu'un accord avait été conclu sur ce que M. Delic leur

20 avait dit, et on nous a dit ce que l'on devait faire. Il nous a dit que

21 nous devions leur remettre 86 armes que nous avions supposément obtenues

22 en Croatie; M. Tudjman nous les avait soi-disant envoyées.

23 Delic a donc dit à Bono et aux autres qu'il l'avait fait parce que nous

24 étions des amis et qu'il n'accepterait pas d'autres discussions, que les

25 armes commençaient à être utilisés. Et puis, il avait dit: "Il faut

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1 rassembler toutes les armes" et Ivica Tutic, que j'ai mentionné, les a

2 emportées, comme je l'ai déjà dit.

3 Question: Monsieur Stojic, est-ce que je peux revenir à ma précédente

4 question sur des annonces ou des discours qui auraient été prononcés en ce

5 qui concerne le mouvement de population hors de la municipalité? Est-ce

6 que vous avez entendu ce type de discours?

7 Réponse: Oui, j'ai entendu ce genre de discours.

8 Question: Pouvez-vous être plus précis?

9 Réponse: Oui. Il y a eu des annonces à la radio serbe de Sanski Most

10 disant que toute personne qui souhaitait quitter la municipalité de Sanski

11 Most devait se rendre à un bureau, pièce 26, au bureau de la municipalité

12 ou dans les bâtiments de la municipalité, et ceux qui le souhaitaient

13 pourraient quitter la municipalité. Et ceux qui souhaitaient partir, ou

14 plutôt ceux qui voulaient rester seraient soi-disant garantis de paix et

15 de sécurité dans la municipalité de Sanski Most. Ceux qui avaient pris

16 cette décision devaient formuler une demande pour un permis de séjour

17 permanent.

18 Certaines personnes se sont exécutées et Bono Tutic était l'une de ces

19 personnes; il a reçu ce permis de séjour. Apparemment, toute personne qui

20 recevait ce type de permis de séjour: lorsque cette personne présenterait

21 ce permis de séjour, on ne pourrait rien faire contre cette personne de

22 quelque manière que ce soit. C'était d'une certaine manière une pièce

23 d'identité, une carte d'identité stipulant que vous n'étiez pas serbe.

24 C'est en fait ce que les Nazis ont fait aux Juifs.

25 Question: Monsieur Stojic, je voudrais revenir sur les mouvements de

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1 population hors de la municipalité. Vous avez mentionné que ceux qui

2 voulaient partir devaient demander un permis?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Avez-vous entendu des discours ou des déclarations stipulant ou

5 précisant le nombre de personnes qui seraient autorisées à rester?

6 Réponse: Non, mais on disait que par exemple les Serbes, les amis, les

7 voisins, que 2% resterait.

8 Question: Lorsque vous dites que "2% simplement resterait", vous voulez

9 dire dans la municipalité de Sanski Most?

10 M. Stojic (interprétation): Oui.

11 M. le Président (interprétation): Oui.

12 Mme Richterova (interprétation): Est-ce que je peux simplement montrer au

13 témoin une pièce?

14 M. le Président (interprétation): Oui allez-y.

15 Mme Richterova (interprétation): Un seul document?

16 M. le Président (interprétation): Oui, allez-y, et ensuite nous ferons une

17 pause. Merci.

18 Mme Richterova (interprétation): Il s'agit d'une pièce qui portera une

19 cote provisoire P811.

20 (Intervention de l'huissier.)

21 En bas de la page, il y a la cote de pièce à conviction de l'accusation,

22 c'est-à-dire 811. Peut-on le mettre sur le rétroprojecteur?

23 Vous avez mentionné que les personnes qui souhaitaient quitter la

24 municipalité devaient demander un permis. Est-ce que vous pouvez regarder

25 le document qui est à côté de vous et nous dire s'il s'agit de ce type

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1 d'autorisation pour quitter la municipalité?

2 M. Stojic (interprétation): Oui.

3 Question: Qui pouvait bénéficier de ce type d'autorisation?

4 Réponse: C'est une autorisation qui a été émise pour moi-même, pour ma

5 mère et pour mon frère.

6 Question: Vous voyez qu'il y a la date du 21 septembre 1992, mais nous

7 savons que vous êtes resté dans la municipalité bien plus longtemps.

8 Pourquoi n'êtes-vous pas parti après avoir obtenu cette autorisation de

9 départ?

10 Réponse: Nous n'étions pas en mesure de partir, car il n'y avait pas de

11 convoi disponible à ce moment-là. Et des personnes se préparaient dans mon

12 village pour faire partie d'un convoi, elles se préparaient à partir mais

13 ne sont pas non plus arrivées à partir.

14 Lorsque j'ai essayé d'obtenir cette autorisation, ma sœur et moi nous nous

15 sommes rendus dans ce bureau 26 du bâtiment de la municipalité de Sanski

16 Most, et on nous a demandé de partir. L'agent, qui était dans ce bureau,

17 nous a demandé de contacter le représentant qui organisait ce convoi.

18 Question: L'avez-vous fait?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Et est-ce qu'ils sont arrivés à organiser quelque chose pour

21 vous?

22 Réponse: Non, ils n'y sont pas arrivés.

23 Mme Richterova (interprétation): Je crois que nous allons faire la pause

24 et nous pourrons mentionner un autre sujet après la pause.

25 M. le Président (interprétation): Oui merci, Madame Richterova. J'ai

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1 compris que vous aviez besoin de 20 minutes supplémentaires.

2 Nous allons donc faire une pause de 20 minutes à partir de maintenant.

3 (L'audience, suspendue à 15 heures 52, est reprise à 16 heures 15.)

4 M. le Président (interprétation): Oui, Madame Richterova.

5 Mme Richterova (interprétation): Monsieur Stojic, je voudrais revenir à ce

6 qui s'est passé au village, et je voudrais que vous disiez à cette Chambre

7 d'audience ce qui s'est passé le 2 novembre 1992.

8 Est-ce exact de dire que vous êtes parti le 2 novembre, ce matin-là, vous

9 avez quitté, vous êtes parti en direction de Sanski Most?

10 M. Stojic (interprétation): Oui.

11 Question: Avec qui êtes-vous parti?

12 Réponse: Je suis allé avec le frère de ma tante, ma tante qui s'appelait

13 Dragana.

14 Question: Quel était le nom de son fils?

15 Réponse: Il s'agissait de Dragan Tadic, je suis donc parti avec le frère

16 de ma tante qui s'appelait, lui, Dragan, c'était le fils.

17 Question: Vous êtes resté jusqu'à midi, et puis ensuite vous êtes parti en

18 direction de votre village, est-ce exact?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Lorsque vous êtes revenu à Skrljevita, est-ce que vous avez

21 rencontré certains de vos voisins?

22 Réponse: Oui, j'ai rencontré Anto Tutic, Petar Nikic, Zarko Nikic et Josip

23 Banovic.

24 Question: Est-ce que vous êtes parti tous ensemble ou est-ce que ces

25 personnes sont parties avant vous?

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1 Réponse: Dragan et moi-même sommes partis ensemble.

2 Question: Et ces quatre autres personnes?

3 Réponse: Ils sont partis avant nous.

4 Question: Vous étiez en direction de Skrljevita, est-ce que vous pourriez

5 dire à cette Chambre de première instance ce qui s'est passé en chemin?

6 Réponse: A l'orée de la forêt de Glamonisca, qui part en direction de

7 Skrljevita, nous avons été pris en embuscade. Il y avait des buissons sur

8 le bas-côté de la route et, derrière ces buissons, il y avait des

9 personnes en uniforme et en civil avec des armes légères. Nous les avons

10 salués et ils ne nous ont pas répondu. Ils nous ont demandé d'où nous

11 venions et nous n'avons pas répondu.

12 Puis, ils nous ont demandé si nous avions des pièces d'identité sur nous.

13 Nous avons répondu "Oui". J'ai commencé par leur présenter ma carte

14 d'identité, il l'a prise et il l'a regardée et il me l'a rendue. Et puis,

15 Dragan a présenté la sienne et il a lu son nom à haute voix, et il a

16 utilisé les mots suivants "Dragan Tadic de Skrljevita", et il l'a rendue,

17 il a rendu sa carte d'identité. Et il a dit: "Nous allons rejoindre nos

18 hommes au village, il y en a d'autres".

19 Question: Je vais vous arrêter ici, Monsieur Stojic. Est-ce que vous

20 pourriez nous décrire les deux hommes qui vous ont arrêtés?

21 Réponse: Le premier était en civil. Il portait un blouson en cuir. Il

22 était de taille moyenne avec une barbe clairsemée. Il portait une arme

23 légère qu'il tenait contre sa jambe, et au niveau de la crosse, il y avait

24 une inscription serbe qui était imprimée avec quatre "S".

25 L'autre était à côté de lui et portait un uniforme, un uniforme de

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1 camouflage. Il portait un béret, et il y avait la croix serbe sur ce

2 béret. Il avait une ceinture qui appartenait à la police militaire, à

3 savoir une ceinture blanche. Il avait également une matraque et des

4 menottes.

5 Question: Est-ce que vous aviez déjà vu ces personnes auparavant?

6 Réponse: Non, je ne les connaissais pas personnellement.

7 Question: Est-ce que vous connaissiez leur nom à ce moment-là?

8 Réponse: Non pas à ce moment-là.

9 Question: Est-ce que vous avez appris comment ils s'appelaient à un stade

10 ultérieur?

11 Réponse: Oui.

12 Question: Qui vous a informé?

13 Réponse: J'ai demandé à des amis qui les connaissaient personnellement.

14 Celui qui était en civil s'appelait Danilusko Kajtez, que l'on appelait

15 également "Dane", qui était un Chetnik. Et puis, vous aviez le deuxième

16 qui s'appelait Zoran Vukojevic.

17 Question: Et vous avez appris leur identité par le biais de vos amis, est-

18 ce exact?

19 Réponse: Oui, c'est exact.

20 Question: Ces deux hommes vous ont demandé de les suivre… Je vais me

21 corriger. Ils vous ont demandé de les suivre et de suivre vos voisins ou

22 les autres personnes qui étaient un peu plus loin dans la forêt, est-ce

23 exact?

24 Réponse: Oui.

25 Question: Est-ce que vous vous êtes exécuté?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Qui étaient ces hommes?

3 Réponse: Lorsque nous sommes arrivés, derrière les buissons, à proximité

4 de la rivière, dès que nous sommes arrivés à proximité de la rivière, j'ai

5 vu un tas de sable, quelqu'un avec une arme légère qui portait un uniforme

6 et qui visait ces quatre hommes. Il s'agissait de Ante Tutic, Zarko Nikic,

7 Petar Nikic, et Josip Banovic.

8 Question: Et que s'est-il passé? Est-ce que vous avez rejoint ces hommes?

9 Réponse: Ils nous ont demandé de nous aligner, ils nous ont demandé de

10 lever les mains et de se tourner vers la gauche et, lorsque nous nous

11 sommes retournés, ils ont dit de baisser les mains, ce sera plus facile.

12 Et ensuite, on a été fouillés. Il y avait un autre homme derrière les

13 buissons qui portait un uniforme, il n'était pas très grand, d'une

14 certaine corpulence, brun, les cheveux frisés et il a également procédé

15 aux fouilles. Mais il n'a pas physiquement procédé aux fouilles.

16 Question: Pourriez-vous nous décrire cet uniforme, pourriez-vous être plus

17 précis?

18 Réponse: Les uniformes étaient des uniformes de camouflage, des uniformes

19 militaires. Mais ils ne portaient rien sur leur tête. Ils portaient les

20 mêmes mitraillettes et il y avait également les quatre "S" sur la crosse.

21 Tous les quatre avaient deux stocks de munitions.

22 Question: Après vous avoir fouillés, que s'est-il passé?

23 Réponse: Après cela, ils ont commencé à nous interroger. Ils nous ont

24 demandé où nous effectuions nos gardes, où nous dormions. Ils nous ont

25 demandé où était notre chef du HDZ, ils ont demandé où était Ilija Tutic,

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1 où était Bono Tutic. Ils nous ont posé des questions comme celles-ci. Et

2 au moment où ils nous ont fouillé, ils nous ont confisqué tous nos papiers

3 d'identité ainsi que l'argent que nous avions sur nous, ainsi que nos

4 effets personnels. Ils ont appelé Zare et Pero par leurs prénoms, on

5 pouvait donc en conclure qu'ils les connaissaient bien. Au moment où

6 Dragan et moi sommes arrivés, Zare a crié: "Ah, mes pauvres enfants!" et

7 Pero a commencé à se lamenter. Nous avons tous reçus des coups sur

8 l'épaule, ces coups de matraque.

9 Après cela, on nous a demandé de nous rapprocher encore les uns des

10 autres. Ils ont terminé cette fouille, ils nous ont dit qu'ils étaient

11 l'armée de Seselj. Après cela, ils se sont éloignés et j'ai entendu

12 l'ordre "Vas-y!" Ils ont commencé à tirer à ce moment-là. Il y avait cette

13 mitraillette pointée sur nous dans notre dos. Nous leur tournions le dos.

14 Par conséquent, je n'ai pas pu voir qui a tiré et qui a tué. A ce moment-

15 là, je me suis dit: "Mon Dieu, est-ce que quelqu'un va survivre!" pour

16 pouvoir dire de qui il s'agissait.

17 Dans de pareils cas de meurtres, si ce sont des Musulmans qui étaient

18 tués, alors on disait que c'étaient les Oustachis qui les avaient tués; et

19 si c'était des Croates qui étaient tués, alors on disait que c'étaient les

20 Bérets verts qui les avaient tués. Au moment où ils nous ont exécutés,

21 j'ai reçu une balle dans le haut du bras gauche et je suis tombé par

22 terre, immédiatement. J'étais couché par terre et j'ai senti que j'avais

23 reçu une balle dans la hanche qui était ressortie par l'estomac. Je suis

24 resté par terre un moment. Au moment où ils ont terminé cette exécution,

25 j'ai entendu qu'il disait "Allez, on part!". J'ai entendu les armes

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1 s'entrechoquer au moment où ils sont partis. Je suis resté là quelques

2 minutes, je ne m'en souviens plus exactement. Après quoi, j'ai levé la

3 tête et je me suis tourné d'un côté et de l'autre. Je suis revenu par

4 terre. J'ai essayé d'écouter ce qui se passait et j'ai essayé de m'assurer

5 qu'il n'était pas à proximité. Après cela, je me suis levé et je ne

6 sentais plus mon bras. Le sang coulait et je sentais également ma blessure

7 à l'estomac et je sentais uniquement à ce moment-là mes doigts. Après cela

8 j'ai remis mon bras dans ma veste, au moment où je me suis retourné, j'ai

9 vu un spectacle terrible. Josip Banovic, Zarko Nikic, Ante Tutic, et Petar

10 Nikic étaient tombés dans la rivière.

11 Et au-dessus de ces cadavres, c'était Zarko Nikic; lui, je le voyais bien

12 et je voyais bien dans quel état il était. Son cerveau, sa tête avait

13 explosé, son cerveau était répandu autour, il perdait du sang qui coulait

14 dans la rivière, et la cervelle se mélangeait à l'eau de la rivière avec

15 le sang.

16 Dragan Tadic est tombé à un mètre ou deux de moi. Et d'une certaine façon,

17 il était recroquevillé sur lui-même mais il était sur l'herbe, il n'était

18 pas dans la rivière. J'ai vu que personne n'était en train de demander de

19 l'aide et j'ai vu que ces hommes avaient été tués.

20 Question: Où êtes-vous allé après avoir constaté que vos voisins avaient

21 été tués?

22 Réponse: A ce moment-là, j'ai quitté le lieu du crime et je suis parti en

23 direction de la rivière. J'ai marché sur 30 mètres à partir du lieu du

24 crime. J'ai marché dans l'eau. Je suis arrivé jusqu'à un champ. Le champ

25 qui appartenait à Zarko Nikic qui venait d'être tué et je suis arrivé au

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1 bord de cette forêt de Glamosnica. J'ai traversé ce champ et j'ai commencé

2 à entrer dans la forêt, mais là j'ai été saisi de douleur. J'ai donc dû

3 avancer lentement et j'ai dû me reposer.

4 Question: Excusez-moi si je vous interromps, mais dans quelle direction

5 alliez-vous?

6 Réponse: En direction de Skrljevita.

7 Question: Sur votre chemin, en allant vers Skrljevita, est-ce qu'à un

8 moment donné vous avez entendu des coups de feu?

9 Réponse: Oui, au moment où j'ai traversé la forêt, j'ai entendu tout

10 d'abord un bruit de tracteur, et je me suis dit qu'on était à ma

11 recherche, mais un ruisseau se trouvait dans cette forêt et il y avait

12 également des branchages où je me suis caché. Après cela, j'ai entendu au

13 bord de cette forêt que l'on tirait en rafale, j'ai entendu des tirs

14 nourris.

15 Question: Est-ce que, par la suite, vous avez appris ce qui était arrivé?

16 Réponse: Oui, oui, je l'ai appris.

17 Question: Qu'avez-vous appris?

18 Réponse: Je l'ai appris au moment où j'étais à Banja Luka.

19 Question: Qu'avez-vous appris au moment où vous étiez à Banja Luka?

20 Réponse: La sœur d'Ivo Tutic est venue me voir -qui a été tué mais pas à

21 ce moment-là-, elle avait entendu dire que j'étais à Banja Luka. Elle

22 s'est approchée de moi, elle m'a salué et elle m'a dit que son frère avait

23 été tué, Bono Tutic avait été tué ainsi que Ante Tadic et Josip Potalac.

24 Question: Monsieur Stojic, permettez-moi de vous interrompre. Vous étiez

25 en train de nous dire comment vous alliez en direction de Skrljevita, et

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1 vous nous avez dit que vous avez entendu des tirs, des coups de feu.

2 Pourriez-vous nous expliquer à présent comment vous vous êtes rendu à

3 Skrljevita et si quelqu'un vous a aidé?

4 Réponse: Oui, je vais le faire. Blessé comme je l'étais, j'ai réussi à me

5 traîner jusqu'à la maison de Zarko Nikic qui avait été tué. Les chiens ont

6 aboyé devant sa maison, ses enfants sont sortis. Quand ils ont vu l'état

7 dans lequel j'étais, ils m'ont demandé des nouvelles de leur père. Ils ont

8 commencé à pleurer. A ce moment-là, je leur ai dit de se taire, car sinon

9 on allait venir et on allait les tuer eux aussi. Je leur ai dit que Zarko

10 avait été tué, mais ils ne me croyaient pas.

11 Je suis entré dans la maison, sa fille m'a montré le chemin. Dans la

12 maison, je me suis assis un moment, et ils ont recommencé à me poser des

13 questions. Je leur ai répondu que je ne savais pas s'il avait été tué

14 parce que j'avais peur qu'il ne commence à crier et j'avais peur que l'on

15 vienne et qu'on les tue également.

16 Ils sont partis vers la maison de Pero Nikic, de Petar Nikic qui avait été

17 tué. Sa femme se trouvait là, sa femme donc Marija, et Marija Banovic, la

18 mère de Josip Banovic qui avait été tué. La fille est revenue chez Zarko

19 après cela, et elle m'a aidé. Elle m'a offert son bras et elle m'a aidé à

20 quitter le village vers le hameau de Numara. La femme de Pero et la mère

21 de Josip, qui avaient toutes les deux été tués, étaient là avec deux

22 enfants mineurs. La femme de Zarko avait un enfant en bas âge. Je ne me

23 souviens plus exactement quel âge elle avait.

24 Ils m'ont laissé là, et ils sont partis plus loin dans le village, ils

25 sont allés chercher de l'aide, mais je ne pouvais pas attendre. Alors

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1 lentement je me suis traîné jusqu'à la maison de Joso Tutic. Personne

2 n'est venu. Je me suis mis en route, lentement en direction de la maison

3 de Josip Banovic qui avait été tué.

4 Question: Monsieur Stojic, est-il vrai qu'en fin de compte, vous êtes

5 arrivé jusqu'à votre village, on vous a donné les premiers secours, après

6 quoi vous avez été amené jusqu'au centre médical de Sanski Most sur une

7 charrette?

8 Réponse: Oui, c'est exact. Au moment où je suis arrivé à la maison, je ne

9 pouvais plus bouger. On m'a aidé, c'est Ante Ilicic qui m'a aidé; c'était

10 un voisin de Josip Banovic et c'était mon ami.

11 Tous les gens du village avaient appris ce qui m'était arrivé à ce moment-

12 là, et mon frère est arrivé avec une charrette, ainsi que Franjo Ilicic,

13 un voisin. Pas mal de personnes étaient déjà rassemblés, à ce moment-là.

14 Ils m'ont transporté hors de la maison et ils m'ont mis dans cette

15 charrette.

16 A ce moment-là, nous nous sommes mis en route avec mon frère et avec notre

17 voisin Franjo, et il y avait également Drago, le fils d'une autre tante.

18 Quand nous sommes arrivés au hameau, hameau appelé "Tutici", il y avait

19 énormément de personnes. Quand ils m'ont vu, la femme de Josip Potalac et

20 de Bono Tutic a dit que Bono et Tomica n'étaient pas là; ce à quoi je leur

21 ai répondu que ceux qui n'étaient pas rentrés ne rentreraient plus parce

22 qu'ils n'avaient pas de chance de s'en sortir.

23 Question: Monsieur Stojic, on vous a emmené sur cette charrette jusqu'à

24 Sanski Most où vous avez reçu les premiers soins au centre médical, puis

25 de Sanski Most vous avez été transféré à Prijedor; est-ce exact?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: De Prijedor, vous avez été transféré à l'hôpital de Banja Luka;

3 est-ce exact?

4 Réponse: Oui.

5 Question: A l'hôpital de Banja Luka, quel traitement avez-vous reçu? Et

6 maintenant, je vous parle de traitement au sens médical du terme.

7 Réponse: Au moment où je suis arrivé là-bas, ils m'ont amené sur une

8 civière et l'infirmière m'a demandé, au moment où je suis rentré, où j'ai

9 été admis à l'hôpital, à quelle unité militaire j'appartenais. Je lui ai

10 dit que je n'étais pas membre de l'armée, que ce qui m'était arrivé

11 m'était arrivé en tant que civil, et ils m'ont préparé immédiatement pour

12 l'intervention chirurgicale. Le lendemain matin, je me suis réveillé dans

13 une salle de soins intensifs.

14 Question: Combien de temps avez-vous passé dans cette unité de soins

15 intensifs?

16 Réponse: Deux jours, pour autant que je puisse m'en souvenir.

17 Question: Pendant votre séjour à l'hôpital de Banja Luka, est-ce que vous

18 avez été transféré à une quelconque autre unité à l'intérieur de

19 l'hôpital?

20 Réponse: Le 9 novembre, j'ai été transféré au département d'urologie. Mais

21 le 9 novembre déjà, au département de chirurgie où j'étais, un incident

22 avait éclaté.

23 La sœur d'Ivo Tutic, qui avait été tué, que j'ai déjà cité, travaillait

24 dans ce département; elle travaillait donc au département où se trouvait

25 Ivo Nikic, de mon village. Nous nous sommes dit bonjour; elle est partie.

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1 Ivo Nikic est arrivé à ce moment-là, il est venu me voir.

2 Milan Oljaca (phon.) était à côté de moi; il avait perdu sa jambe gauche.

3 Nikic et moi n'avons pas réussi à nous dire bonjour; il s'est senti mal et

4 Nada, une infirmière, est arrivée immédiatement. Elle a demandé ce qui se

5 passait. Il a répondu qu'il n'avait jamais été dans une situation aussi

6 pénible que depuis que cet Oustachi était arrivé. A ce moment-là, elle

7 s'est retournée vers Nikic, lui a demandé ce qu'il cherchait là. Elle lui

8 a dit de partir, de s'en aller; elle a commencé à l'insulter. Elle lui a

9 dit: "Mais tu veux que je te jette dehors maintenant, que je te jette par

10 la fenêtre?".

11 Il est sorti après cela, et j'ai essayé d'expliquer à ce Milan que c'était

12 quelqu'un de mon village. Il m'a répondu que c'était un Oustachi, on ne

13 peut plus Oustachi, qu'il l'avait fait prisonnier personnellement en

14 Croatie sur le champ de bataille et qu'il avait fait l'objet d'un échange.

15 Et il se demandait comment un Oustachi pouvait revenir comme cela. Il me

16 disait qu'il avait beau changer ses papiers d'identité, qu'il avait beau

17 changé tout ce qu'il voulait, il restait un Oustachi.

18 Question: Monsieur Stojic, suite à cet incident, que s'est-il passé, ou

19 plutôt est-ce que c'est après cet incident que vous avez été déplacé dans

20 un autre service de l'hôpital de Banja Luka?

21 Réponse: Oui, c'est après cela qu'a eu lieu le transfert. Mais Nada,

22 l'infirmière, est venue me voir et m'a dit: "Stojic, tu ne sortiras pas de

23 cet hôpital tant que la police militaire n'en aura pas donné

24 l'autorisation. Même si ta famille est en train de faire des recherches

25 pour te retrouver par le biais du CICR, cela ne sert à rien".

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1 Question: Où vous a-t-on transféré exactement?

2 Réponse: Comme je vous l'ai dit, j'ai été transféré au département

3 d'urologie, dans la cellule n°8.

4 Question: Vous nous parlez de cellule, comment savez-vous qu'il s'agissait

5 de cellule?

6 Réponse: Eh bien, il y avait un soldat qui se trouvait là et l'infirmière

7 qui m'y a emmené, elle s'est demandée où on allait me mettre. Le soldat

8 avait dans sa main la poignée de la porte…

9 Question: Vous nous avez dit qu'il s'agissait d'une cellule. Est-ce qu'il

10 faut entendre par là que c'était une cellule de prison?

11 Réponse: Oui.

12 Question: Quelle prison?

13 Réponse: La prison de l'hôpital.

14 Question: Vous nous avez parlé d'une cellule de prison dans l'hôpital?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Mais de quelle prison voulez-vous parler?

17 Réponse: J'ai reçu un rapport officiel du CICR me disant qu'il s'agissait

18 de la prison de Tunjice.

19 Question: On vous a emmené dans une cellule. Est-ce que pendant le temps

20 que vous avez passé dans cette cellule on vous a accusé de quelque chose?

21 Réponse: Officiellement, jamais je n'ai jamais reçu d'accusation, mais

22 j'aimerais tout d'abord éclaircir un point et vous expliquer quelle était

23 la situation dans la cellule n°8.

24 Au moment où ce soldat a ouvert la porte, l'infirmière lui a demandé:

25 "Alors, où est-ce que je le mets?". Il a répondu: "Jette-le par terre!".

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1 Là, il y avait déjà des blessés qui venaient de Kotor Varos. L'un d'entre

2 eux avait été blessé au camp de Manjaca. C'étaient des Musulmans. Il y

3 avait donc déjà quelqu'un dans cette cellule y compris Ivo Nikic qui était

4 assis sur le lit. Après cela, ils nous ont enfermés.

5 Question: Monsieur Stojic, pourriez-vous nous décrire très brièvement les

6 conditions sanitaires dans la cellule ou dans les cellules où vous avez

7 été détenu?

8 Réponse: Quand je suis arrivé dans cette cellule, les draps étaient tachés

9 de sang, étaient pleins de pus. La puanteur était terrible, et on faisait

10 nos besoins dans un pot. La fenêtre était légèrement entre-ouverte. Mais

11 au moment où je suis arrivé dans cette cellule, on apportait à manger,

12 c'était le repas de midi, on nous apportait le déjeuner. Quand le soldat a

13 ouvert la porte, on nous a ordonné de lever trois doigts en l'air, et il a

14 répondu: "Voilà, maintenant vous êtes des Serbes".

15 Les infirmières sont arrivées, et on leur a montré les Oustachis qui

16 étaient détenus. Quand nous avons fini de manger, le soldat a ordonné à

17 cette personne, qui faisait le service, de compter le nombre de

18 fourchettes pour être sûrs qu'on ne les utiliserait pas pour se suicider.

19 Nous avons passé un certain temps dans cette cellule n°8.

20 Question: Est-ce que vous avez été transféré dans une autre cellule?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Combien de personnes se trouvaient dans l'autre cellule?

23 Réponse: Cinq.

24 Question: Pourriez-vous nous dire comment vous avez été traité au cours de

25 votre séjour dans cette cellule?

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1 Réponse: Avant le transfert proprement dit, j'ai été précipité dans le

2 couloir. L'infirmière Ljubisava portait un uniforme d'hôpital de couleur

3 verte, et elle a commencé à me harceler, elle m'a demandé combien de

4 Serbes j'avais tué, combien de femmes serbes j'avais violé, combien

5 d'enfants j'avais massacré.

6 Et puis, elle a fait entrer un passant qui puait l'alcool pour qu'il me

7 voie, moi, l'Oustachi, et puis ensuite c'est lui qui s'est vengé sur moi.

8 Il a commencé à m'insulter. J'ai essayé, moi, de lui expliquer ce que

9 j'avais vécu -mais tout cela en vain- où j'avais été capturé, mais il

10 m'était impossible de le lui expliquer.

11 Lorsque j'ai expliqué comment j'avais été blessé, il m'a dit: "Mais qu'y

12 faisais-tu dans ces bois?" Et puis, lui aussi, à son tour, m'a demandé:

13 "Combien de Serbes as-tu tués?". Et lorsque j'ai essayé de lui expliquer

14 que je n'avais tué personne, il m'a dit: "Tu mens!". Il a demandé à

15 l'infirmière Ljubisava de lui donner une balle: "Donne-moi une balle que

16 je puisse le tuer". Et puis, il a dit: "Non, pas une balle! Donne-moi un

17 couteau que je l'égorge. Cela coûtera moins cher."

18 Et puis, ils ont appelé un jeune garçon de 12 ou 13 ans qui avait le bras

19 plâtré pour que lui aussi vienne voir cet Oustachi. J'avais un bandage

20 autour de mon bras gauche et il a dit: "Regarde cet Oustachi", ils lui ont

21 mis un bandage et cela a continué comme cela pendant une demi-heure. Puis

22 est venu un soldat, il avait à la main une poignée de porte, et il a

23 ouvert la cellule n°9. J'ai vu qu'il l'ouvrait et puis Ljubisava m'a

24 précipité à l'intérieur et m'a dit: "Choisis n'importe lequel de ces

25 lits!". Je ne pouvais pas me lever, j'étais sur un chariot, et puis

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1 j'avais un drain. Et puis j'ai réussi à m'allonger sur le lit, à droite,

2 en entrant près de la porte.

3 Question: Monsieur Stojic, combien de temps avez-vous passé dans cette

4 cellule? Si nous vous avons bien compris, vous avez été transféré le 9

5 novembre, mais combien de temps y avez-vous passé?

6 Réponse: Dans la cellule n°8 ou la cellule n°9?

7 Question: La deuxième cellule.

8 Réponse: Pendant 32 jours au total, si je me souviens bien.

9 Question: Quand avez-vous été libéré?

10 Réponse: J'ai été libéré le 11 décembre.

11 Question: Au cours du temps que vous avez passé n°9, au cours de ces 32

12 jours, comment avez-vous été traité? Avez-vous bénéficié d'assistance

13 médicale, de soins normaux?

14 Réponse: Tout d'abord, on m'a fait une perfusion et il y avait quatre ou

15 cinq bouteilles qu'on a mises à côté de moi. C'est l'infirmière qui s'en

16 est chargée, mais l'aiguille était dans une partie de mon bras où il y a

17 une articulation, donc la veine a éclaté et la perfusion, il y avait une

18 fuite au niveau de la perfusion, et lorsque je lui ai demandé de corriger

19 cela, elle a retiré l'aiguille et puis elle a tout remis ensemble et elle

20 est partie. Mais je devrais décrire les autres personnes présentes dans la

21 cellule n°9 avant tout.

22 Question: Avant que vous décriviez les autres personnes présentes dans la

23 cellule, je vous demanderai de bien vouloir répondre à ma question portant

24 sur le traitement médical dont vous avez bénéficié au cours des ces 32

25 jours. Vous nous avez dit que vous étiez censé recevoir cette perfusion

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1 mais que vous ne l'avez pas eue parce que l'aiguille était restée coincée?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Est-ce que vous avez bénéficié de soins médicaux régulier au

4 cours de votre séjour dans cette cellule?

5 Réponse: Non.

6 Question: S'agissant de ce traitement médical, vous vous plaigniez au

7 début des conditions d'hygiène, vous nous avez dit que les draps étaient

8 sales?

9 Réponse: Oui.

10 Question: A quel intervalle changeait-on les draps?

11 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, on les a changés deux ou trois

12 fois en tout, et ce, avant l'arrivée des délégués du Comité international

13 de la Croix-Rouge. Le 19 novembre, telle est la date de leur première

14 visite. Et puis, il y a eu cette femme de ménage qui est venue pour mettre

15 un peu d'ordre dans la pièce. Nous nous sommes aperçus que quelque chose

16 allait arriver. Un délégué de la Croix-Rouge internationale est venu,

17 accompagné d'un traducteur. Et si je me souviens bien, il s'appelait

18 "Sinisa".

19 Question: Est-il correct que les draps étaient changés systématiquement

20 avant la visite de la Croix-Rouge?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Monsieur Stojic, pouvez-vous dire à la Chambre comment vous avez

23 été traité par les gardiens ainsi que par les infirmières lorsque vous

24 étiez dans cette cellule? Brièvement, s'il vous plaît.

25 Réponse: De manière très… Avec grande négligence. L'infirmière Ljubisava

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1 amenait tout particulièrement des blessés venus d'une autre aile de

2 l'hôpital pour nous frapper.

3 Question: Vous avez donc été frappé au cours de votre séjour dans votre

4 cellule?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Combien de fois avez-vous été frappé?

7 Réponse: J'ai dit, plus haut, qu'ils m'avaient frappé à deux reprises,

8 mais en fait, ils l'ont fait plus souvent que cela, parce que compter,

9 c'était la dernière de nos préoccupations à l'époque.

10 Question: Qu'en est-il des autres personnes présentes dans la cellule?

11 Comment ont-elles été traitées?

12 Réponse: De manière cruelle. Je me souviens d'un d'entre eux, Ramiz Skoric

13 qui avait été blessé à Manjaca; il y avait perdu ses deux jambes. Il

14 disait que Manjaca, c'était formidable et qu'il était heureux d'apprendre

15 que l'on allait être transférés au camp de Manjaca. Donc, lorsqu'on les a

16 emmenés pour les interroger, c'est ce qu'on leur avait dit.

17 Question: Monsieur Stojic, vous nous avez dit qu'on vous avait frappé à

18 plusieurs reprises. Qu'en est-il des autres personnes présentes dans la

19 cellule?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Ont-ils été frappés?

22 Réponse: Oui, ils frappaient tout le monde. Pendant qu'ils frappaient les

23 personnes dans la cellule n°8, nous entendions des coups épouvantables.

24 Nous nous préparions déjà, dans la cellule n°9, psychologiquement, de

25 manière à mieux supporter le traitement par la suite, lorsqu'ils en

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1 arriveraient à notre cellule.

2 Question: Qui vous frappait?

3 Réponse: Des civils nous frappaient et aussi des soldats, et quiconque

4 pouvait entrer dans la cellule.

5 Question: Lorsque vous faites référence à des soldats, pourriez-vous être

6 plus spécifique? De quel type de soldats s'agissait-il?

7 Réponse: Des soldats serbes.

8 Question: Pourriez-vous être encore plus spécifique, plus précis?

9 S'agissait-il de membres de la police militaire de réserve?

10 Réponse: Qui sait qui ils étaient? Je crois que ce sont ceux qui ont été

11 envoyés et que l'on ne pouvait pas maîtriser.

12 Question: Monsieur Stojic, quelles étaient les conséquences des événements

13 intervenus le 2 novembre 1992 pour vous, personnellement?

14 Réponse: Les conséquences ont été terribles: je suis invalide de manière

15 permanente, inapte au travail. Je suis inapte à la vie, en tout cas une

16 vie digne. Mais surtout, et avant tout, je souhaite décrire les

17 conditions, les autres conditions qui prévalaient dans cette infâme

18 cellule. Sur tous les blessés qui arrivaient le soir, on brisait leurs

19 béquilles, on les cassait; quand on les frappait, quand on frappait Ramiz

20 Skoric, on utilisait des matraques, on nous donnait des coups de pieds,

21 des coups de poing.

22 Et je me souviens bien: un grand nombre d'entre eux sont entrés dans la

23 cellule une fois et ils nous ont maltraités d'une telle manière… Ils nous

24 ont demandé de l'argent, ils ont pris l'or qu'avaient les Musulmans, leurs

25 montres; ils ont tout pris. Ils m'ont aussi demandé de leur donner quelque

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1 chose mais moi, je n'avais rien.

2 Une fois, après qu'ils m'eurent frappé… Lorsqu'il m'a approché, lorsqu'il

3 s'est approché de moi, il a retiré le droit pour voir à quel endroit avait

4 été faite l'opération, puis il m'a recouvert du drap, puis il s'est

5 éloigné, il m'a donné un coup de pied au ventre. Il a continué à me donner

6 des coups de pied jusqu'à ce que je commence à saigner. Et c'est ce qui

7 arrivé aux autres aussi.

8 Mme Richterova (interprétation): Monsieur Stojic, merci.

9 M. le Président (interprétation): Je crois que nous pourrions peut-être

10 faire une pause. Un quart d'heure, cela vous suffit-il ou vous souhaitez

11 20 minutes de pause?

12 Mme Fauveau: Je préfère 15.

13 M. le Président (interprétation): Pause de 15 minutes.

14 (L'audience, suspendue à 17 heures 15, est reprise à 17 heures 33.)

15 Mme Richterova (interprétation): Monsieur Stojic, j'ai devant moi une

16 série de documents, il s'agit d'extraits du dossier pour l'affaire

17 Danilusko Kajtez. Tous ces documents ont été communiqués. Je souhaiterais

18 les passer en revue à présent et je vous demanderais de bien vouloir les

19 commenter.

20 Le premier document porte déjà une cote de pièce à conviction, P781.1,

21 cote provisoire P781.1.

22 (Intervention de l'huissier.)

23 Je vous présente mes excuses, il s'agit de la cote provisoire du document

24 portant la cote 812. Toutes mes excuses.

25 Version BCS. Vous devriez tous avoir ce document sous les yeux, il ne

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1 devrait donc pas être nécessaire de le mettre sur le rétroprojecteur. Ce

2 document a été émis au centre médical de Sanski Most. Il s'agit d'un

3 rapport faisant suite à une enquête à propos du village de Kruhari. Vous

4 pouvez voir une liste de différents noms.

5 Connaissez-vous ces noms figurant sur cette liste incluse au rapport?

6 M. Stojic (interprétation): Oui.

7 Question: S'agit-il là des gens tués le 2 novembre?

8 Réponse: Oui dans la forêt de Glamosnica.

9 Question: Est-il correct d'affirmer que cinq de ces hommes ont été tués au

10 même moment où l'on vous a tiré dessus, et que les quatre autres ont été

11 tués au cours de la fusillade que vous avez entendue, dans un incident

12 dont vous avez entendu parler lorsque vous étiez à l'hôpital de Banja

13 Luka? Est-ce exact?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Autre document que je souhaiterais montrer au témoin: il s'agit

16 du document portant la cote P813.

17 (Intervention de l'huissier.)

18 Il s'agit d'un acte d'accusation délivré par le Bureau du Procureur

19 militaire à Banja Luka, un acte d'accusation contre Danilusko Kajtez et

20 Milos Maksimovic.

21 Monsieur Stojic, pourriez-vous nous faire lecture du paragraphe qui se

22 situe en dessous et qui commence par le 2 novembre 1992?

23 Réponse: Oui, je le peux.

24 Question: Excusez-moi. Avez-vous déjà lu ce passage?

25 Réponse: Non, c'est la première fois que je le vois.

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1 Question: Pourriez-vous le lire assez lentement, s'il vous plaît?

2 Réponse: "Le 2 novembre 1992, dans le village de Glamosnica, municipalité

3 de Sanski Most, les personnes citées ci-dessus utilisant les armes

4 automatiques qu'elles avaient à leur disposition, ont encerclé les

5 habitants hommes du village de Skrljevita, les ont interrogés, utilisant

6 comme prétexte qu'ils souhaitaient savoir s'ils avaient des armes et

7 comment ils étaient organisés, s'ils étaient bien organisés.

8 Ils ont ensuite exécuté: Ivo Tutic, fils de Ante" mais son père est Nikola

9 "de Skrljevita. Bono Tutic, fils de Marjan de Skrljevita". Ce n'est pas M.

10 Talic, mais Ptalec. "Tomica, fils de Josip". Il est de Croatie mais en

11 fait il est de Skrljevita. "Josip Banovic, fils de Ivo de Skrljevita".

12 Zare Nikic, fils de Martin de Skrljevita. Pero Nikic, fils de Marko de

13 Skrljevita. Ante Tutic, fils de Ivo de Skrljevita. Drago Tadic, fils de

14 Nikola de Skrljevita. Et Karlo Tadic, fils de Marko de Skrljevita".

15 Question: Merci. S'agit-il là d'une description des événements qui se sont

16 produits le 2 novembre 1992?

17 Réponse: La description est exacte.

18 Question: Je souhaiterais poursuivre à présent, et montrer un autre

19 document portant la cote provisoire P814.

20 (Intervention de l'huissier.)

21 Il y a deux exemplaires du même document, l'un étant parfaitement

22 illisible.

23 Monsieur Stojic, savez-vous si Danilusko Kajtez a été arrêté à cette

24 occasion-là?

25 Réponse: C'est ce qu'on m'a dit; on m'a dit qu'il avait été arrêté.

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1 Question: Sur ce document, il est fait état du 7 décembre 1992, date à

2 laquelle Danilusko Kajtez a été interné. Avez-vous entendu dire qu'il

3 avait été libéré?

4 Réponse: Ça aussi, je l'ai entendu dire.

5 Question: Puis-je montrer un autre document au témoin, portant la cote

6 provisoire P815?

7 (Intervention de l'huissier.)

8 Là aussi, il y a deux exemplaires de la version BCS, l'une étant

9 illisible.

10 Il est indiqué dans ce document que Danilusko Kajtez a été libéré. Voyez-

11 vous la date?

12 Réponse: Je la vois: le 2 janvier 1993.

13 Question: Donc, il n'est pas resté détenu plus d'un mois?

14 Puis il y a un autre document -et, Monsieur l'huissier, vous pouvez rester

15 à côté du témoin-, document portant la cote provisoire P816 où il est

16 indiqué que Danilusko Kajtez, une fois de plus, a été arrêté et interné.

17 Ce document, l'avez-vous vu avant aujourd'hui?

18 Réponse: Non, c'est la première fois que je vois ce document.

19 Question: Puis, nous avons un autre document portant la cote provisoire

20 P817 où il est indiqué que Danilusko Kajtez avait été libéré le 14 mars

21 1995.

22 Savez-vous ce qu'il est advenu de Danilusko Kajtez, une fois qu'il a été

23 libéré?

24 Réponse: Je sais qu'il était à Sanski Most; ça, je le sais, je l'ai

25 entendu. J'ai entendu qu'il a obtenu un café à Sanski Most; il s'appelait

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1 "Ruski Car", qui veut dire "le Tsar russe". C'était donc un café à Sanski

2 Most; le propriétaire était un Musulman mais c'était en direction de

3 l'église catholique, sur la route entre Banja Luka et Sanski Most en

4 passant par le village de Sasina. J'ai entendu cela. Et le nom de ce

5 propriétaire était Dana Dosen.

6 Question: Monsieur Stojic, je voudrais vous montrer un document portant la

7 cote P818.

8 Dans cette décision… C'était une décision autorisant le changement

9 d'identité de Danilusko Kajtez qui porterait maintenant, de manière tout à

10 fait licite, le nom de Nikola Kovacevic.

11 Est-ce que vous avez entendu parler du fait, donc, que Danilusko Kajtez a

12 changé son nom?

13 Réponse: Oui, j'en ai entendu parler.

14 Question: J'ai deux autres documents.

15 Tout d'abord, le document portant la cote P819; c'est une décision du 7

16 décembre 2000 stipulant que Danilusko Kajtez portait encore son ancien nom

17 et qu'il devait être placé en détention.

18 Et je voudrais montrer un document portant la cote provisoire 820, du 17

19 janvier 2002. Dans cette décision, on voit que, encore une fois, Danilusko

20 Kajtez porte encore ce nom et qu'il sera condamné par contumace. Ceci

21 signifie que jusqu'en janvier 2002, aucune action n'avait été prise.

22 Est-ce qu'on vous a demandé de comparaître en tant que témoin dans cette

23 procédure qui a eu lieu à la Cour du Tribunal du district de Banja Luka?

24 Réponse: Je n'ai jamais été cité à comparaître.

25 Question: Vous a-t-on interrogé lorsque vous étiez à l'hôpital? Un

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1 interrogatoire en connexion avec cet incident?

2 Réponse: Oui, à l'hôpital. Un inspecteur de Sanski Most est venu et avant

3 d'entrer dans la cellule, il s'est présenté en disant qu'il s'appelait

4 Mile Dosen.

5 Question: Mais après cet interrogatoire, vous n'avez pas été cité à

6 comparaître en tant que témoin dans cette procédure de la Cour de district

7 de Banja Luka?

8 Réponse: C'est exact, je n'ai pas été cité à comparaître.

9 Mme Richterova (interprétation): Je voudrais vous rappeler que j'ai déjà

10 versé à ce dossier un document portant la cote P782.2, qui est une lettre

11 de Danilusko Kajtez à l'intention de Vlado Vrkes, le menaçant s'il ne

12 l'aidait pas à obtenir sa libération.

13 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, j'ai conclu mon interrogatoire

14 principal de M. Grgo Stojic.

15 M. le Président (interprétation): Une question, Monsieur le Témoin: est-ce

16 que vous avez entendu quelqu'un répondant au nom de Zoran Vukojevic?

17 M. Stojic (interprétation): Oui.

18 M. le Président (interprétation): Et Todo Vokic?

19 M. Stojic (interprétation): Oui.

20 M. le Président (interprétation): Est-ce qu'ils étaient, d'une manière ou

21 d'une autre, impliqués dans les événements qui ont eu lieu le 2 novembre?

22 M. Stojic (interprétation): Oui, ce sont les deux hommes qui étaient là

23 lorsque nous arrivions à proximité des quatre autres personnes, lorsque

24 l'exécution a été réalisée.

25 M. le Président (interprétation): Si l'un d'eux déposait qu'il aurait donc

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1 pu être un témoin dans l'affaire contre Danilusko Kajtez, ce serait une

2 déclaration exacte, n'est-ce pas?

3 M. Stojic (interprétation): Oui, c'est exact.

4 M. le Président (interprétation): Je vois que dans ce document, votre nom

5 n'est mentionné nulle part. Pourriez-vous nous donner une raison à cela?

6 Vous n'êtes pas mentionné comme témoin éventuel ou témoin probable?

7 M. Stojic (interprétation): Je ne sais pas.

8 M. le Président (interprétation): Pouvez-vous penser à une raison?

9 M. Stojic (interprétation): Je ne comprends pas du tout pourquoi je ne

10 suis pas mentionné comme un témoin survivant.

11 M. le Président (interprétation): Merci.

12 M. Stojic (interprétation): Probablement parce que de cette manière, ils

13 sont libres.

14 M. le Président (interprétation): Qui veut commencer? Oui?

15 Monsieur le Témoin, vous allez maintenant faire l'objet d'un contre-

16 interrogatoire.

17 Maître Fauveau est le conseil pour le général Talic.

18 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Grgo Stojic, par Me Fauveau.)

19 Mme Fauveau: Monsieur Stojic, avant de commencer, je voudrais vous

20 exprimer ma profonde compassion pour la tragédie que vous avez vécue ce

21 jour en novembre 1992.

22 Je vais vous poser d'abord quelques questions concernant ces événements,

23 plus exactement les circonstances dans lesquelles ces meurtres ont eu

24 lieu. Et après, je vous poserai quelques questions générales.

25 A l'époque de ce meurtre du 2 novembre 1992, il n'y avait pas d'opérations

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1 militaires à Skrljevita; est-ce exact?

2 M. Stojic (interprétation): Oui.

3 Question: Lors de ce meurtre, il n'y avait pas de chars ou de véhicules

4 militaires à proximité du lieu du crime?

5 Réponse: Nous n'en avons pas vu, à cet endroit-là.

6 Question: Vous avez dit que… Dans vos déclarations écrites, vous avez dit

7 que Danilusko Kajtez –et vous avez dit cela aujourd'hui- était en

8 vêtements civils; est-ce exact?

9 Réponse: C'est exact.

10 Question: Vous parliez également de Zoran Vukojevic qui était en uniforme

11 et qui avait la ceinture militaire; est-ce exact? La ceinture de la police

12 militaire.

13 Réponse: Ce n'était pas un uniforme quelconque, c'était un uniforme de

14 camouflage, et il portait une ceinture qui est normalement portée par la

15 police militaire. Oui, c'est exact.

16 Question: Vous avez dit qu'il avait un béret avec une cocarde, avec la

17 croix serbe et le signe de 4 "S"; est-ce exact?

18 Réponse: Oui, c'est exact. Les 4 "S" étaient sur la crosse de son fusil,

19 de son arme; une arme légère.

20 Question: N'est-il pas exact que la police militaire régulière ne portait

21 pas de béret avec la cocarde et la croix serbe?

22 Réponse: Ils nous ont dit qu'ils faisaient partie de l'armée de Seselj,

23 juste avant d'ouvrir le feu et de nous tuer.

24 Mme Fauveau: L'unité de Seselj serait bien une unité paramilitaire?

25 M. Stojic (interprétation): Oui. Ils faisaient partie d'une formation

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1 paramilitaire, à ce moment-là.

2 M. le Président (interprétation): Un moment, Madame Korner. Je voudrais

3 m'assurer que le témoin comprend bien le concept de paramilitaire.

4 Qu'entendez-vous par le concept de "paramilitaire", Monsieur le Témoin?

5 M. Stojic (interprétation): D'après moi, le paramilitaire, c'est une unité

6 qui est hors du commandement militaire et hors d'un commandement civil

7 également.

8 M. le Président (interprétation): Oui, allez-y.

9 Mme Korner (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je ne pensais pas

10 que c'était très important. Et même si je voulais entrer dans le mode de

11 la défense… Vous parliez plutôt de Me Fauveau. Vous avez, en fait,

12 interverti les noms de Me Fauveau et de Mme Korner.

13 M. le Président (interprétation): Excusez-moi. Je m'excuse.

14 Mme Korner (interprétation): J'espère qu'aucun de nous n'a été insulté. Je

15 suis sûre que Me Fauveau, certainement pas.

16 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Fauveau, allez-y.

17 Mme Fauveau: Vous avez décrit aujourd'hui comment, après ces meurtres qui

18 ont eu lieu, vous êtes allé jusqu'à votre village de Skrljevita et

19 comment, là-bas, les voisins vous ont donné de l'aide?

20 M. Stojic (interprétation): Oui, c'est exact.

21 Question: N'est-il pas exact qu'une femme appelée Nada, qui est serbe,

22 vous a aidé aussi?

23 Réponse: Oui, mais elle avait fait un mariage mixte. Mais c'est exact,

24 elle s'appelait Nada Ilicic; elle travaillait dans mon village, elle

25 habitait dans ma localité. Elle connaît tout le monde, à Skrljevita.

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1 Question: Est-ce que cette femme, Nada Ilicic, vous a accompagné à Sanski

2 Most?

3 Réponse: Elle a appelé l'ambulance une fois que nous sommes arrivés à ses

4 côtés.

5 Question: Et l'ambulance est-elle arrivée?

6 Réponse: Non. Nous sommes partis dans une roulotte tirée par des chevaux.

7 Question: Jusqu'à Sanski Most, est-ce que vous deviez passer par certains

8 points de contrôle?

9 Réponse: Oui. Au point d'entrée de Sanski Most, c'est-à-dire la ville

10 elle-même, à proximité de l'église catholique.

11 Question: Vous y êtes passés sans aucun problème?

12 Réponse: Oui. A cette occasion, nous sommes passés sans aucun problème.

13 Question: Quand vous êtes arrivé à l'hôpital de Sanski Most, est-ce que

14 vous avez été interrogé par la police?

15 Réponse: Oui, je l'ai été.

16 Question: Et ces policiers étaient polis avec vous?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Et vous leur avez raconté exactement ce qui s'est passé?

19 Réponse: Ce que je vous ai dit ici est exactement ce que je leur ai dit.

20 Question: Et ensuite, à l'hôpital de Banja Luka, cet autre inspecteur,

21 Mile Dosen, dont vous parliez aujourd'hui, est arrivé également; est-ce

22 exact?

23 Réponse: Oui, c'est exact.

24 Question: Et à lui aussi, vous avez dit exactement ce qui s'est passé?

25 Réponse: Oui, c'est exact.

Page 6800

1 Question: Est-ce que l'huissier peut présenter au témoin la pièce P813?

2 (Intervention de l'huissier.)

3 Monsieur, il y a quelques instants, vous avez vu cet Acte d'accusation et

4 vous avez dit que la description du crime était tout à fait exacte?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Si votre copie est aussi mauvaise que la mienne, je crois que

7 vous ne pouvez pas voir la date. Mais apparemment, la date est quand même

8 visible dans un quelconque exemplaire car dans la version anglaise, la

9 date est le 2 juin 1993.

10 Réponse: Oui.

11 Question: Donc un Acte d'accusation a bien été dressé après que vous ayez

12 raconté ce qui s'est passé à ces inspecteurs?

13 Réponse: Oui, c'est exact.

14 Question: En 1993, l'été 1993, vous étiez déjà en Croatie?

15 Réponse: Oui.

16 Mme Fauveau: Vous n'avez pas été appelé comme témoin parce que vous étiez

17 en Croatie?

18 M. Stojic (interprétation): Je ne sais pas. Je n'ai jamais reçu de

19 documents à Sanski Most, et comment aurais-je pu les obtenir lorsque le

20 village avait déjà été déserté?

21 M. le Président (interprétation): Maître Fauveau, si vous regardez à la

22 deuxième page de ce document, l'avant-dernier paragraphe, il dit qu'ils

23 n'ont pas pu avoir d'autres témoins que Goran Vukojevic et Todorovic car

24 ce sont les seuls témoins survivants; c'est ce qui est stipulé dans cet

25 Acte d'accusation, Maître Fauveau.

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1 M. Stojic (interprétation): Ce sont les seuls tueurs.

2 Mme Fauveau: (Hors micro.)

3 Est-ce que vous pouvez confirmer qu'il n'y avait aucune relation, à

4 l'époque, si vous le savez, entre la Croatie et la Republika Srpska?

5 M. Stojic (interprétation): Alors, comment ces personnes auraient pu être

6 expulsées de Bosnie-Herzégovine et passer en Croatie, dans ce cas-là?

7 Question: Savez-vous s'il y avait des relations diplomatiques ou autres,

8 si la poste circulait entre la Bosnie et la Croatie, à l'époque, plus

9 particulièrement entre la Republika Srpska et la Croatie?

10 Réponse: Les services postaux ne fonctionnaient pas mais il y avait des

11 organisations humanitaires qui fonctionnaient.

12 Question: Quand vous êtes venu en Croatie, aviez-vous envoyé votre adresse

13 à la Republika Srpska?

14 Réponse: A qui est-ce que j'enverrais cette adresse?

15 Question: Est-ce que maintenant, vous pouvez regarder la pièce 816?

16 Est-ce bien une décision du 9 juillet 1993 selon laquelle Danilusko Kajtez

17 était mis en détention préventive?

18 Réponse: Oui, c'est exact.

19 Question: Est-ce que maintenant vous pouvez regarder la pièce 817?

20 (Intervention de l'huissier.)

21 C'est bien la décision par laquelle Danilusko Kajtez est mis en liberté

22 provisoire le 14 mars 1995?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Si vous regardez le premier paragraphe qui se trouve au-dessous

25 des mots "Obrazlozenje", cette décision se réfère à la décision de la mise

Page 6802

1 en détention du 9 juillet 1993; est-ce exact?

2 Réponse: Oui. Question: Donc, est-il exact de dire que d'après ces deux

3 décisions, Danilusko Kajtez était en détention depuis juillet 1993 jusqu'en

4 mars 1995? Réponse: Ce n'est pas correct. Question: Comment savez-vous que ce

5 n'est pas vrai? Réponse: Les Serbes qui habitaient là-bas le savaient.

6 Question: Est-ce que vous pouvez expliquer, dans ce cas, la décision de mars

7 1995?

8 Réponse: En mars 1995, eh bien, si je ne m'abuse, Sanski Most a été

9 libérée le 20 octobre

10 1995 et si ma mémoire ne me trompe pas, il était en détention au début

11 de l'année 1993 et il était incarcéré au camp de Manjaca où ils avaient

12 un centre de détention; ce sont les informations que j'ai obtenues.

13 Alors, comment aurait-il pu gérer ce café que l'on appelait"le Tsar

14 de Russie", dont le propriétaire était un Musulman? La fille de Nada le

15 connaissait personnellement ; elle est allée dans le café dont il avait la

16 gérance.

17 Question : Avez-vous vu Daniluska Kajtez entre 1993 et 1995 ?

18 Réponse : Comment pouvais-je le voir, j’étais en Croatie et lui, il

19 était à Sanski Most.

20 Question: Permettez-vous, Monsieur, dans ce cas-là, la possibilité qu'il

21 était bien en détention entre juillet 1993 et mars 1995?

22 Réponse: Vous pouvez écrire ce que vous voulez sur papier. Le papier peut

23 tolérer tout ce que l'on veut.

24 Question: Je reviens un peu à votre détention à l'hôpital de Banja Luka.

25 Vous avez dit qu'à un moment donné, vous étiez mis dans une cellule?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Cette pièce se trouvait bien à l'hôpital?

3 Réponse: Oui.

4 Mme Fauveau (interprétation): Est-ce que l'huissier peut présenter au

5 témoin les pièces DT16 et DT17?

6 (Intervention de l'huissier.)

7 La pièce DT16 est une lettre de l'évêque de Banja Luka à l'hôpital de

8 Zagreb; est-ce exact?

9 M. Stojic (interprétation): Cela ne m'avait pas été adressé; moi, j'étais

10 le messager. C'était une recommandation pour avoir un traitement du

11 docteur.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur l'huissier, pouvez-vous placer

13 ce document sur le rétroprojecteur et déplacer le rétroprojecteur de façon

14 à ce que le témoin puisse également le voir? Il faut que ce soit sur le

15 rétroprojecteur pour les interprètes.

16 Si vous avez la version anglaise, vous pouvez mettre la version anglaise

17 sur le rétroprojecteur et il aura la version en BCS.

18 Mme Fauveau: Donc cette lettre a été écrite par l'évêque Franjo Komarica

19 et ensuite, elle a été donnée par vous; est-ce exact?

20 M. Stojic (interprétation): Oui, c'est exact.

21 Question: Est-ce que quelqu'un d'autre, avant que vous ne transmettiez

22 cette lettre à l'hôpital, a pu voir cette lettre?

23 Réponse: Non, personne, personne n'aurait pu la voir.

24 Question: Dans cette lettre, l'évêque Komarica écrit que vous étiez libéré

25 de l'hôpital de Banja Luka le 11 décembre; est-ce exact?

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1 Réponse: Je l'ai déjà dit.

2 Question: Cette lettre ne mentionne aucune prison, elle ne mentionne que

3 l'hôpital.

4 Réponse: Je vais vous poser une question: comment la lettre pourrait-elle

5 mentionner une prison alors qu'on sait où l'évêque Komarica se trouvait en

6 1992? Etait-il à Banja Luka? Non ce n'était pas l'évêque qui était en

7 prison, c'est moi qui étais en prison.

8 Question: Vous m'avez dit qu'entre le moment où vous avez reçu cette

9 lettre et le moment où cette lettre a été donnée à l'hôpital de Zagreb,

10 personne n'aurait pu voir cette lettre. Pourquoi, dans ce cas, l'évêque

11 n'aurait pas écrit la vérité?

12 Réponse: Je ne sais pas. Nous allons voir. J'ai ici ce qui a été établi

13 par le CICR qui montre l'endroit où j'étais. Voilà. Voilà le document.

14 Mme Fauveau: Je ne peux pas le voir d'ici.

15 M. le Président (interprétation): Peut-on mettre ce document sur le

16 rétroprojecteur pour l'instant, s'il vous plaît? Dans quelle langue est

17 rédigé ce document?

18 M. Stojic (interprétation): En croate.

19 M. le Président (interprétation): Un instant que je vois le document. Oui.

20 M. Stojic (interprétation): Il y a également cette attestation.

21 M. le Président (interprétation): Nous avons deux façons de procéder. Soit

22 le témoin peut prendre ce document et nous donner lecture de son contenu,

23 bien évidemment nous allons le faire photocopier et le distribuer. Voilà

24 une façon de faire les choses. Et…

25 M. Stojic (interprétation): Et là j'ai une attestation.

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1 M. le Président (interprétation): Il s'agit d'un autre document? Est-ce

2 que vous êtes d'accord pour que nous commencions par photocopier tous ces

3 documents? Est-ce que c'est en anglais? Mais ce n'est pas le même

4 document, n'est-ce pas? Est-ce que c'est le même?

5 M. Stojic (interprétation): Non. Là, c'est une attestation.

6 M. le Président (interprétation): Nous allons commencer par le premier

7 document qui a été placé sur le rétroprojecteur. Je demanderai à

8 l'huissier de donner le document au témoin.

9 Monsieur le Témoin, je vous demanderai de prendre ce document et de nous

10 dire ce qui est écrit.

11 M. Stojic (interprétation): Il s'agit là d'un message de mes frères.

12 M. le Président (interprétation): Je vous demanderai d'aller lentement.

13 Donnez-nous lecture de ce document lentement, s'il vous plaît.

14 M. Stojic (interprétation): "Croix-Rouge croate, 109, Comité international

15 de la Croix-Rouge -en abréviation- reçu le 25 février". On voit: "Ante et

16 Ivo Stojic de Zagreb". Et le destinataire est Grgo Stojic, date de

17 naissance: 1968, sexe: masculin, adresse: Hôpital de Banja Luka."

18 Et ensuite, on trouve en rouge: "11 décembre, Tunjice ". Et ensuite, il

19 est indiqué une abréviation "pour libérer".

20 D'après les données dont dispose le CICR de Banja Luka: "la personne

21 susmentionnée est libérée en date du 11 décembre 1992 de la prison de

22 Tunjice. TA, CICR, Banja Luka, en date du 11 février 1993". Et ensuite, la

23 signature.

24 M. le Président (interprétation): Je propose que quelqu'un se charge de

25 photocopier ce document immédiatement, s'il vous plaît. Vous avez un

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1 deuxième document que vous souhaitez nous montrer.

2 M. Stojic (interprétation): J'ai une attestation du CICR de Zagreb.

3 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous pouvez nous en donner

4 lecture, s'il vous plaît? Lentement.

5 M. Stojic (interprétation): Oui. "Zagreb, 27 janvier 1993, attestation par

6 la présente, il est confirmé que M. Stojic Grgo, fils de Dragan, né le 30

7 janvier 1968 à Sanski Most, a été immatriculé par les délégués du Comité

8 international de la Croix-Rouge le 11… ou plutôt le 19 novembre 1992, à la

9 prison de Banja Luka. Il a été régulièrement visité depuis le 19 novembre

10 1992 jusqu'au 3 décembre 1992. Il a été libéré le 11 décembre 1992."

11 Et il est dit que: "C'est déclaré conformément à ce qui a été établi par

12 les autorités." C'est signé par le délégué.

13 M. Ackerman (interprétation): Il y a une erreur dans le compte rendu

14 d'audience. En effet, il est dit: "Nous confirmons par la présente que…",

15 etc. Il est dit qu'il a été "recensé par le CICR, le 19 novembre 1993."

16 Or, il a dit qu'il s'agissait du 19 novembre 1992.

17 M. le Président (interprétation): Vous avez entendu ce que Me Ackerman

18 vient de dire. Est-ce que ce que Me Ackerman vient de dire est exact?

19 M. Stojic (interprétation): C'est exact, j'ai été enregistré le 19

20 novembre 1992.

21 M. le Président (interprétation): Merci. Maître Ackerman.

22 Maître Fauveau, souhaitez-vous que ces deux documents soient versés au

23 dossier pour votre client?

24 Mme Fauveau: Oui.

25 M. le Président (interprétation): Il s'agit des pièces DT18 et DT19.

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1 Nous vous rendrons les originaux, Monsieur.

2 Oui, Maître Fauveau, poursuivez.

3 Mme Fauveau: Ces documents datent bien de 1993, est-ce exact?

4 M. Stojic (interprétation): Oui, c'est exact.

5 Question: Ils étaient écrits après votre arrivée en Croatie, est-ce exact?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Et ils étaient écrits à Zagreb?

8 M. Stojic (interprétation): L'un d'entre eux a été rédigé à Banja Luka ou

9 plutôt il a été confirmé à Banja Luka.

10 Mme Fauveau: Je ne peux pas me prononcer avant de voir le document.

11 M. le Président (interprétation): Ils seront disponibles rapidement,

12 Maître Fauveau. Cela prendra quelques minutes.

13 Mme Fauveau: Entre temps, est-ce que vous pouvez regarder la pièce DT17?

14 C'est bien un document du Caritas de Banja Luka?

15 M. Stojic (interprétation): Oui.

16 Question: Qui était adressé à la commission de l'échange des prisonniers

17 de la Communauté croate d'Herceg-Bosna?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Et ce document se réfère aux listes des prisonniers?

20 Réponse: Oui, c'est cela.

21 Question: Des personnes qui étaient détenues dans le camp, dans les

22 prisons et dans les hôpitaux à Banja Luka et dans les alentours de Banja

23 Luka?

24 Réponse: Oui, c'est cela.

25 Question: Et ensuite, ce document mentionne votre nom?

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1 Réponse: Oui, c'est exact.

2 Question: Et après, ce document dit que vous étiez à l'hôpital de Banja

3 Luka?

4 Réponse: A l'hôpital, mais dans une cellule.

5 Question: Ce document ne mentionne aucune prison.

6 Réponse: Vous auriez dû être là en 1992 pour voir.

7 Question: Pourtant, ce document mentionne que les gens étaient détenus

8 dans les camps et les prisons et les hôpitaux. Mais, en ce qui vous

9 concerne, il dit que vous étiez à l'hôpital?

10 Réponse: Oui, mais c'était une prison.

11 Question: Est-ce que selon ce document vous étiez en prison?

12 Réponse: D'après ce document, enfin, vous voyez que tous les trois sont à

13 l'hôpital de Banja Luka et qu'il est dit que leur vie est en danger parce

14 qu'ils sont les témoins gênants de crimes qui ont eu lieu dans la

15 municipalité de Sanski Most et que les personnes susmentionnée sont de

16 Skrljevita municipalité de Sanski Most et dans la signature, on voit la

17 signature du responsable des finances du diocèse.

18 Si c'était un hôpital, si on était dans une situation normale, comme cela

19 devrait être le cas, alors en vertu des conventions du Comité

20 international de la Croix-Rouge, notre vie n'aurait pas été en danger.

21 Mme Fauveau: Monsieur, je ne discute pas les conditions qui auraient pu

22 être dans l'hôpital. Ma seule question était: étiez-vous bien à l'hôpital

23 et pas à la prison de Tunjice au moins selon ce document?

24 M. Stojic (interprétation): J'étais à l'hôpital au département d'urologie,

25 cellule n°9. D'abord j'étais dans la cellule n°8.

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1 M. le Président (interprétation): Oui, vous nous l'avez expliqué, vous

2 n'avez pas besoin de revenir là-dessus.

3 Mme Fauveau: J'ai d'autres questions d'ordre général, est-ce que c'est

4 mieux de s'arrêter maintenant et de continuer demain. J'en aurai pour 15

5 minutes.

6 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Fauveau aura besoin de 15

7 minutes demain. Maître Ackerman, Maître Trbojevic, combien de temps vous

8 prendra votre contre-interrogatoire, d'après vous?

9 M. Trbojevic (interprétation): Une quinzaine de minutes, Monsieur le

10 Président, à moins que Me Fauveau ne pose les questions que je souhaitais

11 poser également. Peut-être que cela durera même moins de 15 minutes.

12 M. le Président (interprétation): Vous savez plus ou moins à quoi vous en

13 tenir.

14 Mme Korner (interprétation): J'aimerais dire aux Juges que, pour le

15 témoin, vous n'avez pas de liste de documents car je vais utiliser les

16 documents qui figurent en annexe à sa déclaration.

17 M. le Président (interprétation): Merci.

18 Monsieur, nous devons nous arrêter maintenant parce que c'est l'heure à

19 laquelle nous suspendons généralement l'audience. Nous reprendrons demain

20 à 14 heures 15, demain après-midi.

21 J'espère que nous ne vous ferons pas attendre comme nous l'avons fait

22 aujourd'hui, et j'espère que demain nous en aurons terminé avec votre

23 déposition et que vous pourrez rentrer chez vous.

24 Merci. A demain.

25 Merci à tous. Nous reprendrons demain après-midi, en salle I, dans la même

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1 salle.

2 Merci.

3 (L'audience est levée à 18 heures 30.)

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