LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

Affaire n° IT-03-73-PT

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL

c/

IVAN CERMAK
et
MLADEN MARKAC

ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 18 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « Statut »), accuse :

IVAN CERMAK
et
MLADEN MARKAC

de CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ et de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, tels qu’exposés ci-dessous :

LES ACCUSÉS ET LEURS POUVOIRS HIÉRARCHIQUES

IVAN CERMAK

1. Ivan CERMAK est né le 19 décembre 1949 dans la municipalité de Zagreb, en République de Croatie (la « Croatie »), qui faisait alors partie de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »). En 1990 et 1991, Ivan CERMAK occupait le poste de vice-président du Bureau exécutif de l’Union démocratique croate (le « HDZ ») et il était également conseiller du Président de la République de Croatie, Franjo TUDJMAN. En 1991, Ivan CERMAK a été nommé Ministre adjoint à la défense dans le Gouvernement de la République de Croatie, fonction qu’il a exercée jusqu’en 1993. À cette époque et par la suite, il avait le grade de lieutenant général.

2. Ivan CERMAK était un proche du Président Franjo TUDJMAN. Le 5 août 1995, ce dernier l’a personnellement nommé commandant de la garnison de Knin. Ivan CERMAK est ainsi devenu le plus haut responsable des forces armées de la garnison de Knin dont relevaient les municipalités suivantes : Civljane, Ervenik, Kijevo, Kistanje, Knin, Nadvoda et Orlic. Le 5 ou le 6 aoűt 1995, ou vers ces dates, Ivan CERMAK a établi son quartier général à Knin ; il a commandé la garnison de Knin jusqu’au 15 novembre 1995 environ. Ivan CERMAK a non seulement exercé, à la tête de la garnison, des fonctions militaires et administratives, mais il a aussi représenté les autorités croates lors de rencontres avec des représentants de la communauté internationale et des médias concernant l’Opération Tempête dans des régions ne relevant pas de l’autorité de la garnison de Knin.

3. Du fait de ses compétences, Ivan CERMAK participait à diverses structures de pouvoir et de responsabilité et il exerçait un contrôle effectif sur les membres des unités de l’armée croate ou les éléments qui appartenaient à la garnison de Knin, étaient détachés auprès d’elle ou opéraient en son sein, ainsi que sur la police civile opérant dans sa zone et dans les régions limitrophes. Parmi les unités de l’armée croate (la « HV ») qui appartenaient à la garnison de Knin, opéraient en son sein ou dans les régions limitrophes, figuraient, entre autres, les 4e et 7e brigades de la HV, la 1re brigade de la garde croate (1re HGZ), la 113e brigade d’infanterie, la 142e brigade d’infanterie, la 144e brigade d’infanterie, le 126e régiment de la garde nationale (« HGR »), le 6e HGR, le 7e HGR, le 134e HGR, ainsi qu’une compagnie mixte de la police militaire (composée d’unités des 72e et 73e bataillons de police militaire). Des membres des services de la police de Zadar Knin et de Kotar Knin (et notamment divers postes et antennes de police) opéraient également dans la même région que la garnison.

4. Ivan CERMAK était chargé, entre autres, de faire régner l’ordre et la discipline, de veiller au bon comportement du personnel militaire, d’organiser le service de garde de la garnison et de promouvoir la coopération et la collaboration, d’une part, entre la garnison de Knin et les forces de police de la région et, d’autre part, au sein de celles-ci afin de rétablir et de maintenir l’ordre public. Tous ses subordonnés étaient tenus d’exécuter ses ordres. Il avait la capacité matérielle d’empêcher les personnes placées sous son autorité de commettre des crimes et de punir ses subordonnés qui en auraient commis. Il avait également, jusqu’au 15 novembre 1995, le pouvoir de recommander ou de proposer que des mesures disciplinaires soient prises contre les membres de l’armée croate qui étaient engagés dans l’Opération Tempête et dans les opérations connexes qui ont suivi.

MLADEN MARKAC

5. Mladen MARKAC est né le 8 mai 1955 à Djurdjevac, dans la municipalité de Djurdjevac, en République de Croatie, qui faisait alors partie de la RSFY. Diplômé de l’Université de Zagreb en 1981 et libéré de ses obligations militaires en 1982, Mladen MARKAC s’est alors engagé dans les forces de police du Ministère de l’intérieur de la RSFY.

6. En 1990, Mladen MARKAC a créé avec d’autres personnes une unité spéciale de police au sein du Ministère de l’intérieur. Il a été nommé commandant en second de cette unité qui est devenue l’Unité antiterroriste vers la fin de 1990. En 1991, Mladen MARKAC a été nommé à la tête de l’Unité antiterroriste Lucko et il a été promu lieutenant général (de réserve) en 1992.

7. Le 18 février 1994, Mladen MARKAC a été nommé commandant des forces spéciales de police du Ministère de l’intérieur de la République de Croatie (les « forces spéciales de police ») ; en cette qualité, il avait toute autorité sur ces forces spéciales et assumait l’entière responsabilité de leurs activités et leur fonctionnement. Durant la même période, Mladen MARKAC était également Ministre adjoint de l’intérieur chargé des forces spéciales de police. Après l’Opération Tempête, Mladen MARKAC avait le grade de lieutenant général.

8. En qualité de commandant des forces spéciales de police, Mladen MARKAC participait à diverses structures de pouvoir et de responsabilité et il exerçait un contrôle effectif sur tous les membres des forces spéciales de police qui étaient engagées dans l’Opération Tempête et dans les opérations connexes qui ont suivi dans la région. Parmi les forces spéciales de police engagées dans ces opérations figuraient des membres des unités spéciales dont l’Unité antiterroriste Lucko, le service logistique des forces spéciales de police, une compagnie de transmission du Ministcre de l’intérieur, ainsi que des membres d’unités des forces spéciales de police, appartenant à divers services de la police répartis sur tout le territoire de la République de Croatie, dont ceux de Bjelovar-Bilogora, Dubrovnik-Neretva, Istria, Karlovac, Krapina-Zagorje, Lika-Senj, Osijek-Baranja, Primorje-Gorski Kotar, Sibenik, Sisak-Moslavina, Split-Dalmatia, Varazdin, Vukovar-Srijem, Zadar-Knin et Zagreb. Mladen MARKAC exerçait également un contrôle effectif sur tous les membres des unités d’artillerie et de roquettes de la HV qui étaient détachées auprès de lui ou placées sous son commandement pendant l’Opération Tempête. Tous ses subordonnés étaient tenus d’exécuter ses ordres. Il avait la capacité matérielle d’empêcher les personnes placées sous son autorité de commettre des crimes et de punir ses subordonnés qui en auraient commis. Il avait également le pouvoir de recommander ou de proposer que des mesures disciplinaires soient prises contre les membres de l’armée croate qui étaient placés sous son commandement pendant cette opération.

L’ENTREPRISE CRIMINELLE COMMUNE

9. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 et après cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, ainsi que d’autres personnes qui sont mentionnées ci-après, ont planifié, mis sur pied, exécuté une entreprise criminelle commune et/ou ont participé à cette entreprise dont le but et les objectifs communs étaient de chasser définitivement la population serbe de la région de la Krajina, et ce, par la force, l’intimidation ou la menace du recours à la force, la persécution, le déplacement forcé, le transfert forcé et l’expulsion, l’appropriation et la destruction de biens, et par d’autres moyens qui constituaient des crimes ou impliquaient la commission de crimes sanctionnés par les articles 3 et 5 du Statut, ainsi qu’il est dit dans le présent acte d’accusation.

10. Pendant l’opération connue sous le nom d’« Ojula » (« Opération Tempête ») et au cours des semaines qui ont suivi cette opération, des membres de l’entreprise criminelle commune et des forces croates (définies au paragraphe 12) placées sous leur commandement ou leur contrôle effectif ont commis des crimes contre la population civile et les biens de caractère civil serbes dans le cadre et en exécution de l’entreprise criminelle commune. Parmi ces crimes, il faut citer le déplacement forcé de civils serbes, le pillage et la destruction systématiques des biens appartenant à des civils serbes dans le but d’expulser ou de chasser la population civile serbe et/ou de dissuader et/ou d’empêcher des membres de celle-ci de retourner dans leurs foyers et de s’y réinstaller. Ainsi, les Serbes ont été chassés à jamais de la Krajina au terme d’une campagne de nettoyage ethnique.

11. Cette entreprise criminelle commune, dans laquelle Ivan CERMAK et Mladen MARKAC ont joué un rôle clé, a été conçue, planifiée et préparée dès le mois de juillet 1995 et a été entièrement réalisée en août 1995 et par la suite.

12. Plusieurs personnes ont pris part, avec Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, à l’entreprise criminelle commune. Ont notamment participé à cette entreprise : Franjo TUDJMAN, Président de la République de Croatie (décédé le 10 décembre 1999) ; Gojko SUSAK, Ministre de la défense de la République de Croatie (décédé le 3 mai 1998) ; Janko BOBETKO, chef d’état-major général de l’armée croate jusqu’à la mi-juillet 1995 (décédé le 29 avril 2003) ; Zvonimir CERVENKO, chef d’état-major général de l’armée croate pendant l’Opération Tempête et après celle-ci (décédé le 17 février 2001) ; Ante GOTOVINA, général de l’armée croate ; divers responsables, agents ou membres de l’administration et des organes politiques de la République de Croatie, à tous les échelons (y compris des administrations municipales et des organisations locales) ; divers dirigeants et membres du HDZ ; divers membres et officiers des forces armées de la République de Croatie (notamment de la HV, de l’armée de l’air (la « HRZ »), des forces spéciales de police, de la police civile et d’autres services de la sûreté et/ou du renseignement de la République de Croatie) (les « forces croates ») ; ainsi que d’autres personnes, connues ou non.

13. Plusieurs membres de l’entreprise criminelle commune, dont Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres, ont participé à l’entreprise criminelle commune et ont œuvré à sa réalisation, et ce, de la manière suivante :

a) en créant, organisant, commandant et dirigeant la HV, la police militaire, les forces spéciales de police, les services de renseignement, ainsi que d’autres forces, en leur donnant des ordres, en leur facilitant la tâche, en y participant, en leur apportant un soutien, en entretenant et/ou en faisant intervenir ces forces qui ont permis de poursuivre et de réaliser les objectifs de l’entreprise criminelle commune et qui ont commis les divers crimes reprochés dans le présent acte d’accusation, tels que le transfert forcé et l’expulsion, le pillage et la destruction de biens, le meurtre et les traitements inhumains ;

b) en entreprenant, favorisant, planifiant, préparant, soutenant, encourageant – éventuellement en y participant – l’élaboration, la formulation, la diffusion et/ou la mise en œuvre des grandes orientations, des programmes, des plans, des décrets, des décisions, des règlements, stratégies ou tactiques politiques, publics et/ou militaires croates qui ont servi de base ou d’instrument à diverses actions dirigées contre les Serbes ou menées à leur détriment telles que le refus de leur reconnaître des droits fondamentaux, la privation de logement, de biens et/ou d’assistance humanitaire, et ce, dans le cadre de l’entreprise criminelle commune ;

c) en appuyant, encourageant, facilitant la diffusion d’informations, de fausses informations et la propagande en direction des Serbes de Krajina, en y incitant et/ou en y participant, dans le but de servir l’entreprise criminelle commune, y compris et sans s’y limiter : i) en s’engageant à garantir la sécurité des Serbes et le respect de leurs droits (alors que le véritable but était de les déplacer, de les transférer ou de les expulser de la Krajina) et ii) en diffusant des informations destinées à faire naître un sentiment de peur ou le trouble chez les Serbes de Krajina et à les pousser à quitter la région ;

d) en favorisant, encourageant, facilitant, tolérant des actes de violence et/ou en incitant à les commettre ;

e) en favorisant, encourageant, permettant, tolérant les crimes contre les Serbes et en incitant à en commettre, et ce, en s’abstenant de les signaler et/ou de faire diligenter une enquête à leur sujet et d’en assurer le suivi et/ou de punir ou sanctionner les subordonnés et autres membres des autorités et des forces croates (sur lesquelles ils exerçaient un contrôle effectif) pour les crimes commis contre des Serbes ;

f) en s’efforçant de nier, dissimuler et/ou minimiser les crimes commis par les autorités et les forces croates contre des Serbes, y compris par la communication aux organisations internationales, aux observateurs, aux enquêteurs et au public d’informations fausses, incomplètes ou trompeuses, ou en encourageant, facilitant, soutenant les efforts faits en ce sens.

14. Ivan CERMAK a participé à l’entreprise criminelle commune et a contribué à sa réalisation, aussi bien directement qu’indirectement, en agissant notamment de concert avec certains de ses membres et par leur entremise, ainsi que par celle de subordonnés sur lesquels il exerçait un contrôle effectif et/ou de personnes sur lesquelles il exerçait une influence directe ou importante, ainsi qu’il ressort des paragraphes 2, 3 et 4 du présent acte d’accusation. Ivan CERMAK a participé à l’entreprise criminelle commune, notamment et sans s’y limiter, de la manière suivante :

a) en donnant des ordres et des instructions concernant l’administration et les activités de la garnison de Knin ;

b) en dirigeant des éléments et/ou des membres des Ministères croates de la défense et de l’intérieur, et notamment de la police civile et militaire, en leur apportant une aide et un soutien et en leur donnant des ordres ;

c) en niant et/ou en minimisant les crimes qui se commettaient alors qu’il avait connaissance de destructions de grande ampleur, du pillage de biens appartenant à des civils serbes, de meurtres et de traitements inhumains infligés aux Serbes de Krajina ;

d) en s’abstenant de rétablir et de maintenir l’ordre public, de prévenir et de punir les crimes commis contre les Serbes de Krajina ;

e) en assurant faussement aux représentants de la communauté internationale que des mesures avaient été et/ou seraient prises pour faire cesser les crimes ;

f) en relayant de fausses informations.

15. Mladen MARKAC a participé à l’entreprise criminelle commune et a contribué à sa réalisation, aussi bien directement qu’indirectement, en agissant notamment de concert avec certains de ses membres et par leur entremise, ainsi que par celle de subordonnés sur lesquels il exerçait un contrôle effectif et/ou de personnes sur lesquelles il exerçait une influence directe ou importante, ainsi qu’il ressort des paragraphes 6, 7 et 8 du présent acte d’accusation. Mladen MARKAC a participé à l’entreprise criminelle commune, notamment et sans s’y limiter, de la manière suivante :

a) en prenant part à la planification et à la préparation des actions que devaient mener les forces spéciales de police et les unités détachées d’artillerie et de roquettes de la HV dans le cadre de l’Opération Tempête et des opérations qui ont suivi dans la région de juillet 1995 au moins au début du mois d’août 1995 ;

b) en donnant l’ordre aux forces spéciales de police et aux unités détachées d’artillerie et de roquettes de la HV de mener l’Opération Tempête de juillet 1995 au moins au 9 août 1995 ou vers cette date ;

c) en donnant l’ordre aux forces spéciales de police, après l’Opération Tempête, de mener des opérations connexes dans la région du 10 août 1995 au moins au 15 novembre 1995.

EXPOSÉ DES FAITS

16. La République de Croatie a proclamé son indépendance le 25 juin 1991, date à laquelle un conflit armé avait déjà éclaté dans certaines régions de Croatie entre des forces armées serbes et croates. Vers septembre 1991, diverses forces serbes, dont celles de l’Armée populaire yougoslave (la « JNA ») et des Serbes de Croatie, s’étaient rendues maîtresses d’environ un tiers du territoire de la République de Croatie.

17. Le 19 décembre 1991, l’Assemblée de la Région autonome serbe de la Krajina, de concert avec des Serbes d’autres régions de la République de Croatie, déclarait officiellement son indépendance vis-à-vis de la Croatie et créait une nouvelle entité autoproclamée appelée la Republika Srpska Krajina (la « RSK ») dotée de sa propre armée, la Srpska Vojska Krajine (l’Armée serbe de la Krajina ou « SVK »).

18. En février 1992, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies créait, comme le prévoyait le plan Vance, une Force de protection des Nations Unies (la « FORPRONU ») qui devait être déployée dans les zones protégées en Croatie. Il s’agissait de zones où les Serbes étaient en majorité ou constituaient une minorité importante, et où les tensions entre les deux communautés avaient déjà débouché sur un conflit armé. Les zones protégées étaient au nombre de quatre : les secteurs Nord, Sud, Est et Ouest.

19. La région de la Krajina, comprenant les secteurs Sud et Nord des anciennes zones protégées, était située sur le territoire revendiqué par la RSK. Le Sud de la Krajina englobait, sans s’y limiter, les municipalités de Benkovac, Civljane, Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kijevo, Kistanje, Knin, Lisane Ostrovicke, Lisicic, Lovinac, Nadvoda, Obrovac, Oklaj, Orlic, Polaca, Smilcic, Titova Korenica et Udbina.

20. De 1992 à 1994, des dirigeants, des responsables et des forces croates ont conçu et mené plusieurs opérations pour reprendre le territoire revendiqué par la RSK, notamment celles lancées aux dates suivantes contre des zones protégées et des régions limitrophes : en juin 1992, contre le plateau de Miljevacki ; en janvier 1993, contre le secteur du pont de Maslenica dans le nord de la Dalmatie ; et en septembre 1993, contre la poche de Medak.

21. D’autres opérations et tentatives similaires ont été menées en 1995, comme l’Opération Éclair en Slavonie occidentale, en mai 1995, et l’Opération Ljeto (« Été ») dans les Alpes dinariques en Bosnie-Herzégovine, dans une région limitrophe de la municipalité de Knin et ses environs en juillet 1995.

22. De juillet au moins au début du mois d’août 1995, des dirigeants, des officiels et des forces croates (y compris des membres de l’entreprise criminelle commune) ont conçu, planifié, monté et mené l’Opération Tempête. Ante GOTOVINA était le commandant des forces de la HV et de la HRZ du District militaire de Split ou détachées auprès de lui, ainsi que d’autres forces placées sous son commandement pour les besoins de l’Opération Tempête. Cette offensive militaire a été, pour l’essentiel, menée le 4 août 1995 et elle s’est poursuivie pendant plusieurs jours ; diverses actions et opérations ont été menées à sa suite jusqu’au 15 novembre 1995 environ.

23. Le lancement, le 4 août 1995, de la grande offensive militaire a été précédé d’une campagne organisée pour chasser les Serbes de la Krajina et menée à grand renfort de propagande, de désinformation et de guerre psychologique. L’annonce de l’attaque imminente des forces croates a fait naître un sentiment de panique et de peur parmi la population serbe qui avait été victime ou avait eu connaissance d’exactions ou de crimes de grande ampleur perpétrés par les forces croates lors d’opérations similaires. Dans le même temps, il a été annoncé à la radio, à la télévision et par d’autres moyens que les Serbes étaient « libres de partir » et que d’importants convois quittaient la région. Ont été également présentées aux civils serbes des cartes où apparaissaient les territoires « exclusivement croates » et les itinéraires pour en sortir. Tandis qu’il était ainsi fait, les forces croates pénétraient la nuit dans les villages serbes et menaçaient les civils qui n’avaient pas encore pris la fuite, en ouvrant le feu ou en recourant à d’autres moyens d’intimidation.

24. Ainsi qu’il est décrit par la suite, cette campagne de nettoyage ethnique s’est traduite notamment par des actes de violence contre les Serbes de Krajina et par le pillage et la destruction, organisés et systématiques, de leurs biens. Ni sporadiques ni isolés, ces actes s’inscrivaient au contraire dans le cadre d’une vaste campagne destinée à chasser tous les Serbes restés dans la région et/ou à empêcher ou dissuader ceux qui avaient fui d’y retourner. Certains qui tentaient de s’enfuir ont été pris dans des rafles, embarqués dans des véhicules et conduits dans des centres de détention et des « lieux de rassemblement » afin de s’assurer qu’ils ne retourneraient pas dans leurs villages.

25. Les forces croates ont commencé à piller les biens appartenant à la population civile serbe au tout début de la grande offensive lancée le 4 août 1995, dès le deuxième jour. Il y a eu des pillages systématiques sur une grande échelle, notamment de maisons et de locaux commerciaux. Dans certaines villes, on a vu des convois de pillards arrivés les mains vides repartir chargés d’appareils électroménagers, d’effets personnels, voire de bétail. Des maisons, y compris celles de représentants de la communauté internationale, ont été pillées et entièrement vidées : les pillards ont emporté des réfrigérateurs, des cuisinières, des appareils électroniques, des meubles, des vêtements, jusqu’aux huisseries des portes et des fenêtres. Dans certains cas, des civils serbes prisonniers ont reçu l’ordre de se livrer au pillage pour le compte des forces croates. Après avoir été contraints de charger des biens volés dans des camions militaires, les détenus serbes ont été forcés de les décharger. Les pilleurs s’en sont pris pour l’essentiel aux maisons abandonnées par des Serbes qui s’étaient enfuis ; toutefois, il est arrivé, à plusieurs reprises, que des habitants soient contraints d’assister sous la menace au pillage de leur maison.

26. La destruction sans motif de villes et de villages serbes a commencé un ou deux jours après le début de l’Opération Tempête. Après être venues à bout de la faible résistance opposée par les forces de la SVK (dans de nombreux cas, il n’y a pas eu de résistance), les forces croates, ainsi qu’une poignée de Croates opérant sous leur contrôle, se sont livrées à une campagne de nettoyage ethnique en pratiquant la politique de la terre brûlée, détruisant systématiquement les biens et le bétail de la population civile serbe dans toute la Krajina. Ces forces, dont la HV et les forces spéciales de police, ont détruit les maisons, granges, commerces et édifices appartenant aux Serbes de Krajina, ainsi que leurs récoltes et leur bétail. Recourant souvent à des « pelotons incendiaires », utilisant de l’essence, des balles incendiaires et des explosifs, les forces croates ont entièrement détruit certaines villes et d’innombrables villages. Dans les villages où les Serbes et les Croates vivaient côte à côte, les maisons des Croates ont été épargnées tandis que celles des Serbes ont été incendiées. Le bétail (surtout bovin et porcin) a été abattu ou brûlé vif dans l’incendie des granges et des étables. Des puits et des sources ont été volontairement souillés. Au 15 novembre 1995, la destruction des biens appartenant à la population serbe du Sud de la Krajina était d’une telle ampleur qu’il ne restait quasiment rien de la communauté serbe de Krajina et de son habitat.

27. Un grand nombre de civils serbes qui n’avaient pas quitté la région, parmi lesquels des hommes désarmés et qui n’avaient pas la qualité de militaire, des femmes âgées et des invalides, ont été illégalement exécutés pendant l’Opération Tempête et au cours des actions qui ont suivi, comme l’a révélé notamment la mise au jour de plusieurs charniers. Des soldats ont ouvert le feu sur des groupes de civils. Des habitants ont été tués alors qu’ils s’enfuyaient de leurs maisons. Des cadavres ont été abandonnés au bord des routes. D’après des témoins, des personnes ont été abattues à bout portant ou exécutées ; plusieurs personnes ont été forcées d’assister à l’assassinat de membres de leurs familles. Plusieurs personnes ont été brûlées vives et jetées au fond de puits. D’autres ont été poignardées. Certaines ont mystérieusement disparu de leurs maisons. D’autres encore ont été retrouvées mortes ou ont disparu sans laisser de traces.

28. Pendant l’Opération Tempête et les actions qui ont suivi, les participants à l’entreprise criminelle commune et les subordonnés des accusés se sont livrés sur une grande échelle à des actes inhumains sur des civils serbes et des personnes ne prenant pas part aux hostilités – dont des personnes hors de combat – en leur infligeant non seulement de graves souffrances psychologiques et des humiliations et en les plongeant dans l’angoisse (notamment en menaçant de les tuer ou d’exécuter des membres de leur famille), mais aussi en leur infligeant de graves blessures, et ce, en leur tirant dessus, en les frappant, notamment à coups de pied, en les livrant aux flammes, en pilonnant des zones civiles et en tirant lors d’attaques aériennes sur les civils qui s’enfuyaient. Bon nombre de victimes ont été forcées d’assister aux sévices infligés à des membres de leur famille. Les actes inhumains et traitements cruels ont été infligés en particulier aux personnes les plus vulnérables telles que des femmes âgées et des civils hospitalisés.

29. Une « politique démographique » a été menée avec comme but « la colonisation dans l’urgence par les Croates » d’une grande partie de la Krajina serbe. Les forces croates et d’autres Croates se sont ainsi installés dans les maisons abandonnées par les Serbes qui avaient échappé aux destructions. Les propriétaires serbes ont été dépossédés de leurs maisons. Même si les Serbes pouvaient en théorie faire valoir leur droit au retour ou leur droit de propriété, la destruction de leurs biens et de leurs papiers, dans le cadre de leur exode, rendait un tel recours illusoire, voire impossible, ce qui était le but recherché.

30. C’est notamment dans le cadre de ces événements que, de juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, ainsi que divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter les crimes recensés dans les chefs 1 à 9.

RESPONSABILITÉ PÉNALE

31. Chacun des accusés est pénalement responsable, au regard de l’article 7 1) du Statut, des crimes qu’il a planifiés, incité à commettre, ordonnés et/ou commis. Chacun des accusés est mis en cause en tant que coauteur et/ou auteur indirect. Chacun des accusés est tenu responsable pour avoir participé aux crimes allégués, par ses actes ou, lorsqu’il avait le devoir d’agir, par ses omissions ou faute d’avoir agi, directement et indirectement, par l’entremise de ses subordonnés ou d’autres personnes et par le biais des structures de pouvoir dans lesquelles il était intégré et jouait un rôle.

32. Chacun des accusés a agi avec l’intention requise pour commettre chacun des crimes recensés dans le présent acte d’accusation. En outre, ou à défaut, chacun des accusés savait que l’exécution de ses plans et de ses ordres et les actes et le comportement auxquels il a incité provoqueraient ou entraîneraient très vraisemblablement les crimes rapportés dans le présent acte d’accusation.

33. En particulier, chacun des accusés a agi avec l’intention (mens rea) requise pour commettre les crimes suivants ou partageait cette intention :

a) Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, punissables aux termes de l’article 5 h) du Statut (chef 1) : l’accusé et/ou l’auteur a agi avec l’intention d’exercer une discrimination pour des raisons politiques, raciales ou religieuses.

b) Expulsion, punissable aux termes de l’article 5 d) du Statut (chef 2) : l’accusé et/ou l’auteur a agi avec l’intention de chasser définitivement la victime ou les victimes.

c) Actes inhumains (transfert forcé), punissable aux termes de l’article 5 i) du Statut (chef 3) : l’accusé et/ou l’auteur a agi avec l’intention de chasser définitivement la victime ou les victimes.

d) Pillage de biens publics ou privés, punissable aux termes de l’article 3 e) du Statut (chef 4) : l’accusé et/ou l’auteur s’est approprié des biens ou s’en est emparé.

e) Destruction sans motif de villes et de villages ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, punissables aux termes de l’article 3 b) du Statut (chef 5) : l’accusé et/ou l’auteur a agi avec l’intention de détruire les biens en question ou en prenant délibérément le risque de les détruire.

f) Meurtre, punissable aux termes des articles 5 a) et 3 du Statut (chefs 6 et 7) : par son acte ou omission, l’accusé et/ou l’auteur avait l’intention de tuer la victime, porter des atteintes graves à son intégrité physique ou lui infliger des blessures graves dont il savait raisonnablement qu’elles étaient susceptibles d’entraîner la mort.

g) Actes inhumains, punissables aux termes de l’article 5 i) du Statut (chef 8) : l’accusé et/ou l’auteur a agi avec l’intention de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de la victime.

h) Traitement cruel, punissable aux termes de l’article 3 du Statut (chef 9) : les actes ou omissions de l’accusé et/ou de l’auteur (jugés objectivement) étaient intentionnels ou délibérés, et non fortuits.

34. En outre, ou à défaut, chacun des accusés est pénalement responsable, au regard de l’article 7 1) du Statut, pour avoir aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter les crimes rapportés dans le présent acte d’accusation. Chacun des accusés savait qu’il aidait à la perpétration des crimes en cause ou savait qu’un ou plusieurs crimes seraient probablement commis, et que par ses actes ou omissions, il aiderait à la perpétration de ce crime ou de ces crimes.

35. En outre, ou à défaut, chacun des accusés est pénalement responsable, au regard de l’article 7 1) du Statut, des crimes commis dans le cadre de l’entreprise criminelle commune, en ce sens qu’il les a commis en tant que membre de l’entreprise ou participant à celle-ci (en employant le terme « commettre » dans le présent contexte, le Procureur n’entend pas suggérer que l’un des accusés ou les deux accusés ont nécessairement commis physiquement le crime ou les crimes qui leur sont reprochés ; le terme « commettre » vise ici la participation des accusés à une entreprise criminelle commune). Chacun des accusés est également mis en cause en tant que coauteur et/ou auteur indirect. Chacun des accusés est tenu responsable pour avoir participé aux crimes allégués, par ses actes ou, lorsqu’il avait le devoir d’agir, par ses omissions ou faute d’avoir agi, directement et indirectement, par l’entremise de ses subordonnés ou d’autres personnes et par le biais des structures de pouvoir dans lesquelles il était intégré et jouait un rôle.

36. Les crimes rapportés dans les chefs 1 à 5 étaient voulus et s’inscrivaient dans le cadre du but ou des objectifs de l’entreprise criminelle commune, et ont été commis en réalisant celle-ci. L’entreprise criminelle commune existait lorsque les crimes reprochés dans le présent acte d’accusation ont été commis et lorsque chacun des accusés œuvrait à sa réalisation.

37. Chacun des accusés a participé sciemment à l’entreprise criminelle commune et était animé de l’intention qu’impliquait chacun des crimes commis dans le cadre de celle-ci et/ou partageait cette intention.

38. Chacun des accusés a participé et/ou contribué largement à l’entreprise criminelle commune en l’exécutant et en réalisant ou en tentant de réaliser son but ou ses objectifs.

39. En outre, ou à défaut, tout crime reproché dans le présent acte d’accusation qui n’entrait pas dans le cadre du but ou des objectifs de l’entreprise criminelle commune était la conséquence naturelle et prévisible de cette entreprise, de son exécution ou de la tentative faite pour l’exécuter, et chaque accusé avait conscience des conséquences possibles et, malgré cela, a adhéré à l’entreprise, a continué d’y participer, a délibérément pris le risque que les crimes soient commis et est, de ce fait, responsable des crimes allégués.

40. En outre, ou à défaut, chacun des accusés est pénalement responsable, au regard de l’article 7 3) du Statut, des actes et/ou omissions criminels de ses subordonnés qu’il s’est abstenu, en connaissance de cause, d’empêcher ou de punir. Chacun des accusés était le supérieur hiérarchique de subordonnés sur lesquels il exerçait un contrôle effectif (c’est-à-dire qu’il avait la capacité matérielle de les empêcher de commettre des crimes ou de les en punir), et qui ont pris part aux crimes énumérés dans le présent acte d’accusation. Chacun des accusés savait et/ou avait des raisons de savoir que l’un ou plusieurs de ces subordonnés s’apprêtaient à commettre ces crimes ou les avaient déjà commis, et n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ces actes ou en punir les auteurs, les destituer ou les sanctionner.

41. Chacun des accusés savait et/ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre ou avaient déjà commis les crimes rapportés dans le présent acte d’accusation. Chacun des accusés était tenu informé, notamment :

a) dans l’exercice de ses fonctions de commandant, par les rapports et les informations qu’il recevait de ses subordonnés ;

b) par les systèmes de transmission au quartier général et sur le terrain ;

c) du fait de sa présence lors des diverses opérations menées dans la Krajina durant la période couverte par le présent acte d’accusation, sa participation à ces opérations et les observations faites pendant leur déroulement ;

d) par les informations dont il disposait au sujet du comportement des diverses forces croates et des forces spéciales de police pendant des opérations similaires passées ou en cours ;

e) par les informations diffusées par les médias à propos des crimes qui avaient été ou auraient été commis ;

f) par les échanges et les rencontres avec les membres et les représentants de la communauté internationale (dont les observateurs de l’Organisation des Nations Unies), des organisations non gouvernementales et des médias.

42. D’autres auteurs de chacun des crimes reprochés dans le présent acte d’accusation ou acteurs qui s’y sont trouvés mêlés, et/ou complices, ont agi avec l’intention nécessaire ou partageaient cette intention, ainsi qu’il est exigé.

CHEF 1
PERSÉCUTIONS

43. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et/ou divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter des persécutions, pour des raisons politiques, raciales et/ou religieuses, contre la population serbe au Sud de la Krajina, notamment dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Benkovac, Cviljane, Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kijevo, Kistanje, Knin, Lisane Ostrovicke, Lisicic, Lovinac, Nadvoda, Obrovac, Oklaj, Orlic, Polaca, Smilcic, Titova Korenica et Udbina.

Par ces actes et omissions (y compris ceux rapportés aux paragraphes 9 à 15, 22 à 30 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 1 : persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ punissable aux termes des articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut.

CHEFS 2 ET 3
EXPULSION ET TRANSFERT FORCÉ

44. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter le transfert forcé et/ou l’expulsion de membres de la population serbe du Sud de la Krajina vers la RSFY, la Bosnie-Herzégovine et/ou d’autres parties de la Croatie, en recourant à la menace et/ou à la violence et l’intimidation (notamment le pillage et la destruction de biens), des actes qui ont entraîné le déplacement, le transfert ou l’expulsion des Serbes de Krajina (contraints notamment de fuir ou de quitter la région) et/ou qui ont empêché ou dissuadé ces derniers de retourner dans cette région, y compris dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Benkovac, Civljane, Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kijevo, Kistanje, Knin, Lisane Ostrovicke, Lisicic, Lovinac, Nadvoda, Obrovac, Oklaj, Orlic, Polaca, Smilcic, Titova Korenica et Udbina.

Par ces actes et omissions (y compris ceux décrits aux paragraphes 9 à 15, 23 et 24, 29 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 2 : expulsion, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ punissable aux termes des articles 5 d), 7 1) et 7 3) du Statut.

Chef 3 : actes inhumains (transfert forcé), un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ punissable aux termes des articles 5 i), 7 1) et 7 3) du Statut.

CHEF 4
PILLAGE DE BIENS PUBLICS OU PRIVÉS

45. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter le pillage systématique de biens appartenant aux Serbes de Krajina, notamment leurs maisons, dépendances et granges et/ou leur bétail, y compris dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kistanje, Knin, Lisane Ostrovicke, Lovinac, Nadvoda, Obrovac, Oklaj, Orlic, Po1aca, Titova Korenica et Udbina.

Par ces actes et omissions (y compris ceux décrits aux paragraphes 9 à 15, 25 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 4 : pillage de biens publics ou privés, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE punissable aux termes des articles 3 e), 7 1) et 7 3) du Statut.

CHEF 5
DESTRUCTION SANS MOTIF

46. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter des destructions systématiques (notamment par le feu). Ainsi, les maisons, les dépendances et les granges appartenant aux Serbes de Krajina ont été gravement endommagées, leur bétail a été abattu et leurs puits ont été rendus inutilisables, y compris dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Benkovac, Civljane, Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kijevo, Kistanje, Knin, Lisane Ostrovicke, Lisicic, Lovinac, Nadvoda, Obrovac, Oklaj, Orlic, Po1aca, Smilcic, Titova Korenica et Udbina.

Par ces actes et omissions (y compris ceux décrits aux paragraphes 9 à 15, 26 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 5 : destruction sans motif de villes et de villages ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE punissable aux termes des articles 3 b), 7 1) et 7 3) du Statut.

CHEFS 6 ET 7
MEURTRE

47. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter le meurtre de civils serbes de Krajina et des personnes ne prenant pas part aux hostilités, y compris des membres des forces armées serbes qui avaient déposé les armes et ceux qui avaient été mis hors de combat, et qui ont, entre autres, été abattus, poignardés ou brûlés vifs, y compris dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Donji Lapac, Drnis, Ervenik, Gracac, Kistanje, Knin et Orlic (des précisions sur ces meurtres sont fournies en annexe).

Par ces actes et omissions (y compris ceux décrits aux paragraphes 9 à 15, 27 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 6 : assassinat, UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ punissable aux termes des articles 5 a), 7 1) et 7 3) du Statut.

Chef 7 : meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun aux Conventions de Genève de 1949 et leur article 5, et punissable aux termes des articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut.

CHEFS 8 ET 9
ACTES INHUMAINS ET TRAITEMENT CRUEL

48. De juillet 1995 au moins au 15 novembre 1995 ou vers cette date, Ivan CERMAK et Mladen MARKAC, agissant seuls et/ou de concert avec d’autres membres de l’entreprise criminelle commune, et divers subordonnés sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, ont planifié, incité à commettre, ordonné, commis et/ou aidé et encouragé à planifier, préparer et/ou exécuter les actes inhumains et les traitements cruels infligés aux civils serbes de Krajina et aux personnes ne prenant pas part aux hostilités, y compris des membres des forces armées serbes qui avaient déposé les armes et ceux qui avaient été mis hors de combat, et qui ont, entre autres, subi des traitements humiliants et/ou dégradants, en essuyant des tirs (notamment lors d’attaques aériennes), en étant agressés, brutalisés, poignardés, menacés et brûlés, y compris dans les municipalités suivantes ou dans des parties de ces municipalités : Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Gracac, Kistanje, Knin et Orlic.

Par ces actes et omissions (y compris ceux décrits aux paragraphes 9 à 15, 28 et 31 à 42), Ivan CERMAK et Mladen MARKAC sont responsables du crime ou des crimes suivants :

Chef 8 : actes inhumains, UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ punissable aux termes des articles 5 i), 7 1) et 7 3) du Statut.

Chef 9 : traitement cruel, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève de 1949 et punissable aux termes des articles 3, 7 1) et 7 3) du Statut.

ALLÉGATIONS GÉNÉRALES

49. Sauf indication contraire expresse, tous les actes et omissions allégués dans le présent acte d’accusation se sont produits sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.

50. Pendant toute la période visée, la région de la Krajina en République de Croatie, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, était le théâtre d’un conflit armé.

51. Tous les actes, pratiques, omissions et comportements incriminés dans le présent acte d’accusation s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, à savoir la population serbe du Sud de la Krajina.

52. Pendant toute la période visée, chacun des accusés était tenu de se conformer aux lois et coutumes régissant la conduite de la guerre, notamment aux Conventions de Genève de 1949 (dont l’article 3 commun) et à leurs Protocoles additionnels.

53. Tous les actes, pratiques, omissions et comportements incriminés en relation avec la destruction de biens étaient illicites et arbitraires et n’étaient pas justifiés par des exigences militaires.

54. Les actes, pratiques, omissions et comportements par lesquels les accusés et d’autres personnes ont perpétré des persécutions, ainsi qu’il est dit dans le chef 1, comprennent sans s’y limiter les crimes décrits dans les chefs 2 à 9.

55. Les allégations et les chefs de meurtre concernent tous les meurtres commis par des membres des forces croates dans le cadre des événements dépeints dans le présent acte d’accusation. L’annexe relative à ces allégations ne fait état que d’un petit nombre de faits représentatifs, pour satisfaire à l’exigence de précision de l’acte d’accusation.

 

________________
Le Procureur
Carla Del Ponte

[Sceau du Bureau du Procureur]

Fait le 14 décembre 2005
La Haye (Pays-Bas)


ANNEXE À L’ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

MEURTRES

Chefs 6 et 7

Village ou hameau

Date

Nom de la victime

Sexe

Âge

Cause du décès

MUNICIPALITÉ DE KNIN

1. Kovacic

5 août 95

Nikola Dragicevic

Mile Dragicevic

Sava Ceko

M

M

M

60 ans

62 ans

50 ans

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

2. Djurici

6 août 95 ou vers cette date

Sava Djuric

M

Brûlé

3. Žagrovic

Entre le 5 et le 12 août 95

Milka Petko

Ilija Petko

Dmitar Rasuo

Djuro Rasuo

Non identifié

F

M

M

M

70 ans

45 ans

81 ans

40 ans

Tuée par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

4. Grubori

25 août 95

Milos Grubor

Jovo Grubor

Marija Grubor

Mika Grubor

Djuro Karanovic

M

M

F

F

M

80 ans

65 ans

90 ans

51 ans

45 ans

Tué par balle

Tué par balle/égorgé

Brûlée

Tuée par balle

Battu/tué par balle

MUNICIPALITÉ D’ORLIC

5. Orlic

13 août 95 ou vers cette date

Tode Maric

M

Tué par balle

6. Sarena Jezera/Vrbnik

5 août 95

Milos Borjan

Non identifié

Non identifié

Non identifié

Non identifié

Non identifié

Non identifié

M

M

M

M

M

M

M

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

7. Uzdolje

6 août 95

Milica Sare

Stevo Beric

Janja Beric

Milos Cosic

Jandrija Sare

Djuka Beric

Krsta Sare

F

M

F

M

F

F

F

62 ans

62 ans

72 ans

63 ans

75 ans

61 ans

Tuée par balle

Tué par balle

Tuée par balle

Tué par balle

Tuée par balle

Tuée par balle

Tuée par balle

ANNEXE À L’ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

MUNICIPALITÉ DE KISTANJE

8. Kakanj

Entre le 10 et le 18 août 95

Danica Saric

Uros Saric

Uros Ognjenovic

F

M

M

Tué par balle

Tué par balle

MUNICIPALITÉ D’ERVENIK

9. Oton

18 août 95

Marta Vujonic

F

85 ans

Tuée par balle

MUNICIPALITÉ DE DONJI LAPAC

10. Oraovac

7 août 95

Marko Ilic

Stevo Ajdukovic

Rade Bibic

Ruza Bibic

M

M

M

F

76 ans

59 ans

78 ans

75 ans

Tué par balle

Tué par balle

Tué par balle

Tuée par balle