Affaire n° : IT-03-73-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Date de dépôt :
1er avril 2004

LE PROCUREUR

c/

IVAN CERMAK
MLADEN MARKAC

____________________________________

DÉCISION ET ORDONNANCE RELATIVES À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION EN FAVEUR DE VICTIMES ET DE TÉMOINS

____________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Mark Ierace
Mme Laurie Sartorio

Les Conseils des Accusés :

M. Cedo Prodanovic pour Ivan Cermak
MM. Miroslav Separovic et Goran Mikulicic pour Mladen Markac

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

Vu la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de victimes et de témoins (Prosecution’s Motion for Protective Measures for Victims and Witnesses) (la « Requête aux fins de mesures de protection »), déposée à titre confidentiel par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le 15 mars 2004, et la requête de l’Accusation aux fins de lever la confidentialité de sa requête aux fins de mesures de protection en faveur de victimes et de témoins (Prosecution’s Motion to Lift the Seal of Confidentiality on the Prosecution’s Motion for Protective Measures for Victims and Witnesses) (la « Requête aux fins de lever la confidentialité »), déposée le 1er avril 2004,

ATTENDU que, par la Requête aux fins de mesures de protection, l’Accusation demande à la Chambre de première instance de rendre une ordonnance aux fins de protéger la confidentialité de pièces communiquées aux accusés Ivan Cermak et Mladen Markac (ensemble les « Accusés »), comprenant des déclarations recueillies auprès de victimes et de témoins potentiels, afin de « garantir la sécurité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins et l’intégrité des témoignages et de la procédure1 »,

ATTENDU en outre que, par la Requête aux fins de lever la confidentialité, l’Accusation demande à la Chambre de première instance de délivrer une ordonnance afin que la Requête aux fins de mesures de protection, qui avait été déposée à titre confidentiel, soit rendue publique, puisqu’aucun témoin, témoin potentiel ou victime n’y sont mentionnés par leur nom ou de toute autre manière,

VU l’article 20 du Statut du Tribunal (le « Statut »), qui fait obligation à la Chambre de première instance de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément au Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée,

VU les droits de l’accusé tels qu’énoncés à l’article 21 du Statut et, en particulier, le droit de l’accusé à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense,

VU l’article 22 du Statut, qui fait obligation au Tribunal international de prévoir, dans son Règlement, des mesures de protection en faveur des victimes et des témoins,

VU les dispositions du Règlement en ce qui concerne la protection des victimes et des témoins,

ATTENDU que, jusqu’à ce que l’Accusation demande des mesures de protection particulières en faveur de certaines victimes, témoins ou témoins potentiels ne bénéficiant pas de mesures de protection et que la Chambre de première instance décide ou non de leur en accorder, il est dans l’intérêt de la justice, à ce stade de la procédure, que l’identité des personnes pour lesquelles des mesures de protection peuvent être nécessaires ne soit pas divulguée,

VU les obligations prescrites par le Code de déontologie pour les avocats exerçant devant le Tribunal international,

ATTENDU qu’il n’y a aucune raison pour que la Requête aux fins de mesures de protection ait été déposée à titre confidentiel,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 20 et 22 du Statut et des articles 53, 54, 69 et 75 du Règlement,

FAIT DROIT à la Requête aux fins de mesures de protection et à la Requête aux fins de lever la confidentialité et ORDONNE ce qui suit :

1. Pour les besoins des présentes Décision et Ordonnance :

a) l’« Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et le personnel du Bureau du Procureur,

b) la « Défense de CERMAK » comprend seulement l’accusé Ivan CERMAK, son conseil, les proches assistants juridiques et le personnel dudit conseil, et toute autre personne désignée par le Greffe ou enregistrée au Greffe comme faisant partie de l’équipe de la Défense,

c) la « Défense de MARKAC » comprend seulement l’accusé Mladen MARKAC, ses conseils, les proches assistants juridiques et le personnel desdits conseils, et toute autre personne désignée par le Greffe ou enregistrée au Greffe comme faisant partie de l’équipe de la Défense,

d) le terme « médias » désigne toute personne travaillant pour la presse écrite ou audiovisuelle ou informatique, y compris les journalistes, les reporters, les auteurs, le personnel des chaînes de radio et de télévision, ainsi que leurs agents et leurs représentants, et

e) le terme « public » s’entend de toutes les personnes, organisations, entités et associations ainsi que de tous les gouvernements, usagers, groupes et médias, autres que les juges du Tribunal international et le personnel du Greffe, le Procureur, la Défense de CERMAK et la Défense de MARKAC telles que définies ci-dessus. Le terme « public » inclut en particulier, sans s’y limiter, la famille, les amis et les relations de chaque accusé, les médias, les accusés et les conseils de la Défense dans d’autres affaires ou procès en cours devant le Tribunal et/ou des juridictions internes.

2. Pour les besoins de l’espèce et conformément à la présente Ordonnance, le Greffe doit tenir une liste mentionnant chaque personne faisant partie soit de la Défense de CERMAK soit de la Défense de MARKAC ou représentant celles-ci. Chaque équipe de la Défense doit déposer une liste initiale de ses membres dans les dix jours suivant la date de la présente Ordonnance, et le Greffe doit être informé par écrit de toute modification apportée à chacune de ces listes dans les dix jours suivant ladite modification.

3. La Défense de CERMAK et la Défense de MARKAC ne peuvent en aucune façon, soit directement soit indirectement, révéler au public (y compris les médias) une pièce (y inclus, et sans s’y limiter, une déposition de témoin ou une déclaration) qui leur a été communiquée par l’Accusation, sauf si, dans une mesure raisonnable, cela leur est nécessaire pour se préparer et prendre part aux débats ainsi que pour présenter leurs moyens, ou si de telles pièces ne sont plus considérées comme confidentielles au cours d’une audience publique en l’espèce, ou encore si l’Accusation peut les divulguer.

4. Si la Défense de CERMAK et/ou la Défense de MARKAC estiment qu’il est directement et spécifiquement nécessaire de communiquer l’une de ces pièces pour les raisons exposées au paragraphe 3, elles doivent informer tout membre du public auquel de telles pièces sont montrées ou communiquées, qu’il ne peut copier, reproduire ou rendre publiques ces pièces, en tout ou en partie, ni les montrer ou les communiquer à qui que ce soit. Si un membre du public se voit confier de telles pièces, qu’il s’agisse d’originaux, de copies ou de doubles, il doit les restituer à la Défense de CERMAK et/ou la Défense de MARKAC dès qu’elles ne sont plus nécessaires pour les raisons exposées au paragraphe 3.

5. Si l’un des conseils ou une personne faisant partie de la Défense de CERMAK et/ou de la Défense de MARKAC se retire ou est amené, quelle qu’en soit la raison, à quitter ses fonctions, toutes les pièces communiquées ou fournies par l’Accusation à l’équipe de la Défense en question, ainsi que toutes les copies de ces pièces dont cette personne est en possession, seront transmises ou renvoyées, sans exception, à la personne agissant alors en tant que conseil principal au sein de cette équipe de la Défense. À la clôture du procès, et de toute éventuelle procédure en appel, la Défense de CERMAK et la Défense de MARKAC resteront tenues par l’obligation énoncée au paragraphe 3.

6. Comme mesure de protection générale concernant la communication des pièces visées à la Défense de CERMAK et à la Défense de MARKAC, l’Accusation peut, lorsqu’elle s’acquittera de ses obligations de communication en application des articles 66 et 68 du Règlement, supprimer dans les déclarations, déclarations écrites sous serment et déclarations certifiées des victimes, témoins et témoins potentiels :

a) toutes les informations susceptibles de révéler les coordonnées actuelles de l’auteur de l’un de ces documents et/ou de sa famille,

b) toutes les informations contenues dans ces documents susceptibles de révéler les coordonnées actuelles d’autres personnes qui y sont mentionnées et qui ont fait, en tant que témoins, des déclarations que l’Accusation a déjà communiquées ou a l’intention de communiquer, et

c) toutes les informations contenues dans ces documents susceptibles de révéler les coordonnées actuelles d’autres personnes qui y sont mentionnées autres que les personnes qui sont citées dans l’un de ces documents comme ayant été présentes durant l’un des événements évoqués dans les documents qui peuvent se révéler pertinents s’agissant des questions débattues au procès.

7. Si la Défense de CERMAK ou la Défense de MARKAC a connaissance ou vient à être informée des coordonnées actuelles d’un témoin ou d’un témoin potentiel retenu par l’Accusation, ces informations ne peuvent être communiquées au public (y compris les médias) sauf si, dans une mesure raisonnable, cela est nécessaire à la préparation et à la présentation des moyens à décharge (tel que précisé au paragraphe 3 ci-dessus), et ni la Défense, ni une autre personne agissant en son nom, ne peut entrer en relation avec un témoin ou un témoin potentiel retenu par l’Accusation sans en avertir au préalable cette dernière, de manière à ce que l’Accusation puisse prendre les mesures nécessaires et indiquées afin d’assurer la sécurité et le respect de la vie privée du témoin ou du témoin potentiel en question. En se mettant en relation avec un témoin ou un témoin potentiel retenu par l’Accusation, tout membre de la Défense doit se présenter comme membre de la Défense de CERMAK ou de la Défense de MARKAC, selon qu’il convient.

8. Dans une mesure raisonnable, et si cela est nécessaire pour permettre à la Défense de CERMAK ou à la Défense de MARKAC de se préparer et de prendre part aux débats ainsi que de présenter ses moyens, l’équipe de la Défense concernée peut demander à obtenir de l’Accusation les coordonnées actuelles d’un témoin ou d’un témoin potentiel.

9. Rien de ce qui est présentement stipulé ne doit empêcher une partie ou une personne de demander des mesures de protection supplémentaires ou d’autres mesures ou une modification des dispositions de la présente Décision et de la présente Ordonnance, ou la Chambre de première instance d’en décider d’office, selon ce qui peut être jugé utile concernant un témoin ou un témoin potentiel particulier ou bien d’autres éléments de preuve.

10. La confidentialité de la Requête aux fins de mesures de protection est levée.

DÉCLARE que toute transgression de la présente Décision et de la présente Ordonnance sera traitée en application de l’article 77 du Règlement (« Outrage au Tribunal »).

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 1er avril 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance II
__________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1. Requête aux fins de mesures de protection, par. 1.