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1 Le mardi 19 janvier 2010
2 [Audience d'appel]
3 [Audience publique]
4 [L'appelant est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 34.
6 Mme LE JUGE VAZ : [interprétation] Mesdames, Messieurs, bonjour.
7 Madame le Greffier d'audience, veuillez, je vous prie, appeler
8 l'affaire qui est inscrite au rôle pour la présente audience.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
10 Affaire IT-04-83-A, le Procureur contre Rasim Delic.
11 Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Madame.
12 J'aimerais savoir si M. Delic peut entendre et suivre le déroulement des
13 procédures dans une langue qu'il comprend. Je vous remercie, Monsieur
14 Delic.
15 Je demande maintenant aux parties de bien vouloir s'identifier, en
16 commençant par la Défense de M. Delic, s'il vous plaît.
17 Mme VIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente. Bonjour à
18 toutes les personnes présentes dans le prétoire. Vasvija Vidovic et John
19 Jones pour la Défense du général Delic, avec Lejla Gluhic et Sabina Dzubur,
20 nos commis à l'affaire.
21 MME LE JUGE VAZ : Je me tourne à présent vers le banc du Procureur.
22 M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. M.
23 Kremer au nom de l'Accusation, avec l'aide de Todd Schneider, Elena Martin-
24 Salgado, Kyle Wood, et notre commis ce matin, c'est Mme Lourdes Galicia.
25 MME LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur Kremer.
26 A titre préliminaire, je note qu'une Conférence de mise en état a été
27 convoquée le 6 février 2009, conformément à l'article 65 bis du Règlement
28 de procédure et de preuve. En accord avec les parties et considérant que M.
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1 Delic était mis en liberté provisoire durant la période de la résolution de
2 son appel, il a été décidé de ne pas convoquer les Conférences de mise en
3 état ultérieures.
4 La Chambre d'appel siège ce jour pour entendre les arguments des parties
5 relatifs aux appels interjetés par M. Delic et par le bureau du Procureur
6 contre le jugement de première instance. Avant de donner la parole aux
7 parties, je vais brièvement résumer les motifs d'appel devant cette Chambre
8 ainsi que la façon dont nous allons procéder lors de cette journée
9 d'audience.
10 Dans son jugement rendu le 15 septembre 2008, la Chambre de première
11 instance I, composée des Juges Moloto, Président de Chambre, Harhoff et
12 Lattanzi, a condamné à la majorité Rasim Delic à une peine unique de trois
13 ans d'emprisonnement sur le chef d'accusation retenu contre lui, plus
14 spécifiquement le chef 2 relatif au traitement cruel, comme violation des
15 lois ou coutumes de la guerre aux termes des articles 3 et 7(3) du Statut
16 en relation avec les événements survenus à Livade, dans le camp de Kamenica
17 entre juillet et septembre 1995.
18 Rasim Delic a interjeté appel contre le jugement de première instance,
19 tandis que le Procureur a relevé appel de la peine prononcée contre M.
20 Delic.
21 Dans le cadre de son premier motif d'appel, Rasim Delic fait valoir que la
22 Chambre de première instance a commis une erreur de droit ou de fait en
23 concluant qu'il exerçait un contrôle effectif sur le Détachement El
24 Moudjahid entre juillet et décembre 1995.
25 Premièrement, il affirme que la Chambre de première instance a commis une
26 erreur en concluant à l'existence d'indicateurs d'un contrôle effectif et a
27 eu tort de ne pas tenir compte des éléments montrant l'absence d'un tel
28 contrôle. Deuxièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première
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1 instance n'a pas tiré les déductions qui s'imposaient de ses conclusions et
2 des éléments de preuve concernant la structure, le fonctionnement et le
3 rôle de l'armée et de la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine,
4 le poste de commandement installé à Kakanj et la chaîne de commandement
5 dans l'ABiH. Troisièmement, M. Delic soutient que la Chambre de première
6 instance a commis une erreur en concluant que la structure de l'ABiH
7 s'était considérablement renforcée entre 1993 et 1995, ce qui lui a permis
8 d'exercer un contrôle effectif sur le Détachement El Moudjahid.
9 Quatrièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis
10 une erreur de droit concernant la charge de la preuve et le niveau de
11 preuve requis. Cinquièmement, M. Delic fait valoir que la Chambre de
12 première instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle lui a dénié le
13 droit à un procès équitable en le déclarant coupable sur la base d'un lien
14 de subordination entre lui et le Détachement El Moudjahid, lien dont il
15 n'était pas question dans l'acte d'accusation.
16 Au titre de son deuxième motif d'appel, Rasim Delic prétend que la Chambre
17 de première instance a commis une erreur en concluant qu'il avait des
18 raisons de savoir que des membres du Détachement El Moudjahid s'apprêtaient
19 à infliger ou avaient infligé des traitements cruels à l'encontre des
20 soldats de l'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine qu'ils
21 avaient mis en détention.
22 Premièrement, M. Delic fait valoir qu'en raison de l'effet cumulé d'un
23 certain nombre d'erreurs, la Chambre de première instance a commis une
24 erreur de fait ayant entraîné un déni de justice.
25 Deuxièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis
26 une erreur en constatant qu'il avait reçu des informations concernant les
27 antécédents criminels des membres du Détachement El Moudjahid et que ces
28 informations étaient telles qu'elles permettaient de dire que le bulletin
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1 137 était suffisamment alarmant pour justifier qu'il intervienne sur le
2 champ pour déterminer si les membres du Détachement El Moudjahid --
3 Kamenica -- les membres du Détachement El Moudjahid s'apprêtaient à
4 commettre des crimes à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et
5 août 1995 ou l'avaient déjà fait.
6 Troisièmement, M. Delic affirme que la Chambre de première instance a
7 commis une erreur de droit en concluant qu'il avait des raisons de savoir
8 que des crimes avaient été commis ou étaient sur le point de l'être,
9 simplement parce qu'il avait à sa disposition des informations suffisamment
10 alarmantes.
11 Quatrièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première instance a
12 commis une double erreur de droit et de fait en estimant qu'en ne menant
13 pas une enquête pour déterminer si les membres du Détachement El Moudjahid
14 s'apprêtaient à commettre des crimes à Livade et dans le camp de Kamenica
15 en juillet et août 1995 ou l'avez déjà fait, signifiait qu'il avait accepté
16 le risque que des crimes soient commis ou aient été commis par les membres
17 de ce détachement en juillet et août 1995.
18 Cinquièmement, M. Delic soutient que la Chambre de première instance a
19 commis une erreur de droit en concluant que le fait qu'il savait que le
20 Détachement El Moudjahid avait commis des crimes moins graves que des
21 traitements cruels constitutifs de violation des lois ou coutumes de la
22 guerre suffisait pour l'avertir que ce détachement commettrait des crimes
23 plus graves, à savoir des traitements cruels.
24 Enfin, dans son troisième et dernier motif d'appel, Rasim Delic prétend que
25 la Chambre de première instance a commis une erreur en concluant qu'il
26 n'avait pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir et
27 punir les traitements cruels infligés par des membres du Détachement El
28 Moudjahid aux soldats de l'armée de la République serbe de Bosnie-
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1 Herzégovine détenus à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et août
2 1995.
3 Premièrement, M. Delic fait valoir que la Chambre de première instance a
4 commis une double erreur de droit et de fait en estimant qu'il avait la
5 capacité matérielle de prévenir et punir les traitements cruels commis en
6 juillet et août 1995.
7 Deuxièmement, M. Delic allègue que la Chambre de première instance a
8 commis une double erreur de droit et de fait en ne donnant aucune précision
9 sur les mesures nécessaires et raisonnables qu'il aurait pu prendre dans
10 les circonstances du moment et qui étaient en son pouvoir pour prévenir ou
11 punir les crimes commis par le Détachement El Moudjahid.
12 Troisièmement, M. Delic affirme que la Chambre de première instance a
13 commis une erreur en concluant que ni lui ni aucun autre placé sous son
14 autorité ou sous sa direction et son commandement n'avait pris les mesures
15 nécessaires et raisonnables pour prévenir ou punir les traitements cruels
16 infligés aux détenus à Livade et dans le camp de Kamenica en juillet et
17 août 1995.
18 Quatrièmement, M. Delic avance que la Chambre de première instance a commis
19 une erreur en se fondant sur les informations contenues dans le bulletin
20 137 pour établir sa responsabilité au manquement à l'obligation de prévenir
21 ou punir les crimes.
22 M. Delic demande donc à la Chambre d'appel d'annuler la déclaration de
23 culpabilité prononcée contre lui et d'y substituer une déclaration de non-
24 culpabilité.
25 Le Procureur s'oppose aux arguments avancés par Rasim Delic. Plus
26 spécifiquement, le Procureur soutient que la Chambre de première instance
27 n'a pas commis d'erreur de fait ou de droit en concluant que M. Delic
28 exerçait un contrôle effectif sur les membres du Détachement El Moudjahid,
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1 qu'il avait des raisons de savoir que des membres de ce détachement
2 s'apprêtaient à commettre des crimes ou qu'ils l'avaient fait et que Rasim
3 Delic a manqué à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour
4 empêcher ou punir les crimes.
5 Comme mentionné plus haut, le Procureur fait appel de la peine de trois ans
6 prononcée à l'encontre de Rasim Delic. Le Procureur fait valoir que la
7 Chambre de première instance a correctement fait état du droit applicable à
8 l'imposition des peines, mais qu'elle a commis une erreur de droit en
9 prononçant une peine manifestement inadéquate.
10 Premièrement, le Procureur allègue que la peine imposée par la Chambre de
11 première instance ne reflète pas le caractère étonnamment brutal des crimes
12 commis par les subordonnés de Rasim Delic.
13 Deuxièmement, le Procureur avance que la Chambre de première instance n'a
14 pas suffisamment pris en compte la gravité du manquement de Rasim Delic à
15 ses devoirs en tant que commandant.
16 Troisièmement, le Procureur affirme que la Chambre de première instance a
17 commis une erreur en omettant de considérer la peine qui pourrait être
18 encourue par les subordonnés de Rasim Delic.
19 Quatrièmement enfin, le Procureur soutient que la Chambre de première
20 instance va à l'encontre des deux finalités des peines imposées à raison
21 des crimes internationaux, à savoir la dissuasion et la fonction de
22 châtiment. Le Procureur demande à la Chambre de première instance -- à la
23 Chambre d'appel de prononcer une peine plus adéquate, soit sept ans.
24 Lors de cette audience, les conseils des parties peuvent décider de
25 présenter leurs motifs et moyens d'appel dans l'ordre qu'ils jugeront le
26 plus opportun. Je souhaiterais toutefois rappeler que les parties ont été
27 invitées à développer trois points qui leur ont été communiqués par
28 l'addendum à l'ordonnance portant calendrier en date du 15 décembre 2009,
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1 point que je ne vais pas reprendre ici.
2 Je vais à présent rappeler les critères applicables aux erreurs de fait et
3 de droit alléguées en appel. Les appels formés contre les jugements ne
4 donne pas lieu à un procès de novo. Les parties ne peuvent donc se
5 contenter de réitérer les arguments déjà entendus en première instance. Il
6 ressort de l'article 25 du Statut que le rôle de la Chambre d'appel se
7 limite à corriger les erreurs de droit qui invalident une décision et les
8 erreurs de fait qui ont entraîné un déni de justice. Par conséquent, la
9 partie qui allègue une erreur sur un point de droit doit avancer des
10 arguments à l'appui de sa thèse et expliquer en quoi l'erreur invalide la
11 décision.
12 En ce qui concerne les erreurs de fait, il est de jurisprudence constante
13 que la Chambre d'appel n'infirme pas à la légère les conclusions de fait
14 dégagées par une Chambre de première instance. La Chambre d'appel
15 n'interviendra donc que lorsqu'il a été démontré qu'aucun juge de fait
16 raisonnable n'aurait pu parvenir à la même conclusion ou lorsque celle-ci
17 est totalement erronée.
18 En outre, la Chambre d'appel peut d'emblée rejeter, sans avoir à les
19 examiner sur le fond, les arguments présentés par une partie qui n'ont
20 aucune chance d'aboutir à l'annulation ou à la réformation de la décision
21 attaquée. Les parties appelantes ont de surcroît l'obligation de fournir
22 les références précises des éléments qui viennent étayer leurs arguments en
23 appel. Par ailleurs, on ne saurait s'attendre à ce que la Chambre d'appel
24 examine en détail les conclusions des parties si elles sont obscures,
25 contradictoires ou vagues ou si elles sont entachées d'autres vices de
26 forme flagrante.
27 Enfin, la Chambre d'appel dispose d'un pouvoir discrétionnaire inhérent
28 pour déterminer quels sont les arguments qui méritent une réponse motivée
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1 par écrit, et elle rejettera donc sans motivation détaillée les arguments
2 qui sont manifestement mal fondés.
3 Cette audience va procéder conformément à l'addendum à l'ordonnance portant
4 calendrier en date du 15 décembre 2009. La Défense commencera à présenter
5 ses arguments ce matin pendant une heure et 15 minutes. Après la pause de
6 30 minutes, le Procureur pourra commencer à présenter ses arguments en
7 réponse pendant 50 minutes. Suite à la réponse du Procureur, la Défense
8 disposera de 20 minutes pour présenter ses arguments en réplique. Après la
9 pause déjeuner d'une heure, le Procureur pourra présenter ses arguments
10 pendant une heure. La Défense disposera de 50 minutes pour présenter ses
11 arguments en réponse. Ensuite, le Procureur aura 20 minutes pour présenter
12 ses arguments en réplique.
13 Enfin, M. Delic sera invité à prendre la parole, s'il le souhaite, pour une
14 courte déclaration n'excédant pas dix minutes.
15 Il sera extrêmement utile à la Chambre d'appel que les parties présentent
16 leurs arguments de façon claire, ordonnée et concise. Les Juges prendront,
17 à tout moment, la liberté d'interrompre les parties pour leur demander des
18 précisions ou poser des questions. Voici donc ce que j'avais à vous dire.
19 S'il n'y a pas de questions relatives à la façon dont va se dérouler cette
20 audience, j'aimerais maintenant inviter la Défense à présenter ses
21 arguments en appel.
22 M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup, Madame le Président. A titre
23 préliminaire, nous avons préparé plusieurs lots de documents contenant des
24 extraits de la jurisprudence dont je vais faire état dans le cadre de la
25 réponse que je donnerai à la première des questions posées par la Chambre
26 d'appel. Nous avons six exemplaires, il y a, bien sûr, un exemplaire pour
27 chacun des Juges, pour l'Accusation, ainsi que pour le greffe.
28 Je vois l'heure qu'il est, il est près de 10 heures. Je suppose que vous me
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1 donnez jusqu'à 11 heures et quart. C'est un peu plus que ce qui est --
2 Mme VIDOVIC : [aucune interprétation]
3 M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup.
4 Ce matin, je vais me pencher sur les trois questions que vous avez posées,
5 mais permettez-moi de commencer en résumant notre premier moyen d'appel par
6 quelques mots qui représenteront notre argument le plus important. Les
7 conclusions qu'ont tirées les Juges Harhoff et Lattanzi sur la question du
8 contrôle effectif ne découlent tout simplement pas des conclusions qu'eux-
9 mêmes ont tirées. Quand on voit les conclusions tirées par la Chambre quant
10 au contrôle effectif, la conclusion tirée par ces deux Juges manque de
11 suite. C'est une erreur que ces Juges ont commise. Un juge raisonnable du
12 fait ne tire pas de conclusions qui vont contredire les conclusions qu'eux-
13 mêmes ont tirées, et c'est la raison pour laquelle l'opinion dissidente du
14 Juge Moloto revêt une telle importance. En effet, les conclusions que lui
15 tire découlent bien des conclusions tirées par la Chambre.
16 Je remercie ma consoeur de m'avoir aidé sur le plan vestimentaire.
17 En droit, la logique et le fait sont tout à fait dans le droit fil des
18 conclusions tirées de M. le Juge Moloto, et son opinion dissidente montre
19 que c'était la seule façon raisonnable de déduire ce qu'il en était des
20 faits du dossier. C'est qu'il planait tout au moins un doute raisonnable
21 quant au contrôle effectif qu'aurait exercé Delic sur le Détachement El
22 Moudjahid. Par conséquent, il y a eu une erreur commise par la majorité des
23 Juges, qui a entraîné un déni de justice.
24 Et il est fort heureux que votre première question me permette d'illustrer
25 ce point, et c'est pourquoi je me tourne maintenant vers la question des
26 marques du contrôle effectif. Nous disons que la jurisprudence établit au
27 minimum 12 prémisses essentielles. La première, c'est que pour avoir un
28 contrôle effectif, il faut prouver non seulement qu'un accusé a donné des
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1 ordres, mais que ces ordres, en fait, ils ont été appliqués par les auteurs
2 des faits présumés, que ceux-ci y ont obéi. Et ceci est bien établi et
3 s'exprime notamment dans l'arrêt Strugar, paragraphe 256, la question de
4 savoir si les ordres donnés par un supérieur sont effectivement suivis des
5 faits, ceci peut indiquer si un supérieur a un contrôle effectif sur ses
6 subordonnés. La Chambre d'appel relève qu'en plus de la conclusion montrant
7 que Strugar avait le pouvoir nécessaire pour donner des ordres, la Chambre
8 de première instance a conclu également que les ordres qu'il avait donnés
9 avaient effectivement été appliqués. Et dans le cadre de cette première
10 prémisse, nous évoquons également l'arrêt Halilovic, paragraphe 207;
11 l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphe 199; ainsi que l'arrêt Dragomir
12 Milosevic, en son paragraphe 280.
13 Il s'en suit qu'une marque montrant qu'il n'y a pas contrôle effectif,
14 c'est le mépris ou la non-exécution par des auteurs présumés d'ordres ou
15 d'instructions délivrés par l'accusé. Ceci est fort bien illustré par
16 l'arrêt Hadzihasanovic, paragraphes 225 à 227. La Chambre d'appel
17 Hadzihasanovic s'est penchée sur le fait que le 3e Corps de l'ABiH n'avait
18 pas obtenu la libération d'un de ses propres soldats qui avait été enlevé,
19 placé en détention et avait subi des mauvais traitements aux mains du
20 Détachement El Moudjahid, parce que ce monsieur avait consommé de l'alcool.
21 Alors que le 3e Corps, son commandant plus exactement, avait ordonné qu'il
22 soit libéré, le détachement n'a pas obéi, même lorsqu'on avait menacé
23 d'attaquer le Détachement El Moudjahid. La Chambre d'appel le remarque au
24 paragraphe 227, et je cite ce paragraphe :
25 "Le détachement n'a jamais été requis par le 3e Corps de capturer des
26 otages et n'a pas non plus été autorisé lorsqu'il l'a fait. Au contraire,
27 son comportement était au mépris absolu des demandes du 3e Corps, qui
28 demandait à ce qu'ils ne procèdent pas à ces enlèvements. Ceci ne
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1 correspondait pas non plus alors que donné par Mehmed Alagic qui disait
2 qu'il fallait relâcher ces hommes ou les relâcher lorsqu'on les menaçait
3 d'utiliser la force contre eux."
4 Par conséquent, la Chambre d'appel a conclu que :
5 "Ces événements confirmaient qu'Hadzihasanovic n'avait pas le contrôle
6 effectif du Détachement El Moudjahid et," je cite :
7 "Démontrent qu'il y avait des domaines d'activité dans lesquels le
8 détachement agissait indépendamment du 3e Corps." Paragraphe 226.
9 Ces faits présentent une ressemblance étonnante avec les faits de l'espèce.
10 Nous disons, en fait, que les éléments de ce présent dossier sont bien plus
11 convaincants. Vous le verrez aux paragraphes 403 et 404 du jugement. La
12 Chambre de première instance a estimé qu'en capturant et en plaçant en
13 détention des soldats de la VRS qui avaient été maltraités en juillet et
14 août 1995, les événements mêmes dont Delic a été jugé coupable, et je cite
15 :
16 "Le détachement n'a pas respecté les obligations énoncées par le commandant
17 de la 35e Division en ce qui concerne le traitement à réserver à des
18 ennemis capturés pendant les combats," et que le détachement avait agi, je
19 cite : "au mépris des ordres donnés par l'ABiH."
20 Pourtant, Mme le Juge Lattanzi n'a pas tiré les conclusions qui
21 s'imposaient de tout ceci, conclusions qu'ont pourtant tirées les Juges de
22 la Chambre d'appel Hadzihasanovic et le président de la Chambre de première
23 instance, M. le Juge Moloto, paragraphe 27 de son opinion dissidente, à
24 savoir que ces événements montraient, prouvaient que l'accusé n'exerçait
25 pas de contrôle effectif sur le détachement. Il y a toute une kyrielle
26 d'ordres auxquels n'a pas obéi le détachement. C'est présenté aux
27 paragraphes 371 à 385 du jugement.
28 Deuxième prémisse, les moyens de preuve montrant que les soi-disant
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1 subordonnés se réservaient le droit de décider ou non de participer au
2 combat, ceci est une marque de l'absence de contrôle effectif. Le jugement
3 en première instance Hadzihasanovic le prouve. Paragraphe 795, la Chambre
4 fait référence à des éléments montrant, je cite :
5 "Que les Moudjahidines se réservaient le droit de décider s'ils voulaient
6 ou non participer au combat."
7 Dans la présente affaire également, les conclusions de la Chambre
8 sont claires. Elles montrent que le détachement, je cite : "prenait ses
9 propres décisions" quand il s'agissait de savoir s'il allait participer au
10 combat ou pas, paragraphe 382, et que le détachement pouvait simplement
11 "s'abstenir de participer ou refuser de participer à une opération de
12 l'ABiH," si ce détachement estimait que les conditions n'étaient pas
13 remplies. Ce qui veut dire que dans le fond le détachement faisait à sa
14 guise, décidait de participer ou pas, peu importe ce qu'ordonnait l'ABiH.
15 En fait, si on parle là de contrôle effectif, il faut bien reconnaître que
16 ce n'est pas si effectif que cela.
17 Troisième prémisse, comportement fantasque et cas ayant précédé
18 d'indiscipline de la part des soi-disant subordonnés. Ceci est important
19 pour voir s'il y a contrôle effectif. Nous constatons ceci notamment dans
20 l'arrêt Strugar, paragraphe 257. La Chambre d'appel y déclare que, je cite
21 :
22 "Des preuves d'antécédents de cas d'indiscipline et de non-exécution
23 d'ordres constitueraient des éléments présentant une pertinence certaine
24 pour voir si Strugar exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés."
25 De même, dans l'arrêt Oric, je cite :
26 "La Chambre d'appel estime que s'il existait un lien de
27 subordination, on ne saurait se demander si le comportement du subordonné
28 était fantasque, inattendu. Cependant, si ce lien de subordination n'est
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1 pas manifeste, il peut importer de tenir compte du comportement fantasque
2 ou irrégulier du subordonné pour savoir si son supérieur avait la capacité
3 matérielle d'empêcher et de punir, ce qui est nécessaire pour établir le
4 contrôle effectif." Paragraphe 159.
5 Alors, ici nous avons un élément tout à fait pertinent. En l'espèce, il est
6 tout à fait douteux qu'il ait existé un lien de subordination entre Delic
7 et le détachement. Au contraire, nous affirmons que les preuves sont
8 nombreuses qui prouvent que les membres du détachement n'étaient pas des
9 subordonnés de Delic.
10 Vu les circonstances de l'affaire, il était particulièrement important de
11 prendre en compte le comportement irrégulier, fantasque des membres du
12 détachement pour déterminer si Delic exerçait un contrôle effectif. Or, la
13 majorité des Juges ont carrément refusé de le faire, alors qu'il y avait
14 pléthore d'éléments de preuve montrant le comportement dangereux et
15 fantasque du détachement. Quand je dis dangereux, c'était dangereux pour
16 les hommes de l'ABiH, car il était coutumier que les membres du détachement
17 les menacent, ces hommes de l'ABiH, et leur imposent des mauvais
18 traitements. Donc, vraiment, on a le choix. Par exemple, nous avons la
19 pièce 774 E, qui nous montre un différend entre le Détachement El Moudjahid
20 et une unité régulière de l'ABiH, je cite :
21 "Cette fois-là," nous sommes alors en juillet 1995, date qui cadre tout à
22 fait avec la période retenue dans l'acte d'accusation, "des membres du
23 détachement disaient que l'objectif fondamental de leur lutte, c'était
24 d'exterminer les Serbes et les Croates. Ils ajoutaient qu'ils attendaient
25 de tous qu'ils restent sur la voie d'Allah, et tôt ou tard, les deux
26 unités, le détachement et cette unité de l'ABiH en question, allaient
27 forcément s'opposer à cause des différences qui les habitaient."
28 On voit effectivement une dizaine de pièces : la pièce 125, 667, la pièce
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1 670, la pièce 737, la pièce 760 aussi, la pièce 800, 801, la pièce 872, la
2 pièce 892, la pièce 903, la pièce 934, la pièce 938, la pièce 1084, autant
3 de pièces que je vous demande d'examiner pour avoir une idée véritable du
4 comportement de ce détachement, de la dangerosité qu'ils représentaient
5 pour les autres unités de l'ABiH, de leur aspect tout à fait sauvage, et
6 pour voir à quel point ils n'étaient pas contrôlables. Nous avons des
7 témoins à charge : Hasanagic, Imamovic, Sljuka et Sehic, qui vous le disent
8 aussi en pages du compte rendu d'audience 3 102, 4 058, 4 370 et 5 086. Il
9 ne fait aucun doute, ce détachement a toujours affiché un comportement
10 fantasque et dangereux.
11 Quatrième prémisse, il n'y a pas de contrôle effectif lorsque les auteurs
12 de faits présumés ont le pouvoir indépendant de prendre des décisions et
13 d'agir. Nous avons le jugement de première instance Oric, paragraphe 706.
14 La Chambre a constaté que des groupes armés de la région "affichaient
15 surtout leur loyauté à leurs commandants respectifs," et agissaient de
16 façon indépendante. Il faut en déduire que ces hommes n'étaient pas sous le
17 contrôle effectif d'Oric. Nous disons qu'a fortiori, ceci s'applique au
18 détachement et au commandement de Delic, je cite :
19 "Le détachement avait un 'conseil religieux,' la shura, qui était
20 l'instance suprême en matière de prise de décision."
21 Ce sont les termes mêmes qu'utilise la Chambre dans ses conclusions, plus
22 exactement en paragraphe 189 du jugement. Autre citation : "La shura,
23 c'était la dernière instance de pouvoir au sein du détachement en ce qui
24 concerne toutes les questions importantes. L'émir était élu par la shura,
25 devait lui rendre compte. Ses décisions pouvaient être modifiées ou
26 annulées uniquement par cette instance."
27 Ce sont là les termes mêmes qu'utilise la Chambre dans ce paragraphe 189.
28 Le Détachement El Moudjahid n'avait de loyauté qu'envers l'émir et lui
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1 seul.
2 Ce que nous disons, le fait constaté par la Chambre, à savoir que
3 l'instance suprême en matière de prise de décision, l'autorité suprême, ce
4 n'était pas l'ABiH, mais un conseil religieux, la shura. Ceci est
5 incompatible avec l'idée qu'il n'y aurait pas le moindre doute raisonnable
6 quant à l'existence d'un contrôle effectif.
7 Regardons ce qu'un autre témoin à charge, Ismet Alija, dit du détachement.
8 Je le cite :
9 "A ma connaissance et d'après les informations dont je dispose, le
10 détachement n'était pas intégré dans le système de direction ni de
11 commandement. C'était une unité fermée sur elle-même, indépendante.
12 C'étaient des hommes qu'il était difficile de contacter et qui ne donnaient
13 pas d'information sur leurs activités. Ils prenaient les décisions qui les
14 concernaient eux-mêmes."
15 Et puis, il explicite ce qu'est la shura :
16 "Je pense que vous savez, Madame et Messieurs les Juges, comment ils
17 prenaient leurs décisions. La 'shura,' c'est une espèce de conseil. Et si
18 ces hommes décidaient de faire quelque chose, c'est ce qu'ils faisaient.
19 S'ils décidaient de ne pas faire quelque chose, ils ne le faisaient pas. Et
20 ils n'acceptaient les ordres de personne." Page du compte rendu 4 156.
21 C'est ce que disait un témoin à charge. N'est-ce pas là quelque chose de
22 frappant ?
23 Ça a été vrai pour tous les témoins à charge. J'insiste là-dessus, parce
24 que l'Accusation ne peut pas maintenant ignorer ou contredire ce que ses
25 propres témoins ont dit, pas si elle ne déclare pas de ce témoin qu'il est
26 devenu un témoin hostile.
27 La cinquième prémisse, c'est que la chaîne de commandement, lorsqu'elle
28 n'est pas assez bien développée ou qu'elle ne fonctionne pas bien, c'est
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1 une marque contraire du contrôle effectif. C'est quelque chose de
2 fondamental, de bien connu, qui s'exprime notamment au paragraphe 707 du
3 jugement de première instance d'Oric.
4 Sixième prémisse, c'est que la preuve que ces soi-disant subordonnés ne se
5 considéraient pas comme étant sous le commandement de ce commandant et vice
6 versa indique qu'il y a manque de contrôle effectif. Vous trouverez la
7 doctrine concernant cette prémisse notamment dans le jugement de première
8 instance Hadzihasanovic, paragraphe 795, lorsque la Chambre a dit ceci, et
9 je cite :
10 "Les commandants du 3e Corps ne croyaient pas avoir le pouvoir de donner
11 des ordres aux Moudjahidines."
12 Ici en espèce, et ce sont là de nouveau les conclusions que tire la Chambre
13 elle-même, le détachement avait déclaré :
14 "Nous sommes désormais une unité, nous avons notre propre corps, qui est
15 formellement sous le contrôle de l'ABiH, mais l'ABiH ne peut pas nous
16 donner l'ordre d'engagement dans des combats que nous ne voulons pas."
17 Là, je reviendrai plus tard si j'ai le temps sur ce concept, le fait qu'on
18 dise nous ne pouvons pas être obligés de faire quelque chose que nous ne
19 voulons pas, ça ne cadre pas avec l'idée de l'exécution par le détachement
20 d'ordres donnés. Simplement, ils en font à leur guise. C'est ce que conclu
21 la Chambre au paragraphe 381, mais aussi au paragraphe 432 et au paragraphe
22 453. Nous avons aussi les dires du témoin à charge Imamovic, compte rendu 4
23 045; Sljuka, compte rendu 4 301 et 4 369; Hajderhodzic, compte rendu 3 784;
24 Husic, compte rendu 4 446 [comme interprété]; et Awad, compte rendu 172, à
25 l'audience de Sarajevo.
26 A maintes reprises, nous avons eu la déposition d'anciens membres du
27 détachement qui ont dit qu'ils ne se considéraient pas du tout comme
28 faisant partie de l'ABiH, et des pièces le confirment. Pourtant, la
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1 majorité a passé sous silence cet aspect, parce qu'ils auraient pu semer un
2 doute raisonnable sur la notion de l'existence d'un contrôle effectif.
3 Septième prémisse, elle concerne la transmission d'information, des
4 éléments de preuve montrant que les auteurs présumés n'ont pas soumis de
5 rapports à leur supposé supérieur ou bien qu'ils ont présenté des rapports
6 à d'autres supérieurs hiérarchiques, ceci est une marque de l'absence de
7 contrôle effectif. Nous rappelons le jugement de première instance
8 Hadzihasanovic, paragraphe 795, qui renvoie à la pertinence du fait de
9 savoir qu'il n'y avait pas, je cite, "de preuve indiquant que les
10 Moudjahidines auraient envoyé des rapports de combat ou d'autres rapports
11 d'ailleurs concernant les activités à ceux qui avaient la responsabilité
12 des combats auxquels ces hommes avaient participés."
13 La transmission des informations, c'est un élément-clé déterminant
14 l'existence d'un contrôle effectif. Le Juge Moloto l'a fort bien dit dans
15 son opinion décident, paragraphe 15, je le cite :
16 "Le fait que le détachement n'a pas transmis d'information dans le cadre de
17 rapports envoyés à son unité supérieure hiérarchique, associés au
18 comportement fantasque des membres du détachement par rapport aux ordres
19 donnés par l'ABiH, montre vraiment qu'on sape de façon grave le
20 commandement et la direction qu'avait Delic. Une chaîne de commandement,
21 elle doit suivre les différents échelons. Le fait de transmettre des
22 informations le long de la voie hiérarchique et la capacité qu'a un
23 commandant d'exercer son autorité par le biais d'ordres constituent les
24 deux piliers de l'existence d'un système de direction et de contrôle. Et
25 c'est seulement lorsqu'on a ces deux piliers qu'un commandant est en mesure
26 de contrôler ses unités et de les obliger à obéir. Mais ceci n'existait pas
27 par rapport au détachement."
28 Pourtant, une fois de plus, ce qu'ont conclu la majorité des Juges est
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1 contredit par leurs propres conclusions. La Chambre a conclu, en tout cas
2 n'a pas contesté, le fait que "le détachement n'avait jamais donné de
3 rapports écrits ou oraux à la 35e Division," qui était pourtant une unité à
4 l'échelon directement supérieur de l'ABiH, paragraphe 424 --
5 M. LE JUGE VAZ : M. le Juge Meron a une question.
6 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Oui, au paragraphe 430, --
7 M. JONES : [interprétation] Je n'ai pas entendu le paragraphe.
8 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Paragraphe 430 du jugement.
9 "Même si le détachement était officiellement subordonné à la 35e Division…
10 elle a fait plusieurs rapports oraux au 3e Corps sur les problèmes qu'il y
11 avait au niveau des activités de combat." Alors, comment est-ce que vous
12 conciliez ceci avec l'argument que vous présentez.
13 M. JONES : [interprétation] Oui.
14 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Et le fait qu'il y a des preuves
15 montrant qu'il y a eu transmission de rapports oraux à des supérieurs
16 hiérarchiques, est-ce que ceci n'indique pas qu'il y a un certain degré de
17 contrôle ?
18 M. JONES : [interprétation] Ce qu'il en est par rapport au 3e Corps et à la
19 35e Division, c'est un élément qui, en soi, révèle très clairement qu'il
20 n'y a pas de contrôle effectif, d'après les éléments de preuve acceptés par
21 la Chambre, le principe de l'unité de commandement. Lorsqu'on a une unité
22 subordonnée qui transmet un rapport à son supérieur hiérarchique, c'était
23 la 35e Division. Donc, déjà le fait que le détachement a tout à fait fait
24 fi de ceci lorsqu'elle a décidé de contourner la 35e Division pour adresser
25 ses rapports au 3e Corps, ceci révèle que peu leur importait qu'il existe
26 un système de transmission.
27 Pour ce qui est des rapports oraux, revoyons ce que disait le Juge Moloto,
28 le fait de transmettre des informations oralement, déjà lorsqu'on demande
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1 des rapports écrits, ça ne répond pas aux critères exigés, apposés dans
2 l'ABiH. Mais s'il y a des transmissions de rapport oraux, ceci cadre fort
3 bien avec le fait qu'il y a deux unités alliées qui combattent côte à côte
4 pour éviter qu'il n'y ait pas tir sur certains éléments par des unités
5 amies, amicales, c'est ce qu'on essaie d'éviter en général. La majorité des
6 Juges a dit c'est parce qu'il y a une barrière linguistique. Nous en
7 parlons dans notre mémoire en appel. Là non plus ce n'est pas une
8 explication, parce que vous avez des gens qui parlaient le bosniaque au
9 sein du détachement et qui auraient pu facilement transmettre des rapports
10 s'il l'avait voulu. Mais la majorité des Juges a estimé qu'il n'était pas
11 nécessaire de fournir cette explication, et ceci est révélateur en soi.
12 Je ne sais pas si ceci répond à votre question, Monsieur le Juge.
13 Prenons, par opposition, le fait que le détachement a bien envoyé des
14 rapports détaillés, mais l'a fait à ses maîtres étrangers -- est-ce que la
15 Chambre avait d'autres questions ?
16 M. LE JUGE VAZ : Oui. Le Juge Liu voudrait vous poser une question.
17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je me demande si vous avez terminé de
18 répondre. Sinon, vous pouvez continuer, puis je pourrai vous poser une
19 autre question.
20 M. JONES : [interprétation] J'avais terminé.
21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.
22 Je pense que dans la présentation que vous avez faite vous mentionnez le
23 fait que la chaîne de commandement n'était pas assez développée et ne
24 fonctionnait pas bien dans l'ABiH, et vous parlez aussi de l'arrêt
25 Hadzihasanovic. Je comprends que la Chambre d'appel a annulé la conclusion
26 tirée par la Chambre de première instance quant au contrôle effectif dans
27 cette affaire Hadzihasanovic. Mais je me demande si vous avez noté la
28 différence en matière de temps s'agissant de ces deux affaires, l'affaire
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1 Hadzihasanovic d'un côté, et la présente affaire. Je pense que les crimes
2 dont M. Hadzihasanovic a été reconnu coupable ont été commis entre janvier
3 et septembre 1993, alors qu'ici en espèce, ce sont des faits censés être
4 intervenus en juillet et en août 1995. La Chambre de première instance a
5 été précise dans ses conclusions, elle a conclu que la direction et le
6 commandement se sont renforcés considérablement entre 1993 et 1995. Par
7 conséquent, les circonstances de la présente affaire présentent des
8 différences substantielles par rapport aux faits de l'affaire
9 Hadzihasanovic.
10 Qu'avez-vous à dire s'agissant de la différence en matière de temps ?
11 M. JONES : [interprétation] Merci.
12 Je n'ai peut-être pas été clair, et je m'en excuse. Nous nous appuyons
13 uniquement sur les points de droit pour l'arrêt Hadzihasanovic. C'est ça
14 qui m'intéressait. Il serait trop simpliste de dire qu'on a un acquit dans
15 Hadzihasanovic, on a le droit même à un acquittement. Manifestement, il y a
16 une différence dans le temps de deux ans. Mais la conclusion tirée par la
17 majorité des Juges au paragraphe 460 :
18 "Elle a constaté que la structure d'organisation, la direction et le
19 commandement de l'ABiH ont connu une amélioration considérable entre le
20 moment où Delic est nommé commandant," en 1993 et l'année 1995.
21 Ça, c'est la prémisse adoptée par la majorité des Juges dans
22 l'affaire Hadzihasanovic. Mais regardez ce paragraphe, on ne fait aucune
23 référence à un élément de preuve quel qu'il soit. C'est une simple
24 affirmation qui est énoncée ici. Nous en parlons de façon détaillée dans
25 notre mémoire en appel. Et ça ne repose sur rien. En fait, c'est contredit
26 par les éléments du dossier. C'est très révélateur que la Chambre ne cite
27 aucun élément de preuve. Or, ce sera opportun de citer un témoin qui dira,
28 Les choses se sont vraiment améliorées en deux ans. Les éléments ne disent
Page 27
1 rien. Ça ne repose sur rien. C'était la seule façon d'adopter cette
2 conclusion-là par les Juges.
3 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.
4 M. JONES : [interprétation] En matière de transmission d'information,
5 l'autre composante, c'est que le détachement a bien envoyé - et c'est
6 révélateur - des rapports détaillés écrits à ses maîtres étrangers. Et ici,
7 vous le verrez, je fais référence à un rapport de combat très
8 circonstanciel au paragraphe 444 du jugement. Ce serait intéressant de le
9 voir parce que c'est révélateur. C'est un rapport tellement précis qu'on
10 dit que l'unité d'assaut a commencé sa profession à 12 heures 02, et on
11 donne des différences géographiques entre les différentes zones de combat.
12 On n'a rien envoyé de la sorte aux supérieurs supposés de l'ABiH, mais ça a
13 été envoyé à l'étranger, ce rapport.
14 Pour ce qui est de la transmission orale, j'en ai parlé déjà. Mais il n'est
15 pas surprenant que pour ce qui est de la communication orale entre le
16 détachement et les unités de l'ABiH, elle ait eu lieu avant ou pendant le
17 combat, c'est normal parce que sinon, ce serait suicidaire de lancer une
18 opération sans en avertir les autres unités de la même armée. C'est ce
19 qu'on fait entre alliés. Mais manifestement, ne serait-ce que pour sauver
20 sa propre peau, on le fait, et c'est ce que font donc des alliés, comme je
21 le disais : ils communiquent entre eux pour coordonner leurs activités de
22 combat respectives.
23 Les Français, les Britanniques l'ont fait pendant la bataille de la Marne
24 pendant la Première Guerre mondiale. Les alliés le font aujourd'hui pour
25 éviter de se tirer dessus. Ça tombe sous le sens. Et ceci met en exergue un
26 point essentiel qui montre les carences et les failles du raisonnement de
27 la majorité des Juges. Si le fait d'avoir transmission orale d'information
28 montre uniquement qu'il y a coopération, la transmission orale ne prouve
Page 28
1 pas l'existence d'un contrôle effectif. Effectivement, par rapport à
2 chacune de ces marques, la Chambre d'appel devrait demander à l'Accusation
3 ceci : quelles sont les conclusions tirées de la Chambre qui cadrent
4 uniquement avec l'existence du contrôle effectif, rien qu'avec cela ? La
5 réponse serait : rien. Ou si on pose la question différemment : y a-t-il
6 une quelconque constatation de la Chambre qui ne concorde absolument pas
7 avec la coordination, la coopération, l'assistance conjointe ou mutuelle,
8 voire même tentative d'établir le contrôle qui montre effectivement qu'il
9 n'y a pas de contrôle effectif ? Encore une fois, la réponse est
10 inévitablement un non. Il n'y a rien. La majorité des Juges aurait dû dire
11 : c'est quelque chose que nous mettons de côté, ces deux armées n'auraient
12 pas pu coopérer ensemble parce que s'il y avait eu un contrôle effectif X,
13 Y et Z, soit, mais vous ne trouverez pas cela dans le jugement.
14 Et parce que ceci n'est jamais arrivé et que Delic doit être acquitté
15 et que sa condamnation doit être rejetée.
16 Je passe maintenant à la huitième prémisse, lorsqu'il y a autorité et les
17 auteurs sont des personnes autres que l'accusé, ceci indique qu'il y a
18 absence de contrôle effectif. Nous, ici, faisons état des paragraphes 216
19 et 217 de l'arrêt Hadzihasanovic et Kubura, d'où émergent deux points de
20 principe. Tout d'abord, je cite :
21 "Le contrôle effectif ne peut être établi par un processus
22 d'élimination."
23 Donc, nous n'avons pas eu à démontrer que quelqu'un d'autre exerçait un
24 contrôle effectif sur le détachement devant les Juges de la Chambre pour
25 conclure que Delic ne l'exerçait pas. Deuxièmement, si une autorité a été
26 exercée sur les auteurs par des personnes autres que l'accusé, ceci est un
27 élément pertinent qui est contraire à ces marques de contrôle effectif, ce
28 qui est évident. Et un serviteur ne peut servir deux maîtres, c'est la
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1 parabole de l'intendant injuste. Aucun serviteur ne peut servir deux
2 maîtres, car soit il en déteste un, soit il aime l'autre. Il ne peut pas
3 être fidèle à l'un et mépriser l'autre.
4 Il y avait énormément d'éléments de preuve qui ont été présentés à la
5 Chambre, et la Chambre a indiqué qu'il exerçait l'autorité sur le
6 détachement parce qu'il y avait des associations multiples étrangères et
7 qu'il y avait des religieux musulmans de haut rang.
8 Cette neuvième prémisse est un indicateur-clé du contrôle effectif, à
9 savoir si les auteurs ont reçu des armes et des munitions de l'accusé.
10 Cette marque est clairement exprimée dans le rapport de la Commission
11 internationale d'enquête sur le Darfour, le 25 janvier 2011 [comme
12 interprété], aux paragraphes 111 à 113. La Chambre d'appel appréciera,
13 puisque le président de la commission, Antonio Cassese - le premier
14 président de ce tribunal et maintenant le président du tribunal spécial
15 pour le Liban - nous estimons que même s'il ne s'agit pas d'une question de
16 jurisprudence, il s'agit ici d'une source fort importante et convaincante.
17 "Les liens clairs entre l'état soudanais et les milices, la Commission
18 s'est reposée sur cette marque de contrôle effectif, sur le fait que les
19 milices ont reçu des armes et des munitions de façon régulière de l'armée
20 et d'autres organes étatiques."
21 Dans ce cas, la Chambre a constaté que l'aide de l'ABiH au détachement en
22 matière de munitions et d'armes était "sporadique et insuffisante." Au
23 paragraphe 418. A l'inverse, il y avait énormément d'éléments de preuve qui
24 indiquaient que le détachement obtenait des armes et des munitions de leurs
25 propres sources. Le témoin à charge Awad, un ancien membre du détachement,
26 a témoigné en disant, je
27 cite : "Nous disposions de notre propre système logistique indépendant et
28 nous étions plus forts que le corps en ce qui concerne cela." Page du
Page 30
1 compte rendu d'audience 260, le 10.2.2008. La Chambre renvoie à ces
2 éléments de preuve qui n'ont pas été contestés dans la note en bas de page
3 1 079 du jugement, et il semblerait que la Chambre l'ait accepté.
4 Ceci a également été explicité par le témoignage du témoin
5 PW-9, et la pièce E 776 [comme interprété], à la page du compte rendu
6 d'audience 5 682.
7 La dixième prémisse peut être exprimée par ce dicton : qui paie les violons
8 choisit la musique. Autrement, la personne qui contrôle les finances et les
9 salaires versés aux indicateurs est une autre marque de contrôle effectif.
10 Pour ce qui est de cette prémisse, nous nous reposons encore une fois sur
11 le rapport de Darfour, au paragraphe 113, qui fait état du versement de
12 salaires mensuels comme étant une marque de contrôle. Et le jugement en
13 première instance Musema, au paragraphe 880, où la Chambre a constaté que
14 Musema exerçait un contrôle effectif sur les employés de la manufacture de
15 thé Gisovu, entre autres, parce qu'"il exerçait un contrôle juridique et
16 financier sur ces employés, sur ces salariés."
17 Dans ce cas, la Chambre a constaté que "le détachement a été financé par
18 des voies séparées," à savoir qui étaient distinctes de l'ABiH, et que les
19 salaires des membres du détachement "provenaient de fonds qui étaient ceux
20 du détachement El Moudjahid" et ce, aux paragraphes 418 à 419 du jugement.
21 Les éléments de preuve, pour ce qui est du financement de ce détachement,
22 ne peuvent pas être contredits. Nous faisons état ici de la pièce E 780
23 [comme interprété], le témoignage du témoin à charge PW-9, pages du compte
24 rendu d'audience 8 633 et E 12 001 [comme interprété] indique que
25 l'institut culturel islamique envoyait des paiements mensuellement au
26 détachement. La Chambre a accepté cette pièce à la note en bas de page 1
27 145.
28 Alors, la question des salaires a été reprise par le Juge Moloto, au
Page 31
1 paragraphe 18 de son opinion dissidente :
2 "Les liens entre ce détachement et les autorités étrangères montrent un
3 autre domaine dans lequel le détachement agissait de façon indépendante par
4 rapport à l'ABiH. Effectivement, aucun des membres du détachement n'a été
5 payé par l'ABiH." Ce qui est un élément très frappant. Et je cite :
6 "De surcroît, le fait que ces contacts ont été mis en place par le
7 détachement, avec pour objectif de promouvoir sa cause et d'attirer des
8 fronts, permet d'en déduire que les autorités qui parrainaient le
9 détachement ont peut-être exercé une influence significative sur lui."
10 Hormis le fait que c'est un point important qu'a fait le Juge Moloto, les
11 Juges en majorité ont constaté cela; ils ont simplement tiré des
12 conclusions différentes à partir de cela. C'est une déduction tout à fait
13 évidente, une question évidente qui a peut-être échappé aux Juges de la
14 majorité. Celui qui tient les cordons de la bourse est certainement celui
15 qui peut dicter ses termes, qui peut exercer le contrôle, précisément à la
16 menace qu'il pose parce que c'est lui qui a le soutien financier. Si ses
17 ordres ne sont pas suivis, ils ne seront pas payés.
18 L'ABiH et Delic, essentiellement, ne se sont jamais trouvés dans la
19 position où ils pouvaient exercer ces menaces, exercer le contrôle
20 simplement parce qu'ils tenaient les cordons de la bourse. Ils ne pouvaient
21 pas les menacer et arrêter de verser cet argent au détachement, parce que
22 ce n'est pas simplement eux qui versaient cet argent -- pardonnez-moi.
23 C'est aussi simple que cela.
24 Effectivement, cela est assez logique que l'argent revient à
25 contrôler, ou un contrôle éventuel, ceci est illustré dans la jurisprudence
26 du Tribunal dans ses premiers jours dans l'arrêt Tadic du 15 juillet 1999,
27 dans le contexte de savoir si la VRS était placée sous le contrôle de la
28 RFY et de son gouvernement. Un des facteurs décisifs aux yeux de la Chambre
Page 32
1 d'appel était ceci, "'le versement des salaires de façon permanente aux
2 Serbes de Bosnie et aux officiers non-serbes par le gouvernement de la
3 République fédérale de Yougoslavie,'" au paragraphe 150.
4 La onzième prémisse consiste à dire que pour prouver le contrôle
5 effectif, il faut montrer que l'accusé disposait de pouvoir tel qu'il était
6 en mesure d'imposer des sanctions disciplinaires et d'ouvrir des enquêtes
7 contre les auteurs, puisqu'il exerçait cette position et qu'il avait
8 l'autorité, et que ses pouvoirs étaient des pouvoirs réels et effectifs par
9 opposition à de simples pouvoirs formels ou qui ne permettaient pas de
10 faire exécuter ces ordres. Pour finir, d'autres mesures dont il avait la
11 capacité, le fait de punir des crimes sur la base de charges qui avaient
12 été -- dont certaines personnes avaient été accusées, et non pas d'autres
13 crimes. Par exemple, des crimes comme le vol. Il est allégué ici que
14 l'accusé exerçait un contrôle effectif sur la base des crimes commis par
15 les auteurs, le Détachement El Moudjahidine. A l'occasion, ces derniers
16 étaient punis. Mais il y a deux questions distinctes qu'il nous faut poser
17 : qui a lancé ces poursuites et est-ce que ces personnes ont été
18 poursuivies pour crimes de guerre ou pour simples crimes ? La question a
19 été envisagée, par exemple, dans l'arrêt Oric, au paragraphe 142, lorsque
20 la Chambre a estimé qu'Oric disposait de ses capacités présumées de prendre
21 des mesures disciplinaires contre les auteurs et n'a pas démontré qu'il ait
22 agi dans ce sens et "'… qu'il s'est occupé de cette enquête'" menée par le
23 chef de la police militaire, étant donné que la Chambre de première
24 instance "n'a pas constaté qu'Oric a pris cette mesure ou qu'il était en
25 mesure de le faire, en raison de l'autorité dont il disposait sur la police
26 militaire."
27 La Chambre de première instance [comme interprété] a, par conséquent,
28 annulé la condamnation contre Oric en estimant que la Chambre de première
Page 33
1 instance avait commis une erreur en constatant qu'Oric exerçait un contrôle
2 effectif sur la police militaire.
3 Lorsque nous retournons à notre affaire, il y a deux faits
4 particulièrement marquants qui découlent des constatations de la Chambre.
5 Tout d'abord, il n'y pas d'élément de preuve qui montre que Delic était
6 capable de discipliner les membres du détachement du tout. Dans la partie
7 du jugement qui traite de sa capacité à ouvrir des enquêtes ou à punir les
8 membres du détachement, la Chambre n'a pu simplement, dans le cadre d'une
9 procédure pénale, initier contre des membres étrangers du détachement, dire
10 qu'il s'agissait "d'un comportement illicite, bien qu'il ne s'agissait de
11 violation du droit international humanitaire." Au paragraphe 470 du
12 jugement de première instance. C'est un fait très important dont les Juges
13 de la Chambre n'ont pas perçu toute la signification.
14 Deuxièmement, les poursuites pénales sur lesquelles se reposaient les
15 Juges de la Chambre n'ont pas été initiées contre Delic, mais par les
16 autorités civiles. De même, la majorité a commis exactement la même erreur
17 que la Chambre de première instance dans l'affaire Hadzihasanovic. Dans
18 l'affaire Hadzihasanovic, la Chambre de première instance se reposait sur
19 des poursuites qui ont été menées dans le pays contre un membre du
20 détachement pour montrer que l'autorité qu'exerçait Hadzihasanovic pour
21 punir les membres du détachement existait. La Chambre d'appel a constaté
22 qu'il s'agissait d'une erreur. Au paragraphe 219 de l'arrêt Hadzihasanovic,
23 où il est déclaré :
24 "Le témoin Siljak a témoigné que l'auteur allégué 'devait se
25 présenter devant le tribunal de Travnik' sans spécifier de quel tribunal il
26 s'agissait. Si cela était vrai que ledit individu s'était présenté au
27 tribunal militaire du district de Travnik, rien ne semblait indiquer, dans
28 le jugement en première instance, quel rôle Hadzihasanovic aurait joué à
Page 34
1 propos de ces poursuites contre l'auteur. Et le témoin Siljak, dans son
2 témoignage, a montré que l'auteur a été poursuivi après les mesures qui
3 avaient été prises ou initiées par le 3e Corps. La Chambre d'appel insiste
4 sur le fait que l'auteur a été identifié comme un Musulman de la région et
5 que la police civile et le témoin lui-même ont peut-être déposé plainte
6 contre lui."
7 Exactement la même situation s'est présentée aux Juges de la Chambre
8 lorsqu'elle a fait ses constatations dans cette affaire-ci. Les Juges à la
9 majorité se sont reposés sur l'arrestation des membres du détachement pour
10 les meurtres d'un membre britannique d'une association, Paul Goodall,
11 auquel il est fait référence au paragraphe 448 du jugement. Mais cette
12 procédure a été ouverte par le ministère de l'Intérieur devant un tribunal
13 civil, comme l'a accepté la Chambre elle-même. Il est fait état de cela
14 dans la note en bas de page 1 158 du jugement. Le ministre de l'Intérieur,
15 à savoir la police civile, a déposé plainte au pénal contre un procureur
16 civil à Zenica, contre le Détachement El Moudjahidine. Ceci n'avait rien à
17 voir avec les militaires du tout.
18 De même, la pièce 880 sur laquelle se sont reposés les Juges à la
19 majorité confère, note en bas de page 1 164, il y a eu des procédures
20 pénales pour vol, un crime de droit commun, non seulement il ne s'agissait
21 pas, à ce moment-là, d'un crime qui relève du droit humanitaire
22 international. C'est ainsi que Hadzihasanovic, l'auteur, a été reconnu
23 comme étant un homme de la région, par un homme de la région, un Musulman,
24 Sefik Bijelo. Dans tout ceci, il n'y a aucun élément de preuve qui
25 indiquait quel rôle jouait Delic ou qu'il aurait joué lorsqu'il s'agissait
26 d'ouvrir ces poursuites contre l'auteur.
27 Donc, nous disons que la Chambre d'appel, dans son raisonnement, a
28 rejeté la constatation de la Chambre de première instance dans
Page 35
1 Hadzihasanovic et que ceci devrait être appliqué ici également. Nous disons
2 que les constatations de la Chambre, aux paragraphes 447 à 453 du jugement,
3 étaient tout à fait incapables, en matière de droit, d'étayer la conclusion
4 des Juges à la majorité au paragraphe 470 que Delic avait la capacité
5 matérielle d'enquêter, de prévenir ou de punir des crimes commis par le
6 détachement en juillet et septembre [comme interprété] 1995.
7 Nous passons maintenant à la douzième et dernière prémisse qui porte
8 sur le contrôle effectif qui est inexistant si le supérieur allégué a
9 besoin de négocier ou a recours à une pression extérieure pour s'assurer
10 qu'il y ait obéissance à ses décisions ou à ses ordres. Ici, nous nous
11 reposons sur l'arrêt Hadzihasanovic au paragraphe 227, qu'il nous faut
12 citer :
13 "L'indépendance du Détachement El Moudjahidine du 3e Corps, par
14 opposition à sa subordination, est de surcroît confirmée dans d'autres
15 circonstances. Le 3e Corps devait être engagé dans des négociations pour la
16 remise en liberté des otages avec quelques membres du détachement tout en
17 exerçant des pressions sur eux, avec l'appui de certaines organisations
18 internationales ainsi que certains religieux musulmans et des Musulmans de
19 Bosnie naturalisés. Si les membres du Détachement El Moudjahidine avaient
20 été subordonnés au 3e Corps, il n'y aurait pas eu de négociations et de
21 pressions externes. Les ordres du 3e Corps au fin de relâcher les otages
22 auraient été obéis. D'autres circonstances montrent que l'indépendance du
23 Détachement El Moudjahidine par rapport au 3e Corps se trouve confirmée. La
24 constatation de la Chambre de première instance indique que le seul moyen
25 disponible au 3e Corps pour obtenir la libération de ces otages était
26 d'utiliser la force contre le Détachement El Moudjahidine."
27 Donc, il est logique que si l'on exerce le contrôle sur un détachement, si
28 l'on fait intervenir un organe extérieur, que cela signifie que l'on
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1 n'exerce pas le contrôle.
2 Et ceci est encore plus clair lorsqu'on exerce le contrôle en
3 attaquant les auteurs, cela signifie, bien évidemment, que l'on n'exerce
4 pas le contrôle, sinon une armée défie l'ennemi au cours de la bataille
5 serait censée à exercer le contrôle effectif sur l'ennemi. Ce qui est tout
6 à fait absurde.
7 Ce qui n'a rien à voir avec le fait de demander à Delic de faire la
8 guerre contre le détachement tout en combattant les Serbes et les Croates.
9 Le droit ne peut pas, de façon sérieuse, exiger de Delic qu'il ouvre la
10 guerre sur trois fronts : la VRS, le HVO et le détachement.
11 Néanmoins, les éléments de preuve montrent ce que c'est tout ce qu'il
12 pouvait faire pour essayer de contrôler les combattants du détachement et
13 de les contrôler.
14 C'est de cette façon que la majorité a abordé cette question qui n'a
15 pas du tout été étayée par les éléments de preuve et qui vont à l'encontre
16 du sens commun, paragraphe 468, lorsqu'ils disent :
17 "Plusieurs témoins ont dit dans leur témoignage que, d'après eux, rien ne
18 pouvait être fait pour discipliner le détachement, étant donné que des
19 mesures de coercition existaient qui auraient entraîné, à ce moment-là, un
20 conflit violent avec le détachement en question." Mais cette position-là
21 n'est absolument pas étayée par les faits présentés devant la Chambre de
22 première instance.
23 Et ensuite, comment peut-on s'attendre à ce que les faits soient
24 cités sur une question aussi importante ? Il n'y a rien du tout. Il n'y a
25 aucune note en bas de page qui indique cela, aucun fait n'est cité. Il
26 s'agit simplement d'une affirmation.
27 Ensuite, un passage critique sur les conclusions des Juges Lattanzi
28 et Harhoff --
Page 37
1 Mme LE JUGE VAZ : Excusez-moi, une minute. Il y a un problème avec
2 les interprètes parce que nous n'avons plus l'interprétation en français.
3 Vous pouvez poursuivre.
4 M. JONES : [interprétation] Donc, un des passages les plus importants, les
5 conclusions, et je cite :
6 "Plutôt que de dire que rien ne pouvait être fait pour s'opposer à un
7 comportement non discipliné des membres du détachement, les Juges à la
8 majorité ont constaté que rien n'a été fait ou on n'a rien tenté de faire,
9 en particulier en rapport avec les violations alléguées du droit
10 international humanitaire pendant la détention de soldats ennemis et de
11 civils par le détachement. A l'avis de la majorité, ce manquement à prendre
12 des mesures pour assumer le contrôle sur les détenus constituait un
13 manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires et
14 raisonnables pour empêcher et punir les crimes en question."
15 Donc, il y a au moins trois éléments qui sont erronés par rapport à cette
16 conclusion tout à fait essentielle. Tout d'abord, les conclusions doivent
17 être fondées sur les éléments de preuve, et néanmoins les Juges à la
18 majorité rejettent tout simplement un point de vue raisonnable, à savoir
19 que rien ne pouvait être fait pour contrôler le détachement si ce n'est de
20 les attaquer. C'est donc la position adoptée par la Chambre d'appel dans
21 l'affaire Hadzihasanovic et c'est la position adoptée par le Juge Moloto
22 dans cette affaire, et simplement écarter cela en indiquant que c'était
23 leur position sur la question.
24 Deuxièmement, le seul raisonnement fourni à l'appui de cela, la note en bas
25 de page 1 200, qui semble critiquer les officiers de l'ABiH, parce qu'ils
26 n'ont pas essayé ou n'ont pas essayé davantage lorsque le détachement ne
27 leur a pas permis d'accéder aux détenus serbes, ceci n'a rien à voir avec
28 le fait que Delic exerçait un contrôle effectif sur le détachement. En
Page 38
1 fait, ceci est sans suite. Et je crois qu'il faut poser la question sur ce
2 point, à savoir s'il avait essayé avec plus d'acharnement, ceci aurait été
3 différent. Même si les officiers de l'ABiH avaient essayé davantage, il eut
4 été impossible d'accéder aux détenus. Et donc, il n'y a pas de contrôle
5 effectif. Les Juges à la majorité estiment que cette possibilité existe.
6 De toute façon, les officiers ont, dans leurs rapports, signalé cette
7 question en l'espace de quatre semaines et ont indiqué que les détenus
8 n'étaient plus entre les mains du détachement.
9 Donc, les Juges à la majorité établissent une confusion essentielle
10 sur le troisième élément concernant leur responsabilité de commandement, à
11 savoir le manquement à prendre des mesures raisonnables, et je cite :
12 "A l'avis des Juges de la majorité, le manquement à prendre des
13 mesures pour assumer les contrôles des détenus constitue un manquement à
14 prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir et empêcher
15 les crimes."
16 Et donc, ceci n'a rien à voir avec le contrôle effectif, cette
17 conclusion.
18 Sauf votre respect, nous avançons que les conclusions des Juges Harhoff et
19 Lattanzi sont essentiellement confuses, entachées d'erreurs et
20 indéfendables.
21 Pour finir, pour ce qui est de la première question, nous souhaitions
22 attirer votre attention sur le fait que la Chambre d'appel estime que "la
23 responsabilité pénale n'est pas quelque chose que l'on peut reprocher à un
24 représentant officiel de l'armée simplement parce qu'il exerce un
25 commandement généralisé." Arrêt Halilovic, paragraphe 214.
26 Je passe maintenant à la deuxième question des Juges de la Chambre d'appel,
27 à savoir si les Juges de la Chambre ont commis une erreur en estimant que -
28 -
Page 39
1 Mme LE JUGE VAZ : Oui, je voudrais juste vous rappeler qu'il vous reste
2 environ dix minutes pour répondre aux questions.
3 M. JONES : [interprétation] Je crois que j'ai une heure et 15 minutes. J'ai
4 commencé à 10, donc je crois que je devrais pouvoir aller jusqu'à 11 heures
5 15. Mais il se peut que je me trompe.
6 La question est de savoir si les Juges de la Chambre ont commis une erreur
7 en ne tenant pas compte d'une ou deux marques de contrôle effectif abordées
8 par les Juges de première instance, à savoir si c'était incompatible avec
9 le concept de contrôle effectif. D'après nous, la marque identifiée au
10 paragraphe 368, VI --
11 [La Chambre d'appel et le Juriste se concertent]
12 M. JONES : [interprétation] Peut-être qu'il est important de faire une
13 pause pour les bandes ou pour les interprètes. Je vais poursuivre jusqu'à
14 ce que vous me demandiez de m'arrêter.
15 La marque qui est identifiée au paragraphe 368, VI, et évoquée aux
16 paragraphes 416 à 422 du jugement, l'assistance mutuelle entre l'ABiH et le
17 Détachement El Moudjahid, est incompatible avec le concept de contrôle
18 efficace. L'assistance, la coopération, voire même la coordination qui
19 existait entre les forces armées alliées, n'est manifestement pas la même
20 chose que la direction et le commandement, ce qui est en fait un fil rouge
21 que l'on retrouve dans toute la jurisprudence du Tribunal. Par exemple,
22 l'arrêt Hadzihasanovic au paragraphe 214, je cite :
23 "Bien que les constatations des Juges de la Chambre indiquent que le 3e
24 Corps coopéraient avec le Détachement El Moudjahid, ceci ne se suffit pas
25 pour permettre d'établir l'existence d'un contrôle effectif."
26 Effectivement, la Chambre, dans cette affaire, elle-même a clairement
27 envisagé le fait que les forces peuvent se battre ensemble sans que l'une
28 ou l'autre ne soit placée sous le contrôle de l'autre. Au paragraphe 345,
Page 40
1 je cite :
2 "Il n'est pas peu plausible que l'engagement au combat peut se dérouler sur
3 la base de consultations et accord mutuel entre deux forces combattantes
4 par opposition à des ordres qui sont donnés de l'un à l'autre."
5 Au paragraphe 350 également, où on parle de la relation entre les
6 Moudjahidines et l'ABiH, "il est défini de façon adéquate comme coopération
7 entre ces groupes distincts et indépendants, entités militaires distinctes
8 et indépendantes plutôt qu'une subordination des Moudjahidines à
9 l'intérieur d'une seule et même structure militaire."
10 Sur cette base-là, Delic a été déclaré non coupable par rapport aux crimes
11 commis à Maline et Bikose en juin 1993. Les Juges à la majorité auraient dû
12 appliquer ce même principe aux rapports entre l'ABiH et le détachement en
13 1995, mais les Juges de la Chambre ne l'ont pas fait. Ces conclusions
14 parlent de consensus, de consultations, de coopération, de demandes qui
15 sont adressées par l'ABiH au détachement. Les questions portent sur
16 l'autorisation de parler au commandant ou d'avoir accès au camp. On ne
17 parle pas de commandement. Le commandant du 3e Corps, je cite, "ne fait que
18 des recommandations au détachement," au paragraphe 395 du jugement, n'a pas
19 donné d'ordres. L'officier chargé de la sécurité de la 35e Division
20 recherchait l'approbation du détachement pour interviewer les soldats. On
21 n'a pas besoin d'autorisation dans des cas comme celui-ci, au paragraphe
22 408.
23 Le marqueur sur les rapports entre le détachement et les autorités à
24 l'extérieur de l'ABiH, tel que c'est interprété, est incompatible avec la
25 notion de contrôle effectif. Les Juges à la majorité ont traité de ce
26 problème de façon très superficielle. Au paragraphe 464, il est déclaré, je
27 cite :
28 "Il est vrai que le détachement communiquait avec les institutions
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1 étrangères à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine; au vu des Juges de la
2 majorité, l'objectif de ces communications était de promouvoir sa cause et
3 d'attirer le soutien financier. Ainsi, ceci n'a pas une incidence sur la
4 chaîne de commandement et le contrôle effectif exercé par Rasim Delic sur
5 le détachement et de ses membres."
6 "Ainsi," ce terme dans cette phrase est particulièrement mal placé. La
7 conclusion ne peut pas découler de cette prémisse, et encore une fois,
8 c'est sans suite. Le détachement communiquait avec des organes étrangers
9 afin d'obtenir un financement. Il était financé par ces autorités, ergo,
10 d'après les Juges à la majorité, et ceci n'avait aucune incidence sur le
11 contrôle effectif de Delic. Donc, ceci n'a aucun sens. C'est un exemple
12 classique de la façon dont les conclusions des Juges à la majorité ont peu
13 ou rien à voir avec les constatations effectuées.
14 Enfin, abordant la troisième question posée par la Chambre d'appel, qui
15 revient à demander si la Chambre de première instance s'est trompée
16 lorsqu'elle a conclu à l'existence d'un contrôle effectif de Delic dans
17 cette période de juillet à décembre 1995. Bien sûr que notre réponse sera
18 négative. C'est l'essentiel, c'est la quintessence même de notre premier
19 moyen d'appel. Inutile, dès lors, de répéter les arguments déjà présentés.
20 Mais dans le peu de temps qu'il me reste, il serait peut-être utile de
21 jeter les bases de certains problèmes au niveau des concepts développés par
22 les conclusions de la majorité des Juges. Voyons d'abord le concept même de
23 l'application d'ordres.
24 Pour ce qui est du pouvoir de donner des ordres et veiller à ce qu'ils
25 soient exécutés, à titre préliminaire, je vous rappelle les conclusions de
26 la Chambre de première instance avec les références aux paragraphes. Le
27 détachement et ses membres n'ont pas, de façon fiable, exécuté tous les
28 ordres donnés par l'ABiH, paragraphe 371. Le détachement a refusé de rendre
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1 un char capturé en août 1995, paragraphe 372. Le détachement a refusé
2 d'obéir à un ordre de l'ABiH, qui était d'établir une liste de tous les
3 membres pour savoir qui faisait partie de ce détachement; a refusé d'obéir
4 à un ordre de l'ABiH en octobre 1995, qui était de déclarer qu'ils avaient
5 rejoint les unités de façon volontaire. C'est important parce que sinon, il
6 était impossible de rejoindre, en vertu du règlement de l'ABiH, cette
7 armée, vous le verrez au paragraphe 113 du jugement. Ces hommes ont refusé
8 d'exécuter le décret du ministère de l'ABiH, ministère de la Défense, qui
9 était de s'inscrire auprès des secrétaires de défense municipale,
10 paragraphe 373. Ils ont établi le camp de Kamenica où cela leur plaisait
11 plutôt qu'à l'endroit indiqué par un ordre, et le commandant de la 35e
12 Division ne pouvait même pas menacer le détachement, les forcer à répondre
13 à des ordres. Lorsque ces hommes désobéissaient, il ne pouvait, lui, le
14 commandant, qu'"inviter" ces gens à une réunion en disant : "Si Dieu le
15 veut, tout ira bien."
16 Au combat, le détachement lui-même disait, et la Chambre ne le
17 conteste pas, "l'ABiH ne peut pas nous donner l'ordre d'actions de combat
18 contre notre volonté." Paragraphe 381. De façon régulière, ordinaire, le
19 détachement déclinait "d'obéir à des ordres de combat de l'ABiH."
20 Paragraphe 838 [comme interprété]. Un ancien membre de l'EMD, témoin à
21 charge, l'a dit. Il a dit que c'était bien résumer la situation que de dire
22 que le commandant de l'ABiH "donnait des ordres, mais à l'inverse d'autres
23 unités, vous, vous n'acceptiez pas ces ordres. Vous décidiez de vous-mêmes
24 si vous alliez les exécuter ou pas." Paragraphe 384. Ça avait été accepté
25 par le témoin. Même si le détachement acceptait de participer à des
26 combats, une fois sur le terrain, les commandants du détachement "prenaient
27 leurs propres décisions," paragraphe 382. Ceci étant, le commandant de la
28 35e Division n'avait même pas d'influence sur le détachement, ne pouvait
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1 pas influer, et encore moins, être à même d'exercer un contrôle effectif.
2 L'instance suprême en matière de décision, ce n'était pas le commandant de
3 l'ABiH, mais la shura, et d'ailleurs la désobéissance de ce détachement
4 serait comique si elle n'était pas tragique. Par exemple, une excuse
5 manifestement absurde de refuser à combattre c'est que parce que "les
6 feuilles tombaient," ce qui semble être une blague, et parce qu'il faisait
7 une pseudo attaque qui avait uniquement pour objectif de tromper l'ABiH. Et
8 ceci n'est pas surprenant d'apprendre, à ce moment-là, qu'il existait "une
9 grande méfiance à l'égard de ce détachement au sein de l'armée."
10 Paragraphes 389 et 443. Ils ont souvent, les membres du détachement,
11 abandonné la ligne de front sans raison.
12 La méfiance de l'armée à l'égard de ce détachement était telle que l'armée
13 ne pouvait même pas penser que l'unité n'allait pas " sacrifier ses propres
14 soldats chrétiens," paragraphe 434. Parce qu'il était inquiet pour leur
15 sécurité, celle des soldats croates et serbes de l'ABiH, le commandement du
16 bataillon a décidé de ne pas envoyer de soldats non musulmans sur la ligne
17 de front. Alors, imaginez-vous, grand Dieu, que ceci soit compatible avec
18 l'idée d'un contrôle effectif de l'armée sur le détachement quand la seule
19 façon d'empêcher que le détachement n'égorge ou ne sacrifie ses propres
20 soldats, c'était en ne les envoyant pas sur la ligne de front. Pourtant, la
21 majorité des Juges concluent que "la [imperceptible] bizarre, parce qu'on
22 dit :
23 "La démarche réticente de la part du détachement à l'égard de
24 certains ordres donnés par leur supérieur ne sème pas un doute raisonnable
25 quant à la capacité générale qu'ont ces commandants de l'ABiH de veiller à
26 l'exécution des ordres qu'ils donnent."
27 Je dis effectivement "réticent," c'est un mot bizarre, parce que ça
28 ne dit pas grand-chose, alors qu'ici on parle du fait que le détachement a
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1 bravé les ordres donnés, y a désobéi. Mais la couche qui soutient ce
2 libellé est encore plus révélatrice, parce qu'il y a une erreur
3 fondamentale au niveau du concept.
4 Une chose est claire, les unités subordonnées qui se trouvent sous le
5 contrôle effectif, elles n'ont pas tout simplement la décision de ne pas
6 participer à des opérations de combat tout simplement, par exemple, parce
7 que les feuilles sont en train de tomber. C'est tout à fait incompatible
8 avec la réalité militaire. Un niveau du concept, un ordre, on y obéit ou on
9 décide de ne pas y obéir parce qu'on n'en a pas envie, comme ça, par
10 caprice. A ce moment-là, ce n'est plus du tout un ordre. Si l'Accusation
11 dit qu'ils ont obéi à des ordres, mais non, ce n'est plus un ordre si on
12 décide à sa guise d'y obéir ou pas. Un ordre et obéir à un ordre, c'est y
13 obéir, qu'on aime ou pas, qu'on vous envoie à la mort ou pas. Lorsqu'on n'a
14 pas le choix, il faut le faire même si on va mourir.
15 Donc, ça, c'est le cas, le test fondamental, quintessenciel. Si on obéit à
16 un ordre, on obéit à un ordre si on l'exécute, qu'on l'aime ou pas. Alors,
17 est-ce qu'effectivement, le détachement "s'est conformé à des ordres,"
18 c'est le libellé que retient la Chambre, on ne peut pas dire que ceci, ça
19 veut dire qu'on obéit à des ordres. Après tout, quelquefois, il est
20 l'objectif, ces hommes étaient là pour combattre en Bosnie. Donc, bien sûr
21 qu'à un moment donné ils ont combattu.
22 Donc, le cœur du problème, c'est que si ces hommes ne voulaient pas
23 exécuter des ordres, ils ne le faisaient pas. C'est incontestable que ça a
24 été leur modus operandi. Par conséquent, ils n'ont jamais obéi à des
25 ordres, même si quelquefois, ils se sont trouvés au côté de l'ABiH pour des
26 raisons tactiques.
27 Je cite aussi : "La participation du détachement et l'engagement de celui-
28 ci au conflit armé contre la VRS est au cœur même de la décision de savoir
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1 si Rasim Delic exerçait un commandement et un contrôle effectif."
2 Paragraphe 416. Alors, je vous le demande : pourquoi est-ce que la
3 participation de ce détachement à cette question-là est au centre même de
4 la décision ? Ce n'était pas le procès de crimes de guerre commis par ce
5 détachement sur le champ de bataille. C'était un procès contre le
6 traitement réservé à des détenus. Par conséquent, ce qui est au cœur même
7 de cette décision à prendre en fin de procès, c'était de savoir s'il a pu
8 voir ces prisonniers, ce qu'on en a fait. Alors, les Juges ont dit : On va
9 retenir ce qui est le plus commode pour déterminer qu'il y a contrôle
10 effectif, et c'est bien ce qu'ils ont fait.
11 Pour ce qui est des prisonniers, c'est clair, il n'y a pas eu contrôle
12 effectif. Pour ce qui est de la capture par le détachement de soldats de la
13 VRS et du fait que ces soldats ont été détenus au camp Kamenica dans le
14 cadre de l'opération Proljece II, la Chambre a conclu que "le détachement
15 ne s'était pas conformé aux obligations déterminées par le commandant de la
16 35e Division en ce qui concerne le traitement des prisonniers." En d'autres
17 termes, le détachement a capturé des soldats qui font l'objet même de
18 l'acte d'accusation en violation flagrante des ordres de l'ABiH. Pourtant,
19 en septembre 1995, la Chambre conclut que le détachement a détenu ces
20 soldats au "mépris," j'insiste là-dessus, de l'ordre de combat donné qui
21 disait qu'il fallait remettre les prisonniers de guerre à la police
22 militaire. La Chambre a conclu que la police militaire a dû "agir de façon
23 consensuelle parce que les deux unités n'étaient pas en rapport
24 hiérarchique entre elles," paragraphe 405.
25 Le détachement a refusé l'accès au camp à des unités d'armée, surtout pour
26 ce qui est d'interrogatoires de soldats capturés aux mains du détachement
27 ou pour mener des enquêtes pénales, paragraphe 406. Le service de sécurité
28 le dit lui-même : "Tous les hommes capturés sur le contrôle du détachement
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1 qui n'autorise personne à les voir." C'est important, c'est capital, ils
2 n'autorisaient personne à les voir. Dans les paragraphes 276 et 280 [comme
3 interprété]. C'est précisément parce que l'ABiH ne pouvait pas voir ces
4 détenus que ça allait même jusqu'au point qu'on empêchait à des officiers
5 de sécurité d'aller les voir, qui disaient qu'"il n'y avait pas de
6 détenus," paragraphe 410, ce qui montre que l'armée ne pouvait pas trouver
7 et mener d'enquêtes sur des crimes commis par le détachement sur des
8 détenus. C'est l'absence d'accès qui montre qu'il y a absence de contrôle
9 effectif dans un domaine-clé. La Chambre, dans sa majorité, a commis une
10 erreur grave en droit lorsqu'elle n'a pas tiré les conclusions qui
11 s'imposaient de ce déni de justice.
12 Je vous remercie. J'ai terminé, à moins que vous n'ayez des questions pour
13 moi.
14 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous vous remercions, Monsieur Jones. Pas
15 de questions de la part des Juges pour le moment. Nous allons donc observer
16 la pause de 30 minutes. Nous reprendrons, disons, à 11 heures 45.
17 L'audience est suspendue. Merci.
18 --- L'audience est suspendue à 11 heures 12.
19 --- L'audience est reprise à 11 heures 48.
20 Mme LE JUGE VAZ : L'audience est en reprise. Je me tourne vers mes
21 collègues pour savoir s'il y a des questions à poser à M. Jones. Pas de
22 questions. Très bien. Je vous remercie.
23 Il y a une question du Juge Guney. Monsieur le Juge, vous avez la
24 parole pour la question.
25 M. LE JUGE GUNEY : Au cours de votre soumission ce matin, vous avez
26 développé amplement sur la question-clé qui se pose dans cette affaire et
27 qui est : est-ce que Rasim Delic exerçait-il un contrôle effectif sur l'EMD
28 ? Cette question est intimement liée avec la question, notre question, qui
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1 est l'information qui était mise en cause -- M. Delic était mis en cause
2 sur la base de l'article 7(3) du Statut pour les crimes commis par l'EMD.
3 Vous avez touché très peu cette deuxième question. Je voudrais savoir quel
4 rôle a été joué, l'information de laquelle il était informé -- il était
5 informé sur la base de l'article 7(3) pour les crimes commis par l'EMD,
6 donc son pouvoir de la force élevée qu'il occupait dans la hiérarchie de
7 l'ABiH, à laquelle l'EMD était subordonné. Donc, le lien, et surtout le
8 rôle qu'il a joué sur l'autorité ou le contrôle effectif de M. Delic.
9 Merci.
10 M. JONES : [interprétation] Dans la mesure où la question concerne le
11 contrôle effectif, je pense avoir couvert les principes les plus
12 importants. Le fait que Delic ait occupé une position très élevée au sein
13 de l'ABiH, et bien entendu, tout sauf un fondement permettant de dire qu'il
14 exerçait un contrôle effectif, c'est pourquoi je me suis référé à l'arrêt
15 en appel dans l'affaire Halilovic. Il serait un peu exagéré de dire qu'il
16 était au sommet de la hiérarchie et que pour cette raison, il exerçait un
17 contrôle effectif.
18 Votre question, Monsieur le Juge, semble partir de l'hypothèse que le
19 détachement était subordonné à l'ABiH, mais c'est un point que nous avons
20 souhaité remettre en question du point de vue du contrôle effectif. Notre
21 point de vue était justement que le détachement n'était pas sous le
22 contrôle effectif de l'ABiH. Je ne suis pas tout à fait certain d'avoir
23 répondu en totalité à votre question. Je pense que nous sommes entrés dans
24 suffisamment de détails dans nos écritures et dans notre présentation
25 jusqu'à présent concernant la question de l'autorité de jure et le contrôle
26 de jure.
27 L'INTERPRÈTE : Monsieur le Juge, vous êtes hors micro.
28 M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]
Page 49
1 Mme LE JUGE VAZ : S'il vous plaît, si vous voulez bien utiliser le micro,
2 Monsieur le Juge.
3 M. LE JUGE GUNEY : Excusez-moi. Est-ce que M. Delic était informé s'il
4 était mis en cause sur la base de l'article 7(3) du Statut pour les crimes
5 commis par l'EMD, et quel rôle a été joué sur une telle information sur le
6 poids de la place élevée qu'il occupait dans la hiérarchie de l'ABiH ?
7 M. JONES : [interprétation] Il me semble qu'il y a une difficulté technique
8 au compte rendu d'audience pour ce qui est de votre question, Monsieur le
9 Juge.
10 M. JONES : [interprétation] Alors, la première question, je crois, était
11 celle portant sur la question donc de savoir si M. Delic avait été informé
12 de sa mise en accusation au terme de l'article 7(3) du Statut. Je suppose
13 que vous demandez s'il en avait été informé par nous, alors bien entendu
14 qu'il était au courant d'avoir été mis en accusation au terme de l'article
15 7(3).
16 Quant à la question de savoir si M. Delic avait été informé de crimes
17 allégués eu égard à la haute position qui avait été la sienne, je ne suis
18 pas sûr que cela ait été abordé dans notre présentation ou ni même de la
19 nature des constatations de la Chambre à ce sujet ni d'ailleurs des
20 arguments de l'Accusation. Il est très difficile de répondre in extracto à
21 une telle question. Cette dernière a trait également au troisième élément
22 de la responsabilité de commandement, à savoir prendre les mesures
23 nécessaires et raisonnables. Je pense m'être assez étendu sur ce sujet dans
24 notre mémoire en appel et je voudrais simplement m'appuyer une nouvelle
25 fois sur ces arguments et renvoyer la Chambre à ce mémoire. Il serait
26 impossible maintenant pour moi de revenir en détail sur les mesures qui ont
27 été prises par Delic, cela reviendrait à se repencher à nouveau sur le fond
28 en espèce.
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1 Excusez-moi si j'ai peut-être mal compris, notre position est qu'il n'y a
2 eu aucune information de reçue concernant des crimes spécifiques pour ce
3 qui est de M. Delic, et cela est également indiqué de façon claire dans
4 notre mémoire d'appel.
5 M. LE JUGE GUNEY : Merci, Monsieur Jones.
6 Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Nous remercions M. Jones.
7 A présent, je vais donner la parole à M. le Procureur pour ses arguments en
8 réponse le texte est arrivé à la fin aux moyens d'appel avancés par M.
9 Delic.
10 Vous avez 50 minutes pour cela.
11 M. SCHNEIDER : [interprétation] Merci, Madame et Messieurs les Juges.
12 Bonjour à toutes les personnes présentes dans le prétoire. Je suis M. Todd
13 Schneider pour l'Accusation. Je vais me pencher sur la question de savoir
14 si M. Delic exerçait un contrôle effectif dans ma présentation
15 d'aujourd'hui. Et je suis tout à fait disposé, évidemment, à répondre à
16 toute question portant sur la question de savoir si M. Delic avait ou non
17 des raisons d'être au courant du crime de traitement cruel et s'il a échoué
18 ou non à prendre une mesure nécessaire et raisonnable relativement à ce
19 crime.
20 Mesdames et Messieurs les Juges, la Chambre de première instance a eu
21 raison de constater que le général Delic exerçait un contrôle effectif sur
22 le détachement en juillet, août 1995, lorsque des membres de cette dernière
23 unité ont commis le crime de traitement cruel en passant en tabac et en
24 terrorisant un groupe d'une douzaine de prisonniers serbes de Bosnie
25 pendant un mois. Le contrôle effectif est un problème qui concerne la
26 présentation des éléments de preuve. Dans ce cadre, la Défense doit pouvoir
27 démontrer devant la Chambre que cette dernière -- qu'aucun juge du fait
28 raisonnable n'aurait pu parvenir à cette conclusion. Or, cela n'était pas
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1 le cas.
2 Je voudrais simplement signaler que je vais revenir sur ce point
3 ultérieurement.
4 Alors, avant d'en revenir sur la chronologie, je voudrais commencer
5 par répondre aux trois questions soulevées par les Juges de la Chambre. La
6 première nous invitait à fournir des détails sur les indicateurs du
7 contrôle effectif, par rapport à la jurisprudence du Tribunal, à savoir
8 quels sont les facteurs pertinents dans la détermination du contrôle
9 effectif exercé ou non pas le supérieur hiérarchique. Alors, la Chambre de
10 première instance a identifié avec exactitude les marqueurs pertinents du
11 contrôle effectif en l'espèce aux paragraphes 62, 367 et 369 [comme
12 interprété] du jugement. Aujourd'hui, je vais me concentrer de façon plus
13 détaillée sur la capacité matérielle du général Delic, telle qu'elle a été
14 prouvée, capacité matérielle de prévenir et de punir les crimes commis par
15 les membres du détachement, ce qui correspond à la définition même du
16 contrôle effectif. Je vais maintenant me pencher sur un indicateur
17 particulier, la capacité à émettre des ordres qui sont ensuite exécutés.
18 Bien sûr, je serais tout à fait disposé à me pencher sur tout autre
19 indicateur du contrôle effectif que vous souhaiteriez voir abordé.
20 La seconde question était celle de savoir si les indicateurs ou les
21 marqueurs du contrôle effectif, tels qu'ils apparaissent dans le jugement,
22 sont ou non compatibles avec la notion même de contrôle effectif. La
23 réponse est non. Aucun des marqueurs envisagés n'est incompatible avec
24 cette notion pour deux raisons. Premièrement, c'est un examen au cas par
25 cas se fondant sur l'ensemble des éléments de preuve qui permettent de
26 déterminer les marqueurs en question. Cela ressort de l'arrêt en appel
27 Strugar, paragraphe 254.
28 Deuxièmement, même des cas individuels de non-conformité ne suffisent pas à
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1 démontrer un contrôle insuffisant lorsque d'autres éléments de preuve
2 montrent clairement que le commandant a la possibilité d'exercer un
3 contrôle effectif lorsqu'il souhaite le faire. Donc, la norme applicable
4 est celle du contrôle effectif, et non pas de l'obéissance absolue. Bien
5 entendu, il y a encore une référence à l'arrêt en appel Strugar.
6 Cette affaire a été citée à plusieurs reprises par la Défense,
7 précédemment. Cependant, la Défense a omis de relever un aspect important
8 de cet arrêt. Dans l'arrêt Strugar, la Chambre d'appel est parvenue à une
9 constatation qui est la suivante. Le général Strugar exerçait un contrôle
10 effectif sur ses troupes lorsque ces dernières ont procédé au pilonnage de
11 la vieille ville de Dubrovnik en décembre 1991, bien que ces mêmes troupes
12 n'aient pas exécuté les ordres précédents demandant de procéder à ce même
13 type de pilonnage. L'arrêt en appel Strugar, dans ses paragraphes numéro
14 257 et 305, confirme cela. Ces mêmes troupes ont commis différents crimes
15 d'octobre à décembre 1991, et c'est le paragraphe 257 de l'arrêt en appel
16 Strugar. La Chambre d'appel a relevé que le général Strugar avait choisi de
17 ne pas réagir suite à ces actes de désobéissance.
18 Citation : "Là où cela lui convenait, ses ordres étaient exécutés."
19 Paragraphe 259 de l'arrêt Strugar en appel.
20 La même chose s'applique dans le cas du général Delic. Il pouvait agir là
21 dans les cas où cela lui convenait.
22 Ce qui importe dans le cas Strugar, c'est que pour ce qui est du
23 manque d'accès aux prisonniers, tel que la Défense l'allègue, cela ne
24 dispense pas la Défense de démontrer qu'il y avait un manque de contrôle.
25 Comme dans le cas de l'arrêt Strugar, où on a constaté des cas précédents
26 de désobéissance, les unités n'avaient pas oublié l'ordre de procéder à un
27 pilonnage de la vieille ville, et ensuite elles ont obéi, cela ne
28 préjugeait pas d'une constatation éventuelle de contrôle effectif qui a
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1 bien eu lieu, parce qu'en fait, le général Strugar a choisi de ne pas agir.
2 Donc, lorsqu'on a affaire à des cas de désobéissance concernant des
3 prisonniers en l'espèce, cela ne préjuge en rien d'une constatation future
4 de l'exercice d'un contrôle effectif lorsqu'il existe d'autres éléments de
5 preuve permettant à la Chambre de première instance de parvenir
6 raisonnablement à la conclusion de l'existence d'un contrôle effectif par
7 le général Strugar, lorsqu'à d'autres occasions des commandants bosniens
8 avaient bien pris des mesures.
9 La troisième question soulevée par la Chambre était celle de savoir si la
10 Chambre de première instance avait commis une erreur lorsqu'elle a constaté
11 que le général Delic avait exercé un contrôle effectif sur le détachement
12 en juillet, août 1995. Cette constatation de la Chambre de première
13 instance était raisonnable. Le général Delic exerçait bien un contrôle
14 effectif, et je vais plus en détail sur ce sujet à présent.
15 Je vais me concentrer sur les deux piliers qui ont fait l'objet de
16 l'attention de la Chambre de première instance. Premièrement, le
17 détachement était subordonné à son supérieur, le général Rasim Delic,
18 pendant deux ans -- avait déjà été subordonné au général Delic pendant deux
19 ans au moment où ces crimes se sont produits, le crime notamment de
20 traitement cruel commis en juillet 1995. Deuxièmement, le général Delic
21 avait la capacité de prévenir et de punir les crimes commis par des membres
22 de cette unité compte tenu d'un nombre important de fois où d'autres
23 commandants de l'armée bosniaque avaient pris de telles mesures. De plus,
24 le détachement n'avait pas exécuté ses ordres, notamment ceux relatifs au
25 combat. En dépit de certains cas de désobéissance, le général Delic
26 exerçait malgré tout toujours un contrôle effectif.
27 Alors, pour revenir au premier point, nous allons commencer avec le général
28 Delic lui-même qui, comme vous savez, était le commandant de l'état-major
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1 du commandement Suprême de l'armée bosniaque, et par là même, l'officier le
2 plus haut gradé de cette dernière armée, ce que vous retrouverez aux
3 paragraphes 99 à 101 du jugement. Lorsqu'il a pris son poste en juin 1993,
4 il a établi son autorité de commandement et de contrôle sur toute l'armée.
5 Comme la Chambre de première instance l'a constaté, le commandement et le
6 contrôle, tels qu'ils s'exerçaient, se sont considérablement renforcés
7 entre 1993 et 1995, paragraphe 460 du jugement en première instance. Alors,
8 la Défense aujourd'hui a affirmé qu'il n'y avait aucun élément de preuve à
9 l'appui de cette constatation. Dans notre mémoire en répondre, paragraphes
10 98 à 109, nous avons avancé les nombreuses constatations et les éléments de
11 preuve détaillés qui viennent à l'appui de cette constatation, à savoir
12 l'amélioration du contrôle effectif du commandement et du contrôle exercé
13 sur l'armée.
14 A cet égard, je voudrais vous demander de vous reporter à la première
15 chronologie que j'ai distribuée et qui est intitulée : "Le Détachement El
16 Moudjahid dans sa subordination au général Delic." Cette chronologie est
17 fondée sur les constatations figurant dans le jugement. Je vais passer en
18 revue les différents événements listés dans cette chronologie. Pour une
19 meilleure référence, j'ai procédé à des divisions telles qu'elles sont donc
20 présentées.
21 Alors, cette chronologie nous montre que le détachement a été
22 subordonné au général Delic pendant une période de plus de deux ans à
23 partir du début, à partir de la création de cette unité. Nous voyons que le
24 13 août 1993, le général Delic a autorisé la constitution de cette unité et
25 sa subordination au 3e Corps. Avant cela, il avait reçu des requêtes au
26 sein de l'armée bosnienne, requête lui demandant de permettre l'intégration
27 et l'arrivée de volontaires étrangers, leur intégration au sein des
28 effectifs au sein des forces armées se trouvant en Bosnie centrale. Les
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1 combattants étrangers eux-mêmes avaient fait une requête demandant leur
2 intégration aux forces armées. Le quartier général a proposé au général
3 Delic que cela soit bien le cas, ce à quoi il a donné son accord. Il a
4 autorisé des négociations qui ont conduit à la constitution de cette unité.
5 Tout cela est abordé dans les paragraphes 172 à 176 du jugement. Ce qui est
6 important ici, c'est le fait que les commandants de l'armée bosnienne
7 souhaitaient l'intégration de ces combattants étrangers au sein de l'armée.
8 Ils souhaitaient pouvoir exercer un commandement sur eux afin d'empêcher
9 des comportements illégaux afin que les combattants eux-mêmes souhaitent
10 pouvoir intégrer les forces armées afin de s'assurer de la légalité de
11 leurs actions, paragraphes 172 à 174.
12 Une fois que cette unité a été constituée, elle a été resubordonnée à
13 plusieurs reprises au cours des deux années suivantes. Il était exact que
14 le détachement n'a pas obéi à tous ces ordres de resubordination, cela
15 correspond au paragraphe 363 du jugement. Cependant, nous avons relevé dans
16 cette chronologie les nombreuses occasions auxquelles ces resubordinations
17 ont bien eu lieu; en septembre 1993, autonome 1994, et ensuite la
18 répétition également au cours de l'année 1995, en mars, en juin et en
19 septembre. En tête de toutes ces nombreuses subordinations, nous voyons
20 l'armée de Bosnie transférer des soldats d'une partie de l'armée à
21 destination du Détachement El Moudjahid. Nous voyons pour ce qui est du
22 mois d'octobre 1994 et en août 1995. Nous relevons également dans notre
23 mémoire en réponse, paragraphe 70, le transfert d'environ 86 soldats à
24 destination du détachement, un nombre assez important. Il y a aussi une
25 resubordination dans le cadre du 5e Bataillon de manœuvre, resubordination
26 au profit du détachement, le 11 septembre 1995. Comme la Chambre de
27 première instance l'a relevé, ce transfert d'effectifs à destination de
28 l'unité, cette resubordination de certaines unités au bénéfice du
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1 détachement, montre que cette unité figurait bien dans la hiérarchie de
2 l'armée de Bosnie. Les commandants n'auraient pas renoncé au contrôle
3 qu'ils exerçaient sur un nombre aussi important de soldats pour les envoyer
4 rejoindre une entité séparée, paragraphe 467.
5 Nous voyons également des rapports relatifs au démantèlement d'unité à la
6 fin de la chronologie. Le 12 décembre 1995, le général Delic ordonne le
7 démantèlement de l'unité. Quelques jours plus tard, le 3e Corps émet un
8 ordre sur le même sujet. L'unité est démantelée au 1er janvier 1996, et nous
9 voyons que l'armée bosnienne organise une cérémonie d'adieu à l'intention
10 de cette unité à laquelle le général Delic est présent en personne.
11 Alors, en dehors de ces nombreux événements faisant partie de cette
12 chronologie, nous avons également toutes les constatations figurant au
13 jugement montrant que les commandants de l'armée de Bosnie ont émis des
14 dizaines d'ordres à l'attention de cette unité. Nombreux de ces ordres
15 figurent en note de bas de page 1 183 du jugement. Ces ordres sont relatifs
16 au combat, au redéploiement, à l'envoi de rapports et à d'autres sujets.
17 Alors, nous ne sommes pas en train de suggérer que le détachement s'est
18 conformé à tous ces ordres; plutôt nous souhaitons nous placer dans le
19 contexte de la subordination de cette unité. Nous souhaitons souligner
20 qu'il y avait un très grand nombre d'ordres émis à l'attention de cette
21 unité et que ce simple fait, le très grand nombre d'ordres émis pendant
22 cette période de plus de deux ans, montre que le détachement était bien à
23 l'intérieur de la hiérarchie de l'armée de Bosnie. Il aurait été illogique
24 pour les commandants de cette dernière d'émettre autant d'ordres à
25 l'attention d'une unité qui n'aurait pas fait partie de leur propre
26 structure.
27 Comme nous l'avons déjà avancé, la première Chambre de première instance a
28 constaté, de façon tout à fait raisonnable et juste, que le détachement
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1 était subordonné au général Delic pendant deux ans, et notamment en juillet
2 1995.
3 Mme LE JUGE VAZ : [aucune interprétation]
4 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Vous conviendrez avec moi que la
5 question de traitement des prisonniers est essentielle au niveau de cet
6 appel. Je vous remercie beaucoup si vous pouviez, en présentant vos
7 arguments, expliquer aux Juges de la Chambre comment le manque des
8 opérations du détachements eu égard au traitement des prisonniers est
9 quelque chose qui ait une incidence sur les condamnations qui ont été
10 prononcées. Je vous remercie.
11 M. SCHNEIDER : [interprétation] Bien entendu, Madame et Messieurs les
12 Juges. Je vais commencer en disant que tous les éléments de preuve
13 disponibles montrent le caractère juste et raisonnable des constatations de
14 la Chambre de première instance concernant le contrôle effectif et les
15 domaines dans lesquels s'exerce le contrôle.
16 Pour ce qui est de la question des prisonniers, il est exact que le
17 détachement a refusé l'accès aux prisonniers à certaines occasions pour ce
18 qui est des prisonniers qu'il détenait dans son camp. Mais simultanément,
19 il faut aussi noter que certains des prisonniers ont été transférés
20 immédiatement, paragraphe 403 du jugement. Le détachement a également remis
21 d'autres prisonniers en fin de compte, bien qu'il ne l'ait pas fait à
22 temps, y compris les prisonniers de juillet 1995, paragraphe 283.
23 De plus, les membres du détachement ont bien permis un accès à leurs
24 prisonniers soumis aux crimes de traitement cruel en juillet. Cela s'est
25 produit presque aussitôt que ces hommes ont été capturés et s'est traduit
26 par des entretiens de renseignement auxquels il a été procédé avec ces
27 prisonniers. Leur renseignement était l'objectif même de cette demande
28 d'accès aux prisonniers. Cela figure aux paragraphes 274, 275, 282 et 549.
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1 De plus, la Défense a affirmé aujourd'hui qu'il avait été impossible
2 d'avoir accès à certains prisonniers, en page 32, cela n'est pas exact si
3 l'on se remémore les constatations du jugement. En dehors de la question
4 spécifique des prisonniers, je voudrais également avancer que des soldats
5 de l'armée de Bosnie et des commandants ont pu entrer à d'autres occasions
6 au camp, paragraphes 411 et 431. De plus, il y avait de nombreuses réunions
7 entre des membres du détachement et leurs supérieurs au sein de l'armée de
8 Bosnie. Nombre de ces réunions sont relevées dans les paragraphes 427 et
9 433 du jugement. Cela montre que le détachement était bien disponible et
10 accessible pour ce qui est de la question des prisonniers et ils ne se sont
11 dissimulés en aucune manière à cet égard. Il était tout à fait possible et
12 aisé d'entrer en contact avec les prisonniers alors que les demandes qui
13 ont été formulées ne concernaient que des entretiens aux fins de collecter
14 des informations de renseignement militaire.
15 La Chambre de première instance a constaté qu'il y avait eu des
16 contacts répétés et des communications à plusieurs reprises entre le
17 détachement et ses supérieurs, ce qui ne remet évidemment en aucun cas en
18 cause le caractère raisonnable des constatations de cette dernière.
19 Alors, pour revenir à la question de la subordination en général, non
20 seulement il était raisonnable pour la Chambre de première instance de
21 constater cette subordination, mais la Défense n'a pas réussi à montrer que
22 la Chambre de première instance n'est pas convenue à une constatation, une
23 conclusion raisonnable en rejetant la théorie de la coopération et du
24 contrôle externe avancée par la Défense.
25 Pour ce qui est de la coopération, il ne s'agit pas ici simplement de
26 coopération ou d'exercer une influence. Comme la Chambre de première
27 instance l'a relevé, la Défense s'y est également référée, la notion de
28 coopération suppose des entités distinctes, indépendantes plutôt qu'une
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1 structure militaire unique. La coopération suppose un accord mutuel plutôt
2 que l'exécution d'ordre. Cela figure aux paragraphes 345, 349, 350 du
3 jugement. La Défense a aujourd'hui soulevé la question de savoir s'il
4 existait la moindre constatation dans le jugement qui serait incohérente
5 avec la notion de coopération. Bien entendu qu'il y en a. Lorsque vous
6 coopérez avec quelqu'un, vous ne procédez à une -- si vous êtes dans un
7 processus de coordination, vous ne pouvez pas constituer une unité, vous ne
8 pouvez pas la démanteler, vous ne pouvez pas émettre des dizaines d'ordres
9 à l'attention de cette unité, vous ne pouvez pas transférer des soldats à
10 destination de cette unité ni les cantonner dans un quartier général, vous
11 ne pouvez pas promouvoir des membres de cette unité ni leur accorder des
12 distinctions, vous ne pouvez pas émettre des passeports à leur attention ni
13 leur accorder des autorisations de voyage à l'étranger, comme le général
14 Delic l'a fait personnellement. Paragraphe 422 du jugement. Vous ne pouvez
15 pas non plus vous livrer de façon répétée à des enquêtes portant sur cette
16 unité, et j'y reviendrai. Voilà pour ce qui est de la subordination.
17 Pour ce qui est de la théorie du contrôle avancée par la Défense,
18 bien entendu que le détachement a reçu une aide financière et logistique de
19 la part des autorités qui étaient locales, paragraphe 441. Ils ont reçu un
20 soutien financier et ont communiqué avec des institutions étrangères
21 privées, paragraphe 442. Cependant, ces actions de soutien ne sont pas des
22 éléments de preuve à l'appui d'un éventuel contrôle par ces facteurs
23 étrangers ni des éléments à l'appui d'une éventuelle ingérence ou dans le
24 contrôle exercé par l'armée de Bosnie sur cette unité, sur le détachement
25 qui lui était subordonné. La façon dont la Défense se concentre sur la
26 théorie d'un contrôle exercé par d'autres par des facteurs étrangers fait
27 tout simplement abstraction du contrôle exercé par le général Delic et les
28 commandants de l'armée de Bosnie.
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1 A cette étape, je voudrais me pencher sur la question de la subordination
2 au général Delic par rapport à sa capacité matérielle de prévenir et de
3 punir les crimes, et je voudrais me référer à la seconde chronologie que
4 j'ai distribuée. Elle est basée sur les constations du jugement. Je
5 voudrais donc que vous puissiez vous y reporter. Cette chronologie est
6 pertinente pour ce qui est des événements qui ont trait à la prévention et
7 à la punition des actes concernés.
8 Avant de rentrer dans le détail de ce tableau, je voudrais corriger une
9 affirmation qui a été avancée par la Défense concernant la question de la
10 capacité de prévenir ou de punir les crimes de guerre. Il n'y a pas de
11 limitation dans la jurisprudence pour ce qui est de cette capacité de
12 prévenir ou de punir les crimes commis par les subordonnés. Nous allons en
13 voir des exemples.
14 Tout d'abord, pour ce qui concerne la prévention, nous voyons qu'au mois de
15 décembre 1993, le général Delic lui-même ordonne qu'il soit mis un "terme"
16 aux agissements de cette unité du Détachement El Moudjahidin et d'une autre
17 unité. Au printemps 1995, nous voyons le général Delic, une fois encore,
18 participer personnellement à une autorisation qui est donnée pour lancer
19 l'opération Vranduk, destinée à mettre un terme aux activités illégales des
20 membres de l'unité. A peu près à la même l'époque, le 12 avril 1995, le
21 général Delic prend connaissance d'un rapport faisant état de, je cite,
22 "activités inacceptables qui sont le fait de membres du e Moudjahidine," et
23 il émet alors un rapport destiné à l'administration de la sécurité, "une
24 proposition afin de trouver une solution à cela."
25 Avançons maintenant au mois de juillet 1995, nous voyons qu'il y a une
26 enquête par l'administration de la sécurité militaire, enquête portant sur
27 les menaces proférées par des membres de l'unité, menaces proférées contre
28 un propriétaire de magasin, et l'administration de la sécurité annonce
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1 qu'elle prendra des mesures afin d'empêcher de tels incidents. Pour finir,
2 en décembre 1995, un membre du Détachement El Moudjahid est admis au sein
3 des forces armées -- il y a un membre du Détachement El Moudjahid qui
4 reconnaît que :
5 "L'armée les a empêchés ce jour de procéder à une attaque contre
6 Zepce, attaque motivée par le désir de revanche."
7 A peu près à la même époque, simultanément, nous voyons que pendant ces
8 deux années, il y a eu des mesures de prises visant à punir, pendant toute
9 l'année 1995, et cela est encore une fois crucial. Nous voyons qu'il y a eu
10 des enquêtes qui ont été le fait des organes de la sécurité militaire,
11 enquêtes portant sur des membres du détachement à de nombreuses reprises :
12 en janvier pour enlèvement et mauvais traitement; le 23 mars pour torture;
13 le 26 mai pour profanation de cimetière, de sépultures; en juillet pour
14 menaces proférées contre un soldat de l'armée de Bosnie. La Défense a
15 avancé que ces menaces avaient été proférées à de nombreuses occasions --
16 ce matin, c'est ce que la Défense a avancé, et elle a affirmé que cela
17 avait résulté en des enquêtes dans cette instance particulière. Pour finir,
18 en octobre 1995, nous voyons qu'il y a eu une procédure au pénal lancée
19 contre un membre du Détachement El Moudjahid, et cette fois-ci pour vol.
20 Tous ces exemples montrent la capacité matérielle du général Delic à
21 prévenir et à punir les crimes commis par des membres du détachement. La
22 Défense a tort de suggérer que lorsqu'il s'agit de se pencher sur la
23 question de savoir si la Chambre de première instance a conclu
24 raisonnablement à sa capacité de prévenir et de punir les crimes, il
25 faudrait se concentrer uniquement sur ce que le général Delic a fait et
26 faire la distinction avec les actes entrepris par ses subordonnés.
27 Un incident qui ne figure pas dans cette chronologie et qui a été mis en
28 avant par la Défense ce matin concerne la 35e Division et la demande qui
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1 émanait d'elle, une demande d'aide adressée aux autorités locales
2 concernant des comportements de membres de cette unité. Paragraphe 441 du
3 jugement. Alors, l'importance de cette requête est qu'encore une fois, les
4 commandants de l'armée de Bosnie et le général Delic, au besoin, par
5 l'intermédiaire de leurs subordonnés, auraient pu agir soit de façon
6 individuelle, soit à plusieurs occasions, comme on le voit dans cette
7 chronologie, des actions entreprises par la sécurité militaire, afin de
8 venir en aide -- avec ou sans l'aide des autorités civiles, paragraphe 441,
9 et également pour ce qui est de l'arrestation des meurtriers présumés de
10 Paul Goodall. C'est là une des nombreuses options qui étaient disponibles
11 pour prévenir et punir les crimes commis par cette unité.
12 Mme LE JUGE VAZ : C'était pour vous demander de ralentir un petit peu,
13 parce qu'au niveau de l'interprétation, c'est assez difficile. Merci.
14 M. SCHNEIDER : [interprétation] Pardonnez-moi.
15 Tous les événements qui ont été décrits dans cette chronologie, les
16 enquêtes, les arrestations, les poursuites pénales, montrent que la Défense
17 n'a pas eu raison lorsqu'elle a affirmé ce matin que l'emploi de la force
18 était la seule option. Il y a d'autres mesures qui étaient à la disposition
19 du général Delic, surtout en juillet 1995, ceci permet de démontrer qu'il
20 avait la capacité à empêcher et punir ces crimes. Ces nombreux exemples
21 montrent que les constatations de la Chambre étaient raisonnables, à savoir
22 que M. Delic pouvait prévenir ou empêcher les crimes.
23 Ceci montre, de surcroît, que la Défense s'est trompée lorsqu'elle a
24 affirmé qu'il était impossible pour le général Delic d'agir. Nous savons
25 qu'il avait le choix de ne pas agir plutôt qu'une impossibilité qui se
26 présente à lui, compte tenu du nombre de fois mis en exergue dans cette
27 chronologie que le général Delic et d'autres commandants de l'ABiH avaient
28 pris des mesures pour prévenir ou punir les crimes commis du Détachement El
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1 Moudjahid. Ceci montre que tout ceci n'est pas vrai, que le Détachement El
2 Moudjahid avait une tendance à la violence, et il confronte le Détachement
3 El Moudjahid qui commençait une guerre sur le troisième front. Ceci est
4 mentionné dans l'opinion dissidente de M. le Juge Moloto, aux paragraphes 8
5 et 9; la question mentionnée par la Défense au niveau des constations des
6 Juges de la Chambre, au paragraphe 468, que ces allégations de violence
7 n'étaient pas crédibles. Le fait que la Chambre de première instance
8 rejette ces allégations du troisième front et de violence est tout à fait
9 raisonnable compte tenu des constatations présentées devant la Chambre et
10 compte tenu du nombre de fois où ceci a été mis en exergue dans la
11 chronologie où le général Delic et les autres commandants de l'armée de
12 Bosnie avaient pris des mesures pour empêcher ou punir les crimes sans
13 qu'il y ait de violence ni de troisième front.
14 La question qui se pose, c'est : si l'armée de Bosnie pouvait prendre des
15 mesures de façon générale, pourquoi cette armée n'a-t-elle pas réagi en
16 juillet et en août 1995 à propos des crimes précis de traitement cruel ? La
17 réponse est celle de l'opportunisme militaire. Ils ont estimé que c'était
18 une priorité que le Détachement El Moudjahid se conforme aux ordres de
19 combat et que c'était plus important que cette conduite irrégulière dans
20 d'autres endroits. Tout d'abord, à cet égard, nous avons la pièce 583, au
21 30 août, un rapport de la sécurité militaire. Le jugement cite, à la note
22 en bas de page 1 159. Ceci a été cité à maintes reprises dans notre mémoire
23 en réponse, au paragraphe 39. Dans ce contexte, nous parlons, en fait, de
24 conduite irrégulière répétée de la part des membres du Détachement El
25 Moudjahid dans les rapports de la sécurité militaire :
26 "Aucune mesure énergique n'a été prise de sorte que les rapports entre
27 cette unité et ces derniers ne sont pas diminués en raison des opérations
28 de combat qui doivent être menées avec succès dans le meilleur des cas."
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1 Le moment est clé dans ce cas. Il est exact de dire qu'après le crime
2 de traitement cruel, que les crimes de traitement cruel n'aient cessé en
3 août 1995, et juste avant que l'armée de Bosnie ne lance l'opération Farz
4 et Uragan, en septembre 1995, au cours duquel le Détachement Moudjahid a
5 joué un rôle-clé, leur a permis d'assurer le succès de ces objectifs
6 militaires très importants pour l'armée de Bosnie.
7 Il est vrai que la pièce 538 [comme interprété] contient également une
8 allégation assez générale sur le Détachement El Moudjahid, à savoir "qu'il
9 agissait de façon indépendante et ne respectait pas le système de direction
10 et de commandement". La Défense a cité ceci dans son mémoire en réponse au
11 paragraphe 19. Nous avons déjà relevé les mêmes termes utilisés dans la
12 note en bas de page 114 de notre mémoire en réponse. Ce qui est très
13 important, c'est que la Chambre de première instance a estimé que cette
14 allégation générale devait être perçue avec un certain scepticisme et n'a
15 pas, de façon raisonnable, avancée tous les éléments précis portant sur le
16 contrôle et sa capacité à empêcher et punir les crimes déjà débattu. Le
17 fait que, dans ce même rapport sur la même page, la sécurité militaire dit
18 à propos du Détachement El Moudjahid "qu'ils avaient terminé et rempli
19 toutes les missions militaires qui leur avait été confiées". Nous ne les
20 contrôlons pas, mais ils font tout ce que nous leur demandons de faire.
21 Ceci n'a aucun sens.
22 A cet égard également, la pièce 938, une pièce que la Défense a évoquée
23 dans ses arguments aujourd'hui. Le 5 juillet 1995, rapport de la sécurité
24 militaire porte sur l'enquête dont les menaces proférées par le Détachement
25 El Moudjahid contre un soldat de l'armée de Bosnie qui a été débattu
26 longtemps par la Défense, et je remarque que ceci figure également dans
27 notre chronologie. La pièce qui porte le numéro 1162 du jugement. Le
28 rapport montre que la sécurité militaire a rencontré les soldats qui
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1 faisaient l'objet de menace, "les a consolés en leur disant qu'ils
2 pouvaient tout faire et que l'unité ci-dessus mentionnée," le détachement,
3 "ferait tout ce qu'on leur demanderait de faire afin d'exécuter les
4 missions qui avaient été prévues, occuper Paljenik et Vozuca."
5 Donc, c'était un objectif militaire-clé, comme nous l'avons indiqué plus
6 tôt, Vozuca, pour l'armée de Bosnie, au paragraphe 86 du jugement.
7 Effectivement, la ville a été prise avec succès en septembre 1995, et c'est
8 Paljenik qui est citée dans le rapport comme étant "la porte d'entrée dans
9 la poche de Vozuca." Paragraphe 398.
10 Rien dans ces pièces n'indique qu'il était impossible de réprimer le
11 Détachement El Moudjahid. Plutôt, le rapport ou la sécurité militaire
12 indique : Laissons-les pour l'instant parce que nous en avons besoin au
13 niveau de nos opérations de combat.
14 Comment le commandant de l'armée de Bosnie savait qu'ils
15 obtiendraient ce succès militaire avec le détachement ? Tout simplement
16 parce qu'ils savaient que le Détachement El Moudjahid suivait les ordres et
17 les obéissait, en particulier des ordres qui portaient sur des combats.
18 Comme les Juges de la Chambre l'ont constaté, l'armée de Bosnie contrôlait
19 la participation et l'engagement du Détachement El Moudjahid dans les
20 combats, paragraphe 461. Ce qui est encore plus important, le Détachement
21 El Moudjahid ne combattait jamais sans autorisation de ses supérieurs de
22 l'armée de Bosnie, paragraphes 386 et 465.
23 Surtout au niveau des opérations de combat autour du mois de juillet 1995
24 et les allégations de traitement cruel, le détachement suivait de façon
25 répétée les ordres, obéissait aux ordres. En mai 1995, l'opération
26 Proljece, où ils étaient le fer de lance dans l'attaque pour laquelle ils
27 avaient donné un ordre. En juillet 1995, l'opération Proljece II, où ils
28 étaient les premiers à attaquer et ils ont obéis aux ordres portant sur
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1 l'attaque. Ils ont obéi à différents ordres lorsqu'il s'agissait
2 d'attaquer. Tout ceci est cité dans le jugement de première instance aux
3 paragraphes 394 à 402.
4 Il est vrai, comme l'indique le jugement, comme cela a été indiqué par la
5 Défense, qu'il y avait une non-conformité ou non-exécution d'ordres de
6 combat, nous devons comprendre comment ceci est arrivé. Tout d'abord, le
7 Détachement El Moudjahid mettait en cause des ordres de leurs supérieurs
8 hiérarchiques, cela faisait partie d'un processus généralisé dans l'armée
9 de Bosnie lorsqu'on planifiait des opérations, aux paragraphes 377 à 379.
10 Plus précisément, les Juges de la Chambre ont constaté que ce rapport
11 dialectique s'appliquait au détachement El Moudjahid et ses supérieurs
12 hiérarchiques dans l'armée de Bosnie, paragraphe 465.Il y a eu quelques
13 moments où le Détachement El Moudjahid a refusé de participer dans des
14 attaques au moment où on leur avait donné l'ordre de le faire. Ceci, il ne
15 s'agissait pas de dire : Nous n'allons pas combattre et nous allons
16 simplement rester assis. Non. Le fait de ne pas mener les combats à ce
17 moment-là était une décision motivée parce que le détachement partageait ce
18 point de vue avec les supérieurs hiérarchiques. C'était soit l'unité, soit
19 les conditions sur le champ de bataille qui n'étaient pas prêtes au moment
20 de [imperceptible], aux paragraphes 388 à 390 du jugement. Comme l'ont
21 constaté les Juges de la Chambre, les supérieurs hiérarchiques de l'armée
22 de Bosnie s'étaient mis d'accord avec le détachement et leur estimation des
23 faits parce que ces attaques devaient être menées plus tard, et la
24 troisième attaque a été abandonnée. Paragraphes 388 à 390 du jugement.
25 Ce qui était encore plus important, aucune mesure ou sanction n'a été
26 proférée contre les membres du Détachement El Moudjahid pour n'avoir pas
27 exécuté cet ordre, paragraphe 462 du jugement. Simplement pour répondre à
28 un point qui a été soulevé par la Défense un peu plus tôt, lorsque le
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1 détachement a dit que les conditions sur le champ de bataille n'étaient pas
2 bonnes simplement parce que les feuilles étaient tombées n'était pas une
3 "plaisanterie," c'était plutôt parce qu'il s'agissait d'une considération
4 importante. Autrement dit, il n'y avait pas de feuilles pour cacher les
5 attaquants, et donc les combattants ennemis auraient pu aisément les
6 apercevoir, pages du compte rendu d'audience 66 à 67 du Témoin Awad, qui
7 venait de la région.
8 Mais ce qui est important à propos de ces retards au niveau de ces
9 attaques, ceci s'est terminé à la fin du mois de mars 1995. Le Détachement
10 El Moudjahid s'est conformé aux ordres pendant la période allant du mois de
11 mai au mois de septembre 1995, au moment où les traitements cruels ont été
12 commis en juillet 1995. De surcroît, cette même exécution des ordres est
13 très différente du fait d'empêcher ou de punir les crimes. En réalité, bon
14 nombre des exemples cités par la Défense ont allégué qu'il y avait une non-
15 exécution des ordres. Ceci ne montre pas qu'il y avait une quelconque
16 interférence de la capacité des supérieurs à prévenir ou empêcher les
17 crimes. Effectivement, ils ont établi un camp à 13 kilomètres de Zavidovici
18 plutôt que 12. Oui, ils ont refusé de se conformer à bon nombre des
19 demandes qui leur avaient été envoyées par le biais de documents qui ont
20 été cités ce matin au paragraphe 373 du jugement. En fait, ceux-ci ne
21 contredisent pas les exemples de prévention ou de punition qui ont déjà été
22 abordés.
23 Même la question de la transmission des rapports, les Juges de la Chambre
24 ont constaté de façon raisonnable que le détachement et tous les rapports
25 compensaient en partie leur manquement à soumettre des rapports par écrit,
26 au paragraphe 463 du jugement. Peut-être si nous voulons aborder une
27 question que je veux soulever et qui a été évoquée un plus tôt par M. le
28 Juge Meron, lorsqu'il s'agissait de tenir compte du fait que la 35e
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1 Division était subordonnée au détachement El Moudjahid et qu'il y avait un
2 système de transmission de rapports directement et qu'il y avait ce système
3 de transmission entre la 35e Division et le 3e Corps, ceci concorde avec ce
4 qui se passait à l'époque, parce que le détachement était placé sous la 35e
5 Division, et le 3e Corps donne des ordres directement au Détachement El
6 Moujahid. Et ceci se trouve au paragraphe 431 du jugement. Donc, il ne
7 serait pas surprenant de constater que le détachement rendait compte
8 directement, en septembre 1995, au commandant qui leur donnait en même
9 temps les ordres. Très honnêtement, ce qui est important sur la question de
10 la transmission des rapports, c'est à quel niveau, pour finir, le général
11 Delic se trouvait aussi dans la 35e Division et le 3e Corps, et qui rendait
12 compte ou transmettait des rapports sous lui. Ceci n'avait pas d'incidence
13 sur l'envoi d'information aux personnes qui se trouvaient au-dessus de lui
14 ni à la transmission des informations aux personnes qui se trouvaient en
15 dessous de lui.
16 M. LE JUGE VAZ : Oui.
17 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.
18 [interprétation] A supposer qu'il y avait une exécution générale des
19 ordres de combat, est-ce que ceci ne pourrait pas être expliqué par le fait
20 qu'il y avait une coopération sur le plan tactique plutôt que sur la base
21 d'une structure de commandement ? Et je souhaite que vous soyez précis,
22 s'il vous plaît, pour ce qui est de la question de l'exécution des ordres
23 qui n'ont pas trait aux ordres de combat, mais qui ont trait au traitement
24 de personnes, en particulier les prisonniers de guerre. Je vous remercie.
25 M. SCHNEIDER : [interprétation] Oui, pour ce qui est des faits dans cette
26 affaire, l'exécution des ordres émis est présentée comme exemples de
27 subordination du Détachement El Moudjahid aux supérieurs hiérarchiques
28 plutôt que d'exemples de coopération. Comme je l'ai dit un peu plus tôt,
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1 différentes mesures qui ont été prises par cette unité lorsqu'il s'agissait
2 de l'établir, de la démanteler, de leur donner des ordres, d'en promouvoir
3 les membres, de leur donner des distinctions, et cetera, si vous allez
4 coopérer avec une unité, vous ne faites pas cela, vous ne vous en donnez
5 pas la peine.
6 Pour ce qui est de l'exécution des ordres concernant le traitement
7 des prisonniers de guerre, tout d'abord -- encore une fois, j'ai évoqué le
8 fait qu'il y avait un accès direct à ces prisonniers de guerre, et ce,
9 rapidement, mais s'il n'y avait pas eu de violations sur le traitement des
10 prisonniers, il n'y aurait pas de procès aujourd'hui. Hormis cela, nous
11 constatons que le Détachement El Moudjahid traite d'autres prisonniers
12 correctement, comme ils sont censés le faire conformément aux lois de la
13 guerre, et les remettent immédiatement, au paragraphe 403 du jugement.
14 Si je peux revenir brièvement sur la question des rapports. Toute
15 question sur les problèmes au niveau des transmissions des rapports n'a
16 rien à voir avec l'incapacité ou l'impossibilité à prévenir ou à punir les
17 crimes. Nous avons bon nombre d'autres exemples de ceci dans d'autres cas.
18 Il ne s'agit pas de s'ingérer dans la connaissance ou non d'autres crimes
19 dont ont connaissance les membres du Détachement El Moudjahid. En
20 particulier, pour ce qui est des prisonniers au mois de juillet qui
21 faisaient l'objet de traitements cruels, d'autres membres de l'armée de
22 Bosnie étaient informés de la situation malgré le fait qu'il y ait des
23 "problèmes de transmission" à ce moment-là, paragraphes 274 à 282.
24 Ce que la Défense tente de faire, c'est d'utiliser une loupe pour
25 mettre en exergue un élément et ne se concentrer que sur cet élément. La
26 Chambre de première instance a, comme il se doit, analysé l'ensemble de la
27 situation et toutes les circonstances, tous les événements qui se sont
28 déroulés entre 1993 et 1995 plutôt que de se concentrer simplement sur des
Page 71
1 incidents isolés, paragraphe 370.
2 La Défense a fait état, plusieurs fois aujourd'hui, a mentionné
3 l'arrêt Hadzihasanovic. Mais, Madame et Messieurs les Juges, le Détachement
4 El Moudjahid, dans l'affaire Hadzihasanovic en octobre 1993, représentait
5 une unité très différente de ce qu'était le Détachement El Moudjahid en
6 juillet 1995 en l'espèce. Et cela, bien entendu, concerne la question du
7 Juge Liu posée précédemment. Cette période-clé de deux ans et la différence
8 qui en résulte se traduisent dans de nombreux exemples de subordination et
9 de contrôle qui ont déjà été abordés aujourd'hui. En l'espèce, il y a eu
10 une constatation d'un manque de contrôle en 1993 concernant une unité qui
11 avait précédé le détachement. A cet égard, je voudrais également appeler
12 l'attention des Juges à une note citée par la Défense, note du paragraphe
13 381 du jugement faisant état d'un rapport émanant de l'unité et concernant
14 la question de savoir s'ils faisaient ou non partie de l'ABiH. Cela
15 correspond encore une fois à novembre 1993, donc presque deux ans avant la
16 commission du crime de traitement cruel en 1995, en juillet.
17 Il y a éventuellement d'autres différences importantes entre le
18 Détachement El Moudjahid de l'affaire Hadzihasanovic et celui de l'espèce.
19 Tout d'abord, il y avait pratiquement aucun ordre émis à l'attention de
20 l'unité dans l'affaire Hadzihasanovic. Trois seulement d'entre eux sont
21 discutés dans les paragraphes 199 et 200 du jugement, alors qu'ici, des
22 dizaines d'ordres ont été émis à l'attention du détachement. Et dans
23 Hadzihasanovic, on a relevé que la communication et le contact qui
24 existaient avec le détachement étaient difficiles et qu'il n'avait
25 pratiquement aucune enquête portant sur les membres de ce dernier,
26 paragraphes 211, 218 et 219. Alors qu'ici, les communications étaient
27 faciles, il y avait eu de nombreuses réunions entre le détachement et ses
28 supérieurs, un accès avait été permis au camp de prisonniers à certaines
Page 72
1 occasions. De plus, il y a eu de nombreuses enquêtes, des procédures au
2 pénal ont été diligentées et des mesures ont été prises suite à certains
3 comportements et infractions commises par des membres de l'unité, tel que
4 cela est décrit en l'espèce.
5 Et pour finir, les commandants de l'ABiH ont émis, de façon répétée, des
6 ordres, ont proféré des menaces dans l'affaire Hadzihasanovic pour essayer
7 de libérer les prisonniers qui étaient détenus. Alors qu'ici en l'espèce,
8 les seules mesures prises consistaient à procéder à des entretiens visant à
9 collecter des informations de renseignement, des entretiens de ces
10 prisonniers.
11 Pour résumer, Madame et Messieurs les Juges, le détachement était
12 subordonné à son supérieur, le général Delic, pendant deux ans déjà en
13 juillet 1995. De plus, le général Delic avait la capacité matérielle de
14 prévenir et de punir les crimes commis par les membres de cette unité étant
15 donné le nombre de fois où de telles mesures avaient déjà été prises.
16 Par conséquent, il était tout à fait raisonnable, du point de vue de
17 la Chambre de première instance, de constater que le général Delic exerçait
18 bien un contrôle effectif. La Défense n'a pas réussi à démontrer le
19 contraire. Au lieu de cela, elle s'est concentrée sur des affirmations de
20 nature très générale plutôt que sur les spécificités des constatations et
21 des éléments de preuve. C'est pourquoi nous demandons, avec tout le respect
22 dû, qu'il ne soit pas fait droit aux demandes de la Défense concernant le
23 contrôle effectif, que le moyen d'appel un soit rejeté, et cela conclurait
24 mon intervention sur ce point. Je vous remercie. A moins qu'il n'y ait des
25 questions sur ce point ou sur les deux moyens d'appel, je voudrais vous
26 demander de rejeter également ces autres moyens en appel.
27 Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Schneider.
28 Pas de questions de la part des -- Oui, M. le Juge Liu voudrait vous
Page 73
1 poser une question.
2 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup de nous avoir donné
3 ces chronologies assorties de vos commentaires sur les différences existant
4 entre ces deux procès, le procès Hadzihasanovic et la présente affaire.
5 Quelle est votre position, vu la réponse de la Défense, à la question que
6 j'ai posée ce matin ? Si je ne m'abuse, Me Jones dit que la Chambre de
7 première instance a eu tort de ne pas étayer de façon essentielle la
8 question de savoir si la direction et le commandement s'étaient
9 considérablement améliorés en 1995 par rapport à 1993.
10 M. SCHNEIDER : [interprétation] Me donneriez-vous le temps de consulter mes
11 collègues.
12 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
13 M. SCHNEIDER : [interprétation] Merci d'avoir fait preuve de patience. Aux
14 paragraphes 98 à 109 de notre mémoire, nous parlons des conclusions
15 montrant l'amélioration intervenue dans l'ABiH. Je mettrais surtout en
16 exergue qu'au paragraphe 200 -- 460, il est dit que le fonctionnement
17 général en matière de planification et de préparation des ordres s'est
18 amélioré, notamment grâce aux efforts faits par le général Delic. Dans ce
19 même paragraphe, on parle des difficultés en matière de loyauté lorsqu'on a
20 parlé de la prise de fonctions du général Delic.
21 Aux paragraphes 136 et 137, le général Delic a autorisé plusieurs
22 opérations précises, je cite, "pour enlever les obstacles s'opposant au bon
23 fonctionnement du système de direction et de commandement de l'ABiH."
24 Autant de mesures et d'autres éléments de preuve qui montrent que la
25 conclusion de la Chambre fût raisonnable, à savoir que de façon générale,
26 la direction s'était améliorée dans l'armée.
27 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous dites donc que la Chambre ne s'est
28 pas trompée, car on trouve ici et là plusieurs raisons justifiant cette
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1 conclusion, et que pris ensemble, ces différents points résument bien le
2 côté raisonnable de la décision ?
3 M. SCHNEIDER : [interprétation] Vous l'avez dit mieux que moi, Monsieur le
4 Juge.
5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.
6 Mme LE JUGE VAZ : Merci.
7 Nous donnons la parole à M. le Juge Meron, qui voudrait vous poser une
8 question.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Schneider, si je vous ai bien
10 compris, il y a quelques instants, vous disiez qu'à l'inverse
11 d'Hadzihasanovic, Delic et d'autres ici n'ont rien fait pour vraiment
12 s'occuper de la question des prisonniers. Ce paragraphe 403 du jugement, il
13 y est dit qu'il y avait un ordre permanent du commandant de la 35e Division
14 à propos du traitement réservé aux prisonniers et qu'en fonction de cet
15 ordre, les prisonniers devaient être emmenés à l'unité de sécurité la plus
16 proche, puis déférés à la 35e Division.
17 Donc, des ordres avaient été donnés pour amener les prisonniers à un
18 lieu central où ils seraient mieux protégés, supposément. Si j'ai bien
19 compris, cet ordre n'a pas été appliqué. Quelle conclusion devons-nous en
20 tirer ?
21 M. SCHNEIDER : [interprétation] J'essayerais de répondre de deux
22 façons. Tout d'abord, cet ordre a été appliqué dans une certaine mesure,
23 comme c'est dit dans ce paragraphe. Parfois, les prisonniers étaient remis
24 aussitôt. De plus, ces ordres d'application générale ne suffisent pas, dans
25 le concept des mesures raisonnables, ne suffisent pas à prouver que ces
26 ordres suffisent face aux informations alarmantes transmises dans toute
27 l'ABiH jusqu'à l'échelon du général Delic.
28 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci. Je suppose que la Défense me
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1 dira plus tard s'il y a eu un ordre plus spécifique.
2 Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Pocar voudrait vous poser une question.
3 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] J'essaie de bien saisir la
4 situation telle qu'elle s'est présentée dans les faits. En effet, bon
5 nombre de vos arguments portaient sur le lien de subordination de jure. Là,
6 la collaboration est sans doute aisée. Mais ce qui compte, c'est la
7 situation dans les faits. Y avait-il de facto subordination, ce qui
8 équivaudrait à un contrôle effectif, ce qu'il faut, bien entendu, prouver
9 au-delà de tout doute raisonnable. On ne peut pas simplement s'appuyer sur
10 une situation de subordination de jure. Bien sûr, c'est là une marque
11 éventuellement d'un contrôle effectif. C'est l'un des indicateurs, mais ça
12 ne peut pas être le seul ou le plus important. Je pense au fond à la
13 réponse que vous avez donnée à la question du Juge Liu, on a l'impression
14 que Delic a essayé d'exercer un contrôle effectif qui n'existait pas au
15 départ, ce que prouvait le dossier Hadzihasanovic. Il n'y avait pas de
16 véritable contrôle de l'ABiH sur ce Détachement El Moudjahid, mais on a
17 fait des efforts pour rendre ce contrôle effectif. Où en sommes-nous
18 exactement ? Les efforts déployés ont-ils assuré un contrôle parfaitement
19 effectif, est-ce bien ce que vous dites, ce qui voudrait dire que la seule
20 conclusion raisonnable que peut tirer une Chambre de première instance
21 était qu'effectivement les efforts ont été couronnés de succès; ou est-ce
22 qu'il plane encore un certain doute ? Parce qu'on a peut-être transmis
23 certains prisonniers, mais pas tous. Alors, est-ce que c'était un contrôle
24 absolument efficace et effectif, d'après vous ? Car il nous faut évacuer le
25 moindre doute possible.
26 M. SCHNEIDER : [interprétation] Permettez-moi de consulter mes collègues.
27 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
28 M. SCHNEIDER : [interprétation] La conclusion attestant d'un contrôle
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1 effectif, c'est une constatation, et donc le critère d'examen, c'est de
2 savoir si la Chambre a eu raison de tirer cette conclusion. Et en fait,
3 cette conclusion prouve le côté raisonnable. Parlons de la subordination de
4 jure. C'était un indicateur, à première vue, d'un contrôle effectif. Ce fut
5 le cas ici, comme le dit d'ailleurs la jurisprudence du Tribunal. De plus,
6 à la suite de la constitution de l'armée, de sa resubordination, les
7 différentes mesures prises, le fait qu'il y avait un ordre de dissolution,
8 ceci porte non seulement sur la resubordination au sens étroit, mais sur un
9 contrôle effectif qu'on a sur toute l'unité et sur des ordres qui sont
10 respectés.
11 Revenons au dossier Hadzihasanovic. Les conclusions portaient sur une
12 période de deux ans ici chez nous, alors que ce n'était pas le cas pour
13 Hadzihasanovic. En 1994 et en 1995, on voit qu'on applique effectivement
14 beaucoup d'ordres au combat, il y a plusieurs demandes que des poursuites
15 pénales soient engagées, des enquêtes sur les membres. Par conséquent, il y
16 a amélioration très nette du contrôle dans toute l'armée. A cela, j'ajoute
17 le fait qu'en juillet 1995, ce Delic contrôlait de façon effective le
18 détachement, et suscite une conclusion raisonnable à tirer vu ce que dit le
19 jugement.
20 Permettez-moi d'ajouter ceci. Ce n'est pas un respect parfait; c'est un
21 contrôle effectif. Et l'arrêt Strugar dit que même s'il y a des cas isolés
22 de non-respect, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas un contrôle effectif.
23 Il faut voir l'ensemble du dossier pour conclure. Il y a des cas où le
24 commandant décide de ne pas agir, comme ce fut le cas dans Strugar, et
25 c'est vrai ici aussi.
26 Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Schneider.
27 A présent, la Défense a la parole pour sa réplique. Pour ce faire,
28 vous avez 20 minutes.
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1 M. JONES : [interprétation] Je vous remercie.
2 S'agissant du calendrier, j'allais vous proposer ceci. Si on ne
3 poursuit pas après la pause déjeuner, on pourrait faire une petite pause de
4 cinq minutes pour tout un chacun. Sinon, je peux poursuivre.
5 [La Chambre d'appel se concerte]
6 M. JONES : [interprétation] Si ça vous pose problème, je peux continuer.
7 Mme LE JUGE VAZ : Très bien, nous allons continuer. Merci. Vous avez la
8 parole.
9 M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup.
10 Permettez-moi de réagir tout d'abord à la question de M. le Juge
11 Meron. Il parlait du paragraphe 403 dans sa question au Procureur. Et celui
12 qui a dit qu'à ce propos il y avait respect partiel, parce que certains
13 détenus avaient été relâchés. Mais c'étaient des Musulmans qui avaient été
14 capturés. Ce n'étaient même pas des prisonniers de guerre, pas du tout.
15 Donc là, il n'y a aucun respect parce que l'ordre portait sur des
16 prisonniers, et pas sur des civils musulmans de Bosnie qui s'étaient
17 trouvés là en travers de leur route.
18 Vous avez demandé aussi s'il y avait d'autres ordres. Le paragraphe
19 404 évoque un autre ordre qui n'a pas été respecté par le détachement, donc
20 c'est aussi un élément pertinent que celui-ci.
21 Qu'a dit l'Accusation ? Elle l'a dit à plusieurs reprises, elle a dit
22 que la Chambre avait conclu un contrôle effectif. Mais c'est faux. Ce n'est
23 pas la Chambre. Ce sont deux Juges seulement de la Chambre, puisqu'il y a
24 eu l'opinion dissidente du Juge Moloto, et les Juges le savaient. Ils l'ont
25 dit clairement. Il n'est pas inutile de se dire que deux contre un, si vous
26 aviez un jury, vous auriez huit pour, quatre contre. Ce ne serait pas
27 acceptable en "common law." Mais enfin, c'est ce que le Statut permet,
28 qu'il en soit ainsi. Mais lorsque vous avez une voie qui s'oppose, ça veut
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1 dire que la vie d'un homme ne tient qu'à un fil.
2 L'Accusation a souvent parlé de ce qui est raisonnable, s'agissant
3 des conclusions de la Chambre. Mais qu'est-ce qui est raisonnable ? Il faut
4 voir ce que la Chambre dit, alors qu'ici nous avons un dossier de preuves
5 indirectes. Paragraphe 28, la Chambre se rappelle elle-même ceci, je cite :
6 "Il ne suffit pas que la culpabilité soit une conclusion raisonnable.
7 Ça doit être la seule conclusion raisonnable au vu des éléments du dossier.
8 S'il existait une autre conclusion raisonnable, on peut déduire, et si ceci
9 cadre bien avec l'innocence de l'accusé, celui-ci doit être acquitté."
10 Ce que je veux dire, c'est qu'on dit : la majorité a émis un avis
11 raisonnable. Il faut que ce soit aussi la seule conclusion raisonnable pour
12 ces juges, ce qui pour nous, bien entendu, ne fut pas le cas.
13 Je vais faire de mon mieux pour répondre dans l'ordre des arguments
14 présentés, mais vous savez qu'en réplique, on ne peut pas toujours être
15 parfaitement cartésien. Prenons d'abord la question des ordres de
16 resubordination. Ces ordres montrent l'inverse même de ce que nous avançait
17 l'Accusation. Ces ordres de l'Accusation dit que c'étaient des ordres qui
18 avaient été couronnés de succès. C'est l'avis de l'Accusation. Tout ce que
19 nous avons, c'est qu'il y a eu beaucoup d'ordres de resubordonner. Pourquoi
20 est-ce qu'il y en a eu autant ? C'est parce qu'ils n'ont pas porté leurs
21 fruits. On n'a pas réussi à resubordonner l'unité. C'est pour ça qu'il y en
22 a eu autant. Paragraphe 25 de notre mémoire d'appel. On voit qu'en l'espace
23 de six jours, le détachement a reçu trois ordres de subordination et de
24 resubordination et qu'aucun de ces ordres n'est appliqué. C'est ce que
25 disait le Témoin PW-9. Donc, on n'a pas simplement donné beaucoup d'ordres
26 parce qu'ils marchaient tellement biens chacun d'entre eux. C'est le
27 contraire, il fallait les renouveler parce que ceux-ci ne donnaient aucun
28 résultat.
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1 Parlons ici de la notion de l'amélioration ou du renforcement. Je
2 pense qu'il faudrait peut-être passer à huis clos, car nous avons une pièce
3 sous pli scellé que je voudrais faire afficher. Je pense que le prétoire
4 électronique peut afficher la pièce, notamment la pièce 661.
5 Mme LE JUGE VAZ : Passez donc à une séance à huis clos.
6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
7 [Audience à huis clos partiel]
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 [Audience publique]
24 M. JONES : [interprétation] Prenons la première chronologie présentée par
25 l'Accusation. Delic autorise la constitution, la création du détachement.
26 Je ne vais pas demander que soient affichées ces pièces, il y a la pièce
27 373 [comme interprété], proposition de l'ABiH. Donc, ce n'est pas Delic qui
28 décide fort de sa seule autorité de la créer, cette unité. Et la
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1 jurisprudence montre le fait qu'on soit un véhicule par lequel un ordre est
2 donné par des supérieurs ne veut pas dire que vous avez un contrôle
3 effectif. En fin de pièce, on trouve une liste des choses à faire pour que
4 soit constitué ce détachement. Il doit donner une liste de ses membres, il
5 doit faire rapport, et cetera. Rien de tout cela n'a été fait. D'emblée,
6 les choses n'ont pas marché. Les éléments le prouvent, et si nous en avons
7 le temps, je vous donnerai les références. Mais je pense que celles-ci se
8 trouvent dans notre mémoire d'appel.
9 L'Accusation dit qu'il y a eu recomplètement de l'unité par Delic, mais le
10 jugement le montre, quand quelqu'un rejoignait les rangs du Détachement, on
11 considérait que c'était un déserteur. Paragraphe 174.
12 Pour ce qui est de tous les ordres donnés, l'Accusation a lourdement
13 insisté sur la note de bas de page 1 183, qui est sans doute essentielle
14 pour la majorité des Juges. C'est là la liste de tous les ordres donnés,
15 ordres de combat donnés au détachement. Vous le verrez, c'est très
16 important. Dans ce paragraphe, il n'y a aucune référence à un compte rendu
17 d'audience, à une page du compte rendu, à un seul témoin, ce qui veut dire
18 que rien ne prouve que ces ordres aient été suivis des faits. Ce sont
19 simplement des pièces qui mentionnent le nom quelque part du détachement.
20 Donc, il n'y a pas, et c'est important, une seule référence à une
21 déposition, une audition de témoin dans le compte rendu d'audience.
22 Alors, quand on parle de la coopération avec les aspects tactiques
23 des ordres, et là c'est vrai, on en parle au 461, nous disons que, de toute
24 façon, ça cadre bien avec la notion de coopération.
25 S'agissant de la dissolution, on dit que le fait de créer, de la
26 dissoudre, cette unité, c'est important. Mais prenons le paragraphe 198 du
27 jugement. Nous parlons de ce point dans notre mémoire en appel. Que voit-on
28 :
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1 "Selon les dires d'un ancien membre du détachement, celui-ci aurait
2 continué de combattre même sans le consentement de la shura."
3 Donc ici, nous sommes dans le contexte des accords de paix de Dayton,
4 qui disaient que tous les étrangers devaient quitter le territoire. Ce
5 n'est pas parce que Delic a donné cet ordre, c'est plutôt dans ce contexte
6 là qu'il faut voir les choses.
7 L'Accusation a énuméré des faits qui, dit-il, sont incompatibles avec
8 cette idée de la coopération, ordre de promotion par l'ABiH de membres du
9 détachement. On voit au paragraphe du jugement 191, qu'il n'y avait pas de
10 grade, ce qui veut dire que des promotions, ça ne veut pas dire grand-
11 chose, d'autant que les chefs n'étaient pas nommés par l'ABiH. C'est le
12 paragraphe 187 du jugement qui le dit.
13 Pour ce qui est de distinctions données, l'Accusation dit, Ça ne se
14 fait jamais pour des armées alliées. Ce n'est pas vrai du tout. Au
15 contraire, mon grand-père, colonel américain, a reçu la médaille du mérite
16 OBE en Grande-Bretagne pour ses services alors qu'il n'était pas sous le
17 contrôle effectif du Royaume-Uni. James Stuart, l'acteur, a reçu la Croix
18 de guerre de la France. Personne ne dira jamais qu'il était sous le
19 contrôle effectif des Français. Ça se fait dans des armées. Donc là, je
20 pense que le moindre qu'on puisse dire ce n'est vraiment pas une marque
21 d'un contrôle effectif.
22 Deuxième chronologie, on revient à M. Goodall. Voyons ce que la Chambre a
23 dit elle-même au paragraphe 488 et dans la pièce 887, qui dit bien ce que
24 nous trouvons important. Mais le jugement est très clair là-dessus, des
25 poursuites ont été engagées au civil, mais n'ont jamais été menées à leur
26 terme. Alors, qu'est-ce qu'on peut tirer comme conclusion à cela, pas
27 grand-chose, à notre avis, et puis il y a eu des évasions de ces personnes
28 qui avaient été poursuivies.
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1 L'Accusation dit qu'on ne saurait dire que l'emploi de la force n'est
2 pas sa seule option, et puis la thèse de l'Accusation, qui n'est pas
3 nécessairement épousée par la majorité des Juges, c'est que c'était une
4 question de commodité militaire que l'armée a décidé de conclure un pacte
5 avec le diable plutôt que de s'y opposer de façon frontale. Alors, nous
6 l'avons vu, ils avaient peur du détachement et ne pouvaient même pas
7 envoyer de catholiques ni d'orthodoxes au front. Mais voyons la note de bas
8 de page 1 159, utilisée par l'Accusation. Mais ce n'est pas Delic qui parle
9 ici, qui dit qu'il ne faut pas prendre de mesures trop énergiques pour ne
10 pas envenimer les relations. Ici, c'est la 35e Division qui parle, c'est
11 important. On ne peut pas reprocher à Delic l'idée qu'exprime quelqu'un
12 d'autre. Lui, il était plutôt favorable à l'idée d'une confrontation, même
13 d'une confrontation brutale, avec le détachement. Nous le disons au
14 paragraphe 383 de notre mémoire d'appel. Il y avait même un clivage au sein
15 de l'ABiH pour savoir que faire de ce détachement. Delic voulait une action
16 musclée - c'est le témoin Karavelic qui le dit - tout ce que Delic a fait
17 pour essayer de désarmer ce détachement aurait entraîné des pertes civiles.
18 "Il n'avait pas le droit de le faire sans l'approbation préalable du
19 commandement Suprême."
20 C'est important, parce que s'il en avait eu le pouvoir, il aurait
21 pris des mesures. On ne saurait donc lui reprocher de ne pas avoir vraiment
22 puni le détachement tout simplement parce que c'était commode.
23 Paragraphe 583, l'Accusation dit que le détachement avait terminé
24 tout ce qu'il avait à faire, toute sa besogne. On n'a pas le temps de le
25 faire, mais si vous regardez cette pièce, vous verrez qu'il faut lire ce
26 libellé dans le contexte du document. Quand on dit que "toutes les tâches
27 militaires avaient été réalisées."
28 Alors, cette question de la dualité dans la démarche du dialogue et
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1 de dire que c'était un dialogue normal dans le cadre d'un commandement,
2 c'est mal comprendre ce que Paul Cornish, expert qui a utilisé cette
3 expression, mal comprendre ce qu'il voulait dire. Paragraphe 379 du
4 jugement, que dit-il : Oui, il y a un échange d'idées, de points de vue,
5 mais est-ce un contrôle effectif ou pas, parce qu'en fait quand le
6 commandant dit : Merci de votre avis, mais voilà ce que nous allons faire.
7 Et ça c'est vraiment une distinction capitale. Y a-t-il eu un échange, le
8 détachement disant : Non, on ne veut pas combattre pour ceci ou pour cela.
9 Et ils n'auraient pas accepté qu'un commandant dise : Tans pis, vous allez
10 quand même le faire. Donc là, c'était très clair, et la majorité des Juges
11 n'a pas bien compris.
12 L'Accusation semble s'appuyer lourdement sur l'arrêt Strugar.
13 Manifestement, ce n'est pas la même affaire, parce que Strugar commandait
14 une armée régulière, donc la donne est tout à fait différente. Ce n'est pas
15 une unité où il y a des combattants étrangers, aux visions extrémistes, se
16 comportant de façon bizarre, inattendue, il y a la shura, il y a des
17 adeptes venant de l'étranger. Donc, la donne n'est pas du tout la même que
18 dans Strugar.
19 Deux points encore. Delic était-il informé des mesures prises contre le
20 détachement, c'est mentionné dans la chronologie. On a, bien sûr, essayé
21 d'obtenir des renseignements pour essayer de voir précisément ce qui se
22 passait au niveau du détachement, mais ce n'est pas là dire que c'est un
23 contrôle effectif. C'est normal, c'est humain, on essaie de savoir ce qui
24 se passe dans une unité. Mais ce qui est capital, c'est que l'ABiH ne
25 pouvait pas avoir de liaison avec le détachement pour que de bonnes
26 enquêtes soient menées, parce que le détachement avait ses propres
27 supérieurs et n'avait pas d'officer du renseignement ni d'officier de la
28 sécurité. Or, ce sont ces deux entités qui s'occupent de la situation quand
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1 il y a un crime, quand il y a une enquête à mener. C'est dit au paragraphe
2 425 du jugement. L'adjoint à la sécurité, un témoin, dit :
3 "Chaque bataillon avait son organe de la sécurité, chaque brigade,
4 chaque division, à l'exception du détachement El Moudjahid avec lequel nous
5 n'avons jamais eu de contact au niveau des organes de sécurité."
6 C'est pour ça que rien ne pouvait se passer. Awad le dit au
7 paragraphe 192. Il dit, au fait, il avait le titre d'officier de la
8 sécurité, mais dans le fond ce n'était qu'un interprète. Sans organes de la
9 sécurité, il était impossible de mener d'enquêtes. Et comme on n'avait pas
10 une liste recensant l'identité de chacun des membres, on ne savait même pas
11 qui était dans ce détachement, comment on diligentait une enquête
12 éventuellement commis par un membre du détachement si on ne sait même pas
13 qui le compose ?
14 Le détachement - et vous le verrez dans le dossier - a fourni une
15 liste munie uniquement de noms des nationalités : le Koweït, le Pakistan,
16 l'Iran, mais on ne donnait pas de noms. Ils n'avaient même pas de pièces
17 d'identités, paragraphe 191. Comment voulez-vous qu'une enquête correcte
18 soit menée pour ce qui est de la sécurité et du renseignement. Pour ce qui
19 set des prisonniers, l'Accusation dit : C'est vrai, l'armée a finalement pu
20 les voir. Mais ce n'est sûrement pas vrai des prisonniers de septembre qui
21 ont été tués par le détachement.
22 En fait, l'armée a dû quitter le camp du détachement parce qu'elle
23 sentait qu'elle était en danger. Vous le voyez au paragraphe 275, l'adjoint
24 des chefs de la 35e Division est allé voir les détenus de la VRS :
25 Lorsque Imamovic a posé une question aux détenus sur les conditions
26 de détentions ou de leur capture, alors un Moudjahidine a fait éruption et
27 à commencer à jurer dans sa langue. Ayant pris peur, les deux soldats de
28 l'armée sont partis."
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1 Donc là, ce n'est pas de menues difficultés. Ces gens prennent la
2 fuite, ils ont peur d'être blessés, d'être en danger aux mains du
3 détachement. Est-ce là vraiment un contrôle effectif ?
4 L'Accusation donne des exemples isolés où on a pu avoir accès au camp, oui,
5 mais c'était pour quoi. C'est important, c'était à des fins de propagande
6 religieuse. Vous le voyez au paragraphe 411, on laissait entrer d'autres
7 personnes dans le camp pour faire une prière commune. Et sans doute à des
8 fins de recrutement pour trouver de nouveaux membres. Donc, il faut voir le
9 contexte.
10 Nous disons effectivement que l'accès aux détenus est essentiel dans
11 une affaire comme celle-ci, parce que sinon, on peut imaginer, et ce serait
12 tout à fait absurde. Imaginons non pas les faits dans cette affaire, que le
13 détachement se soit complètement conformé aux ordres, et qu'à l'inverse,
14 ils se battraient jusqu'au dernier homme avant de permettre à d'aucuns
15 d'accéder au camp. Est-ce qu'il n'est pas le cas dans cette affaire-ci ?
16 Alors, si on s'en sert comme fondement pour dire que l'accusé aurait dû
17 faire quelque chose à propos des prisonniers, qu'est-ce que le combat a à
18 voir avec le contrôle effectif par rapport à ces crimes-ci ? C'est encore
19 un cas de non sequitur.
20 Encore une fois, Hadzihasanovic n'est pas différent simplement parce
21 qu'il a donné trois ordres, beaucoup d'ordres ou pas. Je crois que ceci est
22 une façon très simpliste d'établir le distinguo entre cette affaire-là et
23 celle-ci qui nous concerne. Je crois que je vous ai présenté tous mes
24 arguments. Je ne sais pas si je peux vous être d'une quelconque utilité par
25 ailleurs.
26 Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Monsieur Jones. A présent, nous
27 allons observer une pause d'une heure, si bien que nous reprendrons à 14
28 heures 20, et nous entendrons l'appel du Procureur. Très bien, nous
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1 reprendrons à 14 heures 30. On prendra dix minutes de plus.
2 L'audience est suspendue.
3 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 13 heures 20.
4 --- L'audience est reprise à 14 heures 31.
5 Mme LE JUGE VAZ : Bon après-midi. L'audience est reprise. A présent, nous
6 allons donner la parole à M. le Procureur pour la présentation de son
7 appel. Vous avez une heure. Merci.
8 M. WOOD : [interprétation] Je vous remercie, Madame le Président.
9 Pendant 35 jours dans le courant de l'été 1995, les subordonnés de Rasim
10 Delic, les membres du Détachement El Moudjahid, ont humilié et terrorisé 11
11 prisonniers de guerre. Le général Delic, comme vous l'avez entendu
12 précédemment aujourd'hui, a créé le Détachement El Moudjahid à partir d'un
13 groupe d'étrangers à caractère violent. Non seulement il a créé cette
14 unité, il a toléré leur comportement criminel pendant deux ans, avant que
15 les prisonniers de guerre qui sont l'objet de nos débats d'aujourd'hui ne
16 sont tombés dans leurs mains. Lorsque la guerre a pris fin, le général
17 Delic a dissout l'unité, a remercié et a fait les éloges de ses membres.
18 La peine de trois ans d'un général Delic n'illustre ni la gravité des
19 crimes "extraordinairement brutaux" ni la gravité à son manquement de
20 prévenir et de punir les crimes du Détachement El Moudjahid. La peine n'a
21 aucune valeur dissuasive et ne peut pas dissuader les commandants à
22 l'avenir de choisir, comme l'a fait le général Delic dans ce cas,
23 l'opportunisme militaire sur le devoir de faire appliquer le droit
24 international humanitaire. En tant que telle, cette peine attire la
25 condamnation de la communauté internationale. La Chambre d'appel devrait
26 revoir cette peine manifestement inappropriée et imposer une peine plus
27 adéquate de sept ans d'emprisonnement.
28 La voie menant aux abus et à la terrorisation [phon] de ces 11 prisonniers
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1 de guerre en juillet 1995 a commencé en Bosnie centrale en 1993. Le 13 juin
2 1993, un des subordonnés du général Delic, un commandant, lui a dit, et je
3 cite :
4 "Dans la zone générale de Zenica, de cette municipalité, depuis le
5 début de la guerre, il y a eu des volontaires de pays étrangers qui n'ont
6 pas intégré l'ABiH." Et je cite :
7 "En combattant jusqu'à ce jour, ils ont agi en dehors du contexte
8 habituel et méthodes licites de combat, ce qui est au détriment de l'Etat
9 de la Bosnie-Herzégovine, et en particulier à l'ABiH." Dans le jugement en
10 première instance, paragraphe 172.
11 Comme solution à ce problème, les subordonnés du général Delic ont proposé
12 à ce que ces étrangers soient renvoyés chez eux ou qu'ils soient intégrés à
13 une unité de l'ABiH, paragraphe 173 du jugement en première instance. Le
14 général Delic a agi rapidement face à cette demande. Le 13 août, il a signé
15 un ordre, et je cite, "autorisant la formation d'un détachement nommé El
16 Moudjahidine," composé de "volontaires étrangers actuellement sur le
17 territoire de la zone de responsabilité du 3e Corps." Paragraphe 177 du
18 jugement en première instance. Il s'agit là du Détachement El Moudjahidine.
19 Après la création de cette unité, le général Delic, et je cite, "a été
20 informé par l'intermédiaire de différents bulletins envoyés par
21 l'administration chargée de la sécurité sur différents cas d'infractions
22 commises par des membres du détachement qui correspondaient à des délits
23 pénaux." Paragraphe 501 du Tribunal de première instance. Il s'agit ici du
24 paragraphe 501, qui énumère le nombre de cas où le général Delic, à Mostar,
25 a fait l'objet de critiques ou de poursuites concernant le comportement
26 criminel du Détachement El Moudjahid. Dans ces derniers rapports, qui sont
27 cités par la Chambre de première instance et qui datent du 19 juillet 1995,
28 deux jours avant que les membres du détachement ne capturent les
Page 89
1 prisonniers de guerre, qui font l'objet des débats dans cette affaire.
2 Lorsque nous voyons un jugement trois jours plus tard, le 22 juillet, un
3 autre bulletin qui ordonne précisément à Rasim Delic de fournir des
4 éléments d'information sur les prisonniers qui étaient détenus par le
5 Détachement El Moudjahid, parce que "jusqu'à présent, nous n'avons pas pu
6 accéder." Le général Delic n'a pas apporté de suivi à cet élément
7 d'information, d'après le jugement en première instance, paragraphe 553, et
8 l'abus des prisonniers de guerre s'est poursuivi jusqu'au 24 août.
9 Pourquoi le général Delic admettrait-il ce détachement à l'intérieur
10 de l'ABiH s'il connaissait les antécédents de ce détachement et de leur
11 comportement criminel ? Parce que précisément, ce détachement était
12 efficace au combat. C'était une unité d'assaut spécialisée qui était le fer
13 de lance dans les attaques qui étaient menées et qui pouvait opérer les
14 percées le long des lignes ennemies, qui était l'une des activités les plus
15 dangereuses sur le terrain. Ceci a été décrit comme étant "les principaux
16 dirigeants" -- ou ceux qui ont mené l'opération du mois de juillet, qui ont
17 eu pour résultat la capture de 12 prisonniers de guerre.
18 Cette tolérance du comportement criminel du détachement est illustrée
19 dans le rapport de la sécurité militaire du 5 juillet 1995, auquel a fait
20 référence M. Schneider un peu plus tôt. Je vais l'évoquer un peu plus dans
21 le détail. Vous vous souviendrez que ce rapport concernait des menaces de
22 "massacres" à l'encontre des Croates et des Chetniks qui faisaient partie
23 du 1er Bataillon de l'ABiH, la 328e Brigade, et c'est ce qu'indiquait ce
24 rapport :
25 "L'organe chargé de la sécurité du 1er Bataillon de la 328e Brigade de
26 Montagne a tenu des entretiens séparés et, avec les hauts commandants et
27 les membres qui n'étaient pas de Musulmans, a essayé de les consoler en
28 leur disant qu'ils étaient disposés à faire tout ce qu'on leur demandait et
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1 tout ce que leur demandait l'unité susmentionnée, afin d'exécuter ou de
2 remplir les missions qui avaient été prévues, à savoir occuper Paljenik et
3 Vozuca." La pièce 938 dans le jugement au paragraphe 434.
4 Ce que ceci montre, Madame, Messieurs les Juges, c'est que l'opportunisme
5 militaire l'a emporté, l'opportunisme militaire dans le sens de capture de
6 Paljenik et Vozuca sur la responsabilité qu'il avait de faire appliquer le
7 droit international humanitaire. En septembre, le Détachement El Moudjahid
8 n'a jamais été puni pour les crimes qu'ils avaient commis contre les
9 prisonniers de guerre en juillet et août, et ont capturé la colline appelée
10 Paljenik, paragraphe 398 du jugement en première instance.
11 La Chambre de première instance a constaté que l'apparente impunité avec
12 laquelle ont agi des membres du détachement de la mi-juillet 1995, juste
13 avant la capture des prisonniers, et je cite, "était censée avoir un effet
14 encourageant sur les auteurs et le détachement au sens large," au
15 paragraphe 512 du jugement.
16 Le manquement de Delic à punir les auteurs des crimes, du moins commis
17 pendant le mois de juillet, a clairement donné le signal aux membres du
18 détachement qu'ils pouvaient commettre des crimes encore plus graves que
19 ceux qui ont été décrits par la Chambre au paragraphe 501. C'est dans ce
20 paragraphe que l'on énumère la liste des bulletins qui informaient Delic
21 des crimes commis par les membres du détachement. Les meurtres commis
22 contre au moins 53 prisonniers serbes dans le camp de Kamenica par des
23 membres du détachement en septembre, ne font qu'illustrer la gravité du
24 manquement de Rasim Delic à punir les crimes commis par les soldats du
25 détachement en juillet et août.
26 Comme l'a expliqué l'Accusation dans son mémoire, le général Delic a manqué
27 à contrôler le détachement avant le 21 juillet 1995, et ceci était
28 extrêmement grave, compte tenu des pouvoirs extraordinaires dont il
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1 disposait, parce que c'était le commandement le plus haut gradé au sein de
2 l'ABiH d'une part, et, d'autre part, parce que c'était un membre de la
3 présidence de l'ABiH qui était, comme l'ont indiqué les Juges de la
4 Chambre, "le commandement Suprême des forces armées." Paragraphe 94 du
5 jugement. C'était le commandant militaire le plus haut gradé dans l'ABiH,
6 dispose d'un pouvoir extraordinaire, et de ce pouvoir découlait une très
7 grande responsabilité. Delic avait le devoir de s'assurer que l'on respecte
8 le droit international humanitaire. Ce principe sous-tend l'idée même de la
9 responsabilité de commandement, Madame, Messieurs les Juges. Comme le
10 commentaire de la Croix-Rouge internationale l'indique dans l'article 96 du
11 protocole additionnel numéro I, je cite :
12 "Tout dépend des commandants," qui, je cite, "plus que tout autre peut
13 empêcher les violations en créant un état d'esprit approprié, en s'assurant
14 que les moyens de combat soient utilisés de façon rationnelle et en
15 maintenant la discipline."
16 Comme le dit les commentaires, le manquement du commandement --comme le dit
17 le commentaire, l'obligation du commandant qui consiste à faire appliquer
18 le droit international humanitaire constitue une des violations
19 essentielles qui englobe toutes les autres.
20 La convention de Genève représente les intérêts de la communauté
21 internationale, intérêts qui sont fondamentaux puisqu'il s'agit de garantir
22 la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, et ceci reste un outil
23 effectif qui permet de faire appliquer le droit international humanitaire.
24 La peine de Delic de trois ans ne protège pas cet intérêt-là. Le manquement
25 de Delic à prévenir et à punir les crimes commis par le Détachement El
26 Moudjahid n'a pas été puni comme il se doit.
27 La peine de trois ans ne répond pas non plus à l'objectif du TPIY, à savoir
28 d'exercer un effet de dissuasion. Ceci confère au paragraphe 559 du
Page 92
1 jugement en première instance. Non seulement Delic n'a pas empêché ou puni
2 les membres du détachement pour les actes criminels qu'ils ont commis, il
3 les a personnellement remerciés pour les services rendus et leur a même
4 donné la distinction la plus importante donnée aux soldats qui ont
5 combattu, à savoir le Lys doré. Pièce 828, paragraphe 198 du jugement en
6 première instance. Cette peine inappropriée a effectivement sanctionné la
7 décision du général Delic. Il a donc fait fi de ses obligations et n'a pas
8 fait appliquer le droit international humanitaire et a continué à se servir
9 du détachement lors des combats. Cette peine de trois ans ne pourra pas
10 dissuader des commandants militaires à l'avenir à faire le même choix, et
11 cette peine de trois diminue d'autant le pouvoir et la responsabilité de
12 commandement comme instrument permettant de faire appliquer le droit
13 international humanitaire et la protection des personnes, comme ces 11
14 prisonniers de guerre qui ont été maltraités dans le camp de Kamenica en
15 1995.
16 Ceci porte sur la gravité de son manquement, la gravité du manquement du
17 général Delic. Cette peine de trois ans ne permet pas non plus d'illustrer
18 comme il se doit la gravité des crimes commis par le Détachement El
19 Moudjahid contre les prisonniers, la deuxième partie de mon analyse.
20 Comme je l'ai indiqué, pendant 35 jours le Détachement El Moudjahid a
21 abusé, humilié et terrorisé 11 de ces prisonniers. Le 12e, Gojko Vujicic, a
22 été tué et décapité le lendemain du jour de l'arrivée des prisonniers dans
23 ce camp de Kamenica. Les survivants ont décrit un climat d'abus mental et
24 physique permanent qui a commencé dans le village de Livade le 21 juillet
25 et qui s'est poursuivi dans le camp de Kamenica jusqu'au 24 août.
26 Un des survivants, un médecin, le Dr Branko Sikanic, a décrit la façon dont
27 les hommes avaient été liés et que leurs mains et leurs pieds avaient été
28 attachés à un bâton, les obligeant à se reposer sur leurs genoux. Je cite :
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1 "J'ai eu beaucoup de problèmes avec ce bâton et la position terrible dans
2 laquelle j'étais attaché." Il s'agit de la pièce 927 qui est citée dans la
3 note en bas de page 660 du jugement en première instance.
4 A Livade, deux des prisonniers ont dû regarder les têtes qui venaient
5 d'être décapitées de deux soldats serbes, identifiés par la suite comme
6 étant Predrag Knezevic et Momir Mitrovic, qui ont été tués par des membres
7 du détachement, c'était un acte de terrorisation. Les conditions ne se sont
8 pas améliorées pour les prisonniers lorsqu'ils ont été transférés au camp
9 de Kamenica du détachement. Le Dr Sikanic décrit la façon dont on les a
10 limités dans leurs mouvements.
11 "On nous a demandé de nous déplacer sur le ventre, nos mains étaient
12 attachées dans le dos et également nos jambes étaient attachées. Il y avait
13 une douleur terrible quelque part au niveau des jambes, mais je ne suis pas
14 capable de dire ce qui était à l'origine de cette douleur. J'avais
15 l'impression que quelqu'un me tranchait tout doucement les pieds avec un
16 objet en mouvement." Encore une fois, ceci est une citation de sa
17 déclaration qui est citée par les Juges de la Chambre aux paragraphes 257
18 et 258 du jugement.
19 Comme je l'ai indiqué, Gojko Vujicic a été tué et décapité le premier
20 jour au camp. Ceci a eu un effet sur les autres personnes qui ont survécu.
21 Un des prisonniers de guerre, Trivicevic, a décrit ce qu'il a vu, et je
22 cite :
23 "Et un des Moudjahidines qui se trouvait dans la tente pour la prière est
24 sorti de la tente, a pris un fusil automatique qui se trouvait à côté de
25 l'entrée, il l'a armé en chemin. Et ensuite, en marchant, il s'est arrêté
26 près de la tête de Gojko, et Gojko pouvait le voir et il a simplement
27 tourné la tête dans la direction vers la gauche. Et en ensuite, en
28 avançant, il était debout près de la tête de Gojko et a tout simplement
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1 tiré sur la tempe droite de Gojko. Il est ensuite rentré à nouveau dans la
2 tente. J'ai simplement regardé Gojko et je voyais son petit doigt qui
3 bougeait encore comme s'il était en vie. Le Moudjahidine s'est rendu dans
4 la tente, ensuite il a pris une épée, il est revenu vers Gojko, et avec
5 plusieurs coups il a tout simplement décapité la tête de Gojko. Il a essayé
6 de placer cette tête sur la poitrine, mais étant donné que le corps était
7 renversé en arrière, la tête ne pouvait pas rester à cet endroit-là. Il a
8 essayé de faire cela à plusieurs reprises, et lorsque cela ne marchait pas,
9 il a placé la tête sur le ventre et ensuite la tête est partie. Il l'a
10 replacée sur le ventre et ensuite la tête est restée à cet endroit-là." Il
11 s'agit du compte rendu d'audience 3639 à 3640, également cité par les Juges
12 de la Chambre dans son jugement au paragraphe 260.
13 Et ensuite au paragraphe suivant, le jugement rappelle que ces hommes
14 ont dû embrasser la tête qui avait été décapitée.
15 Pendant leur séjour, les hommes ont fait l'objet de passages à tabac
16 réguliers, de chocs électriques, et non pas reçu suffisamment d'eau
17 lorsqu'ils étaient emprisonnés dans le camp de Kamenica, paragraphe 273 du
18 jugement. Ceci a eu un effet durable sur les victimes. Comme l'a expliqué
19 le Dr Sikanic :
20 "Le manque criant d'eau a provoqué la déshydratation et une perte de poids,
21 13 à 15 kilos. J'ai perdu tellement de poids que mon rein droit s'est
22 déplacé et ne s'est pas trouvé dans une position normale. Il arrive que
23 j'aie encore une douleur assez aiguë dans mon rein droit. Ceci est dû au
24 stress et au manque de nourriture. J'ai également développé un ulcère dans
25 l'intestin grêle," aux paragraphes 268 et 271.
26 La peine de trois ans de Delic ne permet pas d'illustrer la gravité des
27 séries de crime, non pas un seul crime mais une série de crimes qui ont été
28 infligés sur ces 11 hommes pendant une période de 35 jours. Comme la
Page 95
1 Chambre d'appel a estimé, la responsabilité du supérieur hiérarchique n'est
2 pas moins grave de façon inhérente que la responsabilité qui incombe à
3 l'auteur du crime. Arrêt Celebici, paragraphe 735.
4 Et comme l'a déclaré le Juge Shahabudeen dans l'arrêt Oric, je cite :
5 "La punition du crime pour le commandant qui omet de contrôler ses
6 subordonnés doit être comparée à la sanction imposée à ses subordonnées
7 pour les crimes qui ont réellement été commis par eux." Déclaration
8 Shahabudeen, paragraphe 222 [comme interprété].
9 Donc, Delic a été condamné à une peine de trois ans. Je vais vous donner un
10 exemple : une condamnation pour un seul exemple de traitement cruel,
11 conformément aux articles du code de procédure pénale de la RSFY, aurait
12 représenté "une sentence minimale de cinq ans d'emprisonnement," et la
13 peine la plus grave dans ce cas aurait été la peine de mort.
14 Compte tenu du nombre de victimes dans cette affaire, et Gojko Vujicic a
15 été maltraité pendant le temps où il était en vie, ainsi que les abus
16 imposés en permanence sur ces hommes, la peine appropriée pour Delic en
17 tant qu'auteur et avec ses subordonnés serait au-delà de cinq ans. Et la
18 peine de Delic de trois ans est manifestement inadéquate.
19 En conclusion, cette peine de trois ans omet de tenir compte du rôle
20 critique qu'a joué Rasim Delic lorsqu'il a créé le Détachement El Moudjahid
21 et lorsqu'il a toléré le comportement criminel de ses membres avant le mois
22 de juillet 1995. Il les a récompensés plutôt que de les punir. Il les a
23 déployés alors qu'il aurait dû les retenir.
24 La peine de trois ans de la Chambre a été quelque chose qui n'a pas été
25 pris au bon endroit. Ceci ne permet pas d'avoir une quelconque valeur de
26 châtiment pour ces crimes. Ceci n'a aucune valeur dissuasive, ne permet pas
27 de dissuader des commandants à l'avenir de choisir, comme l'a fait Delic,
28 l'opportunisme militaire au lieu de répondre de ces obligations et de faire
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1 appliquer le droit international humanitaire. La Chambre d'appel devrait
2 revoir cette peine et apposer une peine d'emprisonnement de sept ans.
3 A moins qu'il y ait des questions, j'en ai terminé avec mes observations.
4 Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions. Les Juges n'ont pas de questions.
5 A présent, nous allons donner la parole à la Défense. C'est Mme
6 Vidovic qui va prendre la parole. Vous avez 50 minutes pour votre --
7 Mme VIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente. Merci.
8 Bonjour encore à toutes les personnes.
9 Madame et Messieurs les Juges, les arguments du Procureur présentés
10 aujourd'hui, ceux apparaissant dans ces mémoires n'ont aucun fondement dans
11 la jurisprudence du Tribunal, et ils sont complètement battus en brèche par
12 une analyse détaillée et argumentée telle qu'elle apparaît dans les
13 conclusions de la Chambre. L'appel du Procureur représente une requête
14 infondée pour obtenir une peine plus lourde.
15 Comme le Procureur l'a confirmé dans son appel, la majorité a fait
16 état, de façon correcte, de tous les facteurs pertinents qui doivent être
17 pris en compte dans la détermination de la peine. Tout d'abord,
18 conformément à la jurisprudence du Tribunal, deux objectifs principaux
19 président à la détermination des peines dans des affaires de crimes de
20 guerre. Madame et Messieurs les Juges, ces deux objectifs ont, tous les
21 deux, été reflétés dans la peine prononcée. Il s'agit de la punition de
22 l'auteur du crime et de la dissuasion, à savoir dissuader la commission de
23 crimes futurs.
24 Le principe de la rétribution impose qu'une peine appropriée soit
25 imposée, peine proportionnelle à la gravité des actes de l'accusé. Quant à
26 la dissuasion, comme le dit la Chambre de première instance, elle revêt
27 deux formes : une forme individuelle et une forme générale. Cependant,
28 comme la majorité ont fait état de façon tout à fait correcte au paragraphe
Page 97
1 559 du jugement, le principe de la dissuasion ne doit pas se voir accorder
2 une importance excessive dans l'ensemble du processus de détermination de
3 la peine pour des personnes mises en accusation par le Tribunal
4 international. Cette position ou une position similaire a également été
5 prise par les Chambres d'appel dans les affaires Kordic et Cerkez,
6 paragraphe 1 078; dans l'affaire Celebici, paragraphe 801; dans Tadic,
7 paragraphe 48; et dans Aleksovski, paragraphe 185. La majorité a donné une
8 estimation correcte des facteurs devant être examinés et pris en compte
9 lors de la détermination de la peine, conformément à l'article 24 du Statut
10 et à l'article 101 du Règlement de preuve et de procédure. Par conséquent,
11 l'appel du Procureur est totalement infondé et devrait être rejeté par la
12 Chambre d'appel.
13 La majorité a fait état, de façon juste, du fait que c'est la gravité
14 de l'acte commis qui représente le facteur le plus important dans la
15 détermination de la peine. Cette dernière doit refléter la gravité de
16 l'ensemble du comportement de l'accusé tout en tenant compte des
17 circonstances spécifiques de l'espèce tout comme des modalités et du degré
18 de participation de l'accusé aux crimes, paragraphe 561 du jugement. Ceci
19 est tout à fait conforme au premier objectif, qui est celui d'accomplir la
20 fonction de la punition, le principe de la rétribution.
21 Comme dans toutes les affaires au pénal, le facteur décisif dans des
22 affaires relatives à la responsabilité du commandant est constitué par les
23 agissements mêmes de l'accusé et les circonstances dans lesquelles les
24 actes de ce dernier ont été commis. Si les crimes des subordonnés doivent
25 évidemment être pris en compte, la Chambre ne doit pas perdre de vue le
26 fait que l'accusé ne peut être puni que pour ses propres manquements, et
27 non pas pour les agissements de ses subordonnés. C'est ce dont il est fait
28 état au paragraphe 162 du jugement, et c'est du fait de la majorité des
Page 98
1 Juges. Comme la Chambre d'appel l'a constaté dans l'affaire Krnojelac,
2 paragraphe 171, je cite :
3 "Il est particulièrement important de souligner, en matière de
4 responsabilité du supérieur hiérarchique, que l'accusé n'est pas mis en
5 accusation pour des crimes commis par ses subordonnés, mais parce qu'il n'a
6 pas rempli son obligation de surveiller ses subordonnés en sa qualité de
7 supérieur."
8 Le Procureur néglige de tenir compte de la nature même de la
9 responsabilité de commandement, de l'importance et de la portée des actes
10 de l'accusé lorsqu'il affirme que les constatations de la majorité
11 relatives à la nature des crimes commis par les subordonnés de Delic
12 traduisent un écart entre la gravité, d'une part, des crimes commis, et
13 d'autre part, la peine de trois ans, paragraphe 9 du mémoire en appel.
14 Le Procureur décrit, de façon très détaillée, le caractère
15 "incroyablement brutal" des crimes commis par les subordonnés de Delic,
16 mais il ne donne aucune explication de la façon dont la gravité de chaque
17 situation particulière devrait être prise en compte et devrait contribuer à
18 la sévérité de la peine compte tenu, bien évidemment, du fait qu'il a été
19 établi que Delic n'avait pas une connaissance effective de ces crimes. A
20 aucun endroit dans la jurisprudence du Tribunal, en matière de
21 responsabilité de commandement, il est défini, cette dernière, comme une
22 responsabilité objective. Par conséquent, lorsque l'on examine la
23 responsabilité de l'accusé et lorsqu'on essaye de déterminer la peine, le
24 comportement des subordonnés ne doit pas se voir accordé un poids excessif.
25 J'en appelle ici de nouveau au paragraphe 239 de l'arrêt d'appel dans
26 Celebici, où il est dit explicitement que la responsabilité de commandement
27 n'est pas une responsabilité objective; le jugement dans Halilovic,
28 paragraphes 42 à 54, confirmé par le jugement; dans Hadzihasanovic,
Page 99
1 paragraphes 66 à 75. Lorsque la majorité a adopté le jugement en l'espèce,
2 elle était parfaitement au fait de tous les détails des crimes commis et
3 leur a attribué le poids qu'il convenait dans la détermination de la peine.
4 Cela est visible au paragraphe 564 du jugement.
5 Contrairement aux allégations du Procureur, la sévérité d'une peine
6 éventuellement prononcée contre ses subordonnés ne doit pas avoir
7 d'influence dans la détermination de la peine imposée à Delic, car ce
8 dernier n'est pas condamné pour avoir directement participé aux crimes en
9 question, mais pour manquement à prévenir et à punir les crimes de ses
10 subordonnés. Le Procureur -- ai-je raison de dire que la responsabilité du
11 commandement n'est pas moins importante que la responsabilité des auteurs,
12 mais il n'en ressort pas automatiquement que la peine imposée au supérieur
13 hiérarchique doit être égale ou supérieure à celle éventuellement imposée à
14 ses subordonnés. Il convient de tenir compte de la nature du manquement qui
15 est celui du supérieur hiérarchique et du fait que la peine qui lui est
16 imposée doit être différente. C'est ainsi qu'on a disposé la Chambre dans
17 Halilovic, paragraphes 42 à 52; et cette position a été réaffirmée dans
18 l'affaire Hadzihasanovic, arrêt en appel, paragraphe 39.
19 Le Procureur a fait référence au code pénal de la RSFY, mais en fait,
20 il fait référence de façon tout à fait erronée à la jurisprudence d'un
21 certain nombre de systèmes juridiques nationaux en matière de déterminer
22 selon la peine. En effet, ces systèmes juridiques ont une conception
23 complètement différente de la responsabilité du commandement par rapport à
24 celle qui prévaut dans ce Tribunal. Dans chacun des systèmes juridiques
25 auxquels le Procureur se réfère, la sévérité de la peine encourue par les
26 subordonnés représente un facteur important pour la détermination de la
27 peine du supérieur hiérarchique, et ce dernier est considéré comme un
28 complice dans le crime.
Page 100
1 Compte tenu du fait que les Chambres d'appel de ce Tribunal ont
2 expressément pris la position suivante, à savoir que la responsabilité du
3 commandement représente une infraction à part entière et que ceux qui sont
4 mis en accusation au terme de ce mode de responsabilité ne doivent pas être
5 considérés comme des complices, ainsi que le fait que la peine qui est
6 prévue pour eux ne doit pas nécessairement être égale à celle de leurs
7 subordonnés. Je me réfère ici au jugement Halilovic, paragraphes 42 à 54;
8 confirmée dans l'affaire Hadzihasanovic, en première instance, paragraphes
9 66 à 75; ainsi que dans l'arrêt en appel Celebici, paragraphe 239.
10 Donc, compte tenu de cela, il importe de signaler que la
11 jurisprudence des tribunaux de l'ex-Yougoslavie, en l'espèce, est d'une
12 pertinence particulièrement limitée.
13 Delic a été condamné pour manquement à prévenir et à punir les crimes
14 de ses subordonnés, et non pas pour une participation directe à ces crimes.
15 Le Procureur est dans l'erreur lorsqu'il prend en compte la jurisprudence
16 d'autres tribunaux, tout en perdant de vue ce qui est affirmé au paragraphe
17 558 du jugement. La majorité a conclu -- la majorité a souligné que la
18 pratique des tribunaux était l'un des facteurs qu'il convenait de garder à
19 l'esprit dans la détermination de la peine. Cependant, dans une analyse
20 ultérieure, elle a conclu que le code pénal de la RSFY ne prévoyait pas une
21 forme de responsabilité correspondant à l'article 7(3) du Statut du
22 Tribunal, si bien que c'était la jurisprudence du Tribunal qui était
23 pertinente dans l'espèce, paragraphe 593 du jugement.
24 Mais même dans le cas où le Tribunal aurait à prendre en compte le code
25 pénal de la RSFY, comme l'a dit le Procureur, la peine minimum prévue pour
26 les auteurs de crime est de cinq ans, pour les auteurs directs du crime.
27 C'est le paragraphe 593 du jugement. Cependant, la peine que la majorité a
28 imposée à Rasim Delic est tout à fait appropriée, parce que ce dernier est
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1 condamné sur la base de sa responsabilité de supérieur hiérarchique et que,
2 je le répète une nouvelle fois, il n'avait pas une connaissance effective
3 des crimes commis. Donc, les crimes eux-mêmes et la peine éventuellement
4 encourue par ses auteurs ne représentent pas le facteur le plus important
5 dans la détermination de la peine. Au contraire, c'est le comportement de
6 l'accusé lui-même qui est un point déterminant. Puisque la doctrine de la
7 responsabilité du supérieur hiérarchique, en théorie, pourrait être
8 appliquée dans un cadre beaucoup plus large lorsqu'il s'agit de manquement
9 à ses responsabilités, la peine pourrait varier considérablement d'un cas
10 de manquement à la responsabilité à l'autre.
11 En tout état de cause, trois facteurs essentiels sont applicables
12 pour la détermination de la mesure dans laquelle un supérieur hiérarchique
13 peut être considéré comme responsable de crimes commis par ses subordonnés,
14 tout comme pour la détermination d'une peine appropriée dans de telles
15 circonstances. Ces facteurs sont, premièrement, la gravité de son propre
16 manquement aux obligations qui sont les siennes; deuxièmement, la gravité
17 des conséquences de ce manquement; et troisièmement, la mesure dans
18 laquelle il est possible d'affirmer que son inaction a contribué à la
19 commission des crimes, le fait de ne pas prévenir ces crimes donc, ou la
20 mesure dans laquelle ses subordonnés n'ont pas été punis pour les crimes
21 qu'ils ont commis.
22 La gravité du manquement à ces obligations doit être mesurée en
23 procédant à une comparaison des mesures que l'accusé avait l'obligation
24 d'entreprendre d'un point de vue juridique et qu'il avait la capacité
25 matérielle de prendre d'un côté, et d'autre part, le comportement qui a
26 réellement été le sien dans les circonstances en question. Il est important
27 de souligner que le supérieur, s'il avait certaines responsabilités et
28 certaines compétences, n'avait pas nécessairement une responsabilité
Page 102
1 globale.
2 Il faut également garder à l'esprit que conformément au droit
3 international, on n'exige pas d'un officier haut placé qu'il prenne en
4 charge personnellement la mise en œuvre ou l'exécution de mesures visant à
5 prévenir ou à empêcher des crimes commis dans les échelons inférieurs de la
6 hiérarchie. Alors, je vous prie d'avoir à l'esprit qu'il s'agit ici du
7 commandant de l'état-major principal de l'ABiH qui a en dessous de lui, au
8 sein de l'hiérarchie, les commandements des corps d'armée, les commandants
9 des divisions, les commandants des brigades et leurs propres commandants,
10 les commandants des bataillons et leurs propres commandants, ainsi que ce
11 détachement qui nous intéresse en particulier et qui se trouve à l'un de
12 ces niveaux inférieurs. Ce détachement n'est que l'une des milliers
13 d'unités qui existent au sein de cette chaîne de commandement.
14 Alors, la question de savoir quelle mesure le supérieur hiérarchique a le
15 devoir d'entreprendre dans un contexte donné est directement déterminée par
16 les possibilités matérielles qui sont les siennes et par les circonstances
17 prévalant à l'époque. C'est ce qu'a conclu en tout cas la Chambre
18 compétente dans l'affaire Strugar, paragraphe 378. Par conséquent, le
19 Tribunal doit opérer une vérification très précise de la situation dans
20 laquelle se trouvait le commandant ainsi que des moyens qui étaient à sa
21 disposition pendant la période pertinente de l'acte d'accusation, en tenant
22 en compte toutes les circonstances et des faits pertinents en l'espèce.
23 Madame et Messieurs les Juges, cela est tout à fait conforme au droit
24 international et à ses dispositions stipulant explicitement que la gravité
25 du manquement du supérieur hiérarchique, en tant qu'un seulement des
26 facteurs principaux dans la détermination de la peine, ne peut être établie
27 et déterminée sans prendre en considération toutes les circonstances dans
28 lesquelles le manquement s'est produit. C'est ce qui a été mis en avant par
Page 103
1 la Chambre au paragraphe 558 du jugement, et c'est ce qui a également été
2 affirmé en page 5 001 dans l'affaire Toyoda.
3 Pour ce qui est un manquement de Delic, le Procureur affirme que cette
4 peine de trois ans remet en question l'efficacité même du concept de
5 responsabilité du supérieur hiérarchique en tant qu'instrument de
6 l'application du droit international humanitaire, en ayant à l'esprit les
7 circonstances de l'espèce. Cependant, le Procureur ne cite aucune de ces
8 circonstances qui permettraient de justifier l'imposition d'une peine plus
9 sévère en tant que moyen de sauvegarder les instruments d'application du
10 droit international humanitaire à l'égard de la responsabilité du
11 commandement. Au contraire, il existe toute une série de circonstances qui
12 sont celles dans lesquelles Delic agit et qui justifient la position de la
13 Chambre de première instance.
14 Alors, à partir des constatations factuelles, il est tout à fait
15 visible que dans les circonstances qui sont celles dans lesquelles est
16 intervenu Delic à partir de son arrivée au poste de commandement de l'état-
17 major principal de l'ABiH jusqu'aux accords de Dayton, qui limitent très
18 sérieusement sa capacité d'entreprendre quelque mesure que ce soit contre
19 le détachement. Par ailleurs, les éléments de preuve montrent très
20 clairement que Delic a entrepris toutes les mesures qui étaient disponibles
21 dans les circonstances en question.
22 D'autre part, les circonstances prévalant au sein de l'ABiH
23 limitaient sérieusement les possibilités dont disposait Delic au sein de
24 cette dernière. La possibilité de prendre des mesures contre le Détachement
25 El Moudjahidine était même encore plus réduite compte tenu du rejet qui
26 était celui de cette unité pour ce qui était d'accepter le commandement
27 exercé par l'ABiH. Et cela est particulièrement visible à la lumière du
28 fait suivant. Les membres du Détachement El Moudjahidine n'ont pas autorisé
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1 les membres de l'ABiH à accéder à leurs propres camps, comme vous avez pu
2 l'entendre et comme cela figure aux paragraphes 407 et 410 du jugement;
3 l'ABiH elle-même disposait de données très limitées quant à l'identité des
4 membres individuels de ce détachement, comme cela figure au paragraphe 373
5 du jugement et comme mon confrère l'a expliqué; et cette unité a
6 systématiquement refusé d'accepter le système de subordination au sein de
7 l'ABiH, c'est ce que nous dit le compte rendu en page 4 045 avec un premier
8 témoin; puis le témoin Sljuka, en page 4 301; et puis le 8 octobre -- Edin
9 Husic, le 23 octobre 2007, pages 4 446 à 4 447; Témoin Awad, le 9 février
10 2008, page du compte rendu 172 et 173; Témoin Ismet Alija, le 16 octobre
11 2007, page 4 156 du compte rendu d'audience. Madame et Messieurs les Juges,
12 tous ces témoins étaient des témoins de l'Accusation. Alors, toutes les
13 circonstances dont je viens de faire état sont particulièrement pertinentes
14 pour la détermination de la responsabilité individuelle de l'accusé et dans
15 la détermination de la sévérité de sa peine.
16 Le fait que Rasim Delic, en dépit des problèmes et des difficultés
17 précitées, ait pris des mesures, bien que ces mesures se soient souvent
18 avérées inefficaces, tout comme le fait qu'il ait pris des mesures pour
19 mettre en place un système de direction et de commandement en général et
20 des mesures visant à placer sous contrôle le détachement, sont
21 particulièrement significatives.
22 Dès le mois de juin 1993, Delic a ordonné au 3e Corps d'armée de désarmer,
23 de démanteler et de chasser les Moudjahidines. Nous disposons à cet effet
24 de la pièce à conviction E 163, également de la pièce E 661 et de la pièce
25 E 963. Au mois d'octobre 1993, Delic a lancé l'action Trebevic 1 contre
26 deux unités de l'ABiH qui étaient hors de contrôle, ce que l'on trouve au
27 paragraphe 136 du jugement. Suite à cela, il a lancé encore un certain
28 nombre d'actions, telles que Trebevic 2, 3 et 4, afin d'écarter les
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1 obstacles s'opposant au bon fonctionnement du système de direction et de
2 commandement au sein de l'ABiH, comme cela figure au paragraphe 137 du
3 jugement. Ensuite, le 9 décembre 1993, Rasim Delic a ordonné qu'il soit mis
4 un terme aux agissements illégaux des unités guérilla Moudjahidines et El
5 Moudjahidine, comme cela figure au paragraphe 449 du jugement. Et enfin,
6 l'action opérationnelle Vranduk dont vous avez connaissance et qui vous
7 avait été présentée en tant que dernière pièce dans l'ordre par mon
8 confrère, avait pour objectif une enquête menée concernant les activités du
9 détachement et représentait encore une tentative de la part de l'ABiH
10 visant à placer ce détachement sous contrôle.
11 Toutes ces actions nous montrent que Delic était un commandant
12 responsable qui s'est efforcé de mettre en œuvre un système de direction et
13 de commandement au sein de l'ABiH et de résoudre les problèmes causés par
14 les Moudjahidines, mais également un commandant qui, en raison de la
15 présence d'un certain nombre de facteurs dont nous avons déjà parlé, aux
16 paragraphes 250 à 258, de la seconde branche de notre deuxième moyen
17 d'appel, un commandant qui n'a pas réussi à mettre en place ces conditions.
18 La décision de la majorité est tout à fait justifiée compte tenu du
19 contexte dans lequel Delic intervenait. De nombreuses difficultés
20 auxquelles il était confronté quotidiennement ont influencé sans le moindre
21 doute ses capacités matérielles à prévenir et à punir. C'est pourquoi
22 l'affirmation du Procureur selon laquelle la sévérité de la peine n'est pas
23 appropriée est très loin de la réalité. La majorité fait état, dans
24 plusieurs passages du jugement, de sa conclusion selon laquelle Delic a
25 manqué à son devoir de prévenir et de punir les crimes commis par ses
26 subordonnés, paragraphe 564; d'où il est possible de conclure que la
27 majorité a bien tenu compte de ce double manquement au moment où elle a
28 déterminé la peine.
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1 Par conséquent, l'affirmation du Procureur selon laquelle la majorité
2 a commis une erreur en ne déterminant pas une peine plus sévère est tout à
3 fait infondée.
4 Le Procureur a totalement omis de tenir compte des circonstances dans
5 lesquelles Delic intervenait lorsqu'il a écrit, je cite, que : "Delic a
6 privilégié l'efficacité militaire au détriment des obligations qui étaient
7 les siennes en application du droit international humanitaire". Tout à fait
8 précisément, le Procureur dit dans son mémoire en appel que Delic je cite :
9 "…a fermé les yeux devant les violations du droit international humanitaire
10 commises par le détachement et qu'il a continué d'y avoir recours dans ses
11 opérations parce que cela lui convenait dans l'accomplissement de ses
12 objectifs militaires." Il s'agit d'une affirmation contraire aux
13 constatations de la majorité. Premièrement, la majorité a conclu que Delic
14 n'avait jamais eu une connaissance effective de quelque crime que ce soit,
15 mais qu'il n'avait que des raisons de savoir que les membres du détachement
16 s'apprêtaient à commettre le crime de traitement cruel dans les camps de
17 Livade et Kamenica en juillet et août 1995, comme cela est cité au
18 paragraphe 542 du jugement. Par conséquent, pour quelqu'un qui n'avait pas
19 une connaissance effective des violations du droit international
20 humanitaire, il est impossible de dire qu'il aurait fermé les yeux face à
21 ces mêmes violations.
22 Madame et Messieurs les Juges, vous avez eu l'occasion d'entendre des
23 descriptions tout à fait effroyables. Cependant, aucune de ces descriptions
24 ni informations n'est jamais parvenue jusqu'au général Delic. Et la
25 majorité des Juges de la Chambre de première instance n'est pas parvenue à
26 une telle conclusion.
27 Deuxièmement, l'argument du Procureur est également contraire aux
28 constatations de la majorité, à savoir que Delic travaillait à la
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1 résolution des problèmes causés par le détachement ainsi que la
2 constatation qui affirmait également que Delic participait à des actions de
3 formation de ses subordonnées, formation aux principes du droit
4 international humanitaire. Paragraphe 544 du jugement. La majorité a conclu
5 que Delic a entrepris des mesures visant à familiariser au droit
6 international humanitaire au sein de l'ABiH, visant à leur application et
7 qu'il a donné des instructions aux commandants de corps de l'ABiH afin que
8 les ennemis prisonniers soient traités conformément aux dispositions de la
9 convention de Genève et afin que les membres de la Croix-Rouge
10 internationale puissent accéder aux locaux de détention, paragraphe 544.
11 Sur la base des constatations de la majorité, il est tout à fait clair que
12 l'affirmation du Procureur selon laquelle Delic aurait privilégié
13 l'efficacité militaire est tout à fait infondée. Par là même, l'affirmation
14 du Procureur selon laquelle cette peine de trois ans revient à approuver la
15 décision qui aurait été celle de Delic de négliger ses obligations lui
16 incombant en application du droit international humanitaire et sa décision
17 de continuer de recourir au Détachement El Moudjahid dans les opérations de
18 combat, ainsi que cela revient à réduire la valeur dissuasive de la peine,
19 est également infondée.
20 Le Procureur affirme que cette peine ne dissuade en rien des
21 commandants à l'avenir de recourir à des individus avec des unités
22 violentes dans leurs opérations militaires. Le Procureur, à vrai dire, fait
23 également erreur lorsqu'il cite la décision, entre guillemets, de Delic de
24 ne pas contrôler le détachement.
25 Le Procureur affirme que Delic a remercié cette unité et qu'il l'a
26 récompensée, mais cela représente une déformation des faits et une
27 déformation des constatations de la Chambre de première instance. Dans les
28 paragraphes du jugement que le Procureur cite à l'appui de son affirmation,
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1 paragraphes 198 et 455, la Chambre de première instance a constaté que les
2 distinctions accordées au Détachement El Moudjahid l'avaient été en tant
3 qu'incitation pour ces étrangers à quitter la Bosnie-Herzégovine, donc non
4 pas en tant que récompense, mais en tant qu'incitation à partir. Il a
5 également été constaté que les promotions accordées aux membres du
6 détachement étaient la conséquence d'une décision de la présidence de la
7 République de Bosnie-Herzégovine et non pas une décision de Rasim Delic.
8 Le Procureur omet entièrement de tenir compte, comme cela d'ailleurs
9 est indiqué au paragraphe 455 du jugement, omet donc totalement de tenir
10 compte de ce contexte particulier lorsqu'il affirme que Delic a remercié
11 cette unité pour l'aide apportée au cours de la guerre et qu'il convenait
12 d'interpréter ce fait comme le signe d'une négligence de sa part concernant
13 l'application du droit international humanitaire. Les éléments de preuve et
14 les constatations de la Chambre de première instance, paragraphe 456 du
15 jugement, indiquent sans le moindre doute que cette déclaration de Delic
16 était en accord avec la décision de la présidence et qu'elle a été donnée
17 sous la pression de la communauté internationale qui, après la signature
18 des accords de Dayton, a exigé le départ de Bosnie-Herzégovine de tous les
19 étrangers. C'est dans ce sens qu'a déposé le témoin Loncaric le 10 avril
20 2008, le témoin Halim Husic le 12 mars 2008; ainsi que le témoin de
21 l'Accusation Awad. Dans une telle situation, des représentants des
22 structures politiques et militaires étaient contraints de choisir une ligne
23 de conduite particulièrement délicate, déterminée du point de vue
24 diplomatique, à l'égard des étrangers afin de s'assurer de leur départ.
25 Le Procureur affirme que Delic mérite une peine plus sévère en raison
26 de son manquement au devoir qui lui incombait au titre de l'application du
27 droit international humanitaire, notamment compte tenu du fait qu'il était
28 le commandant le plus haut placé de l'ABiH. Cette affirmation est fondée
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1 sur une interprétation erronée de la jurisprudence liée à la responsabilité
2 de commandant, parce que le rang ou une position élevée au sein de la
3 hiérarchie ne peut être simultanément une base pour un prononcé de
4 culpabilité en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur
5 et en même temps une circonstance aggravante dans la détermination de la
6 peine. Une telle façon de procéder nous amènerait dans une situation où sa
7 position serait retenue deux fois comme étant pertinente. Une telle
8 position a été prise dans le jugement dans l'affaire Hadzihasanovic et
9 Kubura, page 614, note de bas de page 4877; dans l'arrêt Celebici,
10 paragraphe 745, note de bas de page 1261.
11 Le fait que l'accusé se soit trouver à un poste de haute responsabilité et
12 qu'il ait eu certaines compétences ne peut aggraver le comportement qui a
13 été le sien que dans le cas où l'accusé a abusé de son autorité ou s'il y a
14 recouru dans l'intention de se livrer à des activités criminelles ou de
15 permettre celles d'autrui, et cela, en plus, uniquement dans le cas où
16 l'accusé n'a pas été condamné sur la base de sa responsabilité de supérieur
17 hiérarchique. C'est ce que l'on trouve au paragraphe 709 du jugement
18 Krstic; dans l'arrêt Celebici, paragraphe 737; dans l'arrêt Aleksovski,
19 paragraphe 183; dans le prononcé de la peine dans l'affaire Sikirica,
20 paragraphe 172; dans le jugement dans l'affaire Babic, paragraphes 54 à 62;
21 et dans le jugement et prononcé de la peine Simic, paragraphe 67.
22 Madame et Messieurs les Juges, le Procureur n'a en rien démontré que Rasim
23 Delic aurait, de quelque façon que ce soit, abusé de son autorité.
24 A l'appui de cet argument selon lequel la majorité aurait dû imposer
25 à Delic une peine plus sévère en raison de sa haute position d'officier, le
26 Procureur invoque l'arrêt en appel dans l'affaire Strugar. Cependant, il
27 existe une différence fondamentale entre ces deux affaires. A la différence
28 de Delic, Strugar a été condamné également en application de l'article 7(1)
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1 et non seulement dans l'application de l'article 7(3) du Statut. La Chambre
2 d'appel dans l'affaire Celebici a établi une distinction claire entre ces
3 deux formes de responsabilité du point de vue de la détermination de la
4 peine. Il a été conclu, je cite : "La preuve d'une participation active du
5 supérieur hiérarchique dans les crimes commis par ses subordonnés aggrave
6 la nature de son manquement à prévenir ou à punir les mêmes actes et peut
7 être considérée comme circonstance aggravante dans la détermination de la
8 peine." Arrêt Celebici, paragraphe 736; arrêt Aleksovski, paragraphe 183.
9 Par conséquent, toute comparaison entre ces deux affaires, du point de vue
10 de la détermination de la peine, est tout à fait inappropriée.
11 Delic n'a été condamné que par la majorité de la Chambre de première
12 instance. Il n'a été condamné que sur la base du crime de traitement cruel,
13 et uniquement sur la base de la connaissance présumée qu'il avait des
14 crimes. Ce dernier fait a une importance toute particulière dans la
15 détermination de la peine. La majorité elle-même a dit, je cite, que : "Les
16 facteurs pertinents dans la détermination de la peine, pour ce qui est des
17 comportements du supérieur, contraignent également la question de savoir si
18 le supérieur hiérarchique avait une connaissance effective ou uniquement
19 une connaissance présumée des crimes de ces subordonnés, et la question de
20 savoir dans quelle mesure la commission de ces crimes étaient prévisible."
21 Paragraphe 563 du jugement se référant au jugement Oric, paragraphe 728.
22 La majorité a également souligné qu'il importait de souligner qu'il
23 avait été établi que Rasim Delic n'avait qu'une connaissance présumée et
24 non pas une connaissance effective des crimes en question. Paragraphe 564
25 du jugement.
26 Alors, je vais m'appuyer sur ce que le Procureur a dit aujourd'hui,
27 Madame et Messieurs les Juges. Le Procureur a affirmé que Rasim Delic avait
28 connaissance d'activités criminelles précédentes et d'actes criminels qui
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1 avait été précédemment commis par des membres du Détachement El Moudjahid.
2 Mais, Madame, Messieurs les Juges, cela est inexact. Même lorsqu'il est
3 question des plaintes déposées au pénal contre les meurtriers présumés de
4 M. Goodall, ce qui ressort de cela c'est qu'il s'agit de plusieurs
5 personnes dont seulement certaines sont des membres du Détachement El
6 Moudjahid, ou seraient des membres. Les autres informations disponibles ne
7 concernaient absolument pas des infractions au pénal, mais des infractions
8 mineures concernant la façon de se comporter à l'égard de civils, en raison
9 des différences de traditions qui pouvaient exister entre des soldats
10 arabes et la perception qui était celle du peuple bosniaque. Par
11 conséquent, il n'y a aucune preuve de sa connaissance de comportement
12 criminel précédent.
13 La nature de la connaissance du supérieur est également importante
14 pour ce qui est de la détermination de la mesure dans laquelle il est
15 possible de punir le supérieur hiérarchique pour les crimes commis par ses
16 subordonnés. Je parle du deuxième et du troisième facteurs pertinents. Il
17 s'agit des cas dans lesquels le supérieur hiérarchique a manqué à son
18 obligation de prévenir ou de punir les crimes commis par ses subordonnés.
19 Oui, merci de me prévenir. Je m'excuse pour la vitesse à laquelle
20 j'énonce ma présentation.
21 Dans son appel, le Procureur dit, je cite : "Compte tenu de son rôle
22 et de sa haute position au sein du commandement de l'ABiH, le manquement de
23 Delic à prévenir et à punir les crimes de ses subordonnés est
24 particulièrement grave parce qu'il créait un climat d'impunité au sein de
25 la chaîne de commandement dans son ensemble. Delic était le supérieur
26 hiérarchique de chacun des soldats se trouvant au sein de la structure
27 militaire de l'ABiH. Plus que quiconque d'autre, il avait la responsabilité
28 de mettre en œuvre la fonction de commandement au sein de l'ABiH." Mémoire
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1 en appel de l'Accusation, paragraphe 33.
2 En énonçant cette affirmation, le Procureur omet de tenir compte aussi bien
3 de la jurisprudence applicable que des faits en l'espèce.
4 Premièrement, le Procureur a omis de tenir compte de l'arrêt en appel
5 dans Strugar et Hadzihasanovic. En effet, il y est affirmé qu'un manquement
6 du commandement à prévenir et à punir ne peut avoir comme conséquence un
7 risque accru en termes de commission de crime que dans les cas où le
8 supérieur hiérarchique en question avait une connaissance effective des
9 crimes commis. Arrêt en appel Hadzihasanovic, paragraphe 30; jugement
10 Strugar, paragraphe 301. Compte tenu du fait que Delic n'avait qu'une
11 connaissance présumée et non effective, et ce, d'un incident isolé, il est
12 impossible d'affirmer que son manquement ait abouti à créer un climat
13 d'impunité, et notamment lorsque l'on tient compte du fait qu'il
14 encourageait de façon active la formation des membres de l'ABiH aux
15 dispositions du droit international humanitaire.
16 Deuxièmement, la conclusion de la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici,
17 à laquelle le Procureur se réfère dans son appel, à savoir qu'un manquement
18 persistant du commandant à prévenir ou à punir les crimes de ses
19 subordonnés peut encourager des subordonnés à commettre des crimes,
20 paragraphe 739, n'est pas applicable en l'espèce, Madame et Messieurs les
21 Juges. En effet, à la différence des accusés dans l'affaire Celebici, la
22 majorité n'a pas conclu que Delic aurait manqué de façon systématique à ses
23 obligations. Au contraire, il a été condamné sur la base de la conclusion
24 suivante : il a été mis au courant d'un incident isolé, dont il est fait
25 état au paragraphe 551 du jugement.
26 La Chambre elle-même, dans l'affaire Celebici, fait état de la chose
27 suivante, un manquement systématique du commandant à prévenir et à punir,
28 ceci doit être considéré comme beaucoup plus grave que des cas isolés
Page 114
1 montrant de tels manquements. Arrêt en appel Celebici, paragraphe 739.
2 Le Procureur affirme que Delic était le supérieur, le commandant de chaque
3 soldat au sein de la structure militaire de l'ABiH, et que, plus que
4 quiconque, il avait la responsabilité de mettre en œuvre les fonctions du
5 commandement au sein de l'ABiH. Mais cette affirmation est contraire aux
6 constatations et aux conclusions de la Chambre de première instance. A
7 partir des éléments de preuve, il est tout à fait clair que la structure de
8 l'ABiH est fondée sur le principe de l'unicité du commandant. Par
9 conséquent, Delic était bien le commandant de l'état-major de l'ABiH, mais
10 il n'était pas le commandant de chacun des soldats au sein de l'ABiH. La
11 pièce E 419 montre clairement quelles étaient les personnes dont Delic
12 était le supérieur direct, y compris les commandants de corps d'armée, que
13 c'étaient eux qui étaient les commandants des unités inférieures, y compris
14 les divisions et les autres unités qui en dépendaient.
15 Pour finir, le Procureur omet de tenir compte des circonstances atténuantes
16 prises en compte par la majorité. Premièrement, Delic s'est livré de son
17 plein gré, comme ça figure au paragraphe 573 du jugement, dès que l'acte
18 d'accusation a été dressé. Deuxièmement, il y a de nombreuses dépositions
19 faisant état de ses qualités. Il n'a jamais été condamné précédemment. Il a
20 toujours encouragé l'application du droit international humanitaire au sein
21 de l'ABiH, et il a eu un rôle-clé "dans le lancement de l'opération
22 Trebevic I et dans d'autres actions subséquentes qui avaient pour but de
23 neutraliser les unités insoumises de l'ABiH." Il a également participé aux
24 négociations de paix, paragraphes 582 à 584 du jugement. Pour finir, la
25 majorité a également tenu compte des circonstances qui prévalaient en
26 Bosnie-Herzégovine et des difficultés auxquelles était confronté Delic, en
27 raison des résistances d'un certain nombre de personnes dans son entourage
28 et des résistances également de certains groupes politiques, paragraphes
Page 115
1 588 et 589 du jugement.
2 En demandant une nouvelle peine de sept ans d'emprisonnement, le Procureur,
3 manifestement, ne tient pas compte de ces circonstances atténuantes, ce qui
4 montre très clairement que sa demande est inappropriée.
5 Madame et Messieurs les Juges, sur la base de ce que je viens de présenter,
6 il apparaît que la majorité a pris en compte tous les facteurs importants
7 pour la détermination d'une peine appropriée imposée à Rasim Delic. La
8 peine de trois ans traduit la gravité du manquement de Delic conformément
9 aux constatations de la majorité, toutes les circonstances dans lesquelles
10 ce manquement s'est produit, tout comme les circonstances atténuantes
11 constatées. Le Procureur n'a fait état d'aucune raison valable permettant
12 de justifier que la peine imposée ait été inappropriée. Non seulement ses
13 arguments sont contraires aux éléments de preuve et aux constatations de la
14 majorité, mais ils sont également fondés sur une interprétation erronée de
15 la jurisprudence applicable. C'est pourquoi l'appel de l'Accusation devrait
16 être rejeté comme infondé.
17 Mme LE JUGE VAZ : Oui. M. le Juge Pocar voudrait vous poser une question,
18 Madame.
19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] C'est simplement une question qui
20 cherche à mieux éclairer votre position. En effet, je n'ai peut-être pas
21 saisi. Etait-ce à cause de l'interprétation, je ne sais pas. Mais est-il
22 exact de dire que l'argument que vous faites valoir c'est que la
23 responsabilité du supérieur hiérarchique constitue une infraction
24 différente, et qui consiste en ce manquement à l'obligation de prévenir et
25 de punir, est quelque chose qui serait distinct du crime commis par le
26 subordonné; est-ce exact ?
27 Mme VIDOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.
28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] S'il en est ainsi, faites-vous valoir
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1 que la responsabilité du supérieur hiérarchique, ce n'est pas une
2 responsabilité pour les crimes commis par le subordonné, mais que c'est
3 plutôt un autre type de responsabilité qui n'est pas forcément lié aux
4 crimes commis ? Parce que si je vous ai bien compris, vous avez dit que ça
5 dépend de la gravité de l'omission par rapport au devoir qui est imposé au
6 commandant à la lumière des mesures qu'il aurait dû prendre. Est-ce que je
7 vous ai bien compris ? Vous dites qu'il s'agit d'une infraction tout à fait
8 différente qui n'a rien à voir ou qui a peu de choses en commun avec les
9 crimes commis par le subordonné ? Et pour le dire autrement, ce n'est pas
10 une modalité de la responsabilité pour les crimes commis par le subordonné,
11 mais c'est une infraction radicalement différente. Est-ce bien ce que vous
12 défendez comme thèse ?
13 Mme VIDOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge, Madame et
14 Messieurs les Juges. Notre position, et celle de la majorité des Juges de
15 la Chambre de première instance du TPIY, est de dire qu'il s'agit ici d'une
16 infraction distincte, séparée. Autrement dit, un commandant a la
17 responsabilité de son propre manquement à l'obligation de prévenir et
18 d'empêcher, mais il ne saurait être tenu responsable des crimes commis par
19 ses subordonnés en tant que tels.
20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Dans ce cas, est-il exact de dire qu'à
21 votre avis, la gravité du manquement à l'obligation de prévenir et de punir
22 n'est pas en fonction de la gravité des crimes commis par le subordonné, et
23 que si vous voulez, le critère doit être différent ? Il faut mesurer cette
24 gravité différemment ?
25 [Le conseil de la Défense se concerte]
26 Mme VIDOVIC : [interprétation] Au fond, oui, effectivement, Monsieur
27 le Juge.
28 Mme LE JUGE VAZ : Oui, le Juge Meron voudrait poser une question.
Page 117
1 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Permettez-moi d'enchaîner sur cette
2 question parfaitement aigue et pointue, si j'ose dire, du Juge Pocar. Vous
3 venez de lui répondre, et vous dites qu'il n'y a pas de lien entre la
4 gravité qu'il faut imputer à un commandant, par exemple ici M. Delic, et le
5 comportement de ceux qui sont supposés être ses subordonnés, sans ici
6 aborder la question du commandement effectif. Dites-vous, Maître, que si M.
7 Delic avait eu connaissance des crimes commis et avait connaissance de la
8 gravité de ceux-ci, ou est-ce que vous avez répondu comme vous l'avez fait
9 au Juge Pocar, partant du fait qu'il ne savait pas ce qui se passait dans
10 la base des Moudjahidines ?
11 Mme VIDOVIC : [interprétation] Pas tout à fait. Le général Delic, s'il est
12 condamné, doit être condamné sur la base de sa propre crédibilité --
13 excusez-moi, je n'ai peut-être pas trouvé les mots qu'il fallait.
14 Le général Delic, il devrait être jugé s'il a lui-même commis une
15 erreur, et en fonction de la gravité d'une telle erreur, ou de ce
16 manquement à l'obligation qu'il a de prévenir et de punir. Bien sûr, il
17 faut tenir compte de la gravité des crimes commis, mais il ne faut pas
18 accorder une importance exagérée à ceux-ci, car sinon on peut toujours se
19 dire que tout commandant devrait être condamné à la réclusion à perpétuité
20 si un de ses subordonnés a commis un crime grave. Il faut donc voir quel
21 serait son commandement et quelle serait la nature de sa responsabilité à
22 lui.
23 Permettez-moi, Madame et Messieurs les Juges, de répondre à la deuxième
24 partie de votre question. Bien entendu, il est très important dans cette
25 situation de savoir s'il a été déclaré coupable en raison de l'existence
26 d'une connaissance effective ou d'une reconnaissance imputée. Parce que
27 s'il n'avait aucune connaissance réelle des faits en cause, nous avons une
28 donne différente de celle où il aurait eu une connaissance effective. Parce
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1 que s'il avait une connaissance réelle, à ce moment-là son manquement
2 aurait été plus grave.
3 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.
4 Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Pas d'autres questions. A présent, Monsieur le
5 Procureur, vous avez 20 minutes pour la réplique.
6 M. WOOD : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.
7 Ce qu'il faudra redire comme point essentiel de nos arguments et en réponse
8 à ceux de la Défense présentés aujourd'hui, c'est ceci, la Chambre de
9 première instance n'a pas pleinement rendu compte dans la peine qu'elle a
10 prononcée de la gravité des crimes et aussi de la gravité du manquement de
11 Rasim Delic. Quand vous voyez l'ensemble du dossier, il s'applique à Rasim
12 Delic, et ici nous avons une peine qui est manifestement inappropriée quand
13 on le condamne à trois ans d'emprisonnement.
14 On a parlé beaucoup de la question de la connaissance attribuée et de
15 la connaissance effective. Ça se retrouve en filigrane de tous les
16 arguments de la Défense. Mais si Delic n'avait pas connaissance effective
17 de ces crimes, c'est parce qu'il n'a pas cherché à s'enquérir, alors qu'il
18 avait reçu des informations alarmantes, des prisonniers étaient détenus par
19 cette unité, sur 1 000 unités, nous a dit la Défense, alors qu'il a reçu
20 des informations qui parlaient de la propension de cette unité à la
21 violence dans son comportement. C'est du moins ce que nous dit la Défense,
22 qu'il devrait avoir une peine plus légère parce qu'il n'avait pas de
23 connaissance effective, mais que c'était une connaissance qu'on lui
24 imputait.
25 Rien dans la jurisprudence du Tribunal nous dit qu'il faudrait être
26 plus indulgents s'agissant d'une connaissance qui est attribuée plutôt que
27 d'être effective, et je ne pense pas que la Chambre d'appel aujourd'hui
28 doit agir différemment.
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1 La Défense dit qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à la
2 dissuasion. Or, ceci se trouve dans la jurisprudence, et nous sommes
3 d'accord avec cette idée. Mais ceci n'a aucune incidence sur l'argument
4 présenté par la Défense. La rétribution -- la dissuasion ne doit pas se
5 voir attacher une importance excessive, mais c'est important quand même.
6 Parce que nous estimons que trois ans d'emprisonnement, vu les crimes
7 mentionnés dans cette affaire et vu la connaissance qu'il avait du
8 comportement criminel du détachement, montrent qu'on n'a pas du tout
9 accordé d'importance au facteur de dissuasion, ce qui a été une erreur de
10 la Chambre.
11 En réponse à certaines questions posées par les Juges, on s'est demandé si
12 les comportements condamnables de l'accusé ou des auteurs présumés devaient
13 être transférés au supérieur hiérarchique, en vertu de l'article 7(3). La
14 question porte encore à polémique, le 7(3) est un crime pour avoir manqué à
15 l'obligation de prévenir ou de punir, et le commandant est-il ainsi
16 condamné des crimes en tant que tel ? Mais ici, en l'occurrence, je ne
17 pense pas qu'il faille approfondir davantage le débat juridique, car même
18 au vu des faits et du droit applicable tels qu'ils ont été décrits par la
19 Chambre et repris ici, le manquement de Delic, au vu de ces faits-ci et du
20 droit applicable, montre que cette peine ne suffit pas, cette peine de
21 trois ans. Même si vous êtes d'accord pour dire que les crimes commis par
22 des subordonnés n'ont pas à être imputés au commandement, il doit quand
23 même y avoir une corrélation entre les crimes qu'il est probable de voir
24 commis par le subordonné et le crime tel qu'il va être perçu par le
25 commandant.
26 J'ai parlé de façon détaillée de la gravité des crimes en tant que telle.
27 Il faut s'en souvenir, nous ne parlons pas ici de traitement cruel de bas
28 étage. Nous parlons ici du traitement cruel infligé d'abord à 12, puis 11
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1 prisonniers de guerre au quotidien pendant 35 jours, de façon systématique.
2 N'oublions pas que les auteurs de ces méfaits, quels que soient les
3 critères qu'on puisse appliquer, se seraient vus infliger une peine
4 supérieure à trois ans. La peine à infliger à Delic est-elle celle qu'on
5 aurait dû infliger ou qu'on infligerait à des subordonnés ? Ce n'est pas ce
6 que nous disons. Nous disons simplement qu'il doit avoir un certain lien.
7 Vu la gravité de ces crimes, étant donné aussi qu'il était informé du fait
8 que le détachement avait en détention des prisonniers qui étaient
9 vulnérables, vu la propension qu'avait ce détachement à la violence,
10 manifestement c'est là une peine bien trop légère.
11 La Défense nous disait que l'Accusation n'avait pas tenu compte des
12 circonstances difficiles dans lesquelles opérait Delic. Nous disons que
13 c'est une peine manifestement trop légère - et nous l'avons dit dans notre
14 mémoire en réplique - même en tenant compte des circonstances atténuantes
15 prises en compte par la Chambre de première instance, la peine reste trop
16 légère.
17 Autre grand thème récurrent, c'était de dire qu'il a privilégié la
18 commodité militaire au respect du droit international humanitaire. Page 100
19 du compte rendu d'aujourd'hui. Mais si vous examinez l'ensemble du dossier,
20 vous allez voir que Delic savait, et étant donné qu'il avait été averti,
21 comme on le voit au paragraphe 501 du jugement, et je vous invite, bien
22 sûr, à regarder de plus près ce paragraphe 501, car il vous montre
23 exactement l'avertissement, l'information qu'il avait reçue. La Chambre a
24 conclu que cette information, cet avertissement montrait, comme le disait
25 le paragraphe 501, qu'en 1994 et été 1993, il savait que le détachement
26 avait une propension à des comportements violents et à des comportements
27 criminels et qu'en dépit de tout cela, il n'a rien fait. Ceci montre qu'il
28 a effectivement laissé primer la commodité militaire sur son obligation de
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1 faire respecter le droit international humanitaire, et tout ceci a trouvé
2 son apogée dans le rapport qu'il a reçu ou qui lui était adressé le 21
3 juillet, qui montrait qu'il y avait des prisonniers de guerre qui étaient
4 détenus par le détachement, qu'on ne permettait pas de les voir, qu'il
5 avait pourtant l'obligation de faire quelque chose à ce moment-là. Or, il
6 n'a rien fait, et ceci a provoqué le traitement cruel pendant 35 jours
7 infligé à ces hommes jusqu'au 24 août.
8 La Défense vous a dit que ces distinctions données au détachement, c'était
9 simplement pour les encourager à partir. Cela déformait les conclusions de
10 la Chambre. Prenez le paragraphe 455, il montre qu'il y a plusieurs membres
11 du détachement qui ont été promus par voie de décision de la présidence, ce
12 dont faisait partie Delic, et ceci même en juin 1995, et à plusieurs dates
13 précédant la cérémonie d'adieu à laquelle Delic était présent et à laquelle
14 il a remercié le détachement pour sa prestation. Il y a des hommes qui ont
15 bénéficié de promotions pendant qu'ils servaient en tant qu'unité de combat
16 dans l'armée. Alors, dire que c'était simplement pour les pousser à partir,
17 c'est déformer la situation.
18 Peut-être la Défense veut-elle donner à penser que nous voulons faire
19 un double décompte de son poste de commandement. Non, on ne peut pas
20 prendre ceci comme étant un élément constitutif et aussi une circonstance
21 aggravante. Nous sommes d'accord sur l'idée, mais ce n'est pas ce que nous
22 disons. Nous ne voulons pas dire que son poste de haut gradé devrait être
23 compté contre lui deux fois, mais il faut en tenir compte pour voir quelle
24 est la gravité de son manquement, de sa violation du droit. Mieux que
25 quiconque, il était bien placé pour intervenir lorsqu'il a appris en 1995,
26 en juillet 1995, que ces personnes étaient placées en détention et qu'il
27 n'était pas possible de les voir, qu'on interdisait l'accès à ces
28 prisonniers.
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1 Un dernier point. Quant à cette culture d'impunité, ceci tombe dans
2 le droit fil de ce que vous a dit la Défense, à savoir qu'une connaissance
3 qui est imputée ne doit pas être considérée comme étant une connaissance
4 effective. Prenez le paragraphe 512, la Chambre a dit que le fait de ne pas
5 punir a encouragé les hommes à récidiver et a encouragé cette culture
6 d'impunité. Ceci se trouve au paragraphe 512 du jugement.
7 Je ne sais pas si vous avez d'autres questions. Donnez-moi un instant, s'il
8 vous plaît, pour consulter mes collègues.
9 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
10 Mme LE JUGE VAZ : Vous en avez terminé, Monsieur le Procureur ? Nous
11 n'avons pas de questions.
12 M. WOOD : [interprétation] Je vous remercie. Oui, Madame la Présidente.
13 Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur Wood.
14 Etant donné qu'il n'y a pas d'autres questions, nous allons à présent
15 demander à M. Delic s'il veut s'adresser à la Chambre d'appel. Si oui, vous
16 avez la parole. Pas plus de dix minutes, s'il vous plaît.
17 L'APPELANT : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, cela suffira
18 amplement.
19 J'ai avant toute chose l'obligation de vous remercier de m'avoir donné la
20 parole brièvement. Je ne souhaite pas entrer dans les détails des éléments
21 de preuve juridiques et de la situation du point de vue juridique, parce
22 qu'il incombe à l'Accusation de prouver ces allégations; à la Défense de
23 prouver la vérité qui est la nôtre; et c'est votre devoir d'en juger. J'ai
24 toute confiance en la Chambre à cet égard.
25 J'ai l'obligation de dire que j'avais accordé ma confiance à ce Tribunal au
26 moment où j'étais encore commandant au sein de nos forces armées en raison
27 de la situation même dans notre pays. Parce que j'estimais qu'il était
28 nécessaire d'apporter une solution à tous les points-clés dans l'intérêt de
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1 la pacification, de la normalisation et du progrès, c'est pourquoi j'ai
2 soutenu les travaux de ce Tribunal jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'en
3 1995 et au-delà, en tant que l'un des commandants de l'armée conjointe de
4 la fédération. Donc, c'est sur la base du droit et d'arguments juridiques
5 que ce Tribunal continue à prendre ses décisions. Indépendamment de la
6 peine qui sera ou non prononcée, je n'ai aucun doute à cet égard. Je
7 voudrais donc exprimer mes remerciements pour l'équité des procès qui se
8 sont déroulés dans cette enceinte.
9 Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Delic.
10 Je tiens à présent à remercier les juristes, les représentants du greffe
11 qui ont prêté leur coopération pour la tenue de cette audience, les
12 rédacteurs des comptes rendu d'audience pour leur aide précieuse et les
13 interprètes qui ont permis le bon déroulement des débats. L'affaire est à
14 présent mise en délibéré. La date du jugement sera communiquée en temps
15 voulu. Merci à tous.
16 L'audience est levée.
17 --- L'audience d'appel est levée à 16 heures 01.
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