Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 30 mars 2004

2 [Audience sentencielle]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 12 heures 03.

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Bonjour à tous. Je vais demander à

7 Mme la Greffière d'audience de donner le numéro de l'affaire.

8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

9 Madame, Monsieur les Juges, affaire IT-02-61-S, le Procureur contre

10 Miroslav Deronjic.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Je vais demander aux parties

12 de se présenter. Commençons par l'Accusation.

13 M. HARMON : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

14 Monsieur les Juges, conseils de la Défense. Je m'appelle Mark Harmon. Je

15 suis accompagné de Mme Lise-Lotte Karlsson, notre assistante

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Pour la Défense.

17 M. CVIJETIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

18 Monsieur les Juges. Je m'appelle Slobodan Cvijetic, conseil de l'accusé

19 Deronjic. Je suis accompagné de mon co-conseil, Slobodan Zecevic.

20 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Je vais maintenant pour

21 finir, demander à M. Deronjic s'il est en mesure de suivre les débats dans

22 une langue qu'il comprend.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je m'excuse, mais je n'ai pas de traduction.

24 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Êtes-vous maintenant en mesure de

25 m'entendre dans une langue que vous comprenez.

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui. Je vous entends.

2 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

3 Avant d'annoncer ce jugement fort controversé en l'espèce, je souhaiterais

4 remercier tous ceux qui ont apporté leur contribution à la préparation, à

5 la traduction ainsi qu'au peaufinage de ce jugement. Je souhaiterais

6 exprimer tout particulièrement ma gratitude à Mme Roza Salibekova, Mme Anja

7 Streufert et M. Jan Nemitz.

8 Nous allons à présent donner lecture du résumé du jugement rendu par la

9 Chambre de première instance. Le texte, ce résumé sera disponible en

10 anglais, en français et en B/C/S à l'issue de l'audience. Cependant, seul

11 fait autorité, le texte du jugement dans lequel sont exposés les

12 constations et les conclusions de la Chambre de première instance ainsi que

13 ses motifs.

14 L'accusé, M. Miroslav Deronjic, est né le 6 juin 1954, dans la municipalité

15 ce Bratunac.

16 Miroslav Deronjic a été mis en accusation le 3 juillet 2002. La Chambre de

17 première instance tient à souligner qu'elle n'est appelée à se prononcer

18 que sur la responsabilité pénale de Miroslav Deronjic dans les persécutions

19 commises le 9 mai 1992 dans le village de Glogova.

20 La présente Chambre de première instance doit mettre en balance d'une part,

21 l'extrême gravité des crimes, et d'autre part, le fait que l'accusé,

22 notamment en reconnaissant qu'il est personnellement responsable de ces

23 crimes, commis en un seul jour, contribue à l'établissement de la vérité.

24 Le 6 juillet 2002, Miroslav Deronjic a été arrêté à Bratunac avant d'être

25 transféré au quartier pénitentiaire des Nations Unies

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1 le 8 juillet 2002. Lors de sa comparution initiale, le 10 juillet 2002,

2 Miroslav Deronjic a plaidé non coupable aux six chefs retenus à son

3 encontre, dans l'acte d'accusation initial, lequel ensuite a été modifié à

4 deux reprises. Dans la dernière version de l'acte d'accusation, datant du

5 mois de septembre 2003, seul le chef de persécution, tombant sous le coup

6 de l'Article 5 (H) du statut a été retenu. C'est sur cette base que

7 l'accusé est jugé.

8 L'accusé a plaidé coupable de ce chef, qui est repris dans l'accord sur le

9 plaidoyer, présenté conjointement par les parties auquel est joint un

10 exposé des faits.

11 La Chambre de première instance a d'office ordonné la présentation d'un

12 rapport d'expert sur le comportement social de l'accusé, lequel a été

13 établi par Mme Anna Najman de Belgrade. La Chambre a également admis le

14 rapport d'expert, sur l'application des peines, présenté par M. Ulrich

15 Sieber, directeur de l'institut Max Planck, de droit pénal international et

16 étranger de Fribourg en Allemagne, dans l'affaire Dragan Nikolic. Des

17 audiences consacrées à la peine ont eu lieu le 27 et le 28 janvier 2004,

18 ainsi que le 5 mars 2004. L'accusé a témoigné le 27 janvier 2004.

19 La Chambre de première instance va à présent s'attacher à la carrière

20 professionnelle de Miroslav Deronjic avant de passer aux faits de l'espèce.

21 De septembre 1990 à la fin d'avril 1002, Miroslav Deronjic était président

22 du conseil municipal SDS, parti démocratique serbe de Bosnie-Herzégovine de

23 Bratunac. Il a également présidé les trois cellules de Crise qui se sont

24 succédées dans la municipalité de Bratunac, d'octobre 1991 à juin 1992. Dès

25 sa création, à la fin d'avril 1992, la cellule de Crise de Bratunac a

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1 assumé les pouvoirs du conseil exécutif de la municipalité et des organes

2 de l'assemblée municipale. Elle a été rebaptisée commission de Guerre sur

3 décision de la présidence de la République serbe de Bosnie-Herzégovine en

4 juin 1992. Miroslav Deronjic siégeait alors en son sein.

5 Au cours de l'été 1993, il est devenu membre du comité central du SDS. Le

6 11 juillet 1995, Miroslav Deronjic a été nommé commissaire aux Affaires

7 civiles pour la municipalité de Srebrenica. En 1996, il est devenu vice-

8 président du SDS, sous la présidence du président Karadzic, poste qu'il a

9 occupé jusqu'à sa démission en 1997.

10 La municipalité de Bratunac, située dans l'est de la République de Bosnie-

11 Herzégovine, était d'une importance stratégique majeure pour les Serbes de

12 Bosnie car elle reliait cette région à l'état serbe voisin.

13 Selon les résultats du recensement de 1991, la municipalité de Bratunac

14 comptait 33 619 habitants dont les deux tiers environ étaient des Musulmans

15 et un tiers environ des Serbes.

16 Le village de Glogova, situé dans cette municipalité, était principalement

17 peuplé de Musulmans de Bosnie avant le 9 mai 1992. En 1991, il comptait 1

18 913 habitants dont 1 901 Musulmans.

19 D'avril à décembre 1991, les dirigeants serbes de Bosnie ont tenu une série

20 de réunions préparatoires au cours desquelles a germé l'idée d'une Grande

21 Serbie, débarrassée, nettoyée de tous les autres groupes ethniques. Ce

22 projet a finalement abouti lors d'une réunion convoquée le 19 décembre 1991

23 et présidée par Radovan Karadzic. Celui-ci a alors annoncé qu'un état

24 serait créé, la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Les présidents des

25 conseils municipaux, dont Miroslav Deronjic, se sont vus remettre des

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1 instructions écrites strictement confidentielles. Ces instructions

2 s'adressaient aux municipalités dans lesquelles les Serbes de Bosnie

3 étaient, soit en majorité, variante A, soit en minorité, variante B. La

4 municipalité de Bratunac était une municipalité de type B.

5 Au printemps 1992, un conflit armé a éclaté entre les Serbes et les non

6 Serbes en République de Bosnie-Herzégovine. Des forces armées ont lancé des

7 attaques systématiques et généralisées contre la population musulmane de

8 Bosnie, dans cette région.

9 En avril ou mai 1992, l'accusé savait que, pour réaliser l'objectif commun

10 mentionné précédemment, il avait aussi été prévu de recourir à la force et

11 il en avait déjà été fait usage, dans les municipalités voisines. A Glogova

12 l'accusé a également agi dans ce sens.

13 L'usage de la force impliquait notamment l'expulsion, par la force, des

14 habitants musulmans de leurs maisons et l'emploi d'armes contre les

15 Musulmans dont beaucoup ont été tués au cours de ces opérations.

16 Des forces serbes de Bosnie ont pris le contrôle de la municipalité de

17 Bratunac le 17 avril 1992. Dès la fin avril au début mai 1991, Miroslav

18 Deronjic exerçait, en sa qualité de président de la cellule de Crise de

19 Bratunac, un contrôle de facto et de jure sur la Défense territoriale et un

20 contrôle de facto sur les forces de police de Bratunac. Il a autorisé la

21 Défense territoriale et les forces de police de Bratunac à désarmer la

22 population musulmane de Glogova. A partir de ce moment, Glogova était, non

23 seulement un village peuplé de civils non armés mais aussi un village non

24 défendu.

25 Vers le 27 avril 1992, Milutin Milosevic, qui était le chef du SUP serbe,

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1 s'exprimant au nom de Miroslav Deronjic, a déclaré aux habitants de Glogova

2 que leur village ne serait pas attaqué puisque les habitants du village

3 avaient donné leurs armes.

4 Lors d'une réunion de la cellule de Crise, qui s'est tenue le 8 mai 1992,

5 Miroslav Deronjic a annoncé que l'attaque de Glogova serait lancée le

6 lendemain. Il a expliqué l'importance stratégique de la prise de Glogova.

7 Il a parlé du projet de création d'un territoire ethniquement serbe, qui ne

8 pourrait être mis en œuvre dans la municipalité de Bratunac avant la prise

9 de Glogova et le transfert de toute sa population musulmane dans des

10 territoires non Serbes. Il a précisé que s'ils ne posaient aucune

11 résistance, tous les habitants musulmans de Glogova devraient être amenés

12 au centre du village puis conduits en autocar ou en camion hors de la

13 municipalité de Bratunac vers Kladanj. Miroslav Deronjic a ajouté que si

14 tout se passait bien à Glogova, l'opération, visant à chasser à jamais les

15 Musulmans de Bosnie, se poursuivra les jours suivants, dans la ville de

16 Bratunac et, notamment, dans les communes locales de Voljevica et Suha.

17 Lors de cette réunion de la cellule de Crise, Miroslav Deronjic, en sa

18 qualité de président, a donné l'ordre d'attaquer Glogova, un village non

19 défendu, non armé, de le réduire en cendres et d'expulser par la forces les

20 Musulmans qui y habitaient, tout en sachant et en acceptant que cette

21 attaque ferait très vraisemblablement des morts parmi la population.

22 La Chambre de première instance connaît le nom de 64 Musulmans de Bosnie,

23 du village de Glogova, qui ont été exécutés par les membres des forces

24 assaillantes, le 9 mai 1992. Le nom de ces victimes est répertorié au

25 chapitre XII du jugement.

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1 L'attaque de Glogova constituait une opération conjointe, coordonnée et

2 supervisée par Miroslav Deronjic. Les forces assaillantes étaient des

3 membres de la JNA, de la Défense territoriale de Bratunac, des forces de

4 polices de Bratunac, ainsi que d'autres groupes paramilitaires.

5 Les assaillants ont chassé par la force, les civils musulmans de Bosnie de

6 leurs maisons et les ont transférés hors du village de Glogova. Plus

7 précisément, les femmes et les enfants, qui ont survécu à l'attaque, ont

8 été embarqués à bord d'autocars et expulsés de la municipalité de Bratunac

9 vers des territoires contrôlés par les Musulmans. Rien dans l'acte

10 d'accusation ou l'exposé des faits ne précisent ce qu'il est advenu de ces

11 victimes, que ce soit pendant l'attaque ou durant leur transport et après

12 celui-ci.

13 Lorsqu'il a plaidé coupable, l'accusé a reconnu que, lors de l'attaque de

14 Glogova, il était présent lorsque les assaillants ont systématiquement

15 incendié les maisons, les bâtiments, les champs et les meules de foin

16 appartenant aux Musulmans. Ils se sont ainsi livrés, sur une grande

17 échelle, à une destruction arbitraire des habitations, des locaux

18 commerciaux et des biens mobiliers appartenant aux Musulmans du village de

19 Glogova. L'accusé a admis que la destruction de la mosquée était également

20 une conséquence prévisible de ces actes.

21 Suite à l'attaque ordonnée par Miroslav Deronjic, une partie importante de

22 Glogova a été entièrement rasée, et il n'est plus resté aucun Musulman dans

23 le village.

24 La Chambre de première instance tient à souligner qu'elle n'est pas appelée

25 à se prononcer sur la poursuite de l'opération dans toute la municipalité

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1 de Bratunac, en exécution du même plan. Le 10 mai 1992, cette opération

2 s'est poursuivie dans la ville même de Bratunac, et notamment dans les

3 communautés locales de Voljevica et de Suha. Du 8 au 12 mai 1992, aux dires

4 de l'accusé, au total 100 à 200 personnes ont été tuées dans la

5 municipalité de Bratunac.

6 Le 10 ou le 11 mai 1992, Miroslav Deronjic a été invité à se rendre à Pale,

7 afin de faire un rapport sur les événements survenus à Glogova et où, dans

8 la municipalité de Bratunac, assistaient à la réunion de Pale, Radovan

9 Karadzic, Velibor Ostojic et Ratko Mladic, ainsi qu'une cinquantaine

10 d'autres personnes dont les présidents des cellules de Crise de d'autres

11 municipalités. Au mur derrière eux se trouvaient des cartes donnant la

12 composition ethnique des différentes parties de la Bosnie-Herzégovine à

13 l'aide de différentes couleurs. Les régions serbes étaient représentées en

14 bleu. Après avoir fait son rapport et avoir montré sa municipalité sur la

15 carte, Miroslav Deronjic a été applaudi, et Velibor Ostojic a dit, je cite

16 : "Maintenant, nous pouvons colorier Bratunac en bleu."

17 La Chambre de première instance va à présent examiner la gravité de

18 l'infraction et les circonstances aggravantes.

19 La Chambre convient avec le Procureur que "le crime pour lequel Miroslav

20 Deronjic doit être condamné, est justement le type de crime à propos duquel

21 le conseil de Sécurité s'est déclaré profondément alarmé dans sa résolution

22 numéro 808. Les événements de Glogova, ce 9 mai 1992, constituent un

23 exemple classique d'un nettoyage ethnique. C'est précisément à cause de ce

24 genre d'événements que le conseil de Sécurité a créé notre Tribunal.

25 L'attaque de Glogova ne constituait pas un acte isolé, un acte fortuit mais

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1 un événement majeur qui s'inscrivait dans le cadre d'un plan beaucoup plus

2 vague dont l'objectif était de diviser la Bosnie-Herzégovine et de créer

3 des territoires ethniquement serbes." La Chambre rejoint également le

4 Procureur lorsqu'il dit que les persécutions aux titres desquels l'accusé a

5 plaidé coupable, constituent "un crime très grave de par sa nature même."

6 La Chambre de première instance, lorsqu'il s'agit de déterminer la gravité

7 du crime et des circonstances aggravantes pour fixer la peine, prend en

8 compte les événements suivants :

9 Le nombre élevé des victimes;

10 Le fait que Miroslav Deronjic ait abusé des pouvoirs que lui conféraient

11 ses fonctions de dirigeant politique dans la municipalité de Bratunac.

12 Le fait qu'il ait donné l'autorisation de désarmer les habitants de

13 Glogova. Le rôle qu'il a joué en ordonnant l'attaque de Glogova, et pendant

14 celle-ci, avec l'intention de procéder à un nettoyage ethnique.

15 La vulnérabilité et l'impuissance toute particulière des victimes prises au

16 piège de l'attaque.

17 La Chambre de première instance tient compte, en particulier, des effets à

18 long terme de l'attaque, sur les victimes de Glogova et sur leurs proches.

19 Parmi les anciens habitants de Glogova, nombreux sont ceux qui souffrent

20 aujourd'hui encore des effets persistants, des horreurs dont ils ont été

21 témoins lors de l'attaque de leur village, et déclarent entre autres, comme

22 l'Accusation l'a révélé à la Chambre de première instance :

23 "La situation empire de jours en jours."

24 Une autre : "Egalement, parfois c'est si pénible que l'on en vient à

25 regretter d'avoir survécu."

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1 Une autre victime : "J'aimerais tant pouvoir dormir la nuit. Je souffre de

2 partout, et je dois garder les fenêtres ouvertes, sinon j'ai l'impression

3 d'étouffer. Lorsque j'arrive à m'endormir, je suis souvent réveillé par des

4 cauchemars où des Chetnik nous poursuivent. Tout récemment encore, je me

5 suis réveillé en hurlant, après l'un de ces cauchemars. Je n'ai pas pu

6 expliqué à mes enfants ce dont j'avais rêvé."

7 Une autre victime : "Certaines nuits, le souvenir des événements passés me

8 hante et j'ai le sommeil agité. Je me réveille persuadé que la guerre se

9 poursuit et je cours me mettre à l'abri. Parfois, je m'enfuis de la maison.

10 C'est pour cette raison que je dors toujours au rez-de-chaussée."

11 Une autre victime : "Mon fils cadet, aujourd'hui âgé de 23 ans, environ,

12 souffre aussi, il a des problèmes de santé. J'avais réussi à le cacher dans

13 mes vêtements, le jour où Glogova a été attaqué, pendant que les hommes

14 étaient tués. Ces événements ont eu un effet dévastateur sur lui. Il ne

15 peut plus dormir et ses jambes s'engourdissent. J'ai peur qu'il ne perde la

16 raison. Il fait souvent des cauchemars et à son réveil, il se rue à la

17 fenêtre pour respirer un peu d'air frais. Parfois il n'ose pas retourner se

18 coucher seul."

19 Un autre témoin : "Je suis retourné à Glogova une dizaine de fois et chaque

20 fois que je quitte ce village, j'ai l'impression d'être morte."

21 "Je ne peux oublier que ma fille, qui n'avait que 13 ans, a été emmenée par

22 des soldats."

23 Pour conclure, si l'on tient compte uniquement de la gravité du crime et de

24 toutes les circonstances aggravantes retenues, la Chambre de première

25 instance conclut, à l'unanimité, qu'une peine extrêmement lourde s'impose.

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1 Toutefois, il existe des circonstances atténuantes que la Chambre de

2 première instance va à présent exposer.

3 L'Accusation fait valoir à juste titre que les "circonstances atténuantes

4 touchent à la peine mais ne diminue en rien la gravité du crime."

5 La Chambre de première instance s'attache principalement :

6 Au plaidoyer de culpabilité de l'accusé;

7 Au sérieux et à l'étendue de la coopération qu'il a fournie

8 Mais tient également compte de l'ensemble des circonstances atténuantes

9 énumérées par les parties, à savoir les remords exprimés, la moralité et la

10 conduite de l'accusé ainsi que sa contribution aux efforts faits pour

11 empêcher toutes tentatives de réécrire l'histoire.

12 La Chambre de première instance reconnaît l'importance du plaidoyer de

13 culpabilité de Miroslav Deronjic en ce qu'il constitue une acceptation de

14 sa responsabilité pénale individuelle.

15 A ce propos, la Chambre de première instance ne peut qu'approuver la

16 Défense lorsqu'elle fait valoir "l'importance de la reconnaissance de la

17 culpabilité et lorsqu'elle ajoute, je

18 cite : "Qu'il faut avant tout prouver qu'un crime a été commis et donc

19 lever le voile sur la politique menée par l'un ou l'autre des trois camps,

20 qui a abouti à ce crime. En ce sens, la peine est une notion toute relative

21 car aucune peine ne saurait réparer pleinement le préjudice subi par les

22 victimes."

23 La Chambre de première instance estime qu'en plaidant coupable et en

24 acceptant de témoigner dans d'autres procès, Miroslav Deronjic aide le

25 Tribunal dans sa quête de la vérité. De même, il a évité aux victimes et

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1 aux témoins de déposer à propos d'événements traumatisants et douloureux et

2 de rouvrir ainsi de vieilles blessures.

3 La Chambre de première instance accueille l'argument de l'Accusation selon

4 lequel l'accusé a coopéré largement avec elle en lui communiquant des

5 informations précieuses et concordantes en témoignant dans d'autres

6 affaires portées devant le Tribunal, en fournissant des documents

7 originaux, en révélant à l'Accusation de nouveaux crimes et en lui

8 signalant des auteurs qu'elle ne connaissait pas.

9 La Chambre de première instance prend en considération le fait que l'accusé

10 a témoigné dans d'autres affaires portées devant le Tribunal, à savoir en

11 tant que témoin de la Chambre, dans le cadre de l'audience consacrée à la

12 peine dans l'affaire Momir Nikolic, du procès en appel Krstic et du procès

13 Blagojevic et consort, et en tant que témoin à charge, dans le cas des

14 procès Milosevic et Krajisnik. Il n'appartient pas à la présente Chambre de

15 porter un jugement sur la déposition faite par l'accusé dans d'autres

16 procès tenus devant le Tribunal. Toutefois, elle doit rappeler que

17 l'accusé, a de son propre aveu, fait des déclarations partiellement

18 mensongères lorsqu'il était interrogé par l'Accusation.

19 La Chambre de première instance, tenant compte de l'ensemble de ces

20 circonstances atténuantes, et accordant en particulier une grande

21 importance au plaidoyer de culpabilité de l'accusé et à la large

22 coopération fournie à l'Accusation, est convaincue qu'une réduction

23 importante de la peine s'impose.

24 Dans le cadre de l'accord sur le plaidoyer, l'Accusation a requis une peine

25 d'emprisonnement de dix ans. La Défense a, quant à elle, recommandé une

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1 peine d'emprisonnement de six ans, au plus.

2 Je souhaite maintenant vous demander, Monsieur Deronjic, de vous lever.

3 Pour ces motifs, après avoir analysé les différents éléments de preuve et

4 les arguments des parties, après avoir entendu votre plaidoyer de

5 culpabilité, Monsieur Deronjic, après vous avoir reconnu coupable des

6 crimes qui sous-tendent le chef de persécution dans le deuxième acte

7 d'accusation modifié, vous condamne, Miroslav Deronjic, à une peine unique

8 pour persécutions, un crime contre l'humanité, incluant l'attaque du

9 village de Glogova, le meurtre de civils musulmans de Bosnie et de Glogova,

10 le déplacement forcé de civils musulmans de Bosnie et de Glogova hors de la

11 municipalité de Bratunac, la destruction d'un édifice religieux (la mosquée

12 de Glogova), et la destruction de biens de caractère civil appartenant à

13 des Musulmans de Glogova.

14 Vous condamne, Monsieur Miroslav Deronjic, à sa majorité, le Juge

15 Schomburg, étant en désaccord, à dix ans d'emprisonnement et dit, qu'en

16 application de l'Article 101 (C) du Règlement, vous avez droit à ce que la

17 période passée en détention préventive, calculée à compter de la date de

18 votre arrestation, le 6 juillet 2002, ainsi que toute période

19 supplémentaire que vous passerez en détention dans l'attente d'une décision

20 en appel, soit décomptée de la durée de la peine.

21 En vertu de l'Article 103 (C) du Règlement, vous resterez sous la garde du

22 Tribunal jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires à

23 votre transfert vers l'Etat dans lequel vous purgerez votre peine.

24 Veuillez vous asseoir.

25 Je souhaite maintenant résumer rapidement l'opinion dissidente que j'ai

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1 présentée.

2 J'ai authentifié ce jugement en tant que président de la Chambre. Je

3 regrette qu'en tant que Juge de la Chambre, je ne puis approuver la peine

4 infligée.

5 La peine infligée ne correspond pas aux crimes sur lesquels elle se fonde

6 et en utilisant une expression anglaise fort connue, la peine prononcée

7 correspond à quelqu'un qui chante un chant sans lire la bonne partition.

8 Les deux raisons qui m'ont emmené à conclure de cette façon sont les

9 suivantes : la peine recommandée par l'Accusation ne semble pas faire

10 l'objet du mandat, ni de l'esprit de ce Tribunal.

11 En premier lieu, les séries d'acte d'accusation, y compris le deuxième acte

12 d'accusation, présentent des faits qui ont été choisis de façon arbitraire

13 et des faits sortis de leur contexte, d'un plan criminel plus large, et

14 pour une raison obscure, limités à un seul jour et au seul village de

15 Glogova.

16 Deuxièmement, même pour les sources d'exposés de faits fragmentaires, les

17 crimes, atroces et planifiés de longue date et commis par un haut

18 responsable, appellent davantage qu'une peine emprisonnement de dix ans et

19 pourrait se ramener, en cas de liberté anticipée, à six ans et huit mois de

20 détention effective.

21 Pour leur victime et leur famille qui n'ont pas eu l'occasion d'intervenir

22 en personne devant la Chambre de première instance, je tiens à donner la

23 parole à l'une d'elles, en guise de conclusion.

24 "J'ai vu Miroslav Deronjic plaider coupable à la télévision. Les Musulmans

25 de Bosnie, à qui j'ai parlé au sein de la communauté, ont été soulagés

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1 parce qu'il a reconnu sa culpabilité. C'est un élément positif, qui pourra

2 apaiser les souffrances dans la communauté à condition que la sanction soit

3 adéquate. Une sanction modérée ne servirait à rien. Deronjic n'est pas

4 digne de compassion car il en a montré aucune, ni pour les gens de Glogova,

5 ni pour les autres Musulmans de Bratunac et de Srebrenica."

6 Je demande à ce que l'Huissier distribue des exemplaires de ce jugement,

7 ajouté à l'opinion dissidente de M. le Juge Schomburg, la peine infligée

8 n'est pas à la mesure des crimes qu'elle sanctionne et elle ne se place pas

9 dans le bon registre. L'accusé mérite une peine d'emprisonnement d'au moins

10 20 ans.

11 Ceci conclut cette affaire devant la Chambre de première instance.

12 L'audience est levée.

13 --- L'audience sentencielle est levée à 12 heures 40.

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