DEVANT UN COLLÈGE DE LA CHAMBrE d’APPEL

Composé comme suit :
M. le Juge Antonio Cassese, Président
M. le Juge Ninian Stephen
M. le Juge Lal Chand Vohrah

Assisté de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
11 novembre 1997

LE PROCUREUR

C/

MILE MRKSIC
MIROSLAV RADIC
VESELIN SLJIVANCANIN
SLAVKO DOKMANOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’OBTENIR L’AUTORISATION D’INTERJETER APPEL DÉPOSÉE PAR L’ACCUSÉ SLAVKO DOKMANOVIC

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Le Bureau du Procureur :

M. Grant Niemann
M. Clint Williamson

Le Conseil de la Défense de Slavko Dokmanovic :

M. Toma Fila et Mme Jelena Lopicic

 

I. INTRODUCTION*

1. L’accusé Slavko Dokmanovic (l’«accusé») a été arreté le 27 juin 1997 dans des circonstances ayant impliqué l’Administration transitoire des Nations Unies pour la Slavonie orientale, la Baranja et le Srem occidental («ATNUSO») et le Bureau du Procureur, circonstances qui sont controversées, tout comme le lieu de son arrestation. Sa comparution initiale, le 4 juillet 1997, devant la Chambre de première instance  II du Tribunal international a été suivie le 24 juillet 1997 d’une conférence de mise en état et d’une audience, le 8 septembre 1997. La Chambre de première instance  II1 a rendu, le 22 octobre 1997, une Décision par laquelle elle rejetait la requête de l’accusé aux fins de mise en liberté2 (la «Décision») en application de l’article 72 du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»).

2. Le 29 octobre 1997, l’accusé a déposé au Greffe du Tribunal international une nouvelle requête3 (la «Requête»), aux fins d’autorisation d’interjeter appel de cette Décision. Le 7 novembre 19974, l’Accusation a déposé sa réponse (la «Réponse»).

3. Il est indiqué dans la Requête que la demande d’autorisation d’interjeter appel est introduite en application des articles 107 et 108 B) du Règlement. Toutefois, ces dispositions s’appliquent aux appels de jugement ou de sentence et non pas à la Requête en question, laquelle relève de l’article 72 B) qui dispose :

La Chambre se prononce sur les exceptions préjudicielles in limine litis. Les décisions ainsi rendues ne sont pas susceptibles d’appel, sauf

i) dans le cas où la Chambre a rejeté une exception d’incompétence : il y a alors appel de plein droit ;

ii) dans les autres cas, lorsque l’autorisation d’appeler est accordée par trois Juges de la Chambre d’appel, pour autant que le requérant ait démontré l’existence de motifs sérieux dans les quinze jours de la décision entreprise.

Selon la pratique5 adoptée par le collège de juges de la Chambre d’appel, trois critères doivent être simultanément réunis lorsqu’une requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel d’une décision interlocutoire est introduite en vertu de l’article 72 B) ii) du Règlement pour déterminer si ladite requête invoque des «motifs sérieux» justifiant que l’autorisation soit accordée, à savoir :

a) si la demande concerne l’une des matières visées à l’article 73 A) ii), iii), iv) ou v),

b) qu’elle ne soit ni futile, ni vexatoire, ni manifestement dénuée de tout fondement, ni destinée à abuser de la procédure du Tribunal ou tellement vague et imprécise qu’elle ne saurait être sérieusement prise en considération,

c) si elle démontre l’existence d’une erreur grave susceptible de causer un préjudice important à l’accusé ou de nuire à l’intérêt de la justice, ou soulève des questions non seulement d’importance générale, mais qui exercent également une influence directe sur le développement futur de la procédure, dans la mesure où l’arrêt de la Chambre d’appel exercerait un impact considérable sur la procédure future devant la Chambre de première instance.

Il ressort à l’évidence que la Requête ne remplit pas ces conditions. Cependant, dans une décision antérieure6, la formation de la Chambre d’appel a conclu que lorsqu’une demande ne remplit pas les conditions requises, mais qu’elle soulève néanmoins des questions fondamentales, il peut s’avérer utile de répondre aux arguments du requérant afin de déterminer si l’autorisation d’interjeter appel peut être accordée. Compte tenu du caractère fondamental des questions soulevées en l’espèce, à savoir la privation de liberté de l’accusé et la légalité de son arrestation, la formation de la Chambre d’appel a décidé qu’elle accueillerait cette requête sous l’article 72 du Règlement.

II. ARGUMENTS DE L’ACCUSÉ

4. Le conseil de l’accusé a fondé sa demande sur les arguments suivants :

a) La Chambre de première instance II a rendu sa décision sur la base de déclarations de témoins erronées et contradictoires et donc dénuées de crédibilité.

b) La Chambre de première instance II a interprété l’article 53 du Règlement7 de manière erronée. Le conseil de l’accusé fait valoir que la non-divulgation d’un mandat d’arrêt s’appliquant uniquement aux personnes physiques et non aux États, la République fédérale de Yougoslavie («RFY») n’était pas en mesure de procéder à l’arrestation de l’accusé, puisqu’elle ignorait l’existence de l’acte d’accusation décerné à son encontre.

c) Sachant que selon la Constitution de la RFY, seuls ses ressortissants ne peuvent être extradés, la Chambre de première instance II a estimé à tort que celle-ci n’exécuterait pas le mandat d’arrêt décerné à l’encontre de l’accusé, qui n’est pas un ressortissant de la RFY.

d) L’ATNUSO n’est pas mandatée pour arrêter ou enlever quiconque et la Chambre de première instance II a donc mal interprété la nature de son mandat. Par ailleurs, la Chambre ignorait que deux mandats d’arrêt avaient été transmis (l’un à la République de Croatie et l’autre à l’ATNUSO) et que cette dernière n’avait pas le pouvoir exclusif d’arrêter l’accusé sans que la première en ait connaissance.

e) La Chambre de première instance II «a autorisé un acte en violation de la fonction indépendante du Procureur visée à l’article 16 2) du Statut du Tribunal, du fait que son action liée à l’arrestation obéissait à des motivations politiques» ?traduction non officielleg.

f) Le Statut du Tribunal est l’instrument qui prévaut sur la législation interne et non pas le Règlement.

III. RÉPONSE DE L’ACCUSATION

5. L’Accusation fait valoir que l’accusé n’a invoqué aucun motif sérieux de nature à justifier un recours auprès de la Chambre d’appel et sa requête devrait donc être rejetée. Elle pense que l’autorisation d’interjeter un appel interlocutoire fondé sur l’article 73 A) ne peut être accordée que si le requérant invoque des motifs sérieux et que l’accusé ne peut se contenter de reformuler les mêmes arguments dans la requête en cause. Elle s’appuie sur la pratique du Tribunal international8 pour affirmer qu’une telle demande doit démontrer l’existence d’une erreur grave susceptible de causer un préjudice important à l’accusé, de nuire à l’intérêt de la justice ou de soulever des questions d’importance générale.

6. L’Accusation fait valoir en outre que la Requête soulève les mêmes questions factuelles et juridiques qui avaient été débattues devant la Chambre de première instance II et ne conteste pas la Décision sur la base de faits ou de points de droit prétendument erronés. Elle n’y a trouvé aucune raison spécifique de s’opposer aux conclusions de ladite Chambre. La Requête n’invoque aucun motif sérieux susceptible de faire l’objet d’un recours et elle est «si vague et imprécise qu’elle ne saurait être sérieusemennt prise en considération».

III. DISCUSSION

7. Le Collège de Juges de la Chambre d’appel est parvenu aux conclusions suivantes :

Le point 14 a) de la Requête, résumé au paragraphe 4 a) de la présente décision, n’a pas établi que les témoignages sur lesquels s’est fondée la Chambre de première instance  II contenaient des incohérences ou des contradictions et n’a donc pas fait la démonstration que la Décision était erronée.

Le point 14 b) de la Requête, résumé au paragraphe 4 b) de la présente décision, est si vague et imprécis qu’il ne saurait être sérieusement pris en considération et n’établit pas que la Décision rendue était erronée.

Le point 14 c) de la Requête, résumé au paragraphe 4 c) de la présente décision, est manifestement infondé, il ne soulève aucune question susceptible de faire l’objet d’un appel en l’espèce et il n’établit pas l’existence d’une erreur dans la Décision.

Le point 14 d) de la Requête, résumé au paragraphe 4 d) de la présente décision, est manifestement infondé tant dans les faits que sur le fond et ne démontre nullement que la Décision était erronée.

Le point 14 e) de la Requête, résumé au paragraphe 4 e) de la présente décision, n’est pas pertinent et il est manifestement sans fondement.

Le point 14 f) de la Requête, résumé au paragraphe 4 f) de la présente décision, n’est pas un motif d’appel, car sans fondement et ne démontre en rien que la Décision de la Chambre est erronée.

Par conséquent, l’accusé n’a pas réussi à convaincre le Collège de juges de la Chambre d’appel que les motifs qu’il invoque sont suffisamment sérieux pour l’autoriser à interjeter appel de la Décision.

IV. DISPOSITIF

Par ces motifs, en application de l’article 72 du Règlement, le COLLÈGE DE LA CHAMBRE D’APPEL REJETTE à l’unanimité la demande introduite par l’accusé par laquelle celui-ci sollicite l’autorisation d’interjeter appel de la Décision rendue le 22 octobre 1997 par la Chambre de première instance II, ainsi que sa requête aux fins de mise en liberté.

FAIT en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre d’appel
/signé/
Antonio Cassese

Fait le 11 novembre 1997
La Haye (Pays-Bas)


* Note du Service de traduction. Des erreurs matérielles ou de fond ont été relevées par le traducteur dans le texte original. Dans toute la mesure du possible, elles sont signalées au service compétent ou à l’auteur du texte. Pour des raisons juridiques, les erreurs n’ont pas été corrigées dans la traduction, mais elles ont pu avoir fait l’objet d’un corrigendum.

1. Décision relative à la Requête aux fins de mise en liberté déposée par l’accusé Slavko Dokmanovic, affaire n° IT-95-13a-PT, Chambre de première instance I.
2. Le Conseil de l’accusé a déposé le 7 juillet 1997 une requête préliminaire aux fins de mise en liberté et le 8 juillet 1997, une modification à cette requête. Le 22 juillet 1997, l’Accusation a déposé sa réponse à cette requête. Le Conseil de l’accusé a ensuite déposé le 31 juillet 1997 une requête modifiée aux fins de mise en liberté à laquelle l’Accusation a répondu le 14 août 1997. Le 28 août 1997, la Défense a déposé sa réplique à la réponse de l’Accusation.
3. Appel de la Décision relative à la Requête aux fins de mise en liberté déposée par l’accusé Slavko Dokmanovic, affaire n° IT-95-13a-PT.
4. Réponse de l’Accusation à la Requête de la Défense aux fins d’interjeter appel de la Décision de la Chambre de première instance relative à la Requête aux fins de mise en liberté déposée par l’accusé Slavko Dokmanovic, affaire n° IT-95-13A-PT.
5. Cf. par exemple, la Décision relative à la requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel (mise en liberté provisoire), affaire n° IT-96-21-AR72.2, Le Procureur c/ Delalic et consorts, 15 octobre 1997, la Décision relative à la requête [présentée par Hazim Delic] aux fins d’autorisation d’interjeter appel (mise en liberté provisoire), affaire n° IT-96-21-AR72.4, Le Procureur c/ Delalic et consorts, 22 novembre 1996 et la Décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel (protection des victimes et des témoins), affaire n° IT-95-14-AR72, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, 14 octobre 1996.
6. Id., Décision relative à la requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel (mise en liberté provisoire), déposée par Hazim Delic, par. 14.
7. «non-divulgation de l’acte d’accusation

A) Lorsque des circonstance exceptionnelles le commandent, un juge ou une Chambre de première instance peut ordonner dans l’intérêt de la justice la non-divulgation au public de tous documents ou informations et ce, jusqu’à décision contraire.
B) Lorsqu’il confirme un acte d’accusation, le juge peut, après avis du Procureur, ordonner sa non-divulgation au public jusqu’à sa signification à l’accusé ou en cas de jonction d’instances, à tous les accusés.
C) Un juge ou une Chambre de première instance, après avis du Procureur, peut également ordonner la non-divulgation au public de tout ou partie de l’acte d’accusation, de toute information et de tout document particuliers, si l’un ou l’autre est convaincu qu’une telle ordonnance est nécessaire pour donner effet à une disposition du Règlement ou préserver des informations confidentielles obtenues par le Procureur ou encore que l’intérêt de la justice le commande.»

8. Décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel (Disjonction d’instances), Le Procureur c/ Delalic, 14 octobre 1996.