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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-13a-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Lundi 9 février 1998
4 L'audience est ouverte à 9 heures 15.
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25 Nous pouvons maintenant revenir en audience publique.
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1 (Le Témoin Q quitte la salle d'audience.)
2 M. le Président (interprétation). - Nous allons maintenant entendre le
3 témoin suivant, Irena Kacic.
4 J'aimerais exprimer mes remerciements à l'intention de nos collègues.
5 Comment allons-nous procéder maintenant ? Voulez-vous citer un autre
6 témoin ? Faut-il que les parties se présentent ? Comment voulez-vous
7 procéder ? Ce n'est pas nécessaire ? Alors poursuivons.
8 J'aimerais demander à l'accusation si le Témoin C s'est désisté.
9 M. Niemann (interprétation). - Effectivement, Monsieur le Président.
10 (Madame Irena Kacic est introduite dans la salle d'audience.)
11 M. le Président (interprétation). - Bonjour, Madame Kacic, je voudrais que
12 vous prononciez la déclaration solennelle.
13 Mme Kacic (interprétation). - Je déclare officiellement que je dirai la
14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
15 M. le Président (interprétation). - Merci, vous pouvez vous asseoir.
16 Mme Kacic (interprétation). - Je vous remercie.
17 M. Niemann (interprétation). - Vous vous appelez Irena Kacic ?
18 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
19 M. Niemann (interprétation). - Où êtes-vous née ?
20 Mme Kacic (interprétation). - En Slavonie.
21 M. Niemann (interprétation). - C'est en République de Croatie ?
22 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
23 M. Niemann (interprétation). - Quelle est votre date de naissance ?
24 Mme Kacic (interprétation). - Le 21 décembre 1951.
25 M. Niemann (interprétation). - Où avez-vous étudié ?
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1 Mme Kacic (interprétation). - A Vukovar.
2 M. Niemann (interprétation). - Avant 1991, où viviez-vous ?
3 Mme Kacic (interprétation). - A Vukovar.
4 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous de nationalité croate ?
5 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
6 M. Niemann (interprétation). - Quelle est votre religion ?
7 Mme Kacic (interprétation). - Je suis catholique.
8 M. Niemann (interprétation). - Avant 1991, étiez-vous mariée ?
9 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
10 M. Niemann (interprétation). - En quelle année vous êtes-vous mariée ?
11 Mme Kacic (interprétation). - En 1973.
12 M. Niemann (interprétation). - Et qui avez-vous épousé ?
13 Mme Kacic (interprétation). - Sabeta* Kacic.
14 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous des enfants ?
15 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
16 M. Niemann (interprétation). - Combien d'enfants avez-vous ?
17 Mme Kacic (interprétation). - Trois.
18 M. Niemann (interprétation). - De quels sexes ?
19 Mme Kacic (interprétation). - Un fils et deux filles.
20 M. Niemann (interprétation). - Pendant le siège de Vukovar en 1991, où
21 vous trouviez-vous ?
22 `Mme Kacic (interprétation). - Tout d'abord, nous étions dans la cave de
23 la maison, et après dans un entrepôt.
24 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps êtes-vous restés dans la
25 cave de votre maison ?
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1 Mme Kacic (interprétation). - Jusqu'au 15 septembre.
2 M. Niemann (interprétation). - Pourquoi avez-vous quitté la cave de votre
3 maison ?
4 Mme Kacic (interprétation). - Parce que c'est là qu'il y avait eu les plus
5 grandes attaques, c'est pourquoi nous nous sommes réfugiés dans la cave.
6 M. Niemann (interprétation). - Où êtes-vous allés ensuite ?
7 Mme Kacic (interprétation). - Dans un abri.
8 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps êtes-vous restés dans cet
9 abri public ?
10 Mme Kacic (interprétation). - Jusqu'à la chute de Vukovar, jusqu'au
11 19 novembre.
12 M. Niemann (interprétation). - Le 19 novembre, qu'avez-vous fait ?
13 Mme Kacic (interprétation). - Nous sommes sortis de l'abri et nous nous
14 sommes dirigés vers l'hôpital.
15 M. Niemann (interprétation). - Pourquoi vous êtes-vous rendus à
16 l'hôpital ?
17 Mme Kacic (interprétation). - Parce que l'armée se trouvait dans la ville.
18 M. Niemann (interprétation). - Que pensiez-vous qu'il allait se passer à
19 l'hôpital ?
20 Mme Kacic (interprétation). - Nous pensions pouvoir sortir le plus
21 sûrement de la ville ainsi.
22 M. Niemann (interprétation). - Avec qui vous êtes-vous rendue à
23 l'hôpital ?
24 Mme Kacic (interprétation). - J'y suis allée avec mes enfants et les
25 autres personnes qui se trouvaient dans l'abri.
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1 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites "vos enfants", vous voulez
2 dire les trois ?
3 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
4 M. Niemann (interprétation). - Et votre mari ?
5 Mme Kacic (interprétation). - Mon mari est mort le 2 octobre.
6 M. Niemann (interprétation). - De 1991 ?
7 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
8 M. Niemann (interprétation). - Comment a-t-il été tué ?
9 Mme Kacic (interprétation). - Il est mort au combat. Il était commandant
10 de Vukovar.
11 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous vous êtes rendus à l'hôpital,
12 où êtes-vous allés ? Dans quelle partie de l'hôpital vous êtes-vous
13 rendus ?
14 Mme Kacic (interprétation). - Nous avons dû entrer dans le bâtiment et
15 nous sommes montés au premier étage. C'était détruit, mais nous sommes
16 quand même montés au premier étage.
17 M. Niemann (interprétation). - C'était le 19 novembre 1991 ?
18 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
19 M. Niemann (interprétation). - Vers quelle heure était-ce, à peu près ?
20 Mme Kacic (interprétation). - Vers midi, aux premières heures de l'après-
21 midi.
22 M. Niemann (interprétation). - Et après votre arrivée, que s'est-il
23 passé ?
24 Mme Kacic (interprétation). - A ce moment-là, lorsque l'armée est venue
25 dans la cour, l'ordre fut donné que tous les civils puissent avoir
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1 l'autorisation d'entrer dans l'hôpital et qu'ils pouvaient ensuite partir.
2 M. Niemann (interprétation). - Ont-ils dit où, au moment de quitter
3 l'hôpital ?
4 Mme Kacic (interprétation). - A Velepromet.
5 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous allée à Velepromet ce jour-là ?
6 Mme Kacic (interprétation). - Non, je suis restée à l'hôpital avec les
7 enfants.
8 M. Niemann (interprétation). - Pourquoi êtes-vous restée ?
9 Mme Kacic (interprétation). - Parce que le Dr Bosanac a envoyé un message
10 pour dire que nous pouvions rester.
11 M. Niemann (interprétation). - Y a-t-il des événements qui se sont passés
12 ce jour-là, c'est-à-dire le 19, dont vous puissiez vous souvenir ?
13 Mme Kacic (interprétation). - Rien. On a dû descendre là où se trouvaient
14 les blessés et nous devions attendre la suite des événements.
15 M. Niemann (interprétation). - Et que s'est il passé ensuite ?
16 Mme Kacic (interprétation). - Quand nous nous sommes installés, c'était
17 déjà la nuit et, petit à petit, sont venus des gens en uniforme. Ils ont
18 appelé essentiellement les militaires, les soldats croates. Il faisait
19 déjà noir. On ne pouvait pas voir exactement ce qu'ils faisaient, mais ils
20 appelaient les gens par leur nom, parce qu'ils pensaient que ces gens
21 s'étaient cachés dans l'hôpital.
22 M. Niemann (interprétation). - Ces gens qui étaient en uniforme, étaient-
23 ils du côté serbe ou du côté croate ?
24 Mme Kacic (interprétation). - Du côté serbe.
25 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit qu'ils étaient en uniforme.
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1 De quels uniformes s'agissait-il ?
2 Mme Kacic (interprétation). - Essentiellement les uniformes de l'Armée
3 yougoslave.
4 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il d'autres uniformes à part les
5 uniformes de l'Armée yougoslave ?
6 Mme Kacic (interprétation). - Ils avaient aussi des uniformes
7 multicolores, chamarrés.
8 M. Niemann (interprétation). - Lorsqu'on a appelé les gens, savez vous ce
9 qui s'est passé, ce qui leur est arrivé ?
10 Mme Kacic (interprétation). - Non, moi je pense que je n'ai vu personne et
11 qu'ils n'ont trouvé personne de ceux qu'ils appelaient.
12 M. Niemann (interprétation). - Je vois. Est-ce que ceci s'est passé
13 pendant la nuit ?
14 Mme Kacic (interprétation). - Oui, pendant la nuit.
15 M. Niemann (interprétation). - Et c'était la nuit du 19 novembre ?
16 Mme Kacic (interprétation). - Oui, la nuit du 19 au 20 novembre.
17 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il passé le jour suivant, le
18 20 novembre ?
19 Mme Kacic (interprétation). - Le jour suivant, le matin, nous avons reçu
20 l'ordre que nous devions tous quitter l'hôpital. Nous devions tous sortir
21 de cette salle et nous nous sommes rendus vers la sortie.
22 M. Niemann (interprétation). - Qui vous a donné cet ordre ?
23 Mme Kacic (interprétation). - Je ne sais pas qui a donné l'ordre
24 exactement mais on nous a envoyé un message dans l'endroit où nous nous
25 trouvions et les gens ont commencé à se diriger vers la sortie.
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1 M. Niemann (interprétation). - Quand vous avez dit : "Nous nous sommes
2 dirigés vers la sortie", est-ce que cela veut dire vous et votre famille,
3 c'est-à-dire vos trois enfants, ainsi que les autres personnes dans
4 l'hôpital ?
5 Mme Kacic (interprétation). - Oui, avec les autres gens : moi, mes enfants
6 et les deux autres personnes qui se trouvaient là. Mais pas avec ceux qui
7 n'étaient pas blessés, nous ne nous sommes pas rendus avec les blessés.
8 M. Niemann (interprétation). - Où vous êtes-vous rendue avec vos enfants ?
9 Mme Kacic (interprétation). - Je me suis dirigée vers la sortie. A ce
10 moment-là, nous avons constaté qu'il se passait quelque chose là-bas,
11 qu'ils séparaient les hommes des femmes. Quand je suis arrivée devant la
12 porte, j'ai vu M. Sljivancanin. Nous nous sommes mis devant lui. Il a
13 simplement montré que je devais garder mes filles d'un côté et me mettre
14 avec mes filles d'un côté et laisser mon fils de l'autre.
15 M. Niemann (interprétation). - Comment saviez-vous que c'était
16 M. Sljivancanin ?
17 Mme Kacic (interprétation). - A ce moment-là, je ne le savais pas mais
18 j'ai su son nom par la suite.
19 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il passé lorsque votre fils a été
20 séparé de vous-même et de vos deux filles ?
21 Mme Kacic (interprétation). - Je ne suis tournée vers Sljivancanin et je
22 lui ai dit : "Mais c'est un enfant, on ne peut pas me le retirer!" Il a
23 dit : "On va vérifier". Et j'ai seulement donné les documents et pris le
24 sac, et après, on a dû se séparer.
25 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites : "Lui donner les
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1 documents et prendre son sac", vous parlez de votre fils ?
2 Mme Kacic (interprétation). - Oui, de mon fils.
3 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il passé après que Sljivancanin
4 ait dit qu'il vérifierait ?
5 Mme Kacic (interprétation). - Il ne s'est rien passé. Ils n'ont rien
6 vérifié.
7 M. Niemann (interprétation). - Avec vos deux filles, où êtes-vous allée ?
8 Mme Kacic (interprétation). - Avec mes deux filles, je suis allée à
9 droite, où on nous montrait, et là nous avons attendu qu'on nous envoie
10 quelque part. On a été obligées d'attendre, on a dû se séparer en
11 groupes : un groupe qui voulait aller en Croatie, un groupe qui voulait
12 rester à l'hôpital et un troisième groupe qui voulait aller dans un autre
13 endroit encore. Et nous, nous nous sommes décidées pour la Croatie.
14 M. Niemann (interprétation). - Pouviez vous savoir ce qui allait arriver à
15 votre fils à ce moment-là ?
16 Mme Kacic (interprétation). - Nous avons vu mon fils brièvement, on a vu
17 qu'ils étaient contre le mur et on les fouillait, probablement pour voir
18 s'ils avaient des objets. Cela a été très bref, et après on ne les a plus
19 revus parce qu'on est allées vers la sortie, vers l'autre côté.
20 M. Niemann (interprétation). - Là, la vue était partielle, une fois que
21 vous vous
22 trouviez sur la sortie de l'autre côté ?
23 Mme Kacic (interprétation). - Non.
24 M. Niemann (interprétation). - Alors, vous n'avez pas pu le voir après
25 cela ?
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1 Mme Kacic (interprétation). - Non, je ne l'ai plus vu.
2 M. Niemann (interprétation). - Que s'est il passé ensuite ? Que vous est-
3 il arrivé ensuite ?
4 Mme Kacic (interprétation). - Nous avons attendu encore quelques heures
5 dans ce groupe, dans la cour de l'hôpital. Ensuite, des autobus sont venus
6 nous chercher.
7 M. Niemann (interprétation). - Et où les autobus vous ont-ils emmenés ?
8 Mme Kacic (interprétation). - Les autobus nous ont emmenés dans la
9 direction de Negoslavci, de Vukovar à Negoslavci.
10 M. Niemann (interprétation). - Et alors, que s'est-il passé, où êtes-vous
11 arrivés pour finir ?
12 Mme Kacic (interprétation). - A Mitrovica, où nous avons passé la nuit. Et
13 le jour suivant, nous avons traversé la Bosnie pour aller en Croatie.
14 M. Niemann (interprétation). - Après avoir quitté l'hôpital dans ces bus,
15 avez-vous revu votre fils ?
16 Mme Kacic (interprétation). - Non.
17 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous essayé de savoir où était votre
18 fils, en arrivant en Croatie ?
19 Mme Kacic (interprétation). - Quand nous sommes arrivés en Croatie...
20 (inaudible) a dit, bien sûr, où étaient envoyés les gens qui ont été
21 séparés à l'hôpital.
22 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous été en mesure de trouver
23 l'endroit où ils se trouvaient ?
24 Mme Kacic (interprétation). - Non.
25 M. Niemann (interprétation). - Comment s'appelait votre fils ?
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1 Mme Kacic (interprétation). - Igor.
2 M. Niemann (interprétation). - Et sa date de naissance ?
3 Mme Kacic (interprétation). - Le 23 août 1975.
4 M. Niemann (interprétation). - Il avait donc 16 ans ?
5 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
6 M. Niemann (interprétation). - Quelle taille avait-il ?
7 Mme Kacic (interprétation). - Il était grand, près de 1,90 mètre.
8 M. Niemann (interprétation). - Le dernier jour où vous l'avez vu à
9 l'hôpital, pouvez-vous nous dire ce qu'il portait ?
10 Mme Kacic (interprétation). - Oui, je peux vous le dire, il portait des
11 jeans, une veste que l'on appelait à ce moment-là une veste Totar*, et une
12 chemise en dessous.
13 M. Niemann (interprétation). - Et ses chaussures, quelle sorte de
14 chaussures portait-il ?
15 Mme Kacic (interprétation). - Des baskets.
16 M. Niemann (interprétation). - Avait-il d'autres objets en sa possession
17 dont vous ayez connaissance ?
18 Mme Kacic (interprétation). - Il avait quelques objets sur lui, comme en
19 ont tous les enfants. Il avait un petit nounours... Ce n'était pas
20 vraiment un petit nounours, c'était une petite souris brune, comme une
21 peluche et c'est cela que nous avons trouvé sur lui. Et puis, il avait
22 aussi un petit dauphin qu'il avait fait lui-même. C'était un petit dauphin
23 en bois, il l'avait toujours dans ses poches parce que, pour lui, c'était
24 un porte-bonheur.
25 M. Niemann (interprétation). - Je souhaite que vous regardiez maintenant
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1 la photographie que nous allons vous faire passer. Peut-on placer cette
2 photographie sur le rétroprojecteur, s'il vous plaît ? Nous en avons
3 également un exemplaire pour les conseils de la
4 défense.
5 Excusez-moi, Monsieur l'huissier, pouvez-vous me rendre la photographie un
6 instant ? Merci, j'en garde un exemplaire pour moi-même.
7 En regardant cette photographie, Madame, s'il vous plaît, celle qui se
8 trouve sur l'écran à côté de vous...
9 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
10 M. Niemann (interprétation). - Vous reconnaissez la personne qui apparaît
11 sur cette photographie ?
12 Mme Kacic (interprétation). - Oui, c'est mon fils.
13 M. Niemann (interprétation). - Je demande le versement au dossier de cette
14 photographie. Je souhaite qu'on lui attribue la cote suivante.
15 M. le Greffier (interprétation). - Il s'agit de la pièce d'accusation
16 numéro 69.
17 M. Niemann (interprétation). - Madame Kacic, veuillez s'il vous plaît
18 regarder la photographie que je vais maintenant vous faire transmettre.
19 J'en ai également un exemplaire à l'intention de la défense. Et peut-être
20 peut-elle être placée sur le rétroprojecteur.
21 Madame Kacic, veuillez regarder la photographie qui se trouve sur le
22 rétroprojecteur, regardez-la sur le rétroprojecteur et prenez le pointeur
23 qui se trouve sur la table. Vous voyez ce pointeur ? Voilà, exactement. Et
24 maintenant, sur la photographie qui se trouve sur le rétroprojecteur,
25 indiquez-nous les objets que vous reconnaissez et dites-nous de quoi il
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1 s'agit.
2 Mme Kacic (interprétation). - C'est son porte-clefs que nous avions acheté
3 à Sid. Cela, c'est un autre porte-clefs qu'il avait. C'est un coupe-
4 ongles. Ici, ce sont des petits lacets de cuir et il portait une balle
5 accrochée à ce lacet. Là, il y a une chaîne d'argent et puis quelque chose
6 d'autre, un autre objet, je ne sais pas ce que c'est.
7 M. Niemann (interprétation). - Ces objets appartenaient bien à votre fils,
8 n'est-ce
9 pas ?
10 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
11 M. Niemann (interprétation). - Quand avez-vous vu ces objets pour la
12 première fois, ceux que nous voyons sur cette photographie ?
13 Mme Kacic (interprétation). - Lorsque nous sommes allés à Zagreb, pour
14 identifier le corps.
15 M. Niemann (interprétation). - Vous avez pu identifier le corps de votre
16 fils à Zagreb ?
17 Mme Kacic (interprétation). - Oui, nous avons identifié ce corps.
18 M. Niemann (interprétation). - Je demande le versement au dossier de cette
19 pièce, Monsieur le Président.
20 M. le Greffier (interprétation). - Il s'agira de la pièce d'accusation
21 numéro 70.
22 M. Niemann (interprétation). - Madame Kacic, je vais vous demander de
23 regarder une séquence vidéo très brève et je vais demander à l'équipe
24 technique de garder cette séquence vidéo sous la main. Je vais simplement
25 vous demander d'identifier l'une quelconque des choses qui apparaissent
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1 dans cette séquence.
2 Vous n'avez pas besoin d'indiquer ce que vous voyez, elles vont être
3 diffusées sur votre écran. Veuillez simplement nous dire le moment où vous
4 voyez ces différentes choses et nous pourrons la repasser. Et une fois que
5 nous en arriverons à la scène qui nous intéresse plus particulièrement,
6 nous ferons un arrêt sur image. Peut-on commencer, s'il vous plaît ?
7 Mme Kacic (interprétation). - Oui, je vais le faire.
8 (Projection de la vidéo.)
9 C'est la petite souris en mousse qu'il avait et là, c'est le dauphin qu'il
10 avait fait en bois.
11 M. Niemann (interprétation). - Peut-on revenir sur l'image où l'on voit la
12 souris,
13 peut-on recommencer en fait la diffusion et s'arrêter sur la petite
14 souris ? Voilà, ici même.
15 Donc, il s'agit bien de cette petite souris en mousse, en étoffe qui
16 appartenait à votre fils ?
17 Mme Kacic (interprétation). - Oui.
18 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie et je remercie l'équipe
19 technique également.
20 M. Niemann (interprétation). - Je n'ai plus de questions, Monsieur le
21 Président.
22 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Maître Fila.
23 M. Fila (interprétation). - Monsieur le Président, il n'y a qu'une chose
24 que je souhaite faire. Je souhaite exprimer toutes mes condoléances au
25 témoin. Je n'ai pas d'autres questions à poser.
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1 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Je suppose que
2 personne ne s'oppose à ce que le témoin puisse se retirer de façon
3 définitive.
4 M. Niemann (interprétation). - Non, Monsieur le Président.
5 M. Fila (interprétation). - Nous n'avons pas d'objection, Monsieur le
6 Président.
7 M. le Président (interprétation). - Madame Kacic, merci infiniment d'être
8 venue à La Haye pour témoigner. Vous pouvez maintenant vous retirer.
9 Mme Kacic (interprétation). - Je vous remercie.
10 (Mme Kacic quitte la salle d'audience.)
11 M. le Président (interprétation). - Je propose que nous suspendions
12 l'audience jusqu'à 14 heures 30.
13 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.
14 L'audience est suspendue à 12 heures 50.
15 L'audience est reprise à 14 heures 30.
16 (Madame Anica Ljubas est introduite dans la salle d'audience.)
17 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais vous
18 dire quelques mots au sujet de notre position relative aux témoins.
19 Nous prévoyons de citer trois témoins. Nous avons deux témoins à entendre
20 cet après-midi, trois témoins mardi et un témoin mercredi.
21 Je peux vous donner les noms des témoins, Monsieur le Président, si cela
22 vous intéresse, mais vous les avez sans doute déjà.
23 M. le Président (interprétation). - Oui. Donc aujourd’hui nous entendons
24 les témoins 2 et 3 ?
25 M. Niemann (interprétation). - Oui, les témoins 2, 3 et 4. Je peux vous
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1 donner les noms, Monsieur le Président.
2 M. le Président (interprétation). - Oui.
3 M. Niemann (interprétation). - Ljubas, c'est la personne assise, ensuite
4 Radocaj, Schou Jan, témoin A, Brletic, Kypr.
5 Ce sera la fin de la liste des témoins pour aujourd'hui Monsieur le
6 Président.
7 M. le Président (interprétation). - Merci.
8 Je demande maintenant au témoin de bien vouloir se lever et de prononcer
9 la déclaration solennelle.
10 Mme Ljubas (interprétation). - Je déclare solennellement que je dirai la
11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
12 M. le Président (interprétation). - Merci, veuillez vous asseoir.
13 Je crois comprendre que nous avons le problème technique habituel : un
14 bruit dans les écouteurs. Qui est responsable des équipements ?...
15 Je crois qu'il va nous falloir quinze à vingt minutes de suspension
16 d'audience pour
17 corriger le problème. Mais est-il vraiment impossible pour les interprètes
18 de travailler ?
19 (Réponse affirmative des interprètes.)
20 M. le Président (interprétation). - Bien. Donc suspension d'audience
21 pendant dix minutes... Ah, le bruit a cessé, c'est merveilleux. Vous
22 pouvez procéder.
23 M. Waespi (interprétation). - Madame Ljubas, pouvez-vous décliner votre
24 nom complet à l'attention des juges.
25 Mme Ljubas (interprétation). - Je m’appelle Anica Ljubas.
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1 M. Waespi (interprétation). - Quelle est votre date de naissance, je vous
2 prie ?
3 Mme Ljubas (interprétation) - Le 2 octobre 1948, à Tomislavgrad.
4 M. Waespi (interprétation). - Tomislavgrad se trouve dans quelle
5 République ?
6 Mme Ljubas (interprétation) - En Bosnie-Herzégovine.
7 M. Waespi (interprétation). - Pourriez-vous nous dire quelle est votre
8 nationalité, votre origine ethnique ?
9 Mme Ljubas (interprétation) - Je suis croate.
10 M. Waespi (interprétation). - Avez vous de la famille ?
11 Mme Ljubas (interprétation) - Oui. J'ai trois filles et cinq petits-
12 enfants et j'avais également un fils.
13 M. Waespi (interprétation). - Pouvez-vous nous donner le nom de votre fils
14 et nous dire quand il est né ?
15 Mme Ljubas (interprétation) - Mon fils s'appelle Hrvoje Ljubas. Il est né
16 le 26 janvier 1971.
17 M. Waespi (interprétation). - Quelle et votre profession ?
18 Mme Ljubas (interprétation) - Je suis femme au foyer pour le moment.
19 M. Waespi (interprétation). - Où habitiez-vous à l’été 1991 ?
20 Mme Ljubas (interprétation) - Dans le village de Sotina, près de Vukovar.
21 M. Waespi(interprétation). - Sotin se trouve à quelle distance de
22 Vukovar ?
23 Mme Ljubas (interprétation) - A 10 kilomètres.
24 M. Waespi (interprétation). - Quelle était la composition ethnique du
25 village de Sotin ?
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1 Mme Ljubas (interprétation) - Il était majoritairement peuplé de Croates.
2 M. Waespi (interprétation). - Je voudrais que nous parlions maintenant des
3 événements survenus à l'été et à l'automne 1991.
4 Le 24 août 1991, avez-vous entendu dire à la radio que Vukovar était
5 attaquée ?
6 Mme Ljubas (interprétation) - Oui
7 M. Waespi (interprétation). - Quel a été l'effet de ces nouvelles ?
8 Est-ce que des jeunes gens de Sotin sont allés à Vukovar pour participer à
9 la défense de la ville ?
10 Mme Ljubas (interprétation) - Oui.
11 M. Waespi (interprétation). - Est ce que votre fils est allé défendre
12 Vukovar également ?
13 Mme Ljubas (interprétation) - Non.
14 M. Waespi (interprétation). - Pour quelles raisons votre fils n'est-il pas
15 allé défendre Vukovar ?
16 Mme Ljubas (interprétation) - Parce que son ami y est allé, mais il l’a
17 laissé, lui, dans le village pour aider les gens sur place. C’est son ami
18 qui est allé défendre Vukovar a sa place.
19 M. Waespi (interprétation). - Pouvez-vous nous donner le nom de cet ami ?
20 Mme Ljubas (interprétation) - Luketic Draven.
21 M. Waespi (interprétation). - Qu'est-il arrivé à ce jeune homme à
22 Vukovar ?
23 Mme Ljubas (interprétation) - Il a été tué le 24, au moment de l'attaque
24 sur
25 Maison des techniques de Borovo.
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1 M. Waespi (interprétation). - Ya-t- il a des funérailles de Draven Luketic
2 à Sotin.
3 Mme Ljubas (interprétation) - Oui, le 26 août 1991.
4 M. Waespi (interprétation). - Vous rappelez-vous à quelle heure a eu lieu
5 l'enterrement ce 26 août 1991 ?
6 Mme Ljubas (interprétation) - Je me rappelle très bien parce qu'il était
7 prévu que l'enterrement ait lieu à 4 heures, et à 4 heures 5, les avions
8 ont bombardé le village... et l'enterrement.
9 M. Waespi (interprétation). - Avez vous vu de vos yeux les conséqueces de
10 cette attaque aérienne ?
11 Mme Ljubas (interprétation) - Oui.
12 M. Waespi (interprétation). - Qu'avez vous vu ?
13 Mme Ljubas (interprétation) - J'ai vu des morceaux de béton qui
14 s'enfonçaient profondément dans le sol, j'ai vu des vitres brisées, il y
15 avait un commerce sur la gauche dont la devanture était brisée, j'ai vu
16 des arbres coupés, j'ai vu deux femmes qui ont été blessées.
17 M. Waespi (interprétation). - Qu'elle a été votre impression ? Pour vous,
18 ces avions avaient-ils une relation quelconque avec la JNA ?
19 Mme Ljubas (interprétation) - Eh bien, c'était des avions yougoslaves de
20 l'Armée yougoslave.
21 M. Waespi (interprétation). - Et pendant combien de temps a duré cette
22 attaque aérienne, ce bombardement ?
23 Mme Ljubas (interprétation) - Les avions sont passés une fois, ils ont
24 largué leur charge et puis ils sont repassés une deuxième fois, après quoi
25 je ne les ai plus revus.
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1 M. Waespi (interprétation). - Avez-vous une idée des raisons pour
2 lesquelles la JNA a attaqué votre village ? Y avait-il eu des provocations
3 de la part des habitants du village
4 de Sotin contre la JNA ?
5 Mme Ljubas (interprétation) - Non.
6 M. Waespi (interprétation). - La JNA a-t-elle lancé un avertissement aux
7 habitants de Sotin avant t'attaquer le village ?
8 Mme Ljubas (interprétation) - Non.
9 M. Waespi (interprétation). - Les habitants du village se sont-ils
10 défendus ?
11 Mme Ljubas (interprétation) - Non..
12 M. Waespi (interprétation). - Que s’est-il passé ensuite après le
13 bombardement que vous venez de décrire ? Où avez-vous passé la nuit ? Où
14 avez-vous dormi cette nuit là ?
15 Mme Ljubas (interprétation) - Nous nous sommes cachés dans la cave, chez
16 des amis, des voisins.
17 M. Waespi (interprétation). - Comment s’est passée la nuit ? A-t-elle été
18 tranquille, calme, ou y a-t-il eu d'autres attaques ?
19 Mme Ljubas (interprétation) - Par la suite, la situation est demeurée
20 tranquille, il n'y a pas eu d'autres attaques, ce soir-là.
21 M. Waespi (interprétation). - Que s’est-il passé le lendemain, le
22 27 août ? Avez-vous à nouveau remarqué la présence de la JNA ?
23 Mme Ljubas (interprétation) - Le lendemain, nous nous sommes contentés de
24 traverser le village pour voir ce qui s'était passé, où nous en étions, si
25 des gens étaient morts, etc. Mais toute la journée du lendemain, s'est
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1 déroulée tranquillement.
2 M. Waespi (interprétation). - Ce jour-là ou le lendemain, avez-vous vu des
3 chars qui avaient investi votre village ?
4 Mme Ljubas (interprétation) - C'est le lendemain que vous nous avons vu
5 les chars. Personnellement, j’ai vu des colonnes entières de chars. A un
6 moment, j'en ai compté 60 à 80.
7 M. Waespi (interprétation). - Qu'est il arrivé au cours de la nuit
8 suivante ? Est-ce qu’à un certain moment, vous avez décidé de partir ?
9 Mme Ljubas (interprétation) - La nuit suivante, nous avons été informés
10 par les voisins, par ceux qui nous protégeaient, qui nous protégeaient,
11 nous, les femmes et les enfants, en fait, il s'agissait de tous les
12 habitants du village, nous avons donc été informés que nous n'étions plus
13 en sécurité qu'il fallait partir. Le village était déjà encerclé par
14 l'armée et ils nous ont donc dit qu'ils ne pouvaient plus assurer notre
15 sécurité qu'il fallait partir.
16 M. Waespi (interprétation). - La majeure partie des habitants de Sotin a
17 décidé de partir ce soir là ?
18 Mme Ljubas (interprétation) - Oui, tout le village a été évacué cette nuit
19 la, à 3 heures du matin, la nuit du 28 au 29 août.
20 M. Waespi (interprétation). - Vous avez dit que la majorité des habitants
21 de Sotin étaient de nationalité croate. Mais cela signifie donc qu'il y
22 avait aussi des Serbes qui vivaient dans ce village.
23 Pouvez-vous nous dire qu'elle a été la réaction de ces Serbes qui
24 habitaient le village : vous ont-ils rejoint dans votre fuite, dans votre
25 départ ?
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1 Mme Ljubas (interprétation). - Pour autant que j'aie pu le voir -parce
2 que, tout de même, nous étions assez troublés-, il y en a qui sont partis,
3 d'autres pas. Nous ne savions pas trop, nous avons vu dans le village
4 voisin des Serbes qui nous ont rejoints dans la colonne, effectivement.
5 M. Waespi (interprétation). - Pouvez-vous nous dire exactement pour quelle
6 raison vous avez quitté votre village ? Le village où vous habitiez ?
7 Mme Ljubas (interprétation). - Nous sommes partis parce que nous avions
8 peur. Nous nous sommes rendu compte de ce qui se passait : l'armée était
9 là, on était bombardé, on avait peur, on était terrorisé, on n'osait plus
10 rester là.
11 M. Waespi (interprétation). - Quand avez-vous votre fils pour la dernière
12 fois ?
13 Mme Ljubas (interprétation). - Le 28 août 1991.
14 M. Waespi (interprétation). - Pouvez-vous nous en dire davantage : où
15 l'avez-vous vu, où vous trouviez-vous à ce moment là, était-ce dans une
16 voiture ?
17 Mme Ljubas (interprétation). - J'étais dans la voiture dans la colonne et
18 on allait vers Zagreb. On est arrivés à Ilok et je l'ai vu au début de la
19 colonne. Je l'ai appelé et je lui ai dit : "Viens avec moi à Zagreb". Il
20 m'a répondu : "Non, maman, je ne vais pas avec toi à Zagreb, je vais à
21 Vukovar". C'est la dernière fois que nous nous sommes vus.
22 M. Waespi (interprétation). - Je vais maintenant, Madame, vous montrer une
23 photo. Il y en a des exemplaires pour les juges et la défense.
24 Madame, pouvez-vous nous dire qui est représenté sur cette photo ?
25 Mme Ljubas (interprétation). - Mon fils, qui n'avait que 20 ans.
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1 M. Waespi (interprétation). - L'avez-vous jamais revu depuis ?
2 Mme Ljubas (interprétation). - Non.
3 M. Waespi (interprétation). - Je demande le versement de cette
4 photographie au dossier en tant que pièce à conviction suivante de
5 l'accusation. Je crois qu'il s'agit de la pièce à conviction numéro 71, si
6 je ne m'abuse.
7 Mme le Greffier. - Oui, c'est la pièce n° 71.
8 M. Waespi (interprétation). - Madame Ljubas, pouvez-vous nous dire où
9 votre convoi est allé une fois que vous êtes sortis de Sotin, cette nuit-
10 là ?
11 Mme Ljubas (interprétation). - Il est parti vers Zagreb. Certains sont
12 allés vers Zagreb mais d'autres sont tout de même retournés dans le
13 village. Il y en a qui se sont dit : "Les chars vont traverser et vont
14 passer, nous serons tout de même en sécurité dans le village". Ils y sont
15 donc retournés.
16 M. Waespi (interprétation). - Etes-vous arrivés au village d'Opatovac, à
17 un certain
18 moment, au cours des jours suivants ?
19 Mme Ljubas (interprétation). - Oui.
20 M. Waespi (interprétation). - Avez-vous revu des forces de la JNA qui
21 arrivaient dans ce village ?
22 Mme Ljubas (interprétation). - Oui.
23 M. Waespi (interprétation). - Quelle a été la réaction de votre côté ?
24 Etes-vous repartis de ce village ensuite ?
25 Mme Ljubas (interprétation). - Oui.
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1 M. Waespi (interprétation). - Où êtes-vous allés après Opatovac ?
2 Mme Ljubas (interprétation). - Nous avons pris la route de Sotin, le long
3 du Danube, parce que nous n'osions pas marcher à découvert. Donc nous
4 avons marché dans la forêt toute la nuit, jusqu'à l'arrivée à Sotin,
5 puisque nous savions que l'armée se trouvait dans le village.
6 M. Waespi (interprétation). - Etes-vous retournés dans vos maisons ?
7 Mme Ljubas (interprétation). - Non.
8 M. Waespi (interprétation). - Où êtes-vous restés, à l'extérieur de
9 Sotin ?
10 Mme Ljubas (interprétation). - Dans la forêt, autour du village. Dans
11 notre cabane au bord du Danube.
12 M. Waespi (interprétation). - Combien de temps y êtes-vous restés ?
13 Mme Ljubas (interprétation). - Trois jours et trois nuits.
14 M. Waespi (interprétation). - A un certain moment, avez-vous décidé de
15 traverser le Danube pour aller de l'autre côté sur la rive opposée ?
16 Mme Ljubas (interprétation). - Oui, un homme nous a emmenés en canot sur
17 l'autre rive du Danube.
18 M. Waespi (interprétation). - Est-ce que quelqu'un vous a donné le conseil
19 de vous
20 rendre à la JNA ?
21 Mme Ljubas (interprétation). - Oui, cet homme qui nous a fait traverser
22 nous a dit de nous rendre. Il nous a dit : "Surtout, n'allez pas seuls
23 dans la forêt, ne traversez pas la forêt seuls car la forêt est pleine de
24 soldats".
25 M. Waespi (interprétation). - Vous êtes-vous rendus réellement ?
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1 Mme Ljubas (interprétation). - Oui.
2 M. Waespi (interprétation). - Pouvez-vous nous dire brièvement comment les
3 choses se sont passées ?
4 Mme Ljubas (interprétation). - Ils nous ont amenés devant un bâtiment,
5 c'était un bâtiment en béton, il y avait de la verdure autour, je ne sais
6 pas ce que c'était exactement. Il y avait plein d'hommes en uniforme et en
7 civil. Nous ne savions pas exactement de quel bâtiment il s'agissait, mais
8 en tout cas ils se sont tous moqués de nous, ils nous ont dit : "Ceux qui
9 vous ont amenés peuvent vous ramener".
10 J'ai commencé à pleurer, j'ai dit que j'avais quatre enfants et que je ne
11 pouvais plus avancer, qu'il fallait qu'ils me tuent sur place. J'ai dit :
12 "Allez-y, tuez-moi, et vous préviendrez mes enfants pour leur dire où j'ai
13 été tuée". Là, ils n'ont pas cessé de se moquer de nous, de nous humilier,
14 de rire de nous jusqu'à l'arrivée de deux soldats, qui sont arrivés dans
15 un véhicule et qui nous ont emmenés dans cette grande voiture. Ils nous
16 ont emmenés à un interrogatoire à Bac.
17 M. Waespi (interprétation). - Après l'interrogatoire, vous a-t-on ramenés
18 à Backa Palanka ?
19 Mme Ljubas (interprétation). - Après l'interrogatoire, ils nous ont
20 installés dans un village où nous sommes restés jusqu'au 22, 21 ou 22, je
21 ne me rappelle pas exactement la date. Et ensuite, nous nous sommes dit
22 que plus personne ne venait nous rendre visite ; nous nous sommes demandé
23 combien de temps nous allions rester seuls ensemble. Nous avons décidé
24 d'aller à Bac, pour demander ce qui allait nous arriver.
25 Donc nous sommes allés à Bac, nous avons demandé ce qu'il allait advenir
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1 et un homme est arrivé, que mon mari a reconnu. Mon mari lui a demandé :
2 "Mais que faites-vous" ? Il a dit : "Nous non plus, nous ne savons pas où
3 nous en sommes" et il nous a fait rentrer dans son bureau où il nous a
4 offert du café. Nous lui avons demandé : "Mais que va-t-il nous arriver
5 maintenant" ? Il a répondu : "Pour moi, vous êtes libres". Nous avons
6 répliqué : "Mais nous n'osons pas sortir parce que nous avons peur de nous
7 faire arrêter par quelqu'un" et lui a répondu : "Mais écoutez, vous prenez
8 l'autobus et vous circulez librement. Où voudriez-vous aller" ? Nous avons
9 répondu que nous aimerions aller à Belgrade car nous n'avions plus
10 l'intention d'aller à Zagreb. A ce moment-là, nous sommes allés à Backa,
11 Backa Palanka, Novi-Sad, Sremska Mitrovica, Sid, Doboi et c'est comme cela
12 que nous sommes arrivés jusqu'à Mostar.
13 M. Waespi (interprétation). - A un certain moment, êtes-vous passés par
14 Zagreb ?
15 Mme Ljubas (interprétation). - Nous sommes arrivés à Zagreb le
16 16 novembre 1991.
17 M. Waespi (interprétation). - Merci. Je n'ai pas d'autres questions.
18 M. le Président (interprétation). - Maître Fila ?
19 M. Fila (interprétation). - Non merci, Monsieur le Président.
20 M. le Président (interprétation). - Merci. Je suppose qu'il n'y a pas
21 d'objection à ce que le témoin soit libéré. Pas d'objection ? Madame
22 Ljubas, j'aimerais vous dire toute la gratitude de ce Tribunal pour le
23 fait que vous soyez venue ici à La Haye déposer devant la Chambre. Je vous
24 remercie, vous pouvez maintenant vous retirer.
25 (Madame Ljubas quitte la salle d'audience.)
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1 (M. Djuka Radocaj est introduit dans la salle d'audience.)
2 M. Niemann (interprétation). - Djuka Radocaj...
3 M. le Président (interprétation). - Maître Niemann, je crois que vous
4 avez dit tout à l'heure que vous ne citeriez que Mme Ljubas et
5 Djuka Radocaj, n'est-ce pas ? Nous n'avons que deux témoins ? Ou bien
6 pouvez-vous citer un troisième témoin car nous avons beaucoup de temps ?
7 M. Niemann (interprétation). - (... hors micro.) Maître Williamson va
8 prendre ce témoin mais je ne pense pas que nous puissions être prêts. Nous
9 serons à court aujourd'hui, demain et mercredi, parce que les choses ont
10 avancé beaucoup plus vite que nous ne l'escomptions.
11 M. le Président (interprétation). - Maître Williamson.
12 M. Williamson (interprétation). - Très brièvement, notre témoin suivant
13 est malade. Notre Témoin A étant malade, souffrant de la grippe, il ne
14 peut pas se présenter aujourd'hui. En tout cas, il ne pourra pas venir
15 aujourd'hui.
16 M. le Président (interprétation). - Pouvez-vous citer celui qui figure sur
17 ma liste au titre du numéro 6, il est dans la liste confidentielle qui
18 nous a été distribuée, je crois, vendredi.
19 M. Niemann (interprétation). - Non, Monsieur le Président, ce témoin n'est
20 pas prêt, il ne pourra pas être cité. Merci.
21 M. le Président (interprétation). - Je demande au témoin de bien vouloir
22 prononcer la déclaration solennelle.
23 M. Radocaj (interprétation). - Je déclare solennellement que je dirai la
24 vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
25 M. le Président (interprétation). - Merci. Vous pouvez vous asseoir.
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1 Maître Niemann ?
2 M. Niemann (interprétation). - Votre nom complet est Duko Radocaj ?
3 M. Radocaj (interprétation). - Duka Radocaj.
4 M. Niemann (interprétation). - Monsieur Radocaj, quelle est votre date de
5 naissance ?
6 M. Radocaj (interprétation). - Le 12 octobre 1952.
7 M. Niemann (interprétation). - M. Kevin Curtis du Tribunal international
8 vous a-t-il rendu visite le 4 février 1996 et a-t-il obtenu une
9 déclaration préalable de votre témoignage ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Oui.
11 M. Niemann (interprétation). - Cette déclaration a-t-elle été notée en
12 anglais et traduite pour vous en langue croate ?
13 M. Radocaj (interprétation). - C'est exact.
14 M. Niemann (interprétation). - Après avoir été traduit, vous a-t-on
15 demandé de signer au bas de chaque page de cette déclaration préalable ?
16 M. Radocaj (interprétation). - Oui, c'est exact.
17 M. Niemann (interprétation). - J'aimerais que l'on vous montre ce document
18 maintenant. J'aimerais que l'on donne la cote suivante dans l'ordre, s'il
19 vous plaît, à cette pièce à conviction.
20 Mme le Greffier (interprétation). - Pièce du Procureur numéro 72.
21 M. Niemann (interprétation). - Monsieur Radocaj, pouvez-vous voir votre
22 signature au bas de chaque page de ce document ?
23 M. Radocaj (interprétation). - Oui.
24 M. Niemann (interprétation). - J'aimerais que cette pièce soit versée au
25 dossier. Monsieur Radocaj, où êtes-vous né ?
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1 M. Radocaj (interprétation). - Je suis né à Lovas.
2 M. Niemann (interprétation). - Et jusqu'en 1991, où viviez-vous, où avez-
3 vous vécu la plus grande partie de votre vie ?
4 M. Radocaj (interprétation). - A l'endroit où je suis né.
5 M. Niemann (interprétation). - C'est-à-dire à Lovas ?
6 M. Radocaj (interprétation). - Oui à Lovas.
7 M. Niemann (interprétation). - Pendant les hostilités, en 1991, Lovas
8 était-elle affectée, touchée par la guerre à ce moment-là ?
9 M. Radocaj (interprétation). - Oui.
10 M. Niemann (interprétation). - Vers la fin du mois d'août ou en septembre
11 de cette année, viviez-vous toujours à Lovas à ce moment-là ?
12 M. Radocaj (interprétation). - Oui.
13 M Niemann (interprétation). - Avez vous observé une augmentation
14 considérable des tensions autour de Lovas ?
15 M. Radocaj (interprétation). - Oui, je l'ai remarquée.
16 M Niemann (interprétation). - Qu'avez vous observé ?
17 M. Radocaj (interprétation). - Il y avait beaucoup de soldats,
18 de véhicules dans les environs, nous n'avions pas d'autorisation pour
19 circuler librement. Nous ne pouvions pas aller à Vukovar.
20 M Niemann (interprétation). - Vous avez mentionné des véhicules
21 militaires. De quelle armée ? Quelle était l'armée ?
22 M. Radocaj (interprétation). - JNA.
23 M. Niemann (interprétation). - Vous avez également dit "Sotin" ?
24 Quelle est la position de cet endroit, c'est près de Lovas, n'est-ce pas ?
25 M. Radocaj (interprétation). - A Sotin, fin août ou début septembre, une
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1 partie de la population a été évacuée et est venue à Lovas.
2 M. Niemann (interprétation). - Vers les 22, 23 septembre 1991, d'autres
3 réfugiés se sont-ils rendus au village de Lovas venant d'une autre
4 localité de la région ?
5 M. Radocaj (interprétation). - Oui. Le 22 exactement, à Lovas un grand
6 nombre de personnes est venu à Lovas, elles arrivaient de Tovarnik,
7 également d'autres localités, mais essentiellement de Tovarnik.
8 M Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé à Tovarnik ? Qui a
9 conduit ces gens à se rendre à Lovas ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Ce jour-là, la JNA a attaqué Tovarnik.
11 M. Niemann (interprétation). - Pour aider Messieurs les Juges à localiser
12 ces endroits, pourrait-on produire la pièce P 4 qui est cette carte-ci ?
13 Pourrait-on placer cette carte sur le rétroprojecteur ?
14 Monsieur Radocaj, j'aimerais que vous regardiez cette carte que vous avez
15 sous les yeux, que vous preniez le pointeur et que vous nous indiquiez les
16 localités que vous avez mentionnées dans votre témoignage. Tout d'abord,
17 indiquez nous le village de Lovas, pouvez-vous le trouver ?
18 M. Radocaj (interprétation). - Lovas.
19 M. Niemann (interprétation). - Pour que l'on puisse s'orienter, pouvez-
20 vous nous indiquer où se trouve la ville de Vukovar ?
21 M. Radocaj (interprétation). - Vukovar est ici.
22 M. Niemann (interprétation). - Et Ilok?
23 M. Radocaj (interprétation). - Ici.
24 M. Niemann (interprétation). - Et vous avez mentionné Sotin.
25 M. Radocaj (interprétation). - Sotin est ici.
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1 M. Niemann (interprétation). - Nous pourrions peut-être rapprocher un peu
2 l'image. Vous avez mentionné un autre village.
3 M. Radocaj (interprétation). - Mohovo est ici.
4 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie. Et Tovarnik dont vous
5 venez de
6 parler ?
7 M. Radocaj (interprétation). - Tovarnik est ici.
8 M. Niemann (interprétation). - Je crois que cela suffit pour l'instant, je
9 vous remercie.
10 Y a-t-il eu une grande augmentation de la population de Lovas après
11 l'attaque de la JNA sur Tovarnik ?
12 M. Radocaj (interprétation). - A ce moment-là, le même jour ou quelques
13 jours plus tard, à mon avis, la population a doublé par rapport à la
14 population normale.
15 M. Niemann (interprétation). - Le 10 octobre 1991, avez-vous entendu des
16 nouvelles, certaines nouvelles pouvant affecter Lovas ?
17 M. Radocaj (interprétation). - Le 10 octobre exactement ?
18 M. Niemann (interprétation). - Oui. Ce jour-là.
19 M. Radocaj (interprétation). - Ce jour-là, nous avons entendu la nouvelle
20 qu'une attaque se préparait sur Lovas.
21 M. Niemann (interprétation). - Et comment avez-vous appris cette
22 nouvelle ?
23 M. Radocaj (interprétation). - Nous avons entendu cette nouvelle parce
24 qu'un habitant qui se trouvait là localement et qui a échappé aux soldats
25 a averti Lovas depuis Tovarnik par une station radio. Il a donné l'alarme.
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1 M. Niemann (interprétation). - Et quand vous avez appris cette nouvelle de
2 l'attaque imminente sur Lovas, qu'avez-vous fait ?
3 M. Radocaj (interprétation). - A ce moment-là, puisqu'il n'y avait pas de
4 défense, il n'y avait rien du tout, les gens se sont rassemblés, on en a
5 parlé et peu de temps après cela, les obus ont commencé à tomber.
6 M. Niemann (interprétation). - De quelle direction provenaient les obus à
7 Lovas ?
8 M. Radocaj (interprétation). - Les obus, le pilonnage venaient de la
9 direction de
10 Tovarnik.
11 M. Niemann (interprétation). - Qu'avez vous fait lorsque cela s'est
12 produit ?
13 M. Radocaj (interprétation). - Je me trouvais dans un bureau local et
14 puisqu'il n'y avait personne, je suis rentré chez moi, je me suis dirigé
15 vers ma maison.
16 M. Niemann (interprétation). - Et qu'avez-vous découvert en arrivant chez
17 vous ?
18 M. Radocaj (interprétation). - Lorsque je suis arrivé chez moi, il y avait
19 les parents de ma femme et son frère qui étaient là, la femme de son frère
20 et leurs deux enfants. Je leur ai parlé un peu et je voulais aller voir ma
21 mère qui se trouve dans une maison un peu plus haut que la mienne.
22 M. Niemann (interprétation). - C'est ce que vous avez fait ?
23 M. Radocaj (interprétation). - Oui, je suis parti et j'ai fait à peu près
24 une centaine de mètres, et dans la direction opposée à celle où je me
25 dirigeais, l'on a commencé à tirer, c'est-à-dire dans la direction de
Page 1123
1 Opatovac. Ma rue s'appelle "Mlinska" et c'est de là qu'on a commencé à
2 tirer dans la direction d'Opatovac.
3 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous alors rentré chez vous à la suite
4 de cela ?
5 M. Radocaj (interprétation). - Oui, j'ai dû rentrer chez moi parce que
6 j'ai pensé qu'il n'était pas sûr que je m'y rende et je suis rentré chez
7 moi.
8 M. Niemann (interprétation). - Ensuite, avez-vous décidé de fuir, de vous
9 échapper de Lovas ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Le père de ma femme ainsi que mon beau-
11 frère ont dit que nous devrions fuir.
12 M. Niemann (interprétation). - Fuir ou cela ?
13 M. Radocaj (interprétation). - Vers le village de Mohovo.
14 M. Niemann (interprétation). - L'avez-vous fait ?
15 M. Radocaj (interprétation). - Oui.
16 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivés à Mohovo, que
17 s'est il passé ?
18 M. Radocaj (interprétation). - Lorsque je suis arrivé à Mohovo, de la
19 direction de l'endroit d'où je venais, il y avait des bombardements
20 quotidiens, c'est-à-dire dans l'endroit même de Lovas. Là, j'ai cherché
21 mon beau-frère parce qu'on s'était perdu dans les champs en nous rendant à
22 Mohovo.
23 M. Niemann (interprétation). - Une fois que vous vous êtes trouvé à
24 Mohovo, avez-vous décidé qu'il vaudrait mieux pour vous que vous rentriez
25 dans votre maison de Lovas ?
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1 M. Radocaj (interprétation). - Je suis resté peu de temps à Mohovo et, à
2 un certain moment, je suis allé à Ilok pour chercher mon beau-frère qui,
3 lui, se trouvait à Iloka, parce que je l'avais entendu dire à Mohovo. Je
4 suis allé le chercher parce que j'avais décidé de rentrer pour voir ce qui
5 se passait avec les gens qui étaient restés dans ma maison.
6 M. Niemann (interprétation). - Et c'est ce que vous avez fait ?
7 M. Radocaj (interprétation). - Oui. Oui, c'est ce que j'ai fait.
8 M. Niemann (interprétation). - Comment êtes-vous rentrés à votre maison de
9 Lovas ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Je suis rentré à travers champs, il
11 s'agissait de champs de maïs et j'ai choisi ce chemin pour rentrer chez
12 moi.
13 M. Niemann (interprétation). - Une fois de retour chez vous, qu'avez-vous
14 découvert ?
15 M. Radocaj (interprétation). - Quand je suis rentré, je n'ai trouvé ni ma
16 femme, ni mes proches. Un voisin m'a dit que mon beau-père était décédé,
17 qu'il avait été tué, mais apparemment ma femme, elle, était partie à Sid,
18 on l'avait emmenée à Sid parce qu'on les maltraitait à Lovas. Ils ont
19 essayé de fuir chez des parents, à cet endroit, il y avait beaucoup de
20 parents, c'était à Dobanovci.
21 M. Niemann (interprétation). - Et Dobanovcic se trouve-t-il en Croatie ?
22 M. Radocaj (interprétation). - Oui, près de Zemun.
23 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé ensuite, qu'avez-vous
24 fait lorsque vous avez découvert que votre femme était partie ?
25 M. Radocaj (interprétation). - C'était le 13. Ce jour-là, j'ai passé la
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1 nuit dehors près de la maison, caché dans le maïs, un champ de maïs qui se
2 trouvait près de la maison. A un moment, j'ai eu très froid pendant la
3 nuit, je suis monté dans la maison, ne sachant pas où se trouvait ma
4 femme, j'ai passé la nuit là. Le matin suivant, le 14, je me suis rendu
5 dans la direction du village que j'ai mentionné tout à l'heure, Opatovac.
6 Là, il y avait une colonne de véhicules blindés, des chars, des jeeps qui
7 sont passés, je ne sais pas comment s'appellent tous ces véhicules.
8 M. Niemann (interprétation). - Ces véhicules militaires étaient-ils de la
9 JNA ?
10 M. Radocaj (interprétation). - D'après les signes extérieurs, notamment la
11 couleur, je montais de la colline, j'ai pu voir que c'étaient des
12 véhicules SMB.
13 M. Niemann (interprétation). - Vous avez ensuite décidé d'aller dans un
14 bâtiment de coopération de Lovac. Et vous vous êtes rendu ensuite ?
15 M. Radocaj (interprétation). - Ma femme était rentrée chez moi et un
16 soldat qui nous a vus nous a ramassés et nous a emmenés dans une maison
17 proche dans le voisinage.
18 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé à ce moment-là ?
19 M. Radocaj (interprétation). - On m'a envoyé jusqu'à quelqu'un à qui on a
20 demandé s'il me connaissait. Puis on m'a emmené à un endroit où j'ai dû me
21 déclarer, où l'on m'a ordonné de venir travailler le matin suivant à
22 7 heures.
23 M. Niemann (interprétation). - Et c'est ce que vous avez fait le jour
24 suivant ?
25 M. Radocaj (interprétation). - Oui, j'ai été contraint de le faire.
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1 M. Niemann (interprétation). - Et quel type de travail avez-vous dû
2 faire ?
3 M. Radocaj (interprétation). - Toutes sortes de travaux : garder le
4 bétail, s'occuper du maïs, des tâches semblables que l'on m'ordonnait de
5 faire sur place. Toutes ces tâches, moi et les autres habitants avons dû
6 les effectuer sous la surveillance de ces soldats ou de gens armés, il y
7 avait des gens locaux armés.
8 M. Niemann (interprétation). - Et vous avez continué à travailler ainsi
9 jusqu'au 17 octobre ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Précisément, jusqu'au 17 octobre. C'est ce
11 que j'ai fait jusqu'à cette date. Ce jour-là, des ordres ont été émis
12 selon lesquels nous pouvions rentrer chez nous, ou plutôt que personne ne
13 pouvait rentrer chez lui, qu'il allait y avoir une réunion au sein même de
14 cette coopérative.
15 M. Niemann (interprétation). - Y a-t-il effectivement eu une réunion ?
16 M. Radocaj (interprétation). - Malheureusement, cette réunion n'a pas eu
17 lieu. Et ce, parce que la personne qui était supposée organiser cette
18 réunion, c'était Ljuban Devetak, n'est pas venue ce jour-là. Il ne s'est
19 pas présenté. Mais un jour ou deux plus tard, j'ai entendu dire qu'il se
20 trouvait à Ilok. C'est ce que m'a dit son chauffeur. Il m'a dit qu'il
21 accompagnait le convoi parce que le 17 octobre, un convoi des habitants
22 d'Ilok était parti en direction de la Croatie de Zagreb.
23 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous êtes allé à cette réunion,
24 cette réunion où M. Devetak n'est pas arrivé, une personne revêtue d'un
25 uniforme militaire vous a-t-elle adressé la parole ?
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1 M. Radocaj (interprétation). - Il y avait là plusieurs personnes. L'une
2 se faisait appeler "Capitaine", puis il y avait là également un certain
3 nombre de soldats. Ils ont placé des armes devant nous. J'ai vu une
4 mitraillette parmi ces armes. Il y avait également des fusils
5 automatiques, les fusils qu'ils avaient.
6 M. Niemann (interprétation). - Cette personne que l'on appelait
7 "Capitaine" vous a-t-elle expliqué pourquoi vous aviez été emmené ? Et
8 pourquoi on l'avait enfermé, lui ? Est-ce que cette personne vous a
9 expliqué pourquoi vous aviez été enfermé ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Ce capitaine nous a expliqué que certains
11 habitants locaux tiraient prétendument sur ces soldats et que s'il n'y
12 avait pas de tirs dans notre direction cette nuit-là, il en déduirait que
13 c'était nous qui étions responsables de ces coups de feu. C'est alors que
14 nous nous retrouvions dans une situation vraiment dangereuse. C'est ce
15 qu'il m'a dit : "Si c'est le cas, vous allez vraiment vous retrouver dans
16 une mauvaise situation".
17 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé ensuite, qu'ont-ils
18 fait ?
19 M. Radocaj (interprétation). - Ce soir-là, donc le 17 au soir, nous avons
20 dû rester assis sur des bancs en bois toute la nuit, nos mains attachées
21 dans le dos, comme je l'indique. Très souvent, on nous interdisait même de
22 bouger parce que certaines des personnes qui nous surveillaient allaient
23 et venait à nos côtés, si quiconque bougeait, il se faisait frapper, les
24 gens qui nous surveillaient nous frappaient avec leurs poings et d'autres
25 objets.
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1 M. Niemann (interprétation). - Et le lendemain matin, que vous ont-ils
2 fait ?
3 M. Radocaj (interprétation). - D'ailleurs, je n'ai même pas précisé que ce
4 soir-là, ils n'ont même pas permis aux personnes qui le souhaitaient
5 d'aller aux toilettes. Donc le lendemain matin, à un moment donné...
6 Enfin, ils nous avaient donné quelques paquets de cigarette. Donc nous
7 avons fumé une ou deux cigarettes, du moins ceux d'entre nous qui étaient
8 fumeurs. Après cela, Dvedak est arrivé. Il était accompagné de gardes du
9 corps ou de soldats, ou était-ce peut-être des soldats membres du groupe
10 armé militaire, je ne sais pas. Mais de toute façon, ils ont commencé à
11 frapper toutes les personnes qui se trouvaient là. Avant de le faire, ils
12 avaient constitué un groupe, prétendument un groupe de travail responsable
13 de l'électricité mais il n'y avait pas d'électricité, il n'y avait pas non
14 plus de système d'approvisionnement en eau qui fonctionnait.
15 M. Niemann (interprétation). - Lorsqu'ils ont commencé à vous frapper,
16 avec quoi vous ont-ils frappé ?
17 M. Radocaj (interprétation). - Avec tout ce qu'ils avaient sous la main.
18 Ils ont utilisé leur fusil, leur crosse de fusil plus précisément, ils se
19 sont servis de bâton ou de barres de métal, ils ont utilisé leurs poings,
20 et puis je ne sais pas... des espèces de baguettes de bois. Ils allaient
21 jusqu'à enfoncer leur couteau dans la cuisse de certaines personnes.
22 M. Niemann (interprétation). - Un peu plus tard, ont-ils constitué un
23 groupe de quatre ou cinq personnes, des villageois qu'ils avaient accusé
24 en fait de ne pas avoir assisté à la réunion ?
25 M. Radocaj (interprétation). - Effectivement.
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1 M. Niemann (interprétation). - Et que leur ont-ils fait ?
2 M. Radocaj (interprétation). - Ils ont mis ces personnes face à un mur...
3 enfin, face à nous mais je dois préciser avant de poursuivre qu'un groupe
4 de 20 personnes environ avait été emmené un peu sur le côté par rapport à
5 l'endroit où nous avions passé la nuit, et ils ont placé ce groupe de
6 personnes devant le mur de l'atelier qui se trouvait à l'intérieur même de
7 la coopérative. Ils les frappaient eux plus que les autres parce que soi-
8 disant ils n'avaient pas répondu à l'invitation de venir assister à la
9 réunion. Ils ont donc fait l'objet de mauvais traitements tout
10 particuliers. Comment expliquer cela... Ces personnes ont été torturées,
11 ils enfonçaient leur couteau dans leur corps, ils les battaient
12 violemment, le mur était maculé de sang.
13 M. Niemann (interprétation). - Un peu plus tard, vous a-t-on dit que vous
14 alliez être emmenés pour travailler dans une vigne, pour faire la récolte
15 du raisin ?
16 M. Radocaj (interprétation). - Oui. Cela, on me l'a dit plus tard. Ils
17 nous ont dit que nous allions faire la vendange. Ils nous ont alignés,
18 nous devions quitter le village pour aller dans une ferme qui se trouvait
19 jusqu'aux alentours du village.
20 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-on dit quoi que ce soit à propos
21 de mines ?
22 M. Radocaj (interprétation). - Personne ne nous avait rien dit à propos
23 des mines. Mais alors que nous étions déjà en chemin, ils nous ont dit que
24 si le chemin était miné, c'était notre faute, que c'était nous qui avions
25 déposé ces mines et que nous allions perdre notre vie, enfin mourir, ils
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1 ont dit quelque chose d'approchant.
2 M. Niemann (interprétation). - Où êtes-vous allés ?
3 M. Radocaj (interprétation). - Malheureusement, nous avons été forcés de
4 pénétrer sur ce champ de mines. Mais d'après moi, c'est Dieu que nous
5 devons remercier. C'est Lui qui a permis qu'un véhicule militaire
6 s'approche ; dans ce véhicule, il y avait un officier, je crois, un
7 officier de la JNA, le véhicule en question était une jeep, une espèce de
8 véhicule militaire. Mais malheureusement, il est arrivé un peu trop tard
9 parce qu'un certain nombre de personnes étaient mortes en marchant sur des
10 mines, on les a achevées en leur tirant dans le dos avec des fusils
11 automatiques.
12 M. Niemann (interprétation). - Quelqu'un a-t-il vraiment marché sur une
13 mine tandis que vous marchiez dans ce champ ?
14 M. Radocaj (interprétation). - Nous étions alignés, nous marchions à égale
15 distance les uns des autres. Nous avions étendu nos bras pour respecter
16 une certaine distance entre nous. Un jeune garçon a sauté sur une mine,
17 enfin c'est ce qu'ils ont dit. Mais par la suite, les personnes qui
18 marchaient à côté de ce jeune garçon m'ont raconté que l'un des soldats
19 l'avait en fait poussé sur cette mine.
20 M. Niemann (interprétation). - Vous ont-ils dit de faire quoi que ce soit
21 avec vos pieds tandis que vous marchiez dans ce champ de mines ?
22 M. Radocaj (interprétation). - Oui, en effet, ils ont dit que nous devions
23 déplacer nos jambes tout comme on le fait lorsqu'on fait la moisson du
24 trèfle ou lorsqu'on coupe l'herbe,
25 ils nous ont demandé de faire ce genre de mouvement tandis que nous
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1 progressions.
2 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que cette jeep de la JNA est
3 arrivée, qu'elle transportait un officier, que s’est-il passé alors ?
4 M. Radocaj (interprétation). - Je ne sais pas dans quelle mesure vous êtes
5 à même d'imaginer tout ce que je suis en train de vous dire, nous avions
6 tous très peur, nous ne savions pas quoi faire. Eux se disputaient entre
7 eux. Cet officier a ordonné que les personnes qui avaient survécu à tout
8 cela, que les blessés soient sortis du champ. En fait, c'est moi qui suis
9 parti le premier. D'autres personnes ont commencé à déminer le champ, qui
10 obéissaient aux ordres émis par l'officier qui était sur le véhicule, nous
11 avons tous dû commencer à déminer le champ avec nos mains.
12 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-on expliqué comment procéder ?
13 M. Radocaj (interprétation). - Cet officier a donné des ordres au soldat
14 dont j'ai parlé, et étant donné que j'étais le premier à me tenir là, j'ai
15 été le premier désigné pour déminer. Ce soldat m'a expliqué comment faire.
16 M. Niemann (interprétation). - Et que vous a-t-il dit, que vous a-t-il
17 expliqué ?
18 M. Radocaj (interprétation). - Etant donné que je ne suis pas un expert en
19 matière militaire et que je ne suis pas un soldat, que je ne connais rien
20 au déminage, j'avais servi quelque temps dans l'armée précédente, c'est
21 tout. Donc ce soldat m'a expliqué qu'il fallait que je prenne une espèce
22 de bâton qui se trouvait là dans le champ de mines. Il fallait que je tire
23 ce bâton vers moi et que j'essaie de détacher le petit câble qui s'y
24 trouvait. Puis nous sommes allés à un autre endroit et nous avons coupé ce
25 petit câble. Entre-temps quelqu'un m'avait donné un coupe-ongle et c'est
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1 ce que j'ai utilisé pour couper ce câble.
2 M. Neimann (interprétation). - Et où se tenaient les soldats tandis que
3 vous coupiez les câbles des mines ?
4 M. Radocaj (interprétation). - Le soldat se tenait sur la route juste au-
5 dessus du
6 champ.
7 M. Niemann (interprétation). - Les soldats qui vous avaient emmené de
8 Lovas au champ de mines étaient-ils des soldats réguliers de la JNA ? Les
9 avez-vous reconnus comme tels ou appartenaient-ils à une autre force ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Je ne les ai pas reconnus, je ne savais pas
11 qui ils étaient.
12 M. Niemann (interprétation). - Est-ce qu'ils appartenaient à l'armée
13 régulière ? Comment vous expliquer cela... S'agissait il plutôt de
14 réservistes ?
15 M. Radocaj (interprétation). - Je ne sais pas. Mais en tout cas, tous
16 portaient des uniformes, ceux qui nous obligeaient à marcher dans le champ
17 de mines portaient des uniformes... C'est bien de ces personnes-là que
18 vous parlez ?
19 M. Niemann (interprétation). - Ces soldats portaient-ils des insignes qui
20 auraient pu indiquer qu'ils appartenaient à la JNA ?
21 M. Radocaj (interprétation). - Certains d'entre eux portaient des étoiles
22 rouges à cinq branches qui étaient brodées sur leurs képis.
23 M. Niemann (interprétation). - Les personnes qui sont arrivées dans jeep
24 portaien-elles le même type d'uniforme ?
25 M. Radocaj (interprétation). - Le soldat portait un uniforme vert olive
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1 tandis que les soldats précédents portaient ces uniformes de camouflage
2 qui sont de couleur vert clair.
3 M. Niemann (interprétation). - Après avoir déminé le secteur, après avoir
4 vous-même enlevé une mine, que s'est-il passé ?
5 M. Radocaj (interprétation). - A ce moment-là, un des soldats qui étaient
6 restés avec nous m'a donné l'ordre d'aller jeter un coup d'oeil sur les
7 cadavres qui se trouvaient dans le champ ; il fallait que je vérifie si
8 l'un quelconque d'entre eux était encore vivant.
9 M. Niemann (interprétation). - C'est ce que vous avez fait ?
10 M. Radocaj (interprétation). - Oui. J'allais de l'un a l'autre, et je
11 regardais s'ils étaient morts.
12 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé alors ?
13 M. Radocaj (interprétation). - Après cela, le petit groupe que nous
14 formions encore a été ramené à notre point de départ, cet endroit d'où
15 nous étions partis pour nous rendre au champ de mines. Ces soldats nous
16 ont escortés jusqu'à cette espèce de cour d'où nous étions partis et
17 lorsque nous y sommes arrivés les autres qui avaient massacré ces
18 personnes avant que nous partions pour le champ de mines sont réapparus.
19 Je me souviens très bien de l'une de ces personnes, il s'appelait
20 Petroni*. Il avait une hache et ilvoulait tuer tous ceux qui étaient
21 encore vivants.
22 M. Niemann (interprétation). - Mais cela ne s'est pas produit, n'est-ce
23 pas ? Vous avez été rentrés dans ce bâtiment de la coopérative ?
24 M. Radocaj (interprétation). - En effet, parce qu'à ce moment-là un homme
25 a donné des ordres ; il a dit qu'il était interdit de nous faire quoi que
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1 ce soit. De l'autre côté, il y avait une cuisine et une salle à manger
2 pour les personnes qui travaillaient pour la coopérative et ils se
3 disputaient. Cet homme nous a fait rentrer dans l'atelier et il n'a pas
4 permis que les autres hommes viennent nous maltraiter.
5 M. Niemann (interprétation). - Bien. Je crois qu'après, vous avez continué
6 à faire des travaux forcés pour la coopérative et ce jusqu'au
7 22 décembre 1991. Que s'est il passé ce jour-là ?
8 M. Radocaj (interprétation). - Au matin du 22 dcembre, nous partions
9 travailler et... comment vous l'expliquer... un policier se tenait là, un
10 membre de la police militaire. Un des volontaires de Devetaz* se tenait
11 là. Ils nous ont emmenés au poste de police locale qu'ils avaient en fait
12 établi sur place. On m'a fouillé dès que je suis arrivé mais j'ai oublié
13 de préciser qu'ils m'avaient attaché les mains dans le dos au moment où
14 ils m'avaient arrêté. Donc, ils m'ont
15 emmené ensuite à ce poste de police, ils ont fouillé mes poches, et l'une
16 des personnes qui se trouvaient là, sans doute un des commandants, a
17 commencer à me frapper. Il m'a frappé avec sa botte dans le visage et
18 ensuite il m'a frappé dans l'entrejambe et il m'a frappé encore en
19 d'autres endroits.
20 Ce membre de la police militaire était également présent. C'est lui qui
21 m'avait emmené à ce poste avec deux autres personnes. Par la suite, on m'a
22 emmené à la cave et ils ont passé toute la journée à me frapper. Ils
23 m'avaient attaché les mains en l'air, ils m'ont frappé avec toutes sortes
24 de chose ; ils m'ont mis du sel dans la bouche, ils m'ont frappé avec
25 toutes sortes d'objets, avec leurs matraques, avec leurs poings, ils m'ont
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1 frappé avec leurs pieds, ils ont cassé mes dents.
2 A un moment donné, la nuit tombée, je précise que je me trouvais là depuis
3 le matin et j'y suis resté jusqu'à la fin de l'après-midi, donc le
4 crépuscule tombait déjà, ils ont voulu essayer d'utiliser une perceuse
5 pour me percer un trou dans la jambe. Mais ils n'avaient pas l'électricité
6 nécessaire pour faire cela ; ils avaient un problème avec leur générateur,
7 leur bloc électrogène. Donc, en fait, ils m'ont percé un trou dans le pied
8 mais ils n'ont percé que ma chaussure et la perceuse n'a fait qu'effleurer
9 très légèrement ma peau. Ensuite, ils ont continué bien sûr à me battre
10 jusque tard dans la nuit.
11 Puis ce Milosevic je crois que c'est ainsi que s'appelait ce commandant a
12 donné des ordres : il a dit qu'il fallait que ma mère soit amenée au poste
13 de police et qu'elle soit témoin de ce qui m'arrivait, qu'elle me voit
14 être découpée en morceaux.
15 Ils ont dit aussi que je devais regarder ce qu'ils allaient lui faire, que
16 j'allais regarder ma mère pendant qu'on allait la couper en morceaux et
17 ils ont dit à ma mère qu'elle allait devoir m'observer pendant que l'on me
18 coupait en morceaux.
19 M. Niemann (interprétation). - Ont-ils fait quoi que ce soit à vos dents
20 en utilisant des pinces ?
21 M. Radocaj (interprétation). - Oui, je l'ai dit tout à l'heure ; ils ont
22 essayé de me couper les dents. Ils m'ont coupé cinq dents avec des pinces.
23 M. Niemann (interprétation). - (Hors micro.) Comment s'y sont-ils pris ?
24 M. Radocaj (interprétation). - Ce sont des pinces que l'on utilise pour
25 arracher les dents des cochons, de petites pinces qui ont des lames très
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1 spéciales.
2 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé ensuite ?
3 M. Radocaj (interprétation). - Par quoi commencer ? Je ne sais pas quoi
4 vous dire. Est-ce que je commence à partir du moment où ils commençaient à
5 me couper les dents où est ce que je parle de ma mère ?
6 M. Niemann (interprétation). - Ont-ils amené votre mère au poste de police
7 finalement ?
8 M. Radocaj (interprétation). - Oui, oui, ils ont amené ma mère. Il l'ont
9 attachée avec des menottes.
10 M. Niemann (interprétation). - Et qu'ont-il fait ensuite ?
11 M. Radocaj (interprétation). - Après un certain temps, il n'y avait plus
12 courant, comme je l'ai dit. Il y avait eu un problème avec le bloc
13 électrogène. J'ai entendu des gémissements ou des cris, je ne sais pas
14 très bien comment les décrire parce qu'ils ont amené un autre homme dans
15 cette même cave où je me trouvais et où j'avais passé toute la journée.
16 C'était Manuelo Filic*. Ensuite, ils ont amené deux autres hommes, Mato
17 Mazarevic et Viekoslav Balic*.
18 Ils ont continué à nous frapper, toute cette nuit-là et jusqu'au matin. Il
19 y avait là quatre hommes ainsi que ma mère. Donc, ils ont frappé jusqu'au
20 matin. L'aube s'était levée ; ils m'ont pris ma montre, donc je ne savais
21 plus quelle heure il était, mais on pouvait voir un peu car le jour
22 s'étaient levé ; la lumière du jour passait par les fenêtres de la cave.
23 Puis ils ont laissé partir ma mère et ils ont continué à nous frapper.
24 Pendant toute
25 cette journée, c'était le 23 décembre.
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1 M. Niemann (interprétation). - Le mari de votre cousine, un serbe est il
2 venu au poste de police ?
3 M. Radocaj (interprétation). - Pendant la nuit, le mari de ma cousine a
4 été appréhendé parce qu'il avait manifesté son désaccord quant aux fait
5 que l'on me torture puisqu'il avait entendu dire que j'étais en train
6 d'être torturé et, bien sûr, il n'était pas d'accord. Ils l'ont enfermé
7 lui aussi. Puis un de ses amis qui était dans l'armée est allé trouver son
8 frère qui était à Torvanik*. Nous nous connaissions parce que nous aimions
9 tous le football ; c'est ainsi que nous nous connaissions. Il est venu me
10 voir et m'a dit qu'il allait me sauver.
11 M. Niemann (interprétation). - Et vous avez été effectivement sauvé suite
12 à cela ?
13 M. Radocaj (interprétation). - Pas immédiatement. Mais le 26 décembre,
14 j'ai été sauvé parce que, après tous ces événements qui s'étaient déroulés
15 le 22 et le 23, nous avons été relâchés dans la nuit du 23 et je suis
16 rentré chez moi. Je ne pouvais plus bouger, je ne pouvais plus manger, en
17 fait, je ne pouvais plus rien faire. Cet homme est arrivé le 26, il m'a
18 conduit à Bjeljena*.
19 M. Niemann (interprétation). - Et de Bjeljena avez-vous réussi à atteindre
20 Sarajevo ?
21 M. Radocaj (interprétation). - De Bjeljena, j'ai effectivement atteint
22 Sarajevo. C'est la route qu'avait empruntée ma femme également, c'est ce
23 que l'on m'a appris. Cet homme qui m'a sauvé m'a donné un numéro de
24 téléphone. En fait, il s'agissait du numéro de téléphone des gens chez qui
25 demeurait ma femme. Je suis arrivé à Sarajevo pendant la nuit. Donc dès le
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1 lendemain matin, ces personnes chez qui se trouvait ma femme m'ont emmené
2 voir un médecin.
3 M. Niemann (interprétation). - Et vous avez fini par réussir à atteindre
4 Zagreb n'est-ce pas ?
5 M. Radocaj (interprétation). - Oui, le jour suivant, je suis arrivé à
6 Zagreb. J'ai été
7 soigné là-bas à la clinique de Rebro* à Zagreb. Du fait de tous ces
8 passages à tabac, mon tympan avait été percé suite à tous les coups que
9 j'avais reçus. Donc, j'ai également subi une opération en mars 1992.
10 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai plus de
11 question à poser, je vous remercie.
12 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Maître Fila,
13 souhaitez-vous prendre la parole ?
14 M. Fila (interprétation). - Merci, Monsieur le Président, je n'ai pas de
15 question à poser à ce témoin.
16 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.
17 Je suppose que personne ne s'oppose à ce que le témoin puisse se retirer
18 définitivement ? Non. Monsieur, merci infiniment d'être venu témoigner
19 ici. Vous pouvez partir.
20 (Le témoin est reconduit hors de la salle d'audience.)
21 M. le Président (interprétation). - Demain nous entendrons donc trois
22 témoins, et nous en entendrons un mercredi. C'est bien cela, Maître
23 Niemann ?
24 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Le témoin prévu
25 mercredi doit être entendu mercredi parce que nous avons besoin
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1 d'interprètes tchèques ce jour-là. C'est donc une contrainte à laquelle
2 nous n'échappons pas.
3 M. le Président (interprétation). - Excusez-moi de vous demander encore
4 quelques minutes de votre temps, mais j'aimerais savoir si vous avez une
5 idée des témoins que vous entendrez au mois de mars. Nous avons une liste
6 qui a été distribuée le 29 janvier et sur laquelle figurent plus de six
7 témoins pour le mois de mars.
8 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.
9 M. le Président (interprétation). - Je crois comprendre que nous parlerons
10 des exhumations.
11 M. Niemann (interprétation). - Oui, des exhumations.
12 M. le Président (interprétation). - Il est possible qu'il y en ait un qui
13 parle du caractère international du conflit armé, mais tous les autres
14 parleront des exhumations et des enquêtes.
15 M. le Président (interprétation). - Merci. Donc, il est probable qu'au
16 mois de mars, vous puissiez également prononcer votre réquisitoire ? Nous
17 avons cinq jours de travail au mois de mars ?
18 M. Niemann (interprétation). - Non, Monsieur le Président, je ne
19 prononcerai mon réquisitoire qu'à la fin de l'audition des témoins de la
20 défense.
21 M. le Président (interprétation). - Oui, vous avez raison, je me suis
22 trompé...
23 M. Niemann (interprétation). - Mais j'en arriverai à la fin de l'audition
24 des témoins de l'accusation.
25 M. le Président (interprétation). - Oui, c'est ce que je voulais dire.
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1 Vous arriverez au terme des témoins de l'accusation donc vous pouvez le
2 faire en mars.
3 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, ce sera
4 possible.
5 M. le Président (interprétation). - A ce moment-là, je me demandais si
6 Maître Fila pouvait commencer à entendre ses témoins en avril. En avril,
7 nous avons huit jours de travail.
8 M. Fila (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, c'est tout à fait
9 faisable. J'aimerais même pouvoir vous dire que j'en arriverai à la fin de
10 l'audition des témoins de la défense au mois d'avril, mais de façon à
11 éviter qu'il y ait le moindre incident ou le moindre risque, je ne vous
12 dirai pas que je pourrai en terminer avant le mois de mai.
13 M. le Président (interprétation). - Très bien, je vous remercie.
14 S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons suspendre l'audience
15 jusqu'à demain 9 heures 15 du matin.
16 L'audience est levée à 15 heures 50.
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