Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 3 novembre 2003

2 [Audience sentencielle]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Bonjour à tous, veuillez vous

7 asseoir. Est-ce que je peux demander à Madame la Greffière de citer

8 l'affaire, s'il vous plaît.

9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

10 Mesdames les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-94-2-S.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je vous remercie.

12 La présentation des parties, s'il vous plaît; l'Accusation.

13 M. YAPA : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs,

14 Mesdames les Juges. Je suis Upawansa Yapa, assisté de Mme Patricia Sellers

15 et M. Smith. Mme Diane Boles est la commis des audiences.

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. La Défense s'il vous plaît.

17 M. MORISSON : [interprétation] Il s'agit ici de Monsieur Morrison, nous

18 représentons ici M. Dragan Nikolic, et je suis assisté de Tanja

19 Radosavljevic. Je crois que l'accusé ne reçoit pas la traduction.

20 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Par conséquent, il faut attendre

21 quelques minutes, s'il vous plaît.

22 Monsieur Nikolic, est-ce que je peux vous poser la question, est-ce que

23 vous suivez la procédure dans une langue que vous comprenez ?

24 L'INTERPRÈTE : L'accusé n'a pas pu répondre pace qu'il n'avait pas de

25 microphone.

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1 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Est-ce que le microphone est

2 maintenant branché ?

3 Je répète ma question. Est-ce que vous pouvez suivre la procédure dans une

4 langue que vous comprenez ?

5 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Pourriez-vous changer de

6 microphone, s'il vous plaît.

7 Je vais ressayer une troisième fois. Est-ce que vous suivez la procédure

8 dans une langue que vous comprenez ?

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'entends fort bien.

10 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Est-ce que je puis, en conséquent,

11 saisir cette occasion pour vous demander si vous avez des problèmes de

12 santé ? Est-ce que tout va bien en égard votre santé ?

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

14 Juges, je n'ai aucun souci à l'heure actuelle. J'ai eu quelques soucis de

15 santé ces derniers jours, mais cela ne m'empêche pas de suivre la procédure

16 pour autant.

17 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je vous remercie.

18 Est-ce que je puis saisir cette occasion pour éclaircir un certain nombre

19 points. Vendredi, l'Accusation a déposé des écritures portant sur un autre

20 acte d'accusation. Il s'agit de la modification du troisième acte

21 d'accusation. Il s'agit ici d'intégrer les éléments présentés lors du

22 plaidoyer de culpabilité lors de la dernière audience. Eu égard au

23 paragraphe 2, il est précisé qu'au chef 1 -- ce qui signifie qu'au chef 1,

24 persécutions; chef 2, meurtre; au chef 4, torture; dont vous avez été

25 accusé, vous avez commis ces crimes. Alors qu'au chef numéro 3, il s'agit

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1 ici de limiter ce chef d'accusation au fait d'aider et encourager. Depuis

2 ce paragraphe 36, on peut lire : "une attaque généralisée et systématique"

3 au lieu d'une attaque systématique. Je pense qu'il ne soit pas -- qu'il

4 n'est pas nécessaire de répéter tout le plaidoyer de culpabilité. Si vous

5 avez une objection à soulever, c'est le moment de le faire. D'après ce que

6 j'ai -- il est précisé ici que les crimes ont été commis dans le cadre

7 d'une attaque systématique et généralisée contre la population civile. Est-

8 ce exact, Monsieur Nikolic ?

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

10 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Avez-vous des objections -- avez-

11 vous quelque chose à ajouter eu égard à l'amendement de ce troisième acte

12 d'accusation ?

13 M. MORRISON : [interprétation] Monsieur le Président, non.

14 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

15 Et pour ce qui est alors de l'éclaircissement que je souhaite à voir ici,

16 cet acte d'accusation forme maintenant la seule base de -- de document à

17 utiliser lors de cette audience. Il s'agit d'appliquer ici, conformément à

18 l'Article 100, les informations qui pourront aider l'accusé dans le cadre

19 du prononcé de sa sentence. Et il s'agit ici d'évoquer les circonstances

20 aggravantes, les circonstances atténuantes. Et comme nous le savons tous,

21 et toutes les personnes travaillant dans ce Tribunal, il se peut,

22 néanmoins, que le témoignage aille au-delà de cet acte d'accusation. Dans

23 ce cas, la Chambre de première instance ne souhaite pas intervenir, et ceci

24 ne signifie pour autant que l'exposé des faits présentés dans le plaidoyer

25 de culpabilité sera élargi ou restreint. Et si un témoin devait témoigner

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1 et si son témoignage devait aller au-delà de l'acte d'accusation, il n'est

2 pas nécessaire de soulever une objection surtout vis-à-vis d'une victime

3 étant donné qu'il s'agit du -- c'est un des mandats de ce Tribunal que de

4 contribuer à la réconciliation et à la découverte de la vérité. Et cela va

5 sans dire qu'il s'agit, bien évidemment, de respecter le témoin, et il ne

6 faut pas intervenir sur ce point.

7 Aujourd'hui, il est précisé que nous allons entendre trois témoins. Est-ce

8 que je peux demander à ce que ce point clarifier avant de commencer vis-à-

9 vis de nos techniciens surtout. Le premier témoin va témoigner sans mesures

10 de protection, le deuxième temoin aura un pseudonyme et il y aura la

11 distorsion des traits du visage, et le troisième aura droit à un pseudonyme

12 ainsi que la distorsion d'image et de la voix et nous serons à huis clos ?

13 Est-ce exact ?

14 M. YAPA : [interprétation] Monsieur le Président, eu égard le troisième

15 témoin, ce témoin aura un pseudonyme, la distorsion des traits du visage et

16 de la voix -- déformation de la voix, mais nous ne serons pas à huis clos.

17 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Très bien. Donc il y a un léger

18 changement. Nous allons donc préciser qu'ils ne seront pas à huis clos.

19 Merci.

20 Et la semaine dernière eu égard vos écritures portant sur cette audience,

21 portant sur le prononcé de la peine, nous avons dit que nous allons

22 entendre Mme Zepter, qui est un expert -- Mme Maria Zepter, un expert. Nous

23 avons devant nous un document daté du 31 octobre. Il s'agit d'une

24 déclaration qui, conformément à l'Article 94(C). Est-ce que je peux

25 demander à la Défense si vous êtes d'accord avec la procédure qui a été

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1 proposée ?

2 M. MORRISON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. La Défense

3 estime que, s'il y a des déclarations, qu'elles soient de témoins ou

4 d'experts, une opinion est mise en avant et cette opinion qui est adressée

5 va bien au-delà de l'acte d'accusation. Par conséquent, il ne serait pas

6 approprié de le prendre en compte. Je crois qu'il faut laisser ceci à la

7 discrétion des Juges. Et je suis tout à fait certain que ce sera chose

8 faite et que les choses seront traitées ainsi.

9 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Pour en revenir à la déclaration,

10 en vertu de l'Article 94 bis de Maria Zepter, vous avez ce document sous

11 les yeux. A-t-il été déposé la semaine dernière ? Et la question que je

12 souhaite vous poser : Conformément à l'Article 94 bis(B)(i), acceptez-vous

13 la déclaration de l'expert témoin sans demander, dans les temps qui ont été

14 impartis, et sans qu'il ait besoin de témoigner en personne ?

15 M. MORRISON : [interprétation] Oui. La seule mise en garde que je souhaite

16 proposer, il sera peut-être nécessaire de faire quelques commentaires à

17 propos de cette déclaration lors de nos conclusions, surtout pour pouvoir

18 mettre en exergue les endroits où la Défense estime que sa déclaration va

19 au-delà ou pourrait aller au-delà de l'acte d'accusation. Mais pour ce qui

20 est de sa déclaration, de façon générale, il me semble, eu égard au point

21 de vue de la Chambre de première instance, et du domaine d'expertise de

22 cette personne, je crois que cela est une question de bon sens tout

23 simplement.

24 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je vous remercie pour ce point de

25 clarification. Donc j'estime que, par conséquent, que vous acceptez cela,

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1 évidemment, nous pourrons en discuter, s'il y a lieu.

2 Nous avons maintenant une annexe B, qui a été jointe au mémoire portant sur

3 le prononcé de la sentence présentée par l'Accusation si je puis clarifier

4 un point. Il y avait trois déclarations qui ont été ajoutées et

5 l'Accusation souhaite présenter ces trois déclarations en vertu de

6 l'Article 92 bis. Est-ce exact ?

7 M. YAPA : [interprétation] Ecoutez, je l'ai évoqué avec les éminents

8 confrères et j'ai discuté de ces trois déclarations. Notre position est la

9 suivante. Nous allons simplement demander à avoir deux de ces déclarations

10 à savoir un, déclaration un et deux, et il y avait des pièces jointes à ces

11 déclarations. C'étaient des déclarations qui avaient été prises au moment

12 de l'enquête et ces déclarations, ces pièces jointes ne seront pas versées

13 au dossier. Il s'agit simplement de déclarations en tant que telles. Donc

14 il s'agit de ces deux déclarations, un et deux.

15 Monsieur le Président, Et en annexe B, les témoins sont les suivants --

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [aucune interprétation]

17 M. YAPA : [aucune interprétation]

18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je crois qu'il s'agit en fait de la

19 pièce 150 et de l'Accusation 230. Autrement dit, vous retirez le témoin. Il

20 s'agit du nom du témoin ici, le témoin SU-230.M. YAPA : [interprétation]

21 C'est exact.

22 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Par conséquent, vous avez

23 l'intention de verser au dossier toutes les déclarations.

24 M. YAPA : [interprétation] Non, pas toutes les déclarations.

25 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Pourriez-vous préciser, s'il vous

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1 plaît ?

2 M. YAPA : [interprétation] Oui, bien sûr. J'aurais de toute façon dans ma

3 présentation préliminaire je vous aurais fait part en fait du versement des

4 déclarations suivantes. Celles que nous souhaitons verser au dossier

5 portent le numéro SU-255 [sic], c'est une déclaration faite le 8 octobre,

6 SU-115, déclaration faite le 8 octobre 2003. Pour ce qui est du témoin SU-

7 230, la déclaration a été faite le 9 octobre 2003. Ce sont les deux

8 déclarations que nous souhaitons verser au dossier. Et ce sont les seules.

9 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Le micro n'était pas branché, par

10 conséquent, je vais répéter et SU-115 et SU-230 ne sont pas versées. C'est

11 exact. Pour ce qui est des deux déclarations qui vont être versées, il

12 s'agit de la déclaration du 8 et du 9 octobre respectivement.

13 Puis-je demander à la Défense, s'il vous plaît, s'il s'agit de quelque

14 chose qui porte sur la conduite de l'accusé ou d'acte de crimes qui porte

15 sur la conduite de l'accusé ? Est-ce que la Défense renonce le droit de

16 contre-interroger ces témoins ou accepte ces déclarations en tant que

17 telles.

18 MR. MORRISON : [interprétation] Oui, c'est un point que j'ai abordé avec

19 mon éminent confrère de vendredi dernier. Il me semble que le point de vue

20 de la Défense est la suivante. Si ce sont des points que nous avons abordé

21 et que nos avons évoqué, je crois que cela ne serait très logique ou en

22 tout cas censé de faire venir ces témoins ici qui sont déjà dans le

23 désarroi. Ce n'est pas nécessaire de rendre la situation encore plus

24 difficile.

25 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Très bien, merci.

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1 Par conséquent, nous savons quels seront -- ce que nous allons entendre au

2 cours de l'audience aujourd'hui et pour demain. Mercredi, nous allons

3 entendre le professeur de la Max Planck et nous allons entendre l'expert M.

4 Grosselfinger et est-ce que -- ça ce sera jeudi. Est-ce que je peux

5 demander aux parties si elles sont prêtes -- bien préparées et si le temps

6 nous le permet sera-t-il possible d'arriver à nos conclusions vendredi.

7 Nous allons de toute façon tenter de faire cela, jeudi, jeudi.

8 Donc nous allons de toute façon essayer de parvenir à nos conclusions

9 jeudi. Je sais que c'est un petit peu tôt mais nous allons tenter de

10 terminer dans ce délai.

11 Nous allons maintenant poursuivre et je vais demander à l'Accusation de

12 commencer. Vous avez la parole.

13 M. YAPA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame, Monsieur

14 le Juge. La procédure, dans le cadre de cette affaire, est arrivée à un

15 moment où Monsieur le Président, vous devez définir la peine qui doit être

16 imposée à l'accusé et cette affaire est assez particulière, eu égard à un

17 certain nombre de points. Nous n'avons pas eu de procès. L'accusé a plaidé

18 coupable. Eu égard à l'ensemble de l'acte d'accusation, l'Accusation et la

19 Défense sont parvenues à un accord de plaidoyer. Et le statut du Tribunal

20 stipule qu'il y a une peine qui incombe à ceux qui ont commis des crimes

21 conformément au statut, il y a un certain nombre de principes directeurs

22 qui permet d'établir de fixer la sentence. Monsieur le Président, nous

23 avons demandé à voir deux rapports. Un qui traite de la fourchette des

24 peines des crimes cités dans l'acte d'accusation dans l'ex-Yougoslavie,

25 dans les états de l'Europe et d'autres systèmes juridiques. Et nous avons

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1 également demandé à ce qu'un rapport soit fourni sur les pratiques de

2 fixation des peines dans les états sur le territoire enfin dans les pays de

3 l'ex-Yougoslavie les Tribunaux internationaux et autres types de Tribunaux

4 nationaux.

5 Et le deuxième rapport est un rapport qui porte sur les rapports sociaux de

6 l'accusé. L'Accusation, dans ce cas, a rempli son obligation en proposant

7 un certain nombre de documents et en rédigeant un certain nombre

8 d'écritures eu égard à la fixation de la peine. La Défense représentée ici

9 par mes éminents confrères ne donneront une position différente. Nous ne

10 sommes pas à même de présenter un cas plus grave ou différent de ce qui a

11 déjà été présenté par l'accusé lui-même. Et je crois qu'on pourrait même

12 dire que l'Accusation et la Défense ne diffèrent en aucun point sur le

13 point principal qui va être abordé aujourd'hui. Ce que je propose par

14 conséquent, c'est de vous présenter très brièvement l'ordre -- les

15 différents points de la présentation de l'Accusation aujourd'hui. Je crois

16 que le moment est opportun. Je crois qu'il s'agit d'éclaircir un certain

17 nombre de points portant sur le mémoire du prononcé de la sentence présenté

18 par l'Accusation en réponse à votre question et mais je crois -- je vais

19 répéter mes réponses. L'Accusation ne demande pas à ce qu'un psychologue

20 vienne témoigner portant sur l'état psychologique des témoins et de

21 victimes. Nous avons à l'inverse présenté le rapport de Mme Zepter

22 conformément à l'Article 94 bis.

23 Dans les déclarations que nous avons présentées, je souhaite vous préciser

24 que nous cherchons à verser simplement deux de ces déclarations. Les

25 déclarations auxquelles j'ai fait référence annexe B, du mémoire de

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1 l'Accusation et 155 et 233 [sic] qui sont les points 230. Nous souhaitons

2 retirer la déclaration 025. Et il y a une autre qualification au plan

3 juridique. Les deux déclarations sont datées du 8 octobre et du 9 octobre

4 2003 respectivement. Les documents --

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Pour sauver du temps, la Chambre de

7 première instance a conféré très brièvement en vue de gagner du temps. Ces

8 documents ont déjà été versés. Par conséquent, nous n'avons soulevé aucune

9 objection.

10 M. YAPA : [interprétation] Ecoutez, les documents dans l'annexe D ne seront

11 pas présentés. C'est un autre point que je souhaite préciser aujourd'hui.

12 Nous avons l'intention d'appeler trois témoins à la barre aujourd'hui, ils

13 ne vont pas fournir des informations supplémentaires mais confirmeront les

14 traits saillants qui ont été présentés par l'Accusation. Nous allons

15 présenter un certain nombre de photos qui, à mon sens, vous permettront de

16 mieux comprendre les circonstances dans cette affaire.

17 Je souhaite vous préciser qu'il y aura témoins, le premier témoin sera un

18 témoin entendu par M. William Smith, le deuxième témoin sera entendu par

19 moi-même et le troisième témoin sera entendu par Mme Patricia Sellers.

20 Je souhaite maintenant demander à mon éminent confrère M. William Smith de

21 lire le mémoire -- d'entendre le premier témoin.

22 [Le Conseil de l'Accusation se concerte]

23 M. YAPA : [interprétation] Je crois que mon éminent confrère souhaite faire

24 une brève présentation eu égard aux éléments de preuve qui ont été

25 présentés et qui portent sur le premier témoin.

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1 M. SMITH : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

2 collègues de la Défense. Je poursuis ce qui a été dit par M. Yapa ce matin.

3 Comme nous en avons parlé vendredi, nous allons présenter des éléments

4 relatifs au caractère généralisé systématique de l'attaque du camp de

5 Susica, la manière dont ce camp s'inscrivait dans cette attaque

6 systématique et généralisée. De plus, nous allons présenter des

7 argumentations au sujet des violences sexuelles qui ont eu lieu dans ce

8 camp, ainsi que sur le -- et sur le chef d'accusation qui s'y réfère ainsi

9 que sur le chef d'accusation relatif aux meurtres.

10 Tout d'abord, nous allons parler du camp de Susica pour le placer dans le

11 contexte de cette affaire. Il faudra environ 25 minutes pour cette

12 intervention.

13 Le premier objectif de cette présentation, c'est de vous donner des

14 informations visuelles pour mieux comprendre les témoins que nous allons

15 entendre. Par exemple, le premier témoin voit mal, donc il n'est pas

16 possible -- il ne peut voir des photos ou des vidéos très clairement si

17 bien que ce que je veux dire maintenant va vous aider à mieux comprendre de

18 quoi il retourne.

19 Je vous demande d'appuyer sur le bouton "computer evidence" à côté de votre

20 moniteur, de cette manière vous pourrez voir les photographies, les cartes

21 qui vont être présentées au fur et à mesure de mon intervention. Et à la

22 fin de mon intervention, je vais présenter une vidéo de cinq minutes au

23 sujet du camp de Susica pour mieux comprendre les dépositions des témoins

24 et pour mieux comprendre ce que révèle l'acte d'accusation.

25 L'accusé a déjà reconnu que les crimes qui ont été commis à Susica

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1 s'inscrivaient dans le cadre d'une attaque systématique et généralisée

2 contre la population civile, en particulier la population musulmane et non-

3 serbe. Il est également reconnu qu'à partir du mai 1992 jusqu'en septembre

4 1992, tous les Musulmans et tous les autres non-Serbes, qui n'avaient pas

5 pris la fuite pour d'autres zones après la prise de pouvoir de la ville,

6 ont été transférés à partir de la municipalité, transférés [imperceptible],

7 si bien qu'il ne restait pratiquement aucun Musulman, pratiquement non-

8 Serbes dans la zones de Vlasenica. Comment cette attaque a-t-elle eu lieu

9 et quel était le rôle joué par le camp de Susica dans le nettoyage ethnique

10 de Vlasenica. Voila la question. Nous allons examiner la géographie, la

11 composition ethnique de la population, les politiques pratiquées dans la

12 zone en 1992 ainsi qu'une chronologie brève des événements. Ceci nous

13 permettra de trouver les réponses à cette question.

14 La municipalité de Vlasenica se situait à l'est de la Bosnie-Herzégovine

15 environ 30 kilomètres à l'ouest de la frontière serbe. Avant la prise du

16 contrôle de Vlasenica en 1992 par les forces serbes de Bosnie, il y avait

17 environ 34 000 habitants dans cette zone qui se répartissait entre deux

18 groupes ethniques, les Serbes et les Musulmans. Un peu plus de la moitie de

19 la population était composée de Musulmans et un peu moins de la moitié de

20 la population était composée de Serbes. Le centre administratif et

21 politique de la municipalité est la ville même de Vlasenica. Il y avait 7

22 500 personnes qui habitaient dans cette ville dont deux tiers de Musulmans

23 et un tiers de Serbes. Il est important de noter que dans les autres villes

24 et les autres villages de la municipalité, c'était toujours un seul groupe

25 qui détenait la majorité absolue de la population.

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1 Donc, chacune de ces villes, chacun de ces villages avait sa propre

2 identité ethnique qui est devenues une source de tensions au début des

3 années 1990 avec la désintégration de l'ex-Yougoslavie. Les sentiments

4 politiques se sont inscrits dans le cadre des appartenances ethniques

5 parallèlement aux divisions politiques. On a assisté à une séparation

6 militaire le long des lignes ethniques. Les Serbes de Bosnie de Vlasenica

7 ont formé des unités paramilitaires irrégulières à Milici et Misari. A ce

8 moment-là, des éléments de la JNA ont pris cause -- [imperceptible] pour la

9 cause nationaliste serbe et à la mi-1991 les Musulmans ont refusé de

10 répondre à la mobilisation en réponse au début des hostilités en Croatie,

11 ce qui a renforcé la domination des Serbes au sein de la JNA. Les tensions

12 ethniques se sont accrues à Vlasenica à la fin 1991 suite à l'évolution

13 politique dans l'ensemble du pays. Le 21 novembre 1991, les dirigeants

14 serbes de Bosnie avaient fini la déclaration de la formation de région

15 autonome serbe. Vlasenica appartenait à la zone de Romanija-Birac ainsi que

16 d'autres municipalités. En dehors des formations militaires proprement

17 parlé, certains citoyens serbes de Vlasenica se sont secrètement armés,

18 ceci avec l'aide des dirigeants serbes. La distribution des armes s'est

19 intensifiée, est devenue de plus en plus publique au début de l'année 1992.

20 Certains Musulmans ont également distribué des armes, pas assez pour

21 résister aux forces serbes à la veille de la prise du contrôle de la

22 municipalité. Cinq mois après la déclaration et la proclamation des régions

23 serbes, les forces serbes, dont les unités serbes locales et les forces

24 régulières dominées par la JNA ou par les Serbes, ont pris le contrôle de

25 la ville de Vlasenica, ceci s'est passé le 21 avril 1992. IL n'y a eu

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1 pratiquement aucune résistance de la part des Musulmans. Les chars de la

2 JNA étaient partout en ville et ont bloqués les routes. Le plus grand hôtel

3 de la ville, l'hôtel Panorama, était pris par l'armée, de la manière qu'ils

4 ont pris le contrôle de tous les bâtiments clés de la ville. Les Musulmans

5 se sont vus rendre leurs armes à la JNA ainsi qu'aux locaux -- aux Serbes

6 locaux. Ils se sont généralement exécutés. Le jour de la prise du contrôle

7 de la municipalité, on a vu la parution d'un nouveau gouvernement serbe

8 dans la municipalité. Le parlement était dissout, la cellule de Crise serbe

9 a pris le contrôle de la municipalité, les autorités serbes ont pris le

10 contrôle de la police du tribunal ainsi que d'autres institutions de la

11 ville. On a mis des Serbes dans les positions dirigeantes, à la tête de la

12 police, à la tête du tribunal, et alors que c'était auparavant des

13 Musulmans qui occupaient ces postes. Quelques jours seulement après la

14 prise du contrôle, des Serbes, qui auparavant n'avaient aucune activité

15 militaire comme l'accusé, ont été mobilisés et intégrés à des unités de

16 l'armée ou de la police. Quelques 20 jours plus tard, à la mi-mai, une fois

17 que la prise du contrôle de la ville a été réalisée avec succès par les

18 Serbes, la JNA a quitté Vlasenica, laissant derrière elle des équipements,

19 des véhicules, des munitions pour les forces serbes locales.

20 Suite à la prise du contrôle de la ville, et au fil du temps, la politique

21 des nouvelles autorités serbes, destinée à chasser les Musulmans et les

22 non-Serbes, est apparue de plus en plus évidente. Ceci s'est manifesté en

23 trois phases. Il y a d'abord eu le désarmement, la restriction des

24 déplacements des civils musulmans, l'arrestation, l'interrogatoire et la

25 détention des Musulmans ainsi que des attaques sur des villages musulmans

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1 au sein de la municipalité. Aucune de ces activités ne s'est fait

2 indépendamment des autres, mais il s'agissait de trois opérations qui

3 s'inscrivaient dans le même contexte et qui avaient pour objectif de

4 chasser les Musulmans et les non-Serbes de la municipalité de Vlasenica.

5 Dans le cadre de mon intervention, je n'ai pas l'intention de donner des

6 détails au sujet des destructions, des passages à tabac, des meurtres, des

7 violences sexuelles qui ont accompagnés la campagne de nettoyage ethnique

8 des Musulmans dans la ville et dans les villages environnants Vlasenica,

9 d'avril à septembre 1992. Il me suffira de dire que les pertes humaines ont

10 été considérables.

11 Au cours des quatre premières semaines qui ont suivi la prise du contrôle

12 de la municipalité, des hommes aptes militairement ont généralement été

13 l'objet d'intimidation et de manœuvre de harcèlement de la part des forces

14 serbes aussi bien de l'armée que de la police. Des hommes musulmans ont été

15 emmenés à la police pour y être interrogés ou y être emprisonnés ou pour

16 être emmenés aux prisons du Tribunal, au coin de la rue. Les cellules du

17 poste de police et du tribunal étaient pleines de Musulmans. Beaucoup

18 d'entre eux ont été sévèrement battus et beaucoup d'entre eux, s'ils n'ont

19 pas été libérés, ont ensuite été transférés au camp de Susica lorsque celui

20 a été ouvert au début juin 1992. Bien que ce processus d'arrestations,

21 d'interrogatoires, de passages à tabac visant les hommes musulmans aient eu

22 lieu avant les attaques contre les villages musulmans, il s'est poursuivi

23 parallèlement à ces attaques et dans -- au moment où le camp de Susica

24 s'est ouvert en tant que principale unité de détention dans la zone de

25 Vlasenica, et pendant tout le fonctionnement de ce camp jusqu'à sa

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1 fermeture, à la fin septembre ou début octobre 1992.

2 Les attaques contre les villages et les villes musulmans étaient totalement

3 illégales. Elles visaient des hommes, des femmes, des enfants, des

4 personnes âgées ainsi que des hommes en âge de porter les armes. Ces

5 attaques ont débuté en mai 1992 et ont continué jusqu'en septembre 1992, au

6 moment où les Musulmans civils de la zone de Vlasenica avaient été, pour la

7 grande majorité, expulsés et transférés ailleurs. Dans le cadre de ce

8 processus, un grand nombre de civils ont été tués et leurs maisons ont

9 souvent été détruites. Ils n'ont rencontré que des actes de résistance

10 isolés et minimes pendant ces attaques.

11 Ces attaques ont été organisées, c'était manifeste. Les forces serbes

12 entraient dans les villages après les avoir pilonnés longuement et ensuite

13 se livraient à des pillages et l'incendie des maisons musulmanes. Les

14 forces serbes ont capturé, ont tué et ont soumis à des mauvais traitements

15 les résidents serbes des villages. Ils ont également fouillé les forêts

16 environnantes pour trouver les Musulmans qui avaient essayé de s'enfuir.

17 Ces attaques ont été réalisées par des centaines de serbes appartenant à

18 l'armée ou à la police. Et les résidents, qui n'étaient pas tués ou

19 blessés, ont réussi à s'enfuir vers l'est, vers Cerska, vers les zones

20 contrôlées par -- un village contrôlé par les Musulmans à Vlasenica, ou

21 bien ils ont essayé de quitter la municipalité par tous les moyens

22 possibles. Ou on les a mis à bord d'autocars, à la gare routière au centre

23 de la ville pour être transférés vers une autre municipalité ou bien,

24 quatrième option, ils étaient fait prisonniers et emmenés au camp de

25 Susica. Certaines des attaques les plus violentes ont eu lieu à la mi-mai.

Page 215

1 La plus brutale ayant visé le village de Zakoplaca où 60 [sic] civils

2 musulmans ont été assassinés. Vous pouvez voir ce village sur la carte, en

3 rouge.

4 Il y a une autre série d'attaques à la fin mai, dans le village de Gradina

5 et dans les zones environnantes. Comme vous pouvez le voir sur la carte,

6 Gradina ainsi Zakoplaca se trouvent sur la route principale menant aux

7 zones dominées par les serbes, telles que Valici à l'est de la

8 municipalité. Deux ou trois attaques ont eu lieu à la fin juin 1992 au

9 moment où on déplaçait la plus grande partie de la population musulmane de

10 la municipalité de Vlasenica. Ces attaques ont continué vers le nord de la

11 municipalité jusqu'en août 1992 et ont entraîné la destruction de

12 nombreuses maisons de Musulmans et constituaient une épreuve considérable

13 pour des familles entières.

14 A ce moment-là, une ligne de défense avait finalement pu être formée entre

15 les forces serbes et les nouvelles -- et la résistance musulmane

16 nouvellement formée. Cependant, la majorité de la population musulmane de

17 ces villages avait déjà été chasée.

18 Dans la ville de Vlasenica, pendant que ces attaques avaient lieu, les

19 résidents musulmans ont été l'objet d'harcèlement. Contrairement aux

20 villages, il y a eu moins de destruction de biens musulmans dans la ville

21 de Vlasenica à l'exception des opérations de pillages qui ont eu lieu après

22 l'arrestation des résidents, une fois qu'ils avaient quitté leur foyer.

23 Cependant, les campagnes d'harcèlement et de persécution contre les

24 Musulmans dans la ville ont été considérables. Après la première période,

25 qui visait uniquement les hommes, en juin 1992, on a pu constater que ni

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1 les jeunes ni les vieux ni les femmes n'étaient épargnés par ces campagnes

2 de persécution. Des familles entières ont été arrêtées et emmenées au camp

3 de Susica en attendant d'être transférées vers d'autres municipalités. On a

4 fouillé des maisons, pillé des maisons qui avaient été abandonnées. Elles

5 ont été occupées par les forces serbes dans le cadre de la campagne de

6 nettoyage ethnique. Ceux qui n'ont pas été emprisonnés ont vu leur liberté

7 de circulation considérablement réduite et ont été obligés de signer des

8 déclarations d'allégeance. A la fin juillet, il y avait de moins en moins

9 de Musulmans parmi les personnes actives dans la municipalité qui avaient

10 un travail. Les seuls Musulmans qui travaillaient le faisaient par la force

11 pendant qu'ils étaient détenus au camp de Susica.

12 Un grand nombre de Musulmans des municipalités environnantes telles que

13 Sekovici et Rogatica ont également été emmenés à Vlasenica et tout d'abord

14 enfermés au lycée. Il s'agissait là des hommes de Sekovici, et ensuite au

15 camp de Susica. Le camp de Susica était non seulement utilisé comme point

16 de transit pour chasser les Musulmans de la municipalité, mais également

17 comme centre de détention pour d'autres prisonniers.

18 Ceux qui n'étaient pas emprisonnés à Susica et ensuite transférés étaient

19 contraints de partir en autocars qui -- ou dans des autocars qui étaient

20 fournis par les nouvelles autorités serbes. De nombreux civils musulmans

21 sont partis de cette manière, mais souvent les hommes en âge de porter les

22 armes ont été arrêtés et emmenés au camp de Susica.

23 Vers août 1992, la mosquée de la ville de Vlasenica a subi le même sort que

24 de nombreuses maisons musulmanes et de nombreux villages, elle a été

25 détruite. A la fin de septembre 1992, il n'y a pratiquement plus aucun

Page 217

1 Musulman dans la municipalité en dehors des détenus du camp de Susica, ils

2 y étaient environ une centaine. Le contexte dans lequel s'inscrit les actes

3 commis par l'accusé est clair, quand on sait que les civils musulmans

4 étaient complètement exclus de -- chassés de Vlasenica. Leurs foyers ont

5 été détruits et plus de 700 Musulmans civils ont été tués ou sont encore

6 portés disparus et sont présumés décédés. Sur ceux-ci, environ 200 ont été

7 vus, pour la dernière fois, vivants au camp de Susica.

8 L'accusé était parfaitement au courant du fait que ces crimes

9 s'inscrivaient dans le cadre d'une attaque généralisée contre la population

10 civile parce qu'il a participé aux attaques d'un nombre de ces villages

11 avant d'accepter la position de commandant du camp de Susica. L'Accusation

12 a dit que l'accusé n'était pas le seul commandant du camp, mais il avait,

13 cependant, des responsabilités de commandement au sein de ce camp. La

14 nature même du camp de Susica met ceci en évidence.

15 Le camp a joué un rôle central dans le nettoyage ethnique de Vlasenica,

16 comme nous l'avons dit précédemment. Il a été utilisé comme centre de

17 transit, ceci afin de faciliter l'expulsion des civils musulmans de la

18 municipalité de Vlasenica. Ce camp était sous la coupe de la police et de

19 l'armée, dont le QG était à seulement deux kilomètres. En dépit de cette

20 proximité, ce camp était bien caché dans une vallée au bord de la ville.

21 En tant que commandant du camp de Susica, l'accusé a joué un rôle

22 significatif dans le transfert forcé des détenus, qui avaient été déplacés

23 de leur lieu légitime de résidence, pour être expulsés vers d'autres

24 régions de la Bosnie-Herzégovine. L'Accusation accepte que l'accusé n'a pas

25 orchestré, n'a pas planifié cette stratégie, mais l'Accusation avance qu'il

Page 218

1 a joué un rôle significatif et actif dans le cadre de la mise en place de

2 cette stratégie. Le camp lui-même, qui était un ancien centre de formation

3 de l'armée, était composé deux entrepôts. Les Musulmans civils étaient

4 détenus dans le plus grand entrepôt, qui a souvent été désigné par les

5 détenus sous le terme de "hangar", et que vous pouvez voir sur la partie

6 gauche de la photographie. L'accusé et les gardes du camp se servaient

7 d'une petite maison blanche, qui était à environ 15 mètres du hangar, et

8 que vous pouvez voir devant le hangar sur la photographie qui vous est

9 présentée actuellement. Ces bâtiments se trouvaient dans une enceinte assez

10 petite qui était entourée d'une clôture.

11 Sur cette photographie, vous avez une -- vous voyez le camp de -- le hangar

12 de côté. Vous voyez l'endroit donc où les Musulmans étaient détenus. Le

13 camp a fonctionné pendant quatre mois, de juin à la fin de septembre 1992.

14 Les prisonniers musulmans qui ont été détenus, ils sont restés entre

15 quelques heures et parfois, pour certains d'entre eux, plusieurs mois.

16 Pendant cette période de quatre mois, 2 000 à 8 000 civils non-serbes sont

17 passés par ce camp. Ce qui -- il s'agissait, pour l'essentiel, de

18 Musulmans. Il y avait toujours environ plus de 500 personnes dans le camp

19 même si le nombre a évolué au fils de temps.

20 Quand il a pris ses fonctions au camp, l'accusé est venu pratiquement tous

21 les jours à partir du début juin. On peut le voir ici en train de

22 patrouiller le long de la clôture, le 2 septembre 1992, un mois avant la

23 fermeture du camp, lors de la seule et unique visite d'une délégation

24 internationale. L'accusé et d'autres gardes contrôlaient les mouvements ou

25 les déplacements des détenus en les obligeant de rester dans leur hangar

Page 219

1 pendant pratiquement toute la journée, 24 heures sur 24.

2 La maison des gardes donnait sur l'entrée du hangar. Ceci permettait aux

3 gardes de s'assurer qu'aucun détenu ne pouvait s'enfuir. La plupart des

4 détenus, pratiquement tous les détenus étaient des civils et il y avait

5 parmi eux beaucoup de femmes, de petits enfants et de personnes âgées. Il y

6 avait également des personnes malades, des personnes blessées, des

7 personnes handicapées qui étaient détenus au camp. Il y avait très peu

8 d'hommes qui avaient participé à la résistance active contre les Serbes au

9 camp et très peu d'hommes qui avaient été capturés alors qu'ils

10 participaient à un conflit armé. Il n'y avait aucune raison légale à la

11 détention de toutes ces personnes. Il ne s'agissait pas de personnes

12 accusées d'actes criminels, de porter menace à la sécurité de l'état ou à

13 leur propre sécurité.

14 Ove Bring, un représentant international de la conférence pour la Sécurité

15 de la coopération en Europe, qui a participé à la mission internationale,

16 qui s'est rendu au camp le 2 septembre 1992 a déclaré, je cite :

17 "Susica était un centre de détention unique en son genre parmi ceux que

18 nous avons visités. Il s'agissait simplement d'une espèce d'abri, d'une

19 espèce d'hangar vide dans lequel on a placé des gens. Il n'y avait aucune

20 structure pour recevoir les détenus et le sentiment de détention arbitraire

21 était manifeste."

22 En tant que commandant du camp, Nikolic a joué un rôle très important dans

23 la détention des personnes concernées. Lui-même ainsi que d'autres étaient

24 responsables de la détention de ces personnes et de la sécurité sur le

25 camp.

Page 220

1 Les conditions dans le camp étaient catastrophiques. Il y avait

2 généralement entre 300 et 500 personnes. L'hangar faisait 35 mètres sur 13

3 mètres, les gens étaient entassés comme des sardines. Et s'il y avait 400

4 détenus, chaque détenu avait à peine un mètre carré pour s'asseoir. Il n'y

5 avait pas d'équipement adapté pour permettre aux gens de dormir

6 correctement. Les gens dormaient à même le sol, il n'y avait pratiquement

7 pas de couvertures, et on a parfois remis des anciens uniformes de la JNA

8 aux femmes et aux enfants. Le sol était généralement mouillé et souvent les

9 gens n'avaient même pas la possibilité de s'asseoir par terre parce qu'il

10 n'y avait pas assez de place. Les gens souvent étaient obligés de dormir

11 assis ou debout ou en s'appuyant contre d'autres détenus.

12 Il est souvent arrivé aux gardes de reprendre les couvertures aux détenus

13 et de les passer à tabac. Les détenus étaient souvent épuisés. Il y avait

14 très peu de nourriture ou une nourriture de très mauvaise qualité qui était

15 distribuée une fois par jour. Les détenus avaient constamment faim, ils ont

16 énormément maigri, beaucoup sont tombés malades. Les Musulmans qui se

17 trouvaient à l'extérieur du camp essayaient d'apporter de la nourriture aux

18 détenus mais les gardes serbes s'emparaient de cette nourriture pour leurs

19 propres consommations. Souvent on privait les détenus de nourriture ou

20 d'eau pour les punir, ceci concernait en particulier les détenus qui

21 étaient constamment passés à tabac.

22 La délégation de la CSCE, qui s'est rendue au camp le 2 septembre, a noté

23 dans son rapport, je cite : "Les détenus paraissent hagards, pâles, très

24 maigres, il est indéniable que la plupart d'entre eux ont faim." La

25 chaleur, la ventilation de mauvaises qualité, les conditions hygiéniques,

Page 221

1 catastrophiques, l'impossibilité pour les détenus de prendre une douche,

2 d'aller aux toilettes ou de changer de vêtements étaient -- entraînaient ou

3 créaient une odeur -- une puanteur dans l'ensemble du volume du hangar. Les

4 détenus avaient le droit d'aller aux toilettes en dehors du hangar deux

5 fois par jour, une ou deux fois par jour. Et dans l'intervalle, les détenus

6 devaient se servir d'un sceau sans bénéficier d'aucune intimité quelle

7 qu'elle soit. Il n'y avait pas de soins médicaux, les détenus malades

8 n'étaient pas séparés des autres, les détenus sont tombé malades en raison

9 de la mauvaise qualité de la nourriture qui leur ait été fournie ou en

10 raison des conditions hygiéniques catastrophiques.

11 Les détenus souffraient de maux de dents extrêmement sévères. Ils avaient

12 des poux, ils souffraient de dysenterie, et cetera. L'accusé, en tant que

13 commandant du camp, n'a fourni aucun soin médical approprié aux détenus

14 malades ou à ceux qui étaient constamment passés à tabac. Les détenus, qui

15 étaient suffisamment en bonne santé, étaient forcés de travailler dans les

16 champs pour participer aux récoltes ou réaliser d'autres travaux plus ou

17 moins sophistiqués. D'autres se voyaient donner l'ordre d'enterrer les

18 civils musulmans qui n'avaient pas survécu aux attaques des villages. Ces

19 conditions inhumaines qui existaient au camp ont fait qu'il était

20 impossible pratiquement pour les détenus de résister aux mauvais

21 traitements qui étaient souvent infligés par l'accusé, d'autres gardes,

22 ainsi que d'autres soldats. Mauvais traitements qui étaient dirigés contre

23 soit les détenus contre leurs familles et contre leurs amis.

24 L'accusé a passé à tabac violemment de nombreux détenus hommes, neuf

25 d'entre eux au moins ont péri suite à ces mauvais traitements. Certains ont

Page 222

1 été passés à tabac à l'intérieur du hangar dans une zone qui s'appelait le

2 coin des punitions, et d'autres ont été soumis à des mauvais traitements

3 sur -- à l'endroit que vous pouvez voir sur la photographie.

4 La deuxième photographie nous montre l'intérieur du hangar. Souvent les

5 hommes, qui ont été passés à tabac, n'ont pas résisté à ces passages à

6 tabac, des femmes ont également souvent été soumises à des mauvais

7 traitements. Elles ont été violées, soumises à des violences sexuelles des

8 gardes du camp et d'autres hommes avaient l'autorisation d'entrer dans le

9 camp. Ils ont souvent emmené des femmes à l'extérieur du hangar pendant la

10 nuit pour les violer ou les soumettre à des violences sexuelles ailleurs.

11 Les détenus avaient l'ordre de garder le silence dans le hangar et ils le

12 faisaient de -- à -- craindre d'être soumis à des violences. Il est arrivé

13 à d'autres reprises que les détenus soient terrorisés par l'accusé qui

14 armait son pistolet, le plaçait dans la bouche de détenus et a appuyé sur

15 la gâchette d'une arme qui en fait ne n'était pas armée. L'accusé a soumis

16 des détenus à des punitions cruelles et arbitraires, par exemple, en

17 obligeant un détenu à rester assis pendant très longtemps dans de l'eau ou

18 bien il a interdit à un autre détenu d'aller aux toilettes pendant très

19 longtemps.

20 L'accusé a également humilié, insulté de nombreux détenus en utilisant des

21 termes tels que "balija" ou en faisant d'autres références insultant leur

22 religion et leur appartenance ethnique. Ces actes ont été commis au vu au

23 su de tous les autres détenus. L'ensemble de ces mauvais traitements a semé

24 la terreur au sein de tous les détenus parce que cela concernait leurs

25 amis, les membres de leurs familles ou d'autres personnes que ils ou elles

Page 223

1 connaissaient.

2 Ce comportement criminel de la part de l'accusé, des gardes et d'autres

3 crée une atmosphère de terreur dans le camp. Les détenus se demandaient si

4 eux-mêmes ou un membre de leur famille ne seraient pas les prochains sur la

5 liste. Les familles -- les mères de famille obligeaient leurs enfants à se

6 taire. Les femmes se cachaient la face, essayaient de s'enlaidir pour

7 éviter d'être la prochaine victime des viols. Les détenus gardaient le

8 silence, ils baissaient la tête, ils baissaient les yeux, ils craignaient

9 d'attirer l'attention sur eux-mêmes et ensuite d'être victimes de violence.

10 Cette terreur a été le fait de tous les détenus pendant toutes leurs

11 détentions au cours de Susica. Ove Bring signale, lors de sa visite du 2

12 septembre 1992, je cite :

13 "L'atmosphère dans le bâtiment principal était très tendu. Il y avait aussi

14 un très grand silence qui régnait. Aucun détenu n'a redit quoi que ce soit.

15 Il était manifeste que les détenus étaient terrorisés, ils n'osaient pas

16 nous parler. Ils évitaient tout contact avec nous. Le fait que les détenus

17 de Susica étaient ainsi terrorisés m'a donné un sentiment très

18 désagréable."

19 L'accusé a contribué à cet atmosphère de terreur, non seulement par ses

20 propres actes de violence qui allaient contre des détenus mais du fait de

21 l'influence importante qu'il exerçait en tant que commandant du camp sur

22 les détenus, et sur le traitement qui leur serait réservé. L'accusé a

23 déclaré aux détenus qu'il avait un contrôle absolu sur leurs vies, qu'ils

24 étaient à sa merci. Il leur a dit qu'il était leur dieu et que, au camp, il

25 était tout puissant. Il était constamment armé d'un pistolet automatique,

Page 224

1 d'un pistolet, d'une baïonnette, d'une matraque, d'un couteau et de une ou

2 plusieurs grenades à mains. L'accusé, en tant que commandant du camp, avait

3 pour responsabilités de garantir un traitement approprié pour les détenus.

4 Mais plutôt que de ce -- plutôt que cela l'accusé a choisi d'infliger des

5 traitements brutaux à tous les détenus. Il y a également encouragé ses

6 subordonnés à le faire.

7 Ceux qui ont eu la chance de survivre au camp de Susica en 1992 n'ont pas

8 pu rentrer chez eux puisque de nombreuses -- souvent leurs maisons avaient

9 été détruites, pillées ou étaient occupées par des résidents serbes. Ce qui

10 est plus grave encore c'est que ces gens n'étaient pas les bienvenus dans

11 la municipalité. Donc ils constituaient pourtant une partie essentielle. Le

12 camp de Susica n'a jamais été un havre de sûreté pour les non-Serbes qui --

13 sinon auraient été en danger dans leurs propres villes ou dans leurs

14 propres villages. Il n'y avait pas d'endroits sûrs pour eux, ni dans le

15 camp, ni à l'extérieur du camp. Des femmes, des enfants, des personnes

16 âgées détenus au camp, généralement étaient expulsées vers les territoires

17 détenus par les Musulmans autour de Kladanj ou Cerska. Les hommes, en âge

18 de porter les armes, et quelques femmes ont été transférés à d'autres

19 endroits, sur d'autres lieux de détention de Bosnie-Herzégovine au camp de

20 Batkovic, dans la municipalité de Bijeljina et Pelemis , un village en

21 territoire serbe dans la municipalité de Kladanj.

22 Suite aux meurtres du dernier groupe d'une centaine de détenus à côté du

23 camp de Susica, sur un site qui s'appelle Debelo Brdo, le camp a été fermé

24 puisqu'il avait joué son rôle et permis d'éliminer les Musulmans et les

25 autres membres de la population non-serbe de la municipalité de Vlasenica.

Page 225

1 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, et Madame la Juge, je vais vous

2 présenter maintenant les municipalités -- une vidéo de cinq minutes au

3 sujet du camp, qui je pense, peut vous être utile parce que le témoin que

4 nous allons entendre maintenant ne voit pas bien du tout. Si bien que nous

5 avons pensé qu'il vous serait peut-être utile de vous présenter un certain

6 nombre d'images dans cette vidéo de cinq minutes, je ne sais pas si vous

7 souhaitez la visionner.

8 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] C'est à l'Accusation qu'il

9 appartient de décider de la manière de présenter ses arguments. Cependant,

10 il faut être sûr que les témoins auront suffisamment du temps pour déposer.

11 M. SMITH : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

12 [Diffusion de cassette vidéo]

13 M. SMITH : [interprétation] La vidéo que vous allez voir à présent, c'est

14 quelque chose où vous pouvez voir l'entrée du camp de Susica, l'endroit où

15 les détenus étaient gardés.

16 Vous allez pouvoir la voir d'ici quelques instants. Ceci est donc le

17 devant, l'entrée du hangar. Et maintenant on regarde plus vers l'arrière,

18 en direction de Vlasenica et ceci est l'endroit où un grand nombre de

19 personnes ont été passées à tabac et ici on voit l'arrière du camp de

20 Susica en regardant à partir de Vlasenica. Le camp se trouvait à un

21 kilomètre et demi de la ville.

22 Ici, on voyait l'extérieur du camp en direction de Vlasenica, ici se trouve

23 le hangar, ici est l'endroit où étaient détenus les prisonniers. Ici vous

24 voyez l'arrière du hangar, il y avait beaucoup -- il y a maintenant

25 beaucoup du matériel militaire à l'époque où le camp était en fonction, il

Page 226

1 n'y avait -- ce hangar était vide. Ceci étant, la vidéo a été filmée en

2 1996. Ce que vous voyez ici, c'est ce que les témoins appelaient le coin

3 des finitions, ceci est l'endroit où un certain nombre de prisonniers

4 auront décédé -- sont décédés suite au passage à tabac.

5 En 1992, cet endroit-là était en général fermé à clé et maintenant la

6 caméra regarde vers l'entrée, vers le devant du hangar en arrivant de

7 l'arrière au moment où les détenus s'y trouvaient, cet endroit était

8 complètement vide. Le hangar lui-même est assez grand comme je l'avais

9 mentionné auparavant, on pouvait y mettre 400 à 500 personnes. Ceci est le

10 mur extérieur du hangar et la caméra va maintenant vers l'entrée du hangar.

11 En général, on utilisait une seule entrée, bien sûr à l'époque le tracteur

12 ne s'y trouvait pas.

13 Ceci est la porte devant du hangar, il s'agit d'une petite porte et il y a

14 deux portes qui sont très grandes et qui sont à deux battants. Ceci est le

15 seul endroit où se trouvaient les détenus. Ici on regarde vers ce pilier,

16 dont on avait parlé et ici, que les prisonniers pouvaient les voir quand il

17 y avait des passages à tabac à l'extérieur du hangar. Comme je l'ai déjà

18 mentionné, le hangar représente une surface de 13 mètres sur -- par 35

19 mètres.

20 Ceci est la maison des gardes, des gardiens du camp, et c'est ici que les

21 détenus arrivaient, on regarde à nouveau devant l'entrée du hangar et ici

22 on voit à nouveau ce pilier qui doit se trouver à 20 mètres du hangar -- de

23 la maison des gardiens et puis à 17 mètres du hangar.

24 La maison des gardes, il y avait deux pièces à l'intérieur, la pièce dans

25 laquelle nous entrons maintenant, vous voyez une fenêtre qui regarde

Page 227

1 directement -- qui donne directement sur l'entrée du hangar à quelques 11

2 mètres de là. Ceci était donc l'endroit où se trouvaient les gardes et ceci

3 est l'endroit où très souvent l'accusé dormait pendant qu'il était dans le

4 camp. Voilà, ici nous voyons à nouveau la pièce où l'accusé dormait et par

5 la suite l'endroit où on emmenait les prisonniers à leurs arrivées au camp.

6 Cette vidéo a été filmée en 1996 comme je l'avais dit. Donc on ne peut pas

7 garantir que la situation était exactement la même qu'en 1992. Mais ici on

8 regarde vers l'entrée à nouveau vers l'entrée du hangar et maintenant on

9 sort de la pièce. Tout simplement un petit couloir qui relie les deux

10 pièces. Ceci est donc la deuxième pièce qui se trouve plus loin du hangar,

11 qui est plus loin du hangar que la première. Et il semble que dans cette

12 pièce, il y avait la possibilité de faire un peu de cuisine.

13 Ceci est la fin de la vidéo.

14 Est-ce que nous passons maintenant tout de suite au premier témoin ou bien

15 vous souhaitez faire une pause.

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] On va continuer tout de suite.

17 Je demande à ce que le premier témoin soit introduit dans la salle

18 d'audience.

19 S'il vous plaît, Monsieur, vous aurez besoin de combien de temps pour

20 interroger ce témoin ?

21 M. SMITH : [interprétation] Nous avons prévu quelques trente à quarante

22 minutes pour chaque témoin, ce qui permettrait aux Juges d'avoir 15 à 20

23 minutes pour les questions. Mais si vous souhaitez, nous pouvons aussi

24 raccourcir nos questions. Nous allons nous remettre à votre décision.

25 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Aujourd'hui, nous devons terminer à

Page 228

1 13 heure 30. Pour des raisons techniques, notre pause doit avoir lieu à 10

2 heures 30.

3 M. SMITH : [interprétation] Oui.

4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] S'il vous plaît, prenez cela en

5 considération, peut-être essayer de raccourcir les questions. De dire le

6 nécessaire. De voir --

7 [Le Témoin est introduit dans le prétoire]

8 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] En tout cas, pour vérifier une fois

9 de plus, on n'a pas besoin de pseudonyme pour le prochain témoin.

10 M. SMITH : [interprétation] Non, non, pas besoin de pseudonyme, il n'y aura

11 pas de mesures de protection.

12 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Bonjour, Madame Habiba Hadzic. Est-

13 ce que vous m'entendez dans une langue que vous comprenez ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

15 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît,

16 lire la déclaration solennelle.

17 Je vais lire la déclaration solennelle moi-même et je vous demanderai de

18 répéter. En vertu de l'Article 90 du règlement de procédure et des preuves

19 -- dit que la déclaration solennelle est la suivante: Je déclare

20 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

21 vérité.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je peux répéter. J'ai un peu mal à la

23 gorge mais tout de même. Je dirai la vérité, rien que la vérité.

24 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Et vous déclarez solennellement que

25 vous allez le faire. Vous allez faire ainsi.

Page 229

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, tout à fait.

2 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci, Madame, veuillez vous

3 asseoir.

4 LE TÉMOIN: HABIBA HADZIC [Assermenté]

5 [Le témoin répond par l'interprète]

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Au cas où vous devez rencontrer des

7 problèmes ou des difficultés, s'il vous plaît dites-le-nous tout de suite

8 et nous allons essayer d'apporter une solution.

9 Maintenant, c'est un représentant de l'Accusation qui va vous poser les

10 questions, Madame.

11 M. SMITH : [interprétation] Je souhaite tout d'abord préciser que la

12 déclaration du témoin était déjà versée au dossier. Je ne sais pas si vous

13 l'aviez bien entendu comme ça ?

14 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Non, pas encore, ça n'a pas été

15 encore versé au dossier.

16 M. SMITH : [interprétation] Si la Chambre me le permet et les conseils de

17 la Défense aussi, et pour que cela nous prenne moins de temps, je vais

18 peut-être poser des questions plutôt directes.

19 Questions de l'Accusation, M. Smith :

20 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Hadzic, pourriez-vous nous dire votre

21 âge et votre appartenance ethnique ?

22 R. Je m'appelle Hadzic Habiba. Je suis née le 5 mars 1943 et je suis

23 Musulmane.

24 Q. Je vais vous poser des questions sur ce qui vous est arrivé au camp de

25 Susica, ce que vous y avez vu, comment vous vous sentiez à l'époque et

Page 230

1 comment vous vous sentez maintenant quand on évoque ce lieu? Est-ce que

2 vous me comprenez ?

3 R. Oui.

4 Q. Madame Hadzic, vous voyez très mal, ce qui fait que vous avez la

5 difficulté à lire. Est-ce exact ?

6 R. J'entends mal et je ne peux pas lire.

7 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Sur -- dans le compte rendu

8 d'audience, j'ai entendu que vous -- je peux lire que vous étiez née le 15

9 mars 1943, alors que j'ai pu lire quelque part que c'était le 5 mars, Est-

10 ce exact ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

12 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci beaucoup.

13 M. SMITH : [interprétation]

14 Q. Madame Hadzic, nous nous sommes rencontrés samedi dernier, et on vous a

15 donné lecture des déclarations que vous avez données à l'enquêteur à deux

16 reprises en 1994 et 1996 ?

17 R. Oui.

18 Q. Y avait-il quelque chose dans cette déclaration dont vous ne vous

19 souveniez plus ou bien que vous n'avez pas pu comprendre quant à ce que

20 vous avez vécu au camp de Susica ?

21 R. Ce que j'ai dit, ce que j'ai déclaré est exact.

22 Q. D'après votre déclaration, vous avez passé quelques deux mois au camp

23 de Susica. Est-ce exact ?

24 R. Peut-être même un peu plus que cela.

25 Q. Et au moment où vous êtes arrivée au camp, où est-ce qu'on vous avait

Page 231

1 emmenée ?

2 R. Au hangar.

3 Q. Y avait-il d'autres membres de votre famille qui avaient été emmenés au

4 hangar ?

5 R. D'abord les enfants, par la suite moi-même, et par la suite, ma belle-

6 sœur ainsi que son mari et ses deux enfants.

7 Q. Pourriez-vous nous donner les noms de vos enfants ?

8 R. Enis et Bernis Hadzic.

9 Q. Ils avaient quel âge ?

10 R. Enis Hadzic est né le 18 septembre 1961 alors que Bernis Hadzic est né

11 le 4 avril 1963.

12 Q. Qu'avez-vous vu en arrivant au hangar ? Qui est-ce qui s'y trouvait ?

13 R. Il y avait beaucoup du monde, il y avait aussi des femmes et des

14 enfants.

15 Q. Et le camp était-il plein, était-il vide ?

16 R. Le camp était plein à bord.

17 Q. Et quelques deux mois plus tard, quand vous avez quitté le camp, est-ce

18 que ce camp a été toujours aussi plein à rebord ou bien y avait plus ou

19 moins de personnes ?

20 R. Il y avait des moments où il y avait plus de personnes, et puis à

21 d'autres moments, le camp était un peu moins rempli.

22 Q. Pendant que vous étiez au camp, est-ce que vous aviez le droit de

23 sortir librement dans l'enceinte du camp ?

24 R. Non, uniquement quand Jenki donnait des ordres, quand il disait ce qu'on

25 devait faire. C'est cela qui nous permettait de déambuler dans le camp.

Page 232

1 Q. Pourriez-vous dire au Tribunal qui est Jenki ?

2 R. C'est Nikolic.

3 Q. Et quel est son prénom ?

4 R. Attendez, je n'arrive pas à mon souvenir. Je sais que son nom est

5 Nikolic et que son surnom est Jenki.

6 Q. Vous disiez que c'était -- je vous demande pardon. Vous avez dit que

7 vous aviez le droit de sortir librement du hangar quand Jenki vous donnait

8 l'autorisation. Et c'était qui, qui était à la -- c'était qui, qui

9 dirigeait le camp ?

10 R. C'était lui le commandant, Nikolic Jenki.

11 Q. Dans votre déclaration, vous mentionnez un certain Veljko Basic qui

12 avait aussi une responsabilité.

13 R. Oui, il s'appelait Basic.

14 Q. Est-ce que lui aussi il avait un -- il commandait aussi ? Il avait une

15 certaine autorité ?

16 R. Il venait parfois le matin, parfois l'après-midi.

17 Q. Entre ces deux personnes-là, qui se trouvait au camp le plus souvent,

18 Jenki ou Veljko Basic ?

19 R. Jenki.

20 Q. Combien de personnes étaient là pour faire en sorte que vous-même et

21 d'autres ne sortaient pas du camp ? C'est qui, qui étaient les gardes ?

22 R. Ils étaient selon les situations, selon le jour. Parfois dix, parfois

23 huit, parfois douze. C'était Jenki qui décidait de cela.

24 Q. Donc, vous avez mentionné que Veljko Basic avait une certaine autorité

25 de commandement et Jenki aussi. Y avait-il.parmi les gardes, quelqu'un qui

Page 233

1 était -- qui avait une dose d'autorité sur les autres gardes, quelqu'un en

2 dehors de ces deux personnes-là ?

3 R. Non, non, Jenki était celui qui tenait -- qui avait le contrôle de tout

4 cela. C'est lui qui donnait tous les ordres.

5 Q. Avec quelle fréquence se trouvait Jenki -- Jenki se trouvait-il dans le

6 camp ?

7 R. Tous les jours, aussi le soir et les après-midi. Il était là la plupart

8 du temps.

9 Q. Et savez-vous où il passait les nuits ?

10 R. Parfois quand on avait envie de prendre de l'eau, il y

11 avait une petite maison où se trouvaient les gardes. C'est là-bas qu'ils

12 dormaient. Il s'agissait d'une petite maison.

13 C'est dans cette maison-là qu'il résidait.

14 Q. Avec quelle fréquence il passait les nuits dans le camp ? Une fois par

15 semaine ? Plus souvent que cela ?

16 R. Je ne peux pas tout savoir. Parfois, je l'avais vu assez fréquemment

17 entrer dans le hangar vers minuit. Mais au moment où nous étions enfermés,

18 je ne pouvais pas voir s'il était dans cette maison-là à dormir ou bien

19 s'il était parti quelque part.

20 Q. Vous avez dit que le lit dans la maison des gardiens était à lui. Est-

21 ce que quelqu'un d'autre se servait de ce lit-là ?

22 R. De temps à autre, un gardien de camp entrait dans la maison, mais la

23 plupart du temps, c'était Jenki qui dormait là-bas.

24 Q. Et Veljko Basic, est-ce qu'il a jamais dormi dans le camp ?

25 R. Je ne l'ai jamais vu.

Page 234

1 Q. Et vous-même, où avez-vous dormi dans le camp ?

2 R. Entre les enfants, en bas dans le hangar. Et Jenki, quand il donnait

3 des ordres, il -- on sortait du camp dans les maisons voisines. Parfois,

4 j'ai dormi aussi dans un camion, avec le petit.

5 Q. Vous avez dit que vous avez passé quelques deux mois au camp et que

6 parfois vous dormiez à l'extérieur du camp. Combien de nuits avez-vous

7 passées à l'extérieur du camp ?

8 R. A chaque fois que Jenki nous l'avait ordonné, on allait dormir dans les

9 maisons voisines.

10 Q. Vous avez dit que vous dormiez à l'extérieur du camp quand Jenki

11 l'avait ordonné. Est-ce que parfois un autre garde ou bien Veljko Basic

12 vous avait ordonné de dormir à l'extérieur du camp ?

13 R. Non.

14 Q. Quand vous dormiez dans le camp est-ce que -- vous dormiez sur quoi ?

15 Aviez-vous des matelas ou autre chose pour que vous puissiez dormir

16 confortablement ?

17 R. Non. La plupart du temps c'était à même le sol, sur du béton. Parfois,

18 on nous permettait de mettre des planches par terre, mais quand il était

19 fâché, il nous demandait de sortir les planches de là-bas.

20 Q. Aviez-vous de la place pour pouvoir vous étendre et ne pas toucher les

21 personnes qui étaient autour de vous ?

22 R. Parfois oui, parfois non. Parfois, il y avait tellement de monde qu'on

23 ne pouvait même pas s'accroupir. Et à d'autres occasions, on arrivait à

24 s'endormir.

25 Q. Quel était le degré de confort que vous aviez pendant votre sommeil ?

Page 235

1 R. C'était atroce.

2 Q. Avec quelle fréquence pouviez-vous vous nourrir ? Combien de fois par

3 jour vous mangiez ? Une, deux ou trois fois ?

4 R. Nous avions à manger une fois par jour.

5 Q. Pourriez-vous dire à la Chambre ce que l'on vous donnait à manger ?

6 R. La plupart du temps, c'était de la nourriture qui était déjà mauvaise

7 et gâchée. Parfois, on nous donnait des conserves dont la date était

8 dépassée. Après, nous avions des problèmes, par exemple, des problèmes de

9 digestion.

10 Q. Et pendant le temps que vous avez passé au camp, avez-vous reçu

11 suffisamment de nourriture ou bien vous auriez aimé avoir plus de

12 nourriture que cela ?

13 R. Nous n'avions pas assez.

14 Q. C'est -- la nourriture que vous avez reçue n'était pas pour vous, c'est

15 qui, qui vous la donnait ?

16 R. Par exemple, les gens de l'extérieur, de la population, venaient nous

17 apporter de la nourriture, mais Veljko Basic n'autorisait pas -- ne nous

18 autorisait pas à la manger. En revanche, Jenki, il permettait que l'on

19 mange cette nourriture-là si quelqu'un nous l'avait apportée.

20 Q. Vous avez mentionné que vous avez vu des mauvais traitements infligés

21 par l'accusé à un certain nombre de détenus. Je pense ici, notamment, à

22 Mevludin Hatunic, Durmo Handzic et Muharem Kolarevic.

23 R. Oui. Muharem Kolarevic, ainsi qu'un homme de Papraca, un Rasid.

24 Q. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi l'accusé participait à des

25 passages à tabac en -- de certains détenus et à d'autre moments il

Page 236

1 permettait aux détenus d'avoir plus de nourriture ?

2 R. Il ne donnait pas plus de nourriture que cela, mais en fait, ce qu'il

3 faisait, Jenki, c'était qu'il faisait sortir les gens du hangar et il les

4 raccompagnait, après dans le hangar, une fois qu'ils avaient été passés à

5 tabac.

6 Q. Avez-vous perdu du poids au camp ?

7 R. Oui, oui. Beaucoup.

8 Q. Avez-vous eu la possibilité de laver vos vêtements ?

9 R. Non. Je lui avais posé la question, je lui ai demandé si je pouvais

10 rentrer à la maison, et il venait en disant : "Oui, oui, oui. Vas-y, mais

11 reviens très vite."

12 Q. Avez-vous eu la possibilité de vous laver pendant que vous étiez dans

13 le camp, soit de prendre une douche ou de vous laver ?

14 R. Non.

15 Q. Est-ce qu'on vous a donné des produits d'hygiène, par exemple, du

16 savon, de la pâte dentifrice, pour que vous puissiez ne pas sentir

17 mauvais ?

18 R. Non.

19 Q. Dans votre déclaration, vous avez mentionné que beaucoup de personnes

20 ont été passées à tabac, soit par l'accusé soit par d'autres personnes.

21 Est-ce exact ?

22 R. Oui.

23 Q. Et concernant les passages au tabac, que ce soit par l'accusé ou par

24 d'autres personnes, avec quelle fréquence cela arrivait ? Est-ce que vous

25 pourriez nous dire avec quelle fréquence les gens ont été passés à tabac ?

Page 237

1 R. Pendant le temps que j'ai passé à Susica, Mevludin Hatunic a été passé

2 à tabac et il est décédé par la suite. Durmo, c'est la même chose. Asim

3 Zildzic a été passé à tabac, et quand nous sommes allés aux toilettes, et

4 qu'on nous a mis dans une rangée, je l'ai vu, il y avait sur un -- il était

5 sur un brancard et un œil lui était complètement crevé. Et puis, j'ai vu

6 aussi une autre personne à qui on ne permettait pas de manger, et qui avait

7 faim.

8 Q. Vous avez aussi parlé d'une personne qui s'appelle Fikret Arnaut.

9 R. Je n'ai pas bien compris le nom de la personne. Fikret comment ?

10 Q. [aucune interprétation]

11 R. Oui, celui-là, c'était un Fikret et l'autre était Fadil. Ces deux

12 personnes sont décédées, ils étaient malades.

13 Q. Est-ce que les soins médicaux leur avaient été apportés ? Est-ce que

14 des médecins sont venus au camp ou est-ce qu'on les a raccompagnés en ville

15 pour voir un médecin ?

16 R. Non.

17 Q. Pourriez-vous nous dire comment est mort Fadil Huremovic de quoi est-il

18 décédé ?

19 R. Cet homme n'a pas pu se mettre debout. Sa femme -- on a essayé de

20 provoquer sa femme. Il ne pouvait plus le supporter et tout simplement, il

21 en est mort. Il ne pouvait pas se mettre debout, il était grabataire.

22 MR. SMITH : [interprétation] Etant donné que nous n'avons pas beaucoup de

23 temps à notre disposition, je souhaiterais passer encore une dizaine de

24 minutes à interroger ce témoin. Est-ce que nous allons faire maintenant une

25 pause ou vous souhaitez que je continue.

Page 238

1 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je pense qu'il va falloir que nous

2 prenions une pause. Mais nous allons procéder à une pause qui sera plus

3 courte que d'habitude. Nous allons reprendre à 10 heures 50.

4 --- L'audience est suspendue à 10 heures 29.

5 --- L'audience est reprise à 10 heures 50.

6 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Veuillez vous asseoir. Puis-je vous

7 demander Monsieur Smith, s'il vous plaît, au cours des prochaines dizaines

8 de minutes de vous concentrer sur la partie clé du témoignage et en

9 particulier sur ce qui est mentionné à l'Accusation, s'il vous plaît. Je

10 vous redonne la parole jusqu'à 11 heures, jusqu'à midi.

11 M. SMITH : [interprétation] Merci.

12 Q. Madame le Témoin, Madame Hadzic, vous avez précisé que Fikret est

13 décédé au camp. Est-ce qu'il s'agit -- s'agit-il de Fikret Arnaut ou de

14 quelqu'un d'autre ? Parce que dans votre déclaration vous avez parlé de

15 quelqu'un qui s'appelait Cice dont le surnom est Cice et que son nom est

16 Fikret Arnaut. S'agit-il de la même personne ou s'agit-il d'une autre

17 personne ?

18 R. Kuljancic Fadil et Huremovic est mort. Mais, Cice, a succombé à la

19 suite des passages à tabac dans le camp. Je sais que son surnom était Cice.

20 C'était comme ça je le connais.

21 Q. Vous dites que --

22 M. SMITH : [interprétation] Ceci en fait est Fikret Arnaut, c'est ce qui

23 figure à l'acte d'accusation. Simplement pour votre information.

24 Q. Vous avez précisé que Cice a succombé à la suite des passages à tabac.

25 Qu'entendez-vous par "succombé" ? Est-ce qu'il est mort dans le camp ou s'y

Page 239

1 trouvait-il encore au moment où vous avez quitté le camp ?

2 R. Il est mort lorsque j'étais encore au camp, Cice est mort.

3 Q. Avez-vous vu qui a passé Cice à tabac ?

4 R. Non, je n'ai pas vu quelqu'un. J'ai simplement vu Jenki le déposer sur

5 le sol en béton humide. Mais qui l'a passé à tabac, je ne sais pas.

6 Q. Combien de fois Cice a-t-il été passé à tabac ? Quand bien même vous

7 n'avez -- vous ne l'avez pas vu, combien de fois avez-vous vu les marques

8 sur son corps du passage à tabac ?

9 R. Plusieurs -- je pense qu'il a été passé à tabac deux ou trois fois. Il

10 ne pouvait s'asseoir et encore moins se tenir debout. Il était -- on

11 l'avait vraiment frappé très fort.

12 Q. Vous avez dit que vous avez vu Jenki déposer Cice sur le sol en béton

13 humide, d'où venait-il ? Est-ce qu'il était à l'extérieur du hangar

14 lorsqu'on l'a fait entrer ?

15 R. Oui. Il était à l'extérieur du hangar, il l'a fait entrer à l'intérieur

16 du hangar, on l'a déposé sur ce sol humide, en béton et on lui a dit -- et

17 il a dit : "Tu as violé ma mère," et il a lancé des injures.

18 Q. Avez-vous jamais tenté d'aider Cice, eu égard à ces passages à tabac

19 qu'il avait reçus ?

20 R. Il m'a demandé de lui donner des biscuits. Et j'ai lancé quelques

21 biscuits, mais je n'ai pas vu Jenki à la porte -- devant la porte. Il a

22 écrasé les biscuits avec sa botte, il m'a ordonné de l'extérieur devant les

23 toilettes il m'a giflé, je n'ai rien fait. La deuxième fois, il m'a frappé

24 avec la crosse de son fusil, et mon bras et j'ai été blessé au bras à cause

25 de cela, j'ai une blessure aux bras. Et je me suis évanouie, quelqu'un a

Page 240

1 essayé de m'aider mais Jenki a frappé ces personnes et leur a demandé de

2 partir. Et donc je suis revenue à moi, et une femme âgée de 93 ans est venu

3 me voir et m'a dit "que les choses allaient s'améliorer." Lui, il criait,

4 "Elle n'est pas morte. "Elle n'est pas morte." "Elle est en vie."

5 Q. Pourquoi Cice vous a-t-il demandé des biscuits, pourquoi n'est-il pas

6 allé les chercher lui-même ?

7 R. Parce qu'il n'avait pas le droit d'en prendre, il avait faim, il m'a

8 demandé "est-ce que tu peux me donner un biscuit ?" Et je lui ai lancé sur

9 le sol, et il n'a pas pu les manger. Jenki l'a écrasé de son pied et

10 c'était un biscuit qui était tout dur qui n'était pas vraiment très bon

11 mais il avait faim, et il aurait apprécié n'importe quel morceau de

12 nourriture.

13 Q. Vous dites qu'il -- que vous avez travaillé dans ce camp. Pouvez-vous

14 nous dire, s'il vous plaît, quel type de travaux vous avez effectué dans ce

15 camp ?

16 R. Ce que Jenki m'ordonnait de faire et bien je devais frotter le sol,

17 nettoyer sa chambre et ensuite il allongeait les jambes, il voulait que je

18 lui masse les pieds en lui mettant de la crème. Et ensuite je devais faire

19 la vaisselle lorsqu'après le déjeuner il y a des choses comme ça. Quoi

20 qu'il en soit, je devais faire tout ce qu'il m'ordonnait de faire. Je

21 n'osais pas refuser.

22 Q. Y avaient-ils d'autres gardes qui vous ordonnaient d'effectuer certains

23 travaux dans le camp ?

24 R. Non. Il y avait un garde blond, il avait un problème avec un œil. Il

25 m'a insulté. Et ma belle-fille est venue et était venue avec un enfant et

Page 241

1 il m'a dit : "Ta belle-fille est jolie." Ensuite il l'a insultée. Et

2 lorsque le garde m'a dit -- ma fille, à ce moment-là je lui ai dit, "que

3 mon fils va de te maudire," et Jenki est arrivé, en demandant, "que se

4 passe-t-il ici ?" Il lui a dit, "mais tu as répondu comme il fallait."

5 Q. Vous dites que vous devez -- deviez laver les pieds de Jenki. Est-ce

6 qu'il avait un problème ? Est-ce qu'il y avait un problème sur le plan

7 médical ?

8 R. Non. Pas du tout. Parce qu'il voulait simplement se faire rafraîchir

9 les pieds.

10 Q. Et combien de fois deviez-vous lui laver les pieds ?

11 R. Et bien, je n'étais pas la seule qui devait faire cela. Sija Zepco

12 était là, Nesiba, Saha, Berbic et donc je ne peux pas tout faire toute

13 seule.

14 Q. Et ces personnes dont vous venez d'évoquer le nom, s'agit-il de femmes

15 qui devaient également accomplir un certain nombre de travaux au camp ?

16 R. Oui.

17 Q. Vous avez évoqué Sija, Nesiba et Saha lorsque vous avez quitté le

18 camp, ces femmes étaient-elles toujours-là ? A la fin ?

19 R. Oui.

20 Q. Les avez-vous jamais revues ? Savez-vous ou est-ce que ces femmes sont

21 toujours en vie ?

22 R. Non.

23 Q. Et dans le camp ?

24 R. Et bien, j'ai entendu dire parce que je ne les ai pas vues, qu'elles

25 ont été envoyées à Pelemis et tuées.

Page 242

1 Q. Lorsque vous dites "Pelemis", savez-vous ce qu'il y avait à Pelemis ?

2 R. Non, je ne sais pas.

3 Q. Vous avez expliqué -- je vais vous poser une autre question. Vous avez

4 évoqué une blessure, Jenki vous a infligé une blessure avec la crosse de

5 son fusil et est-ce que vous souffrez toujours de cette blessure ? Est-ce

6 que c'est douloureux encore ?

7 R. Oui, je suis incapable d'utiliser ce bras. Je peux vous le montrer et

8 je dois justement avoir une radio du bras bientôt.

9 Q. On n'a pas besoin que vous nous montrez le bras, simplement s'agit-il

10 en fait du coude du droit ou gauche. Pouvez-vous expliquer comment on vous

11 a infligé cette blessure ?

12 R. Et bien il s'agit du bras droit, le coude droit, celui-là, c'est comme

13 s'il y avait un trou à l'intérieur, cela me fait mal. Et je ne peux pas

14 prendre un bain toute seule. Je dois vous dire tout simplement que cela me

15 fait très mal.

16 Q. Hormis votre bras, avez-vous eu d'autres problèmes de santé après avoir

17 quitté le camp de Susica et problèmes de santé que vous estimez être dus à

18 votre temps de détention dans ce camp ?

19 R. Après mon départ du camp, j'avais un taux de cholestérol assez élevé

20 dans le sang et ceci est devenu beaucoup plus grave par la suite. J'ai

21 également des problèmes cardiaques, j'ai une angine de poitrine en fait, et

22 j'ai un certain nombre de -- mon dossier médical peut confirmer cela.

23 Maintenant que mes enfants ne sont plus là.

24 Q. Lorsque vous dites que vos enfants ne sont plus là, lorsque vous avez

25 quitté le camp, votre fils était-il encore dans le camp ? Votre fils Enis

Page 243

1 et Bernis étaient-ils encore dans le camp ?

2 R. Oui.

3 Q. Avez-vous jamais revu un de vos deux fils ?

4 R. Non, non. Lorsqu'on m'a envoyé à Merce -- on nous a envoyés comme

5 messagers à Cerska. Nous étions 14 et je me suis précipitée pour essayer de

6 retrouver mes enfants, pour voir comment ils allaient, mais je n'ai pas vu

7 mes enfants.

8 Q. Pensez-vous que vos fils sont en vie. Et s'ils sont en vie, est-ce

9 qu'ils sont entrés en contact avec vous ?

10 R. Non, ils ne sont pas en vie. Jenki doit certainement savoir dans quelle

11 fosse commune se trouvent mes fils, de façon à ce que leur mère puisse les

12 enterrer de façon décente, et de façon à ce que leur mère sache où sont ses

13 fils. Mais je ne l'ai jamais su, ils ont retiré leurs cartes d'identités.

14 Et rien ne me permet de prouver leur identité, je ne sais pas où ils sont,

15 et c'est le seul à savoir où ils sont, et je souhaite lui poser la

16 question, je souhaite lui demander s'il le sait. S'il le sait, qu'il puisse

17 nous dire, s'il vous plaît.

18 Q. Madame Hadzic, je souhaite vous poser d'abord deux questions. Vous

19 étiez -- je sais que ceci est très troublant pour vous, vous étiez dans ce

20 camp ?

21 R. Qu'est-ce que je peux faire ?

22 M. SMITH : [interprétation] Est-ce que je peux simplement avoir encore

23 quelques minutes pour terminer et poser la dernière question à ce témoin.

24 Q. Vous avez précisé que vous avez été détenue dans ce camp pendant deux

25 mois. Vous dites que les conditions étaient terribles la nuit pour dormir.

Page 244

1 Vous ne pouviez pas vous laver, prendre une douche, vous n'étiez pas

2 propre, la nourriture était épouvantable, on vous obligeait à --

3 R. Oui, oui.

4 Q. Permettez-moi de terminer ma question, s'il vous plaît. On vous a

5 battue, vous avez vu que d'autres personnes étaient passées à tabac,

6 comment avez-vous ressenti cela lorsque vous deviez rester dans le camp ?

7 R. Ce que je voyais, et bien les gens partaient et revenaient recouverts

8 de coups et Popic [phon] et Mujkic les faisaient sortir et je n'ai pas vu

9 qui étaient ces gens, mais j'ai entendu trois coups de fusil et l'hangar

10 était fermé. Et le matin, lorsqu'ils nous ont mis en rang devant les

11 toilettes, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre et Muharem -- je le

12 connais parce que c'est le frère de mon ami et ses fils étaient là

13 également et mes enfants murmuraient à l'oreille "Muharem est là."

14 Il y avait un petit camion TAM et ils étaient morts et leurs corps étaient

15 dans ce camion, et où ils sont allés, je ne sais pas.

16 Q. Ecoutez, j'ai encore quelques questions à vous poser s'il vous plaît.

17 Je vous demande de bien entendre la fin de ma question. Comment -- quel

18 était l'atmosphère dans ce hangar étant donné toutes les conditions que

19 vous nous avez décrites. Est-ce que vous avez souffert lorsque vous étiez

20 dans ce hangar et qu'est-ce que vous avez ressenti et éprouvé ? Qu'est-ce

21 que vous éprouviez lorsque vous deviez passer la nuit dans ce camp, et

22 qu'est-ce que vous éprouviez au cours de la journée ?

23 R. Et bien, ce que j'éprouvais et bien l'odeur était absolument

24 épouvantable, et il fallait supporter cette odeur. Le matin et le soir, les

25 gens allaient aux toilettes, il y avait des sceaux près de la porte et la

Page 245

1 nourriture était mauvaise, et était souvent avariée, c'était épouvantable.

2 Q. Et je souhaite vous poser la question et aujourd'hui cela fait 11 ans

3 que vous étiez dans ce camp. Vous avez vu énormément de choses, vous avez

4 vécu un certain nombre de choses, est-ce que cela vous a, sur le plan

5 psychologique, affectée ? Est-ce que vous pensez pouvoir vivre votre vie

6 normalement ou est-ce que vous êtes encore marquée par ce qui vous est

7 arrivé dans ce camp ?

8 R. Comment cela me touche ? Et bien il y a encore deux blessures très

9 importantes : la tristesse et la douleur lorsque j'étais dans ce camp. Mes

10 enfants innocents, ils ont perdu la vie, ils étaient innocents. Je ne me

11 souviens pas. Dragan Nikolic et son surnom était Jenki. Il les a simplement

12 tués parce que c'étaient des Musulmans.

13 C'est cela que j'ai à dire et je ne peux pas -- je ne peux dire rien

14 d'autre.

15 Q. Une dernière question, souhaitez-vous dire quelque chose aux Juges sur

16 la manière dont votre détention au camp de Susica vous a marquée ? Sinon,

17 j'en ai terminé --

18 R. Tout m'a marqué et si je devais vous dire tout ce qui m'a marqué, je

19 suis maintenant une femme malade, j'ai une pression artérielle forte, j'ai

20 un cœur faible et j'ai les pieds ankylosés simplement en étant assis ici.

21 Je n'ai plus rien à espérer. Et je suis en tant que mère, je ne peux plus

22 supporter ceci longtemps. Je vais mourir de tristesse. Mon mari est

23 également malade et il pleure souvent. Il se -- cache ses larmes devant

24 moi, mais que pouvons-nous faire ? Je souhaite simplement demander à Dragan

25 où se trouvent mes enfants, dans quelle fosse commune, de façon à ce que

Page 246

1 leur mère puisse leur donner un enterrement décent et ensuite je pourrais

2 disparaître moi-même. C'est tout ce que j'ai à dire.

3 Q. Je vous remercie beaucoup, Madame Hadzic, d'être venue aujourd'hui. Ça

4 a été très difficile pour vous, je le sais.

5 M. SMITH : [aucune interprétation]

6 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

7 M. LE JUGE SCHOMBURG : [aucune interprétation]

8 M. MORRISON : [interprétation] Je ne veux pas ajouter au désarroi du

9 témoin, mais je souhaite peut-être qu'elle se reprenne un petit peu --

10 qu'elle puisse se reprendre avant que je ne lui pose des questions.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Oui, je pense qu'il serait bien de

12 prendre une pause de cinq minutes, ce qui vous permettrait de contacter

13 votre client, à savoir s'il souhaite répondre à la question posée par le

14 témoin.

15 Merci.

16 --- L'audience est suspendue à 11 heures 10.

17 --- L'audience est reprise à 11 heures 15.

18 L'INTERPRÈTE : Il ne s'agit pas de pression artérielle, mais de diabète.

19 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Maître Morrison, vous avez la

20 parole.

21 M. MORRISON : [aucune interprétation]

22 Questions de la Défense, M. Morrison :

23 Q. [interprétation] Je souhaite simplement vous poser quelques questions

24 qui portent sur un certain nombre d'incidents qui ont eu lieu dans le camp.

25 Et je souhaite que vous réagissiez aux noms que je vais prononcer, et

Page 247

1 pardonnez-moi si je prononce mal ces noms. Vous souvenez-vous de Kraljevic

2 Mico ?

3 R. Mico Kraljevic. Oui. Il avait une unité -- il commandait une unité

4 spéciale à Rogosija.

5 Q. Et c'est la personne qui venait de temps en temps au camp pendant que

6 vous y étiez, n'est-ce pas ?

7 R. Oui.

8 Q. Et vous avez compris, d'après Dragan Nikolic, qu'il s'agissait du

9 supérieur hiérarchique, du commandant de Dragan Nikolic. Est-ce que c'est

10 Dragan Nikolic qui vous l'avait dit ?

11 R. Et bien, ils collaboraient, ils étaient souvent ensemble. Ils

12 mangeaient du mouton grillé et Kraljevic venait. Et la musique était très

13 forte. Il venait avec les membres de l'unité spéciale. Et nous étions dans

14 le hangar tous serrés. C'est ainsi que les choses se passaient.

15 Q. Non, en réponse à votre question, il s'agit simplement de quelque

16 chose, je répète quelque chose qui était dans l'acte d'accusation. Dragan

17 devait exécuter les ordres de Mico.

18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Simplement pour les besoins du

19 compte rendu d'audience, est-ce que je peux demander au conseil de la

20 Défense --

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Et bien, ils travaillaient ensemble. Ils

22 coopéraient. Néanmoins, Dragan avait toujours le dernier mot.

23 M. MORRISON : [interprétation] Page 3, à la page 3, Monsieur le Président,

24 troisième paragraphe depuis le haut. Nous avons les quatre derniers

25 chiffres ici du numéro ERN 1494. Il s'agit de la première déclaration.

Page 248

1 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Il s'agit de la première

2 déclaration.

3 M. MORRISON : [interprétation] Oui.

4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

5 M. MORRISON : [interprétation] Oui. Tout à fait.

6 Q. Vous avez également évoqué le nom de Basic, de quelqu'un portant ce

7 nom-là. Est-ce exact ? Veljko Basic ?

8 R. Oui, Veljko Basic. Auparavant c'était un policier et lorsque j'étais au

9 camp il devait assurer la garde du camp. Et lorsque Dragan m'a ordonné de

10 lui laver les assiettes, Veljko était assis prêt de moi à l'endroit où

11 Dragan se reposait habituellement et il faisait semblant de faire venir un

12 médecin pour ausculter les civils. Et il y avait une voiture qui était là

13 devant la fontaine et Elvis était assis là, Raco, qui avait perdu un frère

14 à Cerska. Et ensuite Veljko m'a demandé si j'avais vu qui avait emmené cet

15 homme. Parce que Pejac pris Nazif, Sikara derrière ce troisième bâtiment,

16 il a frappé une fois et il a dit, "Ah." Et la deuxième fois, "Ah." Et la

17 troisième fois, Elvis dans la grange. Veljko m'a demandé si j'avais vu

18 cela. J'avais regardé mais je n'ai pas osé dire oui. Et il m'aurait de

19 toute façon passé à tabac jusqu'à la tombée de la nuit. J'ai dit : "Non

20 Dragan, je n'ai rien vu j'étais simplement en train de laver les assiettes.

21 Pourquoi m'avez-vous demandé de regarder ? "Sa femme me l'a demandé, m'a

22 fait venir, m'a demandé si Nazif également avait été frappé." Et c'est ce

23 que Zeljko m'a dit plus tard.

24 Q. Vous avez également dit dans votre témoignage devant cette Chambre de

25 première instance que Veljko Basic a arrêté Jenki vous -- a empêché Jenki

Page 249

1 de vous donner de la nourriture qui avait été apportée pour le prisonnier.

2 S'agissait-il de nourriture qui avait été apporté au camp par un proche des

3 détenus ?

4 R. Oui. Et il les a empêchés de nous donner de la nourriture. Jenki disait

5 : "Attends qu'il parte et ensuite il prenait la nourriture lui-même." Ce

6 qui est vrai est vrai.

7 Q. Et une fois Basic parti, Jenki autorisait la distribution de ces vivres

8 aux prisonniers, n'est-ce pas ?

9 R. Oui. Oui.

10 Q. On peut donc en déduire que Veljko Basic, avait son mot à dire sur

11 certains des actes de Dragan Nikolic au camp, Veljko Basic.

12 R. C'est ce que j'ai entendu quand il dit ça. Moi, je ne le sais pas. Eux,

13 ils le savent.

14 Q. Vous souvenez-vous d'un certain Car, dont le nom s'épelle ainsi, C-a-

15 r ?

16 R. Oui. Oui. Je me souviens très bien. Je l'ai vu récemment à Vlasenica.

17 Les traits ont peu changé mais je connais ce Car. Je sais qu'il se déplace

18 librement là-bas. J'y suis allé pour une affaire ayant trait à la maison de

19 ma belle-mère, je suis allée au MUP là-bas. Quand je suis allée, il avait

20 les mains ensanglantées, il s'est tourné vers la maison de Sacir

21 Izetbegovic et il a dit : "Mais, alors là, je les ai bien massacrés là-bas

22 dans la cave." Je suis partie et Fikret a dit : "va voir Dragan Savcic",

23 "va voir Ljubisa pour qu'il me fasse sortir de là." Mais ça c'était avant

24 le camp.

25 Q. Oui. Mais maintenant que je voudrais que l'on parle d'un moment où ce

Page 250

1 Car est venu au camp. Au moment où Dragan Nikolic, alias Jenki allait

2 donner un oreiller à Fadil Huremovic.

3 R. Je me souviens bien. Je suis allée là-bas. Et j'ai trouvé un oreiller

4 et Car m'a ordonné "d'aller à la voiture." Et Dragan a dit, parce que cet

5 homme, il m'aurait emmenée pour me tuer, et il a dit : "que si un enfant a

6 besoin d'une couverture et d'un oreiller, qu'elle aille le prendre." Il m'a

7 sauvé parce que sinon Car m'aurait emmenée, m'aurait emmenée dans sa

8 voiture.

9 Q. Donc selon vous ce jour-là Jenki vous a sauvé la vie.

10 R. Oui.

11 Q. Et il a dit que selon lui un enfant avait le droit à un oreiller, à une

12 couverture.

13 R. Oui. Et Car a dit : "D'accord." Il a dit que j'allais le chercher et

14 j'ai emmené ça à Fadil et pas à l'enfant parce que Fadil était en très

15 mauvais état.

16 Q. Il y a quelques instants, on était en train de parler de Mico, et vous

17 avez fait référence à un médecin. Est-ce qu'il s'appelle Roncevic, ce

18 médecin ?

19 R. Oui. Oui.

20 Q. Il est arrivé que ce médecin vienne au camp, n'est-ce pas ?

21 R. Je ne l'ai vu qu'une fois. Je ne sais pas s'il est venu plus souvent.

22 Veljko Basic était là, il était en train de fouiller des civils, qui

23 étaient là aussi.

24 Q. Dans votre déclaration, vous dites que les prisonniers allaient à la

25 maison de Jenki, c'est ce que -- c'est ainsi que vous l'avez désigné et que

Page 251

1 Roncevic, le médecin, les examinait à cet endroit-là ? C'est ainsi que les

2 choses se passaient d'après vous.

3 R. Oui.

4 Q. Et comme vous le dites d'après juste titre cependant si vous étiez

5 enfermé constamment dans le hangar, et il vous était difficile de dire avec

6 quelles fréquences le médecin ou qui que ce soient d'autres venaient au

7 camp, n'est-ce pas ? Est-ce que c'est juste de dire ce que je viens de

8 dire.

9 R. Je l'ai vu ce jour-là quand je faisais la vaisselle après ce repas. Je

10 ne l'ai pas revu.

11 Q. Mais vous conviendrez que, si vous êtes restée dans le hangar très

12 longtemps, vous n'étiez pas en mesure de dire avec quelle fréquence les --

13 tel ou tel venait au camp puisque vous ne pouviez pas les voir, ces gens.

14 Est-ce qu'on peut dire cela, n'est-ce pas ?

15 R. Mais on entendait dire des choses. Par exemple, le soir, une

16 fourgonnette blanche venait chercher des gens, on faisait monter des gens à

17 bord, on entendait donner des ordres, "Enlève ceci. Enlève cela. Prends ce

18 couteau. Jette ça par terre." On entendait les soldats parler.

19 Il y avait une fourgonnette blanche dont ils se servaient quand l'un des

20 leurs s'était fait tuer. A ce moment-là, ils ont emmené une fourgonnette

21 entière de prisonniers, ils les emmenaient et jamais plus on entendait

22 parler d'eux ensuite.

23 Q. Vous souvenez-vous d'un jour au moins où Dragan Nikolic a ordonné qu'on

24 donne du lait aux enfants détenus au camp ?

25 R. Oui. Souvent, il prenait du lait chez le voisin, Ahmad [phon], pour le

Page 252

1 distribuer. Avant Dragan, il y avait un autre homme qui avait une cicatrice

2 à la joue après avoir été blessé par un coup de couteau. C'était le

3 prédécesseur de Jenki.

4 Q. Merci, Madame. Je n'ai plus de questions à vous poser.

5 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je repose la même question que tout

6 à l'heure. Est-ce que votre client est prêt à répondre à l'appel désespéré

7 qui lui a été lancé par le témoin.

8 M. MORRISON : [interprétation] Monsieur le Président, il y a des éléments

9 nouveaux à ce sujet, mais le mieux peut-être serait que, vues les

10 circonstances, on passe à huis clos partiel pour répondre à votre question.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Huis clos partiel.

13 [Audience à huis clos partiel]

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14 (expurgé)

15 [Audience publique]

16 M. MORRISON : [interprétation] Je vous remercie de votre patience, Monsieur

17 le Président

18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je souhaite, cependant, vous dire

19 que nous sommes en audience publique de nouveau.

20 M. MORRISON : [interprétation] Oui, je vois. Je ne pense pas que ceci va me

21 poser des problèmes quels qu'ils soient.

22 Suite à l'échange que je viens d'avoir avec Dragan Nikolic, et uniquement

23 ici, il renonce à son droit de confidentialité s'agissant de ses

24 communications avec son Conseil de la Défense, uniquement pour cette

25 conversation. Et il m'a dit qu'il est prêt à essayer de répondre à la

Page 254

1 question qui a été posée, aussi directement que possible, question posée

2 par le témoin à charge maintenant. Mais comment procéder, ça c'est une

3 autre question.

4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Nous sommes prêts à donner la

5 parole à votre client, s'il le souhaite.

6 M. MORRISON : [interprétation] Le mieux, parce que nous ne sommes pas ici

7 dans le cadre d'une déposition, le mieux serait de procéder de la manière

8 suivante : En tant qu'avocat, je suis le porte-parole de mon client. Pour

9 moi, la jurisprudence ne met aucun obstacle à ce que, pour cette question

10 et pour cette question seule, l'accusé et moi-même jouent [sic] un rôle

11 double ici. En d'autres termes, je reçois les instructions qu'il me donne

12 ouvertement et c'est lui qui répond. Donc on va faire comme s'il m'avait

13 donné ses instructions avant d'entrer dans le prétoire et ensuite on pourra

14 poser la question, s'agissant de ces instructions, comme cela se fait

15 d'ordinaire.

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] L'Accusation, je pense, sera

17 d'accord pour dire que c'est toujours le droit de votre client de faire une

18 déclaration, s'il le souhaite.

19 M. MORRISON : [interprétation] Je ne vois pas d'objection.

20 Je vais donc m'adresser directement à l'accusé. Monsieur Nikolic, vous avez

21 entendu la demande qui a été faite par le témoin, qui souhaite savoir où se

22 trouvent les corps de ses fils. C'est bien exact, n'est-ce pas ?

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est une question que vous me posez ?

24 M. MORRISON : [interprétation] Je vous demande si vous avez entendu la

25 demande formulée par le témoin à charge. Vous avez entendu, vous avez

Page 255

1 compris la demande qu'elle vous a faite, n'est-ce pas ?

2 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui.

3 M. MORRISON : [interprétation] Est-ce que, du fait des informations dont

4 vous disposez, vous pouvez répondre à sa question, s'agissant de l'endroit

5 où se trouvent ces corps ?

6 L'ACCUSÉ : [aucune interprétation]

7 M. MORRISON : [interprétation] Et si j'ai bien compris, vous avez déjà

8 indiqué au bureau du Procureur quel était cet élément ?

9 L'ACCUSÉ : [aucune interprétation]

10 M. MORRISON : [interprétation] Et si ce témoin le souhaite, vous pouvez lui

11 donner cette information maintenant, de l'endroit où vous êtes assis ?

12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui.

13 M. MORRISON : [interprétation] Pouvez-vous, s'il vous plaît, vous exécuter.

14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Déjà précédemment, j'ai exprimé le désir de

15 rencontrer un certain nombre de personnes dont des victimes et des gens

16 comme Mme Hadzic afin de leur donner certaines des informations dont je

17 dispose, et pour leur dire ce que je sais. Il y a certaines choses dont

18 j'ai seulement entendu parler, il y en a d'autres que je sais avec

19 certitude. S'agissant de ses fils, d'après ce que j'ai entendu dire, parce

20 que je n'étais pas là lorsque ça s'est passé le 30 septembre, je crois,

21 avec un groupe d'une quarantaine de personnes, on les a emmenés à Debelo

22 Brdo et on les a liquidés.

23 Sur ce groupe, je me souviens et je peux le dire parce que je connais cette

24 dame et ses fils et je me souviens de ce groupe de gens -- je me souviens

25 que dans ce groupe il y avait essentiellement des gens qui avaient

Page 256

1 précédemment dit qu'ils voulaient rester à Vlasenica. La plupart étaient

2 des habitants de l'endroit de Vlasenica, des gens que je connaissais,

3 certains étaient mes amis, c'est pourquoi je me souviens d'eux. Et c'est

4 dans ce groupe de gens qu'Enis et Bernis, les fils de cette dame, se

5 trouvaient, je les connaissais bien. Et d'après ce que j'ai entendu dire,

6 ils ont été liquidés sur ce site. Je ne sais où on est l'exhumation -- où

7 elles en sont les exhumations. Plus tôt et comme l'a dit cette dame, on

8 leur a pris tous leurs papiers d'identités. J'ignore si on a trouvé quoi

9 que ce soit avec les corps, peut-être des habits. Si je me souviens bien de

10 leurs fils, l'un deux portait une veste en jeans et des pantalons en jeans.

11 Et s'il y a une exhumation, il est possible qu'on parviendra à reconnaître

12 son cadavre à partir de ces vêtements. Et s'il y a une exhumation à cet

13 endroit, je pense que c'est là qu'on va peut-être trouver ses fils.

14 Je voulais déjà le dire à cette dame, mais les circonstances ne s'y

15 prêtaient pas. Je voulais lui parler précédemment, j'avais déjà voulu lui

16 parler parce que je savais qu'elle souhaitait ardemment connaître le destin

17 de ses fils comme d'autres personnes souhaitaient savoir ce qu'il était

18 advenu des membres de leurs familles. Il est indéniable, il est absolument

19 certain que cela s'est passé le jour que j'ai dit, cette nuit qu'on les a

20 emmenés dans ce groupe d'une quarantaine de personne à Debelo Brdo. Il y a

21 eu plus tard des rumeurs ou des histoires qui ont circulé au sujet de gens

22 qu'on aurait emmené ailleurs sur d'autres sites. Mais plus tard, j'ai

23 découvert que ces histoires n'étaient pas vraies, que tous ces gens ont été

24 emmenés à Debelo Brdo et je peux affirmer avec un grand degré de certitude

25 que c'est là que l'on devrait normalement retrouver leurs corps et ainsi

Page 257

1 que les corps de cette quarantaine d'autres personnes.

2 M. MORISSON : [interprétation] Merci.

3 Voici la totalité je crois, Monsieur le Président, des informations dont

4 dispose l'accusé.

5 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Vous en avez terminé de

6 votre contre-interrogatoire. Y a-t-il des questions complètement

7 inévitables à poser au témoin maintenant, Monsieur le Procureur, ou est-ce

8 qu'on peut interrompre tout de suite le contre-inter -- la déposition des

9 témoins. Je pense que ça serait préférable.

10 M. SMITH : [interprétation] Deux ou trois questions qui me prendront deux

11 minutes pour faire la lumière sur un certain nombre de points suite à ce

12 qui a été posé comme questions par la Défense.

13 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Veuillez s'il vous plaît tenir

14 compte de l'état dans lequel se trouve le témoin. C'est pourquoi j'ai tenu

15 à vous demander si vous avez des questions inévitables ?

16 M. SMITH : [interprétation] Je vous entends bien, Monsieur le Président. Je

17 vais m'entretenir avec M. Yapa de la question.

18 [Le Conseil de l'Accusation se concerte]

19 [La Chambre de première instance se concerte]

20 M. SMITH : [interprétation] Monsieur le Président, merci. Vu l'état du

21 témoin et les sentiments que vous avez exprimés, je vais demander qu'on

22 procède de la sorte, ça permettra peut-être de faire la lumière sur les

23 questions que je souhaitais lui poser. Peut-être pourrait-on verser au

24 dossier la déclaration de Mme Hadzic de façon que les questions posées par

25 le Conseil de la Défense au sujet de la position du commandant de l'accusé

Page 258

1 ainsi que l'influence de Radko Kraljevic [sic] sur le camp et son influence

2 -- Mico Kraljevic sur l'accusé puisse être placé dans le contexte

3 approprié.

4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Objections de la part de la

5 Défense ?

6 M. MORISSON : [interprétation] Je peux simplement vous faire part de ma

7 réaction si ceci se passait dans mon système. C'est-à-dire que l'intérêt de

8 faire venir un témoin, c'est justement d'éviter de verser au dossier des

9 déclarations préalables. Je ne veux pas ici faire preuve d'obstruction,

10 mais s'il doit en être ainsi, si c'est de cette manière que l'on va

11 procéder, je ne vois pas bien pourquoi on a fait venir ce témoin pour

12 témoigner ici dans le prétoire.

13 M. SMITH : [interprétation] Puis-je répondre en quelques mots pour en

14 terminer de cette question. Je souhaiterais simplement demander le

15 versement au dossier de la partie de la déclaration dans laquelle il est

16 question de Mico Kraljevic ainsi que de l'influence qu'il avait sur M.

17 Nikolic. Je pourrais le faire en donnant lecture de la partie de la

18 déclaration du témoin qui concerne cet élément ?

19 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Si vous insistez, je crois que vous

20 faites référence à la page 3, sachez que nous savons très bien que le

21 Conseil de la Défense n'a pas cité le passage in extenso de la déclaration.

22 Est-ce que c'est cette partie de la déclaration à laquelle vous faites

23 référence ?

24 M. SMITH : [interprétation] Oui, si vous en tenez compte, effectivement.

25 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Peut-être le mieux est de verser

Page 259

1 la totalité de la déclaration au dossier, ça serait demander au témoin si

2 cette phrase que l'on peut lire dans la déclaration, cette phrase est

3 correcte.

4 M. SMITH : [interprétation] Merci.

5 Nouvelles questions de l'Accusation, M. Smith :

6 Q. [interprétation] Une toute dernière question, Madame Hadzic. On vous a

7 interrogé au sujet de Mico Kraljevic et du fait que M. Nikolic, l'accusé

8 avait dit que Mico Kraljevic était son commandant. Est-ce que dans votre

9 déclaration au Procureur, vous avez dit qu'une fois, "l'accusé Jenki nous

10 disait je dois faire ce que Mico me dit de faire, c'est mon Dieu et moi je

11 suis votre Dieu;" Est-ce que c'est ce qu'il vous a dit un jour au camp ?

12 R. Oui.

13 Q. Merci.

14 M. SMITH : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser au

15 témoin.

16 [La Chambre de première instance se concerte]

17 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Personne d'autre ne demande la

18 parole, la possibilité de poser d'autres questions. Donc, je me tourne vers

19 vous, Madame Hadzic. Je sais que tout ceci était extrêmement difficile pour

20 vous et nous vous sommes infiniment reconnaissant d'être venue à La Haye

21 pour faire cette déposition importante. J'espère que vous en apprendrez

22 plus dans l'avenir sur ce qu'il est advenu des vôtres et sur l'endroit où

23 se trouvent les corps de ces êtres chers que vous avez perdus.

24 Merci d'être venue déposer ici.

25 Je vais demander à l'Huissier de bien vouloir accompagner le témoin.

Page 260

1 [Le Témoin se retire]

2 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je demande à l'Accusation quel est

3 le temps que vous pensez que va prendre la déposition du témoin suivant, et

4 s'il vous plaît, n'oubliez pas que nous devons terminer aujourd'hui à 13

5 heures 30.

6 M. YAPA : [interprétation] Monsieur le Président, j'estime que nous allons

7 procéder à une déposition d'environ une demi-heure.

8 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

9 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Bonjour. Ce n'est pas par manque de

10 politesse que nous n'allons pas vous appeler par votre nom. L'Accusation a

11 demandé que votre identité ne soit pas dévoilée. Nous allons donc vous

12 accorder un pseudonyme, à savoir SU-202. Ceci est pour vous protéger.

13 S'il vous plaît, donnez lecture de la déclaration solennelle.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

15 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

16 LE TÉMOIN : TÉMOIN SU-202 [Assermenté]

17 [Le témoin répond par l'interprète]

18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Veuillez vous asseoir, Monsieur le

19 Témoin.

20 Je passe la parole à M. Yapa. Et, Monsieur Yapa, je vous demanderai de

21 continuer maintenant avec l'interrogatoire -- de procéder à

22 l'interrogatoire jusqu'à 12 heures 20.

23 M. YAPA : [interprétation] Je souhaite d'abord que l'on donne un papier au

24 témoin.

25 Questions de l'Accusation, M. Yapa :

Page 261

1 Q. [interprétation] Monsieur le Témoin, je vous ai donné un bout de papier

2 sur lequel se trouve votre nom. Ne le dites pas à haute voix, mais tout

3 simplement dites à la Chambre qu'il s'agisse là bien de votre nom.

4 R. C'est exact.

5 Q. Donc nous allons vous appeler Témoin 202. Moi ainsi que d'autres

6 personnes qui vont vous poser des questions, nous allons vous appeler le

7 Témoin 202. L'avez-vous compris ?

8 R. Oui.

9 M. YAPA : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

10 avant de commencer avec l'interrogatoire, je souhaite faire un certain

11 nombre de commentaires concernant la déposition de ce témoin.

12 La Chambre sera contente d'apprendre que, dans l'acte d'accusation à

13 laquelle l'accusé a exprimé -- auquel l'accusé a répondu coupable -- a

14 plaidé coupable, il y a différents chefs d'accusation, tels qu'assassinat,

15 torture, persécutions et violence sexuelle. Le témoin que nous avons ici à

16 la barre va témoigner concernant les chefs d'accusation 1, 2 et 4. Mais il

17 dispose de connaissances aussi relatives au chef d'accusation numéro 3.

18 Je dois aussi mentionner que sa déposition va être complémentaire à celle

19 que nous avons entendue de la part du premier témoin aujourd'hui. Ce témoin

20 a été détenu au camp et en tant que tel, il a été le témoin oculaire dans

21 un certain nombre d'incidents qui ont eu lieu. Ce témoin a passé presque un

22 mois au camp de détention --

23 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je demanderais à ne pas faire une

24 anticipation quant au témoignage de ce témoin. Procédez plutôt à des

25 questions directrices.

Page 262

1 M. YAPA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, j'ai essayé tout

2 simplement de gagner du temps.

3 Q. Monsieur le Témoin 202, pourriez-vous dire aux Juges où vous habitez ?

4 R. A Vlasenica. Actuellement, j'habite à(expurgé), mais je suis originaire de

5 Vlasenica.

6 Q. Vous avez mentionné Vlasenica et vous avez dit qu'actuellement vous

7 habitez à(expurgé). Est-ce qu'à un moment donné de votre vie vous avez habité

8 à Vlasenica ?

9 R. Toute mon enfance et jusqu'en 1992.

10 Q. En 1992, vous avez quitté Vlasenica. Est-ce exact ?

11 R. Oui.

12 Q. Est-ce que vous avez été forcé à le faire ou bien vous êtes parti de

13 votre plein gré ?

14 R. C'était par force.

15 Q. Vous avez dit que vous étiez originaire de Vlasenica que vous y êtes

16 né.

17 R. Oui.

18 Q. Je souhaite vous poser des questions au sujet des événements qui ont eu

19 lieu à Vlasenica en 1992.

20 R. J'ai compris.

21 Q. Quelque part au courant de 1992, est-ce que vous avez dû vous installer

22 à un endroit qui s'appelait le camp de Susica ?

23 R. Oui.

24 Q. Ceci se passait en juin 1992.

25 R. Oui.

Page 263

1 Q. Vous souvenez-vous de la date exacte, du moment où vous avez été

2 transféré dans ce camp.

3 R. Le 2 juin 1992.

4 Q. Donc le 2 juin 1992, est-ce que vous y êtes allé tout seul ou on vous y

5 a emmené ?

6 R. On m'y a emmené.

7 Q. Pourriez-vous très brièvement nous donner les circonstances dans

8 lesquelles vous êtes parti dans ce camp ?

9 R. Ceci, ça s'est passé en 1992, le 2 juin. Deux soldats sont arrivés, et

10 ils m'ont emmené moi-même, ma femme et ma fille au camp de Susica. Mais ce

11 n'était pas uniquement nous qui sommes allés, c'était le cas de tous les

12 habitants de ma rue, ce jour-là, je l'entends.

13 Q. Quand vous parlez "de toutes les personnes de votre rue," ceci

14 concernait les personnes qui habitaient dans ou de l'autre côté de votre

15 rue.

16 R. J'entends par là un côté de ma rue, les personnes qui habitaient du

17 côté droit de la rue ont été emmenées au camp et ceux qui habitaient du

18 côté gauche n'ont pas été emmenés au camp. Je dois dire que tout le monde a

19 été emmené. Les enfants en bas âge et des personnes très âgées aussi.

20 Q. Merci. Y avait-il une raison particulière pour laquelle les personnes

21 qui habitaient du côté droit de la rue avaient été emmenées au camp ?

22 R. On disait que nous donnions à manger aux bérets vers. Ce qui avait un

23 bois par là-bas, et on nous accusait donc de leur donner à manger la nuit,

24 qu'ils viennent la nuit chercher de la nourriture dans nos maisons. Il

25 s'agit d'un bois qu'on appelle Visilac qui est là-bas du côté droit.

Page 264

1 Q. Quand vous dites "ils" vous avaient accusés. C'était "qui" les

2 personnes auxquelles vous vous référez ?

3 R. C'était des soldats serbes, les membres de l'armée serbe.

4 Q. Est-ce que les personnes qui habitaient de ce côté-là, de la rue

5 appartenaient à une -- un groupe ethnique particulier ?

6 R. C'étaient des Musulmans, des Bosniens. Et personne d'autres.

7 Q. Et qu'est-ce qu'on vous a dit au moment où on vous a demandé d'aller au

8 camp ?

9 R. On nous a dit, qu'il y avait une réunion, qui allait y avoir une

10 réunion.

11 Q. Est-ce qu'on vous y a emmené en autobus ou bien vous deviez y aller à

12 pied ?

13 R. On est allé à pied.

14 Q. Donc vous supposiez qu'il allait y avoir une réunion à l'endroit où

15 l'on vous a emmené.

16 R. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y allait avoir une réunion. Mais quand

17 j'ai vu dans la route qui mène à Susica qu'on y emmenait aussi des gens qui

18 ne pouvaient pas marcher dans -- on les emmenait en chaise roulante bien, à

19 ce moment-là, j'avais tout compris.

20 Q. Et auparavant, avez-vous posé des questions aux personnes qui vous y

21 ont emmenés ? Est-ce que vous leur avez demandé quelle était cette réunion

22 et qu'est-ce qui allait se passer ?

23 R. Oui. On nous -- J'ai posé des questions. Et on nous a dit que les

24 hommes allaient faire partie d'un échange, et que les Musulmans avaient

25 arrêté des leurs qui se trouvaient sur un stade à Tuzla et qu'on allait

Page 265

1 donc nous échanger. Mais rien de tel ne s'est jamais passé.

2 Q. Et quand on vous a emmené à l'endroit qui s'appelle Susica, qu'est-ce

3 qui s'est passé là-bas ?

4 R. On a pris nos papiers, les cartes d'identité, les permis de conduire,

5 les cartes grises. Et par la suite, on nous a fait entrer dans un hangar.

6 D'un côté on a placé les hommes, de l'autre côté les femmes et des enfants.

7 On a demandé à toutes les personnes qui avaient un objet contendant de se -

8 - ou aiguisé de le jeter.

9 Q. Combien de détenus y avait-il ?

10 R. Une cinquantaine de personnes. Il y avait des gens qui n'étaient pas de

11 Vlasenica, c'était des personnes qui habitaient les villages environnants

12 et qu'ils avaient capturés auparavant, ils les avaient emmené là-bas.

13 Q. Et vous étiez combien à arriver dans le même groupe ?

14 R. 150 en tout.

15 Q. Vous parlez donc de 150 personnes qui habitaient la rue dont vous nous

16 avez parlé. Est-ce exact ?

17 R. Oui.

18 Q. Donc en tout à ce moment-là, vous étiez 200 dans le hangar.

19 R. Oui.

20 Q. Vous avez parlé du hangar. Le connaissiez-vous ?

21 R. J'ai travaillé là-dessus. Ma -- je l'ai construit. J'ai -- mon

22 entreprise l'a construit. Il appartenait à la Défense territoriale et

23 personnellement j'y ai travaillé.

24 Q. Vous nous dites que votre entreprise a construit ce hangar. Est-ce que

25 -- vous nous dites que vous avez été employé par une entreprise en tant que

Page 266

1 -- pour travailler sur les chantiers ?

2 R. Oui.

3 Q. Et à quel moment ce hangar a-t-il été construit ?

4 R. Je ne peux pas vous dire, donner une date exacte mais je pense que

5 c'était quelque part vers 1988.

6 Q. Quand vous tous, vous avez été emmenés le camp et vous avez été séparés

7 les uns des autres, qu'est-ce qui s'est passé après ? Est-ce qu'on vous a

8 donné de la nourriture ?

9 R. Non. Personne ne nous a rien donné. Ce n'était que le lendemain qu'ils

10 avaient apporté de la nourriture mais il s'agissait de la nourriture qui

11 était mauvaise. C'étaient des restes de leurs soldats. Ce que les soldats

12 avaient mangé au front et c'était le reste. Et au moment où s'est arrivé

13 chez-nous la nourriture était déjà mauvaise. On ne pouvait pas la manger.

14 Q. Que s'est-il passé le 2 juin, quand vous avez été interné au camp ?

15 C'était vers quelles heures ?

16 R. Vers 3 heures de l'après-midi.

17 Q. Et à quelles heures on vous a donné à manger le lendemain ?

18 R. Vers 10 heures, le lendemain.

19 Q. Est-ce que cela valait aussi pour les enfants, les vieilles femmes et

20 les vieillards ?

21 R. C'était valable pour tout le monde.

22 Q. Est-ce que pendant que vous attendiez vous étiez là, vous saviez qui

23 dirigeait le camp ?

24 R. Le premier jour quand nous y sommes arrivés, il y avait Veljko Basic.

25 Q. Donc, c'était Veljko Basic qui dirigeait tout cela ?

Page 267

1 R. C'était un policier à la retraite.

2 Q. Est-ce que par la suite, il y a quelqu'un d'autre qui était à la tête

3 du camp ?

4 R. Je pense que quelques trois jours plus tard, M. Dragan Nikolic était

5 arrivé.

6 Q. Vous parlez de Dragan Nikolic, est-ce que vous connaissiez cette

7 personne ?

8 R. Oui.

9 Q. Pourriez-vous dire à la Chambre comment le connaissiez-vous ?

10 R. Nous vivions dans la même ville, tous les deux nous y étions nés, nous

11 y avons grandi et on se croisait tous les jours. On vivait à deux endroits

12 de la ville différents [sic], à quelques deux kilomètres l'un de l'autre.

13 Q. Pourriez-vous dire donc que vous le connaissiez bien ?

14 R. Oui.

15 Q. Avez-vous eu un contact aussi avez sa famille ? Quel type du contact

16 aviez-vous ?

17 R. Mon père était quelqu'un qui faisait des -- enterait les -- fossoyeur

18 dans notre ville. Et je sais que j'avais aidé mon père à creuser la tombe

19 de son père, mais je ne me souviens plus de la date exacte. C'était avant

20 la guerre.

21 Q. C'était quelque chose que vous avez fait et que votre père avait fait.

22 Est-ce que pendant que vous étiez au camp Dragan Nikolic l'avait

23 mentionné ?

24 R. Oui.

25 Q. Pourriez-vous nous décrire cette occasion ?

Page 268

1 R. J'avais un surnom de (expurgé)et il m'a dit "(expurgé)tu n'auras pas de

2 privilèges, personne n'en aura, toi non plus."

3 M. YAPA : [interprétation]

4 Q. Qu'est-ce que vous pourriez nous dire du poste qu'occupait Dragan

5 Nikolic dans ce camp ?

6 R. Je pense, on dirait qu'entre le 5 juin, quand il est arrivé dans ce

7 camp jusqu'au 30 juin, le jour où je suis parti pour le camp de Batkovic,

8 moi je devais aller travailler tous les jours, je travaillais dans les

9 champs, j'aménageais les enclos pour les moutons. Donc, je ne pouvais pas

10 voir ce qui se passait au camp dans la journée, mais je suis arrivé à la

11 conclusion que Dragan était la personne qui dirigeait tout le camp. Je

12 n'avais plus vu Veljko Basic.

13 Q. Est-ce que Dragan Nikolic avait précisé quelle était sa position dans

14 le camp à quel moment que ce soit ?

15 R. Oui.

16 Q. Comment est-ce qu'il s'est décrit ?

17 R. Il a dit :

18 "Moi je suis maintenant le commandant ici." C'est ce que j'ai entendu de

19 mes propres oreilles.

20 Q. Je voudrais maintenant attirer votre attention sur un certain nombre

21 d'incidents qui avaient eu lieu pendant votre séjour au camp. Avez-vous

22 jamais vu ou entendu des meurtres, des assassinats qui auraient eu lieu

23 dans le camp ? Je vais être directe, je parle tout de suite des meurtres.

24 Avez-vous été témoin oculaire de la mort de Durmo Handzic ?

25 R. J'ai été témoin oculaire et j'ai creusé sa tombe. Et je l'ai même

Page 269

1 exhumé par la suite quand le Tribunal me l'avait demandé.

2 Q. J'ai donc lu le nom de Durmo Handzic, et Asim Zildzic, l'avait vu quand

3 il a été tué ?

4 R. Oui, c'était le même jour, le même soir. Il a été tué en même temps que

5 Durmo. Asim a vécu quelques 40 minutes après le passage à tabac, alors que

6 Durmo a survécu la nuit et il est décédé de la suite de ses blessures le

7 lendemain.

8 Q. En tant que témoin oculaire, d'après ce que vous avez pu voir, qui

9 était responsable de la mort de ces deux hommes, Durmo Handzic, et Asim

10 Zildzic ?

11 R. Il y avait là-bas Dragan, Tesic -- Goce qu'on appelait Goce, il y a

12 quelqu'un qu'on appelait Djuro qui travaillait dans une entreprise qui

13 s'appelle Finale. Il y avait d'autres soldats, ils les tabassaient, et on

14 les a remis au hangar après, ils étaient humides, mouillés parce qu'on

15 avait jeté les seaux d'eau sur eux dès qu'ils avaient perdu connaissance.

16 Q. Avez-vous vu Dragan Nikolic là-bas ?

17 R. Tout le monde était là. Il y avait là le poteau A, il y avait aussi un

18 tableau qui servait pour la protection contre les incendies. J'ai vu Dragan

19 là-bas, j'ai vu aussi les autres qui les avaient tabassés avec des pièces -

20 - des outils de champ.

21 Q. Il y a aussi d'autres noms, tels que Muharem Kolarevic, il --R.

22 Kolarevic.

23 Q. Kolarevic ?

24 R. Muharem Kolarevic.

25 Q. -- y avait Saric, il y avait Ismet Zekic.

Page 270

1 R. Oui.

2 Q. Vous avez qu'on avait tué ces personnes ?

3 R. [aucune interprétation]

4 Q. Est-ce que quelqu'un vous a donné les instructions, vous a dit

5 d'enterrer leurs corps ?

6 R. Oui.

7 Q. Et qui vous a donné ces ordres ?

8 R. M. Nikolic.

9 Q. Et quant à Durmo et Asim, c'est aussi l'accusé Dragan Nikolic qui vous

10 a donné cet ordre de les enterrer ?

11 R. Oui. Il a aussi fait venir un camion de pompe funèbre.

12 Q. Et qui d'autre vous a aidé à enterrer ces personnes ?

13 R. Il y avait mon frère et puis d'autres personnes.

14 Q. Comment s'appelle votre frère ?

15 [Le Conseil de l'Accusation se concertent]

16 M. YAPA : Ne répondez pas à cette question, mais en tout cas c'est votre

17 frère qui vous a aidé.

18 Q. Il y a eu un autre incident. Avez-vous une personne qui s'appelait

19 Fikret Arno, est-ce que Dragan Nikolic s'est occupé de cette personne ?

20 Est-ce que vous l'avez vu ?

21 R. Oui.

22 Q. Pourriez-vous nous décrire cet incident?

23 R. Ce jour-là, j'ai vu qu'il l'avait obligé à se mettre à genoux et en lui

24 disant "Tu avais voulu violer ma mère," et il lui mettait le couteau d'une

25 baïonnette dans sa bouche. Et cet homme avait le sang qui coulait de sa

Page 271

1 bouche. Personne parmi les prisonniers n'a été autorisé à s'approcher pour

2 lui donner de l'eau. J'ai vu ça de mes propres yeux. Et ils l'avaient donc

3 tabassé.

4 Q. Quant aux détenus du camp, est-ce que, d'après vous, il s'agissait

5 uniquement des non-Serbes ?

6 R. Oui, tout à fait.

7 Q. Et pendant que vous étiez là, est-ce qu'il y a des personnes qui sont

8 sorties du camp ?

9 R. Je n'ai pas compris votre question.

10 Q. Une fois que vous avez été détenu dans ce camp, est-ce qu'il y a des

11 gens qui ont été sortis du camp ?

12 R. Ceci est arrivé plus tard. Il y a des personnes qui ont été emmenées et

13 qui ne sont plus jamais revenues. Il s'agit des personnes qui, à ma

14 connaissance, ne sont plus en vie.

15 Q. Quand vous avez été interné dans le camp, vous y êtes allé avec votre

16 femme et votre fille ?

17 R. Oui.

18 Q. Elles ont quitté le camp deux à trois jours après que vous y êtes

19 entrés. Par la suite, d'autres femmes avaient été emmenées dans le camp ?

20 R. Oui.

21 Q. Avez-vous vu, avez-vous entendu parler des incidents relatifs aux

22 femmes qui se trouvaient dans le camp ?

23 R. Je connais deux ou trois incidents. Il s'agissait des femmes plutôt

24 jeunes que l'en emmenaient le soir et qu'en ramènes le lendemain matin. Je

25 ne sais pas exactement où on les avait emmenées et qu'est-ce qu'elles

Page 272

1 avaient fait. C'est quelque chose que je ne peux pas savoir. Mais elles

2 rentraient le lendemain et elles étaient tristes et en détresse. La seule

3 chose que je peux dire, c'est qu'on les avait sorties -- fait sortir le

4 soir pour les remmener le lendemain, le lendemain matin.

5 Q. Le 30 juin, quand vous avez quitté le camp, est-ce que Dragan Nikolic

6 était à la tête du camp ?

7 R. Oui.

8 Q. Et pendant la période que vous vous trouviez -- que vous étiez là-bas,

9 avez-vous eu suffisamment de nourriture ?

10 R. Non. Je ne pouvais pas -- je ne mangeais pas quand -- je recevais de la

11 nourriture là, où on m'a envoyé travailler.

12 Q. Quand vous dites que vous n'avez pas mangé la nourriture qui vous avait

13 -- qu'on vous donnait dans le camp, pourquoi ne -- vous ne la mangiez pas ?

14 R. Parce que c'était quelque chose qu'on ne pouvait pas manger, c'était

15 mauvais.

16 Q. Dans quelles conditions vous dormiez au camp ?

17 R. Il s'agissait d'un hangar, quelques 50 mètres fois 15. Le sol était

18 tout simplement du béton. C'était tout ça et rien d'autre que du ciment.

19 Q. Est-ce qu'à une occasion donnée, Dragan Nikolic rentrait dans le camp

20 et utilisait une arme à feu ?

21 R. Oui, il a commencé à tirer dans les murs quand les Bérets verts

22 attaquaient le camp. Et il a donc terminé toute la munition qu'il avait en

23 tirant dans le mur. Et nous sommes tous allongés par terre. Et après, il

24 est sorti.

25 Q. Avait-il l'habitude d'entrer dans le hangar pendant la nuit, et ça de

Page 273

1 façon régulière ?

2 R. Oui, assez souvent. C'était en général pendant la journée.

3 [Le Conseil de l'Accusation se concerte]

4 M. YAPA : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Messieurs les

5 Juges, j'en ai terminé avec les questions que je souhaitais poser au

6 témoin. Il y a juste un autre point que je souhaite aborder, le surnom a

7 été évoqué ainsi que le nom du lieu et ceci je souhaiterais expurger --

8 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Ce sera expurgé du compte rendu

9 d'audience.

10 M. YAPA : [interprétation] Merci.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] La Défense, avez-vous des

12 questions ?

13 M. MORRISON [interprétation] : Non, Monsieur le Président.

14 [La Chambre de première instance se concerte]

15 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Si tel n'est pas le cas, il n'y a

16 pas de questions non plus de la part des Juges.

17 Et nous souhaitons vous remercier pour votre témoignage précis et concis et

18 assez court. Nous vous remercions, Monsieur, d'être venu à La Haye pour

19 nous donner ces informations qui nous sont fort utiles.

20 LE TÉMOIN : Merci beaucoup.

21 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Nous allons poursuivre, et -- nous

22 allons suspendre l'audience pendant dix minutes, ce pour des raisons

23 techniques, de façon à pouvoir préparer la déformation de la voix et des

24 traits de visage pour le témoin suivant. Veuillez vous lever.

25 [Le témoin se retire]

Page 274

1 --- L'audience est levée à 12 heures 25.

2 --- L'audience est reprise à 12 heures 37.

3 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Bonjour, Madame le Témoin. Tout

4 d'abord, je souhaite vous présenter mes excuses pour vous dire simplement

5 "Madame le Témoin" c'est simplement pour

6 "SU-032." Il s'agit de mesures de protection qui ont été demandées par

7 l'Accusation. Et ce en vue de protéger votre identité. Il ne s'agit pas

8 d'un manque de courtoisie à votre égard.

9 Est-ce que vous m'entendez dans une langue que vous comprenez ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je vais vous demander de lire le

12 texte de la déclaration solennelle, s'il vous plaît.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirais la

14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

15 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'entendent pas le témoin.

16 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Vous pouvez vous asseoir.

17 Et je vais demander à Madame l'Huissier de vérifier si le microphone marche

18 correctement, s'il vous plaît.

19 LE TÉMOIN: TÉMOIN SU-032 [Assermenté]

20 [Le témoin répond par l'interprète]

21 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Nous allons donc réessayer.

22 Madame Sellers, vous avez la parole.

23 Mme SELLERS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame,

24 Messieurs les Juges. Bonjour.

25 Questions de l'Accusation, Mme Sellers :

Page 275

1 Q. [interprétation] Je souhaite demander au témoin de regarder un papier

2 qu'elle trouve -- ce qu'elle a sous les yeux. Je souhaite lui demander s'il

3 s'agit bien de votre nom, le nom qui figure en haut de ce papier.

4 R. Oui.

5 Q. Nous allons donc vous parlez de vous en tant que témoin 032.

6 Madame le Témoin, viviez-vous à Vlasenica en 1992 ?

7 R. Oui.

8 Q. Etes-vous Bosniennes ?

9 R. Oui.

10 Q. Pourriez-vous s'il vous plaît dire à la Chambre dans quelle

11 circonstance vous avez vécu au mois de juin et juillet 1992 ?

12 R. Bien sûr. Je vivais avec mon mari, mon fils à Vlasenica et j'ai

13 travaillé jusqu'au 8 juillet 1992, à Vlasenica.

14 Le 8 juillet 1992, des hommes que nous ne connaissions pas sont venus. Ils

15 portaient des chaussettes sur la tête, ils m'ont emmené moi-même, mon mari

16 et mon fils. Nous avions peur, nous ne savions pas où ils allaient nous

17 emmener. Je me suis rendu ou plutôt on nous a mis dans une camionnette et

18 on nous a emmené au camp de Susica. Ils nous ont sortis femmes et enfants,

19 et ils ont emmené les hommes dans une direction inconnue, mon mari se

20 trouvait parmi ces hommes.

21 Q. Avez-vous jamais revu votre mari depuis qu'il a été --qu'on l'a fait

22 descendre de cette camionnette ?

23 R. Je ne l'ai plus jamais revu, je n'ai plus -- je ne l'ai plus jamais

24 revu après cette nuit-là et je n'ai jamais découvert où il se trouvait.

25 Q. Avez-vous revu votre oncle depuis qu'il se trouvait dans la même

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1 camionnette avec votre mari ?

2 R. Non, je ne l'ai jamais revu. Et ils ont été emmenés ensemble dans une

3 direction qui m'était inconnue.

4 Q. Avant de vous rendre au camp de Susica, vous avez travaillé à un

5 endroit, pourriez-vous nous dire combien de Musulmans ont travaillé sur ce

6 même site que vous ?

7 R. [aucune interprétation]

8 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Nous n'entendons pas la traduction.

9 Veuillez réessayer s'il vous plaît.

10 Mme SELLERS : [interprétation]

11 Q. Pourriez-vous dire combien de Musulmans ont travaillé à ce même endroit

12 que vous avant la guerre ?

13 R. Vous entendez avant que les Musulmans ne soient enlevés ou emmenés en

14 dehors de Vlasenica.

15 Q. Oui, tout à fait.

16 R. 400 Musulmans travaillaient dans la même usine que moi, à où je

17 travaillais.

18 Q. ET lorsqu'on vous a emmené au camp de Susica, combien de Musulmans

19 travaillaient en même temps que vous dans cette usine ?

20 R. Je travaillais dans un bureau, il n'y avait que trois Musulmans qui

21 travaillaient avec moi.

22 Q. Je souhaite maintenant apporter à votre attention, sur ce camp lorsque

23 vous y êtes arrivée, ou vous a-t-on emmené dès votre arrivée ?

24 R. Lorsque nous sommes arrivés au camp nous nous trouvions à l'extérieur,

25 on nous a emmenés à l'intérieur. Et il y avait environ 200 personnes à cet

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1 endroit-là. Et parmi, ces 200 personnes, il y avait 50 personnes âgées,

2 environ 50 enfants, entre l'âge de 1 an et 12 ans et de 12 à 18 ans. Et les

3 autres personnes étaient des hommes.

4 Q. Pourriez-vous dire quel âge avait votre fils lorsqu'il est arrivé au

5 camp ? Vous avez dit que votre fils avait été emmené en même temps que

6 vous.

7 R. Mon fils avait 8 ans lorsque nous sommes arrivés au camp.

8 Q. Je souhaite faire références aux autres détenus dans le camp. Pourriez-

9 vous nous dire si certains détenus étaient faibles, affaiblis ou

10 souffraient d'une quelconque handicap ?

11 R. Oui, bien sûr. Pour la plupart il s'agissait des Musulmans qui

12 n'étaient pas armés. Même les personnes handicapées étaient là simplement

13 parce qu'ils étaient Musulmans, ils souffraient d'un certains nombres de

14 maladies, et on ne leur donnait aucune nourriture, on ne s'occupait pas

15 d'eux. Ils étaient alités, malades, ils attendaient la mort et les enfants

16 pleuraient. Lorsque Dragan Nikolic arrivait et criait, les enfants à ce

17 moment-là cessaient de crier. Et je tenais mon fils sur mes genoux. Les

18 enfants qui avaient un an pleuraient beaucoup.

19 Q. Pourriez-vous nous dire s'il y avait des gardes dans ce camp et si les

20 gardes étaient armés ?

21 R. Oui. Certainement. Les gardes étaient Serbes. Ils étaient armés. Ils

22 portaient un certain nombre d'armes, des couteaux, des mitrailleuses et

23 cetera.

24 Q. Qui était le supérieur hiérarchique de ces gardes au moment où vous y

25 étiez ?

Page 278

1 R. Le commandant du camp principal, le commandant principal du camp était

2 Dragan Nikolic, il avait le surnom de Jenki.

3 Q. Connaissiez-vous Dragan Nikolic avant d'arriver au camp. Et si oui,

4 dans quelles circonstances l'aviez-vous connu ?

5 R. Oui. Je le connaissais. Il travaillait autrefois dans la même usine où

6 travaillait avec mon mari. Ma femme -- ma mère le connaissait également et

7 je le connaissais parce que je savais qu'il habitait dans la municipalité

8 de Vlasenica.

9 Q. Lorsque vous étiez dans ce camp, est-ce que Dragan Nikolic -- est-ce

10 qu'il avait le droit de vie et de mort sur les détenus ?

11 R. Oui.

12 Q. Pourriez-vous expliquer à la Chambre de première instance ce que vous

13 entendez par là ?

14 R. Ce que j'entends par là c'est que j'ai vu de mes propres yeux, qu'il

15 passait des gens à tabac, qu'il les a maltraités, qu'il a emmené des jeunes

16 filles dans le hangar, qu'il les a menacées simplement parce que nous

17 étions des Musulmans.

18 Q. Vous a-t-il semblé que Dragan Nikolic était grisé par le pouvoir que

19 cela lui donnait ?

20 R. Oui. Il aimait rouer les gens de coups. Et je sais, c'est une

21 information de première main, je sais qu'il aimait rouer de coups Arnaut

22 Fikret et quelques fois il l'a passé à tabac comme 15 -- cinq fois par

23 jour. Et nous regardions, nous les femmes et les enfants, et nous pensions

24 que le même sort nous était réservé.

25 Q. A un moment donné, les détenus ont-il supplié ou demandé à ce qu'il

Page 279

1 cesse de faire cela ?

2 R. Oui. Ils l'ont imploré, l'ont supplié :

3 "Tirez-moi dessus, allégez mes souffrances, et fait que cela cesse." Et il

4 répondait en disant :

5 "Qu'une balle était trop chère pour trouer la peau d'un Musulman".

6 Q. Témoin 032, vous avez dit que l'on emmenait les jeunes filles. On les

7 faisait sortir du hangar le soir. Pouvez-vous dire à la Chambre de première

8 instance qui faisait sortir du hangar ces jeunes filles et ces femmes le

9 soir.

10 R. Dragan Nikolic emmenait les jeunes filles et les femmes le soir. Il

11 faisait sortir les jeunes filles du hangar et elles revenaient le matin en

12 mauvais état, tristes. Elles n'avaient pas le droit de nous parler. Elles

13 devaient s'asseoir sur des valises dans lesquelles -- sur des boîtes dans

14 lesquelles il y avait des munitions. Et pour finir, chacune d'entre elle se

15 confiait soit à une sœur soit à une mère.

16 Q. Pourriez-vous nous dire ce qu'elles confiaient à leur mère ou sœur. Que

17 s'était-il passé ?

18 R. Vous pouvez tout à fait imaginer ce qui leur est arrivé. On les faisait

19 sortir contre leur propre volonté. Elles ne pouvaient pas opposer de

20 résistance puisqu'elles ne pouvaient pas se défendre. Et elles devaient

21 faire ce qu'on leur ordonnait de faire. On les y a obligées et je ne sais

22 pas comment dire les choses, d'avoir des rapports sexuels avec des gens

23 qu'elles ne connaissaient pas et quelques fois des hommes qu'elles

24 connaissaient même. Et elles devaient faire tout ce qu'on leur demandait de

25 faire.

Page 280

1 Q. Nikolic vous a-t-il jamais demandé de quitter son hangar le soir, la

2 nuit ?

3 R. Oui. Le deuxième soir après mon arrivée dans le camp de Susica, Dragan

4 Nikolic est entré et m'a fait sortir. Et je me demandais où il allait

5 m'emmener. Mon fils pleurait puisqu'il était à l'intérieur du camp, laissé

6 seul. Il m'a emmenée dans la maison du garde, à l'intérieur de la maison du

7 garde, j'ai trouvé Mico Gojkolovic, un des gardes du camp. Et Dragan est

8 reparti et m'a laissée seule avec Mico dans la maison du garde. Mico s'est

9 mis à me parler et il était sur le point de me violer. J'ai résisté, j'ai

10 opposé une résistance, mais je ne pouvais pas faire grand-chose. Il est

11 venu vers moi, il a enlevé ma blouse, ensuite il a retiré son maillot de

12 corps. J'ai pleuré. Je l'ai supplié et je lui ai dit : "Mico, et si la

13 situation était inversée. Si, par exemple, c'était votre femme qui était à

14 ma place et mon mari qui était à votre place ?" Et je lui ai ensuite dit

15 que j'avais mes règles. Et il voulait, à ce moment-là, que nous ayons des

16 rapports sexuels -- pratiquer la fellation, et il m'a dit que si je

17 n'acceptais pas, je ne verrais jamais mon fils. Toute jeune fille qui est

18 passée par là sait ce que je dis est vrai. Si nous opposions une

19 résistance, nous étions tuées.

20 Et il m'a ensuite relâchée. Il m'a dit que je devais l'attendre sur le pont

21 la nuit suivante et qu'il m'attendrait dans une camionnette -- dans une

22 voiture rouge. Je suis partie, et à ce moment-là, je pensais déjà -- je

23 pleurais, et il m'a dit que je devais retourner dans le hangar. Et lorsque

24 je suis entrée dans le hangar, j'ai trouvé mon fils en train de pleurer.

25 Tout le monde m'a dévisagée et je me sentais vraiment -- tellement

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1 humiliée. Je sentais vraiment que je n'étais plus la mère de personne. Je

2 n'étais même plus la femme de quelqu'un. Tout ce que j'ai éprouvé à ce

3 moment-là, sont des choses que l'on ne peut même pas raconter. J'étais

4 misérable.

5 Et la nuit suivante, j'avais déjà pensée toute la journée à ce qu'il allait

6 se produire le soir. Et je n'osais m'en entretenir avec personne. Et la

7 même chose s'est produite le lendemain et j'ai dû pratiquer une fellation

8 avec lui le soir même, encore une fois. Et j'ai dû m'y conformer.

9 Q. Je souhaite demander au témoin, cette première nuit, Nikolic est-il --

10 vous a-t-il ramenée dans le hangar après que Mico en avait terminé avec

11 vous ?

12 R. Oui.

13 Q. Et la deuxième nuit, est-ce que Dragan Nikolic vous avait sortie du

14 hangar et vous a, de nouveau, déposée chez Mico ?

15 R. Oui.

16 Q. Et cette deuxième nuit, est-ce que Dragan Nikolic est venu vous

17 chercher dans la maison du garde et vous a-t-il ramenée dans le hangar

18 après?

19 R. Oui.

20 Q. Je souhaite vous posez la question : Pendant le reste de la durée de

21 votre camp, quel effet ces incidents ont-il eu sur vous en tant que détenue

22 à Susica ?

23 R. Je me sentais mal. Je me sentais -- je voulais être une bonne mère et

24 je voulais être une très bonne mère. Je souhaitais que mon fils évolue dans

25 une famille et une vraie famille. Je me suis sentie humiliée en tant que

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1 femme et en tant que mère, car je me trouvais là et c'était très dégradant,

2 et je me trouvais là, dans ce camp et dans cette situation.

3 Q. Témoin 032, dans votre témoignage, vous dites que votre fils avait 8

4 ans lorsque vous êtes arrivé dans ce camp ? Cela fait maintenant plus de

5 dix ans. Pourriez-vous dire à la Chambre quel effet ces incidents dans le

6 camp ont eu sur votre fils ?

7 R. Cela fait 11 ans maintenant, mais mon fils est encore réservé,

8 introverti, triste et il sait ce qui m'est arrivé. Il n'aime pas parler aux

9 autres. Il est réservé. Et il me dit souvent qu'il n'aime plus la vie. Il

10 me dit qu'il pense souvent au suicide.

11 Q. Donc vous dites, dans votre témoignage, qu'à la suite de ce passage

12 dans le camp, les liens que vous avez avec votre fils ont été -- ne sont

13 plus les mêmes.

14 R. Oui, cela a certainement changé les choses…

15 Q. Merci beaucoup. Je souhaite maintenant, Madame le témoin, vous montre

16 une photo. Je vous prie de bien vouloir regarder l'écran qui est devant

17 vous. Je crois qu'il faut que vous passiez en mode élément de preuve, en

18 mode informatique. Pouvez-vous me dire ce que vous reconnaissez sur cette

19 photo s'il vous plait ?

20 R. Je reconnais Dragan Nikolic. Je reconnais le chien.

21 Q. Pourquoi reconnaissez-vous le chien ?

22 R. Je reconnais le chien parce qu'il appartenait autre fois à mon oncle.

23 Mon oncle avait deux chiens qui s'appelaient Astra et Aris. Et je reconnais

24 le chien.

25 Q. Dragan Nikolic a-t-il emmené ces chiens dans le camp?

Page 283

1 R. Oui.

2 Q. S'agissait-il en fait de chiens qu'il avait reçu en entraînement, des

3 chiens particulièrement féroce ?

4 R. Oui. Mais c'était des Dobermans qui étaient des chiens de garde.

5 Q. Merci. La question suivante, Madame le Témoin, est-il difficile pour

6 vous d'imaginer que Nikolic que vous connaissiez, que votre frère

7 connaissait, pouvait vous traiter vous-même ainsi que les détenus de la

8 sorte, de façon aussi cruelle dispensable ?

9 R. Oui.

10 Q. Connaissiez-vous le frère de Dragan Nikolic à l'époque ?

11 R. Oui. Il était très différent de son frère, c'était tout à fait

12 l'opposer de son frère.

13 Q. Le frère de Dragan Nikolic l'a-t-il jamais empêché de passer à tabac

14 les détenus ou de leur infliger des traitements aussi cruelles ?

15 R. Oui, il lui disait souvent :

16 "Ne passe pas les gens à tabac, Dragan, ne soit responsable de rien,

17 pourquoi fais-tu cela ?" Mais il ne voulait pas écouter, il continuait à

18 traiter les gens de la sorte et à les rouer de coups.

19 Q. Pourriez-vous dire à la Chambre s'il vous plaît combien du temps vous

20 êtes restée avec votre fils à Susica ?

21 R. Nous avons passé environ un mois dans ce camp.

22 Q. Et dans quelle circonstance avez-vous quitté le camp de Susica ?

23 R. Vous voulez dire -- vous parlez des circonstances à l'intérieur du

24 camp ? Pourriez-vous répéter la question s'il vous plait ?

25 Q. Comment -- lorsque vous avez quitté le camp, quel moyen du transport

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1 avez-vous utilisé ?

2 R. Des autocars sont venus pour nous emmener jusqu'au barrage, au

3 barricade sur un lieu qui s'appelle Luke. Les autocars nous emmenaient

4 jusqu'à cet endroit, il y avait beaucoup de femmes et d'enfants. Et qu'on

5 en est arrivé au barrage sur la route à Luke au point du contrôle, il y

6 avait là des hommes armés et barbus qui tenaient le point du contrôle. Et

7 c'est là, qu'on a fait descendre les passagers des autocars. Il y avait

8 environ 80 jeunes femmes à bord des autocars. Des jeunes femmes qui étaient

9 avec moi au camp. On les a faits descendre des autocars et moi je faisais

10 partie de ce groupe et on nous a dit qu'on allait nous emmener travailler,

11 faire les foins et cetera. Mais étant donné que j'avais eu un accident et

12 que j'avais un bras complètement inutilisable, je ne pouvais pas me servir,

13 je leur ai montré mon bras et je leur ai dit que je ne pouvais pas

14 travailler. Donc, on m'a fait remonté à bord de l'autocar, mais parmi les

15 femmes et les jeunes filles qui sont restées là, il y avait des jeunes

16 filles qui étaient âgées d'une quinzaine d'années et jamais plus on ne les

17 a revues vivantes.

18 Q. Est-ce Dragan Nikolic a arrêté votre sœur, et votre mère et il les a

19 placées en détention au camp du Susica ?

20 R. Oui, le 15 septembre, quand ils ont nettoyé Vlasenica, quand ils ont --

21 l'ont nettoyé de tous les Musulmans. Ma mère était l'une des dernières à

22 rester sur place et on l'a emmené avec ma sœur au camp. On a fait monter ma

23 sœur à bord d'un camion, on l'a séparée de ma mère, on l'a fait montée à

24 bord d'un camion et elle non plus, on l'a jamais revue vivante.

25 Q. A votre connaissance, est-ce qu'on a emmené votre sœur à Pelemis ?

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1 R. Je ne l'ai pas vue, mais j'ai entendu dire qu'elle était à Pelemis.

2 M. SELLERS : [interprétation] Je souhaiterais remercier le témoin et j'ai

3 une dernière question.

4 Q. Au témoin 032, y a-t-il quoi que ce soit que vous souhaitiez dire à la

5 Chambre ?

6 R. J'ai beaucoup à dire. Mais en premier lieu, je souhaiterais remercier

7 le Tribunal du simple fait qu'il existe. Cependant, il est horrible de voir

8 que quelque chose de ce genre ait pu arriver aux Musulmans au 20e siècle,

9 il est horrible que des gens comme Dragan Nikolic soit toujours de ce

10 monde. Il n'y a pas de sanction, il n'y a pas de punition assez sévère pour

11 acheter le meurtre d'un seul enfant, le viol d'une seule jeune fille et

12 pour acheter tout ce qui s'est passé.

13 M. SELLERS : [interprétation] Je n'ai plus de questions à poser au témoin.

14 M. LE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.

15 La Défense a-t-elle des questions.

16 M. MORRISON : [interprétation] Nous n'avons que peu de question, Monsieur

17 le Président.

18 Questions de la Défense, M. Morrison :

19 Q. Témoin, tout à la fin de votre interrogatoire principal, on vous a

20 interrogé au sujet de votre mère. Si j'ai bien compris au départ, on n'a

21 pas emmené votre mère à Susica, mais qu'elle a continué à résider dans une

22 maison non loin du camp, n'est-ce pas ?

23 R. Oui.

24 Q. Et pendant pratiquement toute la durée de l'existence du camp de

25 Susica, Dragan Nikolic allait souvent voir votre mère et lui apportait de

Page 286

1 l'eau de vie ?

2 R. Oui, il allait souvent la voir parce que cette maison se trouvait enfin

3 compte au 100 mètres du camp. Donc, il allait souvent là. Ma mère avait de

4 l'eau de vie faite maison, il allait la voir souvent, il prenait de l'eau

5 de vie et tout ce qu'il lui plaisait dans la maison.

6 Q. Et c'est votre mère n'est-ce pas qui vous a dit que c'est un certain

7 Dragan Bastah, B-A-S-T-A-H, qui a emmené votre sœur ?

8 R. C'est exact. Dragan Bastah, alias Car, d'après ce que m'a dit ma mère

9 était à l'extérieur du camp ce jour-là, c'est lui qui a fait monter ma sœur

10 abord de ce camion qui l'a emmené.

11 Q. Merci.

12 M. MORRISON : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser à ce

13 témoin.

14 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] L'accusation ?

15 Mme SELLERS : [aucune interprétation] Nous n'avons pas de questions

16 supplémentaires à poser au témoin.

17 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Une petite question pour que la

18 chose soit claire.

19 Questions de la Cour :

20 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] A l'image nous avons vu M. Nikolic

21 avec un chien il était revêtu d'un uniforme. Etait-il armé ? Et si, c'était

22 le cas de quel type d'arme était-il muni ?

23 R. Oui. Oui, il avait une arme. Il avait des couteaux, des mitraillettes,

24 ainsi que d'autres armes.

25 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Avez-vous jamais demandé à M.

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1 Nikolic pourquoi on vous avait emmené au camp ?

2 R. On n'osait pas poser de questions, aucune question, on n'osait -- bien

3 entendu qu'on nous a emmené là uniquement parce qu'on était Musulmans.

4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Il appartient à la Chambre

5 également de préciser le point suivant. Connaissez-vous éventuellement les

6 supérieurs ou un supérieur de M. Nikolic ?

7 R. Non, tout ce que je sais c'est que Dragan Nikolic était là au camp et

8 qu'il faisait ce qui lui plaisait.

9 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Est-ce que M. Karadzic a participé

10 d'une manière ou d'une autre à ces crimes à votre connaissance, mais je

11 vous demande de répondre uniquement si vous le savez ?

12 R. Sur la politique, qu'est-ce que je peux vous dire bien entendu que

13 Karadzic et Républika Srpska a joué un rôle mais je ne peux rien vous dire

14 de précis à ce sujet. J'imagine qu'il a joué un rôle.

15 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je peux donc en déduire que vous ne

16 l'avez jamais vu personnellement.

17 R. Non.

18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Vous nous avez parlé longuement des

19 crimes commis par Dragan Nikolic. Avez-vous jamais eu l'impression que ces

20 crimes étaient commis alors qu'il était pris de boissons ?

21 R. Je ne le saurais vous le dire. Je ne crois pas parce que très tôt le

22 matin Dragan venait infliger des sévices.

23 Je ne crois pas qu'il était ivre à ce moment-là.

24

25

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1

2

3 M. LE JUGE SCHOMBURG : Et quand vous nous avez dit avoir été amené à

4 la maison des gardes ? Avez-vous eu l'impression qu'il était sous

5 l'empire de la boisson ?

6 Réponse : Non, je n'ai pas eu cette impression, parce qu'une personne

7 ivre n'a pas la force, la force physique qu'il avait. C'était quelque

8 chose d'inimaginable, qu'un homme soit capable de frapper quelqu'un

9 avec une telle violence que la personne décède plus tard du passage à

10 tabac.

11 M. LE JUGE SCHOMBURG : M. Nikolic a-t-il jamais essayé de vous

12 contacter, vous ou l'un de vos parents, pour s'excuser ou exprimer

13 ses remords ?

14 R : Je ne sais rien à ce sujet. Il n'a jamais exprimé de remords.

15 M. LE JUGE SCHOMBURG : Je n'ai plus de questions.

16 Madame le Juge Mumba ?

17 Monsieur le Juge Agius ?

18 Pas de questions.

19 L'Accusation, s'il vous plaît.

20 MME SELLERS : Excusez-moi, M. le Président. Je voudrais demander le

21 versement au dossier de la photographie de Dragan Nikolic avec les

22 chiens. Pourrions-nous avoir une côte, s'il vous plaît ? Il s'agit

23 d'une pièce de l'Accusation.

24 M. LE JUGE SCHOMBURG : Une côte s'il vous plaît. Nous avons déjà

25 versé les déclarations au dossier.

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1 LE GREFFE : La photographie portera la côte P3, M. le Président.

2 MME SELLERS : Merci.

3 M. LE JUGE SCHOMBURG : La pièce est versée au dossier sous la côte

4 P3. Y a t'il d'autres questions ? Quelqu'un souhaite-t-il prendre la

5 parole ? Non.

6 Je souhaite vous remercier d'être venu à La Haye pour déposer. La

7 Chambre de première instance sait à quel point ce témoignage a été

8 difficile pour vous ; cependant, comme vous l'avez dit vous-même,

9 nous essayons de rendre la justice. Nous savons que certaines choses

10 ne peuvent être réparées, mais en venant ici vous nous avez aidé à

11 nous rapprocher un peu de la vérité. Je vous en remercie et vous

12 souhaite un bon retour chez vous.

13 L'audience est suspendue jusqu'à demain matin, 9h00.

14 LE TEMOIN : Merci.

15 - L’audience sentencielle est levée à 13 heures 17.

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