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1 Le mardi 9 octobre 2007
2 [Réquisitoires]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] L'audience de ce jour est constatée
7 aux réquisitoires et plaidoiries en l'espèce. Nous allons commencer par
8 entendre l'Accusation. Monsieur Waespi.
9 M. WAESPI : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour, Maître
10 Tapuskovic, Maître Isailovic.
11 Aujourd'hui, l'Accusation prononce son réquisitoire. Je vais
12 commencer par faire quelques brefs commentaires. Ensuite, mes confrères
13 John Docherty et Manoj Sachdeva parleront de tout ce qui a trait dans le
14 dossier aux pilonnages et aux tirs embusqués. Mme Edgerton parlera quant à
15 elle de la campagne de terreur, et j'en terminerai en évoquant la
16 responsabilité pénale de l'accusé et les arguments relatifs à la peine.
17 J'espère que nous parviendrons à nous en tenir aux deux heures qui
18 ont été accordées à l'Accusation. Bien entendu, il y a une semaine, nous
19 avons déposé un mémoire en clôture très exhaustif, et dans la mesure du
20 possible, nous allons tenter de ne pas nous répéter.
21 Nos trois confrères et moi-même serons prêts, bien entendu, à
22 répondre à toute question qui découle du mémoire de la Défense.
23 Martin Bell, un journaliste réputé de la BBC, est venu déposer ici. Il a
24 commenté les images tournées par la BBC après le massacre de Markale II qui
25 a eu lieu le 28 août 1995, et il a prononcé les mots suivants :
26 "Je crois que c'est l'un des moments les plus épouvantables de la guerre. A
27 de nombreuses reprises, comme ce jour-là, je me suis dit que tenter de
28 faire un film sur cette guerre serait chose impossible. On ne pourrait
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1 reproduire dans un film les scènes qui se déroulaient tout autour de moi.
2 C'était épouvantable, mais c'était la réalité, et c'était révoltant,
3 totalement révoltant. J'ai aussi eu le sentiment que ça ne pouvait pas
4 continuer. Ça faisait plus de trois ans que ça durait, et je me suis dit :
5 Non, ça ne peut pas durer. Il fallait arrêter cela au nom de l'humanité qui
6 nous unit. Voilà ce que j'ai pensé."
7 Martin Bell, page 5 266 du compte rendu d'audience.
8 Messieurs les Juges, Markale II a constitué l'un des derniers incidents et
9 l'un des incidents les plus graves d'une innombrable série d'incidents qui
10 ont semé la terreur chez les civils qui vivaient dans la ville de Sarajevo
11 depuis le début du siège en avril 1992. Vous avez entendu les dépositions
12 de nombreux témoins, des étrangers, des observateurs militaires, des
13 journalistes, vous avez entendu les habitants de Sarajevo, qui vous ont
14 expliqué ce que c'était que vivre entre ces lignes de confrontation. Vous
15 vous souviendrez également des vidéos qui ont été tournées à l'époque pour
16 les informations. Vous vous souviendrez des photographies, des rapports de
17 situation de l'ONU, des rapports quotidiens et hebdomadaires.
18 Mes confrères, dans le cadre de leurs interventions, vous
19 rappelleront certains de ces témoignages et certaines de ces pièces à
20 conviction qui attestent toutes des souffrances au quotidien de la
21 population civile entre les lignes de confrontation pendant le siège.
22 Même l'un des témoins les plus importants, le témoin le plus
23 important de la Défense, le colonel Demurenko, a expliqué à quel point les
24 civils étaient épuisés, et qu'ils semblaient léthargiques après un aussi
25 long siège. Il parlait de 1995 à l'époque. En réponse à une question posée
26 par le Juge Harhoff, il a déclaré : "Si l'on prend la perspective de la
27 souffrance humaine, à ce moment-là il s'agissait bien d'un véritable siège,
28 comme celui qu'a connu Leningrad pendant la Deuxième Guerre mondiale."
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1 Messieurs les Juges, la campagne qui a semé la terreur à Sarajevo n'a
2 pas commencé le 10 août 1994, jour où l'accusé a succédé au général Galic
3 au poste de commandant du Corps de Sarajevo-Romanija, le RSK, un corps
4 d'armée responsable du maintien du siège de la ville de Sarajevo. Les
5 événements qui se sont déroulés jusqu'en août 1994 ont été décrits de
6 manière exhaustive dans le jugement et dans l'arrêt concernant le général
7 Galic. Tout ceci a également été décrit par de nombreux témoins en l'espèce
8 dans ce procès, qui concerne Dragomir Milosevic. Ce qui est pertinent ici,
9 c'est qu'il est totalement indéniable qu'avant août 1994, le RSK a soumis
10 Sarajevo à une campagne prolongée et meurtrière de terreur en ayant recours
11 au pilonnage et aux tirs isolés visant les civils. Pendant le début de la
12 campagne, pendant une bonne partie de cette période, l'accusé Dragomir
13 Milosevic occupait un rôle de premier plan au sein du RSK.
14 La campagne, comme je l'ai déjà dit, a débuté en avril et mai 1992.
15 Je vais simplement évoquer deux pièces à conviction qui portent sur le
16 début du siège. Je parlerai d'abord de la déclaration du ministre de la
17 santé de ce qui était alors la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Ceci
18 figure à la pièce P462, pages 25 et 26. Le ministre de la santé promet la
19 destruction d'un des principaux centres de santé de Sarajevo, à savoir
20 l'hôpital de Kosevo, afin que l'ennemi n'ait plus d'endroit où aller pour
21 recevoir des soins médicaux. En deuxième lieu, je parlerai de P815, pièce
22 dans laquelle celui qui était alors président, Slobodan Milosevic, déclare
23 au général Morillon, général français de la FORPRONU, que le bombardement
24 de Sarajevo mené par le général Ratko Mladic, était sanglant et criminel et
25 qu'il n'existait aucune justification pour la poursuite du bombardement de
26 la population civile de Sarajevo.
27 Cette campagne sanglante et criminelle s'est poursuivie pendant 44
28 mois. Messieurs les Juges, vous avez entendu des témoins nous parler de
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1 l'évolution de cette campagne. D'après les témoins qui sont venus déposer
2 devant vous et qui ont pu comparer la première partie du siège avec la
3 situation telle qu'elle se présentait lorsque l'accusé était au
4 commandement, pendant 44 mois il s'agissait de la même campagne implacable
5 qui se distinguait par les mêmes caractéristiques, la même dynamique, les
6 mêmes armes, les mêmes lignes de front, les mêmes soldats, les mêmes
7 défenseurs, la même souffrance endurée par les civils se trouvant à
8 l'intérieur des lignes de confrontations, la même punition complètement
9 gratuite de la population civile de Sarajevo pour ce qui s'était déroulé
10 ailleurs en Bosnie. Mais en réalité, il existe des éléments de preuve,
11 comme la mise en place ou l'utilisation des bombes aériennes modifiées, des
12 éléments qui prouvent que les choses ont en réalité empiré.
13 Mes confrères parleront plus en détail de tous les aspects de la
14 campagne de terreur dirigée par l'accusé. Je vais, quant à moi, parler de
15 certains points qui figurent dans le mémoire en clôture de la Défense et
16 des questions qui ont été également soulevées pendant le procès.
17 Tout argument présenté par la Défense selon lequel la raison pour
18 laquelle les civils ont été tués ou blessés, c'était à cause de la
19 confusion délibérée mise en œuvre par l'ABiH entre les cibles militaires
20 d'une part et les civils ou les bâtiments civils d'autre part. Tout
21 argument dans ce sens, c'est une tentative de détourner l'attention au
22 sujet des allégations en l'espèce. Si la Défense déclare que l'accusé avait
23 des informations selon lesquelles les civils étaient mélangés et se
24 trouvaient au niveau de cibles militaires, l'accusé était dans l'obligation
25 d'obtenir des informations pour s'assurer que toute attaque lancée contre
26 une telle cible serait une attaque où les avantages militaires anticipés
27 l'emporterait sur les pertes humaines qu'on pourrait en attendre.
28 Si les installations civiles telles que les écoles et les
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1 appartements peuvent être utilisées à des fins militaires, ils ne sont
2 militaires que pendant qu'ils sont utilisés dans ce sens, et il faut avoir
3 des éléments qui le prouvent.
4 Deuxièmement, s'il y a des attaques contre des installations civiles,
5 ces attaques doivent toujours être menées dans le respect du principe de la
6 distinction et de la proportionnalité. Il ne s'agit pas d'autoriser des
7 attaques aveugles qui entraînent des dégâts collatéraux considérables.
8 Le dossier nous montre que non seulement l'accusé n'a rien fait pour
9 diminuer l'impact des attaques sur la population civile, puisqu'on voit que
10 le RSK n'a pas en priorité visé, par ses tirs de mortiers ou ses tirs
11 isolés, les cibles militaires. Non, au contraire, les éléments du dossier
12 montrent que le RSK, placé sous le commandement de l'accusé, a tiré
13 directement sur tous les lieux où ils savaient qu'il y avait des civils, et
14 que ça entraînerait des pertes civiles, et ceci de manière délibérée et
15 systématique. Ils ont employé les bombes aériennes pour maximiser le nombre
16 de pertes civiles.
17 L'affaire en l'espèce ne porte pas sur les violations du droit
18 humanitaire international commises par l'ABiH. Cette affaire porte sur la
19 responsabilité pénale individuelle de l'accusé. Il ne s'agit pas non plus
20 d'une affaire qui traite des souffrances systématiquement endurées dès
21 qu'il y a conflit armé. Non, cette affaire porte sur la prise pour cible
22 illégale et délibérée de civils en tant que stratégie systématique du RSK
23 placé sous le commandement de l'accusé. Les éléments du dossier ne portent
24 pas non plus sur des civils qui auraient été tués par accident, pris entre
25 deux feux, entre deux parties belligérantes. Les témoins civils sont venus
26 nous dire à quel point ils avaient été eux-mêmes visés, leurs familles,
27 leurs communautés avaient été visées. Ces témoins ne nous ont pas parlé
28 d'opérations de combat qui auraient eu lieu à proximité, ils n'ont pas
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1 parlé de combats qui auraient commencé à proximité. Non, ce dont ils ont
2 parlé, c'est du fait qu'ils étaient pris pour cible dans des lieux purement
3 civils, alors qu'ils se livraient à des activités purement civiles. Ils ont
4 dit qu'ils vivaient dans la terreur parce qu'ils craignaient d'être pris
5 pour cibles alors qu'ils tentaient au quotidien de survivre.
6 Le 8 juillet 1995, pour évoquer la question du point de vue des
7 Nations Unies, dans son rapport hebdomadaire pour la FORPRONU, David
8 Harland déclare :
9 "Les tirs embusqués et les tirs de mortiers ont toujours un niveau
10 assez élevé. Ceci ne semble avoir aucun intérêt militaire particulier, mais
11 contribue à créer une atmosphère générale de terreur dans la ville."
12 Pièce P20, page 2.
13 En réalité, les éléments de preuve en l'espèce nous montrent que l'accusé
14 et le RSK qu'il commandait semblaient avoir une stratégie qui était celle
15 de ne pas viser les cibles militaires, mais plutôt de viser les cibles
16 civiles.
17 Le témoin Fraser a déposé ici même et a déclaré que jamais aucun des
18 bâtiments du QG n'a été attaqué. Page 1 796 du compte rendu d'audience.
19 Fraser a ajouté :
20 "Aux tirs indirects des Musulmans, les Serbes ripostaient par des tirs
21 indirects, qui étaient cependant beaucoup plus nourris, qui ne visaient pas
22 les QG. Ces tirs visaient simplement la ville de manière générale.
23 Page 1 801 du compte rendu d'audience.
24 Les opérations de l'ABiH n'ont aucune pertinence en l'espèce, je l'ai déjà
25 dit. L'acte d'accusation modifié met en cause l'accusé pour violation des
26 lois ou coutumes de la guerre et crimes contre l'humanité. Les tirs
27 indirects réalisés par l'ABiH ne justifient nullement la prise pour cible
28 délibérée et illicite des civils même lorsqu'il s'agit éventuellement de
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1 ripostes ou de représailles de la part de celui qui ouvre le feu. Quelle
2 que soit la motivation, si l'objectif principal des attaques c'est de
3 répandre la terreur, les moyens employés et les méthodes employées violent
4 le droit humanitaire international, et l'accusé en est responsable
5 pénalement et individuellement.
6 David Harland a déclaré, pages 324 et 325 du compte rendu d'audience :
7 "L'essentiel des activités militaires dont je faisais rapport
8 n'étaient pas des activités militaires au sens conventionnel du terme. La
9 plupart de ces opérations étaient constituées par des tirs d'artillerie
10 directs ou semi-directs sur des zones habitées par des civils."
11 M. Harland a été le premier témoin de l'Accusation, quelqu'un qui a eu une
12 très grande expérience de ce qui s'est passé à Sarajevo.
13 Les civils de Sarajevo ont souffert directement des manœuvres criminelles
14 et des méthodes criminelles du RSK. Le RSK ne se livrait pas à une guerre
15 conventionnelle, une guerre conventionnelle opposant deux belligérants. Il
16 s'agissait en réalité d'une campagne de terreur menée contre la population
17 civile de Sarajevo.
18 Je vais maintenant en venir à une deuxième question. A plusieurs reprises
19 au cours du procès et dans son mémoire en clôture, la Défense essaie de
20 présenter la théorie selon laquelle rien ne s'est produit pendant la
21 période visée à l'acte d'accusation avant la tentative menée par l'ABiH de
22 sortir de la ville en juin 1995 quand la situation de la population était
23 véritablement désespérée. Tout indique le contraire dans le dossier. Je
24 vous renverrai à seulement quelques pièces, et je m'appuierai surtout sur
25 les pièces P10, P12, P15, qui sont des rapports des Nations Unies. Je
26 parlerai également de la déposition du général Smith, qui explique bien ce
27 qui s'est passé.
28 Je commence par la période de la fin 1994. La pièce P10 du 10 décembre 1994
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1 nous indique que les Serbes rendaient la mission de la FORPRONU
2 pratiquement impossible : "Puisqu'ils avaient poussé la FORPRONU jusque
3 dans une position où elle était presque sur le point de se retirer en
4 empêchant, par exemple, les convois humanitaires d'entrer en ville, en
5 empêchant l'approvisionnement en gaz de la ville, et avec le feu ouvert par
6 les Serbes avec des missiles et des roquettes antichars visant le
7 centre-ville, ce qui a entraîné de nombreuses victimes civiles en ville."
8 Page 6.
9 Pièce suivante, la pièce P12, un rapport des Nations Unies datant de la mi-
10 avril 1995 qui montre que la situation en ville restait tendue, des obus de
11 mortier touchaient des zones habitées de la ville entraînant des morts et
12 des blessés. L'approvisionnement en carburant était si préoccupant que la
13 FORPRONU voyait ses opérations remises en cause très gravement. L'aéroport
14 de Sarajevo était fermé, et les Serbes détenaient des otages, huit otages
15 non militaires dont les collaborateurs de certaines ONG.
16 En avril, bien entendu, on assiste à la première utilisation des bombes
17 aériennes à Sarajevo. Pièce 703.
18 En avril 1995, la situation était si précaire pour les civils à Sarajevo,
19 que le ministère de l'Intérieur de Bosnie a décidé d'interdire les
20 rassemblements dans les lieux publics afin d'éviter des incidents de grande
21 envergure. Page 2, de la pièce 12, de l'Accusation.
22 Au début du mois de juin 1995, la situation concernant l'approvisionnement
23 en vivres dans la ville se détériorait très vite. Pièce P15 du dossier,
24 page 3. Ceci, parce que les convois terrestres du HCR des Nations Unies
25 n'arrivaient plus à entrer dans la ville. Dans la même pièce, Radovan
26 Karadzic a déclaré que toutes les résolutions des Nations Unies qui
27 concernaient Sarajevo étaient nulles et non avenues. Pièce P15, page 3.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez entendu. On vous demande
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1 de ralentir.
2 M. WAESPI : [interprétation] Oui.
3 Le dossier fourmille d'éléments de preuve mettant en évidence les
4 souffrances endurées par la population civile à Sarajevo, pendant une
5 période que la Défense considère comme étant une période d'accalmie.
6 Pour finir, avant de donner la parole à M. Docherty, je souhaiterais
7 évoquer les incidents qui figuraient dans les tableaux annexés à l'acte
8 d'accusation.
9 Un des arguments de la Défense, c'est que les allégations qui figurent à
10 l'acte d'accusation ne reposent que sur certains incidents qui sont
11 énumérés dans l'acte d'accusation. Bien entendu, ce n'est pas le cas. Comme
12 c'est indiqué expressément dans l'acte d'accusation, et comme nous l'avons
13 toujours dit, les incidents énumérés dans l'acte d'accusation le sont à
14 titre d'exemples uniquement. Bien entendu, sur ordonnance de la Chambre de
15 première instance, nous avons du réduire d'un tiers le nombre d'incidents
16 cités. Cependant, il y a suffisamment d'autres éléments de preuve qui
17 prouvent l'existence de la campagne de terreur. En d'autres termes,
18 l'existence de la campagne de terreur est confirmée à la fois par les
19 incidents figurant à l'acte d'accusation, par des éléments de preuve
20 apportés au sujet d'incidents qui ne sont pas mentionnés dans l'acte
21 d'accusation, et de manière générale, par la déposition des témoins portant
22 sur la période visée à l'acte d'accusation à l'époque, il existait
23 véritablement une campagne de pilonnages et de tirs embusqués visant les
24 civils.
25 Il est essentiel de savoir que cette campagne, nous l'avons prouvée en nous
26 basant sur différents types d'éléments de preuve que je viens de
27 mentionner. Nous ne nous appuyons pas uniquement sur les incidents qui sont
28 visés par l'acte d'accusation. Mes confrères vont maintenant évoquer plus
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1 en détail la question du pilonnage et des tirs embusqués.
2 Je vais maintenant passer la parole à M. Docherty.
3 M. DOCHERTY : [interprétation] Monsieur le Président, bonjour. Messieurs
4 les Juges, conseil de la Défense, bonjour.
5 L'Accusation a prouvé l'existence d'une campagne contre les civils qui a
6 été menée par le Corps de Sarajevo-Romanija placé sous le commandant de
7 l'accusé pendant la période de l'acte d'accusation. Une des composantes de
8 cette campagne a été la campagne de tirs isolés dirigée contre des civils,
9 de manière délibérée. Ceci a été prouvé, les détails figurent dans le
10 mémoire en clôture de l'Accusation. Je ne répéterai pas maintenant ce qui
11 figure dans notre mémoire. Très brièvement, je vais résumer cela.
12 L'accusé a ordonné, a planifié et/ou a aidé et encouragé cette campagne de
13 tirs isolés. Par conséquent, sa responsabilité pénale est engagée aux
14 termes des chefs d'accusation 2, 3 et 4 de l'acte d'accusation modifiée, au
15 titre de l'article 7(1) du Statut de ce Tribunal. Qui plus est, l'accusé a
16 manqué de prendre les mesures, quelles qu'elles soient, soit afin de
17 prévenir la campagne de tirs isolées illégale ou pour en punir les auteurs.
18 Par conséquent, sa responsabilité pénale est engagée. Il a exercé le
19 contrôle effectif sur les auteurs de ces actes. L'accusé savait qu'ils
20 étaient en train de mettre sur pied et de mener une campagne de terreur.
21 Par conséquent, il est également punissable aux termes de l'article 7(3) du
22 Statut de ce Tribunal, pour la campagne de tirs isolés.
23 Les sections pertinentes du mémoire en clôture de l'Accusation, auquel je
24 renvois la Chambre, comportent les éléments qui prouvent l'existence de la
25 campagne de tirs isolés, page 5 à 9, l'introduction aux tirs isolés, pages
26 15 à 18, et bien entendu, les incidents de tirs isolés qui figurent soit
27 dans les différents tableaux soit qu'ils ne sont pas repris dans les
28 tableaux et qui sont organisés et présentés par zones, et non pas par type
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1 d'incident, pages 18 à 98.
2 Encore une fois, je résumerai très brièvement les preuves concernant la
3 campagne de tirs isolés. Je ne reprendrai pas tout. Je rappelle que les
4 éléments les preuves les plus importantes figurent dans le mémoire de
5 clôture de l'Accusation. Je répondrai par la suite à quelques critiques
6 adressées à l'Accusation par la Défense. Les critiques concernent notre
7 démographe expert Ewa Tabeau; la question du contrôle des hauteurs; et
8 aussi, ce que nous allons appeler la défense d'alibi sans fondement.
9 La question de Turkovic. Il a déclaré que pendant la guerre, des appels à
10 l'aide à cause des pilonnages et des tirs isolés venaient à tout moment de
11 la journée, 24 heures sur 24, à tout moment de l'année. Lui, qui était
12 quelqu'un qui travaille dans la police technique et scientifique à
13 Sarajevo, que lui et ses collègues recevaient ces appels tout le temps. Ils
14 ont passé 80 % de leur temps à répondre à ces appels. A la fin de la
15 guerre, ces appels n'ont plus eu lieu. Nous avons présenté, la pièce 602,
16 un tableau qui reprend l'activité de la police. Puisque ceci ne peut pas
17 être utilisé comme preuve de l'origine des tirs, ceci peut néanmoins être
18 utilisé afin de discuter les différents incidents individuels, pour montrer
19 que le feu provenait du territoire qui était occupé par le RSK.
20 Contrairement aux affirmations de la Défense, aux paragraphes 143 à 146 de
21 leur mémoire en clôture, nous avons là dans ce tableau une preuve très
22 valable portant sur l'intensité, la nature et le nombre d'incidents.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Docherty, vous insistez
24 beaucoup sur la preuve de l'existence de la campagne. A supposer que vous
25 n'avez pas prouvé l'existence de la campagne, est-ce que ceci invalide
26 votre cause ?
27 M. DOCHERTY : [interprétation] Non, Monsieur le Président, absolument pas.
28 Les allégations dans l'acte d'accusation modifiée reprochent à l'accusé des
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1 crimes contre l'humanité, l'assassinat et des actes inhumains. L'existence
2 d'une campagne est pertinente pour ce qui est du chef d'accusation pour la
3 terreur et aussi, parce que s'agissant des crimes contre l'humanité, il est
4 nécessaire de prouver qu'il y a eu des attaques individuelles qui
5 constituent une partie intégrante d'un schéma, donc ça a une certaine
6 pertinence pour ce qui est du chef des crimes contre l'humanité.
7 Mais je me permets d'espérer qu'en fin de compte il ne persisterait
8 pas un doute raisonnable eu égard à l'existence de cette campagne. A mon
9 sens, les preuves apportées à l'appui sont tellement fortes, et les
10 incidents que nous avons organisés sous tableau ainsi que les incidents qui
11 ne sont pas ventilés par tableau sont prouvés de telle manière que lorsque
12 je me rappelle des éléments comme le témoignage de Martin Bell, de M.
13 Turkovic, de différents témoins internationaux qui portent sur l'intensité,
14 la durée, et cetera, ceci prouve la nature des attaques du RSK contre la
15 population civile.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si je vous pose la question,
17 c'est puisque vous avez fait de cette campagne un élément du crime, donc
18 cuit s'il n'y a pas de campagne, vous avez besoin de prouver les éléments
19 qui sont requis pour démontrer qu'il y a eu crime contre l'humanité, et
20 nous savons très bien quels sont ces éléments, quels sont les éléments pour
21 le crime de terreur. J'ai toujours été un petit peu étonné que l'Accusation
22 se propose de prouver la campagne et d'en faire un élément légal requis
23 pour démontrer le crime.
24 M. DOCHERTY : [interprétation] Si je vous ai donné cette impression,
25 j'en suis désolé. Deux points. Premièrement, Mme Edgerton parlera de la
26 campagne de terreur. Mais un deuxième point, les éléments de preuve qui ont
27 été présentés en l'espèce montrent l'existence d'une campagne, et ceci
28 montre que c'était une campagne qui a duré pendant 15 mois de l'acte
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1 d'accusation, donc une campagne menée par la SRK, et nous allons montrer
2 qu'il y a eu une manière systématique des attaques, ce qui est nécessaire
3 pour démontrer le crime contre l'humanité, et bien entendu, nous montrerons
4 qu'il y a eu des actes qui sont des actes individuels, donc qui relèvent du
5 crime contre l'humanité, mais vous savez que le personnel, les officiers du
6 RSK n'avaient pas à l'esprit dans leurs activités quotidiennes à Sarajevo
7 tous les éléments du crime contre l'humanité.
8 Donc nous avons l'intention de vous montrer la présentation de ce qui
9 est le plus valable, le plus important.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, je pense que vous l'avez
11 bien présenté. Mais moi, je le vois comme purement descriptif. Ce n'est pas
12 un élément qui est requis légalement.
13 M. DOCHERTY : [interprétation] Ce n'est pas un élément. Ce n'est pas
14 une composante, c'est une description de ce qui s'est produit. Nous
15 décrivons légalement des crimes contre l'humanité et des actes inhumains.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si quelqu'un dans une
17 juridiction interne se voit reproché, se voit accusé de viol, et on dit que
18 c'est un violeur en série, mais on lui reproche d'avoir violé un seul
19 individu, l'Accusation affirme que c'est un violeur en série parce qu'il a
20 violé peut-être 12 ou 20 femmes, et c'est la cause de l'Accusation. Mais si
21 l'Accusation ne parvient pas à démontrer le caractère sériel du crime, si
22 elle arrive néanmoins à prouver qu'il a violé la personne qui est citée à
23 l'acte d'accusation, la cause de l'Accusation est néanmoins maintenue. Donc
24 dire qu'il s'agit d'un violeur en série, c'est juste une manière
25 d'illustrer la cause de l'Accusation. A la lecture de votre mémoire, je me
26 suis demandé s'il n'y a pas eu confusion entre les deux parce que vous vous
27 êtes beaucoup consacré à la preuve de l'existence de la campagne. Bien
28 entendu, vous allez peut-être la prouver si vous prouvez votre cause.
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1 M. DOCHERTY : [interprétation] C'est ce que je crois, Monsieur le
2 Président, c'est que nous avons prouvé notre cause si nous la prouvons. Si
3 je puis répondre à votre analogie, lorsqu'on décrit le motif, c'est quelque
4 chose qui aide beaucoup lorsqu'on démontre le schéma dans lequel s'inscrit
5 le crime. Ici nous avons une campagne, c'est ce qu'a fait délibérément le
6 RSK et les actes inhumains sont des catégories légales dans lesquelles
7 s'insère cette conduite.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et c'est ce qu'on vous demande de
9 prouver.
10 M. DOCHERTY : [interprétation] Des éléments de preuve portant sur
11 l'intensité des tirs isolés contre les civils, contre des cibles qui sont
12 exclusivement de nature civile, c'est quelque chose que l'on trouve dans le
13 témoignage d'un des premiers témoins de l'Accusation, Thorbjorn. C'est
14 quelqu'un qui a témoigné au sujet des tirs isolés à Hrasnica, qui a
15 témoigné en affirmant que ces tirs avaient lieu pratiquement tous les
16 jours. Page 363 [comme interprété], on voit son témoignage où il dit que
17 l'origine des tirs a été toujours sur le territoire du RSK, et que les
18 victimes étaient toujours des civils. Il n'a jamais enquêté sur un seul cas
19 où la victime aurait été un soldat.
20 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent qu'on ralentisse.
21 M. DOCHERTY : [interprétation] Puis, je vous réfère aux pièces d'accusation
22 P664, P765, P766 et 767.
23 Dr Tabeau a témoigné en disant lorsque les journées étaient relativement
24 sereines ou calmes sur le plan militaire, il y avait des civils qui
25 continuaient d'être tués de manière violente, et c'était pour la plupart
26 dans des incidents de tir isolé, non pas de mortier ou de pilonnage.
27 Paragraphe 139, la Défense affirme que Dr Tabeau ne cite que des victimes
28 qui se situent sur les lignes de confrontation.
Page 9429
1 Mais l'accusé en l'espèce était le commandant du RSK, et par conséquent,
2 bien entendu, l'analyse doit se polariser sur les victimes alléguées, et
3 ces victimes, bien entendu, on va les trouver là où était le tracé des
4 lignes de confrontation. Au paragraphe 140, la Défense affirme que Mme
5 Tabeau ne distingue pas nettement la période de l'acte d'accusation de la
6 période totale du conflit. Mais en fait, lorsqu'elle est venue déposer,
7 page 5 549, elle a précisé qu'elle s'est servie de toute la durée de la
8 période pour situer les choses dans leur contexte.
9 Je voudrais également parler des incidents qui ne sont pas repris
10 dans le tableau, pièces de l'Accusation 92 et 95. Nous avons là des pièces
11 en application de l'article 92 ter, donc des dépositions des témoins eu
12 égard aux incidents repris dans nos tableaux, qui sont venus déposer pour
13 dire que non seulement ils ont été victimes ou qu'ils ont connu une victime
14 d'un incident qui a été repris par nous, mais aussi des incidents que nous
15 ne citons pas. Ce sont des éléments de preuve qui montrent quelle a été la
16 nature de cette activité, et comment à de nombreuses reprises à Sarajevo
17 nombre de citoyens ont pu être touchés.
18 Des officiers de police sont venus déposer pour dire que tous les
19 jours il y avait des tirs isolés de Spicasta Stijena, que nombre de civils
20 ont été blessés ou tués suite à cela.
21 Et parlant de Spicasta Stijena, les éléments de preuve sont tout à fait
22 clairs montrant que la Spicasta Stijena a été contrôlée par le RSK,
23 indépendamment de ce qu'affirme la Défense. La Défense, au paragraphe 184
24 de ses mémoires parle de Sedrenik. Il y a une affirmation que la population
25 locale n'a jamais appelé Sedrenik par ce nom-là, mais enfin, si on se
26 penche sur la citation page 7 509, on trouvera qu'il y a une affirmation
27 sans l'ombre d'un doute que la Spicasta Stijena et Sedrenik et Hum font
28 partie du même terrain topographique.
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1 C'est là que se pose la question des lignes de confrontation et c'est là
2 que les arguments de la Défense s'invalident. Là, j'invite la Chambre à
3 comparer les pièces D2586 et D2057 [comme interprété]. Il s'agit là de deux
4 différents témoins de la Défense et d'une seule et même photographie. Les
5 témoignages de ces témoins sont considérablement différents.
6 Là encore, l'Accusation a présenté des éléments de preuve très clairs
7 venus de la population locale, des militaires des Nations Unies, des
8 policiers, même de la bouche des témoins de la Défense, disant que Spicasta
9 Stijena n'a été que sous le contrôle du RSK et que par conséquent les tirs
10 isolés de Spicasta Stijena étaient des tirs isolés du RSK. Toutes
11 affirmations disant que les tirs isolés de Spicasta Stijena venaient de
12 l'ABiH sont infondées. Un officier de police, Nedzib Djozo, est venu
13 déposer, il a parlé de Sedrenik disant que ce n'était même pas visible des
14 positions de l'ABiH. Page 3 689 du compte rendu d'audience.
15 Enfin, nous avons tout un jeu de faits que la Défense n'a même pas
16 cherché à réfuter, à savoir que si ne serait-ce qu'un soldat de l'ABiH
17 pouvait voir Spicasta Stijena que ce soldat pourrait voir Sedrenik, et les
18 preuves que nous avons est que ce soldat ne pourrait pas -- qu'aucun soldat
19 de l'ABiH ne pourrait pas se trouver dans cette position, et même si
20 c'était le cas, ce soldat hypothétique tirerait sur ses propres membres de
21 la famille, ses propres amis, puisque les soldats de l'ABiH étaient des
22 recrues locaux sur ce terrain-là. Page 3 690.
23 Un certain nombre d'incidents de l'Accusation concernent des tirs
24 dirigés sur les tramways. A chaque fois, lorsque nous avons eu un témoin
25 qui est venu déposer au sujet de ces incidents, sans aucun doute, sans
26 aucune ambiguïté, il a été affirmé qu'il n'y avait pas de militaires de
27 l'ABiH dans la zone où cela se situait, qu'il n'y avait pas de combats en
28 cours. Indépendamment de ces éléments unanimes, la Défense affirme, au
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1 paragraphe 88, que c'était irresponsable de la part du gouvernement
2 bosniaque d'autoriser la circulation des tramways près des lignes de front.
3 Il est affirmé par la Défense que ceci les rendait vulnérables et ça
4 permettait à ce que les gens soient pris dans les tirs croisés. Mais enfin,
5 de quels tirs croisés s'agit-il ?
6 S'il y a quelque chose qui tendait à prouver qu'il y avait des tirs
7 croisés, ce serait éventuellement ce qu'affirme la Défense à un moment, et
8 c'est au sujet des tirs au pont de Vrbanja, et en même temps il y a eu un
9 tramway qui a été la cible de tirs isolés. Bien entendu, on pourrait aussi
10 placer à l'écran la pièce 182 de l'Accusation.
11 Mais le général Fraser a été contre-interrogé au sujet de cela. Il a
12 vu un rapport des Nations Unies. Il a déposé, page 1 887, qu'il a lu ce
13 rapport et qu'il porte sur deux incidents séparés au sujet du tramway pris
14 pour cible par des tireurs isolés, donc c'était complètement distinct du
15 combat au pont. Mais cette affirmation de la Défense a été finalement
16 complètement réfutée par le témoin Alma Mulaosmanovic, qui est venu déposer
17 et qui a parlé du fait que le pont et le tramway se situent à deux endroits
18 complètement séparés. Nous avons une photographie où on a des annotations
19 bleues à droite, et à droite nous avons le pont. Deux lignes parallèles au
20 sud de la caserne de Tito.
21 Puis, on voit très bien que l'incident de tirs isolés 13 n'avait rien
22 à voir et ne pouvait pas être le résultat du fait qu'un tramway a été pris
23 dans des feux de tirs croisés.
24 La Défense affirme également que le paragraphe 4 de la pièce 175 de
25 l'Accusation montre que des soldats et des civils se trouvaient à bord de
26 ces tramways, alors que si l'on vérifie ces références, on se rend compte
27 qu'il n'y avait qu'un seul soldat à bord du tramway. S'il portait ou non
28 l'uniforme, on ne le sait pas, mais cela a été considéré d'ailleurs comme
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1 sans importance, car le témoin poursuit sa déposition en disant que le
2 tramway a été touché par 30 balles de fusil mitrailleur qui ont frappé le
3 tramway un peu en dessous des fenêtres.
4 Enfin, la Défense affirme que le gouvernement bosniaque, en faisant
5 circuler les tramways, mettait les civils en danger. Ceci est une
6 affirmation sans fondement. La Défense ne dit pas dans son mémoire que les
7 tramways ne circulaient que pendant la durée des cessez-le-feu et que, par
8 conséquent, chacun des quatre incidents ayant affecté des tramways,
9 incidents qui ont fait l'objet de présentations des moyens de preuves par
10 l'Accusation constituent une violation du cessez-le-feu.
11 La Défense affirme également que le virage en S dont il a été
12 tellement question dans les éléments de preuve présentés aux Juges de cette
13 Chambre, le virage qui se trouve devant le Holiday Inn n'était pas visible
14 depuis le bâtiment concerné, mais ceci ne vous dit pas qu'à partir d'autres
15 endroits de Grbavica, à des endroits qui surplombaient les tramways, on
16 pouvait voir ce virage qui faisait une ligne oblique régulière et que ceci
17 était le cas pendant toute la période où le tramway a été particulièrement
18 vulnérable, notamment au niveau de ce virage.
19 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais passer
20 quelques minutes à vous parler aussi de la défense d'alibi qui est
21 présentée par mes collègues de la partie adverse, quant au fait de savoir
22 qui contrôlait les hauteurs dans la région.
23 L'Accusation a présenté un grand nombre d'éléments de preuve qu'elle
24 évoque dans son mémoire écrit qui concernent le caractère tout à fait
25 effectif du contrôle exercé par l'accusé sur le Corps de Sarajevo-Romanija.
26 La seule contestation, à mon avis, de ces éléments de preuve provient d'une
27 affirmation selon laquelle l'accusé ne serait pas responsable du massacre
28 de Markale le 28 août 1995, car ce jour-là, il était à l'hôpital à
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1 Belgrade, ayant à obtenir des soins pour une blessure.
2 Comme nous le disons dans notre mémoire écrit, le fait que la
3 campagne de terreur s'est poursuivie en l'absence de l'accusé est une
4 incrimination supplémentaire contre lui. Elle démontre que l'appareil
5 utilisé par l'accusé avait été mis en mouvement pouvait continuer à agir
6 même en son absence. Il est également utile d'appeler l'attention des Juges
7 de la Chambre, et je le fais avec le respect que j'ai pour la Chambre de
8 première instance, sur la déposition du témoin de la Défense, Veljovic, qui
9 aux pages 5 844 à 5 855 du compte rendu d'audience, évoque les événements
10 survenus à son retour de Belgrade. Il indique qu'aucune sanction
11 disciplinaire n'a été prononcée par lui contre les auteurs présumés des
12 crimes horribles commis le 28 août.
13 Sur la question de savoir qui contrôlait les hauteurs surplombant
14 Sarajevo, j'aimerais, au démarrage de cette partie de mon exposé, revenir
15 sur ce que je discutais il y a quelques minutes, c'est-à-dire Grbavica.
16 Au paragraphe 41 de son mémoire écrit, la Défense concède que
17 Grbavica était contrôlée par le RSK. Elle était entourée sur trois côtés
18 par l'ABiH, et du quatrième côté se trouvait la ligne de front où longeait
19 la rivière Miljacka. La Défense affirme toutefois que ceci n'a pas
20 d'importance, le fait que Grbavica ait été surplombée par Debelo Brdo. Elle
21 cite un passage de compte rendu d'audience, et malheureusement quand on
22 vérifie la source en question, on constate qu'elle contredit de la manière
23 la plus claire qui soit les affirmations de la Défense. Il s'agit d'une
24 citation tirée de la déposition du général Fraser, dans laquelle il
25 commence par dire qu'il est d'accord avec le conseil de la Défense quant au
26 fait qu'à partir de Debelo Brdo, on voyait très bien l'allée des tireurs
27 embusqués, mais il ajoute ensuite qu'une grande distance sépare les deux
28 points. En tout état de cause, le RSK, comme le général Fraser l'a dit dans
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1 sa déposition, surplombait Debelo Brdo. Compte rendu d'audience, page 1
2 768.
3 Il est également utile de souligner que la ligne de vision est importante
4 pour utiliser des armes à tir direct, tels que des fusils. Mais elle est
5 moins importante lorsqu'il s'agit d'utiliser des armes à tir indirect,
6 comme des mortiers, et les seuls incidents évoqués dans l'acte d'accusation
7 auxquels nous faisons référence, sont des incidents dont l'origine du tir
8 était situé sur les collines et l'incident de Spicasta Stijena. Mais avant
9 tout, c'est Debelo Brdo qui est concerné. C'est Debelo Brdo qui fait
10 l'objet des éléments de preuve les plus significatifs montrant que le RSK
11 contrôlait les hauteurs encerclant Sarajevo et au sud-est, le mont
12 Trebevic, au nord-est Spicasta Stijena, Mrkovici et Poljane, et c'est à
13 partir de ces endroits que la ville était bombardée.
14 [La Chambre de première instance se concerte]
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Docherty, j'aimerais que
16 nous revenions sur ce que vous avez appelé la défense d'alibi de la partie
17 adverse. A mes yeux, ce moyen de défense ne me semble pas constituer un
18 alibi, pas du tout, voyez-vous.
19 Car lorsque l'accusé est allé se faire soigner l'œil à l'hôpital, ce que
20 les témoignages ont permis aux Juges d'entendre si je me souviens bien,
21 c'est la chose suivante, à savoir que son pouvoir et le contrôle exercé par
22 lui avaient été transférés à son suppléant, à son adjoint. Donc de jure il
23 n'était plus aux commandes des opérations. Donc je ne vois pas du tout en
24 quoi ceci pourrait être un synonyme de défense d'alibi. Cela signifie
25 simplement qu'il ne jouissait plus du pouvoir de jure à cette époque-là. De
26 facto, c'est peut-être autre chose, mais de jure, il n'avait plus le
27 pouvoir. Alors comment est-ce que cela répond à l'argument développé par
28 vous, à savoir que l'appareil qu'il avait mis en place était tellement bien
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1 huilé qu'il a continué à fonctionner efficacement en son absence ?
2 M. DOCHERTY : [interprétation] D'après mon souvenir, Monsieur le Président,
3 la Défense a présenté un certain nombre d'éléments de preuve, à savoir des
4 dossiers médicaux, en l'absence de toute objection de notre part, car nous
5 ne contestons pas qu'il ait été absent du théâtre des opérations à cette
6 époque-là. Mais il est utile de souligner également qu'il est revenu de
7 Belgrade et que, selon M. Veljovic, lorsqu'il a été pleinement informé de
8 ce qui s'était passé en son absence, qu'il n'a pris aucune mesure
9 effective.
10 Donc il y a deux choses qui se déroulent en même temps. D'abord, l'accusé a
11 créé et dirigé pendant plusieurs mois une campagne effective. Cette
12 campagne a continué à se dérouler --
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais qu'en est-il du 7(3) ?
14 M. DOCHERTY : [interprétation] Le 7(3), Monsieur le Président, je vais le
15 paraphraser. L'article 7(3), il dispose que si l'on exerce effectivement un
16 contrôle sur des troupes, qu'on sait que ces troupes ont commis des crimes
17 et qu'on ne prend pas les mesures raisonnables nécessaires, sans évidemment
18 aller jusqu'à l'impossible, mais les mesures raisonnables et nécessaires
19 pour punir les coupables de ces crimes, à savoir les hommes en question --
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous affirmiez que nonobstant le
21 fait qu'il était à l'hôpital pour se faire soigner l'œil, donc en son
22 absence, le pouvoir exercé sur les troupes avait été transféré à quelqu'un
23 d'autre, mais qu'en dépit de cela, il l'exerçait effectivement ce pouvoir.
24 M. DOCHERTY : [interprétation] Non. Enfin, c'est un argument à défaut. Le
25 premier argument, bien entendu, c'est qu'il a ordonné et planifié la
26 campagne en question, et que cette campagne a abouti à ce à quoi elle a
27 abouti. Il a ordonné et planifié une campagne de terreur contre la
28 population civile. Le fait que je décide de cambrioler une banque la
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1 semaine prochaine et que mes associés cambriolent cette banque alors que
2 moi j'ai quitté la ville ne m'absout pas de la responsabilité pénale
3 d'avoir ordonné et planifié ce cambriolage de banque, on ne peut pas
4 absoudre les accusés de planification, d'encouragement et d'incitation à la
5 campagne de terreur contre les civils de Sarajevo pendant la période visée
6 à l'acte d'accusation.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Nous entendrons la
8 Défense sur ce point.
9 M. DOCHERTY : [interprétation] En quelques mots pour terminer sur la
10 question du contrôle des hauteurs environnant Sarajevo, je donnerais deux
11 exemples : Zuc et Hum. La Défense affirme à juste titre que l'ABiH
12 contrôlait ces hauteurs, mais elle semble ne pas tenir compte du fait que
13 les hauteurs en question étaient elles-mêmes encerclées et surplombées,
14 donc contrôlées à partir de sommets d'une plus grande altitude, et que le
15 mont Trebevic, si nous le regardons sur la carte qui constitue la pièce à
16 conviction D59 de la Défense, c'est la carte qui, je crois, est encore la
17 plus utilisée dans ce prétoire depuis un certain temps et qui l'a été
18 jusqu'à la fin du procès, Trebevic est d'une altitude supérieure de plus
19 d'un millier de mètres. Au sud, nous avons une chaîne montagneuse qui a une
20 altitude d'environ 1 000 mètres, et au nord et à Paljevo à l'ouest, on a
21 des hauteurs de 1 900 mètres. Donc toutes ces montagnes plus élevées sont
22 occupées par des armes lourdes qui pouvaient être utilisées et qui ont été
23 utilisées pour pilonner Sarajevo jour après jour durant la période visée à
24 l'acte d'accusation.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais quelle est l'importance
26 juridique du fait qu'on occupe des hauteurs ?
27 M. DOCHERTY : [interprétation] Cela a une importance factuelle. Mais en
28 fait, il y a deux questions à discuter ici.
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1 D'abord, s'agissant des armes à tirs indirects comme les mortiers qui
2 occupent les hauteurs n'a guère d'importance. Ce qui importe, c'est que les
3 mortiers tirent à partir d'un endroit situé hors de la ville et tirent sur
4 la ville. Quant à des armes à tirs directs, là, cela a une importance. En
5 effet, les armes à tirs directs ont besoin pour tirer d'une cible visible.
6 Mais encore une fois, je pense que la question du contrôle des hauteurs qui
7 a fait beaucoup parler pendant ce procès, peut-être pas toujours de façon
8 indispensable dirais-je, mais enfin le contrôle des hauteurs s'agissant de
9 l'utilisation d'armes à tir direct est important d'après nous, notamment si
10 l'on pense à Spicasta Stijena qui, je crois, quand on examine de près tous
11 les éléments de preuve, est manifestement un endroit qui était sous le
12 contrôle du RSK. Donc dans les premières lignes de l'acte d'accusation
13 modifié, on voit déjà une référence au fait que le RSK contrôlait le
14 territoire de Sarajevo.
15 Toutefois, j'aimerais dire que bien que l'ABiH ait tenu une colline
16 ici ou là - on en a parlé quand on a parlé de Debelo Brdo - on a dit
17 quelles étaient les hauteurs tenues par l'ABiH, néanmoins cette armée ne
18 tenait pas les hauteurs dans ce secteur particulier, parce que le RSK
19 contrôlait des hauteurs encore plus importantes, qui surplombaient les
20 hauteurs tenues par l'ABiH. La situation générale évoquée au début de
21 l'acte d'accusation modifiée montre bien que Sarajevo se trouve dans une
22 vallée, qu'elle est dominée par des collines qui l'entourent de toutes
23 parts, et que ces collines étaient elle-mêmes surplombées par des hauteurs
24 tenues par le RSK, même si l'ABiH tenait effectivement un lieu situé à
25 quelque altitude ici ou là. Mais l'aspect général de la situation, c'est
26 que le RSK tenait les hauteurs le plus élevées le long de la Miljacka, à
27 partir desquelles on avait une vue plongeante sur la ville de Sarajevo.
28 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, à plusieurs endroits la
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1 Défense affirme dans son mémoire un certain nombre de choses qui ne sont
2 pas étayées par des éléments de preuve. En particulier, j'aimerais appeler
3 l'attention de la Chambre sur les paragraphes 150 et 151 du mémoire en
4 clôture de la Défense. Dans ces paragraphe, la Défense affirme d'abord que
5 la FORPRONU et les observateurs internationaux avaient des difficultés à
6 dénombrer les blessées parce qu'ils ne recevaient pas toujours accès aux
7 hôpitaux de Sarajevo, et si nous poursuivons la lecture au paragraphe 151,
8 nous voyons que dans tous ces événements, il y a eu exagération du nombre
9 des blessés, car les blessés venaient des environs de Sarajevo en passant
10 par le tunnel, et étaient hospitalisés dans l'hôpital en ville. Cela figure
11 au paragraphe 151.
12 Il y a la déposition du général Karavelic, qui dit que les blessés étaient
13 transportés grâce au tunnel. Il faut citer le général Karavelic, qui parle
14 de l'évacuation des blessés hors de la ville. C'est là que nous avons une
15 affirmation complètement sans fondement de la Défense, selon laquelle les
16 autorités bosniaques exagéraient le nombre des blessés en amenant des
17 civils de l'extérieur pour les hospitaliser dans les hôpitaux afin
18 d'empêcher qu'ils soient comptabilisés, et la Défense prétend que les
19 Nations Unies ne pouvaient pas entrer dans les hôpitaux. C'est un argument
20 qui ne devrait pas retenir la Chambre très longtemps.
21 On peut dire la même chose de certaines des affirmations de la Défense au
22 sujet de la qualité du travail effectuée par les forces de l'ordre
23 bosniaques. Comme par exemple, le paragraphe 153 de son mémoire en clôture,
24 où on trouve une accusation grave de manipulation d'une scène de crime.
25 Mais si quoi que ce soit de tout cela avait eu lieu, la scène aurait été
26 complètement nettoyée, et n'aurait pu servir à rien. Ceci, comme des
27 témoins l'ont dit dans leurs dépositions, ne doit avoir aucune incidence
28 sur l'analyse de la situation, de la profondeur ou de la forme d'un
Page 9439
1 cratère. Nous avons entendu des témoins qui ont parlé de cela. La Défense
2 essaie de tirer profit de l'absence de juges d'instruction sur les lieux.
3 Or, il apparaît que le témoignage de juges d'instruction n'est pas toujours
4 parallèle à celui de la police.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Y a-t-il des éléments de preuve
6 affirmant que le fait que la scène ait été nettoyée n'a eu aucun effet ?
7 M. DOCHERTY : [interprétation] Aucun effet sur l'analyse de la forme du
8 cratère, sur la dimension du cratère, la profondeur du cratère.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez présenté des éléments de
10 preuve sur ce point ?
11 M. DOCHERTY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous avons
12 présenté des éléments de preuve sur ces points. Plusieurs témoins en ont
13 parlé. Si on nettoie un cratère et qu'on enlève tous les éléments matériels
14 qui peuvent s'y trouver, il n'en reste pas moins qu'on peut procéder à une
15 analyse du cratère, et c'est ce qui importe.
16 De même, l'absence d'un juge d'instruction ne nuit en rien à l'enquête.
17 Rien dans ce qu'a fait la police ou dans ce qu'elle n'a pas fait n'aurait
18 été fait différemment si un juge d'instruction avait été présent.
19 L'affirmation a été faite que des photographies n'ont pas été prises des
20 victimes in situ, mais bien entendu, dès lors qu'une victime tombe sous les
21 balles, le fait de prendre des photographies de la scène et de la victime
22 en question ne nous dit rien de particulier sur l'importance de l'analyse
23 de cette victime par le médecin légiste. La même remarque vaut pour
24 l'affirmation de la Défense selon laquelle des échantillons biologiques
25 n'ont pas été prélevées. L'absence d'échantillons biologiques ou la
26 présence d'échantillons biologiques n'auraient aidé en rien, absolument
27 rien s'agissant de déterminer l'origine du tir.
28 En conclusion, il y a eu des tirs embusqués qui ont visé systématiquement
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1 les civils de Sarajevo. Or, l'accusé contrôlait ces tirs embusqués. Le
2 général Fraser a déclaré qu'il aurait pu s'occuper de ces tirs embusqués,
3 et que s'il le faisait, les choses allaient mieux pendant quelque temps,
4 mais qu'elles se dégradaient immédiatement ensuite. Les accords de lutte
5 contre les tirs embusqués sont à analyser dans ce cadre. Les choses
6 allaient mieux pendant quelque temps, puis se dégradaient de nouveau. La
7 signature de l'accord due à l'accusé montre très clairement qu'il
8 contrôlait les actions des tireurs embusqués du RSK à Sarajevo. C'est ce
9 que prouvent les pièces 765, 766, 767, dans lesquelles l'accusé demande des
10 munitions pour ses troupes.
11 Un expert des tirs embusqués de l'armée néerlandaise, qui a une grande
12 expérience en Bosnie et qui était un officier chevronné de l'armée
13 néerlandaise et spécialiste des tirs embusqués, a déclaré qu'il s'est rendu
14 sur les lieux chaque fois qu'il y a eu un incident lié à des tirs
15 embusqués, et que dans tous les cas il a pu déterminer que le tireur
16 n'avait pu être identifié autrement que comme un combattant.
17 L'Accusation a donc apporté les éléments de preuve nécessaires s'agissant
18 des tirs embusqués. Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs les
19 Juges.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
21 Monsieur Sachdeva.
22 M. SACHDEVA : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
23 les Juges. Bonjour aux collègues de la Défense.
24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'Accusation soutient qu'elle a
25 prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les trois incidents liés à des
26 tirs de mortier, l'incident lié à un canon et les 11 incidents liés à des
27 bombes aériennes modifiées figurant dans l'annexe 2 de l'acte d'accusation
28 modifié sont dus à des actes de l'accusé et des forces du RSK sous ses
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1 ordres, et donc que les charges numéro 1, 5, 6 et 7 figurant dans l'acte
2 d'accusation modifié ont été prouvées.
3 Je tiens à indiquer d'emblée que dans le temps limité dont je
4 dispose, je ne vais pas répéter les réquisitions de l'Accusation relatives
5 à la composante pilonnage figurant dans l'acte d'accusation modifié que
6 l'on trouve aux pages 9 à 95 du mémoire écrit de l'Accusation. Je me
7 concentrerai pour ma part sur deux incidents contenus à l'annexe 2 de
8 l'acte d'accusation modifié, où on trouve la réponse indispensable à
9 certaines affirmations de la Défense, et où l'Accusation s'exprime de façon
10 générale sur les bombes aériennes modifiées.
11 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, d'emblée je tiens à rappeler à
12 la Chambre de première instance les éléments de preuve suivants et très
13 importants, qui d'après l'Accusation doivent être gardés à l'esprit
14 lorsqu'il s'agira de se prononcer de façon décisive sur l'origine des tirs,
15 et ce, en dehors de tout élément de preuve scientifique sur lesquels je
16 reviendrai dans un instant.
17 D'abord, le témoin de la Défense Glavas. C'était un soldat du Corps de
18 Sarajevo-Romanija stationné sur le front, et il se voit posé la question
19 suivante :
20 "Donc en fait, vous dites que puisque vous étiez encerclés, il est logique
21 de partir du principe que si un obus tombe dans votre secteur, il avait été
22 lancé par des gens qui vous encerclaient. Est-ce bien cela ?"
23 Et sa réponse très claire est "oui."
24 Deuxième élément de preuve significatif, il vient du général Rupert Smith,
25 qui était commandant de la FORPRONU pendant 1995, stationné à Sarajevo,
26 interrogé au sujet de l'origine du tir en rapport avec l'incident de
27 Markale, il déclarait : "Finalement, mon expérience dans le siège, c'est
28 que lorsqu'un obus tombe à l'intérieur de la zone assiégée, il a tendance à
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1 avoir été lancée à partir d'un lieu situé à l'extérieur de la zone
2 assiégée."
3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est cet incident dont je vais
4 m'occuper maintenant, le massacre de Markale survenu le 28 août 1995, au
5 cours duquel 40 personnes civiles ont trouvé la mort et plus de 70 ont été
6 blessées. C'est le point culminant de la campagne de terreur, et c'est le
7 deuxième incident notoire qui a frappé le même endroit, à savoir le marché
8 de Markale, puisque le premier datait du 5 février 1994 et avait également
9 été dû à un mortier de 120-millimètres de calibre, à l'époque où c'était le
10 général Galic qui exerçait le commandement --
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Au nom des interprètes, je vous
12 demande de ralentir.
13 M. SACHDEVA : [interprétation] Mes excuses aux interprètes.
14 Q. Premier massacre de Markale datant du 5 février 1994, dû également à un
15 mortier de calibre 120, qui a stigmatisé la période de commandement du
16 général Galic, le prédécesseur du général Milosevic, donc le pilonnage du
17 28 août 1995 est pour sa part la marque de la période au pouvoir de
18 l'accusé. L'attaque à l'obus qui a frappé le marché de Markale symbolise
19 les souffrances superflues de la population de Sarajevo pendant le
20 commandement du RSK dans la région. Monsieur le Président, Messieurs les
21 Juges, l'Accusation appelle cela un pilonnage parce que si l'on se penche
22 sur les faits purs et durs qui figurent dans le dossier de l'Accusation,
23 c'est exactement de quoi il s'agit. Un seul tir d'obus de mortier de
24 calibre 120, tiré à partir de la zone sous le contrôle du RSK, sur le mont
25 Trebevic, par un mortier, à la fin d'une belle matinée d'été, et qui
26 explose sur la place du marché en plein centre-ville de Sarajevo, en tuant
27 et en mutilant des civils.
28 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il y a diverses versions de cet
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1 incident qui sont appuyées par des éléments de preuve et il y a des
2 versions qui ne sont pas étayées par de tels éléments. Très simplement, la
3 seule version présentée par l'Accusation est étayée et corroborée par des
4 éléments de preuve. Vous l'avez entendue au cours du procès. L'Accusation
5 évoque le massacre de Markale suite à une reconstitution détaillée qui part
6 d'une évaluation très scrupuleuse des actes scientifiques entrepris durant
7 les enquêtes.
8 Parce que le récit de l'Accusation s'appuie sur des éléments de preuve,
9 nous sommes en mesure de dire aux Juges de la Chambre que ce récit a été
10 établi au-delà de tout doute raisonnable et qu'il consiste dans les
11 éléments suivants. Un obus de mortier de calibre 120 a été tiré à partir
12 des positions tenues par le RSK sur le mont Trebevic, situé au sud du lieu
13 de l'explosion. Cet obus a suivi une trajectoire de 170 degrés environ pour
14 atterrir sur la place du marché à un angle au moins égal à 67 degrés et a
15 frappé la route à 4,80 mètres environ d'un mur qui fait face au sud, et
16 cette explosion a causé des destructions importantes sur le plan humain,
17 que l'on voit dans des images très éloquentes qui constituent la pièce P623
18 de l'Accusation et la pièce P355, où l'on voit les victimes civiles, ainsi
19 que les dossiers médicaux et les rapports d'autopsie. Nous avons également
20 les pièces P71 à P82 qui constituent un élément de preuve très significatif
21 relativement aux victimes qui ont été témoins oculaires de première main du
22 pilonnage, tel que par exemple le témoin Mesuda Klaric dont il est question
23 dans la pièce P648.
24 L'analyse détaillée de ces éléments de preuve figure aux paragraphes 302 à
25 338 du mémoire en clôture de l'Accusation. Qu'il suffise de dire que dans
26 la première enquête menée par les Nations Unies et par les observateurs
27 internationaux, on voit que Konings arrive sur les lieux 30 à 40 minutes
28 après l'explosion et qu'il conclut qu'un obus de mortier de calibre 120 a
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1 explosé. C'est ce qu'on peut lire dans le rapport de cet homme, qui
2 constitue la pièce P85. Ceci est confirmé par une enquête indépendante
3 menée par les Bosniaques, pièce à conviction P252 de l'Accusation conservée
4 sous pli scellé, ainsi que par un rapport des Nations Unies de l'enquête
5 menée par la Cellule du génie français, pièce à conviction de l'Accusation
6 357, page 6.
7 La direction du tir, à savoir 170 degrés, plus ou moins les 10 degrés de
8 marge d'erreur, ne fait aucun doute. L'enquête menée par la police
9 bosniaque et l'enquête française concluent également à une direction de tir
10 qui est approximativement de 170 degrés. Le témoin expert Higgs qui, a
11 rappelé devant la Chambre de première instance - il a été entendu comme
12 expert dans l'affaire Galic, je vous le rappelle - a consacré toute sa
13 carrière à l'étude des mortiers. C'est un officier particulièrement
14 chevronné de l'armée britannique en matière de mortiers. Il a confirmé
15 qu'une explosion d'un obus de 120-millimètres avait eu lieu, après avoir
16 examiné les photographies du cratère. Même le témoin expert de la Défense,
17 Garovic, a déclaré que l'angle était de 175 degrés, et je renvoie les Juges
18 de la Chambre aux paragraphes 313 à 318 du mémoire en clôture.
19 Il est clair que l'obus de calibre 120 a suivi une trajectoire allant du
20 sud de la ville vers le mont Trebevic, mont qui était irréfutablement sous
21 le contrôle du RSK. L'obus a été tiré à partir d'un lieu situé au-delà de
22 la ligne de front, en d'autres termes, sur le territoire tenu par le RSK et
23 non à partir d'un endroit situé entre les lignes de confrontation, c'est-à-
24 dire à partir d'un territoire tenu par l'ABiH. Ceci a été démontré au-delà
25 de tout doute raisonnable dans une partie importante de la déposition du
26 témoin Knustad. Knustad, le matin du 28 août 1995 était, avec ses
27 collègues, positionné au poste d'observation des Nations Unies qu'on
28 appelait OP1, qui se trouvait non loin de la ligne de front au sud de la
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1 ville dans la direction du mont Trebevic, à un kilomètre à peine de la
2 trajectoire suivie par l'obus.
3 Ce qui est très important. Car Knustad était déployé à un endroit à partir
4 duquel il est capable de déclarer que si l'obus était venu du territoire
5 tenu par l'ABiH, c'est-à-dire de l'intérieur des lignes, la situation
6 aurait été différente. Mais les éléments de preuve très convaincants qui
7 ont été soumis à la Chambre indiquent que les témoins n'ont pas entendu ce
8 tir. Ce qui signifie, d'après l'Accusation en l'espèce, que cet obus n'a pu
9 être tiré à partir des lignes de l'ABiH. Car dans ce cas, l'explosion
10 aurait été entendue, et que l'obus a donc été tiré à partir d'une distance
11 de 4 à 5 kilomètres. Higgs confirme qu'à 3 ou 4 kilomètres de distance
12 l'obus aurait pu être entendu, et le témoin expert de la Défense Garovic
13 corrobore ceci en déclarant qu'à une distance de 5 ou 6 kilomètres il
14 aurait été entendu. Il convient que si un observateur se trouvait à une
15 distance d'un kilomètre de la position de tir, l'obus aurait été entendu.
16 Il a dit dans sa déposition que si l'obus avait été tiré à partir d'un lieu
17 situé à l'intérieur des lignes de confrontation, une volute de fumée aurait
18 pu être visible, elle serait montée du marché. Il a dit dans sa déposition
19 que l'obus avait été tiré d'un endroit situé hors des lignes et à un angle
20 de 170 degrés.
21 L'importance de cette déposition est amplifiée par Konings, chef de
22 l'équipe des observateurs internationaux qui a un grand respect
23 professionnel pour l'expert en mortiers et l'expert militaire qui s'est
24 exprimé précédemment. Konings témoigne que l'OP1 a dit ne pas avoir entendu
25 le tir sortant. Répondant à une question quant à l'importance du fait que
26 les observateurs internationaux situés à OP1 n'ont pas entendu le tir
27 sortant, il déclare, page 3 585 du compte rendu d'audience :
28 "C'est un élément manquant s'agissant de déterminer l'origine du tir. Si
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1 l'obus avait été tiré à partir du territoire tenu par l'ABiH, l'angle de
2 tir aurait été inférieur et la charge pratiquement également à zéro. Le
3 lieu d'origine du tir aurait été non loin ou aux environs de l'OP1. Puisque
4 ce jour très calme, on n'a pas entendu le tir, je déclare - et c'est mon
5 avis professionnel - qu'un obus de calibre 120 aurait dû produire un son
6 très important. On ne peut pas rater un tel tir. On voit l'obus. On voit un
7 éclair. On voit la fumée. Ceci aboutit à la conclusion que l'obus a été
8 tiré d'une distance plus importante. Et puisque aucun son n'a été entendu,
9 il a dû être tiré à partir d'un lieu situé de l'autre côté de la crête
10 montagneuse qui se trouve au sud de la ville de Sarajevo, et c'est cette
11 crête montagneuse qui a atténué le son."
12 Ceci permet d'établir de façon très claire que l'obus n'a pas été tiré
13 depuis l'intérieur des lignes de l'ABiH, mais depuis une position tenue par
14 le RSK et à une certaine distance au-delà de la ligne de front, plus
15 particulièrement à partir d'un lieu situé de l'autre côté de la montagne.
16 Donc l'obus a peut-être été tiré à partir d'un endroit situé derrière les
17 lignes de la VRS, et c'est pourquoi il n'a pas été entendu en raison de la
18 configuration du terrain, et du fait que les collines montent et descendent
19 dans le secteur. Le témoin expert Higgs a confirmé l'effet neutralisant du
20 son dû à la présence de ces collines. Les experts de la Défense sont
21 d'accord sur le fait qu'il est possible qu'un son soit atténué en raison de
22 cela, mais maintiennent que le tir de l'obus aurait été entendu par les
23 observateurs internationaux s'il avait été tiré à partir des lignes d la
24 VRS.
25 Monsieur le Président, le problème dans ces éléments de preuve c'est
26 que non seulement ils sont contredits par Higgs et par Konings, mais qu'ils
27 reposent sur le fait que la position de tir se serait située à 2 400 mètres
28 du lieu de l'explosion, et qu'ils ne prennent pas en compte le fait que
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1 l'obus aurait pu être tiré à partir d'une distance plus importante. Il est
2 exact que Higgs situe la position probable du tir à 2 400 mètres de
3 distance, mais comme l'Accusation l'a affirmé pendant le procès et l'a dit
4 dans son mémoire en clôture au paragraphe 312, la charge de la preuve
5 repose sur l'Accusation, et cette dernière a établi que l'obus avait été
6 tiré à partir du territoire tenu par le RSK, donc elle a établi les faits.
7 Mais en réalité, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la
8 Défense propose une version très différente des événements. La Défense
9 maintient une version radicalement différente, et c'est la raison pour
10 laquelle au début de mon exposé j'ai souligné le fait qu'il s'agissait d'un
11 incident lié à un obus, parce que la Défense affirme que, bien au
12 contraire, il s'agit d'une explosion statique qui aurait provoqué les
13 dégâts subis par la place du marché, donc d'une attaque terroriste
14 provoquée in situ.
15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, aux paragraphes 326 à 338
16 du mémoire en clôture de l'Accusation, celle-ci réfute de façon détaillée
17 la théorie de la Défense où il est question d'explosion statique.
18 L'Accusation estime que ce qu'elle affirme est tout à fait clair au vu des
19 éléments de preuve et qu'il est clair que la théorie de la Défense n'est
20 étayée en rien et ne tient pas.
21 L'argument de la Défense sur cette question figure en page 66
22 de la version anglaise du mémoire en clôture de la Défense. Elle demande à
23 la Chambre de première instance de s'appuyer sur le rapport d'expert du Dr
24 Vukasinovic qui constitue la pièce D175. Ce rapport conclut que le
25 pilonnage de Markale est dû à une explosion statique. L'Accusation affirme
26 toutefois que ce rapport ne doit se voir accorder aucun poids par la
27 Chambre de première instance. Son auteur n'a pas été cité à la barre par la
28 Défense, et son analyse et sa conclusion n'ont pas été vérifiées au cours
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1 d'un contre-interrogatoire ou grâce à des questions posées par les Juges,
2 donc ce rapport et cette analyse ne sont pas fiables.
3 Au départ, le Dr Vukasinovic propose des hypothèses quant à l'angle de
4 descente de l'obus, on le voit à la page 3 de la version anglaise de son
5 rapport. Pour déterminer la hauteur du mur qui se trouve face au sud, qui
6 est un élément tout à fait crucial dans le calcul de l'angle de descente,
7 Vukasinovic détermine cette hauteur sur la base d'une hypothèse quant au
8 poids moyen d'une personne que l'on voit à la figure 4, et il part de
9 l'hypothèse que cet homme aurait une stature de 1 mètre 75.
10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, peut-être en est-il ainsi, il
11 est donc possible que cette hypothèse soit vérifiée, mais il est possible
12 que cette hypothèse ne soit pas vérifiée. Dans ce cas, elle met à mal les
13 conclusions du rapport.
14 La Défense, dans son mémoire en clôture, affirme que l'expert de
15 l'Accusation Zecevic est d'accord avec le calcul du Dr Vukasinovic et admet
16 qu'il s'agit d'un expert reconnu. Oui, c'est exact. Zecevic admet la
17 théorie du Dr Vukasinovic. Il dit qu'elle est valable, mais qu'il a des
18 inquiétudes importantes par rapport aux chiffres utilisés par le docteur.
19 La Défense n'a pas révélé cela dans son mémoire. Zecevic n'a pas entériné
20 la conclusion selon laquelle il s'agirait d'une explosion statique. Et je
21 vous renvoie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, aux pages 4 936
22 et 4 937 du compte rendu d'audience. Zecevic déclare ce qui suit, je cite :
23 "Dans l'étude dont vous faites état, on trouve plusieurs arguments mal
24 conçus. Si vous calculez la hauteur du bâtiment et la distance à partir du
25 lieu de l'incident, nous sommes en mesure de déterminer l'angle de descente
26 comme étant au minimum de 70 degrés, alors que l'étude de M. Vukasinovic
27 parle de 50 à 60 degrés. Cela change beaucoup de choses. Je souligne encore
28 une fois que le travail de M. Vukasinovic est excellent en théorie, mais
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1 son étude s'agissant des chiffres utilisés ne rend pas compte de la
2 situation exacte."
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Sachdeva, vous avez parlé
4 de la page 66 du mémoire de la Défense. Je me demandais si c'était bien le
5 numéro que vous aviez à l'esprit.
6 M. SACHDEVA : [interprétation] En version anglaise, Monsieur le Président.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais c'est la dernière page
8 intitulée "Discussion".
9 M. SACHDEVA : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Il
10 s'agit de la page 57. Puis-je poursuivre ?
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, je vous en prie. Maître
12 Tapuskovic.
13 M. TAPUSKOVIC : [interprétation] Monsieur le Président. Je regrette
14 d'interrompre, mais je m'attendais à recevoir la version anglaise du texte,
15 si elle était disponible, et dans la situation dans laquelle nous sommes
16 actuellement, nous ne pouvons pas suivre comme il se doit les débats. Nous
17 avons remarqué certaines contradictions et je pensais que nous nous
18 verrions remis le texte anglais, la traduction anglaise.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je le pensais aussi.
20 M. SACHDEVA : [interprétation] Monsieur le Président, je peux peut-être
21 apporter certaines précisions à mon confrère. Ça figure aux paragraphes 193
22 et 194 de la version en français du mémoire de la Défense. L'original donc
23 du mémoire.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au greffe de faire
25 en sorte que vous receviez un exemplaire, Maître Tapuskovic, de la version
26 en anglais. Etes-vous sûr que vous ne l'avez pas ? Ça nous est déjà arrivé
27 par le passé.
28 M. TAPUSKOVIC : [interprétation] En tout cas pas avec moi, pas avec moi,
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1 parce que je suis sûr que nous n'avons pas reçu ce document. Nous
2 souhaitions en disposer aujourd'hui avant les réquisitoires et plaidoiries.
3 Mais pour l'instant, nous ne sommes pas en mesure de vérifier les
4 références qui nous sont données par notre confrère.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le numéro des paragraphes sont les
6 mêmes en français. Bien entendu, vous avez le droit de disposer du document
7 en anglais. Nous allons veiller à ce que ce soit le cas, Maître Tapuskovic.
8 Mais poursuivez, Monsieur Sachdeva.
9 M. SACHDEVA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
10 Avant cette interruption, je venais de finir de citer les propos de M.
11 Zecevic, et je voudrais dire que, bien entendu, le Dr Vukasinovic a formulé
12 des hypothèses parce qu'il n'était pas sur place, mais les enquêteurs
13 bosniaques, les enquêteurs des Nations Unies étaient sur place, sur les
14 lieux, juste après l'explosion, et eux, ils ont calculé l'angle de
15 descente, et ce sont des calculs et des mesures réalisés de manière
16 indépendante, et selon nous, ces calculs et ces mesures sont beaucoup plus
17 fiables.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Sachdeva, je vais vous
19 interrompre parce que nous allons maintenant faire la pause.
20 Maître Tapuskovic, si je ne m'abuse, vous souhaitiez intervenir. Vous
21 souhaitiez vous exprimer. Mais je vous rappelle que vous n'avez pas besoin
22 de me demander la permission pour intervenir. Vous pouvez simplement vous
23 lever et intervenir.
24 M. TAPUSKOVIC : [interprétation] La seule chose que je souhaiterais dire,
25 Monsieur le Président, et je l'avais fait savoir avant l'audience
26 d'aujourd'hui d'ailleurs, c'est que je pourrais immédiatement commencer le
27 prononcé de ma plaidoirie. Mais je voulais dire, et ce qui m'amène à le
28 dire c'est ce problème de traduction, et bien entendu je m'en remets à la
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1 décision de la Chambre, mais ceci étant dit, après le réquisitoire de
2 l'Accusation, je souhaiterais disposer de ce document afin de me préparer
3 pour demain. Afin d'être aussi clair, d'être aussi concis que possible dans
4 ma réponse aux arguments développés par l'Accusation. Parce que là,
5 franchement, je ne suis pas en mesure de répondre à tous les arguments qui
6 ont été développés aujourd'hui. Je ne vois de raison de se précipiter de
7 cette manière, j'aurai un peu de temps ce soir et demain matin pour me
8 préparer de manière adéquate. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais
9 vous demander de me permettre de le faire.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons nous pencher sur votre
11 demande. Bien entendu, vous auriez toujours autant de temps pour présenter
12 vos arguments.
13 Oui, Monsieur Sachdeva.
14 M. SACHDEVA : [interprétation] En fait, quand j'ai parlé de la page 66, je
15 parlais de la page de l'original en français du mémoire et pas en anglais.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Les Juges vont délibérer pendant la
17 pause. Nous allons donc maintenant faire une pause de 30 minutes.
18 --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.
19 --- L'audience est reprise à 16 heures 25.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Sachdeva.
21 M. SACHDEVA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
22 Avant la pause, je parlais du rapport du Dr Vukasinovic, et soit dit en
23 passant, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la méthode utilisée
24 par le Dr Vukasinovic est la même que celle qui a été employée par les
25 enquêteurs bosniaques pour parvenir à certains résultats, tels que l'angle
26 de descente. J'insiste sur ce point parce que la Défense, comme l'a déjà
27 dit M. Docherty, mon confrère, la Défense a émis des doutes quant à la
28 compétence et aux qualifications de certains des policiers bosniaques. Elle
Page 9452
1 l'a fait dans son mémoire en clôture.
2 La Défense a également avancé que son expert, M. Garovic, qui était un
3 officier d'artillerie chevronné, avait lui aussi conclu qu'il s'agissait
4 d'une explosion statique, celle qui avait ébranlé le marché. Regardons un
5 peu quelles sont les conclusions de cet officier d'artillerie chevronné.
6 Lorsqu'on l'a confronté au fait, il a reconnu que pour qu'il y ait eu
7 explosion statique, il aurait fallu trouver sur le terrain des traces
8 secondaires soit provoquées par le dispositif utilisé pour maintenir le
9 projectile au sol soit par l'engin explosif lui-même. Or, il a dit n'avoir
10 vu aucun signe, aucune trace sur le sol allant dans ce sens. Il n'est pas
11 étonnant de voir que le témoin expert Higgs le confirme. Il déclare à la
12 page 5 032 du compte rendu d'audience, je cite :
13 "Oui. Oui, s'ils avaient employé une bombe de calibre 120-millimètres de
14 manière statique, à ce moment-là, il aurait fallu la faire exploser soit en
15 plaçant une deuxième charge à proximité, ce qui aurait beaucoup affecté la
16 caractéristique de l'explosion."
17 En réponse, Garovic a déclaré qu'il aurait pu y avoir dissimulation
18 des traces au moment du nettoyage des lieux. Mais il a fini par reconnaître
19 que ceci n'aurait pas modifié les traces laissées par le cratère. Ceci a
20 été confirmé par le Témoin 137, un enquêteur de la police bosniaque qui
21 était sur les lieux au moment de l'explosion.
22 Les deux experts Higgs et Garovic ont convenu également que s'il y
23 avait eu explosion statique, il aurait fallu la déclencher pour qu'elle
24 coïncide précisément avec le cratère que l'on a trouvé sur la route, sur le
25 lieu de l'explosion. Higgs à la page 5 031 du compte rendu a déclaré que
26 s'agissant de la distribution des éclats d'obus sur le terrain, si on avait
27 fait exploser un obus sur place, il aurait fallu le maintenir dans une
28 structure pour lui donner une inclinaison de 70 degrés pour que cela
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1 corresponde ensuite avec le cratère. Garovic a reconnu que les traces du
2 cratère n'étaient pas accidentelles, mais résultaient d'une trajectoire
3 donnée, d'un angle de descente donné, et que pour produire une explosion
4 statique il faudrait imiter tous ces facteurs, les reproduire.
5 Le témoin des observateurs des Nations Unies, Konings, a déclaré que
6 lorsqu'il était passé à côté du marché une ou deux heures avant
7 l'explosion, il n'avait pas remarqué de cratère, et pour créer un cratère
8 entre le moment où il est passé à cet endroit et le moment de l'explosion,
9 ç'aurait été selon lui totalement "impossible".
10 La Défense cite également les conclusions du témoin Demurenko, selon
11 lesquelles l'explosion a été une explosion à caractère statique, un
12 attentat. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne vais pas ici
13 répéter les arguments développés par l'Accusation pour infirmer la
14 déposition de M. Demurenko. Je vous renvoie aux paragraphes 327 à 329 de
15 notre mémoire en clôture, mais je me contenterai de dire que ces arguments,
16 les arguments qu'il présente et sa déposition pose plusieurs problèmes.
17 Premièrement, les données qu'il utilise pour arriver à la conclusion selon
18 laquelle l'explosion était une explosion à caractère statique, ces données
19 sont, selon nous, incorrectes. Je vous rappelle qu'il dit que 120 personnes
20 ont trouvé la mort, par exemple.
21 Deuxièmement, il dit qu'en deux ans, il n'a pas été possible de tirer deux
22 fois au même endroit, d'atteindre deux fois le même lieu ou le même
23 endroit, mais ce que nous ont dit Higgs et W-137 nous ont dit qu'il était
24 tout à fait possible que la même cible soit touchée deux fois. Ça s'était
25 produit.
26 Dernièrement, Demurenko a reconnu qu'il n'était pas spécialiste de la
27 question antiterroriste, mais plutôt qu'il était spécialiste en matière de
28 question de maintien de la paix.
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1 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, au bout du compte l'on vous
2 demande de croire que les autorités bosniaques ont mis en place un plan qui
3 consistait à construire un dispositif et un engin explosif qui serait
4 positionné de telle manière qu'il reproduirait un cratère correspondant à
5 une explosion de 120-millimètres à un angle de descente d'environ 70
6 degrés, et ce dispositif aurait été mis en place alors qu'une foule était
7 en train de vaquer à ses occupations sur ce marché, dans cette rue très
8 animée, et personne ne l'aurait remarqué, ensuite on aurait pu faire
9 exploser cet engin. On nous demande de croire que les autorités bosniaques
10 étaient prêtes à sacrifier des centaines de personnes, et que personne
11 n'aurait rien révélé depuis 12 ans.
12 Cette version des faits est totalement invraisemblable, face à
13 l'explication beaucoup plus logique et scientifique qui est la suivante,
14 c'est-à-dire que le RSK a tiré un obus de mortier de 120-millimètres à
15 partir du mont Trebevic, et que cet obus a explosé au milieu d'un marché
16 animé.
17 Selon nous, c'est effectivement ce qui s'est passé en ce matin du 28
18 août 1995. La théorie de l'explosion statique ce n'est qu'une supposition,
19 comme l'a dit l'expert de la Défense, pages 9 216 et 9 217 du compte rendu
20 d'audience, et une simple supposition ne peut entraîner un doute
21 raisonnable, Messieurs les Juges.
22 Pour terminer, l'objectif de ce tir sur le marché avait été
23 uniquement de semer la terreur parmi la population. Comme l'a dit l'expert
24 Higgs, page 5 030, je cite :
25 "Quand on effectue un tir sur une zone urbaine ou à proximité d'un lieu où
26 se trouvent des civils, ça correspond plus à une opération ayant pour
27 objectif de terroriser la population et de faire des pertes parmi les
28 civils qu'un véritable objectif militaire."
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1 Je souhaiterais maintenant évoquer la question des bombes aériennes
2 modifiées. Je vous renvoie aux paragraphes 21 à 44 du mémoire en clôture de
3 l'Accusation.
4 L'Accusation fait valoir qu'il a été établi au-delà de tout doute
5 raisonnable que l'accusé avait personnellement ordonné le déploiement des
6 bombes aériennes modifiées sur Sarajevo, à Sarajevo tout au long de la
7 période visée à l'acte d'accusation, ceci afin de terroriser la population
8 civile. Le dossier abonde d'éléments de preuve crédibles qui montrent que
9 le RSK a développé, a eu en sa possession et a utilisé ces armes à
10 l'imprécision notoire, dont le général Fraser nous a dit qu'elles n'avaient
11 pas de valeur légitime sur le plan militaire pendant le conflit. Les
12 éléments de preuve sont les ordres donnés par l'accusé, pièces P225, P226,
13 des dépositions des témoins de l'ONU et de la police bosniaque.
14 En revanche, il n'existe aucun élément de preuve crédible selon
15 lequel l'ABiH aurait utilisé de telles bombes aériennes modifiées contre sa
16 population. Pour cette raison, nous avançons que sans l'ombre d'un doute,
17 s'agissant de tous les incidents figurant à l'acte d'accusation, ces bombes
18 provenaient des territoires contrôlés par le RSK.
19 Nous avons entendu au cours du procès des éléments de preuve portant sur
20 l'incident de la tour de la télévision le 28 juin 1995. On veut nous faire
21 croire que c'est l'ABiH qui a tiré cette bombe, mais ces éléments de preuve
22 ne tiennent pas au regard des preuves documentaires de l'époque et de ce
23 qu'ont déclaré les témoins à ce sujet. Tout ceci prouve que c'est le RSK
24 qui a tiré cette bombe aérienne modifiée sur la tour de la télévision --
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ralentissez, s'il vous plaît.
26 M. SACHDEVA : [interprétation] Il faut se rappeler qu'il y a un document
27 dans lequel l'accusé félicite ses hommes. Il les félicite parce qu'ils ont
28 touché la tour de la télévision. Je vais maintenant examiner cet incident
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1 en détail.
2 La théorie de la Défense c'est que cette bombe aérienne modifiée a été
3 tirée par l'ABiH à quelque 400 mètres au nord du bâtiment de la télévision
4 dans une zone bâtie à côté de Mali Hum, et personne n'a rien remarqué à
5 l'exception de deux observateurs des Nations Unies, Hansen et Knowles. Vous
6 vous souviendrez qu'au cours de la déposition de l'expert Zecevic nous
7 avons visionné une vidéo qui nous a montré à quoi ressemblait et quel était
8 le son produit par une bombe aérienne. Ça ne se passait pas à Sarajevo,
9 mais c'est très important et c'est très intéressant cette vidéo parce que
10 ça nous donne une idée du son produit par une bombe aérienne. J'en parle
11 parce que, selon nous, ceci démontre à quel point il est invraisemblable
12 que cette bombe ait été tirée à l'intérieur des lignes de confrontation par
13 l'ABiH sans que personne ne le remarque. Parce que si on doit ajouter foi
14 aux propos de Hansen et Knowles, seuls deux observateurs militaires de
15 l'ONU ont remarqué ce qui s'était passé, personne d'autre.
16 Selon nous, c'est totalement impossible, et non pas à cause de
17 suppositions, d'hypothèses, mais parce que les éléments de preuve directs,
18 positifs, montrent que c'est exactement le contraire qui s'est passé. Dans
19 les affaires entendues par le Tribunal, s'il existe un document dans lequel
20 un accusé a reconnu au moment des faits qu'un crime donné avait été commis,
21 c'est indéniablement le meilleur élément de preuve qu'on puisse souhaiter.
22 C'est exactement ce qui s'est passé ici, Monsieur le Président. La pièce
23 P42 produite par l'Accusation, c'est la fameuse lettre, cette lettre
24 honteuse adressée par l'accusé à tous les hommes du RSK au sujet de la
25 situation au front. Dans cette lettre, l'accusé dit la chose suivante :
26 "Notre artillerie riposte avec précision aux attaques de l'artillerie
27 musulmane. Dans le cadre d'une de ces ripostes, le 28 juin, ils nous ont
28 touché le centre de la radio et de télévision BC/RTC/BH, le centre des
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1 mensonges proférés contre la juste lutte du peuple serbe."
2 Quelle preuve de plus peut-on souhaiter trouver quant à l'origine des tirs
3 ?
4 Le témoin de la Chambre Knowles, page 9 395 du compte rendu d'audience, a
5 reconnu qu'il était possible d'envisager qu'un chef se targue d'une
6 opération qui n'a jamais eu lieu pour doper le moral de ses hommes. Mais ce
7 n'est pas ce qui s'est passé ici. Dans la pièce P629, un rapport des
8 Nations Unies sur une réunion du 9 juillet 1995, entre un officier de la
9 FORPRONU et le capitaine Novak Prodanovic de la Brigade d'Ilidza, il est
10 indiqué que le capitaine du RSK a déclaré que le RSK envoyait ou tirait des
11 roquettes de type Krema sur Sarajevo et que deux de ces roquettes avaient
12 visé le bâtiment de la télévision et qu'une l'avait touché."
13 Est-ce que cet aveu fait par ce membre du RSK à l'intention de la FORPRONU
14 a pour objectif de doper le moral des troupes du RSK ? Selon nous, non.
15 Cependant, si les Juges décidaient d'examiner la déposition de Hansen et de
16 Knowles, nous avons avançons quant à nous que leurs versions des faits
17 manquent de cohérence et ne sauraient susciter aucun doute raisonnable
18 quant à la responsabilité de l'accusé. Je le répète, Monsieur le Président,
19 je suis ici en train de résumer les arguments développés par écrit par
20 l'Accusation aux paragraphes 131 à 140 de son mémoire en clôture.
21 Hansen ne nous explique pas pourquoi il a attendu une journée avant de
22 signaler que l'ABiH avait touché la tour de la télé alors que soi-disant il
23 avait ces informations le jour même. Hansen et Knowles n'ont pas vu le
24 départ du projectile. D'ailleurs, Knowles n'avait jamais assisté au départ
25 d'une bombe aérienne auparavant. Brennskag, lui aussi membre des
26 observateurs des Nations Unies, a assisté au lancement. Il dit que ça
27 venait d'Ilidza, c'est-à-dire de la zone contrôlée par le RSK.
28 Hansen a déclaré qu'on l'avait informé que l'ABiH avait tiré ce projectile
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1 et que c'est un autre observateur militaire des Nations Unies, dont il n'a
2 jamais donné le nom, qui l'en avait informé. Cependant, Knowles déclare
3 qu'il a vu le projectile en vol avec Hansen dans le garage du bâtiment des
4 PTT. Alors, qui a raison ?
5 C'est pourquoi lorsqu'on lui présente les éléments de preuve selon lesquels
6 c'est le RSK qui a tiré sur la tour de la télévision, il reconnaît qu'il a
7 peut-être vu un événement secondaire, c'est-à-dire un deuxième projectile.
8 Comme l'a déclaré Knowles : "Personne, et moi moins qu'un autre, ne
9 souhaite contester les faits qui sont présentés."
10 Knowles a reconnu que tout s'était passé très vite et de façon totalement
11 inattendue, et tous les fait dont nous disposons nous permettent de penser
12 que l'explication la plus raisonnable c'est que Knowles a vu la bombe
13 aérienne que Brennskag et W-156 ont vue, c'est-à-dire la bombe aérienne
14 modifiée tirée par le RSK sur la tour de la télé. Enfin, les traces que
15 l'on a retrouvées sur le toit et dont W-138 nous a parlé au cours de sa
16 déposition correspondent aux traces laissées par un projectile de l'ouest
17 et pas du nord, de la zone Mali Hum.
18 Enfin, le chef de la FORPRONU, le général Smith, a déclaré que s'il avait
19 été établi que l'ABiH était à l'origine du tir ayant frappé la tour de la
20 télévision, on le lui aurait signalé. Or, cela ne lui a pas été signalé.
21 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'Accusation demande à la
22 Chambre de première instance d'adopter la seule conclusion possible vu les
23 éléments de preuve disponibles, à savoir que le Corps Romanija-Sarajevo a
24 tiré cette bombe aérienne modifiée contre la tour de la télévision le 28
25 juin 1995 vers 9 heures 20 du matin, entraînant la mort d'une personne et
26 faisant 28 blessés civils.
27 Pour finir, en prouvant au-delà de tout doute raisonnable que les incidents
28 visés à l'acte d'accusation ou non ont bien eu lieu, nous avons établi la
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1 responsabilité du général Dragomir Milosevic dans les chefs de violation
2 des droits ou coutumes de la guerre, chef 1 de l'acte d'accusation modifié;
3 chef d'assassinat, crime contre l'humanité visé au chef 5; crime d'actes
4 inhumains, un crime contre l'humanité, chef 6; et enfin, attaques illégales
5 contre des civils, chef 7 de l'acte d'accusation modifié.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et cela vous laisse quels chefs
7 d'accusation ?
8 M. SACHDEVA : [interprétation] Tous les chefs d'accusation qui ont trait
9 aux tirs embusqués. J'en ai terminé de mon intervention.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien.
11 Madame Edgerton.
12 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs les
13 Juges.
14 Il semble bon que je sois l'avant-dernier membre de l'équipe du Procureur à
15 m'adresser à vous, parce qu'après avoir entendu mes collègues, je pense que
16 le chef de terreur qui figure dans l'acte d'accusation rend parfaitement
17 compte des agissements criminels de l'accusé, et ces chefs d'accusation
18 replacent dans leur contexte de tous les autres incidents, tous les
19 incidents dont ont parlé mes collègues, et tout ceci nous fait
20 véritablement comprendre la portée des crimes commis contre les victimes.
21 La population de la ville de Sarajevo, c'est-à-dire 250 000 personnes ont
22 été affectées par cela, ont été terrorisées. Il ne s'agissait pas d'actes
23 de terreur que vivait une communauté précise. Les Serbes, les Croates, les
24 Musulmans qui vivaient dans la zone contrôlée par le gouvernement bosniaque
25 à Sarajevo ont été terrorisés, comme l'a dit M. Waespi, non pas parce
26 qu'ils craignaient d'être pris entre deux feux ou parce qu'il y avait à
27 proximité une bataille qui faisait rage, non, la peur qu'ils éprouvaient
28 était bien différente de celle qui accompagne toute période de guerre.
Page 9460
1 Toutes ces personnes étaient visées par une politique déterminée de tirs
2 embusqués et de pilonnages qui avait été mise en œuvre par le SRK, une
3 campagne qui avait pour objectif de terroriser ces victimes.
4 Il s'agissait d'attaques auxquelles a participé l'accusé à tous les
5 niveaux, des attaques qui se sont révélées extrêmement efficaces. Les
6 civils de Sarajevo vivaient véritablement dans un climat de terreur.
7 L'Accusation avance qu'il est indéniable que Dragomir Milosevic a envoyé un
8 message des plus clair à la population civile de Sarajevo, c'était son
9 intention. Il s'agissait de leur dire qu'ils ne pouvaient pas vivre en
10 sécurité. Le message était sans équivoque, on ne savait pas qui serait la
11 prochaine victime du SRK. Je vais mettre en évidence certains éléments de
12 preuve allant dans ce sens.
13 Nous avons entendu de nouveaux témoins nous expliquer que tout au long du
14 siège les lignes de front ont été statiques à Sarajevo. Les résidents de
15 Sarajevo qui vivaient de Bascarsija à Hrasnica, des gens de tous les
16 horizons, de toutes les âges, de toutes les communautés, ont expliqué à la
17 Chambre ce qu'était cette campagne violente et persistante de tirs
18 embusqués et de pilonnages menée par le SRK. Ces témoins nous ont montré
19 par leurs témoignages qu'à partir d'août 1994 jusqu'en novembre 1995,
20 aucune activité civile, aucune zone de Sarajevo contrôlée par le
21 gouvernement bosniaque n'était à l'abri de tirs embusqués ou de pilonnages.
22 Ceci, comme l'ont expliqué très clairement mes collègues, parce que
23 l'objectif de cette campagne n'était pas de neutraliser des cibles
24 militaires, bien au contraire. Il ne s'agissait pas là d'activités
25 d'opérations militaires conventionnelles, comme je l'ai déjà dit,
26 l'objectif était d'entraîner des pertes parmi les civils.
27 Le dossier en l'espèce abonde d'éléments de preuve qui nous montrent
28 que tout au long de la période visée à l'acte d'accusation, les pilonnages,
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1 les tirs embusqués visant les zones urbaines de Sarajevo contrôlées par le
2 gouvernement bosniaque n'étaient nullement justifiés par la nécessité
3 militaire. Rien n'indique qu'aucun des événements, visés à l'acte
4 d'accusation ou pas, ait donné un avantage militaire au SRK. Les femmes qui
5 promenaient leurs enfants étaient visées par les tireurs embusqués du SRK,
6 de même que les écoliers, de même que les passagers qui se trouvaient à
7 bord de tramways pendant les cessez-le-feu. Dans tous ces cas, chacun de
8 ces civils était manifestement un civil et reconnaissable en tant que tel.
9 Les gens se faisaient tuer alors qu'ils faisaient la queue pour
10 obtenir leur ration d'eau potable. Ils faisaient l'objet de pilonnages. Ils
11 étaient tués alors qu'ils se trouvaient chez eux, comme on le voit dans
12 l'incident répertorié à l'acte d'accusation numéro 6. Des zones densément
13 peuplées de Sarajevo contrôlées par le gouvernement bosniaque ont également
14 été pilonnées comme, par exemple, Novo Sarajevo ou Dobrinja.
15 Ceux qui essayaient d'aller au secours de ceux qui étaient tombés, de
16 voir d'où provenaient les feux, eux aussi essuyaient les tirs provenant du
17 territoire du SRK. Ceux qui vivaient entre ces lignes, ceux qui étaient
18 contraints de rester à Sarajevo étaient obligés de s'adapter à cet
19 environnement hostile. Ces gens-là vivaient dans l'obscurité. Le Témoin W-
20 35 nous l'a dit. Ces gens vivaient la nuit, comme nous l'a expliqué le
21 témoin Sisic dont le mari sortait la nuit pour aller chercher de l'eau pour
22 ne pas tomber sous les tirs des tireurs embusqués. Les gens vivaient dans
23 des caves, dans des abris. Sortir acheter des fruits au marché relevait du
24 rêve, mais décider de laisser sortir ces enfants pour jouer dehors, cela
25 c'était la réalité, parce qu'on ne savait jamais si ses enfants
26 rentreraient vivants. Tout ceci est confirmé, selon nous, par les
27 déclarations d'observateurs neutres et expérimentés venant de l'étranger,
28 comme par exemple, les généraux de l'OTAN qui ont toujours déposé dans le
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1 même sens.
2 D'autre part, tous ces éléments sont confirmés par M. Van der Weijden
3 qui a déclaré, comme l'a dit M. Docherty très clairement, qu'il n'y a aucun
4 incident de tir embusqué répertorié dans l'acte d'accusation pour lequel la
5 victime aurait pu être considérée comme un combattant. Pièce P514, page 66.
6 L'expert en matière de mortiers, M. Richard Higgs, en analysant l'incident
7 numéro 14, a déclaré que ce tir avait été provoqué de manière délibérée et
8 qu'on avait tiré justement à ce moment-là pour entraîner un maximum de
9 victimes civiles. Pièce 589, pages 17 à 18.
10 Vous avez entendu des témoins vous expliquer quelles étaient la
11 portée et la durée de cette campagne. M. Waespi a expliqué comment l'accusé
12 a pris ses fonctions. Cette campagne durait déjà depuis plus de deux ans.
13 Si les caractéristiques et la fréquence des attaques ont évolué, cela on
14 peut le voir dans les déclarations de M. Bell qui a dit que ça évoluait
15 suivant les saisons. Ces attaques étaient implacables, à tel point que
16 certaines zones de Sarajevo étaient devenues tristement célèbres pour leurs
17 tireurs embusqués du SRK. On identifiait certaines positions de tirs
18 embusqués et d'artillerie comme étant permanentes. Je souhaite vous
19 demander de vous référer à la déposition du général Karavelic.
20 Tout ce que je viens de dire montre qu'il est indéniable qu'il
21 existait une campagne systématique et généralisée de pilonnages et de tirs
22 embusqués visant les civils dans les zones de Sarajevo contrôlées par
23 l'ABiH, et que ceci a entraîné des morts, des blessés pendant la période
24 visée à l'acte d'accusation. Nous avons des éléments de preuve montrant la
25 nature, la durée de ces attaques qui montrent que l'objectif était bien de
26 répandre la terreur. J'évoquerai plus tard des éléments de preuve qui s'y
27 rapportent directement.
28 Maintenant, je voudrais parler de l'objectif principal de cette
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1 campagne qui était de causer la terreur. J'aimerais revenir sur certaines
2 prises de position de la Défense au sujet de l'objectif recherché. La
3 Défense, nous l'avons entendu tout au long du procès à plusieurs reprises,
4 c'était que les forces serbes de Bosnie n'étaient pas les agresseurs, que
5 le SRK cherchait la paix, qu'il s'agissait uniquement pour eux de défendre
6 leurs territoires, ce qu'ils considéraient comme étant la terre des Serbes
7 de Bosnie. A ce sujet, je voudrais dire que les territoires en question qui
8 se trouvent autour de Sarajevo avaient été occupés et avaient fait l'objet
9 d'un nettoyage ethnique en 1992, et qu'en 1994, ces territoires étaient
10 contrôlés par le SRK. Je pense ici aux rapports du Dr Donia ainsi qu'à la
11 déposition de M. Harland.
12 S'agissant du désir de paix manifesté, le témoin à charge David
13 Harland nous a déjà expliqué que la volonté de mettre en place un cessez-
14 le-feu de la part des forces serbes de Bosnie était légitime et reflétait
15 le fait qu'au moment où commence la période visée à l'acte d'accusation,
16 après les actions militaires menées en 1992 et 1993, ils s'étaient déjà
17 emparés d'un peu plus de 70 % de la totalité du territoire de la Bosnie-
18 Herzégovine, c'est-à-dire plus que ce qu'ils avaient l'intention de
19 conserver aux termes d'un accord conclu à l'échelle de la république. Bien
20 entendu, un cessez-le-feu aurait été dans l'intérêt des Serbes de Bosnie
21 pour préserver le statu quo et pour consolider leurs positions dominantes.
22 La Défense a également affirmé, en particulier pour l'année 1995, que
23 les opérations du RSK autour de Sarajevo étaient de nature défensive et
24 rien de plus. Un grand nombre de témoins de la Défense, qui étaient
25 pratiquement tous sans exception des soldats du RSK qui étaient déployés
26 sur la ligne de front, ont déposé en disant qu'ils ne recevaient pas des
27 ordres afin de tirer sur des civils. S'agissant de ce dernier point,
28 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, quant à savoir si l'accusé a
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1 donné ce genre d'ordre, nous avons des éléments de preuve accablant qui
2 viennent même de la bouche des témoins de la Défense, Pejise Nosovic
3 [phon], T39 par exemple l'a mentionné et T22. Ils ont mentionné les tirs
4 isolés et les pilonnages de la partie de Sarajevo tenue par les Musulmans
5 de Bosnie de la part des forces qui étaient sous le contrôle de l'accusé
6 pendant la période de l'acte d'accusation, et ceci ne s'est jamais arrêté.
7 Comme je l'ai déjà dit, nous avons des affirmations des témoins de la
8 Défense, et c'étaient des soldats qui étaient déployés sur les lignes de
9 front. Un témoin, M. Djukic, a fait un commentaire disant qu'il ne pensait
10 pas qu'il y avait un siège de Sarajevo en place.
11 D'autre part, nous avons des éléments de preuve crédibles
12 d'observateurs qui sont venus suivre la situation, qui se sont trouvés à
13 l'intérieur de la ville, et nous avons des témoignages de la part de
14 victimes qui affirment qu'il n'y avait pas d'objectifs, de cibles
15 militaires qu'on aurait pu remarquer pour ce qui est des pilonnages et des
16 tirs isolés.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous allez nous parler de
18 la définition de la terreur, de ce que c'est la terreur ?
19 Mme EDGERTON : [interprétation] Est-ce que vous souhaitez entendre le
20 commentaire sur des éléments ?
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ou vous pensez que cela suffit, que
22 cela parle de soi-même ?
23 Mme EDGERTON : [interprétation] Je pense que le terme est évident, mais je
24 vous réfère peut-être à nos arguments en application de l'article 98 bis.
25 En fait, je pourrais peut-être maintenant parler d'un extrait de la pièce
26 P612, vous verrez cela s'afficher à l'écran. Il s'agit d'un enregistrement
27 vidéo. Martin Bell, le témoin de l'Accusation, a dit qu'il s'agissait de
28 l'une des images types qui illustrent très bien cette guerre. Il a dit :
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1 "Je pense que cela nous parle peut-être davantage que tout incident de tir
2 isolé du danger quotidien qu'ont vécu les gens dans la ville."
3 C'est très bref.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 Mme EDGERTON : [interprétation] Nous avons ces personnes qui essaient
6 d'éviter les tirs isolés. Ces gens sont comme des machines. Il n'y a pas
7 d'innocence dans cette image. Il n'y a pas de conversation. L'innocence a
8 été remplacée par cette peur d'être touché par une arme, d'être pilonné.
9 C'était quelque chose qui était mis en place par cette campagne de terreur
10 du RSK. C'est ce que la Chambre d'appel dans l'affaire Galic a défini comme
11 étant des actes ou des menaces de violence ayant pour objectif premier de
12 répandre la terreur dans la population civile.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je viens de dire qu'il s'agit d'une
14 définition circulaire.
15 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Vous dites que la terreur répand la
16 terreur.
17 Mme EDGERTON : [interprétation] Nous estimons que la terreur est exactement
18 ce que je viens d'identifier. Personne ne savait qui allait être la victime
19 suivante, si eux allaient être la victime suivante. C'était quelque chose
20 qui touchait tout le monde, à tout moment de leur vie. Pendant une période
21 de 15 ans [comme interprété], les gens, les victimes de ces actes n'ont
22 jamais pu se sentir en sécurité nulle part dans la ville. En l'espèce, la
23 terreur c'est une privation intentionnelle du sentiment de sécurité. Il
24 s'agit de peur originelle, instinctive que les gens éprouvent lorsqu'ils
25 voient que quelqu'un dans leur entourage a été tué par arme à feu, et ce
26 sont des moments de panique lorsqu'ils essaient d'aider les victimes. Ils
27 ont peur des tirs qui vont venir. Nous avons entendu plein d'éléments de
28 preuve à l'appui.
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1 Nous avons parlé de manière détaillée de la définition de la terreur
2 dans notre mémoire, paragraphes 401 à 446, c'est là que l'on trouve des
3 arguments plus approfondis.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je dois dire que j'aime bien
5 votre définition, Madame Edgerton, lorsque vous dites qu'il s'agit d'une
6 privation intentionnelle du sentiment de sécurité et de peur instinctive
7 que les gens éprouvent lorsqu'ils voient que quelqu'un a été tué sous leurs
8 yeux. C'est quelque chose qui se rapproche beaucoup du sens de ce terme.
9 Mme EDGERTON : [interprétation] Les témoins et les éléments de preuve
10 qui ont été présentés à la Chambre - et là, je me rappelle Martin Bell, qui
11 a été correspondant de Sarajevo tout au long du conflit, qui a dit que la
12 cave sur la rive de la Miljacka et les tunnels étaient les seuls endroits
13 sûrs de la ville. C'est épouvantable de voir que dans une ville européenne
14 la population est réduite à chercher abri dans une cave pour trouver un
15 minimum de sécurité. Il y a quelques mois, j'ai entendu quelque chose de la
16 part de M. van der Weijden qui m'a frappé, et c'était au sujet de la
17 sensation qu'on avait quand on était visé par un tireur isolé. Il a dit que
18 "le fait qu'on ne se sente jamais en sécurité est quelque chose qui touche
19 tout un chacun." Il s'agit d'une anxiété qui est absolument omniprésente,
20 mis à part le fait qu'on peut être tué et touché soi-même, cette anxiété
21 provient du fait qu'on ne sait pas à quel moment ni où un tireur embusqué
22 va tirer.
23 Je pense que les commentaires de Martin Bell sont très parlants dans
24 cet extrait que vous avez vu. Il s'agit d'attaques constantes et de la peur
25 de ces attaques. C'est quelque chose qui a démoralisé les citoyens qui
26 vivaient dans la partie BiH du territoire, c'est quelque chose qui les a
27 exténués, et ça leur a enlevé tout espoir.
28 Les victimes ont essayé de qualifier cela, de nommer cela. Nous
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1 voyons comment Alma Cehajic Mulaosmanovic a essayé de décrire cela. Elle a
2 dit qu'il s'agissait de moments de suspense, on ne savait pas si on allait
3 être tué ou pas, si on allait être touché ou pas, et c'est quelque chose
4 qui a duré pendant toute la guerre. C'était une jeune femme, et son
5 témoignage reflétait le fait que cette peur omniprésente a eu un impact sur
6 elle.
7 Le Témoin W-35 a dit : "On nous tirait dessus pendant qu'on allait
8 chercher du pain et de l'eau." Là encore, nous avons une victime qui, de
9 toute évidence, portait les cicatrices de cette peur omniprésente. Elle
10 nous a dit, pages 84, 85 [comme interprété] :
11 "A chaque fois qu'il y avait un cessez-le-feu, une trêve à Sarajevo,
12 les gens sortaient au soleil pour voir le monde. Les enfants allaient dans
13 les parcs, puis on allait voir nos proches dans d'autres quartiers de la
14 ville, et c'est là que nous avons souffert le plus."
15 Parce que les moments des cessez-le-feu, des trêves, c'étaient des
16 moments où elle pensait qu'elle était suffisamment en sécurité pour pouvoir
17 sortir de chez elle. Mais juste à l'opposé, c'était le moment où ces gens
18 étaient victimisés le plus, d'après elle.
19 Les témoins internationaux, mis à part M. Bell, en ont parlé. Nous avons
20 également eu M. Brennskag qui a parlé de la pure terreur à laquelle se
21 ramenaient les attaques sur les civils de Sarajevo, en disant qu'il n'y
22 avait pas de justification militaire à cela. Le général Sir Rupert Smith en
23 a parlé également. Il a dit qu'il n'y avait pas de doute dans son esprit
24 que les attaques sur les civils de Sarajevo étaient essentiellement menées
25 afin de terroriser ceux qui se défendaient, miner leur moral.
26 Et Smith a dit que cette stratégie a porté des fruits. C'était la
27 page du transcript 3 311. Il a dit que cette stratégie a porté des fruits,
28 que ça a eu un impact sur la vie de tous les jours dans la ville. Donc, il
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1 y avait la peur à tout moment de la vie.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.
3 M. LE JUGE MINDUA : Pardonnez-moi de vous interrompre. C'est parce que je
4 cherche à comprendre exactement votre définition de la terreur. La terreur,
5 est-ce que c'est un sentiment --
6 Ils ont la traduction maintenant ?
7 [en anglais] No translation ?
8 [en français] Très bien, il y a la traduction maintenant.
9 Je disais que -- je vous demandais de m'excuser, parce que c'est juste
10 parce que je voudrais comprendre votre définition de la terreur que je vous
11 interromps. Dites-moi, la terreur, est-ce que c'est un sentiment subjectif
12 ou objectif ? Et y aurait-il terreur dans toute guerre qui se déroulerait
13 dans un espace urbain ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Je voudrais dire, la
14 terreur dans le chef des civils évidemment, de la population civile. Est-ce
15 que dans toute guerre qui se déroule en milieu urbain, les civils sont
16 terrorisés ?
17 Mme EDGERTON : [interprétation] J'espère que je vais pouvoir répondre à
18 votre question et que ma réponse sera satisfaisante à vos yeux.
19 Deux points. S'agissant du fait d'infliger la terreur, ce n'est pas un
20 élément requis de l'acte criminel. C'est ce que je tiens à souligner.
21 Toutefois, l'Accusation estime en l'espèce que c'est quelque chose qui
22 s'est effectivement produit quant aux civils de Sarajevo entre les mains du
23 RSK, et nous estimons que ça été prouvé au-delà de tout doute raisonnable.
24 Ça c'est un premier point.
25 Puis un deuxième point, M. Waespi en a parlé, et je l'ai dit au début
26 lorsque j'ai pris la parole. Cette terreur, ce qu'ont dû éprouver les gens
27 de Sarajevo, c'est quelque chose de très différent d'une peur qui
28 normalement accompagne toute guerre, par exemple, la peur qu'une balle nous
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1 touchera dans le cadre d'une bataille qui est en cours, par exemple, à
2 côté.
3 Lorsque les auteurs de ces dispositions ont réfléchi à la qualification de
4 ce crime, j'estime qu'ils avaient à l'esprit quelque chose de très
5 différent, quelque chose que l'on observe à Sarajevo, et ils ont placé
6 l'intention spécifique comme l'élément requis de ce crime. Donc, ils
7 voulaient parler de la nature délibérée du fait d'infliger la peur, quelque
8 chose qui est très distinct et très loin de tout objectif, toute cible,
9 toute finalité militaire ou tout avantage militaire pour l'une quelconque
10 des parties belligérantes, et comme je l'ai déjà dit, il ne s'agit pas
11 simplement d'une peur qui se produit dans toute situation de combat, il
12 s'agit d'une peur qui est calculée afin de démoraliser, de faire
13 s'effondrer, quelque chose qui enlève toute sensation de sécurité d'une
14 population qui n'a rien à voir avec le conflit.
15 Est-ce que je vous ai répondu ?
16 M. LE JUGE MINDUA : Oui, oui. Merci beaucoup. Merci.
17 Mme EDGERTON : [interprétation] Juste un élément supplémentaire de preuve
18 eu égard à l'objectif de cette campagne. L'objectif premier étant
19 d'infliger cette campagne de terreur aux civils de Sarajevo. L'un des
20 témoins, M. Harland, a parlé des propos du leader, du dirigeant serbe,
21 Radovan Karadzic, lorsqu'il a parlé du tunnel Dobrinja-Butmir, et M.
22 Harland a dit qu'au sujet du tunnel, M. Karadzic lui a dit : "Vous savez,
23 on aurait pu le détruire, mais on allait permettre aux Musulmans de
24 respirer."
25 M. Harland y a vu une preuve qui a confirmé à lui et aux affaires civiles
26 des Nations Unies que l'intention des forces serbes était de terroriser la
27 population de Sarajevo, parce que Karadzic a dit : "Nous aurions pu le
28 détruire." Harland a confirmé que d'après ses estimations, effectivement
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1 ils auraient pu complètement couper tout approvisionnement en nourriture et
2 en eau, et qu'ils auraient pu imposer la reddition de Sarajevo, mais ils
3 ont choisi de ne pas le faire. C'est la page 375 du compte rendu
4 d'audience.
5 Nous estimons que d'après tout ce que nous avons entendu, à la lumière de
6 tout cela, il est évident que le RSK a lancé une offensive contre la partie
7 urbaine du territoire de Sarajevo entre les mains du BiH pendant la période
8 de l'acte d'accusation, dans l'intention de mettre sur pied une campagne
9 contre la population de Sarajevo, afin de terroriser ses civils. Le
10 pilonnage et les tirs isolés avaient pour objectif de causer la terreur, et
11 ça était effectivement le résultat.
12 Les conditions, le caractère, l'intensité de la campagne aux dires de
13 la Défense, ils se sont un petit peu améliorés pendant le commandant de
14 Dragomir Milosevic, par rapport à la situation qui a précédé, donc pendant
15 le commandement du général Galic. Mais en fait, M. Waespi a souligné que
16 sous le commandement de l'accusé c'est devenu pire. Nous avons entendu des
17 preuves montrant que la situation à Sarajevo a commencé à ressembler aux
18 premiers jours de la guerre. Sous le RSK et Dragomir Milosevic, la
19 situation est devenue désespérée. En 1995, toute la population de la ville
20 était exténuée et psychologiquement détruite. C'est ce que nous avons
21 entendu, page 617 de M. Overgard.
22 Puis j'aurais peut-être besoin de passer à huis clos partiel pour quelques
23 mots que je souhaite reprendre des témoins protégés.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Huis clos partiel, s'il vous plaît.
25 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel, Monsieur
26 le Président.
27 [Audience à huis clos partiel]
28 (expurgé)
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1 (expurgé)
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3 (expurgé)
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6 (expurgé)
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8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 [Audience publique]
12 Mme EDGERTON : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
13 c'est dans ce contexte, alors que la population de Sarajevo, c'est-à-dire
14 les civils habitant Sarajevo étaient les plus affaiblis du point de vue de
15 la peur qu'ils ressentaient, de l'anxiété qui les étreignait, des tensions
16 qu'ils ressentaient, c'est dans cette situation que la partie tenue par
17 l'ABiH à Sarajevo a pratiquement été mise à genoux, selon les termes que
18 j'oserais utiliser. Comme mes collègues l'ont déjà dit, sous le
19 commandement de l'accusé que vous avez face à vous, c'est à ce moment-là
20 que le RSK s'est mis à utiliser des armes contre les civils de Sarajevo qui
21 n'avaient pas été utilisées jusqu'à ce moment-là. Pourquoi, par exemple,
22 des missiles guidés, dont M. Harland a parlé en disant que selon lui
23 c'était des armes qui ne pouvaient être utilisées dans la guerre réelle que
24 contre des chars, pourquoi des missiles guidés ont-il été lancés contre des
25 immeubles d'habitation ? Ceci figure au compte rendu d'audience, pages 452
26 à 453.
27 La pièce P620 est une vidéo où l'on voit l'un de ces missiles frapper le
28 bâtiment de la présidence. C'est dans ce contexte, sous le contrôle et la
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1 direction de Dragomir Milosevic, que les bombes aériennes propulsées par
2 des roquettes, se sont ajoutées à l'arsenal des instruments de terreur
3 utilisés conte la ville de Sarajevo. Ce sont ces armes que M. Martin Bell a
4 décrit de façon un peu familière en les appelant des armes de destruction
5 massive, ce qui était bien la nature de ces armes. "Nous pourrions même les
6 appeler des armes de choc et d'effroi. Ce sont des armes dont la capacité
7 destructrice est telle, qu'elles rendent absolument impossible la
8 distinction entre des cibles de nature différente." Ceci figure page 5 262
9 du compte rendu d'audience. D'autres témoins ont également commenté l'effet
10 psychologique du son qu'entendaient les habitants de Sarajevo lorsque ces
11 armes arrivaient sur la ville.
12 Fraser, le général de brigade Fraser a dit que "ces armes suscitaient des
13 frissons chez tout le monde, y compris chez les représentants des Nations
14 Unies." Monsieur le Président, Messieurs les Juges vous trouverez cela aux
15 pages 1 825 à 1827 du compte rendu d'audience.
16 J'ai été personnellement frappé par la déposition du Dr Zecevic qui a aussi
17 parlé de l'effet psychologique d'intimidation provoquée par ces armes. A la
18 page 4 404, il déclare :
19 "Pouvez-vous imaginer une personne assise dans une pièce arrière de son
20 appartement et qui voit cette pièce frappée par un projectile qui vient de
21 détruire les trois étages supérieurs d'un immeuble qui en fait est une tour
22 d'habitation ? C'est tout à fait intimidant. Pouvez-vous imaginer une telle
23 situation ? Pouvez-vous vous imaginer le moment où la tour d'habitation est
24 touchée ? Sur le plan psychologique, l'effet de telles armes était
25 effectivement extraordinaire."
26 Tout cela s'est passé au moment où le RSK, c'est-à-dire le Corps de
27 Sarajevo-Romanija, était au contrôle et sous la direction de Dragomir
28 Milosevic, qui contrôlait les routes terrestres menant à la ville et
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1 permettant d'entrer dans Sarajevo. Ces routes à l'époque avaient été
2 fermées par les forces bosno-serbes. C'était au mois de mars, comme on vous
3 l'a déjà dit. Au mois d'avril, l'aéroport a été fermé par les forces bosno-
4 serbes, tout ceci a donc rendu inopérant le pont aérien humanitaire qui
5 avait été mis en place depuis 1992 et qui n'a pas repris jusqu'à la fin de
6 la guerre. Le gaz, l'eau, l'électricité étaient coupés. Les boulangeries
7 ont commencé à manquer de farine.
8 L'Accusation, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, soutient que tous
9 ces éléments de preuve montrent à quel point les conditions de vie dans la
10 partie tenue par l'ABiH de Sarajevo se sont dégradées sous le commandement
11 de l'Accusé. Le Procureur estime que ces éléments de preuve sont très
12 pertinents en l'espèce puisqu'ils servent à démontrer l'intention très
13 précise de l'accusé qui était de propager la terreur dans la population
14 civile. L'Accusation soutient qu'elle a établi ce fait.
15 En outre, l'Accusation ajoute qu'elle a présenté des éléments de preuve
16 très cohérents relatifs à la période visée à l'acte d'accusation, qui
17 démontrent que cette campagne de terreur contre les civils de la partie de
18 Sarajevo tenue par l'ABiH était motivée par des considérations politiques.
19 La régularité des actes de terreur qui se manifestaient dans ces diverses
20 attaques et les difficultés humanitaires imposées aux civils de Sarajevo,
21 cette réalité et cette répétitivité ont été soigneusement modulées pour
22 servir de pression exercée par les forces bosno-serbes afin, entre autres,
23 d'obtenir des concessions des Musulmans de Bosnie à la table de
24 négociations. A cet égard, j'aimerais mettre l'accent sur la déposition de
25 M. Harland et de M. Mohatarem qui nous donnent deux très bons exemples de
26 cela. Cela avait pour but de mettre un terme aux attaques en d'autres lieux
27 du champ de bataille en Bosnie-Herzégovine et même éventuellement de
28 dissuader l'OTAN de lancer une attaque militaire. En fait, Harland a dit à
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1 la Chambre que les dirigeants serbes ont été très clairs lorsqu'ils lui ont
2 dit qu'ils auraient recours à l'appareil militaire pour terroriser la
3 population afin d'obtenir le résultat politique souhaité par eux. La pièce
4 à conviction de l'Accusation numéro 1, page 27 004 du compte rendu
5 d'audience, nous montre M. Harland déclarant que "c'était un thème très
6 couramment abordé dans ses entretiens avec ses interlocuteurs et que ces
7 derniers ne tentaient même pas de le lui cacher." Excusez-moi, j'ai mal
8 cité le numéro de la page, il s'agit de la pièce P1, page 26 953.
9 La population de Sarajevo, comme nous le disons dans notre mémoire écrit,
10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, a servi de pion dans le
11 marchandage, elle a été soumise à des pressions par le biais de cette
12 campagne de terreur pour que des concessions soient extirpées des Musulmans
13 de Bosnie par les forces bosno-serbes qui cherchaient à obtenir un avantage
14 dans la négociation. L'Accusation affirme que ceci étaye les dépositions ou
15 même permet de conclure que l'objet principal de la campagne était
16 l'application de la terreur.
17 J'aimerais maintenant, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous
18 demander encore quelques instants à huis clos partiel.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le huis clos partiel, je vous prie.
20 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à huis
21 clos partiel.
22 [Audience à huis clos partiel]
23 (expurgé)
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1 (expurgé)
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5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 [Audience publique]
8 Mme EDGERTON : [interprétation] L'accusé a effectivement appliqué ces
9 ordres comme il le jugeait bon. D'ailleurs, je tiens à faire remarquer que
10 le Témoin W-46 a tenu des propos qui sont corroborés par le général de
11 brigade Fraser, qui déclare en page 1 818 du compte rendu d'audience :
12 "Dans la petite boîte qui s'appelait Sarajevo, le général Milosevic était
13 celui qui exerçait le commandement."
14 Comme mes confrères l'ont déjà dit, Dragomir Milosevic a fait exécuter ces
15 ordres, il a exercé son commandement, c'est lui qui personnellement a
16 supervisé l'utilisation des bombes aériennes contre la partie de Sarajevo
17 tenue par l'ABiH. Vous avez entendu un certain nombre de témoins, je crois
18 qu'ils étaient au nombre de trois, mes confrères ont fait mention de ces
19 témoins qui ont dit au cours des débats que ce fait était absolument
20 incontesté. Le Procureur, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
21 soutient qu'il s'agit d'un élément de preuve irréfutable, à savoir que
22 l'objectif était de répandre la terreur dans la population civile de la
23 partie de Sarajevo tenue par l'ABiH.
24 L'accusé, à notre avis, ne peut prétendre raisonnablement ne pas avoir été
25 au courant des risques de victimes humaines qui pouvaient résulter du
26 recours à ces bombes aériennes. Le colonel Veljovic, premier témoin de la
27 Défense, a déclaré que six soldats du RSK ont été tués alors qu'ils
28 essayaient cette arme. Ceci figure en page 5 801 du compte rendu
Page 9476
1 d'audience. En dépit de cela, le 6 avril 1995, l'accusé a émis l'ordre,
2 dont mes confrères ont parlé, qui constitue la pièce P226, qui ordonne le
3 lancement d'une bombe aérienne contre des cibles particulières à
4 l'intérieur de Sarajevo où ces bombes pouvaient provoquer les pertes
5 humaines et matérielles les plus importantes, et cet ordre a été exécuté.
6 Voyez l'annexe 6 à l'acte d'accusation modifié.
7 S'agissant d'un autre incident évoqué par M. Sachdeva, le pilonnage
8 du bâtiment de la radio et de la télévision, j'aimerais renvoyer les Juges
9 de la Chambre à la pièce P42 dont M. Sachdeva a traité en détail.
10 Aucune déposition entendue par les Juges de la Chambre, Monsieur le
11 Président, Messieurs les Juges, ne permet de penser que cette lettre, la
12 pièce P42, représente autre chose qu'une reconnaissance tout à fait précise
13 de la responsabilité du RSK par rapport aux actes de Dragomir Milosevic,
14 s'agissant du pilonnage qui figure à l'annexe 15 de l'acte d'accusation, je
15 veux parler de l'emploi de l'attaque aux bombes aériennes contre le
16 bâtiment de la télévision. L'authenticité de ce document n'a jamais été
17 contestée. Par ailleurs et encore une fois eu égard à cet incident,
18 l'officier de liaison de la Brigade d'Ilidza, qui fait partie du Corps de
19 Sarajevo-Romanija - nous le voyons à la pièce P629 de l'Accusation - dont
20 les mots figurent dans cette pièce P629, l'officier de liaison décrit cette
21 attaque à la bombe aérienne contre le bâtiment de la télévision en parlant
22 de guerre psychologique visant à déstabiliser les soldats musulmans de
23 Bosnie engagés sur le front de Treskavica qui auraient pu s'inquiéter pour
24 la sécurité de leurs familles. Et le capitaine serbe déclare que, parce
25 qu'une de ces roquettes a touché le bâtiment de la télévision, les
26 journalistes auraient pu rendre compte de cela dans leurs articles, et les
27 soldats de l'ABiH auraient donc été informés de l'existence de ces armes,
28 et je cite, de l'existence de la terreur.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il a été dit que cette lettre
2 aurait pu n'être qu'une forme de vantardise très courante parmi les
3 militaires.
4 Mme EDGERTON : [interprétation] A cet égard, Monsieur le Président,
5 j'aimerais vous renvoyer - et je choisis mes mots après précaution - au
6 témoignage du Témoin W-156 qui a commenté très précisément ce document et
7 l'authenticité de ce document, ainsi que l'intention que l'on peut voir
8 exprimée dans ce document sur la base de son expérience militaire. C'est
9 dans ce contexte qu'il a prononcé les mots qu'il a prononcés.
10 Par ailleurs, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je crois que
11 chacun estimera que M. Sachdeva a très correctement traité de cette
12 question. Je dirais par ailleurs, Monsieur le Président, que les documents
13 dont l'accusé est l'auteur et les déclarations enregistrées émanant des
14 hommes de son état-major sont une expression très convaincante de
15 l'intention très précise qu'avait l'accusé de répandre la terreur dans la
16 population civile de la partie de Sarajevo tenue par l'ABiH, et si l'un ou
17 l'autre des Juges de la Chambre a le moindre doute par rapport au contenu
18 de la pièce P269 [comme interprété] qu'il se penche sur le mémoire en
19 clôture où il est question de ces bombes aériennes et qu'il y trouve le
20 grand nombre d'ordres émanant de l'accusé et le grand nombre de bombes
21 aériennes dont il est question dans ces ordres, ce qui je pense lèvera tout
22 doute dans l'esprit des Juges par rapport à la pièce P269 [comme
23 interprété], et vous ne pourrez que considérer que ce document est
24 absolument fiable.
25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Procureur soutient que
26 l'accusé connaissait l'existence de cette campagne de terreur contre les
27 civils et il l'a commandée. Il est allé jusqu'à la justifier dans la pièce
28 P42. Il était absolument au courant des actions dues à ses troupes qui
Page 9478
1 provoquaient la terreur. A cet égard, je renverrais les Juges de la Chambre
2 sur la partie de notre mémoire en clôture qui traite de l'information dont
3 disposait l'accusé et de sa connaissance des faits. C'est lorsqu'il était
4 au commandement que Dragomir Milosevic a veillé à la poursuite de cette
5 campagne de terreur.
6 Nous avons donné notre définition de la terreur, Monsieur le Président,
7 Messieurs les Juges, et j'ai souligné que ce qui a frappé les civils de
8 Sarajevo était plus que la terreur due simplement à une situation de guerre
9 et que c'était une terreur bien distincte de celle-ci. Je dirais, Monsieur
10 le Président, Messieurs les Juges, que la terreur ressentie par les civils
11 était la terreur qui provient du fait de savoir et d'être convaincu sur la
12 base de plusieurs années d'expérience et compte tenu de la nature
13 absolument délibérée et permanente du siège, que lui ou elle et sa famille,
14 ses enfants, risquent fort d'être les prochaines victimes.
15 En conclusion, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, quelles que
16 soient les expressions d'espoir ou de désir de paix que vous avez pu
17 entendre de la partie adverse, j'aimerais rappeler aux Juges de la Chambre
18 la déposition de Martin Bell qui a dit aussi que c'étaient les civils à
19 l'intérieur des lignes de confrontation qui ont porté le plus gros du
20 fardeau durant cette campagne de terreur. Quant au RSK, sous le
21 commandement de l'accusé, je vous rappellerais les propos de M. Harland qui
22 a dit, je cite : "La mise en œuvre des instruments de terreur contre la
23 population civile, c'est pour l'essentiel ce qu'a fait le RSK." Page 325 du
24 compte rendu d'audience.
25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Procureur affirme que la
26 terreur a été l'objectif principal de Dragomir Milosevic au cours de la
27 campagne de pilonnage et de tirs embusqués contre les civils de Sarajevo.
28 Vous avez des éléments de preuve très convaincants quant à la réalité de
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1 cet objectif principal qui était le sien, et je conclurai sur ces mots.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.
3 Monsieur Waespi, c'est à vous.
4 M. WHITING : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je vous
5 demanderais - parce que je pense que nous avons sans doute déjà utilisé les
6 deux heures qui nous étaient imparties - un peu d'indulgence. Mais j'ai
7 encore quelques mots à prononcer au sujet de la responsabilité pénale
8 individuelle de l'accusé et de la durée de la peine, j'espère en avoir
9 terminé en 20 minutes.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Veuillez procéder.
11 M. WAESPI : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Tapuskovic, vous pouvez
13 vous reposer. Vous ne commencerez que demain.
14 M. TAPUSKOVIC : [interprétation] Oui, mais je demanderais un temps égal à
15 celui dont a disposé le Procureur aujourd'hui.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Nous veillons toujours et
17 garantissons toujours l'égalité.
18 Monsieur Waespi, à vous.
19 M. WAESPI : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
20 Bien entendu, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'accusé, le
21 général Milosevic, en sa qualité d'officier de métier de la JNA, n'était
22 pas étranger aux événements dont vous venez d'entendre parler dans la
23 bouche de mes consoeurs et confrères, événements qui se sont déroulés à
24 Sarajevo avant qu'il ne prenne le commandement du RSK en août 1994.
25 L'accusé a participé au siège de Sarajevo depuis le début. Il a passé toute
26 la durée de la guerre à Sarajevo en occupant des postes d'importance
27 diverse, mais en étant - c'est sans doute le plus notable - d'abord adjoint
28 du général Galic, puis chef d'état-major du général Galic. S'agissant du
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1 rôle important qui a été le sien, à savoir chef d'état-major, Monsieur le
2 Président, Messieurs les Juges, j'aimerais renvoyer les Juges de la Chambre
3 à la déposition du colonel Demurenko, page 7 724 du compte rendu
4 d'audience, et à la déposition de M. Veljovic, page 5 831 du compte rendu
5 d'audience. Je renverrais également les Juges à la pièce à conviction 738
6 de l'Accusation dans laquelle l'accusé décrit le rôle qui était le sien à
7 Grbavica en 1992.
8 L'accusé connaissait Sarajevo. Il connaissait les lignes de front et il
9 connaissait ses troupes. Il connaissait l'ennemi. Il savait quel était le
10 sort réservé à la population civile à l'intérieur de la ville. Informé de
11 tout cela, Dragomir Milosevic est devenu d'abord co-commandant et a donc
12 hérité la campagne des mains de son prédécesseur sans rien faire pour y
13 mettre un terme ou punir les auteurs de cette campagne. En fait, il a
14 poursuivi cette campagne pendant quelque 14 mois.
15 Le général Milosevic aurait pu et aurait dû prendre ses distances par
16 rapport au commandant qui l'avait précédé au poste qu'il occupait. Il
17 aurait pu avoir dit trop c'est trop. Il aurait pu avoir modifié la
18 situation. Ce qu'il a fait en fait c'est l'inverse, Monsieur le Président,
19 Messieurs les Juges. Il a poursuivi exactement selon les mêmes
20 orientations. Il a même haussé d'un cran la dimension de la terreur, comme
21 mes confrères et consoeurs vous l'ont dit. Il a eu recours aux bombes
22 aériennes modifiées.
23 La poursuite de la campagne menée contre les civils de Sarajevo était sans
24 aucun doute attendue de l'accusé par ses supérieurs à Pale lorsqu'ils l'ont
25 fait succédé au général Galic. Toutefois, ceci n'enlève rien à la
26 responsabilité pénale de l'accusé.
27 A cet égard, j'ajouterais un commentaire au sujet des rapports
28 qu'entretenaient l'accusé et son supérieur, le général Mladic. Bien
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1 entendu, le fait que l'accusé ait pu agir sur ordre de ses supérieurs de
2 Pale est, en vertu de l'article 7(4) de notre Statut, un moyen qui pourrait
3 éventuellement donner lieu à des circonstances atténuantes, mais ce n'est
4 pas un mode de défense. Je parlerai de la durée de la peine dans un
5 instant, mais pour le moment je me contenterai de dire ce qui suit. Un
6 général, dans quelque armée qu'il serve, est un homme très important. Il
7 est tout en haut de la hiérarchie. Les généraux ont un pouvoir énorme, et
8 une responsabilité à la mesure du pouvoir qui est le leur. Je ne le
9 soulignerai jamais assez. Il n'existait qu'une petite poignée de corps
10 d'armée au sein de l'armée bosno-serbe, et ces quelques corps d'armée
11 étaient commandés par des généraux triés sur le volet. L'accusé était l'un
12 d'entre eux.
13 Deuxièmement, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, rien n'a
14 contraint l'accusé à devenir général. Il y avait assez de candidats qui
15 souhaitaient être élevés au rang de général. Monsieur le Président,
16 Messieurs les Juges, il convient également de se pencher sur la
17 personnalité dominatrice des généraux qui ont témoigné devant vous en
18 qualité de témoins.
19 Troisièmement, nous avons entendu un haut responsable des Nations Unies, et
20 pour parler de sa déposition, je demande que nous passions à huis clos
21 partiel, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Huis clos partiel, je vous prie.
23 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à huis
24 clos partiel.
25 [Audience à huis clos partiel]
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11 [Audience publique]
12 M. WAESPI : [interprétation] Le quatrième point, s'agissant de discuter la
13 relation entretenue par le général Milosevic et le général Mladic, est le
14 suivant : il y a un incident survenu à la mi-1996 qui a été marqué par une
15 opposition de l'accusé par rapport au général Mladic. La pièce à conviction
16 de l'Accusation 738 est une lettre adressée par l'accusé au général Mladic,
17 qui s'intitule "Incapacité à exécuter des ordres, explication." L'accusé
18 confirme dans cette lettre qu'il a reçu le 16 mai 1996 un certain nombre de
19 missions à exécuter de la part du général Mladic, et nous lisons dans la
20 suite du texte : "Après avoir analysé le contenu de ces missions, j'ai
21 conclu que je suis dans l'incapacité de les mener à bien." Ceci démontre
22 que l'accusé pouvait, et s'est effectivement opposé à son supérieur, dès
23 lors qu'il le souhaitait.
24 Cinquième argument, l'accusé aurait certainement pu et aurait certainement
25 dû ne pas ordonner le recours aux bombes aériennes modifiées. Il aurait pu
26 le faire sur la base de l'argument développé par le premier témoin de la
27 Défense, M. Veljovic, qui déclare que les bombes aériennes étaient une arme
28 dangereuse qui mettaient en danger les troupes du RSK, pas seulement les
Page 9483
1 civils, mais les troupes du RSK. Donc le général Mladic aurait dû tendre
2 une oreille attentive à ce genre d'argument.
3 Sixième argument, l'accusé aurait pu et aurait dû mener enquête, et aurait
4 pu et aurait dû punir le moindre soldat du RSK pour la moindre attaque
5 contre les civils.
6 Septième argument --
7 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Waespi, il y a un doute au
8 sujet de ce qui vient d'être écrit au compte rendu d'audience. Est-ce que
9 vous parliez bien de M. Mazowiecki ?
10 M. WAESPI : [interprétation] Je disais que s'agissant de la possibilité
11 d'enquêter, le général Mladic aurait dû tendre une oreille attentive à cet
12 argument, autrement dit que l'argument selon lequel les bombes aériennes
13 n'auraient pas dû être utilisées parce qu'elles mettaient en danger les
14 soldats du RSK aurait dû être entendu par le général Mladic.
15 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] C'est bien ce que nous pensions.
16 Merci.
17 M. WAESPI : [interprétation] Je vous remercie de votre observation.
18 Septième argument. L'accusé aurait pu présenter sa démission. Je suis sûr
19 que Mladic n'aurait eu aucune difficulté à trouver un autre commandant pour
20 le remplacer.
21 Huitième argument. Rien ne permet de penser, pas plus les éléments
22 présentés par la Défense que tout autre élément de preuve pertinent
23 présenté par l'Accusation au cours du contre-interrogatoire, qu'il y ait eu
24 le moindre désaccord entre Mladic et Milosevic quant à la façon dont la
25 campagne menée à Sarajevo devait être menée, ou quant au fait que l'accusé
26 aurait été en désaccord avec les ordres reçus du Grand quartier général.
27 Et huitième argument, c'est le suivant. L'ordre de prendre pour cible les
28 civils est tout à fait manifestement illégal. Voyez la pièce P18 dont je
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1 parlerai dans un instant, et l'accusé n'avait en aucun cas le devoir
2 d'obéir un tel ordre. En fait, étant donné son entraînement militaire et
3 les diplômes obtenus par lui dans les plus hautes académies militaires, et
4 bien sûr étant donné les conventions de Genève, il avait pour devoir de ne
5 pas exécuter ces ordres. Si l'accusé a obéi à un ordre de cette nature,
6 c'est parce qu'il le voulait, ce que démontrent les ordres donnés par lui
7 et visant à prendre pour cible les zones peuplées par des civils, comme
8 l'indique par exemple la pièce P226.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'Accusation soutient que le
10 général Milosevic avait en théorie et en pratique toute possibilité de
11 faire la différence par rapport à son prédécesseur en mettant un terme à la
12 tuerie insensée des civils à Sarajevo.
13 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je tiens à vous rappeler un
14 document-clé présenté par l'Accusation en l'espèce, à savoir la pièce P18.
15 Je suis sûr que vous en gardez le souvenir. Plusieurs témoins en ont parlé
16 dans leur déposition. C'est une lettre personnelle qui pourrait peut-être
17 être affichée sur les écrans, grâce au système du prétoire électronique. La
18 pièce P18. C'est une lettre personnelle adressée par le commandant du
19 secteur Sarajevo de la FORPRONU, commandant en exercice à l'époque, à
20 l'accusé le 30 juin 1995. Cette lettre évoque toutes les questions liées à
21 la responsabilité pénale en l'espèce.
22 La lettre affichée à l'instant n'est pas la lettre que je veux voir
23 affichée. Je demande la pièce P18 de l'Accusation.
24 Premier élément lié à la responsabilité pénale, Monsieur le Président,
25 Messieurs les Juges, je suis sûr que vous avez ce document en mémoire.
26 C'est un document d'une page dans sa version anglaise, comme dans sa
27 version en B/C/S. Une lettre dans laquelle l'accusé est informé d'attaques
28 visant les civils. D'abord, il en est informé, premier point.
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1 Deuxième point. Cette lettre démontre que des attaques répétées contre les
2 civils ont eu lieu à Sarajevo. Troisièmement, elle évoque l'utilisation et
3 la capacité destructrice des bombes aériennes modifiées. Quatrièmement,
4 elle rappelle à l'accusé ses obligations aux termes des conventions de
5 Genève. Cinquièmement, elle évoque le fait que des tireurs étaient sous le
6 commandement et sous le contrôle de l'accusé. Sixièmement, elle affirme que
7 c'est l'accusé qui a ordonné le pilonnage. Septièmement, elle exige que
8 l'accusé mette un terme aux bombardements. Enfin huitièmement, elle évoque
9 même le risque d'une comparution devant un tribunal international.
10 Il ne reste pas le moindre doute, Monsieur le Président, Messieurs les
11 Juges, quant au fait que l'accusé, en sa qualité de commandant des troupes
12 qui assiégeaient Sarajevo, avait effectivement le pouvoir et le contrôle
13 sur ses troupes.
14 Je me contenterai de vous citer un élément de preuve de la Défense,
15 la pièce D186, qui est l'un des premiers ordres donnés par le nouveau
16 commandant du RSK, exigeant de ses troupes qu'elles soient pleinement
17 prêtes aux combats, et cet ordre a été adressé pratiquement à tous les
18 acteurs présents sur le théâtre des opérations de Sarajevo en août 1995.
19 Le fait que l'accusé ait exercé effectivement son commandement et son
20 contrôle est étayé par tous les témoins, qu'ils soient des représentants
21 internationaux ou des représentants locaux, et y compris par des documents
22 soumis par des témoins de la Défense, et nous citons un certain nombre de
23 documents de la Défense en référence dans notre mémoire en clôture.
24 Mme Edgerton a déjà évoqué le commentaire du général Fraser, qui a parlé de
25 cette petite case, cette petite boîte qui s'appelle Sarajevo, et dans
26 laquelle le général Milosevic était l'homme qui exerçait le commandement.
27 Il est peut être utile également de faire remarquer que Mme Edgerton a
28 aussi rappelé que la Défense ne contestait pas ce fait. Ce qui est
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1 important, c'est qu'il n'a jamais été fait mention dans quelque document
2 présenté à la Chambre pendant toute la durée du procès, qu'il aurait pu y
3 avoir des éléments félons ou des tireurs embusqués incontrôlés qui auraient
4 décidé de tirer sur le centre de la ville.
5 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la meilleure façon de vérifier
6 si l'accusé a exercé son commandement et son contrôle à Sarajevo, c'est de
7 voir comment fonctionnait le RSK et de se pencher pour ce faire sur les
8 registres du Corps de Sarajevo-Romanija. Vous vous rappellerez que
9 l'enquêteur du bureau du Procureur, Barry Hogan, vous a soumis une centaine
10 de documents émanant du RSK et de l'armée serbe de Bosnie. Pièce P639. Nous
11 trouvons là un tableau récapitulatif qui montre la pertinence de chacun de
12 ces documents. Ce sont des documents émanant du RSK qui démontrent selon
13 moi, le caractère très professionnel et très discipliné d'une armée en
14 action. Je me contenterai de vous citer quelques documents à titre
15 d'exemples.
16 Le contrôle sur les munitions, la pièce P702, indique que le commandant,
17 donc l'accusé Dragomir Milosevic, souhaite être informé au quotidien quant
18 à la consommation de tout type de munitions et il le dit à tous les
19 commandants d'unité qu'ils considèrent comme personnellement responsables
20 vis-à-vis de lui s'agissant de l'exécution de cet ordre.
21 La pièce P666, c'est un document très important qui porte sur les tireurs
22 embusqués. Dans ce document, nous voyons le colonel Lugonja au mois d'août
23 1995, il était commandant adjoint du RSK chargé du renseignement et de la
24 sécurité, il déclare que les tireurs embusqués ne peuvent être arrêtés que
25 par des ordres provenant de l'intérieur du corps d'armée.
26 Le document P663 évoque les moyens les plus importants, y compris les
27 bombes aériennes et les fusils mitrailleurs qui ont été utilisés dans la
28 zone placée sous la responsabilité du RSK et dont l'emploi est décidé par
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1 le commandant du RSK. C'est un document qui date du 15 juin 1995, deux
2 semaines avant que l'accusé ne reçoive la lettre qui constitue la pièce
3 P18.
4 Nous faisons également état d'autres éléments de commandement et de
5 contrôle et du fonctionnement général du RSK dans notre mémoire en clôture.
6 Je rappellerai simplement aux Juges le caractère très perfectionné du
7 renseignement au sein du RSK et de l'ABiH. Vous vous souviendrez du témoin
8 Veljovic qui en a parlé dans sa déposition en disant qu'ils étaient
9 informés pratiquement de tout ce qui se passait à l'intérieur des lignes de
10 confrontation. Voyez sa déposition, pages 5 850 à 5 851 du compte rendu
11 d'audience. Le témoin Mrkovic également, autre témoin de la Défense, pages
12 8 145 et 8 146 et 8 115 du compte rendu d'audience. Penchez-vous également
13 sur la pièce P698, P700, P709 se sont des rapports du renseignement signés
14 par Marko Lugonja, chef du renseignement, qui démontre combien il était
15 bien informé de la façon dont le RSK déterminait ces cibles militaires,
16 cibles militaires autorisées donc dans la ville de Sarajevo. Ces cibles
17 étaient les seules qui auraient dû être visées, les civils n'auraient pas
18 dû l'être.
19 Enfin, le travail de l'état-major du RSK était tout à fait excellent. Nous
20 avons entendu la déposition de John Jordan, du témoin Dragicevic, du Rupert
21 Smith, encore une fois de M. Veljovic, pages 5 829 et 5 841.
22 Puis, dans ce chapitre, je rappellerai l'existence d'anciens généraux du
23 RSK, Mrkovic qui a témoigné ici, pages 8 203 et 8 209.
24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, reparlons maintenant un peu du
25 rôle précis du commandant Dragomir Milosevic. Nous avons entendu des
26 témoins de la Défense qui ont dit un certain nombre de choses qu'il est
27 très important que les Juges gardent à l'esprit. Ils ont dit que la
28 discipline était stricte au sein du RSK. En tout cas, tout aussi stricte
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1 que sous son prédécesseur le général Galic.
2 A titre d'exemple, je vous renverrai au témoignage de M. Veljovic encore
3 une fois qui déclare page 5 837 du compte rendu d'audience que l'accusé :
4 "Etait un vrai soldat, toujours sur le front, extrêmement respecté par ses
5 officiers comme par ses simples soldats."
6 Ses ordres étaient respectés. Il pouvait ordonner ce qu'il voulait, il
7 aurait toujours été obéi.
8 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, sur la base de ce que vous avez
9 entendu aujourd'hui et de ce que je viens de rappeler quant aux éléments du
10 commandement et du contrôle, le Procureur est en mesure de soutenir, comme
11 nous l'indiquons dans notre mémoire en clôture page 124, paragraphe 454,
12 que les circonstances très convaincantes en l'espèce permettent de conclure
13 que les actes illégaux contre les civils ont été ordonnés. Pendant plus de
14 15 mois, à savoir pendant la durée totale du siège de la ville de Sarajevo,
15 une campagne de terreur a été menée par un corps de l'armée, un seul corps
16 d'armée, mais un corps d'armée très professionnellement organisé et très
17 discipliné sous le commandement du général Milosevic, l'accusé.
18 Cette campagne a en permanence et de façon continue pris pour cibles des
19 civils, et ce, à l'aveugle. Les crimes ont été commis selon un mode très
20 répétitif en faisant des centaines de tués parmi les civils et des milliers
21 de blessés. Vous avez entendu Mme Edgerton vous parlez de l'intensification
22 ou de l'atténuation de ces attaques selon les moments, et du fait que ces
23 différentes intensités étaient calculées de façon à atteindre des objectifs
24 politiques, à savoir les objectifs poursuivis par la Republika Srpska et
25 l'armée des Serbes de Bosnie à l'époque. Le RSK a été effectivement sous le
26 contrôle du général Milosevic qui a ordonné non seulement le recours et
27 l'emploi d'armes interdites, telles les bombes aériennes modifiées, mais
28 qui aussi n'a pas mis un terme à cette campagne pendant toute la période où
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1 il a exercé son commandement, et ce, en dépit du fait qu'il a reçu
2 l'expression d'un certain nombre de protestations et de plaintes. La seule
3 conclusion logique que l'Accusation propose aux Juges de tirer, c'est que
4 le général Milosevic a ordonné la campagne de pilonnage et de tirs
5 embusqués visant les civils avec un objectif principal qui était de
6 répandre la terreur.
7 Je dirais maintenant quelques mots, si vous le voulez bien, sur la peine.
8 Je ne vais pas revenir sur les éléments de preuve au titre de l'article
9 7(3) du Statut. Nous en parlons dans notre mémoire en clôture et le dossier
10 est tout à fait clair à ce sujet.
11 L'accusé avait connaissance des crimes commis et il avait tous les moyens
12 nécessaires à sa disposition pour sanctionner le comportement de ses
13 subordonnées.
14 Le colonel Dragicevic, encore une fois, Veljovic, aux pages 5 825, 5
15 839 et 5 840 du compte rendu d'audience ainsi que la pièce à conviction
16 D185 de la Défense, présente tous les moyens qui étaient à la disposition
17 de l'accusé, y compris la police militaire. La pièce P699 est un autre
18 exemple très parlant de son exercice du pouvoir et du fait qu'il aurait pu
19 sanctionner un soldat en le condamnant à une peine de prison.
20 En conclusion, des éléments de preuve très nombreux indiquent que les
21 crimes commis par les membres du RSK contre la population civile de
22 Sarajevo n'ont pas donné lieu à enquêtes et encore moins à poursuites
23 devant les tribunaux même si d'autres crimes tels que l'expression de
24 menaces ou le vol de documents ou d'autres crimes liés à des violences
25 domestiques faisaient, eux, l'objet d'enquêtes effectives pendant la
26 période en question et donnaient lieu à poursuites devant les tribunaux.
27 En conclusion, Monsieur le Président, Messieurs les Juges je dirais
28 quelques mots de la durée de la peine.
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1 L'article 24 du Statut de ce Tribunal, ainsi que l'article 101 du
2 Règlement de procédure et de preuve et la jurisprudence de ce Tribunal,
3 plus particulièrement l'arrêt en appel Galic, paragraphes 391 à 456,
4 fournissent des éléments d'orientation nécessaires à la Chambre en
5 indiquant quels sont les éléments qui ont été pris en compte.
6 Bien entendu, lorsqu'on apprécie la gravité d'une infraction et qu'on est
7 membre d'une Chambre de première instance de ce Tribunal on a pour devoir
8 de prendre en compte la gravité inhérente du crime, le comportement
9 criminel de l'accusé pour tenir compte également des conditions
10 particulières de l'espèce et voir quels sont les crimes pour lesquels
11 l'accusé a été condamné en faisant intervenir également la forme et le
12 degré de participation de l'accusé à ces crimes.
13 J'aimerais dire rapidement quelques mots sur ces différents éléments.
14 La gravité inhérente de l'infraction. L'importance des crimes commis par
15 l'accusé en l'espèce est énorme. S'il est déclaré coupable du chef numéro 1
16 de l'acte d'accusation, l'accusé devra rendre compte de l'un des crimes les
17 plus graves qui aient été jugés par ce Tribunal, à savoir le crime de
18 terreur, en l'espèce la terrorisation de la population de Sarajevo.
19 En outre, en participant à cette terrorisation de la population de
20 Sarajevo, Milosevic est également coupable de crimes contre l'humanité et
21 de violations des lois ou coutumes de la guerre à très grande échelle.
22 La gravité de crimes commis par le général Milosevic est établie en raison
23 de leur magnitude, de leur répétitivité et de leur quasi permanence sur une
24 durée de plusieurs mois. Des centaines de milliers d'habitants de Sarajevo,
25 hommes, femmes, enfants et personnes âgées - et Mme Edgerton vous l'a dit
26 de façon très parlante - ont subi cette terreur. Des centaines de civils
27 ont été tués, des milliers d'autres blessés.
28 Vous avez déjà entendu parler de cette répétitivité des actes visant à
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1 créer des victimes de tous âges et à l'aveugle parmi la population civile.
2 La cruauté particulière de ces crimes est démontré par le fait que ces
3 actes ont été perpétrés contre des civils dans des lieux que ces derniers
4 ressentaient comme des lieux de sécurité, à savoir par exemple chez eux à
5 la maison ou dans des hôpitaux, des écoles, sur les places de marché, alors
6 qu'ils utilisaient les transports publics pour se déplacer en ville ou au
7 moment où ils allaient chercher de l'eau.
8 Le général Milosevic est mis en accusation pour une campagne d'attaques
9 contre la population civile de Sarajevo, dont vous avez entendu
10 l'Accusation vous déclarer qu'elle constituait un crime qui a été commis
11 après l'héritage du général Galic. S'agissant de la partie de cette
12 campagne qui a été menée entre septembre 1992 et août 1994, Monsieur le
13 Président, Messieurs les Juges, c'est-à-dire alors que le général Milosevic
14 était chef d'état-major du général Galic, le général Galic a été lui-même
15 condamné à une peine de prison à vie.
16 Les crimes reprochés à l'accusé dans l'acte d'accusation en l'espèce, donc
17 les crimes reprochés au général Milosevic, ainsi que la place importante
18 qu'il occupait dans la hiérarchie et sa qualité de commandant du RSK,
19 rendent le dossier auquel nous nous intéressons assez comparable à celui du
20 général Galic. Et le Procureur soutient que la peine prononcée contre le
21 général Milosevic devrait également être comparable. Le temps que l'accusé
22 a passé au poste de co-commandant est plus bref que celui qu'a passé au
23 commandement le général Galic. Toutefois, ce qui rend la responsabilité du
24 général Milosevic même plus importante que celle du général Galic c'est
25 qu'à la différence de son prédécesseur, le général Milosevic a
26 personnellement supervisé et ordonné pour la première fois pendant toute la
27 durée du siège de Sarajevo l'utilisation de bombes aériennes modifiées, ce
28 qui est une arme à tous égards interdite et qui n'a pas la moindre valeur
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1 militaire non plus. Vous avez entendu à deux reprises que le RSK avait
2 refusé d'utiliser ces bombes aériennes parce qu'elles étaient par nature
3 dangereuses, pas seulement pour les civils, mais pour les soldats.
4 Donc, la forme et le degré de participation de l'accusé à ces crimes
5 maintenant autre élément à prendre en compte. Le général Milosevic a
6 ordonné cette campagne de terreur contre la population civile de Sarajevo,
7 comme l'a déclaré la Chambre d'appel dans son arrêt : "Une peine plus
8 longue doit vraisemblablement être imposée à l'auteur principal d'un crime
9 si on compare ses actes à ceux d'un complice lorsqu'il est question de
10 crime de génocide, car les complices n'ont fait qu'aider et encourager."
11 Penchez-vous également sur l'arrêt de la Chambre d'appel Celebici qui a
12 déclaré que la preuve d'une participation de la part d'un supérieur ajoute
13 à la gravité, du fait que ce supérieur n'a pas empêché ou puni, et ce fait
14 peut même constituer une circonstance aggravante.
15 Vous avez également entendu à plusieurs reprises aujourd'hui qu'il ne
16 s'agissait pas de crimes commis dans le feu de la bataille, Monsieur le
17 Président, Messieurs les Juges, ou alors que le temps manquait pour en
18 évaluer les conséquences. Bien au contraire, il s'agit de crimes qui ont
19 été commis sur une longue période, ce qui montre bien que l'accusé y a
20 participé aussi bien mentalement que physiquement, et ceci s'est répété
21 jour après jour.
22 Donc ce sont des circonstances aggravantes. Une autre circonstance
23 aggravante qui pourrait être prise en compte, ce sont les souffrances
24 psychologiques et physiques infligées aux victimes. Le fait d'infliger la
25 terreur n'est pas un élément constitutif de crime comme l'a décidée la
26 Chambre d'appel Galic, mais en l'espèce la terreur a infligé des
27 souffrances permanentes et durables aux civils de Sarajevo, et ce facteur-
28 là peut être considéré comme circonstance aggravante. Deuxième circonstance
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1 aggravante, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est la position
2 de pouvoir dans la hiérarchie qu'occupait l'accusé. Le général Milosevic
3 était un officier de métier expérimenté qui était âgé de 50 ans à l'époque
4 où il est nommé au poste de commandement du RSK. Il avait déjà occupé
5 plusieurs postes de responsabilité pendant le conflit et connaissait bien
6 le conflit à Sarajevo.
7 Le général Milosevic connaissait bien toute l'étendue de ses
8 obligations prescrites par les manuels militaires de l'ex-JNA, repris plus
9 tard par la VRS. Le général Milosevic avait le devoir de faire respecter
10 les lois ou coutumes de la guerre. Les crimes commis par ses troupes
11 n'auraient pas pu être commis sans son accord, même si en sa qualité de
12 soldat de métier et d'officier de métier, le général Milosevic aurait dû
13 faire un effort pour distinguer entre les civils et les militaires, il ne
14 l'a pas fait, bien au contraire, alors qu'il n'y avait aucun objectif
15 militaire en vue, il a personnellement supervisé la prise pour cible de
16 civils à Sarajevo. Au poste qu'il occupait au commandement du Corps de
17 Sarajevo-Romanija, le général Milosevic a contrevenu à plusieurs reprises à
18 son devoir public et a donc fait abus de pouvoir. L'abus de pouvoir de
19 l'accusé est un facteur qui doit être considéré comme une circonstances
20 aggravante, en particulier le fait que, loin de tirer profit du poste
21 important qui était le sien en tant qu'officier de métier pour veiller au
22 respect de la légalité, il a donné des ordres visant à ne pas respecter les
23 lois. Il n'y a aucune circonstance atténuante pour les crimes commis par
24 cet accusé.
25 Compte tenu de ce qui précède, Monsieur le Président, Messieurs les
26 Juges, seule une peine d'emprisonnement à vie pourrait rendre compte
27 correctement de la responsabilité personnelle de l'accusé.
28 Je vous remercie, Monsieur le Président.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Je vais rendre trois
2 décisions. La première porte sur une requête déposée le 29 septembre dans
3 laquelle l'Accusation fait savoir à la Chambre de première instance qu'elle
4 n'a pas d'objection. La Chambre de première instance est d'accord avec les
5 parties sur le fait que ce document n'a pas encore reçu une cote et fait
6 droit donc à cette requête.
7 Deuxième requête déposée le 8 octobre. Dans cette requête, la Défense
8 demande l'admission d'un document communiqué au titre de l'article 68 le 27
9 septembre. L'Accusation fait savoir à la Chambre qu'elle n'a pas
10 d'objection par rapport à l'admission de ce document. Elle fait remarquer
11 que ce document porte sur les réunions des représentants des Nations Unies
12 qui traite du comportement des Bosniens serbes et des Musulmans de Bosnie.
13 Ce document est pertinent et a une valeur probante, il est donc admis.
14 Dernière requête déposée le 8 octobre. La Défense y demande l'admission de
15 trois déclarations écrites en application de l'article 92 bis. La Chambre a
16 déjà décidé d'admettre ces trois déclarations. Elle l'a fait le 25 juillet
17 2007, et suite à la procédure de certification en application de l'article
18 92 bis(B). Cette certification n'a jamais eu lieu, donc les déclarations
19 écrites ont été admises. La requête est donc acceptée.
20 Nous suspendons jusqu'à demain.
21 --- L'audience est levée à 18 heures 04 et reprendra le mercredi 10 octobre
22 2007, à 14 heures 15.
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