Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 12 décembre 2007

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au Greffier de

7 donner le numéro de l'affaire.

8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

9 les Juges. Affaire IT-98-29/1-T, le Procureur contre Dragomir Milosevic.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Je vais demander aux parties

11 de se présenter.

12 M. WAESPI : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

13 Juges. L'Accusation représentée par Jasmina Bosnjakovic, Carolyn Edgerton,

14 Maxime Marcus, Manoj Sachdeva, John Docherty et je m'appelle Stefan Waespi.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et pour la Défense.

16 M. TAPUSKOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

17 les Juges. Branislav Tapuskovic et Branislava Isailovic représentent M.

18 Dragomir Milosevic.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Aujourd'hui, la Chambre rend son

20 jugement dans l'affaire Dragomir Milosevic. Conformément à la pratique du

21 Tribunal, je vais maintenant donner lecture du résumé de ce jugement.

22 La présente affaire porte sur le siège de Sarajevo. les éléments du dossier

23 relatent l'histoire terrifiante de l'encerclement d'une ville prise au

24 piège pendant près de 15 mois et de son bombardement par les forces du

25 Corps de Sarajevo-Romanija ou SRK placé sous le commandement de l'accusé,

26 le général Dragomir Milosevic. Nombre de ces positions surplombant celles

27 de l'armée de la République de Bosnie-Herzégovine ou ABiH, le SRK

28 contrôlait des points stratégiques autour de la ville. Les preuves montrent

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1 que tout au long de cette période de 15 mois, le SRK a conduit à partir de

2 ces positions dominantes sur les collines de Sarajevo une campagne de tirs

3 isolés et de bombardements faisant un nombre considérable de blessés et de

4 tués parmi la population civile de la ville.

5 L'accusé doit répondre de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

6 L'Accusation s'est attachée à démontrer que Dragomir Milosevic, en

7 tant que commandant du SRK, a mené une campagne de bombardements et de tirs

8 isolés contre les civils, contre les secteurs civils et contre la

9 population civile de Sarajevo. L'Accusation affirme que cette campagne

10 était le fait des forces serbes de Bosnie comprenant le SRK ou rattachées à

11 celui-ci ou aux forces armées de la Republika Srpska. L'Accusation fait

12 valoir qu'il s'agissait d'attaques délibérée, aveugles, excessives et

13 disproportionnées au regard de l'avantage militaire direct et concret

14 escompté. De plus, selon l'Accusation, l'objectif principal de ce qu'elle

15 qualifie de campagne était de répondre la terreur au sein de la population

16 civile de Sarajevo.

17 La thèse de la Défense consiste essentiellement à argumenter que tout

18 au long du conflit en Bosnie-Herzégovine, la zone de Sarajevo et des

19 environs a été le théâtre d'un violent conflit et d'âpres combats. La

20 Défense fait donc valoir qu'il n'était pas possible de considérer Sarajevo

21 dans sa totalité ou certains quartiers comme des zones civiles. L'existence

22 d'un conflit armé occupe également une place centrale dans l'argumentation

23 de la Défense. Elle soutient qu'en raison de l'intensité du conflit, les

24 activités du SRK étaient une réaction nécessaire et légitime aux opérations

25 de l'ABiH et ne constituaient donc pas comme l'affirme l'Accusation une

26 attaque délibérée contre la population civile. La Défense avance également

27 que dans bien des cas, les morts et les blessés enregistrés au cours du

28 conflit ont été une conséquence directe de la très grande intensité des

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1 combats.

2 Aux yeux de la Chambre de première instance, les éléments de preuve

3 relatifs à trois des incidents figurant dans les annexes de l'acte

4 d'accusation ne permettent pas de démontrer que l'origine des tirs se

5 situait dans le territoire contrôlé par le SRK. Tous les autres incidents

6 répertoriés dans les annexes ont été établis.

7 Après avoir examiné les éléments de preuve la Chambre de première

8 instance repousse l'argumentation de la Défense sur le statut de Sarajevo

9 pour des motifs qui sont exposés dans le jugement.

10 Le SRK a eu recours à divers procédés pour mener à bien sa campagne.

11 Il a fait appel à des tireurs d'élite accomplis, armés de fusil à viseur

12 télescopique ou encore à des mortiers pour pilonner la ville. Mais l'aspect

13 le plus odieux de cette campagne c'est peut-être l'utilisation des bombes

14 aériennes modifiées. Le plus odieux, car ces bombes d'une grande

15 imprécision ne présentaient aucune utilité militaire. Le SRK a ainsi soumis

16 la ville à un pilonnage aveugle.

17 Les éléments du dossier montrent que l'ABiH ne possédait de bombes

18 aériennes modifiées ou n'en a pas fait usage. Seul le SRK en disposait et

19 s'en est servi. Sur les 15 cas de pilonnage énumérés dans les annexes 11

20 concernent l'utilisation de bombes aériennes modifiées. Ces bombes avaient

21 un effet dévastateur tant par les blessés, les morts et les destructions

22 qu'elles provoquaient que par leur impact psychologique sur la population

23 civile. Commettant l'explosion d'une bombe aérienne à Sokolovici, le témoin

24 W-82 a déclaré, et je cite : "On aurait encore pu supporter les tirs isolés

25 et le bombardement du quartier jusqu'à l'explosion de la bombe aérienne le

26 23 juillet 1995."

27 Si les éléments de preuve font état d'accalmie dans les combats

28 opposant les deux armées et dans le pilonnage de la ville, ils montrent

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1 également que l'intensité des tirs isolés est resté constante. A ce sujet,

2 le Témoin John Jordan a rappelé que lorsqu'il faisait beau, et je cite :

3 "Les gens sortaient constituant ainsi de nombreuses cibles et les tireurs

4 embusqués se mettaient au travail."

5 Par définition, chacun des coups tirés par un tireur embusqué est

6 délibéré et a pour objectif de tuer ou de blesser grièvement sa cible.

7 La Chambre de première instance cite à nouveau les propos de John

8 Jordan expliquant qu'au fil des années à Sarajevo il a été amené à

9 intervenir dans de nombreuses situations où seul un membre d'une famille

10 souvent le plus jeune avait été touché. Il estimait que, et je cite :

11 "Lorsqu'on prend pour cibles les civils de cette manière et surtout les

12 familles qu'elles soient musulmanes ou non, abattre l'enfant revient

13 littéralement à éventrer toute sa famille."

14 La Chambre de première instance a versé au dossier une vidéo montrant

15 la lente progression d'un blindé de transport de troupes de la FORPRONU

16 protégeant les passants des regards des tireurs embusqués. Après avoir

17 visionné ce film, Martin Bell a estimé qu'il renfermait l'une des images

18 les plus emblématiques de la guerre, il a dit, et je cite : "Les Français

19 essayaient de restaurer la confiance sur les gens et de ramener un peu de

20 sécurité. Ils ont eu l'idée de faire avancer ce véhicule blindé très

21 lentement pour que les gens puissent se cacher derrière. Je pense que ceci

22 illustre peut-être mieux que n'importe quel tir de sniper les dangers que

23 couraient au quotidien les habitants de la ville."

24 La Chambre de première instance dispose de preuves indiquant que dans cinq

25 des 12 cas de tirs isolés répertoriés dans les annexes de l'acte

26 d'accusation ce sont des tramways qui ont été pris pour cible par les

27 tireurs embusqués du SRK tuant ou blessant grièvement plusieurs passagers.

28 Outre ces cinq incidents, la Chambre de première instance a eu connaissance

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1 d'autres cas de tramways visés par les tireurs embusqués. La totalité de

2 ces incidents se sont déroulés pendant les périodes de cessez-le-feu.

3 Certains passages du compte rendu d'audience attestent clairement de la

4 terreur et de l'horreur ressentie par les passagers. On ne saurait trouver

5 meilleure illustration de l'intention des auteurs de ces actes et du

6 harcèlement enduré par les passagers que le récit fait par de nombreux

7 témoins des tirs visant les tramways au moment précis où ils ralentissaient

8 pour aborder le village en S à proximité de l'Holiday Inn. Slavica Livnjak

9 a raconté qu'elle baissait la tête chaque fois qu'elle négociait ce virage

10 avec son tramway. Le véhicule et ses passagers constituaient alors des

11 proies faciles pour reprendre la métaphore employée par un témoin de

12 "véritables pigeons d'argile."

13 Réguliers eux aussi les pillages au mortier ont fait de nombreux morts et

14 blessés dans la population civile de la ville de Sarajevo. Parmi tous les

15 événements ayant marqué la campagne de bombardement, l'un des plus

16 effroyables reste l'attaque au mortier de Markale le 28 août 1995. Il est

17 resté gravé dans la mémoire de bien des témoins entendus par la Chambre de

18 première instance. La Chambre a conclu que le marché de Markale avait été

19 pilonné par le SRK, avec un mortier de 120 millimètres tuant 34 civils et

20 en blessant 78 autres. L'un des policiers amené à enquêter sur les lieux a

21 parlé d'une scène évoquant : "Le dernier et le plus profond des cercles de

22 l'enfer de Dante."

23 L'essentiel de l'argumentation de la Défense au sujet du pilonnage du

24 Markale repose sur la thèse d'une mise en scène; d'une explosion causée par

25 un engin explosif statique et non par un mortier de 120 millimètres. Cette

26 explication ainsi que tous les autres arguments présentés par la Défense au

27 sujet de Markale a été rejeté par la Chambre pour les motifs exposés dans

28 le jugement.

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1 Nombreux sont les témoins à l'avoir expliqué, il n'y avait aucun endroit

2 sûr à Sarajevo; on pouvait se faire blesser ou tuer n'importe où et

3 n'importe quand. Le Témoin W-107 a déclaré que souvent lorsque ses filles

4 rentraient à la maison après avoir été cherché de l'eau ou du bois de

5 chauffage, je cite : "Je me rendais compte qu'elles avaient eu tellement

6 peur qu'elles en avaient souillé leurs vêtements." Un jour Rijalda

7 Musaefendic a trouvé des balles dans le pain qu'on lui distribuait car le

8 camion qui le transportait avait été pris pour cible par les Serbes de

9 Bosnie.

10 Bakir Nakas a décrit la situation en ces termes, je cite : "La ville était

11 encore en état de siège, il n'y avait pas d'électricité, pas

12 d'approvisionnement régulier en eau courante ou en combustible et les

13 pilonnages et les tirs isolés se poursuivaient sans discontinuer. La ville

14 n'avait rien de normal pour les habitants de Sarajevo, pas plus que pour

15 nous, les professionnels de santé travaillant des les établissements de la

16 ville. Nous non plus nous n'avions pas de combustible, pas d'électricité et

17 nos ressources en fournitures médicales et en vivres notamment étaient

18 limitées."

19 La menace constante à laquelle ils étaient exposés avait de profondes

20 répercussions sur les civils de Sarajevo. Au cours de sa déposition, le

21 colonel Demurenko, chef de l'état-major du secteur Sarajevo de la FORPRONU,

22 de janvier à décembre 1995, a déclaré que, je cite : "Du point de vue des

23 souffrances humaines, il s'agissait bien d'un véritable siège semblable à

24 celui de Leningrad pendant la Deuxième Guerre mondiale."

25 Il s'est dit surpris par ce qu'il a appelé une attitude ambivalence, une

26 certaine apathie face à l'existence et par l'atmosphère de léthargie qui

27 régnait à Sarajevo. Le Témoin Martin Bell a expliqué que, je cite : "A

28 l'intérieur des lignes de confrontation, les civils avaient l'air égaré,

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1 ils paraissaient hagard. Leurs seules préoccupations au quotidien

2 consistaient à arriver au bout de chaque journée, à survivre. Il s'agissait

3 avant tout de survivre. La situation a été très forcément tragique."

4 A la tête du SRK, Dragomir Milosevic avait adopté un style de commandement

5 rigoureux. Il veillait à être informé des activités de ses unités

6 améliorant pour ce faire un système de compte rendu déjà existant. C'est

7 lui qui prenait les décisions relatives notamment en réapprovisionnement en

8 munitions à la disposition des mortiers et à l'entraînement des tireurs

9 embusqués. Il se rendait aussi souvent auprès des unités du SRK le long des

10 lignes de confrontation.

11 C'est sous son commandement que les bombes aériennes modifiées ont fait

12 leur apparition sur le théâtre de Sarajevo et qu'elles ont été

13 régulièrement employées pour bombarder la ville. Il apparaît dans plusieurs

14 ordres que Dragomir Milosevic décidait également du déploiement et de la

15 disposition des lanceurs. De plus, il ressort des éléments du dossier que

16 Dragomir Milosevic a ordonné l'emploi des bombes aériennes modifiées dans

17 les pilonnages. Il suffit de se souvenir de l'ordre du 6 avril 1995 dans

18 lequel il ordonne à la brigade de Ilidza de et je cite : "Préparer

19 immédiatement un lanceur avec une bombe aérienne et transporter la bombe

20 afin de procéder au lancement. Il faut choisir la cible la plus favorable à

21 Hrasnica ou à Sokolovic Kolonija, afin de provoquer le plus de victimes et

22 de dégâts matériels possibles."

23 Le lendemain, une bombe aérienne modifiée touchait Hrasnica tuant Ziba

24 Custovic, blessant trois civils et provoquant des destructions

25 considérables dans ce quartier civil théâtre de l'explosion.

26 La Chambre de première instance estime que, du fait de son poste de

27 commandant du SRK, l'accusé était tenu de prévenir tout agissement criminel

28 et de faire en sorte que les hommes placés sous son commandement respectent

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1 le droit humanitaire international. Or, les éléments de preuve dont dispose

2 la Chambre montre que l'accusé a abusé de son autorité et que, par ses

3 ordres, il a planifié et ordonné des violations caractérisées et

4 systématiques du droit humanitaire international. En outre, l'accusé a eu

5 recours régulièrement à une arme d'une grande imprécision et d'une très

6 forte puissance explosive : la bombe aérienne modifiée. Il ressort

7 clairement des preuves versées au dossier qu'on avait bien conscience au

8 sein du SRK du caractère aléatoire de l'emploi de ces armes et de leur

9 imprécision. Les bombes aériennes modifiées ne pouvaient être dirigées que

10 sur une zone approximative, de sorte qu'il était impossible de prévoir où

11 elles tomberaient exactement. A chaque lancement d'une bombe aérienne

12 modifiée, l'accusé jouait avec la vie des civils de Sarajevo.

13 Le jugement rendu en l'espèce, comme la plupart de ceux qui sont prononcés

14 par le Tribunal, illustre la nécessité pour les participants à un conflit

15 armé de respecter pleinement les principes fondamentaux du droit

16 humanitaire international. Ces principes ont évolué au fil des siècles pour

17 constituer désormais des obligations juridiquement contraignantes. Le

18 premier de ces principes impose la protection de ceux qui ne prennent pas

19 une part active aux hostilités, à savoir les civils. Ces principes reposent

20 quant à eux sur les valeurs fondamentales pour les êtres humains, que sont

21 l'intégrité de la personne, le droit à la vie et le droit d'être protégé de

22 la peur, de la douleur et de la violence. Partant, ces principes

23 s'appliquent à tout un chacun sans aucune distinction qu'elle repose sur

24 l'appartenance ethnique, la nationalité, ou la religion.

25 Dragomir Milosevic, veuillez vous lever.

26 La Chambre de première instance, Dragomir Milosevic, vous déclare coupable

27 en application de l'article 7(1) du Statut du Tribunal des chefs

28 d'accusation suivants :

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1 Chef 1, terrorisation, une violation des lois ou coutumes de la guerre;

2 Chef 2, assassinat, un crime contre l'humanité;

3 Chef 3, actes inhumains, un crime contre l'humanité;

4 Chef 5, assassinat, un crime contre l'humanité;

5 Chef 6, actes inhumains, un crime contre l'humanité;

6 En conséquence de la déclaration de culpabilité prononcée au titre du chef

7 1, les chefs 4 et 7, d'attaques illégales contre des civils, une violation

8 des lois ou coutumes de la guerre, sont rejetés. Dragomir Milosevic, la

9 Chambre de première instance vous condamne à une peine de 33 ans

10 d'emprisonnement. Conformément à l'article 101(C) du Règlement, la période

11 que vous avez passé en détention préventive sera déduite de votre peine. De

12 même que toute période supplémentaire que vous passerez en détention dans

13 l'attente d'une éventuelle décision en appel. En application de l'article

14 103(C) du Règlement, vous resterez sous la garde du Tribunal dans l'attente

15 de la conclusion d'un accord pour votre transfert vers l'Etat où vous

16 devrez purger votre peine.

17 La Chambre de première instance tient à souligner que ceci ne constitue

18 qu'un résumé de ces constatations des conclusions et que seul fait autorité

19 le jugement écrit, dont des copies seront distribuées à l'issue de

20 l'audience.

21 L'audience est levée.

22 --- L'audience est levée à 9 heures 28.

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