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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL
2 AFFAIRE N° IT-96-22-T POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Mardi 19 novembre 1996
4 Devant la Chambre de première instance composée comme suit :
5 M. le juge Claude Jorda, Président Mme le juge Elizabeth Odio Benito
6 M. le juge Fouad Riad Assistée de : M. Dominique Marro, Greffier-
7 Adjoint
8 LE PROCUREUR c/ Drazen Erdemovic Le Bureau du Procureur : M. Eric
9 Ostberg, M. Mark Harmon,
10 Conseil de la défense M. Jovan Babic
11 (Audience publique)
12 Mardi, 19 novembre 1996 (Matin)
13 L'audience est ouverte à 10 heures 03, sous la présidence de
14 M. Jorda.
15 M. le Président. - Je voudrais d'abord vérifier le bon fonctionnement
16 des services techniques d'interprétation. Est-ce que tout le monde
17 m'entend ?
18 Au Greffe ? La Défense ? Le Bureau du Procureur ? Les Assistants ?
19 Mes collègues ? Bien. Monsieur le greffier, pouvez-vous nous indiquer
20 les références de l'affaire inscrite au présent rôle de ce matin et
21 de demain ?
22 M. Marro, Greffier. - Monsieur le Président, il s'agit du dossier IT-
23 96-22-T, le Procureur de ce Tribunal contre Drazen Erdemovic.
24 M. le Président. - Bien. Monsieur le greffier, voulez-vous faire
25 procéder à l'entrée de l'accusé.
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1 (L'accusé, M. Drazen Erdemovic, est introduit dans la salle
2 d'audience du Tribunal.)
3 M. le Président. - Merci. Les photographes ont quitté la salle. Je
4 voudrais d'abord que soient identifiés les représentants du Bureau du
5 Procureur. Qui est au banc du Procureur de l'accusation.
6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je m'appelle Eric
7 Ostberg, et je comparais aujourd'hui avec mon collègue, substitut du
8 Procureur, M. Mark Harmon.
9 M. le Président. - Le banc de la défense.
10 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Avocat de la défense.
11 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, voulez-vous vous lever ?
12 (M. Erdemovic se lève.)
13 M. le Président. - Pouvez-vous, à l'intention du Tribunal, nous
14 donner votre nom, votre ou vos prénoms, votre lieu et votre date de
15 naissance, votre profession au moment de votre arrestation et votre
16 profession avant les faits pour lesquels vous comparaissez devant le
17 présent Tribunal pénal international ? Nous vous écoutons.
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je m'appelle
19 Drazen Erdemovic. Je suis né le 25 novembre 1971. Je suis serrurier.
20 Je n'ai pas d'expérience professionnelle. J'étais dans l'armée
21 pendant la guerre. Quand la guerre a éclaté, j'étais dans l'armée de
22 la Republika Srpska.
23 M. le Président. - Pouvez-vous nous indiquer votre nationalité et
24 votre lieu de naissance ?
25 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je suis
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1 croate de Bosnie de nationalité, je suis né à Tuzla.
2 M. le Président. - Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir. La
3 présente audience est une audience sententielle, c'est-à-dire
4 destinée à ce qu'une sentence soit décernée à l'égard de l'accusé,
5 Drazen Erdemovic. Celui-ci, je le rappelle, a plaidé coupable du chef
6 de crime contre l'humanité lors de sa comparution initiale, le 31 mai
7 1996. Je rappelle que la Chambre a ordonné, les 31 mai et 4 juillet
8 1996, deux expertises, psychologique et psychiatrique, pour
9 s'assurer, d'une part, de la capacité de discernement de l'accusé au
10 moment du plaidoyer de culpabilité et, d'autre part, pour s'assurer
11 que l'accusé était apte à comparaître. Je voudrais demander
12 maintenant à Monsieur le greffier de bien vouloir rappeler les textes
13 pertinents concernant les audiences devant aboutir à une sentence
14 devant le présent Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
15 Je voudrais plus spécialement que soient lus les articles concernant
16 l'incrimination de crime contre l'humanité et, ensuite, les articles
17 pertinents concernant les modalités de décernement des sentences.
18 Monsieur le greffier, vous avez la parole.
19 M. Marro, Greffier. - Article 5.A du Statut du Tribunal pénal
20 international, crimes contre l'humanité. Le Tribunal pénal
21 international est habilité à juger les personnes présumées
22 responsables des crimes suivants, parce qu'ils ont été commis au
23 cours d'un conflit armé de caractère international ou interne et
24 dirigés contre une population civile quelle qu'elle soit.
25 a) assassinats Article 24 du Statut - peines "La Chambre de première
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1 instance n'impose que des peines d'emprisonnement. Pour fixer les
2 conditions de l'emprisonnement, la Chambre de première instance a
3 recours à la grille générale des peines d'emprisonnement appliquées
4 par les tribunaux de l'ex-Yougoslavie. b. En imposant toute peine, la
5 Chambre de première instance tient compte de facteurs tels que la
6 gravité de l'infraction et la situation personnelle du condamné.
7 Article 101 du Règlement de procédure et de preuves : (A) Toute
8 personne reconnue coupable par le Tribunal est passible
9 d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à vie. (B)
10 Lorsqu'elle prononce une peine, la Chambre de première instance tient
11 compte des dispositions prévues au paragraphe 2 de l'article 24 du
12 Statut, ainsi que : (i) de l'existence de circonstances aggravantes
13 (ii) de l'existence de circonstances atténuantes, y compris le
14 sérieux et l'étendue de la coopération que l'accusé a fournis au
15 Procureur, avant ou après sa déclaration de culpabilité, (iii) de la
16 grille générale des peines d'emprisonnement, telle qu'appliquée par
17 les tribunaux en ex-Yougoslavie. (iv) de la durée de la période, le
18 cas échéant, pendant laquelle la personne reconnue coupable avait
19 déjà purgé une peine imposée, à raison du même acte, par une
20 juridiction interne en application du paragraphe 3 de l'article 10 du
21 Statut.
22 M. le Président. - L'objet de l'audience d'aujourd'hui, et peut-être
23 de demain, est de permettre au Procureur, d'une part, et à la
24 défense, d'autre part, de présenter toutes les informations
25 pertinentes permettant à la Chambre de décider de la sentence la plus
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1 appropriée applicable à M. Erdemovic. Dans ces conditions, la Chambre
2 a décidé d'organiser les débats de la manière suivante. Premièrement,
3 le Procureur fera un rappel des faits et de l'incrimination, faits,
4 incrimination. A cet égard, il fera entendre le ou les témoins qu'il
5 souhaite appeler à la barre. Deuxièmement, et afin que le procédure
6 de contradictoire soit pleinement respecté, et surtout qu'il n'y ait
7 aucune ambiguïté sur les faits reconnus, la Chambre entendra,
8 toujours sur les faits et l'incrimination, la réplique de la défense
9 tels qu'ils auront été exposés par le Procureur et ainsi que le ou
10 les témoins éventuels qu'elle fera entendre à cet effet. A l'issue de
11 ces exposés et témoignages, la Chambre se réserve, en vertu du
12 pouvoir d'ordonner la production de moyens de preuve supplémentaires
13 que lui confère l'article 98 du Règlement, la Chambre donc se réserve
14 le droit d'entendre d'autres témoins, y compris l'accusé, si cela
15 paraît nécessaire à la Chambre. Ensuite viendront les réquisitions et
16 les plaidoiries finales au cours desquelles le Procureur sera appelé
17 à exposer toutes les circonstances aggravantes ou atténuantes et tout
18 autre élément, donc circonstances aggravantes et atténuantes,
19 conformément aux textes qui viennent d'être lus et tout autre élément
20 qui paraîtra pertinent au soutien de sa position y compris ses
21 propositions sur la sentence appropriée, si bien sûr l'accusation
22 souhaite faire des propositions à la Chambre. La défense répliquera
23 sur les mêmes questions, circonstances aggravantes, circonstances
24 atténuantes et propositions faites à la Chambre. Enfin, la Chambre
25 mettra en délibéré sa décision. Avant donc de donner la parole au
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1 Procureur, la Chambre souhaite d'abord demander aux parties, c'est-à-
2 dire à l'accusation et la défense, si elles sont d'accord pour que
3 les propos tenus par M. Drazen Erdemovic, réitérant son plaidoyer de
4 culpabilité lors de la conférence de mise en état à huis clos, soient
5 désormais rendus publics au cours de la présente audience. Je
6 rappelle que le 4 juillet, le Président de la Chambre a demandé à
7 M. Drazen Erdemovic, pour que les choses soient très claires, de bien
8 vouloir réitérer son plaidoyer de culpabilité. Cette conférence
9 s'étant tenue à huis clos, je demande maintenant à M. le Procureur et
10 à Me Babic s'ils sont d'accord pour que M. le Greffier lise le
11 passage de cette présente conférence de mise en état. Monsieur le
12 Procureur.
13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas d'objection,
14 monsieur.
15 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas d'objection
16 non plus, monsieur. M. le Président. - Greffier, pouvez-vous lire le
17 passage de la conférence de mise en état tenue à huit clos le
18 4 juillet, par lequel le Président a demandé clairement à M. Drazen
19 Erdemovic s'il avait l'intention de continuer à plaider coupable sur
20 les faits dont il était incriminé.
21 M. Marro, Greffier. - Devant la Chambre de première instance composée
22 comme suit : M. le juge Claude Jorda, Président, Mme le juge
23 Elisabeth Odio-Benito, M. le juge Fuad Riad, Conférence de mise en
24 état, le Bureau du Procureur M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon,
25 M. Bowers, Conseil de la défense, Me Babic. Je me reporte à la page 7
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1 du transcript en français.
2 "M. le Président. - Je vais me tourner vers Drazen Erdemovic. Pouvez-
3 vous vous lever ? Vous plaidez toujours coupable pour votre procès ?
4 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
5 M. le Président. - Je veux que le Greffe enregistre bien sur minute
6 qu'après l'expertise médicale, M. Drazen Erdemovic confirme qu'il
7 plaide coupable dans le procès."
8 M. le Président. - Merci, monsieur le greffier. Deuxième question,
9 est-ce que les parties entendent produire des pièces à conviction ?
10 Si oui, j'aimerais qu'elles les soumettent, l'une après l'autre, à la
11 Chambre. Egalement, la partie adverse a-t-elle des objections quant à
12 l'admission de la ou des pièces à conviction ? Monsieur le Procureur,
13 avez-vous des pièces à conviction à produire au cours de cette
14 audience sententielle ?
15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - (sans traduction)
16 M. le Président. - Excusez-moi, je n'ai pas la traduction. Je vous ai
17 entendu, mais j'aurais préféré que la cabine de traduction me
18 traduise très fidèlement vos propos. Monsieur le Procureur, ne vous
19 serait-il pas trop désagréable de répéter votre réponse ?
20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pas du tout. Nous allons
21 appeler un témoin, M. Jean-René Ruez qui va témoigner quant à la
22 déposition prise auprès de Drazen Erdemovic et quant à l'enquête
23 menée sur le lieu des événements et les faits qui sont reprochés à
24 Drazen Erdemovic. C'est le seul témoignage oral que nous allons
25 demander. Nous allons aussi vous présenter des photos, des
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1 diagrammes, des cartes de l'endroit où les événements ont eu lieu.
2 Voilà les pièces à conviction que l'accusation a l'intention de
3 présenter, outre, monsieur le Président, les deux mémoires que nous
4 avons déposés concernant le régime des peines en ex-Yougoslavie et
5 les circonstances atténuantes et aggravantes.
6 M. le Président. - Ces pièces à conviction seront donc délivrées aux
7 Juges de la Chambre au moment, si j'ai bien compris, du témoignage de
8 M. Jean-René Ruez ? Maître Babic, avez-vous vous-même des pièces à
9 conviction que vous désirez soumettre au Tribunal ?
10 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur, je ne suis pas
11 opposé à ce que l'on entende M. Ruez à titre de témoin. Par ailleurs,
12 comme je l'ai proposé auparavant déjà, nous pourrions entendre les
13 deux témoins qui sont sous protection. Non.
14 M. le Président. - Enfin, un dernier point, avant de donner la parole
15 au Procureur. Avant de compléter la protection des témoins X et Y,
16 ceux qui je crois seront cités par la défense, la Chambre envisage
17 d'ordonner la diffusion, retardée d'une demi-heure, de trente
18 minutes, des images enregistrées des débats. Les parties sont-elles
19 d'accord ? Monsieur le Procureur, un retard dans la diffusion des
20 images de trente minutes, afin d'assurer une complète protection des
21 témoins, du témoin X et du témoins Y.
22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Oui, j'appuie cette idée.
23 M. le Président. - Merci. Je suppose qu'également vous êtes d'accord,
24 puisqu'il s'agit de vos témoins. Bien entendu, comme me le rappelle
25 le juriste, ce sera une ordonnance sur minute qui traduira cet
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1 accord, merci de me le rappeler. Ceci sera consigné au Greffe :
2 l'accord des parties et l'ordonnance par laquelle nous retardons
3 d'une demi-heure l'enregistrement télévisuel des débats. Nous allons
4 procéder, sans plus attendre, à la première séquence, celle du rappel
5 des faits et de l'incrimination et uniquement de ces faits et de
6 cette incrimination. Je voudrais donc donner la parole au Procureur.
7 Il décidera lui-même si c'est alors qu'il veut faire entendre son
8 témoin. Ensuite, toujours sur les faits et l'incrimination, la parole
9 sera donnée à la défense. Ce n'est qu'après que le Tribunal décidera
10 s'il convient d'entendre d'autres témoins ou s'il convient d'entendre
11 l'accusé, Drazen Erdemovic. Monsieur le Procureur, vous avez la
12 parole.
13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci. Avant de commencer
14 à présenter les tenants et aboutissants de l'affaire, je voudrais
15 récapituler brièvement les événements qui ont amené M. Erdemovic à se
16 trouver en détention au Tribunal à La Haye. Ceci nous ramène à
17 l'attaque que l'armée serbe-bosniaque, placée sous le commandement de
18 Radovan Karadzic et Ratko Mladic, a lancée contre la zone de sécurité
19 de Srebrenica au début de juillet 1995 et la réédition et exécution
20 de milliers de Musulmans bosniaques qui ont fui Srebrenica par les
21 bois vers les territoires musulmans de Tuzla. Ces événements ont
22 provoqué une enquête, des mises en accusation et des audiences au
23 titre de l'article 61 du statut du Tribunal. Les autorités de la
24 République fédérale de Yougoslavie ont aussi lancé une enquête quant
25 à la participation de Drazen Erdemovic à ces événements, ce qui a
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1 amené son arrestation le 2 mars 1996, en Serbie. Ayant été informé de
2 cela, le Procureur du Tribunal a considéré que Drazen Erdemovic
3 était, semble-t-il, en possession d'informations pertinentes pour
4 l'inculpation de MM. Karadzic et Mladic et a demandé le transfert de
5 M. Erdemovic à La Haye, en tant que témoin. A la suite d'une
6 ordonnance à cet effet rendue par le juge Riad, M. Erdemovic est
7 arrivé à La Haye le 30 mars 1996. En rapport en particulier avec les
8 déclarations faites par M. Erdemovic aux enquêteurs du Bureau du
9 Procureur, le Procureur a lancé une enquête sur la participation de
10 M. Erdemovic aux exécutions commises à l'encontre des personnes
11 encerclées mentionnées plus haut. Cette enquête a mené à
12 l'inculpation de Drazen Erdemovic. Elle a été confirmée le 29 mai
13 1996 par le juge Sidoua(?) et une ordonnance a été délivrée par
14 M. Sidoua(?) le même jour aux fins de l'arrestation de M. Erdemovic.
15 Ce même jour, le 29 mai 1996, une Chambre de première instance du
16 Tribunal a décidé de demander à la République fédérale de Yougoslavie
17 de renvoyer toutes les enquêtes et procédure à l'encontre de
18 M. Erdemovic au Tribunal. La comparution initiale de M. Erdemovic,
19 devant la Chambre de première instance, comme cela vient d'être
20 rappelé, a eu lieu le 31 mai 1996, audience à laquelle M. Erdemovic a
21 plaidé coupable des actes dont il était accusé, à savoir crimes
22 contre l'humanité tombant sous le coup de l'article 5 du Statut du
23 Tribunal. Le 5 juillet, il a comparu en tant que témoin dans
24 l'audition article 61 contre MM. Karadzic et Mladic et a expliqué à
25 la Chambre de première instance sa participation à l'exécution de
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1 Musulmans dans la ville de Pilica et à Pilica, dans la municipalité
2 de Zvornik en Bosnie. Son récit des événements comprenait une
3 description des meurtres qu'il avait commis. L'état de santé mentale
4 de M. Erdemovic a été examiné. Nous en sommes maintenant arrivés au
5 point où nous devons procéder à l'audience du prononcé de la sentence
6 conformément à l'article 24 du Statut et de l'article 101 du
7 règlement. Il m'incombe donc de vous présenter les faits qui sont
8 reprochés à M. Drazen Erdemovic. Je ne vois pas de meilleure façon de
9 le faire que de citer l'acte d'accusation, en tout cas les parties
10 pertinentes de l'acte. Le 16 avril 1993, le Conseil de sécurité des
11 Nations Unies, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des
12 Nations Unies, a adopté la Résolution 819 demandant que toutes les
13 parties au conflit dans la République de Bosnie-Herzégovine traitent
14 Srebrenica et ses environs comme une zone de sécurité à l'abri de
15 toute attaque armée ou de tout acte d'hostilité. La Résolution 819
16 fut réaffirmée par la Résolution 824 du 6 mai 1993 et par la
17 Résolution 836 du 4 juin 1993. Le 6 juillet 1995, l'armée serbe de
18 Bosnie a déclenché une attaque contre la " zone de sécurité " des
19 Nations Unies de Srebrenica. Cette attaque s'est prolongée jusqu'au
20 11 juillet 1995, lorsque les premières unités de l'armée serbe
21 bosniaque sont entrées dans Srebrenica. Les milliers de civils
22 bosniaques musulmans qui étaient à Srebrenica pendant cette attaque
23 se sont enfuis vers la base des Nations Unies à Potocari et y ont
24 cherché refuge ainsi qu'aux environs. Entre le 11 et le 13 juillet
25 1995, le personnel militaire bosno-serbe a sommairement exécuté un
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1 nombre inconnu de Musulmans bosniaques à Potocari et à Srebrenica.
2 Entre le 12 et le 13 juillet 1995, des hommes, des femmes et des
3 enfants musulmans de Bosnie, qui s'étaient réfugiés dans le camp des
4 Nations Unies de Potocari et à proximité, ont été mis dans des bus et
5 des camions sous l'autorité de membres de l'armée bosno-serbe et de
6 la police et transportés hors de l'enclave de Srebrenica. Avant de
7 monter dans les bus et les camions, les hommes musulmans ont été
8 séparés des femmes et enfants et transportés vers divers centres de
9 rassemblement autour de Srebrenica. Un deuxième groupe d'environ
10 15 000 hommes musulmans bosniaques, avec des femmes et des enfants,
11 ont fui Srebrenica le 11 juillet 1995 à travers bois, en direction de
12 Tuzla, en formant une vaste colonne. Un grand nombre des hommes
13 musulmans bosniaques, qui composaient cette colonne, ont été capturés
14 par les hommes de la police ou de l'armée bosno-serbe, ou encore se
15 sont rendus. Des milliers d'hommes musulmans qui avaient été séparés
16 de leurs femmes et enfants à Potocari, ou qui avaient été capturés ou
17 s'étaient rendus aux hommes de la police ou de l'armée bosno-serbe,
18 ont été envoyés vers différents sites de rassemblement en dehors de
19 Srebrenica dont, entre autres, un hangar à Bratunac, un terrain de
20 foot à Nova Kasaba, un entrepôt à Kravica, l'école primaire et le
21 gymnase de " Veljko Lukic-Kurjak " à Grbavci, dans la municipalité de
22 Zvornik et dans divers champs et prés qui bordent la route entre
23 Bratunac et Milici. Entre le 13 juillet 1995 et le 22 juillet 1995
24 environ, des milliers d'hommes musulmans de Bosnie ont été exécutés
25 sommairement par des membres de l'armée bosno-serbe et de la police
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1 serbe de Bosnie à divers endroits dont, entre autres, un entrepôt à
2 Kravica, un pré et un barrage près de Lazete et plusieurs autres
3 endroits. Le 16 juillet 1995, Drazen Erdemovic et d'autres membres du
4 10e détachement de sabotage de l'armée serbe de Bosnie ont été
5 envoyés dans une ferme collective près de Pilica. Cette ferme se
6 situe au nord-ouest de Zvornik dans la municipalité de Zvornik. Le 16
7 juillet 1995, Drazen Erdemovic et d'autres membres de son unité, ont
8 été informés que des bus, venant de Srebrenica, remplis de civils
9 bosniaques musulmans qui s'étaient rendus aux membres de la police ou
10 de l'armée bosno-serbe, allaient arriver tout au long de la journée
11 dans cette ferme collective. Le 16 juillet 1995, des bus remplis
12 d'hommes musulmans de Bosnie sont arrivés dans la ferme collective à
13 Pilica. Chaque bus était rempli d'hommes musulmans, âgés de 17 à 60
14 ans. A l'arrivée de chaque bus, des membres du 10e détachement de
15 sabotage les faisaient descendre par groupe de dix et les escortaient
16 jusqu'à un champ adjacent aux bâtiments de la ferme et les faisaient
17 mettre en ligne, tournant le dos à Drazen Erdemovic et aux membres de
18 son unité. Le 16 juillet 1995, Drazen Erdemovic a tué, exécuté et
19 participé avec d'autres membres de son unité et des soldats d'une
20 autre brigade à l'exécution et au massacre d'hommes musulmans
21 bosniaques non armés, à la ferme collective de Pilica. Ces exécutions
22 sommaires ont causé la mort de centaines de civils musulmans de
23 Bosnie. Voilà, monsieur le Président, qui conclut l'exposé des faits
24 tels qu'ils apparaissent dans l'acte d'accusation. J'ajouterai
25 simplement quelques éléments, à savoir que l'acte décrit dans l'acte
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1 d'accusation était un élément d'une attaque de grande envergure et
2 systématique lancée par l'armée serbe de Bosnie contre la zone de
3 sécurité de Srebrenica et de ses habitants. Pour étayer les
4 allégations contenues dans l'acte d'accusation, pour prouver la
5 participation de M. Erdemovic aux exécutions et pour informer le
6 Tribunal de l'étendue de la coopération de M. Erdemovic avec le
7 Bureau du Procureur, l'accusation n'appellera qu'un témoin, à savoir
8 l'enquêteur Jean-René Ruez qui a consigné la déposition de
9 M. Erdemovic et mené enquête. Durant l'interrogatoire du témoin,
10 l'accusation présentera aussi comme pièce à conviction des cartes,
11 des diagrammes et des photos de la zone. Je conclurai cet exposé des
12 faits en ajoutant qu'avant le récit des événements dans la zone,
13 récit fait spontanément par M. Drazen Erdemovic, le Bureau du Procureur
14 n'avait aucune connaissance de ces événements. Je vous
15 remercie.
16 M. le Président. - Monsieur le Procureur, je voudrais vous poser une
17 question. Entendez-vous, pour éclairer l'acte d'accusation que vous
18 venez de lire et que le Tribunal connaissant bien sûr, ainsi que
19 Drazen Erdemovic, citer votre enquêteur, M. Jean-René Ruez tout de
20 suite.
21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Oui, effectivement.
22 M. le Président. - Avant de donner la parole à la défense, nous
23 allons demander à M. le greffier de faire introduire le témoin de
24 M. le Procureur, à savoir l'enquêteur Jean-René Ruez, en précisant
25 bien que M. Jean-René Ruez s'exprimera sur les faits et sur la
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1 participation de l'accusé aux faits qui lui sont reprochés. (M. Jean-
2 René Ruez dans la salle d'audience.)
3 M. le Président. - Monsieur Jean-René Ruez, est-ce que vous
4 m'entendez ?
5 M. Ruez. - Je n'ai rien dans les micros.
6 M. le Président. - Est-ce que l'on pourrait faire un réglage
7 technique. Il faudrait que M. l'huissier s'assure bien que ces
8 problèmes-là sont réglés. M'entendez-vous ?
9 M. Ruez. - Oui.
10 M. le Président. - Voulez-vous vous lever pour procéder à la lecture
11 de la déclaration sous serment que vous devez faire ? Avez-vous le
12 texte du serment ?
13 M. Ruez. - Oui. Je déclare solennellement que je dirai la vérité,
14 toute la vérité et rien que la vérité.
15 M. le Président. - Merci. Asseyez-vous. Monsieur le Procureur, vous
16 avez la parole.
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le
18 Président. Monsieur le Président, nous avons appelé M. Ruez pour une
19 triple raison. D'abord, nous voudrions que M. Ruez récapitule les
20 événements qui se sont passés dans la zone de sécurité de Srebrenica
21 en juillet 1995 et la chute de la ville. Deuxième raison, nous
22 voudrions que M. Ruez décrive, à l'intention du Tribunal, deux
23 massacres qui se sont produits : l'un à la ferme de Pilica et l'autre
24 au centre culturel dans le village de Pilica, deux événements que
25 M. Erdemovic nous a signalés. La troisième raison qui justifie la
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1 présence de M. Ruez ici à la barre est que nous voudrions l'entendre
2 décrire la coopération substantielle dont a fait montre M. Erdemovic
3 pour aider le Bureau du Procureur. Avant que M. Ruez ne témoigne,
4 j'ai demandé que le Greffe marque quinze pièces à conviction. Je
5 voudrais maintenant que M. Ruez reçoive le dossier de ces pièces à
6 conviction.
7 M. le Président. - Par rapport à l'ordonnancement décidé par la
8 Chambre, M. Jean-René Ruez répondra à vos questions concernant les
9 deux premiers points, c'est-à-dire le résumé des événements, le cadre
10 général de ce qui est passé à Srebrenica, et par ailleurs les
11 massacres dans la ferme et le centre culturel de Pilica. Ensuite, M.
12 Jean-René Ruez restera à la disposition du Tribunal et ce ne sera que
13 dans la deuxième séquence, lorsque nous déciderons de vous entendre
14 sur les circonstances aggravantes, atténuantes dans lesquelles
15 s'insère évidemment la plus ou moins grande coopération que
16 conformément aux textes l'accusé vous aurait apporté, que nous
17 demanderons à M. Jean-René Ruez de revenir dans la présente salle
18 d'audience. Pour l'instant, Monsieur le Procureur, je demanderai que
19 dans votre question, vous vous en teniez au résumé des événements et
20 aux massacres. Merci.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Bien, monsieur le
22 Président. Je voudrais que l'huissier présente une pièce à conviction
23 en la plaçant sur le chevalet. Nous allons procéder de la façon
24 demandée par le Tribunal. Je vous demande de vous identifier et
25 d'épeler votre nom aux fins du procès-verbal.
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1 M. Ruez.- Mon nom est Jean-René Ruez.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avant de venir au Bureau
3 du Procureur, quelle était votre occupation ?
4 M. Ruez. - Depuis 1986, je suis commissaire de police à la Direction
5 de la police judiciaire en France.
6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous décrire votre
7 fonction et responsabilité depuis que vous êtes arrivé au Bureau du
8 Procureur ?
9 M. Ruez. - Je travaille au Bureau du Procureur comme enquêteur depuis
10 avril 1995, date à laquelle j'ai participé à l'enquête sur les
11 événements commis à l'occasion du siège de Sarajevo. Depuis le mois
12 de juillet 1995, je dirige l'enquête sur les événements qui ont suivi
13 la chute de l'enclave de Srebrenica.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - En utilisant la pièce à
15 conviction n° 2, voudriez-vous résumer rapidement à l'intention du
16 Tribunal ce qui est ressorti de votre enquête concernant les événements
17 de Srebrenica ? Peut-on passer la pièce à conviction n° 2 sur l'écran ?
18 M. Ruez. - Les événements relatés par Drazen Erdemovic s'inscrivent
19 dans le cadre plus large des événements qui ont suivi la chute de
20 l'enclave en juillet 1995. Pour les résumer brièvement, puisque tout
21 cela a déjà été exposé lors de l'audience publique contre Radovan
22 Karadzic et Ratko Mladic en juillet de cette année....
23 M. le Président. - Excusez-moi, je voudrais poser une question à M.
24 le Procureur : vous avez versé au dossier du Tribunal les
25 transcriptions des audiences tenues dans le cadre de l'article 61
Page 131
1 contre MM. Mladic et Karadzic ?
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je vais le faire, monsieur
3 le Président.
4 M. le Président. - Ce sont deux affaires différentes, qui ont un lien
5 par rapport à la prise de l'enclave de Srebrenica. Mais il faut bien
6 préciser ce qui s'est passé à Srebrenica. Ou bien Monsieur le
7 Procureur demande à ce que soit inséré dans le dossier du Tribunal
8 l'ensemble des éléments pertinents, notamment la déposition de Drazen
9 Erdemovic lors des audiences tenues dans le cadre de l'article 61
10 contre Mladic et Karadzic, ou bien il faut que M. Jean-René Ruez
11 fasse un exposé très complet de ce qui s'est passé à Srebrenica. Si
12 je vous comprends bien, Monsieur le Procureur, votre option est de
13 faire déposer les minutes de l'audience article 61 de juillet 1996
14 dans le cadre de l'affaire Karadzic et Mladic et aujourd'hui de faire
15 relater plus sommairement les événements de Srebrenica. Est-ce cela
16 Monsieur le Procureur ?
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - C'est cela justement.
18 M. le Président. - Excusez moi Monsieur Ruez.
19 M. Ruez. - Lorsque l'armée serbe bosniaque s'est emparée de l'enclave
20 de Srebrenica, la population a eu deux possibilités d'action. La
21 première était de prendre la fuite vers Potocari, la deuxième, qui a
22 été l'option choisie par la majorité de la population masculine de
23 l'enclave, a été de prendre la fuite en direction de Tuzla à travers
24 la campagne. Les hommes qui sont restés à Potocari, ainsi que les
25 femmes et les enfants, ont été déportés vers Kladanj qui était la
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1 ligne de confrontation qui séparait la Republika Srpska et la Bosnie
2 Herzégovine . De nombreux meurtres ont été commis à l'encontre des
3 hommes à Potocari. Sur le chemin de la déportation, un certain nombre
4 d'hommes ont réussi à monter à bord des autobus. Ils ont tous été
5 séparés des convois à différents endroits. Le lieu final de leur
6 séparation était à Tisca. De là, ils ont également été exécutés à
7 proximité de Vlasenica. Ceux qui ont pris la fuite par les bois ont
8 été contraints, suite aux opérations déclenchées contre eux, de se
9 rendre ou ont été capturés. Un grand nombre de situations nous ont
10 été rapportées où les personnes qui se sont rendues ont été
11 sommairement exécutées sur le lieu même de leur reddition. La plupart
12 d'entre eux ont été regroupés dans les jours qui ont suivi, le 12 et
13 le 13 juillet 1995, sur ces lieux qui sont essentiellement Sandici et
14 Nova Kasaba, mais il en existe d'autres. Des exécutions ont également
15 été commises sur ces prisonniers. Il y a eu des exécutions massives.
16 Les prisonniers qui étaient regroupés à Sandici ont été emmenés dans
17 un complexe à Kravica, mis dans un hangar et tous ont été exécutés à
18 l'intérieur. D'autres exécutions ont été rapportées à l'intersection
19 de Konjevici. A Nova Kasaba qui était également un centre de
20 regroupement, plusieurs dizaines d'hommes ont été exécutés par petits
21 groupes. Dans la vallée de Cerska, des individus prisonniers ont été
22 transportés et exécutés en ces lieux. Cette liste n'est que le résumé
23 d'un certain nombre de lieux où ces exécutions ont été commises. La
24 plupart des hommes ont été ensuite regroupés dans la ville de
25 Bratunac, tant ceux qui étaient restés à Potocari que ceux qui ont
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1 été ultérieurement regroupés après avoir tenté de prendre la fuite.
2 De Bratunac tous ces prisonniers ont été transportés en divers
3 endroits.
4 M. le Président. - Il y avait également ceux qui avaient choisi
5 l'option de la fuite vers Tuzla.
6 M. Ruez. - C'est de ceux-là dont je parle actuellement.
7 M. le Président. - Ce n'est pas très clair. Vous avez annoncé qu'il y
8 avait deux options et ensuite, si j'ai bien compris, des personnes se
9 sont retrouvées, à la fois celles de la colonne vers Tuzla et celles
10 qui étaient parties vers Potocari.
11 M. Ruez. - Oui. Les hommes de Potocari ont tous été regroupés à
12 Bratunac, sauf ceux qui ont pu monter à bord des bus, qui ont été
13 ultérieurement séparés sur un certain nombre de check-points se
14 trouvant entre Bratunac et la ligne de confrontation. Lorsque tous
15 ces prisonniers survivants ont été regroupés à Bratunac, d'autres
16 crimes ont été commis à leur encontre dans Bratunac même. Mais
17 ultérieurement, ils ont tous été transportés en divers points situés
18 plus au nord de l'enclave. Plusieurs de ces endroits ont été
19 identifiés. Il s'agit notamment de l'école de Grbavci qui se trouve
20 sur la carte ici, là où je vous le montre. Les prisonniers regroupés
21 dans l'école de Grbavci ont été exécutés sur le site de Lazete qui se
22 trouve à proximité, où des opérations d'exhumation ont eu cours cet
23 été. D'autres ont été transportés à l'école de Petkovci qui se trouve
24 légèrement plus au nord sur la carte. Ceux qui ont été regroupés à
25 l'école de Petkovci ont ultérieurement été exécutés sur le plateau du
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1 barrage de Dulici, au nord de Zvornik. D'autres encore ont été
2 transportés à l'école de Pilica. D'après les déclarations de quelques
3 individus, le lieu d'exécution serait la ferme de Branjevo qui se
4 trouve à proximité sur la carte, là où je vous le montre. Enfin
5 d'autres ont été regroupés dans un bâtiment public à Pilica où ils
6 ont également été exécutés. Voici pour le tableau général des
7 événements qui ont suivi la chute de l'enclave.
8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, je vous
9 demanderai de bien vouloir décrire, à l'intention de la Cour ce qui
10 s'est produit à la ferme de Pilica et ce faisant, je vous demanderai
11 de faire référence aux pièces à conviction enregistrées que vous avez
12 entre les mains.
13 M. Ruez. - Je résumerai les déclarations faites par Drazen Erdemovic
14 sur ce sujet à l'occasion de diverses auditions. Le 16 juillet au
15 matin, alors qu'il se trouvait à la base de son unité à Vlasenica,
16 Drazen Erdemovic a été requis pour se rendre avec un groupe, au total
17 huit individus, à Zvornik. Là, le chef de leur groupe a pris contact
18 avec un lieutenant-colonel qui sortait d'un bâtiment occupé par la
19 police militaire, bâtiment qui a été identifié par Drazen Erdemovic
20 et qui constitue le siège de la brigade de Zvornik qui appartient au
21 Drina corps. Non encore informés de la mission du jour, ils ont suivi
22 le lieutenant-colonel qui les a conduits sur la ferme dite de
23 Branjevo où il a donné des ordres au chef du peloton, a quitté les
24 lieux et Drazen Erdemovic a été informé par cet individu que des bus
25 allaient arriver avec des prisonniers venant de Srebrenica. Il a
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1 immédiatement compris quel était le but de l'opération et qu'il
2 allait devoir participer à l'exécution de ces gens. Les bus ont
3 commencé à arriver vers 10 heures du matin. Au total une vingtaine de
4 bus ont été dénombrés par Drazen Erdemovic, chacun de ces bus étant
5 rempli d'environ 60 prisonniers. Jusqu'à 15 heures de l'après-midi,
6 les exécutions ont eu lieu sur cette ferme. Grâce aux indications
7 fournies par Drazen Erdemovic, nous avons pu nous rendre sur les
8 lieux. J'utiliserai la pièce à conviction n° 3
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous parlez de la pièce à
10 conviction n° 3.
11 M. Ruez. - Oui. Voici une photographie de la ferme présentée à Drazen
12 Erdemovic à l'issue de cette mission et reconnue par lui comme étant
13 le lieu où les exécutions ont été commises ce jour. Les premières
14 constatations sur les lieux ont permis de découvrir à proximité du
15 site un certain nombre de vêtements, chaussures, débris humains, tous
16 indices qui laissent à supposer qu'une fosse commune se trouvait à
17 proximité de cet endroit. Une mission ultérieure a permis de
18 collecter sur le champ d'exécution un certain nombre de cartouches.
19 Seules 61 cartouches ont pu être trouvées sur place, dans la mesure
20 où le champ était labouré. L'activité agricole était toujours en
21 cours dans cette ferme et les seules cartouches qui ont pu être
22 retrouvées au cours de cette opération étaient à la surface. Le
23 nombre de cartouches retrouvées n'est pas caractéristique du nombre
24 de cartouches effectivement tirées à cet endroit. Je ferai également
25 appel à la pièce à conviction n° 4.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Un instant s'il vous
2 plaît, nous aimerions que le point soit fait sur l'image. Merci.
3 M. Ruez. - Suite aux informations données par Drazen Erdemovic, les
4 services compétents ont pu rechercher dans leurs archives des traces
5 d'imagerie qui avaient pu être prises à la date des faits ou à
6 proximité de la date des faits, ce qui a permis d'avoir accès à cette
7 photo datée du 17 juillet 1995, qui est une vue aérienne de la ferme
8 sur laquelle sont visibles un certain nombre de corps répartis sur le
9 champ ainsi qu'une probable fosse commune que l'on est en train de
10 creuser. De même, je ferai appel à la pièce à conviction n° 5.
11 M. le Président. - Peut-on baisser un peu la lumière ? Nous avons du
12 mal à suivre sur l'écran. Merci.
13 M. Ruez. - Ces mêmes recherches d'imagerie ont ultérieurement permis
14 de trouver trace de ce qui apparaît être une tentative de destruction
15 des preuves et des indices sur les lieux de la ferme de Branjevo.
16 Cette photo est datée du 27 septembre et présente des traces de
17 travaux en cours sur le site à la date du 27 septembre. Les faits
18 tels qu'ils ont été dénoncés par Drazen Erdemovic sont également
19 corroborés par la répartition des étuis sur l'étendue du lieu où il
20 déclare que les exécutions ont été commises. L'enquête a ensuite
21 évolué vers une exhumation du site qui a eu lieu à la fin du mois
22 d'août et début septembre. En dépit des travaux présentés sur cette
23 photographie, 153 corps ont pu être retrouvés à l'endroit où
24 actuellement sur cette photographie les travaux sont en cours, à
25 proximité de cet endroit dans cette zone. La moitié environ de ces
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1 corps avaient les mains attachées par des liens, quelques cartouches
2 supplémentaires ont pu être retrouvées, ainsi que quelques pièces
3 d'identité faisant référence à des Musulmans bosniaques originaires
4 de la région de Srebrenica. Il est encore beaucoup trop tôt à ce
5 stade pour tirer des conclusions définitives sur les travaux
6 d'exhumation faits en juillet. Je ne le ferai pas. Les rapports n'ont
7 pas encore été rendus à ce sujet. Il est à préciser que les
8 événements qui ont été exposés par Drazen Erdemovic au sujet de cette
9 ferme étaient totalement inconnus du Bureau du Procureur au moment où
10 ils ont été révélés. Le site est particulièrement significatif par le
11 nombre de victimes mis en cause. Il est dénombré à 1 200 à ce jour.
12 De même, le site se trouve à 70 kilomètres au nord de Bratunac, ce
13 qui implique des conséquences particulièrement intéressantes pour
14 l'enquête au sujet des moyens logistiques mis en oeuvre pour mener à
15 bien ces opérations d'exécution.
16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais vous demander
17 de concentrer votre attention parce que je crois comprendre que vous
18 traitez maintenant d'un point sur lequel nous reviendrons, à savoir
19 comment M. Erdemovic a aidé le Bureau du Procureur dans cette
20 enquête. J'aimerais que nous parlions plutôt de la ferme de Pilica et
21 je vous demanderais de résumer les événements survenus en ce lieu.
22 M. Ruez. - Vous voulez parler du bâtiment public de Pilica et non
23 plus de la ferme à Pilica.
24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - C'est cela.
25 M. Ruez. - Toujours le 16 juillet, je résumerai à nouveau les
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1 déclarations de Drazen Erdemovic au cours de ses diverses auditions.
2 Aux alentours de 15 heures, quand les exécutions ont pris fin sur la
3 ferme de Branjevo, le lieutenant-colonel qui avait été préalablement
4 vu sur place et qui avait mené le peloton d'exécution depuis Zvornik
5 sur le site, a sollicité l'équipe à laquelle appartenait Drazen
6 Erdemovic pour participer à l'exécution de 500 prisonniers qui se
7 trouvaient enfermés dans un bâtiment public dans Pilica. Monsieur
8 Erdemovic déclare avoir refusé de participer à cette deuxième
9 exécution et a été suivi en cela par ses collègues. Le lieutenant-
10 colonel n'en a pas moins donné rendez-vous au peloton d'exécution,
11 pour un meeting, dans un café dans le village de Pilica. D'autres
12 individus qui étaient sur place et qui participaient à l'exécution
13 avec le peloton auquel appartenait Erdemovic se sont immédiatement
14 transportés sur place, et alors que Drazen Erdemovic était encore à
15 la ferme, il entendait déjà le début des tirs et des explosions qui
16 ressemblaient à celles de grenades, tirs à proximité de la ferme.
17 M. le Président. - La ferme et le bâtiment public sont éloignés l'un
18 de l'autre ?
19 M. Ruez. - Ils sont suffisamment proches pour que ces sons soient
20 audibles. Avec les membres du peloton d'exécution, ils se sont
21 transportés dans un café qui était à l'opposé d'un bâtiment dans
22 lequel des individus étaient enfermés. Il a pu voir par lui-même que
23 d'autres membres des forces armées serbes bosniaques étaient en train
24 d'exécuter les gens enfermés à l'intérieur de ce bâtiment. Il n'a pas
25 eu accès au bâtiment, ni vu ce qui se passait, mais il entendait les
Page 139
1 tirs et voyait les individus jeter des grenades. Il voyait certains
2 prisonniers essayant de s'enfuir qui étaient abattus à l'extérieur du
3 bâtiment. Lorsque cette exécution a pris fin, le groupe qui l'a
4 commis est rentré dans le café et celui auquel appartenait Drazen
5 Erdemovic a immédiatement quitté les lieux. Un certain nombre de
6 constatations ont pu être faites sur les lieux décrits par Erdemovic
7 aux fins de confirmer les faits tels qu'il les avait décrits. La
8 pièce à conviction n° 6... Je n'ai plus d'image...
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais) .- Pourrait-on baisser la
10 lumière s'il vous plaît ? Merci.
11 M. Ruez. - Suite aux détails fournis par Drazen Erdemovic, les lieux
12 ont pu être visités. Cette photographie est celle du café dans lequel
13 se trouvait Drazen Erdemovic au moment où il était témoin de
14 l'exécution qui se commettait. La photo lui a été présentée et il l'a
15 reconnu. Pièce à conviction n° 7 : cette photographie représente la
16 vue que Drazen Erdemovic avait depuis le café sur le bâtiment dans
17 lequel les exécutions étaient en train de se commettre. Le bâtiment
18 est de l'autre côté d'une route qui mène de Jonja(?) à Zvornik. La
19 pièce à conviction n° 8 montre une plaque figurant sur la façade du
20 bâtiment de la communauté locale, sur laquelle est inscrit République
21 socialiste de Bosnie-Herzégovine, Assemblée de la municipalité de
22 Zvornik, Bureau local Pilica. Il s'agit donc d'un bâtiment public. La
23 pièce à conviction n° 9 montre la face du bâtiment. Cette partie-ci
24 que je montre est la localisation du lieu où les prisonniers étaient
25 enfermés et ceci est la porte d'accès.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces photos ont-elles été
2 prises par des membres du Bureau du Procureur en raison des
3 informations fournies par M. Erdemovic ?
4 M. Ruez. - Oui, toutes les photos que je suis en train de vous
5 présenter sur cet événement ont été prises par moi-même. La
6 photographie n° 9 a été prise par Peter Nicholson, également membre
7 du Bureau du Procureur. Cette photographie montre l'intérieur du
8 bâtiment dans lequel les exécutions sont supposées avoir eu lieu. La
9 définition de l'image n'est pas excellente, mais à l'intérieur de ce
10 bâtiment des traces de balle et d'impacts sont visibles sur tous les
11 murs, sur le sol, sur l'estrade. La pièce à conviction n° 11 montre
12 des traces d'impacts ainsi que des traces de sang à proximité de
13 l'escalier qui permet d'atteindre l'estrade. La pièce à conviction
14 n° 12 est un exemple des traces qui sont visibles sur les murs de
15 cette pièce. Il s'agit de traces de sang avec des morceaux de cheveux
16 également.
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce que vous avez vu
18 quoi que ce soit sur le plafond de cette pièce également, monsieur
19 Ruez, lorsque vous vous êtes trouvé sur le site ?
20 M. Ruez. - Oui. Le plafond, qui est à une hauteur approximative de
21 4 mètres de haut, est également tâché de toutes sortes de substances
22 probablement d'origine humaine et dont l'analyse est toujours en
23 cours. La pièce à conviction n° 13 est une vue du fond de la pièce,
24 derrière l'estrade. Certaines parties de l'estrade sont détruites par
25 ce qui ressemble à des explosions de grenade. Des traces qui sont
Page 141
1 toujours en cours d'analyse, mais qui ressemblent fortement à des
2 traces de poudre et d'explosion sont également visibles sur le mur,
3 ainsi que des traces de sang et de débris humains qui sont sur ces
4 murs. Une mission ultérieure d'analyse du site a été menée, au mois
5 de septembre, et une étude absolument complète de ce lieu a été faite
6 par les techniciens en fait de crime. Les résultats ne sont pas
7 encore disponibles à ce jour, mais il est d'ores et déjà possible de
8 dire que toutes les déclarations de Drazen Erdemovic sont confirmées
9 par les observations que nous avons pu faire sur place.
10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président,
11 j'en suis arrivé au terme de mon interrogatoire de M. Ruez sur les
12 deux points, à savoir le résumé des événements à Pilica ainsi que ce
13 qui s'est passé dans ce bâtiment public de Pilica. Je n'ai pas
14 d'autres questions à ce sujet, monsieur le Président.
15 M. le Président. - Merci, monsieur le Procureur. Je voudrais me
16 tourner vers Me Babic et lui poser la question suivante. Sur
17 l'ensemble des faits uniquement des faits tels qu'ils viennent d'être
18 rappelés par le Bureau du Procureur à travers l'acte d'accusation,
19 d'une part, et à travers le témoignage de M. Jean-René Ruez, je
20 voudrais, ainsi que mes collègues, savoir quel est votre sentiment ?
21 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le Président,
22 l'acte d'accusation émis contre l'accusé Drazen Erdemovic s'appuie
23 exclusivement et uniquement sur sa déposition volontaire et sur les
24 conclusions du Bureau du Procureur du Tribunal pénal international,
25 ainsi que sur les conclusions que l'accusé a fourni aux autorités
Page 142
1 yougoslaves. A cet égard, je suis parfaitement convaincu que tout en
2 respectant le principe des dépositions de témoin en vigueur, il
3 serait bon que l'accusé Erdemovic fournisse sa déposition devant la
4 Chambre d'instance pour dire : je me considère coupable de ceci et je
5 me considère coupable pour telle et telle raison, car sa déclaration
6 n'est pas complète pour le moment. D'après les experts
7 psychiatriques, il est en mesure de fournir ce genre de déclaration
8 aujourd'hui. Je crois qu'il serait donc bon de lui donner l'occasion
9 de le faire. L'accusé, M. Erdemovic, n'est pas un homme qui a voulu
10 faire ce qui a été fait. Pour le prouver, j'appellerai à la barre les
11 témoins X et Y et je demanderai que ces deux témoins soient entendus
12 avant l'accusé lui-même. En ce qui concerne la déclaration du témoin
13 de l'accusation, Monsieur Ruez, j'ai seulement deux ou trois
14 questions à poser, si la Chambre d'instance m'y autorise.
15 M. le Président. - La Chambre vous autorise à poser des questions,
16 après quoi les Juges poseront également quelques questions au témoin,
17 puis nous suspendrons et nous déciderons au retour, après la
18 suspension de savoir, premièrement, si nous entendons l'accusé,
19 deuxièmement si nous entendons, à ce moment-ci de l'audience, les
20 témoins que vous voulez faire citer. Si j'ai bien compris, sur ce
21 dernier point, maître Babic, les témoins que vous voulez faire citer
22 et qui sont couverts, je le rappelle, par des mesures de protection,
23 dont je demanderai à M. le greffier le moment venu de rappeler
24 lesdites mesures, ces témoins sont là, vous venez de le dire, pour
25 témoigner du non-souhait qu'avait votre client, Drazen Erdemovic, de
Page 143
1 participer à ces événements. Ils font donc, à mon sens, partie plutôt
2 de la séquence du procès sententiel relative aux circonstances
3 atténuantes puisque vous avez toujours voulu plaider les
4 circonstances atténuantes car ces témoins n'ont pas participé aux
5 faits. Vous êtes d'accord ?
6 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Tout à fait.
7 M. le Président. - Nous donnerons une réponse sur ce point. Pour
8 l'instant, maître Babic, et à moins que nous ne suspendions
9 maintenant, je me tourne vers mes collègues... (La Chambre délibère
10 sur le siège.)
11 M. le Président. - Maître Babic, vous pouvez poser ces quelques
12 questions, puis le Tribunal posera ses questions. Ensuite, nous
13 suspendrons l'audience. Vous avez la parole pour vos questions.
14 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Merci. Ma première
15 question est liée, si j'ai bien compris ce qu'a dit M. Ruez, à ce qui
16 a été dit au sujet de Pilica. Il est stipulé "selon les constatations
17 du témoin sur le terrain". A ce sujet, je voudrais poser la question
18 suivante : est-ce que cela signifie que le M. Ruez a parlé avec des
19 témoins qui ont vu les faits sur place ? Si tel est le cas,
20 j'aimerais que les noms de ces témoins soient fournis. C'est ma
21 première question.
22 M. le Président. - Soyons très clair. La question s'adresse à
23 M. Jean-René Ruez, mais il y a objection du Procureur. Quelle est
24 votre objection, monsieur le Procureur ?
25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Mon objection porte sur la
Page 144
1 divulgation de l'identité de quelque témoin que ce soit, car il est
2 important pour le Bureau du Procureur de ne pas révéler les noms
3 d'autres témoins directs de ces événements. Nous nous élevons donc
4 une objection par rapport à la possibilité pour M. Ruez de les
5 identifier par leur nom. Mais nous n'avons pas d'objection à ce que
6 M. Ruez indique si oui ou non de telles personnes existent.
7 M. le Président. - L'objection est accordée au Procureur. L'intérêt
8 de votre question réside surtout dans le fait de savoir si les
9 déclarations de l'accusé sont corroborées par d'autres témoignages.
10 M. Ruez. - Je vais être obligé d'étendre un peu le cadre. Concernant
11 le premier point, ces éventuels témoins, il est certain que les
12 déclarations de Drazen Erdemovic ont permis de faire le rapprochement
13 entre la situation telle qu'elle a été décrite par ces témoins, dont
14 la seule chose que l'enquête avait établi à cette époque était le
15 fait qu'ils étaient enfermés dans l'école de Pilica, et la réalité.
16 Sans les informations fournies par Drazen Erdemovic, nous n'aurions
17 probablement pas pu faire le lien entre ce lieu de détention et le
18 lieu de leur exécution qui était à proximité. En ce qui concerne la
19 façon dont l'exécution s'est produite et la façon dont Drazen
20 Erdemovic explique les faits, effectivement les deux déclarations
21 globalement se confirment l'une l'autre. Ce qui présente un intérêt
22 important pour l'enquête.
23 M. le Président. - Qu'appelez-vous "les deux déclarations", monsieur
24 Ruez ?
25 M. Ruez. - La manière dont les témoins survivants d'une exécution qui
Page 145
1 s'est produite à proximité de l'école de Pilica, et qui est
2 probablement la même que celle qui est décrite par Drazen Erdemovic,
3 les deux événements se ressemblent très fortement. Mais à ce stade de
4 l'enquête, il n'est pas encore possible de dire avec certitude que
5 ces survivants ont été victimes de l'exécution même à laquelle Drazen
6 Erdemovic a participé. L'enquête est toujours en cours sur ce point.
7 Un détail qui permettra de le faire bien comprendre est que Drazen
8 Erdemovic semble convaincu que les autobus qui transportaient les
9 victimes à la ferme de Branjevo venaient de Zvornik. Or, la ferme de
10 Pilica est à proximité de l'école de Pilica et bien que le chemin
11 d'approche final soit le même que l'on vienne de cette école ou de
12 Zvornik, il ne confirme pas que les prisonniers qui ont été exécutés
13 sur la ferme de Branjevo étaient ceux détenus à la ferme de Pilica.
14 Il n'en avait même pas la connaissance. La manière dont les faits se
15 déroulent est exactement similaire.
16 M. le Président. - Dois-je comprendre, monsieur Ruez, pour répondre
17 très clairement à la question qui intéresse le Tribunal, que vous
18 avez entendu des témoins survivants ?
19 M. Ruez. - C'est exact.
20 M. le Président. - Je me tourne vers le Bureau du Procureur. A-t-il
21 l'intention de fournir ces témoignages, même occultés dans son
22 dossier, au Tribunal, à savoir leur nom et leurs éléments
23 d'identification ?
24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous n'avons l'intention
25 de le faire, monsieur le Président.
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1 M. le Président. - Alors je me déclare un peu étonné, monsieur le
2 Procureur. Le Tribunal vient d'entendre, de la bouche de M. Ruez et
3 de la vôtre, d'une part, que l'enquête est toujours en cours et,
4 d'autre part, que vous avez d'autres témoignages de témoins dont je
5 comprends qu'il convient de les protéger, sachant que nous avons
6 suffisamment de moyens nous permettant de cancelliser leur nom et
7 leurs éléments d'identification et d'avoir la substance de leur
8 témoignage, ne serait-ce d'ailleurs que par un résumé que vous
9 feriez. C'est une question que je mettrai en délibéré avec mes
10 collègues car nous sommes en train de juger un homme et je crois que
11 le Tribunal ne peut pas s'accommoder de savoir que, d'une part,
12 l'enquête est toujours en cours, et que, d'autre part, il y a des
13 témoins dont la déposition n'est pas à la disposition du Tribunal. Le
14 Tribunal est conscient qu'il convient de protéger les témoins, mais
15 le Tribunal ne peut pas juger un homme dont on se dit que par
16 ailleurs il y a dans les dossiers du Procureur, des témoignages qui
17 sont importants et dont le Tribunal n'aurait pas la connaissance.
18 Voilà ce que je voulais vous dire. Etes-vous d'accord ? Pouvez-vous
19 faire une proposition au Tribunal à ce sujet ?
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je suis tout à fait en
21 mesure de faire une proposition au Tribunal, monsieur le Président.
22 Si vous me donnez le temps de la pause, cela me permettra de
23 consulter M. Ruez et mes collègues et je ferai une proposition à la
24 reprise.
25 M. le Président. - Bien entendu, monsieur le Procureur, vous ferez
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1 cette proposition après la pause. Je vous remercie. Ainsi, Me Babic
2 peut continuer à poser ses questions.
3 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - J'ai bien compris la
4 réponse. Il y a eu plusieurs témoins et les déclarations de ces
5 témoins concordaient avec les déclarations du témoin de l'accusé
6 Erdemovic. Ma seconde question est la suivante : M. Ruez a affirmé
7 qu'un certain nombre de traces ont été trouvées sur place, à savoir
8 des substances corporelles, des chaussures, ainsi qu'un certain
9 nombre d'autres traces telles que des étuis, etc. Il a dit également
10 que l'exhumation a permis d'établir l'existence de 153 corps, pour la
11 plupart ayant des mains ligotées. Monsieur Ruez ou l'équipe qui a
12 travaillé avec lui sur le terrain, ont-ils pu établir un texte ? Est-
13 ce qu'il existe une documentation sous forme de photo ou de vidéo ?
14 L'expertise technique des traces sur l'endroit a-t-elle été faite à
15 la maison de la culture et sur ce que nous avons pu voir ici ? Si
16 oui, quels sont les résultats de l'expertise ? Est-ce qu'ils
17 corroborent tout ce que l'on a entendu dans la déposition ? Telle est
18 ma question.
19 M. Ruez. - Toutes les opérations techniques dont nous parlons
20 actuellement sont des opérations récentes. A l'heure actuelle, aucun
21 rapport n'a été rendu par les experts qui ont été chargés de mener à
22 bien ces travaux. La seule chose qui peut être dites à l'heure
23 actuelle de ces résultats, c'est qu'ils confirment globalement les
24 événements tels qu'ils ont été rapportés par Drazen Erdemovic.
25 Cependant, aucune conclusion de détail ne peut être tirée à ce jour,
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1 pas encore. Je ne me permettrais certainement pas de le faire dans la
2 mesure où ce sont les experts de ces matières qui ont été chargés de
3 ce processus dans lequel je n'ai pas pris part. Je rectifie
4 d'ailleurs la donnée qui vient d'être annoncée par Me Babic
5 concernant le nombre de corps. Ce nombre que j'ai cité est une
6 approximation. Le nombre de corps n'est toujours pas déterminé dans
7 la mesure où certaines parties de corps sont difficilement
8 attribuables à un individu ou à un autre et que ce chiffre de 153 est
9 pour le moment une approximation.
10 M. le Président. - Je me permettrai cette fois-ci de me tourner vers
11 la défense. Je voudrais lui poser une question. Vous n'avez pas
12 l'intention de remettre en question le plaidoyer de culpabilité de
13 votre client ? Parce que vous venez de poser une question, maître
14 Babic, qui est une question du Tribunal. Le Tribunal a le droit de
15 poser ces questions, et il le fera. Mais là, je voudrais préciser,
16 non seulement pour tous ceux qui nous écoutent, mais aussi pour
17 toutes les parties prenantes au procès, que vous avez plaidé
18 coupable. Le Rôle du Tribunal, à travers toutes les investigations et
19 toutes les questions qu'il va poser pendant ces deux journées, sera,
20 pour son intime conviction, de corroborer les dépositions de l'accusé
21 avec les conclusions de l'enquête. C'est à ces fins que nous venons
22 de demander au Procureur de fournir tous les témoignages. Simplement,
23 je me permet de rappeler, étant entendu que je ne veux pas du tout
24 vous empêcher de poser des questions, vous posez toutes les questions
25 que vous voulez, que vous avez plaidé coupable et que si vous aviez
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1 l'intention, par toutes les questions que vous posez, de remettre
2 implicitement en question votre plaidoyer coupable, il conviendrait
3 de le dire, maître Babic. En effet, cela ne serait pas loyal à
4 l'égard du Bureau du Procureur qui évidemment s'est préparé sur un
5 certain type de procès et pas sur un autre. Voilà l'observation que
6 je fais. Il est entendu que je ne vous empêche pas de poser les
7 questions que vous avez envie de poser.
8 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le Président,
9 j'accepte tout à fait votre remarque. Mais c'est un principe qui me
10 dirige, à savoir que le plaidoyer coupable ne doit pas toujours
11 signifier cela. Je voulais simplement que son plaidoyer coupable soit
12 étayé davantage.
13 M. le Président. - Nous sommes sur la même question. Soyons très
14 précis.
15 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Oui, oui.
16 M. le Président. - C'est une question que je vous pose : est-ce que
17 vous demandez au Bureau du Procureur de fournir les résultats des
18 expertises qui sont en cours sur les traces humaines ou les traces de
19 sang relevées dans le bâtiment municipal ? Est-ce que vous demandez
20 ce rapport ou non ? Si vous demandez ce rapport, il faut suspendre
21 l'audience et attendre les observations du Procureur. Ou est-ce que
22 vous ne le demandez pas ?
23 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Compte tenu du fait que
24 les résultats ne sont pas encore connus, je ne l'exige pas. En
25 revanche, je dis que ce serait à l'appui de la défense, à l'appui de
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1 son plaidoyer coupable.
2 M. le Président. - Bien. Avez-vous d'autres questions, maître Babic ?
3 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas d'autres
4 questions, monsieur le Président.
5 M. le Président. - Avez-vous des observations, monsieur le Procureur,
6 sur ce qui vient d'être dit à la fois par le Président qui vous
7 parler et par Me Babic avant que je donne la parole à mes collègues
8 pour qu'ils posent des questions ? Monsieur le Procureur, vous avez
9 la parole.
10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas de question,
11 monsieur le Président.
12 M. le Président. - Je me tourne vers mes collègues. Madame le juge,
13 avez-vous des questions à poser ?
14 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez,
15 j'aimerais m'assurer d'un point que vous avez évoqué ici. Vous avez
16 parlé de l'école de Pilica et des meurtres commis à cet endroit. Vous
17 avez parlé également des meurtres commis à la ferme de Pilica.
18 Pourriez-vous m'expliquer quelle est la relation qui existe entre les
19 meurtres commis à l'école de Pilica, les meurtres commis à la ferme
20 de Pilica et quel est le rôle joué par M. Erdemovic dans les deux
21 cas ? Merci.
22 M. Ruez. - Pour être plus précis, j'ai évoqué trois situations. La
23 première est la situation des événements à la ferme de Branjevo,
24 faits auxquels Drazen Erdemovic a participé et pour lesquels il
25 plaide coupable. J'ai ensuite exposé les faits qui se sont déroulés
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1 dans un bâtiment public dans Pilica, faits dont il a été témoin et
2 qu'il nous a rapportés. Enfin, j'ai parlé de faits qui se sont
3 déroulés dans l'école de Pilica, dont Drazen Erdemovic n'a pas
4 connaissance, qui a été un lieu de regroupement de prisonniers où
5 effectivement des meurtres ont été commis également, mais que je n'ai
6 pas évoqués à ce stade, faisant le lien entre cette école et la ferme
7 de Branjevo qui a également été le lieu d'exécution des prisonniers
8 qui étaient enfermés dans cette école. Sans le témoignage de Drazen
9 Erdemovic, nous n'aurions pas pu découvrir, par l'enquête seule, le
10 lieu d'exécution de ces prisonniers qui étaient enfermés dans l'école
11 de Pilica.
12 M. Riad. - Monsieur Ruez, je vous ai entendu dire -et je vous cite- :
13 M. Erdemovic était requis de se rendre à la ferme de Branjevo sans
14 qu'il sache la nature de sa mission. Sur quoi basez-vous cette
15 affirmation ? Est-ce votre propre jugement ou il y a des témoins, ou
16 est-ce son récit à lui ?
17 M. Ruez. - En exposant la situation à la ferme de Branjevo, je ne
18 faisais que résumer les déclarations faites par Drazen Erdemovic à
19 l'occasion des divers entretiens que nous avons eus ensemble. Je ne
20 fais que répéter ses propres paroles. Je n'ai aucun moyen pour
21 confirmer la réalité ou la non-réalité de ses affirmations.
22 M. Riad - Ce n'est pas votre affirmation ?
23 M. Ruez. - C'est le résumé de ses déclarations.
24 M. Riad. - Vous avez précisément dit qu'il y avait 500 prisonniers
25 enfermés dans les bâtiments publics à Pilica et que M. Erdemovic et
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1 d'autres ont refusé de se rendre pour participer à l'exécution. Sur
2 quoi pouvez-vous vous appuyer pour affirmer qu'il s'est récusé, qu'il
3 a refusé de se rendre ?
4 M. Ruez. - Le premier point concerne le nombre des prisonniers. A ce
5 stade, nous n'avons aucun moyen de contrôler ou de connaître,
6 indépendamment, le nombre précis de personnes enfermées dans ce
7 bâtiment. La seule information que nous avons à ce sujet nous est
8 rapportée par Drazen Erdemovic suite aux déclarations qu'a faites le
9 lieutenant-colonel sur les lieux de la ferme de Branjevo lorsqu'il
10 leur a demandé de venir participer aux exécutions. C'est là où le
11 lieutenant-colonel les a informés du nombre de personnes impliquées
12 dans ce projet d'exécution auquel M. Erdemovic affirme, au cours de
13 ses déclarations lors d'entretiens que nous avons eus ensemble, avoir
14 refusé de participer. Il déclare avoir été le premier à s'opposer à
15 cette participation et avoir immédiatement été suivi en cela par un
16 certain nombre de ses collègues.
17 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Cela a-t-il été affirmé par
18 certains de ses collègues ?
19 M. Ruez. - Il a été immédiatement suivi en cela par certains de ses
20 collègues qui ont refusé dans la foulée de son refus d'aller
21 participer à cette exécution. Mais là, je ne fais que répéter les
22 déclarations faites sur procès-verbal par Drazen Erdemovic au cours
23 des entretiens qu'il a eus avec nous.
24 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Je voudrais poser une
25 question à M. Ostberg, une question d'éclaircissement. Si vous vous
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1 le rappelez, vous avez dit -je vous cite- que le Procureur n'avait
2 aucune connaissance des événements avant les aveux de M. Erdemovic.
3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Oui.
4 M. Riad (interprétation de l'anglais). - A quels éléments faites-vous
5 référence exactement ?
6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je fais référence aux
7 événements qui se sont déroulés sur la ferme. Je fais référence aux
8 meurtres. Nous avons, à partir de là, obtenu des informations au
9 sujet de l'école et au sujet des assassinats commis dans la ville. Je
10 me souviens bien de la façon dont nous avons enquêté sur cette
11 affaire. Les bases de notre enquête ce sont les éléments fournis par
12 M. Erdemovic. Nous n'avions pas d'autres sources.
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous n'aviez pas la moindre
14 idée lorsque vous enquêtiez sur l'affaire de Srebrenica ?
15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Non, nous n'avions pas la
16 moindre idée au sujet de cet endroit précis. Le nom de cette ville et
17 de ses environs n'était pas connu par le Bureau du Procureur, par les
18 responsables de l'enquête avant les aveux de l'accusé.
19 M. Riad (interprétation de l'anglais) . - Merci beaucoup
20 M. le Président. - Monsieur Ruez je voudrais vous demander des
21 éclaircissements sur l'unité dite de sabotage à laquelle appartenait
22 Drazen Erdemovic. Etait-ce une unité de volontaires, une milice ?
23 Quel est le statut de cette unité militaire ou paramilitaire ?
24 M. Ruez. - Ce type d'unité existe dans chaque division de l'armée
25 serbe bosniaque. Celle à laquelle appartient Drazen Erdemovic, qui
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1 porte le n° 10, semble présenter la particularité d'être directement
2 rattachée au commandement central à Han Pijesak, ce qui présente un
3 intérêt direct pour l'enquête en cours dans la mesure où les
4 informations que Drazen Erdemovic fournit sur les faits, étendant les
5 sites d'exécution fortement au nord de l'enclave, rajoutent à
6 l'aspect logistique nécessaire pour mener à bien l'opération
7 d'extermination conduite en juillet 1995, la multiplication des
8 sites, des différentes écoles dans lesquelles ces gens ont été
9 regroupés et les différents sites où les exécutions ont été commises,
10 montrent l'aspect d'organisation, la planification de ces exécutions.
11 L'unité même à laquelle appartient Drazen Erdemovic fournit des
12 indications fort utiles sur la centralisation du commandement pour la
13 gestion de toute cette opération d'exécution suite à la chute de
14 l'enclave. C'est l'aspect essentiel de cette information sur son
15 appartenance à cette unité qui est la dixième unité de diversion.
16 M. le Président. - Je vous ai demandé en même temps si elle était
17 composée de volontaires. Est-ce une unité d'élite ? S'agit-il de
18 troupes spécialement entraînées ? Quel est votre sentiment sur le
19 plan militaire de cette unité ?
20 M. Ruez. - La seule connaissance que j'ai de cette unité vient des
21 déclarations fournies par Drazen Erdemovic Je ne sais pas si ces
22 membres sont des volontaires ou s'ils ont été contraints de rejoindre
23 cette unité. La seule chose dite par Drazen Erdemovic à ce sujet
24 concerne sa propre personne. Il explique la nécessité qui l'a poussé
25 à rejoindre l'armée afin d'avoir un salaire et de pouvoir nourrir sa
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1 femme et son enfant. Son choix a porté sur cette unité dans la mesure
2 où, dit-il, elle était constituée d'éléments qui n'étaient pas tous
3 de nationalité serbe, ce qui, dans sa propre situation, rendait la
4 vie plus confortable au sein de cette unité, dans la mesure où il
5 craignait -d'après ses propres déclarations-de façon permanente pour
6 sa sécurité du fait de ses origines croates. Cette unité étant
7 constituée également de Slovènes et de Croates, il s'y sentait plus à
8 l'aise que dans une unité composée de Serbes bosniaques.
9 M. le Président. - Vous semblez dire que Drazen Erdemovic était
10 volontaire pour cette unité.
11 M. Ruez. - D'après ses déclarations, lorsqu'il est arrivé en
12 territoire de Republika Srpska, pour des raisons qu'il pourrait
13 exposer mieux que moi, il s'est effectivement porté volontaire pour
14 rejoindre l'armée. Là le choix n'a pas été grandement ouvert, mais
15 son choix s'est porté sur cette possibilité de rejoindre cette unité
16 qui lui était présentée, d'après lui, comme une unité menant des
17 opérations de sabotage en territoire adverse.
18 M. le Président. - Au terme de cette enquête et par rapport au rôle
19 de Drazen Erdemovic, reste-t-il des points obscurs entre les faits
20 tels que relatés dans l'acte d'accusation et les déclarations de
21 Drazen Erdemovic ? Pouvez-vous les listez ? Avez-vous des points sur
22 lesquels vous estimez que vous n'avez pas d'information ? Par
23 ailleurs, certains vous paraissent- ils importants à éclaircir ou non
24 par rapport à l'accusé ?
25 M. Ruez. - Mon sentiment est que sur les sujets que nous avons
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1 abordés, et qui sont directement liés à l'enquête, la collaboration
2 de Drazen Erdemovic a été pleine et totale. Je ne pense pas qu'il
3 nous ait caché la moindre information liée aux faits dont il avait
4 connaissance.
5 M. le Président. - Cela, vous nous le direz à un autre moment de
6 l'enquête. Je sais très bien que vous avez envie de le dire. Je ne
7 voudrais pas répondre tout de suite à cette question. J'ai compris
8 que le Procureur était satisfait de la collaboration de Drazen
9 Erdemovic. Je vous pose une autre question. Je vous demande si vous,
10 qui avez supervisé toutes les enquêtes de Srebrenica, vous considérez
11 qu'en l'état actuel des points restent obscurs que vous n'avez pas
12 éclaircis ?
13 M. Ruez. - Il n'y a pas de contradiction entre les événements que
14 nous rapporte Drazen Erdemovic et les résultats de l'enquête sans son
15 apport. Il n'y a aucun point qui pourrait contrecarrer les
16 déclarations d'Erdemovic. Sur tous les sujets abordés par lui, il
17 nous fournit des informations complètes.
18 M. le Président. - Merci. Vous répondez à la question J'ai une
19 dernière question, et je me tourne vers le Bureau du Procureur. On a
20 parlé d'un lieutenant-colonel. Celui-ci est-il accusé par le Tribunal
21 pénal international ?
22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Il n'est pas encore
23 accusé. L'enquête au sujet de ce lieutenant-colonel se poursuit.
24 M. le Président. - Y a-t-il d'autres enquêtes en cours sur d'autres
25 types de responsabilités autour du rôle de Drazen Erdemovic et de ses
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1 supérieurs, en plus de celle de ce lieutenant-colonel ?
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président, il
3 y en a. Nos enquêtes sont très complètes et elles porteront sur tous
4 les aspects de ces exécutions massives qui se sont déroulées à la
5 ferme de Pilica, dans le bâtiment public et sur tous les aspects qui
6 ont été évoqués par M. Ruez concernant la prise de Srebrenica.
7 M. le Président. - Je voudrais, en m'excusant d'insister sur ce
8 point, vous dire pourquoi. Je ne veux pas du tout faire révéler par
9 le Bureau du Procureur des éléments d'enquêtes concernant d'autres
10 personnes. Ce n'est pas du tout l'objet du présent procès. Nous
11 jugeons un homme pour sa participation à des actes et c'est la
12 mission du Tribunal. Mais il fait aussi partie de la mission du
13 Tribunal de juger cet homme en fonction du rôle de ses supérieurs.
14 C'est pourquoi j'ai posé la question sur le lieutenant-colonel et je
15 crois qu'il serait très important de savoir si ces enquêtes sont bien
16 en cours à l'heure actuelle au Bureau du Procureur, et notamment sur
17 ce lieutenant-colonel dont il semble qu'il soit parfaitement
18 identifié par votre Bureau.
19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - La réponse est la même que
20 tout à l'heure, à savoir que notre enquête se concentre sur un
21 certain nombre de personnes de haut rang, considérées comme les
22 responsables des événements qui se sont produits à Srebrenica et dans
23 les environs, et notamment ceux survenus à la ferme de Pilica et dans
24 la maison de la culture. L'un des hommes sur lequel nous menons
25 enquête est précisément le lieutenant- colonel évoqué par Drazen
Page 158
1 Erdemovic. Donc ma réponse est oui, nous poursuivons notre enquête et
2 s'agissant de ce lieutenant-colonel, nous tentons de poursuivre notre
3 enquête sur son identité et un certain nombre d'éléments le
4 concernant.
5 M. le Président. - Merci, nous allons à présent suspendre l'audience.
6 Nous reprendrons à 12 heures. Le Tribunal entendra le Procureur sur
7 les propositions que le Bureau du Procureur veut faire quant aux deux
8 témoins dont il souhaite à la fois assurer la protection, mais pour
9 lesquels il souhaite répondre à la demande faite par le Tribunal.
10 Ensuite, nous répondrons à la question de savoir si nous entendons ou
11 non l'accusé Drazen Erdemovic et si nous l'entendons immédiatement ou
12 après les témoins de la défense cités par M. Babic.
13 L'audience, suspendue à 11 heures 40, est reprise à 12 heures 07.
14 M. le Président. - Faites entrer l'accusé. Le Tribunal va entendre
15 d'abord le Procureur sur la communication concernant les deux
16 témoins. Monsieur le Procureur.
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président, je
18 propose que M. Ruez résume, à l'intention de la Chambre, ce qui a été
19 dit par deux témoins survivants au sujet du massacre à la ferme de
20 Pilica. Je propose que M. Ruez ne donne pas le nom des survivants.
21 M. le Président. - Le Tribunal fait entrer ...
22 (M. Ruez est introduit dans la salle d'audience.)
23 M. le Président. - Je n'avais pas encore donné la décision du
24 Tribunal, mais puisque vous étiez sûr de l'accord de la Chambre,
25 compte tenu de la proposition positive que vous avez faite, donc,
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1 nous accueillons avec grand plaisir M. Jean-René Ruez. Votre mission,
2 M. Jean-René Ruez, telle qu'elle vient d'être énoncée, consiste
3 effectivement de nous faire un résumé de ces deux témoignages, mais
4 évidemment en ne les identifiant pas. Bien entendu, ensuite, l'avocat
5 Me Babic, après le Procureur, pourra vous poser des questions ainsi
6 que les Juges. Monsieur le Procureur, vous avez la parole.
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur le
8 Président. Monsieur Ruez, vous avez parlé de deux témoins survivants
9 du massacre survenu à la ferme de Pilica en juillet 1995.
10 M. Ruez. - Oui, c'est exact.
11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous résumer, à
12 l'intention de la Chambre, ce que vous avez appris ?
13 M. Ruez. - D'après les déclarations faites par ces deux personnes aux
14 enquêteurs du Bureau du Procureur, ces deux personnes se trouvaient
15 donc parmi la population de l'enclave de Srebrenica. Le 12 juillet
16 1995, alors qu'ils essayaient de monter à bord d'autobus qui les
17 évacuaient ainsi que leurs familles en direction de la ligne de
18 confrontation vers le territoire bosniaque, ils ont été séparés, mis
19 dans un bâtiment à Potocari et, de là, évacués avec un groupe de
20 prisonniers en direction de Bratunac où ils ont été enfermés dans ce
21 qu'ils appellent la vieille école de Bratunac, qui est une école qui
22 se trouve derrière l'école Vuk Karadzic, à Bratunac. Durant leur
23 séjour dans cette école, ils décrivent toutes les violences qui sont
24 commises à l'encontre des prisonniers avec lesquels ils se trouvent.
25 Beaucoup de prisonniers sont battus, certains sont probablement
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1 exécutés à l'extérieur dans la mesure où ils entendent leurs appels
2 au secours suivis de coups de feux, puis le silence. Ce processus se
3 déroule sur plusieurs jours. Chacun en fait attend le tour de son
4 exécution. Finalement, le 15 juillet, les prisonniers qui n'ont pas
5 été tués à proximité de cette école sont évacués du bâtiment, sont
6 chargés à bord d'autobus, et ces autobus prennent la direction du
7 nord, passent Zvornik et se rendent dans une école au bout d'un
8 chemin de terre, fournissent donc une description du lieu qui a
9 permis, ultérieurement, avec des détails complémentaires fournis par
10 ces personnes, de localiser avec précision l'école de Pilica comme
11 étant leur dernier lieu de détention. Lorsqu'ils arrivent à l'école
12 de Pilica, le même traitement subi par les prisonniers à Bratunac se
13 renouvelle. Les prisonniers sont à nouveau battus, certains sont
14 sortis à l'extérieur par des militaires, ils entendent leurs cris à
15 l'extérieur, ils entendent également des bruits de coup de feu. A
16 nouveau, chacun d'entre eux pense que son tour est venu. Dans la
17 matinée du 16, les militaires qui assurent leur garde leur font
18 savoir qu'ils vont faire partie d'un processus d'échange de
19 prisonniers. Ils demandent également à certains d'entre eux de
20 racheter leur liberté, de donner l'argent qu'ils ont éventuellement
21 caché sur eux. Certains le font. Au final, tous ces prisonniers ont
22 les mains attachées dans le dos et, par petits groupes, sont chargés
23 dans des autobus. Les autobus quittent l'école de Pilica et
24 empruntent un chemin de terre qui les mène sur un champ qui se trouve
25 à quelques minutes seulement de leur lieu de détention. Arrivés sur
Page 161
1 place, les autobus sont gardés par deux policiers militaires dans
2 chaque autobus. Les prisonniers sont sortis des autobus par petits
3 groupes et dirigés sur le champ où ils peuvent déjà constater la
4 présence de corps étendus aux alentours. Un peloton d'exécution se
5 positionne derrière eux. Ils s'alignent dos au peloton et le peloton
6 d'exécution ouvre le feu sur eux. Ils ont eu la chance de survivre à
7 cet événement. Ils sont restés parmi les corps durant tout l'après-
8 midi et ont attendu le coucher du soleil pour ramper en direction de
9 buissons à proximité et prendre la fuite. Ils ont tourné quelques
10 jours dans la région. Ils ne savaient pas où ils étaient et ont
11 finalement été interceptés par une patrouille. De là, ils ont été
12 emmenés à Svornik et placés dans un camp de prisonniers où ils ont
13 été enregistrés par la Croix rouge et ultérieurement échangés.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas d'autres
15 questions, Monsieur le Président.
16 M. le Président. - Me Babic, vous avez ...
17 M. Babic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas de
18 questions, Monsieur le Président.
19 M. le Président. - Mme le Juge, M. le Juge ?
20 M. Riad. - M. Ruez, dans ce récit, si j'ai bien compris, il
21 s'agissait de l'école, n'est-ce pas ? de l'exécution dans l'école.
22 M. Ruez. - Oui.
23 M. Riad. - Est-ce que vous avez aussi une certaine chronologie aussi
24 détaillée de ce qui s'est passé dans la ferme de Branjevo où M.
25 Erdemovic était censé participer.
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1 M. Ruez. - Oui, absolument. La chronologie des événements qui se sont
2 déroulés dans la ferme de Branjevo a été exposée en détail au cours
3 des auditions faites avec Drazen Erdemovic. Le scénario global du
4 déroulement de l'exécution correspond fortement à la manière dont les
5 témoins survivants décrivent leur propre exécution. Les mêmes détails
6 sur la sauvagerie des auteurs sont également rapportés par ces
7 survivants. Ils sont exposés en détail par Drazen Erdemovic. Le fait
8 que les blessés sont laissés à souffrir, qu'ils sont ensuite exécutés
9 individuellement en fonction de la manifestation du fait qu'ils sont
10 toujours vivants et le comportement sauvage des auteurs sont décrits
11 de la même manière tant par Drazen Erdemovic que par ces témoins
12 survivants.
13 M. Riad. - Dans la ferme de Branjevo, tout ça ?
14 M. Ruez. - Oui.
15 M. Riad. - Avez-vous plus de détails quant au nombre, quant au
16 commencement de l'exécution, quant à la participation d'Erdemovic ?
17 M. Ruez. - Aucun des témoins survivants n'est en mesure d'identifier
18 qui que ce soit. Les prisonniers étaient obligés de regarder par
19 terre. S'ils levaient la tête, ils étaient immédiatement battus et
20 exécutés, éventuellement, sur place au moment où ils essayaient de
21 regarder ce qui se déroulait autour d'eux. Ils ne sont pas non plus
22 en mesure d'identifier formellement la ferme pour ces mêmes raisons.
23 Ce qui rend fortement probable que ces gens aient survécu aux mêmes
24 événements décrits par Drazen Erdemovic est la date. La chronologie
25 des événements tels qu'ils les exposent rend la date du 16 certaine.
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1 Ils étaient déjà sur place la veille. Si des exécutions avaient été
2 commises aux environs, compte tenu des nombres impliqués, ils
3 auraient certainement entendu les faits se dérouler à proximité.
4 M. Riad. - Y a-t-il une certaine clarification des mesures prises
5 avant l'exécution ? La torture, les moyens employés envers les
6 prisonniers ?
7 M. Ruez. - Les événements sur place, comme je l'expliquais, les
8 détails de la sauvagerie des auteurs de cette exécution sont
9 rapportés par les uns comme par les autres. Je ne vois rien d'autre à
10 ajouter là-dessus si ce n'est entrer véritablement dans les détails.
11 M. Riad. - On peut avoir une notion de cette sauvagerie ?
12 M. Ruez. - Oui. Comme l'a expliqué Drazen Erdemovic, au début du
13 processus, les choses sont relativement bien organisées, les
14 prisonniers sont amenés devant le peloton, sont exécutés, mais petit
15 à petit, les acolytes de Drazen Erdemovic se mettent à boire et n'ont
16 même plus la patience d'attendre que la police militaire décharge les
17 gens des bus. Ils se précipitent vers les autobus, frappent les gens
18 avec des barres de fer, en tuent certains en les battant, humilient
19 leurs victimes, les insultent. Tous ces faits sont également décrits
20 par les survivants. Les exécutions individuelles de survivants, le
21 fait que, après le processus d'exécution, les auteurs vérifient si
22 certaines victimes sont toujours en vie, le fait que l'un des
23 individus exécute individuellement ces survivants. Ces faits
24 correspondent, dans les deux cas, aux événements tels qu'ils se sont
25 déroulés. Cela dit, toutes les exécutions collectives qui
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1 apparaissent dans cette enquête dévoilent un scénario relativement
2 similaire. Exécution d'abord des victimes. Puis vérification pour
3 s'assurer que personne n'a survécu, exécution plus ou moins rapide de
4 ces survivants et poursuite du processus.
5 M. Riad. - Et il y a concordance entre les témoignages et la
6 confession de M. Erdemovic ?
7 M. Ruez. - Il n'y a pas de différence majeure qui permette de penser
8 que les événements ne se sont pas déroulés tels que, disons, les deux
9 parties les exposent. Il n'y a pas de fait qui permette de rejeter
10 l'hypothèse de la sincérité de l'un comme de l'autre.
11 M. Riad. - Est-ce qu'il y avait un supérieur direct de M. Erdemovic
12 qui contrôlait la situation ?
13 M. Ruez. - Oui. Les noms des auteurs ont été exposés déjà en public
14 lors de sa déposition en juillet de cette année. Drazen Erdemovic a
15 toujours donné les noms des participants aux atrocités. Il s'est
16 d'ailleurs limité à donner les noms de ses collègues. Il n'a donné
17 les noms que des gens qui ont participé à des atrocités.
18 M. Riad. - Et comme supérieur, est-ce que vous avez une idée de qui
19 étaient les supérieurs ?
20 M. Ruez. - Oui, il a donné le nom du chef du groupe d'exécution ainsi
21 que les noms des sept autres membres du groupe d'exécution.
22 M. Riad. - Et le chef de ce groupe, où est-il ? qu'est-ce que l'on
23 sait de lui ?
24 M. Ruez. - Il devrait toujours se trouver à Bijeljina à l'heure qu'il
25 est.
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1 M. Riad. - Il n'y a pas moyen de faire une enquête en ce qui le
2 concerne ?
3 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Cette question s'adresse à
4 vous M. Harmon. Je répète la question. Pour ce qui concerne les
5 supérieurs directs de M. Erdemovic, avez-vous des informations les
6 concernant et y a-t-il une enquête en cours ?
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - D'après les informations
8 que nous a communiquées M. Erdemovic, nous avons pu identifier
9 certains de ses supérieurs et l'enquête porte sur ces personnes ainsi
10 que sur d'autres personnes. Comme je l'ai dit auparavant, Monsieur le
11 Juge, l'enquête se poursuit sur ces événements. L'enquête n'est pas
12 terminée. Merci.
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Merci
14 M. le Président. - Je voudrais peut-être compléter la question de mon
15 collègue, Monsieur le Procureur. On peut se déclarer quand même un
16 peu étonné que finalement M. Drazen Erdemovic est ici présent dans le
17 box des accusés parce qu'il a lui même confessé les crimes qu'il
18 avait commis, mais puisque vous attachez finalement beaucoup
19 d'importance aux propos de Drazen Erdemovic et l'enquête repose
20 surtout sur les propos de Drazen Erdemovic, on peut effectivement
21 s'étonner que au moins des accusations n'aient pas été déjà lancées
22 contre les personnes, notamment le chef du peloton. Parce que j'ai
23 parlé tout à l'heure du lieutenant colonel. On pourrait remonter très
24 haut, d'ailleurs. C'est votre travail, ce n'est pas le travail des
25 Juges. Mais là, pour les exécutants, les autres exécutants, M. Drazen
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1 Erdemovic est ici, il va être jugé par nous, et c'est normal qu'il
2 soit jugé par nous, mais les autres exécutants ? Puisque vous
3 attachez beaucoup de foi aux propos de Drazen Erdemovic quand il
4 s'agit de lui-même, on ne peut manquer de s'étonner que les autres
5 participants -là je ne parle plus du lieutenant colonel, pour lequel
6 vous avez apporté une réponse qui est la vôtre, mais pour les autres
7 exécutants-, le chef du peloton, il est identifié ? Il est nommé ? Le
8 Tribunal se doit de poser la question. Encore une fois, Monsieur le
9 Procureur, ce n'est pas du tout pour poser un regard critique sur le
10 fonctionnement de votre Bureau, mais parce que nous devons juger un
11 homme. Or pour juger un homme, nous devons le juger dans
12 l'intégralité du contexte des événements qui se sont déroulés.
13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président,
14 pour vous répondre. Je pense que, sur la foi des pièces à conviction
15 montrées aujourd'hui, nous pouvons retracer le rôle de M. Erdemovic
16 et ses rapports avec d'autres personnes, et placer ce rôle en
17 perspective. Pour ce qui est des actes d'accusation que proposera le
18 Bureau du Procureur, il s'agit là de questions encore à l'examen et
19 je préférerais ne pas en traiter publiquement maintenant.
20 M. le Président. - Bien, nous enregistrons votre réponse. Je voudrais poser
21 alors une question à M. Jean-René Ruez. Lorsque vous avez
22 relaté le témoignage des témoins, de ces témoins survivants, vous
23 venez de nous dire que, au fond, la relation des faits corroborait
24 avec ce que vous avait dit Drazen Erdemovic. Ma question est celle-
25 ci. Quel est votre sentiment sur la sincérité de la confession de
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1 Drazen Erdemovic, notamment par rapport aux détails, aux détails
2 supplémentaires ? Je m'explique. Vous dites que le scénario a
3 toujours été le même. Au début c'est -je passe sur l'euphémisme-
4 relativement bien organisé, si tant est que l'on puisse parler de
5 bonne organisation dans une matière aussi sinistre. Bon. Puis, vous
6 dites ensuite : "d'après Drazen Erdemovic, cela déraille, ils
7 boivent, ils frappent encore plus. Certains prennent, semble-t-il, un
8 certain malin plaisir à en rajouter". Cela, c'est la relation de
9 Drazen Erdemovic. Je voudrais avoir votre sentiment. Je ne vous
10 demande pas des témoignages, vous n'en avez pas. Est-ce que vous avez
11 le sentiment que Drazen Erdemovic vous a fait une relation minimale
12 de son rôle ou la relation à peu près réelle de son rôle. Ceci est
13 très important par rapport aux circonstances aggravantes ou aux
14 circonstances atténuantes qui sont le point central de la présente
15 audience. Parce qu'il est facile de dire évidemment "les autres
16 buvaient, les autres tapaient avec des barres de fer", sous-entendu,
17 moi je ne faisais pas cela, j'ai fait le minimum minimorum. Je sais
18 que vous n'avez pas de preuve, mais quel est votre sentiment ?
19 M. Ruez. - Je comprends bien le sens de votre question. Pour y
20 répondre, je dirais que sur les points de ses déclarations sur
21 lesquels nous avons pu apporter une corroboration, une vérification,
22 cette vérification a abouti à la confirmation des événements tels
23 qu'ils ont été décrits. La manière, le détail dont ces événements se
24 sont déroulés, comme vous le dites, nous n'avons aucun moyen
25 d'enquête pour nous assurer de la véracité de ses propos. Ce qui, à
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1 mon avis, vient au crédit de Drazen Erdemovic est qu'il s'est porté
2 volontaire pour venir exposer les faits devant ce Tribunal et, par là
3 même, prendre le risque d'identifier les auteurs, de mener à leur
4 arrestation et éventuellement un jour avoir à entendre leur version
5 des faits. Mon point de vue personnel est que cette démarche rend la
6 façon dont il décrit son rôle dans ces événements crédible. Encore
7 une fois, l'enquête sur ce plan là, à ce stade, tant que nous n'avons
8 pas accès à d'autres auteurs et à la version des faits telle qu'elle
9 pourrait être exposée par ces auteurs, nous ne sommes pas en mesure
10 de pouvoir porter un jugement définitif sur ce point.
11 M. le Président.- Je vous remercie de votre réponse. Vous ne pouvez
12 donc que confirmer l'observation du Tribunal sur les enquêtes sur les
13 autres participants. Vous ne faites que confirmer ce que souhaiterait
14 évidemment le Tribunal pour qu'il accomplisse sa mission de juge de
15 façon impartiale. Je crois, s'il n'y a pas d'autres questions, que
16 nous pouvons remercier
17 M. Jean- René Ruez. Vous vous tenez à la disposition du Tribunal,
18 M. Jean-René Ruez, car dans une autre séquence de ces audiences, nous
19 aurons l'occasion de parler des circonstances atténuantes ou
20 aggravantes, de la coopération de Drazen Erdemovic avec le Bureau du
21 Procureur, vous l'avez déjà un peu abordée. Nous aurons l'occasion
22 d'en reparler. Merci, M. Jean-René Ruez. Vous pouvez regagner votre
23 Bureau. En ce qui concerne la suite des événements, le Tribunal a
24 décidé d'entendre Drazen Erdemovic avant les témoins de la défense.
25 Comme il est 12 heures 30, nous proposons de reprendre l'audience à
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1 14 heures 30 avec l'audition de M. Drazen Erdemovic. Après-midi
2 L’audience est levée à 12 heures 30. L'audience est reprise à 14 heures 30.
3 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous asseoir.
4 Monsieur le greffier, veuillez faire entrer l'accusé. Comme le
5 Tribunal l'a annoncé ce matin, en fin de matinée, la Chambre a décidé
6 d'entendre en qualité de témoin M. Drazen Erdemovic. Elle va
7 l'entendre sur sa relation des faits. Elle ne l'entendra pas, en tout
8 cas pas tout de suite, sur les circonstances atténuantes ou qu'il va
9 juger bon de plaider soit par son avocat, soit lui-même. Ce que
10 souhaite la Chambre, c'est que sur la version qu'il peut exposer des
11 faits, les juges puissent être mis en situation de confronter la
12 manière dont l'accusé a vécu ces faits, en tant qu'acteur, et la
13 manière dont ces faits nous sont rapportés, à la fois dans l'acte
14 d'accusation d'une part, et à travers les témoignages soit verbaux et
15 oraux de M. Jean-René Ruez, soit les témoignages écrits des deux
16 témoins anonymes qui nous ont été cités, d'autre part. Monsieur
17 Erdemovic, voulez-vous vous lever et venir prendre place au banc des
18 témoins. (M. Erdemovic prend place au banc des témoins).
19 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, d'abord m'entendez-vous dans
20 votre langue maternelle ?
21 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
22 M. le Président. - Puisque vous êtes debout, pouvez-vous lire la
23 déclaration que doivent faire tous les témoins ?
24 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je déclare
25 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la
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1 vérité.
2 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, asseyez-vous. Le Tribunal va
3 vous demander de procéder à une relation des faits dans lesquels vous
4 avez été un acteur et pour lesquels vous êtes accusé de crimes contre
5 l'humanité. Ensuite, les Juges vous poseront des questions. Si vous
6 ne souhaitez pas répondre à certaines questions, vous n'y répondrez
7 pas. Le Tribunal en déduira ce qu'il devra en déduire. Mais pour
8 l'instant, puisque vous témoignez sous serment, vous allez faire
9 devant le Tribunal la relation des faits pour lesquels vous êtes ici
10 devant le Tribunal pénal international. Vous avez la parole. Pouvez-
11 vous nous dire dans quelles conditions vous avez été amené à
12 participer aux crimes qui ont été commis dans la ferme auxquels vous
13 avez été associé ?
14 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le
15 Président, je ne souhaitais pas procéder à ce que j'ai fait, cela m'a
16 été ordonné. Si je ne l'avais pas fait, ma famille et moi-même
17 aurions été en danger.
18 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, je vous arrête tout de suite.
19 Je vous demande de répondre au souhait du Tribunal. Est-ce-que l'on
20 s'entend bien ? Sinon on ne va pas s'entendre, si nous avons en plus
21 des problèmes d'interprétariat. M'entendez-vous Monsieur Erdemovic ?
22 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
23 M. le Président. - Le Tribunal ne vous demande pas de nous dire que
24 vous n'avez pas voulu les crimes auxquels vous avez concouru. Vous
25 serez amené à être interrogé là- dessus. Pour l'instant, les Juges
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1 vous demandent de procéder, de faire la relation, le récit des faits,
2 du moment où vous avez été enrôlé dans cette division de sabotage,
3 jusqu'au moment où vous vous êtes sorti de l'enceinte de la ferme,
4 jusqu'au moment où vous avez tiré votre dernier coup de feu. Est-ce-
5 que vous m'entendez ? Oui ? Ensuite, le reste, votre avocat le dira,
6 nous savons très bien qu'il le dira, vous le direz, vous aurez
7 l'occasion de le dire, de le prouver aussi. Mais pour l'instant, nous
8 voulons connaître comment vous avez vécu et participé à ces faits.
9 D'ailleurs, les Juges vous poseront des questions précises sur ces
10 faits. Vous m'avez entendu ?
11 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui. La
12 dixième unité de sabotage, c'est l'unité où j'étais enrôlé vers le
13 1er avril 1994. Avant, avec ma femme, je suis venu de Tuzla et je
14 suis arrivé à Bijeljina, en Republika Srpska, précisément le
15 3 novembre 1993. A partir du 3 novembre jusqu'au mois d'avril 1994,
16 je n'ai pas fait partie de l'armée de la Republika Srpska, même si
17 j'aurais dû le faire. Je me suis caché en Serbie jusqu'à ce que cela
18 ait été possible, tant que j'avais de l'argent, moi et ma femme. Au
19 moment où nous n'avions plus d'argent, lorsque les mobilisations ont
20 commencé en Serbie, dans la Republika Srpska, c'est-à-dire dans
21 l'ensemble de la Bosnie- Herzégovine, avec ma femme je suis revenu
22 pour m'installer chez son oncle à Foca. Quand nous sommes arrivés à
23 Foca, bien entendu moi, vu que je suis croate, je suis allé me
24 présenter, j'ai dit que j'étais croate, j'ai raconté comment je suis
25 arrivé dans la Republika Srpska. Et cet homme m'a dit que ma femme
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1 peut rester à Foca parce qu'elle est serbe, mais toi tu dois
2 retourner à Bijeljina puisque tu es arrivé à Tuzla, parce que nous on
3 ne peut pas garantir ta sécurité, ici à Foca, il n'y a pas d'autre
4 nationalité que les Serbes. Alors j'ai demandé à son oncle de quoi il
5 s'agissait. Il m'a raconté un certain nombre de choses et alors j'ai
6 accepté de quitter Foca pour m'installer à Bijeljina. Quand je suis
7 arrivé, de Foca à Bijeljina, sur place, je me suis rendu à la
8 municipalité. Quant aux documents, je n'avais que ma pièce d'identité
9 qui a été délivrée par le SUP(?). On m'a demandé des papiers de mon
10 unité pour que je puisse me présenter, demander un hébergement. Et ce
11 jour là, il y avait une razzia à Bijeljina. J'étais avec un ami qui
12 est Serbe. Il y a eu un contrôle de la police. On a demandé nos
13 permis de circulation, nos permis militaires. Je ne l'avais pas.
14 Heureusement, cet homme était avec moi, lui avait son permis, il a
15 expliqué de quoi il s'agissait. Il a expliqué que j'étais Croate de
16 Tuzla qui a aidé des Serbes à quitter Tuzla pour se rendre dans la
17 Republika Srpska et voilà. Mais on m'a dit de me présenter à l'armée
18 parce que je n'avais aucun papier de la Republika Srpska, et je ne
19 pouvais donc pas circuler. Comme je l'ai dit, je me suis rendu à M.
20 Rezo(?),je suis allé tout seul. Ce n'est pas la police qui m'a envoyé
21 là-bas. J'y suis allé de mon propre gré. J'ai tout décrit comme je
22 viens de le faire à vous. Il m'a donné à choisir entre deux
23 possibilités : soit le 10ème détachement de sabotage où il y avait
24 quelques Croates, un Slovène et un Musulman, ou bien une autre unité.
25 Comme je venais de quitter Tuzla, des membres de cette unité ont
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1 voulu me tuer, alors j'ai choisi l'autre unité, c'était plus sûr pour
2 moi et voilà. Suite à cela, je suis allé à l'entretien avec le
3 commandement de cette unité. Il a demandé à certains Croates qui me
4 connaissaient, qui faisaient partie de cette unité, qui étaient
5 également du territoire de Tuzla, comment j'étais, de lui donner tous
6 les renseignements qu'ils connaissaient sur moi. Ils ont dit que
7 j'étais un homme honnête et à ce moment-là j'ai été accepté. J'ai
8 demandé de quoi il s'agissait, que faisait cette unité ? On m'a dit
9 qu'elle était chargée uniquement de tâches de renseignements. On
10 n'était pas sur la ligne de front, on se rendait à l'arrière,
11 derrière les lignes de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Je l'ai
12 accepté, ainsi que je l'ai confirmé à M. Rézo(?). C'était la seule
13 issue pour moi et pour ma femme, comme je l'ai dit ici. Tout allait
14 bien avec ce commandant. On s'entendait bien. C'est lui qui m'a donné
15 le rang de sergent. J'ai pu sauver une vie, malheureusement une seule
16 vie d'un homme qui comparaîtra ici comme témoin X. Je lui ai sauvé la
17 vie. A ce commandant, j'ai dit que j'avais sauvé cet homme. Il ne m'a
18 pas maltraité à cause de cela. Il m'a dit qu'il fallait agir ainsi,
19 que j'avais bien fait. A la suite de cela, au mois d'octobre, il y a
20 eu un changement dans la composition de notre unité, un élargissement
21 de notre unité. A ce moment-là, un commandant a été nommé, Milorad
22 Pelenis, qui a modifié les relations au sein de l'unité. Comment
23 dire ? Il y a eu des nationalistes parmi les soldats serbes et ils
24 étaient aveuglés, ils pensaient que seuls ceux qui pensaient comme
25 Pelenis, comme ce commandant, que c'était uniquement ainsi qu'il
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1 fallait agir. Ils ne pensaient pas à l'honnêteté des gens ou autre
2 chose. Comment dire ? Comme je l'ai dit, je suis entré en conflit
3 avec Pelenis suite à une action que j'ai refusé de faire. J'étais
4 commandant de mon groupe, j'ai reçu l'ordre de mener une action. On
5 m'a donné des renseignements. Je suis parti avec trois hommes, avec
6 trois collègues, qui bien entendu devaient m'obéir puisque moi
7 j'étais le commandant. On s'est rendu sur le territoire sous le
8 contrôle de l'armée de Bosnie-Herzégovine et j'ai refusé cette
9 action. J'ai dit que les renseignements qu'on m'avait donnés, les
10 faits tels qu'ils m'avaient été relatés n'étaient pas vrais et que ce
11 qui pourrait se produire, c'était des pertes parmi les civils et nos
12 hommes, ainsi que de l'armée de Bosnie-Herzégovine que de nos hommes
13 à nous, à savoir de l'armée de la Republika Srpska. J'ai donc refusé
14 cette action. Plusieurs jours plus tard, j'ai fait mon rapport mes
15 soldats ont confirmé ma version. On s'est mis d'accord entre nous et
16 c'était bien. Mais plusieurs jours plus tard, le colonel Salanio
17 Peter(?) de l'état-major est venu. Il était chargé des renseignements
18 au sein de l'état-major. On nous a fait venir, moi et d'autres
19 commandants. Cette réunion concernait avant tout mon comportement
20 ainsi que celui d'autres hommes. Il m'a été dit que je mentais, que
21 je ne pouvais pas me comporter ainsi, que j'ai laissé partir un
22 prisonnier, que je lui ai sauvé la vie. Cet homme est ici, il
23 déposera. Il m'a été dit que j'ai refusé les ordres. On m'a alors
24 enlevé mon grade. J'ai dit : "bien messieurs, je mens, alors allez-y,
25 faites vous-mêmes cette opération si je mens". C'était tout.
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1 C'étaient tous des soldats. Je considère qu'ils étaient de bons
2 soldats essentiellement de mon groupe quand j'étais sergent. C'était
3 des hommes honnêtes et je pense qu'ils m'ont su gré de ne pas les
4 amener dans une action en tant que commandant où ils auraient fait
5 des tâches illicites. Suite à cela, comme je l'ai dit, j'ai commencé
6 à avoir des problèmes avec Pelenis. Il y a eu des menaces, toutes
7 sortes de mauvais traitements. Que sais-je ? Je ne peux pas me
8 rappeler de tout. Ensuite j'ai perdu mon grade. C'était le mois de
9 juillet où se sont passés les événements de Srebrenica. J'ai été
10 assigné pour aller avec d'autres soldats, de m'y rendre en tant que
11 soldat. On ne nous a même pas dit où on devait se rendre, on nous a
12 dit uniquement de nous tenir prêts pour partir en action. Le soir,
13 quand on est arrivé, on nous a dit " c'est Srebrenica, demain matin
14 préparez-vous à partir en action ". On nous a donné quelques détails,
15 par exemple on nous a dit que ce serait probablement dur, qu'il y
16 avait là des Musulmans extrémistes et ce genre de détail. Le
17 lendemain matin on est parti. On a reçu l'ordre de ne pas toucher aux
18 civils. Comme j'ai pu le voir, aucun des soldats qui étaient autour
19 de moi n'a tiré sur les civils. On est partis le lendemain matin, on
20 est rentré vers 11 heures 15. Je me souviens bien de l'heure parce
21 que c'est à peu près à ce moment-là que les avions de l'OTAN ont
22 bombardé l'artillerie de l'armée de la Republika Srpska. Nous sommes
23 entrés, il n'y a pas eu de résistance. J'ai étonné de voir que dans
24 la ville, il n'y avait que cent civils en tout et pour tout. On est
25 arrivé au centre ville. Là-bas, on nous a dit que tout était terminé,
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1 qu'il fallait s'arrêter, jusqu'à ce qu'un nouvel ordre soit donné.
2 C'est à ce moment-là qu'est arrivé Pelenis qui nous a rassemblés. Il
3 m'a dit, à moi et à quatre autres hommes de revenir et de lui faire
4 savoir à quel moment le commandant Mladic serait entré dans la ville.
5 C'est ce que j'ai fait. Je me suis rendu dans la partie sud de
6 Srebrenica. Je ne le savais pas, c'est M. Ruez qui m'a expliqué que
7 c'était la partie sud de la ville. Le jour s'est déroulé sans aucun
8 événement. Si excusez-moi, j'ai vu quand Pelenis a ordonné à un
9 soldat de tuer un civil qui pouvait avoir une trentaine d'années.
10 Voilà, c'est tout ce que j'ai vu ce jour là. Le lendemain on a passé
11 la nuit dans une maison dans la partie sud de la ville. Le lendemain,
12 on a reçu l'ordre de partir.
13 M. le Président. - Pouvez-vous préciser quel est la journée pour les
14 événements que vous venez de narrer ?
15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Le 11 juillet. Le 12
16 juillet, on a reçu l'ordre. C'est Pelenis qui nous a dit de revenir,
17 que tout avait été fait, qu'il n'y avait plus rien à faire. On s'est
18 préparé, on est monté dans les véhicules et on est parti. Mais notre
19 véhicule était le dernier dans la colonne et il est tombé en panne.
20 On était très en retard par rapport à la colonne quand on est arrivé
21 à Vlasenica où se trouvait la base de l'unité de Vlasenica. C'est là-
22 bas qu'on a appris que Pelenis avait eu un accident avec un
23 transporteur et qu'un homme avait été tué dans l'accident et un autre
24 grièvement blessé dans l'accident. Ce jour là, plus rien ne s'est
25 passé. C'était déjà la nuit. On a dormi et le lendemain, quand je me
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1 suis levé, on m'a dit de me rendre à l'enterrement du soldat mort
2 parce qu'il faisait partie antérieurement de mon groupe. On est
3 parti. Je suis allé à l'enterrement. On a enterré notre camarade. On
4 est revenu à Vlasenica. Le lendemain matin quand on s'est levé, j'ai
5 reçu un nouvel ordre. On m'a dit qu'on allait partir à une nouvelle
6 action. Le commandant du groupe était à l'époque Brano Gojkovic.
7 J'étais un soldat et il y avait sept autres soldats. On nous a dit
8 qu'il fallait rapporter à Zvornki. Je ne savais même pas dans quelle
9 direction on allait, ni moi ni les autres soldats. A Zvornik, Brano
10 Gojkovic a fait un rapport au lieutenant-colonel, à l'état-major où
11 se trouvait la police militaire. Dix minutes plus tard, ce
12 lieutenant-colonel est sorti et monté dans un véhicule avec deux
13 autres membres de la police militaire. Il a dit à notre chauffeur de
14 suivre son véhicule. Le lieutenant-colonel nous a emmenés à la ferme.
15 Je ne connaissais pas le nom de cette ferme que j'ai juste décrit
16 selon l'endroit. Je savais que c'était le village de Pilica. Ce n'est
17 qu'à ce moment là que j'ai appris ce qui allait se produire ce jour-
18 là. On nous a dit que des bus allait arriver avec des civils de
19 Srebrenica. J'ai dit tout de suite que je ne souhaitais pas prendre
20 part à cela. Sont-ils normaux ? Savent-ils ce qu'ils font ? Personne
21 ne m'a écouté. On m'a dit si tu ne veux pas le faire, donne leur le
22 fusil pour qu'ils te tirent dessus. Comme je l'ai dit la fois
23 précédente, si j'avais été seul, si je n'avais pas eu de femme et
24 d'enfant, je me serais enfui. Mais j'ai été obligé de le faire, j'ai
25 été forcé. Les bus ont commencé à arriver. On faisait sortir des
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1 hommes par groupes de dix. On les sortait dans le champ, on tirait
2 sur ces hommes. Je ne sais pas exactement, pour être sincère, je ne
3 pouvais pas regarder précisément, je me sentais mal, j'avais mal à la
4 tête, j'essayais de faire le moins possible pour ne pas prendre part
5 à cela. J'ai voulu sauver un homme, mais ils ne m'ont pas laissé
6 faire. Il m'a dit qu'il a aidé des Serbes pour se rendre de
7 Srebrenica dans la République fédérale de Yougoslavie. Ils m'ont au
8 moins dit qu'il avait aidé des hommes, mais cela n'a pas aidé. Brano
9 aurait dit qu'il ne souhaitait pas avoir de témoin. Je me suis tu.
10 Plus tard, il y a eu un groupe de Bratunac. Comme je l'ai dit à M.
11 Ruez, ils étaient particulièrement sauvages, ils les battaient avec
12 des barres de fer et leur disaient plein de choses. De notre groupe,
13 personne n'a battu ces hommes avec des barres de fer, mais Savanovic,
14 Stanko, Gojgovic Brano ont assassiné beaucoup d'hommes. Il a dit que
15 les Musulmans ont tué son frère de 17 ans et Brano, je ne sais pas.
16 Plus tard, vers 15 heures, je pense que c'était vers 3 heures, le
17 lieutenant-colonel est arrivé avec deux membres de la police
18 militaire à Dom Pilica. Il a dit qu'il y avait environ 500
19 prisonniers musulmans qui souhaitaient sortir du Dom et s'enfuir.
20 J'ai dit que je ne voulais plus participer à cela et que je n'étais
21 pas une machine à tuer des hommes. Je vous dirai encore ceci. Si à ce
22 moment-là, il m'avait obligé à le faire, j'aurais tué ce lieutenant-
23 colonel. Cependant j'ai été soutenu par trois autres camarades. Ils
24 ont dit qu'ils ne voulaient pas le faire non plus, alors les autres
25 ont abandonné l'idée. Mais ces hommes de Bratunac n'avaient même pas
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1 quitté la ferme. On a entendu des coups de feu et des explosions de
2 grenades. Brano a dit que le lieutenant-colonel a dit qu'on devait se
3 réunir pour une réunion dans un café en face du Dom. Le lieutenant-
4 colonel n'a pas dit des choses particulières, mais il faut dire que
5 je n'ai pas bien écouté, ça ne m'intéressait pas. A cet endroit,
6 pendant que j'étais dans ce café, j'ai entendu ces explosions de
7 grenades et ces coups de feu. Plus tard, quand ces hommes de Bratunac
8 venaient dans ce café, le lieutenant- colonel nous a dit qu'on a
9 terminé et qu'on était libre et qu'il voulait leur parler. Je me suis
10 levé, nous nous sommes levés et nous sommes partis. Je voulais me
11 rendre chez moi pour voir mon enfant. On est revenu. Le soir, on nous
12 a mis dans des bus et on nous a ramenés à Bijeljina. Je suis arrivé
13 chez moi. Je souhaitais tant voir ma femme et mon enfant, mais quand
14 je suis arrivé à la maison, je ne pouvais même pas .... comment le
15 décrire... Je ne pouvais pas dormir. Ces jours-là je me suis mis à
16 boire. Simplement j'ai commencé à me haïr. Je partais de chez moi,
17 j'avais peur de rester chez moi. Je souhaitais être entouré de gens
18 en compagnie et boire. Ma femme m'a demandé : " qu'est-ce qui
19 t'arrive ? ". Je lui ai répondu " Rien, rien ne se passe ". Elle se
20 rendait bien compte, elle savait que par le passé, quand je rentrais
21 des actions, j'étais gai, je sortais avec elle et mon enfant en
22 ville, on allait dans une piscine qui se trouvait pas très loin de
23 là, près de Bijeljina, à Dvore, alors que cette fois-ci j'ai à peine
24 passé deux heures à la maison. Après cela, ce que je savais qui
25 allait se produire s'est produit. Kremenovic est arrivé. Je l'ai
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1 rencontré. Il m'a raconté qu'il avait refusé un ordre donné par
2 Pelenis et par Salapura, qu'il avait eu un conflit avec eux, que
3 Pelenis lui aurait dit : " avec toi, je vais faire de l'ordre, on va
4 savoir qui est le commandant de cette unité ". Le lendemain, le 23
5 juillet, une réunion était prévue où l'on devait traiter d'un ordre
6 donné par le commandement et d'un certain nombre d'autres points,
7 notamment la situation des individus, c'est-à-dire notre situation,
8 celle des membres de cette unité de diversion. Cependant la nuit du
9 22, comme je l'ai dit, je me trouvais en ville -évidemment j'ai bu-
10 il y avait moi, Kremenovic et Stanko Savanovic et ces deux hommes
11 nous ont tiré dessus. J'ai reçu deux balles dans le corps. Et en
12 conséquence de ces balles, j'ai été opéré de l'estomac et du poumon,
13 ou plutôt j'ai été opéré dans la partie gauche de la poitrine.
14 Kremenovic et cet ami s'en sont sortis avec des blessures plus
15 légères. J'ai passé un mois et quelque chose -je ne me souviens plus
16 exactement combien de temps- à l'hôpital, en République fédérale de
17 Yougoslavie, à Belgrade, à l'hôpital militaire. Ensuite, je suis de
18 nouveau rentré à Bijeljina à la maison, et je savais ce qui pouvait
19 se produire. J'ai dit à ma femme qu'elle devrait retourner à Tuzla et
20 que moi on verrait bien ce qui allait m'arriver, mais qu'elle emmène
21 notre enfant. C'est ce qui s'est passé. A la dernière minute, j'ai
22 réussi à transférer mon épouse et mon fils chez nos parents et moi
23 j'ai pris la route, je me suis embarqué dans ce voyage pour La Haye
24 où je voulais raconter ce qui est arrivé à ces pauvres gens. Mais
25 quand j'ai donné une interview à un journal en disant ce qui s'était
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1 passé, Kremenovic et moi-même avons été arrêtés en Serbie. Là, on
2 nous a interrogés sur les événements, sur ce que nous savions. J'ai
3 parlé à ces gens de la sécurité de la République fédérale de
4 Yougoslavie et je leur ai dit exactement ce qui s'était passé,
5 comment on m'avait forcé à faire ce que j'avais fait, que j'avais été
6 obligé de le faire. J'ai dit la même chose au Tribunal à Novi Sad et
7 la même chose ici-même, et je n'ai rien d'autre à ajouter.
8 M. le Président. - Madame le juge, vous avez quelques questions à
9 poser ?
10 M. Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Oui, Monsieur le
11 président. Merci. Monsieur Erdemovic, vous avez été membre de la
12 10ème unité de sabotage. Avez-vous été membre ensuite d'autres unités
13 ou groupes paramilitaires en Bosnie- Herzégovine ?
14 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non.
15 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - C'était donc votre
16 première expérience en tant que soldat en Bosnie-Herzégovine ?
17 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non. Quand
18 j'étais à Tuzla, j'ai fait partie de l'armée de Bosnie-Herzégovine.
19 J'étais également membre du HVO. C'était des unités régulières en
20 Bosnie.
21 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Et pourquoi avez-
22 vous quitter la HVO ?
23 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Pourquoi j'ai
24 quitté la HVO ? Parce que lorsque j'ai apporté de l'aide à un groupe
25 de civils serbes, composé majoritairement de femmes et d'enfants, ils
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1 m'ont arrêté. Des soldats du HVO m'ont arrêté. Ils m'ont frappé, ils
2 m'ont maltraité, comme si j'avais assassiné le monde entier, alors
3 que j'avais apporté de l'aide à des femmes et des enfants. C'est pour
4 cela.
5 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Des femmes et des
6 enfants qui venaient d'où ?
7 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Certains
8 venaient de Dragunja, de mon village, mais c'était des Serbes, et il
9 y en avait des environs de Tuzla, parce que les maris étaient partis
10 en Republika Srpska avant et elles, elles étaient restées sur le
11 territoire sous le contrôle des Musulmans, ou plutôt des Croates
12 musulmans.
13 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Donc vous aidiez des
14 Serbes ?
15 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
16 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Etant un membre de
17 cette unité de sabotage, est-ce que vous avez perçu un salaire ?
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, mais pas
19 régulièrement.
20 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Est-ce que vous avez
21 signé un contrat pour être membre de l'armée ?
22 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui. Je ne
23 sais pas exactement, mais je crois que ce sont les organes
24 responsables de la République fédérale de Yougoslavie qui ont ce
25 contrat et qui ont également le justificatif de mon appartenance à
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1 cette unité. Je ne sais pas s'ils ont transmis l'ensemble de ces
2 documents. Je ne sais pas exactement. Mais ces documents m'ont été
3 enlevés en République fédérale de Yougoslavie lors de mon
4 arrestation.
5 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Est-ce que vous vous
6 souvenez de la personne qui a signé, qui a écrit ce contrat entre
7 vous et l'armée serbe, et le nom du fonctionnaire qui a fait ce
8 contrat ?
9 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Le contrat a
10 été signé par le sergent Pelenis et le Général Ratko Mladic.
11 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Est-ce que vous vous
12 souvenez des termes du contrat pour ce qui est de vos tâches, de vos
13 fonctions ?
14 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Dans cet
15 accord, il était inscrit que je devais être traité comme un soldat.
16 Il y avait la date de 1997 qui était inscrite et puis... comment
17 pourrais-je vous expliquer, ils disaient qu'il ne fallait rien faire
18 qui soit... comment je pourrais dire... contre la loi, contre la loi
19 internationale ou contre toute loi.
20 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - A ce moment-là,
21 avez-vous entendu parler de ce qui s'était passé à l'hôpital de
22 Vukovar ?
23 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non.
24 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les
25 missions de l'unité de sabotage ?
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1 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Comme je l'ai
2 déjà dit, c'était des missions de reconnaissance, de visites du
3 territoire et d'installation d'explosifs au milieu des armements de
4 l'artillerie de Bosnie-Herzégovine. Evidemment, il y avait aussi des
5 missions de renseignement. C'est compris dans la reconnaissance.
6 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Des missions de
7 renseignement ou de reconnaissance ?
8 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Des missions
9 de renseignement.
10 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Est-ce que vous vous
11 souvenez, lorsque vous étiez à la ferme de Pilica, le moment où vous
12 avez commencé à tirer sur les gens ?
13 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je n'arrive
14 pas à me rappeler exactement, mais je crois qu'il devait être aux
15 environ de 10 heures - 10 heures et demi. Je ne sais pas exactement.
16 Je crois que c'est cela.
17 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Le matin ?
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, le
19 matin.
20 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Et à quel moment
21 avez vous arrêté dans l'après-midi ?
22 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je vais vous
23 dire, tout s'est terminé... cela s'est terminé à 3 heures de l'après-
24 midi. C'est ce que je pense, mais je ne sais pas exactement. A 3
25 heures. Mais nous n'avons pas participé jusqu'au bout. Mais les
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1 autres sont arrivés de Bratunac et ils ont continué. C'est ce que
2 j'ai expliqué aux représentants de l'accusation. C'est eux à la fin
3 qui ont participé à cela. Maintenant, je ne sais pas exactement à
4 quelle heure cela s'est arrêté, mais je crois qu'il était aux
5 environs de 3 heures.
6 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Combien de personnes
7 tiraient au même moment ?
8 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - En même
9 temps ? Moi je ne peux parler que de ceux avec qui je me trouvais.
10 Nous étions huit au total, mais pour les gens de Bratunac je ne peux
11 rien vous dire, parce que je n'ai pas tiré avec eux. Je ne sais pas.
12 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Quel genre d'armes
13 aviez- vous ou utilisiez-vous ?
14 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Moi
15 personnellement j'avais une kalachnikov, un fusil automatique, mais
16 il y en avait qui avaient des revolvers de calibre 7.62.
17 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Donc vous utilisiez
18 une kalachnikov ?
19 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
20 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Savez-vous ou
21 saviez-vous à ce moment-là s'il y avait quelqu'un qui aurait, qui se
22 serait fait tirer dessus pour avoir désobéi aux ordres ?
23 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Vous savez,
24 je vais vous dire une chose. Je sais avec certitude que si j'avais
25 refusé l'ordre, je me serais fait tuer. Je le sais, parce que j'ai vu
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1 Pelenis donner l'ordre à un homme de tuer un autre homme. Et je sais
2 aussi que quiconque refusait l'ordre d'un supérieur, eh bien ce
3 supérieur avait le droit de le liquider sur-le-champ. J'en ai vu
4 beaucoup, ces jours-là, et tout était clair pour moi. Je savais de
5 quoi il retournait.
6 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Avez-vous une idée
7 du nombre de gens que vous avez tués ?
8 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais
9 pas combien d'hommes, combien de personnes j'ai tuées, et je n'ai
10 même pas le souhait de le savoir. Mais j'ai dit à M. Vosekanovic(?)
11 que j'ai tué soixante-dix personnes. C'est ce que j'ai dit
12 officiellement au Tribunal de Novi-Sad. Mais il y a une chose que je
13 voudrais vous dire. Cela m'a tellement complètement détruit que j'ai
14 commencé à penser tout simplement que ma vie à moi n'avait plus
15 aucune valeur. J'ai perdu tout ce que je possédais. A la fin, j'ai
16 même perdu mon épouse et mon fils. Nous nous sommes séparés. Je
17 n'avais qu'une envie, c'est que la vérité soit faite, que quelqu'un
18 sache que cela a vraiment eu lieu et comment ces gens sont morts.
19 Parce que personne -cela a été dit aujourd'hui ici- ne savait que ce
20 crime a eu lieu à Pilica et de quel crime il s'agissait. C'est peut-
21 être là que le nombre de personnes assassinées a été le plus
22 important et vraiment j'aimerais qu'on me croit quand je dis que j'ai
23 dû le faire, mais que je l'ai fait sans le souhaiter. C'est pour
24 cela.
25 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Est-ce que c'était
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1 tous des jeunes hommes ?
2 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je l'ai dit,
3 j'ai dit au représentant du Procureur, il y avait des personnes qui
4 avaient entre 17 et 60 ans. Maintenant je n'ai pas vérifié. C'est ce
5 que l'on m'a dit. Et il n'y avait que des hommes.
6 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Merci de m'avoir
7 laissé poser ces questions, Monsieur le Président.
8 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic, je
9 voudrais procéder par ordre chronologique. En fonction de votre
10 témoignage, vous êtes allé en Republika Srpska le 3 novembre 1993.
11 Que faisiez-vous avant ?
12 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Avant,
13 j'étais chez moi à la maison et comme je l'ai dit, je faisais partie
14 de l'armée de la Bosnie-Herzégovine. Lorsque la HVO a été constituée
15 à Tuzla, on m'a convoqué à la police militaire du HVO et j'étais
16 soldat.
17 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez donc changé de
18 côté plusieurs fois. Qu'est-ce qui vous a obligé à passer de la
19 Bosnie-Herzégovine à l'armée croate et ensuite à la Republika
20 Srpska ?
21 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ce que je
22 voulais avant tout, c'était me retirer au maximum de la guerre. Je
23 suis entré au HVO parce qu'on m'a convoqué à la police militaire.
24 C'est la seule raison. La police militaire était responsable des
25 contrôles qui se faisaient aux barrages routiers.
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1 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez rallié la police
2 militaire croate ? Vous êtes Croate ?
3 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
4 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Mais vous avez aussi rallié
5 la Bosnie- Herzégovine et ensuite la Republika Srpska ?
6 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui. J'ai dit
7 dans quelles conditions j'étais à l'armée. Il y a une chose que
8 j'aimerais expliquer. Je n'aimais pas la guerre, mais je ne pouvais
9 pas quitter la Bosnie-Herzégovine : je n'avais pas de passeport ni
10 aucun document. Il fallait pas mal de documents. D'abord j'étais dans
11 l'armée de Bosnie-Herzégovine parce qu'on m'a convoqué. Je n'ai pas
12 commis le moindre crime. Je ne pouvais même pas rêver de ce qui m'est
13 arrivé dans la Republika Srpska. Au HVO, j'ai également fait partie
14 du HVO, mais je n'ai commis aucun crime, je n'ai fait aucun tort à
15 personne. En Republika Srpska, je ne suis pas allé là-bas pour aller
16 dans l'armée mais parce qu'un homme, un Serbe, m'avait fait la
17 promesse, parce qu'il avait trois fils en Suisse, qu'il allait me
18 transférer en Suisse. Je ne suis pas allé en Républika Srpska pour y
19 rester. Après mon départ de Bosnie, je me suis fait connaître de la
20 Républika Srpska que six mois plus tard. Je suis parti le 3 novembre
21 1993 et 6 mois plus tard je me suis fait connaître, mais parce que
22 j'ai eu l'obligation de le faire.
23 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous dites "vous
24 deviez", vous avez été forcé parce que vous aviez besoin d'argent ?
25 Ou est-ce qu'on vous a forcé de rallier cette unité ?
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1 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ce n'est pas
2 à cause de l'argent, mais à cause de la vie. Pour vivre, je n'avais
3 aucun document officiel. Rendez-vous compte ? Je n'avais pas de
4 documents, y compris croates. Même un Serbe, s'il n'avait pas de
5 documents serbes ne pouvait pas subsister, il ne pouvait pas
6 circuler, il n'avait rien du tout. Alors, moi, où est-ce que je
7 pouvais partir ? On pouvait très facilement m'arrêter dans la rue, me
8 dire que j'étais un espion croate et me tuer, sans aucune preuve,
9 sans rien. Je ne peux pas être tenu comme responsable, je ne peux pas
10 être considéré comme coupable parce que je menais simplement ma vie
11 quotidienne et tout cela pour subvenir aux besoins de ma femme et de
12 mon enfant. Est-ce que je suis coupable de cela ?
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Veuillez me répondre
14 clairement. Est-ce que vous aviez le choix ? Est-ce que vous pourriez
15 rentrer en Croatie, votre pays ? Ou est-ce qu'on vous a forcé,
16 instamment, à rallier la 10ème unité de sabotage ? Est-ce que vous
17 aviez le choix ? Est-ce que vous pouviez rentrer dans votre pays ?
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je vous ai
19 dit, j'ai dit à Madame le Juge que j'ai été frappé par les Croates,
20 pas par les Musulmans, mais par les Croates parce que j'avais apporté
21 de l'aide aux Serbes. Alors, où pouvais-je aller ? Où retourner ?
22 Retourner là-bas pour qu'on m'y tue ? C'est cela ? Je n'avais aucun
23 choix. Si j'avais eu le choix, moi, je n'étais pas pour la guerre et
24 je n'ai pas voté pour un parti national en particulier. Je n'aimais
25 pas la guerre, j'aimais la vie, j'aimais mes amis et j'ai perdu pas
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1 mal d'amis de nationalité différente. Tout cela, c'est ce que je ne
2 voulais pas. Tout cela, c'est arrivé à cause de la mafia qui nous a
3 entraînés, nous les petites gens, dans la guerre. C'est pour cela
4 qu'aujourd'hui, je témoigne ici. C'est pour cela que je vis.
5 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous avez décidé
6 d'entrer dans la 10ème unité de sabotage, étiez-vous conscient de la
7 mission qu'avait cette unité ? Etait-elle connue ? Savait-on la
8 nature des missions de cette unité ?
9 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui. Je
10 savais à cent pour cent quelles étaient les missions et c'est la
11 raison pour laquelle j'ai décidé de rester dans cette unité, parce
12 qu'il n'était pas question de victimes humaines, mais d'artillerie.
13 C'est la raison pour laquelle je suis resté dans cette unité. De
14 simples ferrailles, il était question.
15 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit qu'au début
16 vous avez refusé d'obéir à Pelenis qui était votre supérieur
17 j'imagine, et comme résultat vous avez perdu votre rang. Est-ce
18 juste ?
19 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Pelenis est
20 arrivé au mois d'octobre. Moi, j'étais dans cette unité depuis le
21 mois d'avril 1994. Pelenis est arrivé en octobre 1994. Le premier
22 commandant de l'unité, je m'entendais bien avec lui. Il s'est rendu
23 compte que j'étais un homme honorable. J'étais le seul soldat, le
24 plus jeune pourtant, mais le seul qui était marié et j'attendais un
25 enfant sous peu. J'étais honnête, honorable. Je n'avais pas de
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1 convictions nationalistes. Je ne haïssais personne, ni les Musulmans
2 ni les Croates ni les Serbes. C'était pour moi des gens honnêtes.
3 Mais les gens qui ne sont pas honnêtes je ne peux pas les aimer.
4 Evidemment, je n'ai pas envie de les tuer mais je dirai tout ce qu'il
5 y a à dire à leur encontre. Et Pelenis, c'est quand il est arrivé que
6 ces événements ont commencé. Qu'est-ce que je peux vous dire ? Des
7 ordres ont commencé à être donnés qui ne me plaisaient pas car ils
8 concernaient des victimes humaines. Voilà, c'est cela le problème.
9 C'est la raison pour laquelle j'ai eu des problèmes avec Pelenis. Je
10 n'étais pas le seul. Les autres, qui avaient le même avis que moi,
11 ont eu aussi des problèmes avec lui. Kremenovic, qui était son
12 adjoint, a eu les mêmes problèmes, lui aussi.
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Donc, vous avez pu refuser
14 d'obéir aux ordres sous Pelenis et ensuite vous avez aussi dit que,
15 après les exécutions, à Pilica, vous avez refusé aussi de continuer
16 et de tuer les cinq cents personnes qui se trouvaient dans ce
17 bâtiment. Est-ce bien juste ?
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, mais je
19 souhaite simplement vous expliquer pourquoi je rejetais les ordres
20 précédents. J'ai rejeté les ordres de Pelenis au moment où j'étais
21 moi-même commandant, où c'était moi qui étais responsable des
22 rapports, mais pas quand quelqu'un d'autre était commandant. Parce
23 que quand quelqu'un d'autre était commandant, je n'avais plus la
24 possibilité de refuser un ordre. Je savais à ce moment là que si le
25 Commandant acceptait l'ordre et que si je causais des problèmes, je
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1 serais le premier à me faire descendre. Tandis que lorsque j'étais
2 commandant, je pouvais discuter avec les hommes, avec mes soldats.
3 C'est dans ces conditions que j'ai refusé les ordres de Pelenis. Pour
4 le reste, pour ce que vous venez de dire, vous avez dit que j'avais
5 refusé d'aller dans ce Dom, c'est exact, j'en avais assez de tout. Je
6 ne sais pas, mais je ne peux pas vous décrire comment je me sentais à
7 ce moment là. Vraiment, j'en avais assez de tout, et j'ai refusé -je
8 l'ai dit tout à l'heure-, si ce lieutenant-colonel m'avait dit que je
9 devais agir de la façon dont il me l'avait ordonné, je l'aurais tout
10 simplement tué et puis on aurait vu ce qui se serait passé. J'ai
11 dit : est-ce qu'il n'y a pas eu assez de sang ? Est-ce qu'il n'y a
12 pas eu assez de morts ? Voilà ce que j'ai dit.
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Ma question est celle-ci.
14 Vous avez refusé deux fois d'exécuter les ordres et vous avez été
15 dégradé, mais vous n'avez pas été blessé. Pourquoi n'avez-vous pas
16 refusé aussi de participer aux exécutions dans la ferme ? Est- ce
17 qu'il y avait une différence ? Est-ce qu'il y avait plus de danger
18 là ?
19 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Madame,
20 Messieurs les Juges, je voudrais maintenant prier, notamment les
21 femmes présentes ici, de m'excuser, mais je vais vous montrer ce que
22 j'ai reçu comme résultat du rejet de cet ordre à Pilica. J'ai risqué
23 la mort de très près. Alors, je vous en prie, je vais maintenant vous
24 le montrer. Voilà, c'est cela. (Monsieur Drazen Erdemovic montre sa
25 blessure.)
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1 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Est-ce qu'on vous a tiré
2 dessus au café, comme vous l'avez dit, après les événements alors que
3 vous vous y trouviez avec d'autres gens ? Est-ce bien juste ?
4 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - On n'a pas
5 tiré seulement sur moi, mais sur les hommes qui se sont exprimés et
6 ont expressément protesté contre Pelenis. C'est sur ces hommes qu'on
7 a tiré, pas seulement sur moi, et pas à cause du café ou de la
8 boisson. Mais on sait pourquoi.
9 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Combien de personnes ont été
10 retenues pour les exécutions à Pilica ?
11 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Huit. Huit
12 hommes.
13 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Est-ce qu'on vous a choisis
14 pour des raisons personnelles ou pour des raisons spéciales ?
15 Pourquoi vous a-t-on choisis, vous, parmi ces huit personnes ?
16 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais
17 pas. C'est Pelenis qui sait cela.
18 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup.
19 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, d'abord je voudrais faire une
20 observation. Je comprends que ce soit pénible pour vous. Il faut que
21 vous sachiez quand même que vous êtes devant un Tribunal qui doit
22 rendre compte du jugement d'un homme qui a participé au meurtre et à
23 l'assassinat de plusieurs dizaines de personnes. Nous en sommes tous
24 comptables, ici. Nous nous doutons bien que vous avez été pris dans
25 une grande tourmente, mais ce n'est pas une raison ni parce que vous
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1 avez plaidé coupable ni parce que vous êtes certainement un exécutant
2 dans une grande tragédie, pour que nous puissions, comme cela, passer
3 au compte des pertes et profits ces dizaines et ces dizaines de morts
4 dont vous avez été le témoin vivant actuel. Voilà ce que le Président
5 de ce Tribunal voudrait quand même rappeler, ici, dans cette
6 enceinte. Et nous ne pouvons pas laisser, uniquement parce que vous
7 avez reconnu les faits, des zones d'ombre dans un dossier qui
8 certainement pèsera très lourd sur votre conscience pendant très
9 longtemps. Mais la conscience des Juges aussi est importante. Voilà
10 l'observation que je voulais faire au préalable.
11 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
12 M. le Président. - Je ne vais pas prolonger par beaucoup de
13 questions. Je voudrais quand même vous demander si entre le 13 et le
14 16 juillet, alors que vous êtes sur place à Srebrenica, vous avez eu
15 des nouvelles par la radio locale, la radio de l'état-major, la radio
16 militaire, de ce qui se passait ? Vous nous avez dit, monsieur
17 Erdemovic, au moment de la procédure de l'article 61 contre MM.
18 Karadzic et Mladic, que vous y étiez, vous-même avez reconnu un
19 certain nombre de faits, peut-être même avez-vous vu le Général
20 Mladic. Avez-vous donc, je renouvelle ma question, aviez-vous une
21 connaissance précise de ce qui se passait ? Vos camarades, les autres
22 camarades de la division de sabotage vous ont-ils dit : "on tue des
23 Musulmans. On massacre des Musulmans". Avez-vous eu connaissance de
24 cela ? Je voudrais que vous soyez très précis dans votre réponse.
25 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Est-ce qu'ils
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1 me l'ont dit ?
2 M. le Président. - Est-ce que vous avez eu connaissance de cela à un
3 moment donné ou à un autre, entre le 13 et le 16 juillet. Vous nous
4 dites "il n'y avait plus personne à Srebrenica", mais il y avait
5 votre unité, il y avait d'autres camarades, d'autres groupes. Vous a-
6 t-on dit à un moment donné : "on tue les Musulmans, on exécute les
7 Musulmans, on en termine avec les Musulmans ?" Ceci est une question
8 très précise, monsieur Erdemovic.
9 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui,
10 j'essaierai de répondre à cette question, autant que je le peux.
11 Avant tout, je ne savais pas, je vous l'ai dit, j'ai été très étonné
12 quand je suis arrivé à Srebrenica et je n'ai pas vu plus de cent
13 personnes, mais j'ai vu beaucoup de choses par ici, par la BBC. J'ai
14 vu où étaient les hommes des Nations Unies dans leur campement à
15 Potocari. Moi, je ne le savais pas, je ne savais pas où se trouvait
16 Potocari à vrai dire. Je ne savais pas ce qui se passait. Bien
17 entendu que je ne savais pas. Je ne vois pas pour quelle raison
18 quelqu'un qui faisait partie du commandement m'aurait dit "on tue les
19 Musulmans".
20 M. le Président. - N'avez vous pas posé des questions ? Je vous
21 rappelle que c'était une enclave protégée. Vous le saviez cela ?
22 C'est une enclave protégée ? Or, tout d'un coup vous arrivez et il
23 n'y a plus personne. Vous êtes-vous posé la question ?
24 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Bien sûr que
25 je me suis posé la question. Bien sûr. Premièrement, j'ai dit :
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1 "quand on est parti, on nous a dit qu'il y avait des gens, des
2 civils, il y a des extrémistes armés alors qu'il n'y avait personne,
3 pas un chat". Bien sûr je me suis posé la question, que se passe-t-
4 il ? Bien sûr. Qu'est-ce que c'est que cela ? Je me suis demandé,
5 mais qu'est-ce que c'est que cela ?
6 M. le Président. - Sur la route, en montant vers la ferme, qu'est-ce
7 que vous avez aperçu sur le bord de la route ?
8 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Le long de la
9 route ? Eh bien, allant de Vlasenica jusqu'à peu près Zvornik, des
10 soldats étaient répartis le long du chemin pour protéger le chemin et
11 on entendait des coups de feu dans les forêts aux alentours. C'est
12 cela que j'ai pu voir.
13 M. le Président. - Quand vous avez abattu les personnes qui sont
14 descendues du camion, car il faut quand même dire les choses de façon
15 très nette aussi, vous avez abattu les personnes qui sont descendues
16 du camion ? Le Tribunal, lui, jugera des conditions, mais pour
17 l'instant vous avez abattu ces personnes. Ces personnes étaient
18 comment ? Vous regardaient- elles ? Avaient-elles des liens ?
19 Etaient-elles liées dans le dos ? Etaient-elles en uniforme ou
20 étaient-elles en civil ? Avez-vous participé à leur enterrement ?
21 Avez-vous eu l'impression qu'il y avait des survivants ?
22 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Eh bien, je
23 ne sais pas à quel point je peux être précis. Ecoutez, moi j'étais
24 dans un état psychique très mauvais. Je ne sais pas. Pour moi,
25 c'était difficile, c'était pénible, mais je n'avais pas le choix. Je
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1 n'avais pas le choix. Eh bien, dire est-ce que ces hommes me
2 regardaient, je n'ai pas vérifié s'ils étaient morts.
3 M. le Président. - Etaient-ils liés dans le dos ?
4 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je me
5 souviens uniquement dans le premier car -et je l'ai dit pendant
6 l'enquête- certains avaient les mains ligotées et ils avaient les
7 yeux bandés. Je me souviens uniquement du premier bus. M. Ruez m'a
8 posé cette question : est-ce qu'il y avait des hommes comme cela dans
9 le second bus ? J'ai dit : "Je ne peux pas vous répondre à cette
10 question" parce que vraiment j'étais dans un tel état psychique... je
11 ne peux pas vous l'expliquer... Ce n'est pas une chose qu'on peut
12 expliquer.
13 M. le Président. - Avez-vous donné des précisions au bureau du
14 Procureur sur la personne qui vous avait promis votre passage en
15 Suisse ?
16 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas
17 donné de détails. On ne m'a pas demandé de les donner. Si on souhaite
18 les avoir, je dirai tout ce qu'il faut, tout ce que je sais. Je
19 donnerai aussi bien les détails : des noms, des prénoms. Cela pourra
20 être vérifié que les fils de cet homme résident en Suisse. Je n'ai
21 aucune raison de mentir et je ne souhaite pas mentir pour tous ces
22 gens qui sont morts.
23 M. le Président. - Je voudrais, avant de terminer, demander... Mon
24 collègue me signale qu'il a encore une question. Attendez une
25 seconde. Je voudrais me tourner uniquement vers M. le Procureur pour
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1 l'instant. Monsieur le Procureur, a-t-on fait des recherches pour
2 vérifier les dires de M. Erdemovic concernant ce passage en Suisse ?
3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Monsieur le président,
4 nous avons été informés à la lecture de la déposition, de façon
5 générale de ce fait, mais nous n'avons pas donné suite.
6 M. le Président. - Est-ce qu'on a été informé également des actions
7 qu'il avait commises en Croatie ? C'est très important, puisque
8 M. Erdemovic nous dit qu'une grande part de son comportement à
9 Srebrenica tient de façon originelle au fait que la promesse qui lui
10 avait été faite de partir en Suisse n'a pas pu se réaliser d'une
11 part, et d'autre part qu'il avait commis en Croatie un certain nombre
12 d'actions qui faisaient qu'il n'a pas pu retourner en Croatie.
13 M. Ruez, qu'éventuellement on peut faire revenir si vous le
14 souhaitez, a-t-il pu quand même essayer de voir s'il y avait une
15 probabilité de vérité dans ce que disait M. Erdemovic ?
16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quand M. Ruez reviendra,
17 je propose que nous lui posions alors la question. Je n'en ai pas
18 connaissance pour ma part.
19 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Excusez-moi,
20 Monsieur le Président, je ne viens pas de Croatie. Je suis de Bosnie-
21 Herzégovine. Je suis né en Bosnie-Herzégovine. J'étais citoyen de
22 Bosnie-Herzégovine. C'est là que j'avais mon domicile permanent. Je
23 ne suis pas citoyen de la République de Croatie. Je suis de Tuzla.
24 M. le Président. - Excusez-moi, j'avais peut-être mal compris.
25 J'avais compris, sur une question posée par le juge Riad, que vous ne
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1 pouviez pas revenir en Croatie. On connaissait donc ce que vous aviez
2 fait à l'égard des Croates dans le cadre de votre action précédente ?
3 Expliquez-nous cela, je n'ai pas très bien compris.
4 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, non, pas
5 en Croatie. Il m'a demandé si j'avais la possibilité de retourner
6 chez moi, à ma maison -c'est comme cela que j'ai compris sa question-
7 à Tuzla d'où je suis natif.
8 M. le Président. - Bon.
9 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic, d'après
10 vos réponses au juge Odio-Benito, j'ai cru comprendre que la plupart
11 des victimes, ou toutes les victimes, étaient musulmanes. Est-ce bien
12 correct ?
13 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Excusez-moi,
14 je ne sais pas exactement, je n'ai pas vérifié. Mais je vous ai dit :
15 il a été dit que c'était des gens de Srebrenica. C'est tout.
16 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit que vous avez
17 essayé d'en sauver certains. Vous en avez sauvé ?
18 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - J'ai dit que
19 j'ai essayé de sauver un homme. Je n'ai pas réussi, parce que Brano
20 Gojkovic, le commandant du groupe, a dit qu'il ne voulait pas avoir
21 un seul témoin de ce crime. Il a vraisemblablement reçu cet ordre de
22 la part de ce lieutenant-colonel. Je ne sais pas exactement. C'est ce
23 que je suppose.
24 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Donc vous n'avez sauvé
25 personne du tout ?
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1 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non. Non.
2 Brano Gojkovic était le commandant du groupe. C'est lui qui décidait
3 de tout, de tout. Moi, je n'étais qu'un simple soldat qui devait
4 exécuter les ordres.
5 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Mais vous avez essayé de
6 sauver quelqu'un ?
7 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - J'ai essayé,
8 j'ai essayé. Je pensais que j'allais pouvoir réussir comme j'ai
9 réussi à sauver un homme qui doit témoigner ici à ma décharge. Mais
10 je n'ai pas réussi.
11 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous dites que vous avez
12 essayé de sauver la vie de la personne qui va témoigner. Donc vous
13 l'avez sauvée ?
14 M. Drazen Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui. Mais ce
15 n'était pas à Srebrenica, c'était sur le mont Majlevic(?) près de
16 Tuzla. Ce n'est pas à l'occasion des événements de Srebrenica.
17 C'était, je pense, au mois d'août 1994, un an avant Srebrenica,
18 presque un an.
19 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup.
20 M. le Président. - Je rappelle, avant d'en terminer avec cette
21 audition et d'entendre le témoin de M. Erdemovic, que ce témoin a été
22 convoqué par le Tribunal. Il s'agit d'un accusé, mais qui a témoigné
23 comme témoin. Je voudrais me tourner vers l'accusation d'une part, et
24 la défense, étant bien entendu que s'agissant d'un témoin du
25 Tribunal, normalement on devrait en rester là. Cela étant, si le
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1 Procureur a des questions à poser, il peut les poser. Simplement, la
2 défense à ce moment-là pourra également poser des questions. Si vous
3 voulez que M. Jean-René Ruez entre à nouveau, il va de soi qu'à ce
4 moment-là la défense posera des questions. Inversement, si la défense
5 veut faire préciser un certain nombre de questions, l'accusation
6 pourra, elle aussi, poser des questions. Monsieur le Procureur ?
7 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - De l'avis du Procureur,
8 toutes les questions pertinentes ont déjà été posées par les juges et
9 nous avons donc décidé de ne pas poser d'autres questions à M.
10 Erdemovic.
11 M. le Président. - Maître Babic, avez-vous des questions à poser à
12 M. Erdemovic ?
13 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le président,
14 par rapport à l'exécution des faits, vous avez insisté sur les faits
15 liés à l'exécution. Je n'ai pas de question à poser là-dessus. Le
16 Tribunal a entendu tout ce que l'on devait entendre sur le sujet.
17 M. le Président. - Bien. Alors simplement, il y a un point que
18 j'avais posé comme question, c'était le problème de la vérification.
19 Avait-on tenté de vérifier les deux allégations de M. Erdemovic
20 concernant le passage en Suisse d'une part et son action précédente
21 contre des Croates, si j'ai bien compris ? Est-ce que vous désirez
22 faire rentrer M. Jean-René Ruez, ou fournirez-vous d'ici la fin de
23 l'audience, soit cet après-midi, soit demain, une explication à ce
24 sujet qui sera lue par le greffe pour qu'elle soit versée et qu'elle
25 soit portée à la connaissance de la défense ?
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1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Oui, nous essaierons de
2 le faire, Monsieur le président.
3 M. le Président. - Nous allons suspendre la présente audience. Nous
4 la reprendrons à 16 heures. L'audience, suspendue à 15 heures 43, est
5 reprise à 16 heures 08.
6 M. le Président. - L'audience est reprise, faites entrer l'accusé.
7 Monsieur le Procureur, le Tribunal désire maintenant que nous
8 passions à l'exposé, dans votre propos d'abord, dans celui de la
9 défense ensuite, de tout ce qui peut concourir à montrer, à la fois
10 la coopération que l'accusé vous a fournie, mais également les
11 éléments qui pourraient justifier de l'application de circonstances
12 aggravantes. Si vous souhaitez faire entendre un témoin, vous le
13 dites au Tribunal. Je pense que, demain matin, nous pourrons entendre
14 la défense nous exposer -avec la production de témoins- tout ce qui
15 est propre à prouver les circonstances atténuantes du comportement de
16 Drazen Erdemovic qui, je le rappelle plaide les circonstances
17 atténuantes tout en plaidant sa culpabilité. Monsieur le Procureur,
18 vous avez la parole.
19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup, Monsieur
20 le Président. Je voudrais rappeler Monsieur Jean-René Ruez à la
21 barre. Je voudrais informer le Tribunal que je le rappelle pour deux
22 raisons. Tout d'abord, Monsieur le Président, pour qu'il puisse
23 répondre aux questions et aux préoccupations de la Cour quant à
24 certains éléments de la déposition de M. Erdemovic, notamment en ce
25 qui concerne le fait de savoir s'il a informé le Bureau du Procureur
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1 quant à sa tentative de se rendre en Suisse et, ensuite, sur le fait
2 de savoir si, oui ou non, il a informé le Tribunal quant à ses
3 tentatives de sauver des hommes lorsqu'il faisait partie du HVO. Je
4 vais brièvement interroger M. Ruez sur ces points, après quoi je me
5 consacrerai à la coopération de M. Erdemovic avec le Procureur.
6 M. le Président. - Monsieur Jean-René Ruez, nous ne vous faisons pas
7 prêter serment à nouveau, mais vous êtes toujours sous serment. Il
8 faut que vous le sachiez.
9 M. Ruez. - Oui.
10 M. le Président. - Monsieur le Procureur.
11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, pendant
12 votre enquête concernant les événements de Srebrenica, quand
13 êtes-vous entré en contact pour la première fois avec l'accusé,
14 M. Erdemovic ?
15 M. Ruez.- Le premier contact avec l'accusé a eu lieu juste après son
16 arrivée le 24 avril de cette année.
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A cette occasion, vous a-
18 t-il déclaré qu'il connaissait les événements pour lesquels il a
19 témoigné aujourd'hui et auparavant ?
20 M. Ruez. - Oui.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais me concentrer
22 sur deux points dans la déclaration faite au mois d'avril. Tout
23 d'abord, vous a-t-il jamais informé qu'il avait essayé de se rendre
24 en Suisse et qu'il n'avait pas réussi à le faire ?
25 M. Ruez. - Oui, c'est exact.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A cette même occasion,
2 vous a-t-il informé qu'il avait été membre HVO et qu'il avait essayé
3 d'aider des personnes à traverser la ligne et qu'il avait été arrêté
4 et battu à la suite de ces efforts ?
5 M. Ruez. - Oui, absolument, il a déclaré avoir aidé un certain nombre
6 de personnes à passer en Republika Srpska, avoir été arrêté par les
7 autorités musulmanes bosniaques et maltraité par le HVO ?
8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous expliquer à
9 la Chambre, Monsieur Ruez, les circonstances dans lesquelles
10 M. Erdemovic est arrivé à La Haye ?
11 M. Ruez. - Suite à son comportement pendant les exécutions qui se
12 sont produites à la ferme de Pilica, M. Erdemovic a fait part du fait
13 qu'il craignait des représailles sur sa personne, essentiellement
14 dues au fait de la mauvaise volonté qu'il déclare avoir mis au cours
15 de ces exécutions. Il déclare également avoir eu un incident avec le
16 chef du groupe du peloton d'exécution à l'occasion de l'usage d'un
17 fusil-mitrailleur qui ne faisait que blesser les gens et leur
18 infligeait des souffrances inutiles. Le deuxième accident auquel il
19 fait mention au cours de ces événements est sa tentative de sauver la
20 vie de l'un des prisonniers, tentative infructueuse puisque son chef
21 de groupe, à ce moment-là, lui a fait part du fait qu'il était hors
22 de question de laisser des témoins de cette opération. Ses craintes
23 se sont confirmées, selon lui, quelques jours plus tard, puisque dans
24 la nuit du 22 au 23 juillet, alors qu'il se trouvait dans un bar de
25 Bijeljina, l'un des membres du peloton d'exécution a tiré sur lui a
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1 quatre reprises, le blessant grièvement. L'assistance de l'un de ses
2 camarades lui a permis d'être évacué vers un hôpital où il a été
3 soigné, mais ultérieurement, il a eu écho de rumeurs selon lesquelles
4 les gens de son unité étaient mécontents du fait qu'il n'ait pas été
5 abattu ce soir-là. Il a également entrepris des démarches auprès du
6 commandant de son unité pour obtenir une assistance, l'achat, par
7 exemple, de ses poches de colostomie, assistance qui lui a été
8 refusée par le chef de cette unité. Il a également profité d'une
9 possibilité de se rendre en République fédérale yougoslave pour
10 évacuer sa femme et son enfant de Bijeljina et les mettre en sécurité
11 à Tuzla. Suite à cet épisode, il a immédiatement entrepris des
12 démarches pour entrer en rapport avec le Tribunal pénal international
13 qui, à cette époque, n'ayant pas de bureau à Belgrade, l'a contraint,
14 par l'intermédiaire de l'un de ses camarades, à prendre l'attache
15 avec des services de presse qui se trouvaient à Belgrade à cette
16 époque. Il semblerait, d'après le déroulement des événements à ce
17 moment-là, que cesdits services de presse étaient sous la
18 surveillance de services de sécurité et que la multiplication de ces
19 démarches aient attiré l'attention sur lui, renforçant la
20 surveillance et aboutissant à son interpellation au moment où il
21 était informé du fait que lesdits services étaient au courant de ses
22 tentatives d'approche avec le Tribunal pénal international.
23 L'information concernant les déclarations que M. Erdemovic avait
24 l'intention de faire devant le Tribunal était, quelques jours
25 préalablement à son arrestation, déjà portées à la connaissance du
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1 Bureau du Procureur. Cette connaissance préalable a permis au Bureau
2 du Procureur de réagir instamment et d'obtenir le transfert rapide de
3 Drazen Erdemovic à La Haye. Nos contacts, par la suite, ont eu lieu à
4 la prison de Scheveningen à trois occasions.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, M Erdemovic
6 a-t-il apporté une aide substantielle au Bureau du Procureur dans la
7 conduite de ses enquêtes sur ce qui s'est passé à Srebrenica ?
8 M. Ruez. - Oui, il a évoqué un certain nombre de faits, quatre faits
9 très précisément, qui n'étaient pas à la connaissance de l'enquête à
10 la date où ces révélations ont été faites. Les deux premiers -les
11 faits essentiels- ont déjà été exposés au cours de ma précédente
12 déposition, il s'agit des événements qui ont eu lieu à la ferme de
13 Branjevo ainsi que dans le bâtiment de Pilica, mais à ces événements,
14 il rajoute le fait que lorsqu'il se trouvait à Srebrenica le
15 11 juillet, alors que la population restante à l'intérieur de la
16 ville n'opposait aucune résistance, l'officier qui commandait son
17 unité a donné l'ordre à l'un des membres de l'unité d'exécuter un
18 prisonnier musulman bosniaque qui se trouvait dans la ville. Ce
19 prisonnier a eu la gorge tranchée sur l'ordre de son commandant
20 d'unité. Le deuxième fait, suite à son retour à Bijeljina, le 13, son
21 retour était le 12 et l'événement dont je vais parler maintenant
22 s'est produit le 13, le même officier commandant l'unité a donné
23 l'ordre, en présence de tous les autres membres de cette unité,
24 d'aller trancher la gorge à un prisonnier qui était utilisé par cette
25 unité dans des missions de reconnaissance et qui avait été arrêté par
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1 eux trois mois plus tôt et utilisé à plusieurs reprises pour des
2 opérations de reconnaissance sur la ligne adverse. Il n'a pas été
3 témoin de l'exécution, mais les auteurs lui ont rapporté
4 qu'effectivement l'exécution avait eu lieu et que l'individu avait eu
5 la gorge tranchée dans un bois à proximité de Vlasenica.
6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, vous avez
7 parlé de quatre événements dont vous a parlé M. Erdemovic, en rapport
8 à ce qui s'est passé à Srebrenica et aux alentours. Est-ce correct ?
9 M. Ruez. - Oui.
10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Le Bureau du Procureur
11 avait-il connaissance de ces événements avant qu'il ne vous en
12 informe ?
13 M. Ruez. - Aucun de ces événements n'était à la connaissance du
14 Bureau du Procureur avant que M. Erdemovic ne vienne nous l'exposer.
15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Et M. Erdemovic vous a-t-
16 il aussi fourni l'identité des coupables pour chacun des quatre
17 événements ?
18 M. Ruez. - Chaque fois que l'identité des coupables était connue par
19 M. Erdemovic, elle nous a été communiquée. L'officier responsable de
20 l'unité qui a ordonné le meurtre commis tant à Srebrenica qu'à
21 Vlasenica est le lieutenant Pelenis, qui dirige la dixième unité de
22 diversion, les membres du peloton d'exécution ayant participé au
23 massacre du 16 juillet à la ferme de Pilica ont également été
24 dénoncés par Drazen Erdemovic, le chef du peloton étant un nommé
25 Brano Gojkovic, les autres membres étant Aleksandar Cvetkovic,
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1 Marco Boskic, Zoran Goronja, Stanco Savanovic, Vlastimir Golijan,
2 Frank Kos, et lui même Drazen Erdemovic, l'unité elle- même, la
3 dixième unité de diversion étant sous le commandement du colonel
4 Salapura.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, avant que
6 vous n'ayez eu les noms de ces personnes, le bureau du Procureur
7 connaissait-il l'identité de cesdites personnes ?
8 M. Ruez. - Non, aucune de ces identités n'était apparue à ce stade de
9 l'enquête. Concernant les événements à la ferme de Pilica,
10 Drazen Erdemovic a également mentionné le rôle très actif d'un groupe
11 d'individus appartenant à la Brigade de Bratunac ; de sa propre
12 initiative, alors qu'il était dans sa cellule et qu'il regardait la
13 télévision, il a eu l'occasion de voir un reportage de la BBC sur les
14 événements de Srebrenica et, en visionnant ce film, il a reconnu des
15 individus ayant participé à l'exécution. Nous lui avons
16 ultérieurement présenté ces bouts de vidéo et il nous a désigné l'un
17 des individus qui apparaît sur le film et qui est Brano Gojkovic dont
18 la photographie est désormais connue. Il a également reconnu un des
19 membres de la brigade de Bratunac qui était parmi les plus actifs, si
20 l'on peut dire, dans les événements, dont le nom n'est pas connu,
21 mais dont la photographie est désormais connue grâce à l'intervention
22 de Drazen Erdemovic. De même l'information générale qu'il a procurée
23 sur la structure de son unité et sa manière d'opérer apporte des
24 éléments essentiels sur la chaîne de commandement, ainsi que je l'ai
25 déjà exposé, dans la mesure où cette unité est rattachée directement
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1 au commandement central Han Pijesak sous les ordres du général
2 Mladic.
3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez, Pouvez-vous
4 résumer l'utilité de la coopération de M. Erdemovic dans la conduite
5 de l'enquête par le Bureau du Procureur ?
6 M. Ruez. - L'apport des informations qu'il nous a communiquées a été
7 essentiel. Je n'ai plus à côté de moi la pièce à conviction n° 1, qui
8 est la carte des opérations qui ont suivi la chute de Srebrenica
9 telles qu'elles sont identifiées par l'enquête à ce stade. Les sites
10 principaux mentionnés par Drazen Erdemovic sont ceux qui se trouvent
11 le plus au nord de la carte. De même, le nombre de victimes tant au
12 massacre commis à Branjevo que dans l'exécution qui s'en est suivie
13 et qui a eu lieu dans le village de Pilica, ces deux événements, par
14 rapport au nombre des victimes, figurent parmi les plus significatifs
15 qui ont été identifiés au cours de cette enquête. Ainsi que je l'ai
16 déjà dit, la multiplication des sites, ainsi que la distance, est
17 d'un apport essentiel pour déterminer le niveau de planification
18 requis, la centralisation du commandement nécessaire, la logistique,
19 les communications, toutes choses particulièrement indispensables
20 pour déterminer le niveau de responsabilité des auteurs de l'aspect
21 global de cette opération.
22 M. Harmon (interprétation de l'anglais) . - Monsieur Ruez, à la suite
23 de vos contacts avec M. Erdemovic, avez-vous pu vous faire une
24 opinion sur le fait de savoir si, oui ou non, il éprouve des remords
25 quant aux crimes commis en juillet 1995, le 16 ?
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1 M. Ruez. - La notion de remords est évidemment difficile à
2 caractériser. Une chose est absolument certaine dans les contacts que
3 j'ai pu avoir avec lui, c'est l'expression de son profond regret
4 d'avoir été impliqué dans cette situation. Il a toujours exprimé avec
5 beaucoup de difficultés la façon dont les choses se sont déroulées
6 pendant les événements. La compilation de ses souvenirs a été pour
7 lui un exercice extrêmement difficile et il a toujours exprimé, à
8 chaque occasion, dans chaque détail de ce qu'il expliquait pendant
9 les auditions, son énorme regret d'avoir eu à participer à
10 l'événement dont il s'agit.
11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président, je
12 n'ai pas d'autres questions à l'intention de M. Ruez, mais je
13 voudrais demander que soient versées au dossier les pièces à
14 conviction 1 à 15 du dossier qui a été présenté auparavant. Les
15 pièces 14 et 15 sont des transcriptions du témoignage de M. Erdemovic
16 fait lors de l'audience article 61 tenue au mois de juillet, en
17 rapport avec MM. Karadzic et Mladic. Je n'ai pas d'autre question,
18 Monsieur le Président.
19 M. le Président. - Monsieur le Greffier, vous intégrerez dans le
20 dossier, par voie de minutes, les présentes pièces à conviction. Je
21 me tourne vers Mme le Juge Odio-Benito. Avez-vous des questions ?
22 M. Odio-Benito. - Oui.
23 M. le Président. - Très brièvement.
24 M. Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ruez,
25 M. Erdemovic a dit qu'il avait aidé un certain nombre de personnes à
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1 traverser les lignes vers la Republika Srpska. Est-ce que vous avez
2 pu identifier les personnes que M. Erdemovic a ainsi aidées ?
3 M. Ruez. - Non. L'enquête n'a absolument pas porté sur cet aspect de
4 la chronologie des événements telle qu'elle a été décrite par Drazen
5 Erdemovic. L'enquête s'est toujours tenue à développer sur les faits
6 qui ont suivi la chute de l'enclave, mais cet aspect précis n'a pas
7 été développé du tout au cours de l'enquête.
8 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Ainsi donc, vous
9 n'avez pas de preuve de ces activités de M. Erdemovic ?
10 M. Ruez. - Non, aucune.
11 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Merci. Je n'ai pas
12 d'autre question.
13 M. Riad. - Monsieur Ruez, justement, je prends la suite, le fil de
14 ces questions de Mme Odio-Benito. Monsieur Erdemovic a dit qu'il a
15 aidé des gens à passer du côté de la Republika Srpska. Est-ce qu'il a
16 aidé des gens à passer vers la Bosnie ?
17 M. Ruez. - Il n'a jamais évoqué ce point au cours des entretiens.
18 M. Riad. - Est-ce qu'il a dit quel genre de personnes il a aidées à
19 traverser vers la Republika Srpska ? Des Serbes ? Des Croates ? Des
20 Musulmans ? M. Ruez. Non. Sur ces aspects, il n'a fourni qu'une
21 information générale et à l'occasion de ses interviews, ces points
22 n'ont jamais été approfondis.
23 M. Riad. - Vous avez mentionné aussi que M. Erdemovic fut arrêté au
24 moment de son approche pour donner des renseignements au Tribunal
25 pénal international, n'est-ce pas ?
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1 M. Ruez. - Oui, absolument.
2 M. Riad. - Quelles sont vos sources dans ce renseignement et est-ce
3 que le bureau de presse là-bas avait accueilli effectivement des
4 renseignements le concernant ou de lui pour transmettre à notre
5 Tribunal, ou c'est simplement par pur...
6 M. Ruez. - Non, ces informations ont été croisées avec un témoignage
7 recueilli par une journaliste qui a été en contact avec Drazen
8 Erdemovic à cette date.
9 M. Riad. - ...A qui il avait déjà donné des renseignements ?
10 M. Ruez. - A qui il avait déjà donné des renseignements et sur la
11 base de ces renseignements, avant même le transfert de Drazen
12 Erdemovic à La Haye, les faits qui avaient été dénoncés à la presse
13 étaient déjà soumis à enquête et le site de la ferme de Pilica, par
14 exemple, a été localisé, les premières recherches ont été faites sur
15 ce site avant que Drazen Erdemovic n'arrive au Tribunal.
16 M. Riad. - Est-ce qu'il a été arrêté pour cette raison ?
17 M. Ruez. - La raison de son arrestation était probablement la qualité
18 des informations qu'il avait à transmettre et surtout la gravité des
19 informations qu'il avait à transmettre et qui sont donc parvenues à
20 la connaissance des services de police et de justice de la République
21 fédérale de Yougoslavie qui a jugé bon, à ce moment-là, de procéder à
22 son arrestation.
23 M. Riad. - Je vous remercie.
24 M. le Président. - Monsieur Ruez, je reviens au tout début, sur la
25 Suisse. L'informateur suisse, on n'a pas pu savoir de qui il
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1 s'agissait ?
2 M. Ruez. - Non. Sa déclaration sur ce point était de dire que parmi
3 les personnes qu'il avait aidées à franchir en Republika Srpska, l'un
4 d'entre eux avait fait la promesse de l'aider, ainsi que sa femme, à
5 se rendre en Suisse si lui-même franchissait la frontière et venait
6 en Republika Srpska, mais une fois arrivée en Republika Srpska, cette
7 personne n'aurait pas donné suite aux promesses et s'en est suivie la
8 nécessité pour lui de trouver des subsides et de s'engager dans
9 l'armée à ce moment-là, ce qui lui paraissait être, d'après les
10 recommandations qui lui avaient été faites, la seule solution pour
11 pouvoir survivre dans l'environnement qui était désormais le sien.
12 M. le Président. - Mais sur ces deux points, comme sur les hommes
13 qu'il aurait sauvés, le Bureau du Procureur n'a pas d'éléments
14 particuliers ?
15 M. Ruez. - Non, sur ces points-là, nous nous reposons exclusivement
16 sur ses propres déclarations.
17 M. le Président. - Donc vous conviendrez avec moi que l'ensemble des
18 circonstances atténuantes -que je pense Me Babic aura à coeur de
19 développer- repose sur les déclarations de M. Erdemovic lui-même.
20 M. Ruez. - Pour l'ensemble des circonstances atténuantes, je ne sais
21 pas. Pour ce qui est de son apport à l'enquête et de la corroboration
22 des faits qu'il a dénoncés, le résultat de l'enquête est en mesure de
23 démontrer qu'il n'a rien inventé sur ces points-là. Pour ce qui est
24 de sa situation personnelle, elle n'était pas l'objet de l'enquête et
25 nous nous reposons exclusivement, à ce stade, sur ses propres
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1 déclarations.
2 M. le Président. - C'est vrai, mais sa situation personnelle fait
3 partie quand même d'un des deux critères que le Tribunal doit
4 utiliser pour appliquer une sentence...
5 M. Ruez. - Je l'entends bien.
6 M. le Président. - ...Et c'est l'accusation qui accuse. Bien. Comment
7 interprétez-vous le revirement de la République fédérale de
8 Yougoslavie ? Vous dites finalement qu'il a été arrêté parce qu'il
9 avait donné des renseignements particulièrement fiables.
10 M. Ruez. - Non, je dis qu'il a été arrêté car, à l'occasion de ces
11 contacts, les autorités de la République fédérale de Yougoslavie ont
12 donc été informées de la gravité des faits auxquels il avait
13 participé et ont jugé bon, à cette occasion, de procéder
14 immédiatement à son arrestation, sans attendre plus avant quelle
15 allait être la suite de ses événements personnels.
16 M. le Président. - C'est une question qu'il faudrait peut-être poser
17 à M. le Procureur : comment interprétez-vous la relative
18 collaboration de la part d'un pays qui, il faut bien le dire, jusqu'à
19 présent n'a pas manifesté une grande force de collaboration à l'égard
20 du Tribunal ? Est-ce que vous avez une idée sur cette question ?
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pour répondre, je me suis
22 souvent posé la même question, Monsieur le Président, mais je n'ai
23 pas été à même d'y répondre jusqu'ici et je ne peux pas le faire
24 aujourd'hui.
25 M. le Président. - Maître Babic, vous avez entendu la question ?
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1 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - - Oui.
2 M. le Président. - Vous avez une idée des causes de ce revirement en
3 fin de compte ?
4 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Permettez-moi de dire
5 tout d'abord que les organes judiciaires de la République fédérale de
6 Yougoslavie ont entendu l'accusé Erdemovic, qu'après l'avoir entendu,
7 ils ont décidé de lancer une enquête et d'entamer des poursuites
8 judiciaires pour infractions, crimes contre la population civile qui
9 relèvent de l'article 142 du Code pénal de la République fédérale de
10 Yougoslavie. Je dis bien de Yougoslavie. Puisqu'à cette occasion,
11 j'étais également le conseil de l'accusé Erdemovic, je sais que les
12 organes les plus élevés du pouvoir ont pris la décision que l'accusé
13 Erdemovic devait être transféré à La Haye. Sur les motivations de
14 cette décision, je ne peux pas me prononcer. Je ne peux dire que ce
15 qui suit : l'accusé Erdemovic a affirmé clairement, devant le juge
16 d'instruction, devant le Tribunal de Novi Sad, a déclaré qu'il
17 souhaitait répéter ses déclarations devant ce Tribunal, ici.
18 M. le Président. - Je vais poursuivre la question, excusez-moi. Je
19 comprends très bien, vous me dites très bien qu'à Belgrade, on a donc
20 entamé une procédure criminelle à l'encontre de votre client...
21 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - A Novi Sad.
22 M. le Président. - A Novi Sad. Est-ce que vous avez connaissance
23 qu'on ait entrepris d'autres procédures, notamment sur les supérieurs
24 d'Erdemovic ? Ou est-ce qu'on en est resté à M. Erdemovic ?
25 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le Président,
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1 pour que des poursuites soient engagées contre les auteurs d'autres
2 crimes, tant que personne n'est concerné, les organes suprêmes et
3 officiels de Yougoslavie ne sont pas concernés non plus, ne sont pas
4 impliqués. Mais dans ce cas, la loi prévoit que c'est le Tribunal
5 compétent à l'endroit de l'arrestation qui agit. Je crois savoir que
6 les autres personnes dont M. Erdemovic a parlé ne se trouvaient pas
7 sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie et que
8 donc ces organes n'étaient pas compétents. Cela c'est une chose.
9 Maintenant, une deuxième chose. C'est que les poursuites pénales
10 engagées l'ont été non seulement contre Erdemovic, mais aussi contre
11 Kremenovic -que M. Erdemovic a mentionné dans sa déclaration- qui
12 n'est pas poursuivi pour crimes de guerre ou pour crimes contre
13 l'humanité, mais pour les actes commis contre la population civile et
14 également pour avoir caché le fait qu'il était l'auteur d'un crime
15 grave.
16 M. le Président. - J'entends bien mais, Monsieur, on a jugé à un
17 moment donné... Lorsque les autorités de la République ont décidé de
18 répondre favorablement à la demande du Tribunal, je pense c'est une
19 question qui a dû être traitée à un niveau élevé.
20 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Au niveau suprême. Au
21 niveau le plus élevé. Les décisions ont été rendues au niveau le plus
22 élevé et, à mon avis, selon mon estimation, cette décision constitue
23 une nouvelle qualité..., le signe d'une amélioration dans les
24 rapports entre la République yougoslave et le Tribunal pénal
25 international pour les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie.
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1 M. le Président. - Merci, Maître Babic. Je crois que pour
2 l'instant... Monsieur le Procureur, vous nous avez parlé de la
3 coopération, du remords. La coopération, je comprends. Le remords, je
4 suppose qu'Erdemovic ou son défenseur nous en parlera. Vous n'avez
5 pas parlé d'éventuelles circonstances aggravantes. Dois-je conclure,
6 avec mes collègues, que vous ne comptez pas souligner qu'il y a des
7 circonstances aggravantes dans la commission et dans la manière dont
8 ont été commis les crimes reconnus par l'accusé ?
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le Président, je
10 pense que l'ampleur du crime lui-même et le rôle que M. Erdemovic a
11 joué dedans sont une circonstance aggravante. C'est un crime qui est
12 avéré, des centaines de civils ont été tués. Monsieur Erdemovic, dans
13 plusieurs de ses déclarations, a reconnu avoir tué entre dix et cent
14 civils ce jour-là et j'y vois une circonstance aggravante. L'ampleur
15 du crime et le rôle que M. Erdemovic a joué dedans, rôle qui a été
16 expliqué par M. Ruez et qui a été antérieurement exposé par
17 M. Erdemovic aussi. Voilà qui, de l'avis du Procureur, représente une
18 circonstance aggravante. Nous n'avons pas l'intention de présenter
19 d'autres moyens de preuve pour ce qui est des circonstances
20 aggravantes.
21 M. le Président. - Bien. Il n'y a pas d'autres questions ? Alors nous
22 allons lever la présente audience. Nous reprendrons demain matin à
23 10 heures. Nous donnerons la parole à Me Babic pour exposer tout ce
24 qui concerne les circonstances atténuantes, puisque telle est la
25 ligne de défense adoptée par son client. Nous verrons si,
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1 éventuellement, il faut réentendre en qualité de témoin M. Erdemovic
2 et c'est demain matin, je suppose, Maître Babic, que nous entendrons
3 vos deux témoins.
4 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur le Président,
5 j'ai simplement une question que j'aimerais poser à M. Ruez si vous
6 m'y autorisez.
7 M. le Président. - Bien sûr.
8 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Pour ne pas avoir à y
9 revenir. Est-ce que, lorsqu'il a fait ses déclarations, M. Erdemovic
10 a jamais demandé quoi que ce soit à M. Ruez en termes d'aide ou de
11 monnaie d'échange pour ses déclarations ? Je crois que la question
12 est claire, n'est-ce pas ?
13 M. Ruez. - Drazen Erdemovic n'a jamais formulé la moindre demande
14 particulière. Il a toujours exposé les faits tels que nous essayons
15 de les approfondir, avec le plus de clarté possible et avec la
16 meilleure volonté possible.
17 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Et vous-même,
18 Monsieur Ruez, est-ce que vous avez offert un certain nombre
19 d'avantages à M. Erdemovic pour parler comme il l'a fait ?
20 M. Ruez. - Nullement. Sa démarche ayant eu un caractère volontaire,
21 la nécessité ne s'est jamais présentée d'utiliser le moindre artifice
22 pour obtenir des informations de Drazen Erdemovic.
23 Me Babic (interprétation du serbo-croate). - Merci, je n'ai pas
24 d'autre question.
25 M. le Président. - Une précision, Monsieur le Procureur ?
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pas d'autre question,
2 Monsieur le Président.
3 M. le Président. - L'audience est levée. Elle reprendra demain matin
4 à 10 heures. Je demande à M. le Greffier que soit préparé et mis en
5 place le dispositif pour assurer la protection des témoins X et Y.
6 Merci. L'audience est levée à 16 h 45.
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