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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-17/1-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Jeudi 10 décembre 1998
4 L'audience est ouverte à 14 h00
5 M. le Greffier (interprétation). - Il s'agit de
6 l'affaire IT-95-17/1-T, le Procureur contre Anto Furundzija.
7 Mme la Présidente (interprétation). - Merci,
8 Monsieur Furundzija, m'entendez-vous dans une langue que vous comprenez ?
9 M. Furundzija (interprétation). - Oui.
10 Mme la Présidente (interprétation). - Merci, veuillez vous
11 asseoir. Puis-je avoir les présentations de l'accusation et de la défense,
12 s'il vous plaît ?
13 Mme Hollis (interprétation). - Bonjour, je m'appelle
14 Brenda Hollis, je suis accompagnée de Mme Visers-Sellers pour le bureau du
15 Procureur.
16 Mme la Présidente (interprétation). - Merci. La défense ?
17 M. Misetic (interprétation). - Je m'appelle Luka Misetic et avec
18 Sheldon Davidson qui se trouve à mes côtés, nous représentons la défense
19 de l'accusé.
20 Mme la Présidente (interprétation). - Merci. Cet après-midi, la
21 Chambre de première instance II, rend son Jugement dans l'affaire : Le
22 Procureur contre Anto Furundzija. Le procès de M. Furundzija a débuté le
23 8 juin 1998 et s'est poursuivi jusqu'au 22 juin 1998, date de sa clôture.
24 Le Jugement étant mis en délibéré.
25 Par la suite, faisant droit à une requête déposée par la
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1 défense, la Chambre de premières instance a ordonné que le procès soit
2 rouvert. Cette seconde phase a duré quatre jours et a été close le
3 12 novembre 1998.
4 Il est reproché à l'accusé Anto Furundzija de s'être rendu
5 coupable de violations graves du droit international humanitaire, à savoir
6 de tortures constituant une violation des lois et coutumes de la guerre et
7 d'atteintes à la dignité des personnes y compris le viol constituant une
8 violation des lois et coutumes de la guerre.
9 L'acte d'accusation modifié avance que l'accusé était le
10 commandant local d'une unité spéciale de la police militaire du HVO,
11 connue sous le nom de "Jokers". A ce titre, lui et un autre soldat,
12 l'accusé B, ont interrogé le témoin A. Au cours de l'interrogatoire, un
13 couteau a été passé sur l'intérieur des cuisses et le bas-ventre du
14 témoin A et l'auteur a menacé de lui enfoncer le couteau dans le vagin, si
15 elle refusait de dire la vérité. L'acte d'accusation modifié affirme
16 également que l'accusé à continuer à interroger le témoin A et la
17 victime B pendant que ces derniers recevaient des coups de matraque sur
18 les pieds et que l'accusé est resté sans intervenir d'aucune façon alors
19 que l'on forçait le témoin A à avoir des rapports sexuels oraux et
20 vaginaux avec l'accusé B.
21 Le Jugement rendu dans cette affaire par la Chambre de première
22 instance fait une centaine de pages. C'est pourquoi, au lieu de donner
23 lecture du Jugement dans son intégralité, nous présenterons un bref résumé
24 des conclusions de la Chambre de première instance relatif aux charges
25 retenues contre l'accusé avant de passer au dispositif du Jugement.
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1 Le Jugement est constitué de neuf chapitres, le dispositif
2 compris. Nous allons brièvement passer en revue chacun de ces chapitres en
3 mettant l'accent sur le thème principal qui y est développé et sur les
4 conclusions pertinentes qui y sont formulées.
5 Le chapitre I contient une description détaillée de toute la
6 procédure suivie dans cette affaire, notamment les circonstances de
7 l'arrestation de l'accusé, son transfert au Tribunal international et sa
8 comparution initiale devant la Chambre de première instance ainsi qu'un
9 examen des questions procédurales de fond qui se sont présentées au cours
10 du procès.
11 Le chapitre II contient un résumé des arguments présentés par
12 les parties concernant les charges retenues contre l'accusé dans l'acte
13 d'accusation modifié, ainsi que les faits sur lesquels elles reposent.
14 Le chapitre III reprend les conditions préalables nécessaires à
15 l'application de l'article 3, à savoir l'existence d'un conflit armé. A
16 cet égard, le Chambre de première instance estime que les critères fixés
17 par la Chambre d'appel du Tribunal international dans l'affaire Tadic sont
18 appropriés pour déterminer l'existence d'un conflit armé.
19 Sur la base des arguments présentés par les deux parties, la
20 Chambre de première instance estime que pendant toute la période couverte
21 par l'acte d'accusation, un état de conflit armé existait en
22 Bosnie-Herzégovine centrale entre le Conseil Croate de Défense (HVO) et
23 l'armée de Bosnie-Herzégovine (l'ABIH).
24 Au chapitre IV, la Chambre de première instance conclut qu'il
25 existe un lien entre ce conflit armé et les faits à l'origine des charges
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1 retenues contre l'accusé.
2 Le chapitre V porte sur les éléments de preuve ayant trait aux
3 charges figurant dans l'acte d'accusation modifié. Ce chapitre commence
4 par passer en revue les éléments de preuve pertinents et les arguments
5 présentés par les parties au procès, puis se poursuit par un examen du
6 contexte général et des circonstances ayant menées aux événements très
7 importants qui se seraient produits dans le Bungalow et le Chalet d'été de
8 Nadioci. Sont ensuite analysés les éléments de preuve portant sur les
9 actes engageant la responsabilité pénale individuelle de l'accusé et
10 notamment désignant Anto Furundzija comme une des personnes ayant
11 participé à ces actes criminels.
12 La section suivante de ce chapitre restitue la réouverture du
13 procès dans son contexte procédural et contient une analyse des moyens de
14 preuve relatifs à la question se
15 trouvant au coeur de cette affaire. A savoir, dans quelles mesures la
16 fiabilité de la déposition du témoin A a pu être entamée par un éventuel
17 trouble psychologique provoqué par les épreuves traumatisantes qu'elle a
18 subies. A cet égard, la Chambre examine les moyens de preuve présentés par
19 les témoins experts de l'accusation et de la défense sur la question du
20 syndrome de stress post-traumatique (PTSD) et ses effets potentiels sur la
21 mémoire.
22 La Chambre estime que les souvenirs du témoin A portant sur les
23 aspects importants des événements tragiques qu'elle a vécus n'ont pas été
24 affectés par un quelconque trouble dont elle aurait pu souffrir. La
25 Chambre de première instance fait observer que les témoignages des experts
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1 prouvent que même lorsqu'une personne est atteinte de PTSD, elle peut
2 néanmoins demeurer un témoin fiable et considère donc le témoignage du
3 témoin A recevable, estimant que ses souvenirs des aspects importants des
4 événements en question sont suffisants.
5 La Chambre de première instance examine ensuite les incohérences
6 qui entachent la déposition du Témoin A et conclut à sa fiabilité globale.
7 Le chapitre V se termine par les conclusions factuelles de la
8 Chambre relatives aux événements allégués dans l'acte d'accusation
9 modifié.
10 Dans le chapitre VI, la Chambre entame l'examen critique des
11 éléments constitutifs de chacun des crimes figurant dans l'acte
12 d'accusation.
13 Ce chapitre contient une analyse exhaustive de la nature et de
14 la valeur de l'interdiction de la torture en droit international
15 conventionnel et coutumier et propose également une définition de la
16 torture conforme au droit international humanitaire.
17 A cet égard, la Chambre considère que l'interdiction de la
18 torture a désormais valeur de jus cogens. En outre, les critères retenus
19 par la Chambre pour définir le crime de torture sont les suivants : le
20 fait d'infliger intentionnellement par un acte ou une omission, une
21 douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, aux fins
22 d'obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, intimider,
23 humilier ou contraindre la victime ou une tierce personne ou de les
24 discriminer pour quelque raison que ce soit.
25 Pour qu'un tel acte constitue un acte de torture, l'une des
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1 parties doit être responsable officielle ou doit, en tout cas, ne pas agir
2 à titre privé, mais par exemple en tant qu'organe de fait d'un Etat ou de
3 toutes autres entités investies d'un pouvoir.
4 Ce chapitre se poursuit par l'examen de l'interdiction pesant
5 sur le viol et autres agressions sexuelles graves en droit international.
6 La Chambre de premières instance estime qu'il est indiscutable que le viol
7 et autres agressions sexuelles graves perpétrées dans des situations de
8 conflits armés engagent la responsabilité pénale de leurs auteurs.
9 A cet égard, la Chambre de première instance souscrit à la
10 conclusion formulée récemment par la Chambre de première instance II du
11 TPIY, dans Le Procureur contre Delalic et consorts, selon laquelle dans
12 certaines circonstances le viol peut constituer un acte de torture en
13 vertu du droit international. Cependant la présente Chambre de première
14 instance a jugé bon d'élargir la définition de viol d'abord formulée par
15 la Chambre de première instance I du Tribunal pénal international pour le
16 Rwanda dans Akayesu et reprise dans le Jugement Delalic.
17 Ainsi, la Chambre estime que la définition qui suit énonce les
18 éléments nécessaires pour que le viol soit constitué au regard du droit
19 pénal international. La pénétration sexuelle, fut-elle légère du vagin ou
20 de l'anus de la victime par le pénis ou tout autre objet utilisé par le
21 violeur ou de la bouche de la victime par le pénis du violeur, par
22 l'emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime
23 ou une tierce personne.
24 A la section B du chapitre VI, la Chambre de première instance
25 s'attache à analyser le contenu des différentes rubriques sous lesquelles
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1 la responsabilité pénale individuelle d'un individu peut être engagée aux
2 termes de l'article 7 1) du Statut du Tribunal pénal international.
3 A cet égard, la Chambre estime qu'il est nécessaire que les éléments
4 suivants soient réunis afin que la complicité (aiding and abetting) soit
5 établie : un actus reus ou élément matériel nécessitant une aide pratique,
6 un encouragement ou un soutien moral ayant un effet important sur la
7 perpétration du crime et additionnellement une mens rea ou intention
8 délictueuse exigeant du complice qu'il sache que son aide contribue à la
9 perpétration du crime.
10 La Chambre de première instance énonce ensuite les principes de
11 responsabilité pénale individuelle dans le contexte de la torture et
12 conclut qu'un accusé qui, en d'autres circonstances, verrait sa
13 responsabilité engagée en tant que complice de torture, en application de
14 la norme énoncée précédemment, sera tenu responsable en tant que coauteur
15 de l'acte de torture. Lorsque l'accusé prend part personnellement à l'acte
16 de torture et adhère à l'objectif répréhensible le motivant, à savoir
17 l'intention d'obtenir des renseignements ou des aveux, de punir,
18 d'intimider, d'humilier ou de contraindre ou de discriminer une victime ou
19 une tierce personne.
20 Le chapitre VII du Jugement expose les conclusions juridiques de
21 la Chambre de première instance relatives à chacune des charges énoncées
22 dans l'acte d'accusation et reprochées à l'accusé.
23 Monsieur Furundzija, veuillez vous lever, s'il vous plaît et
24 restez debout, afin d'entendre le Jugement rendu par cette Chambre.
25 Par ces motifs, vu tous les éléments de preuve, les conclusions
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1 des parties et le Statut et le Règlement du Tribunal par lesquels elle est
2 liée, la Chambre de première instance déclare l'accusé Anto Furundzija,
3 pour le chef 13, en tant que coauteur, coupable de violation des lois ou
4 coutumes de la guerre, torture. Pour le chef 14, en tant que complice,
5 coupable d'une violation des lois ou coutumes de la guerre, atteinte à la
6 dignité des personnes, y compris viol.
7 Conformément à l'article 85 (A) (iv) du Règlement de procédure
8 et de preuve, la Chambre de première instance a entendu les conclusions de
9 l'accusation et de la défense sur la peine à appliquer dans cette affaire
10 le 22 juin 1998.
11 Elle expose ses propres conclusions au chapitre 8 de ce
12 Jugement. La Chambre de première instance considère que la condamnation
13 doit tenir compte de plusieurs circonstances aggravantes et atténuantes,
14 ainsi que de la grille générale des peines appliquées en ex-Yougoslavie.
15 La Chambre de première instance prononce la peine suivante :
16 Chef 13. Pour acte de torture constituant une violation des lois
17 et coutumes de la guerre, la Chambre de première instance vous condamne,
18 Anto Furundzija, à 10 ans d'emprisonnement.
19 Chef 14 : Pour atteinte à la dignité des personnes, y compris
20 pour viol, constituant une violation des lois ou coutumes de la guerre, la
21 Chambre de première instance vous condamne, Anto Furundzija à 8 ans
22 d'emprisonnement.
23 Vous pouvez vous asseoir.
24 La Chambre de première instance ordonne la confusion des deux
25 peines.
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1 En outre, aux termes de l'article 101 D) du Règlement de
2 procédure et de preuve, une personne condamnée par le Tribunal
3 international peut déduire de la durée de sa peine la période pendant
4 laquelle elle a été gardée à vue en attendant d'être remise au Tribunal ou
5 en attendant d'être jugée par une Chambre de première instance ou par la
6 Chambre d'appel. Ainsi, 11 mois et 22 jours seront déduits de la peine
7 prononcée aujourd'hui contre Anto Furundzija ainsi que toute la durée qui
8 le sépare d'une éventuelle décision finale en appel.
9 Aux termes de l'article 102 du Règlement de procédure et de
10 preuve, la sentence d'Anto Furundzija, sous réserve de la déduction
11 susmentionnée, commence à s'appliquer dès aujourd'hui.
12 En application de l'article 27 du Statut et de l'article 103 du
13 Règlement, Anto Furundzija purgera sa peine dans un Etat choisi par le
14 Président du Tribunal international. Le transfert d'Anto Furundzija vers
15 l'Etat choisi sera effectué dès que possible après expiration du délai
16 prévu pour interjeter appel.
17 Au cas où un acte d'appel serait déposé, le transfert de
18 l'accusé, Anto Furundzija, s'il est rendu nécessaire par la décision prise
19 en appel, sera effectué dès que possible après que la
20 Chambre d'appel aura statué.
21 Jusqu'à la date de son transfert, Anto Furundzija demeurera sous
22 la garde du Tribunal international, conformément à l'article 102 du
23 Règlement.
24 Ainsi se conclut le Jugement rendu par cette Chambre de première
25 instance.
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1 L'audience est maintenant levée.
2 L'audience est levée à 14 heures 15.
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