Affaire n° : IT-98-29-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Fausto Pocar, Président
M. le Juge Mohamed Shahabudden
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Theodor Meron
M. le Juge Wolfgang Schomburg

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
16 février 2006

LE PROCUREUR

c/

STANISLAV GALIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE D’ACCÈS AUX DOCUMENTS CONFIDENTIELS DÉPOSÉS DANS L’AFFAIRE GALIC PRÉSENTÉE PAR MOMCILO PERISIC

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Le Bureau du Procureur :

Mme Helen Brady
M. Chester Stamp
Mme Sureta Chana

Les Conseils de l’Accusé :

Mme Mara Pilipovic
M. Stephane Piletta-Zanin

Le Conseil du Requérant Momcilo Perisic :

M. James Castle

1. La Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international ») est saisie d’un appel formé contre le Jugement rendu en l’espèce le 5 décembre 2003 par la Chambre de première instance I. La Chambre d’appel est également actuellement saisie de la demande (Applicant’s Motion Seeking Access to Confidential Material in the Galic Case with Appendix A) déposée le 16 novembre 2005 (la « Demande d’accès ») par le conseil de Momcilo Perisic (le « Requérant »), accusé dans une autre affaire portée devant le Tribunal international1, demande par laquelle le Requérant sollicite l’accès à tous les documents confidentiels présentés et utilisés dans l’affaire Galic, notamment aux pièces à conviction, aux comptes rendus des audiences à huis clos et aux écritures déposées par les parties.

2. Dans sa réponse (Prosecution Response to the Request of Momcilo Perisic for Confidential Material in the Stanislav Galic Case) déposée le 28 novembre 2005 (la « Réponse  »), l’Accusation explique qu’elle ne voit pas d’objection à ce qu’une ordonnance permette au Requérant de prendre connaissance des documents confidentiels, dans les conditions définies plus loin. Stanislav Galic n’a pas déposé de réponse à la Demande d’accès. Le Requérant n’a pas déposé de réplique.

I. LE DROIT D’ACCES ET LA DEMANDE DU REQUERANT

3. La Chambre d’appel a jugé qu’un accusé qui demande à consulter des documents confidentiels déposés dans une autre affaire obtiendra gain de cause, sous réserve des mesures de protection appropriées, pour autant que ceux-ci sont « susceptibles de l’aider de manière substantielle à présenter sa cause ou […] qu’il existe de bonnes chances qu’il en soit ainsi », et que cette condition est remplie dès lors qu’il est établi un lien de fait entre les deux affaires2.

4. Le Requérant fait valoir qu’il existe des « recoupements manifestes » entre son affaire et celle de Galic3. Il souligne qu’il doit répondre en tant que « supérieur hiérarchique d’actes criminels qui auraient été commis […] par des personnes qui sont désignées comme ses subordonnés. […] L’Accusé dans l’affaire Galic est qualifié de subordonné dans l’Acte d’accusation du Requérant […] qui doit en sa qualité de supérieur hiérarchique répondre des actes de Galic. Les faits et les circonstances des accusations et des preuves contre Galic sont donc pertinents4 ».

5. L’Accusation convient qu’il existe un lien entre les affaires et ne s’oppose pas à ce que le Requérant obtienne communication des documents confidentiels5.

6. La Chambre d’appel est d’accord avec le Requérant et l’Accusation, pour dire qu’il existe un lien important entre les deux affaires, qui justifierait que le Requérant puisse prendre connaissance des documents confidentiels déposés dans l’affaire Galic – dans les conditions énoncées plus loin. Comme l’explique le Requérant, les événements dans l’affaire Galic sont étroitement liés aux accusations portées contre lui. L’Acte d’accusation établi à l’encontre du Requérant désigne le général Galic comme son subordonné et il doit répondre, en sa qualité de supérieur hiérarchique, des agissements de Galic liés aux crimes qui ont été commis à Sarajevo et alentour entre août 1993 et août 19946. En outre, à l’appui de l’acte d’accusation établi contre le Requérant, l’Accusation a présenté un document (Prior Judgements and Decisions the Prosecution Relies on for Confirmation of the Indictment), dont une copie est jointe à la Demande d’accès (Annexe A). Ce document indique que l’Accusation a l’intention de se prévaloir en l’espèce de certaines conclusions tirées par la Chambre de première instance dans l’affaire Galic. De plus, le Requérant fait également valoir qu’à la première conférence de mise en état qui a été tenue dans l’affaire Perisic, l’Accusation a expressément reconnu qu’il devrait avoir accès aux documents confidentiels déposés dans l’affaire Galic, et a demandé à la Défense de présenter une requête en ce sens plutôt que de s’adresser directement à elle pour en obtenir communication en application de l’article 68 du Règlement, point que l’Accusation ne conteste pas7.

II. CONDITIONS

7. L’Accusation demande que l’accès soit subordonné à trois conditions : les mesures de protections doivent être appliquées ; il ne devrait être donné copie des documents communiqués dans le cadre de l’article 70 du Règlement qu’avec le consentement de la personne ou l’entité qui les a fournis ; et aucun document ex parte ne sera communiqué.

A. Mesures de protection

8. L’Accusation demande que les mêmes mesures de protection soient appliquées à Galic et au Requérant. Autrement dit, le Requérant « devrait recevoir copie des […] documents déposés dans l’affaire Galic, exactement comme il en a été donné copie à l’équipe de la défense de Galic, sous couvert des mêmes mesures de protection, et notamment avec les mêmes expurgations8  ». L’Accusation demande également à pouvoir solliciter au besoin d’autres mesures de protection et expurgations, et prie la Chambre d’appel d’ordonner « des mesures de protection de nature à préserver la confidentialité des documents en question 9 ».

9. Dans sa Demande d’accès, le Requérant s’est engagé à observer toutes les mesures de protection, aussi bien celles qui existent déjà que les nouvelles appliquées par la Chambre d’appel10.

10. Une fois qu’elle a donné l’accès aux documents confidentiels déposés dans le cadre d’une autre affaire, la Chambre d’appel décide des autres mesures de protection nécessaires pour « trouver un juste équilibre entre le droit qu’ont les parties de consulter les documents pour préparer leur cause et la protection et l’intégrité des informations confidentielles11  ».

11. Comme les mesures de protection ordonnées dans le cadre d’une affaire « continuent de s’appliquer mutatis mutandis dans toute autre affaire portée devant le Tribunal12 », et comme aucune des parties ne s’oppose au maintien des mesures de protection existantes, celles-ci continueront à s’appliquer à tous les documents communiqués au Requérant. L’Accusation et Stanislav Galic pourront également demander des mesures de protection supplémentaires s’ils le souhaitent. La Chambre d’appel prendra une décision après qu’une telle demande lui aura été présentée, arguments à l’appui.

B. L’article 70 du Règlement

12. L’article 70 B) du Règlement dispose que si l’Accusation possède des informations « qui ont été communiquées à titre confidentiel et dans la mesure où ces informations n’ont été utilisées que dans le seul but de recueillir des éléments de preuve nouveaux, le Procureur ne peut divulguer ces informations initiales et leur source qu’avec le consentement de la personne ou de l’entité les ayant fournies13  ». Aux termes de l’article 70 F) du Règlement, les Chambres de première instance peuvent décider d’appliquer les mêmes restrictions à des informations spécifiques détenues par l’accusé. La Chambre d’appel a déjà jugé que les pièces relevant de l’article 70 du Règlement ne devaient être communiquées à un accusé dans une autre affaire que si la personne ou l’entité les ayant fournies avait donné son consentement 14.

13. L’Accusation affirme que certains des documents dont il est question ici peuvent avoir été fournis dans le cadre de l’article 70 du Règlement15. D’après l’Accusation, les personnes ou entités ayant fourni des documents dans le cadre de l’article 70 du Règlement acceptent souvent qu’il en soit donné communication dans une affaire déterminée, et exclusivement dans cette affaire16. C’est pourquoi, dit-elle, elle demandera aux personnes ou entités ayant fourni ces documents si elles consentent à ce qu’ils soient communiqués au Requérant17. Le Requérant ne s’est pas opposé à ce que l’Accusation consulte les personnes ou entités ayant fourni les documents dans le cadre de l’article 70 du Règlement. Par conséquent, il ne lui sera donné copie des documents qui ont été communiqués à l’Accusation dans le cadre de l’article 70 B) du Règlement, et de ceux qui peuvent avoir été communiqués à la Défense de Galic dans le cadre de l’article 70 F) du Règlement, qu’avec le consentement préalable de la personne ou l’entité les ayant fournis.

C. Les écritures déposées ex parte

14. L’Accusation s’oppose à la communication de tous les documents ex parte qui ont été déposés dans l’affaire Galic18.

15. Le Requérant ne précise pas dans sa demande s’il sollicite l’accès aux documents ex parte, et il n’a pas répondu à l’Accusation qui affirmait qu’il n’avait pas demandé un tel accès. La Chambre d’appel conclut donc que le Requérant ne demande pas à consulter les documents ex parte.

III. DISPOSITIF

16. Par ces motifs, la Chambre d’appel FAIT PARTIELLEMENT DROIT à la Demande d’accès, et autorise la communication au Requérant de tous les documents classés inter partes et confidentiels de l’affaire Galic, aux conditions spécifiées ci-dessous.

17. La Chambre d’appel ORDONNE à l’Accusation et la Défense de Galic de :

a) Faire connaître à la Chambre d’appel et au Greffe, dans les 10 jours ouvrables suivant la date de la présente décision, les pièces qui ont été fournies dans le cadre de l’article 70 du Règlement, si tant est qu’il y en ait ;

b) Demander, dans les 15 jours ouvrables de la date de la présente décision, aux personnes ayant fourni les documents dans le cadre de l’article 70 du Règlement l’autorisation de les communiquer aux Accusés.

18. La Chambre d’appel DEMANDE au Greffe de :

a) Conserver tous les documents communiqués dans le cadre de l’article 70 du Règlement, et signalés comme tels par l’Accusation ou la Défense de Galic, tant que la réponse des personnes ou des entités les ayant fournis ne lui aura pas été transmise ;

b) Communiquer au Requérant, à son conseil et à tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilités par eux, tous ces documents, si possible sous format électronique, une fois que les personnes ou entités ayant fourni ces documents auront consenti à leur communication ;

c) Conserver ces documents si les personnes ou entités qui les ont fournis ont refusé qu’ils soient communiqués.

19. La Chambre d’appel ORDONNE à l’Accusation et à Stanislav Galic de demander si besoin est à la Chambre d’appel des mesures de protection supplémentaires ou des expurgations dans les 15 jours ouvrables de la présente décision.

20. La Chambre d’appel DIT que :

a) Si aucune mesure de protection supplémentaire n’est demandée dans les 15 jours ouvrables suivant la date de la présente décision, et si les documents n’ont pas, dans les 10 jours ouvrables de la décision, été signalés par l’Accusation ou la Défense de Galic comme ayant été communiqués dans le cadre de l’article 70 du Règlement, le Greffe communiquera au Requérant, à l’ensemble de ses conseils et à tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilité par eux les documents confidentiels inter partes dont la Chambre d’appel autorise l’accès, si possible sous forme électronique ;

b) Si des mesures de protection supplémentaires sont demandées, le Greffe conservera les documents jusqu’à ce que la Chambre d’appel ait tranché la question ;

c) Si la Chambre d’appel rejette la ou les demande(s) en question, le Greffe communiquera au Requérant, à l’ensemble de ses conseils et à tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilité par eux les documents confidentiels inter partes dont la Chambre d’appel autorise l’accès, si possible sous forme électronique.

21. Si la Chambre d’appel accueille la (les) demande(s) en question, la (les) partie (s) sollicitant des expurgations sera (seront) tenue(s) d’y procéder et communiquera (communiqueront) au Greffe les documents confidentiels expurgés inter partes pour que celui-ci les transmette au Requérant, à l’ensemble de ses conseils et à tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilité par eux, si possible sous forme électronique.

22. À moins que la présente décision n’en dispose autrement, la Chambre d’appel ORDONNE que les documents confidentiels inter partes communiqués par le Greffe restent soumis à toute mesure de protection ordonnée précédemment par la Chambre de première instance.

23. Sauf autorisation expresse de la Chambre d’appel estimant qu’il a été suffisamment démontré que la communication à des tiers des documents confidentiels inter partes décrits plus haut est absolument nécessaire à la préparation de la défense du Requérant, ce dernier, l’ensemble de ses conseils et tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilité par eux à consulter lesdits documents s’abstiendront  :

a) De communiquer à des tiers le nom des témoins, leurs coordonnées, le compte rendu de leur déposition, les pièces à conviction ou toute information qui pourrait permettre de les identifier et violerait la confidentialité des mesures de protection déjà en place ;

b) De communiquer à des tiers tout élément de preuve documentaire ou autre, toute déclaration écrite d’un témoin, ou le contenu, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou témoignage préalable confidentiels ; ou

c) D’entrer en contact avec tout témoin dont l’identité fait l’objet de mesures de protection.

24. Si, pour les besoins de la préparation de la défense du Requérant, des documents confidentiels sont communiqués à des tiers – sur autorisation de la Chambre d’appel  – toute personne qui obtiendra communication de ces documents sera informée qu’il lui est interdit de copier, reproduire ou rendre publique, en tout ou en partie, toute information confidentielle, ou de la révéler à toute autre personne ; en outre, si une personne a reçu une telle information, elle devra la restituer à l’équipe de la Défense du Requérant dès qu’elle n’en aura plus besoin pour la préparation de sa défense.

25. Aux fins des paragraphes qui précèdent, ne sont pas des tiers : i) le Requérant, ii) ses conseils, iii) tout employé ayant reçu des instructions de ces derniers ou habilité par eux à consulter les documents confidentiels et iv) le personnel du Tribunal international, dont les membres du Bureau du Procureur.

26. Si un conseil du Requérant ou un membre des équipes de la Défense autorisé à consulter les documents confidentiels se retire de l’affaire, il restituera au Greffe du Tribunal international tout document confidentiel dont la présente décision lui a permis de prendre connaissance et qui demeurerait en sa possession.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 16 février 2006
La Haye

Le Président
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Fausto Pocar

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Perisic, affaire n° IT-04-81-PT.
2. Le Procureur c/ Blagojevic et Jokic, affaire n° IT-02-60-A, Décision relative aux demandes d’accès aux documents confidentiels (la « Décision Blagojevic »), 16 novembre 2005, par. 6 et 8.
3. Demande aux fins d’accès, par. 11.
4. Ibidem.
5. Voir Réponse, par. 2 et 3.
6. Le Procureur c/ Delic, affaire nº IT-04-81-PT, Acte d’accusation modifié, 26 septembre 2005, par. 40 à 46.
7. Demande aux fins d’accès, par. 13.
8. Réponse, par. 4.
9. Ibidem, par. 7 et 8.
10. Demande aux fins d’accès, par. 9 et 10.
11. Décision Blagojevic et Jokic, par. 16.
12. Article 75 F) i) du Règlement.
13. Article 70 B) du Règlement.
14. Voir Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, affaire n° IT-98-34-A, Décision relative à la requête de Slobodan Praljak aux fins d’avoir accès aux témoignages et documents confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Mladen Naletilic et Vinko Martinovic et à la notification par laquelle Jadranko Prlic se joint à ladite requête, 13 juin 2005, p. 8 (la « Décision Naletilic »).
15. Réponse, par. 5.
16. Ibidem.
17. Ibid.
18. Ibid., par. 6 et note 3.