LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le :
27 juillet 2000

LE PROCUREUR

C/

STANISLAV GALIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE PRÉSENTÉE PAR LA DÉFENSE

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Le Bureau du Procureur :

M. Franck Terrier

Le Conseil de la défense :

M. Nikola Kostich

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal international»),

VU la «Demande de mise en liberté provisoire» présentée par la défense (la «Demande») et la «Déclaration sur les requêtes de l'accusé» à l'appui de la Demande, toutes deux datées du 7 avril 2000 et déposées le 13 avril 2000, par lesquelles la défense demande que l'accusé soit mis en liberté provisoire en application de l'article 65 du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»),

VU la «Réponse du Procureur à la Demande de mise en liberté provisoire déposée par la défense» datée du 20 avril 2000 (la «Réponse du Procureur»), dans laquelle l'accusation soutient que la Demande doit être rejetée,

VU l'«Ordonnance relative à la Demande de mise en liberté provisoire présentée par la défense», rendue le 11 mai 2000 par la Chambre de première instance et fixant au 18 mai 2000 la tenue d'une audience consacrée à la Demande ; la «Requête de la défense aux fins du report de l'audience relative à la mise en liberté provisoire», datée du 11 mai 2000 et la «Décision reportant l'audience sur une demande de mise en liberté provisoire», en date du 17 mai 2000 et fixant au 8 juin 2000 la tenue de cette audience,

ATTENDU qu'à l'audience du 8 juin 2000, le conseil de la défense n'a pas été en mesure d'exposer ses arguments à l'appui de la Demande ; que la Chambre de première instance a accordé oralement à la défense 15 jours supplémentaires, soit jusqu'au 23 juin 2000, pour qu'elle termine de déposer les documents nécessaires à sa Demande et qu'en outre, la Chambre a autorisé l'accusation à présenter une réponse1,

VU la «Déclaration de la défense relative à la Demande de mise en liberté provisoire» du 23 juin 2000 (la «Déclaration de la défense») et les «Observations complémentaires du Procureur sur la réplique de la défense et les documents produits à l'appui de la demande de mise en liberté » du 29 juin 2000 (les «Observations complémentaires du Procureur»),

ATTENDU qu'en application de l'«Ordonnance portant calendrier» rendue le 4 juillet 2000 par la Chambre de première instance, les parties ont présenté oralement leurs arguments relatifs à la Demande lors de l'audience du 10 juillet 2000,

VU l'article 65 du Règlement,

ATTENDU que ni la Demande ni la «Déclaration sur les requêtes de l'accusé» où figurent «[l]es antécédents de l’accusé, sa situation lors de son arrestation ainsi que d’autres renseignements biographiques»2, ne présentent des arguments concernant la question de fond soulevée par la Demande,

ATTENDU que dans la Réponse du Procureur s’opposant à la Demande, l'accusation fait valoir que :

i) la détention préventive est la règle et non l'exception ;

ii) aucune des garanties requises à l’article 65 B), à savoir que l’accusé se représentera et qu’il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne, n’a été apportée par l'accusé;

iii) les circonstances particulières de l'espèce commandent le rejet de la Demande de mise en liberté,

VU la «Réplique de la défense à la Réponse du Procureur en opposition à la Demande de mise en liberté provisoire» (la «Réplique de la défense»), par laquelle cette dernière renouvelle sa demande de mise en liberté de l’accusé afin qu’il puisse aider sa famille financièrement et participer plus activement à la préparation de sa défense et fait valoir que :

i) l'article 65 B) du Règlement doit être appliqué en fonction des circonstances particulières de chaque affaire, la question étant de savoir s'il existe une forte probabilité pour que l’accusé passe outre l’une quelconque des conditions requises à l’article 65 B) ;

ii) l'accusé est en mesure de garantir qu'il se représentera au procès : la Republika Srpska est à la fois compétente pour fournir des garanties de coopération et disposée à le faire (une copie d'une lettre du conseil de la défense demandant la coopération de la Republika Srpska figure en annexe de la Déclaration de la défense) ; l'accusé se serait volontairement rendu au Tribunal s'il avait su qu'il faisait l'objet d'un acte d'accusation et il n'a pas tenté de s'échapper ou de résister lors de son arrestation ;

iii) l'accusé ne menacera pas les victimes ou témoins allégués ;

iv) l'éloignement de la date d'ouverture du procès plaide en faveur de la mise en liberté provisoire : il y a peu de chances que le procès commence rapidement compte tenu du temps nécessaire à la préparation de la défense,

ATTENDU qu'à la suite de la Déclaration de la défense, figurent également des déclarations de l'accusé et de son épouse concernant la vie et les activités de l'accusé et indiquant que ce dernier s'engage à respecter toute condition fixée par la Chambre de première instance s'il est remis en liberté,

VU les Observations complémentaires du Procureur dans lesquelles l'accusation soutient que :

i) le risque que l'accusé ne se représente pas demeure malgré les déclarations faites par ce dernier et son épouse, comme en témoigne la lettre du 16 septembre saisie sur l’accusé lors de son arrestation (annexée aux Observations complémentaires du Procureur), et par laquelle il sollicitait auprès du ministère de la défense à Belgrade l'attribution d'un logement en République fédérale de Yougoslavie ;

ii) il n'existe aucune offre officielle de garanties données par les autorités de la Republika Srpska à la Chambre de première instance ;

iii) à ce jour, la période de détention préventive n'est en rien déraisonnable et affirmer que le procès ne débutera pas avant une longue période n'est que spéculation,

ATTENDU que lors de l'audience consacrée à la Demande3, la défense a présenté des arguments au sujet de la correspondance entre l'accusé et le ministère de la défense à Belgrade, déclarant que l'accusé n'avait jamais eu l'intention de quitter Banja Luka, qu'il avait sollicité l'attribution d'un logement en République fédérale de Yougoslavie pour de toutes autres raisons et qu'il n'avait pas fait appel du rejet de sa demande de logement ; que par ailleurs, l'accusé avait vécu à Banja Luka, sans se cacher, durant les années qui ont précédé son arrestation ; que l'acte d'accusation le mettant en cause avait été déposé sous scellés et que la coopération de la Republika Sprska avec le Tribunal s'était améliorée, comme en témoignaient notamment d'autres exemples de mise en liberté provisoire,

ATTENDU que lors de cette audience, l'accusation a soutenu que les conditions énoncées à l'article 65 B) n'étaient pas remplies4 ; faisant valoir par ailleurs que l'accusé n'avait pas établi que le pays hôte accepterait qu'il entre à nouveau aux Pays-Bas s'il était libéré,

VU l'ensemble des arguments exposés tant à l'oral qu'à l'écrit et des pièces justificatives présentés par la défense et l'accusation,

ATTENDU que bien que l'article 65 B) du Règlement, tel que modifié, n'impose plus à un accusé de démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles pour qu'il soit fait droit à sa demande de mise en liberté, cette modification n'affecte en rien les autres conditions fixées par l'article,

ATTENDU qu'il convient d'accorder la mise en liberté provisoire au vu des circonstances particulières de chaque espèce et qu'elle ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance «qu'après avoir entendu le pays hôte, et pour autant qu'elle ait la certitude que l'accusé comparaîtra et, s'il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne»,

ATTENDU que le 14 avril 2000, le Greffier adjoint du Tribunal a prié le Royaume des Pays-Bas, en tant que pays hôte du Tribunal, de communiquer son point de vue par courrier, à défaut duquel il sera présumé que les Pays-Bas conservent la position exposée dans une lettre adressée le 18 juillet 1996 au Greffier du Tribunal,

ATTENDU que dans ce courrier du 18 juillet 1996, les autorités néerlandaises déclaraient qu'«il appartenait au Tribunal de déterminer s'il convenait ou non de faire droit à une demande de mise en liberté provisoire et le cas échéant, dans quelles conditions» ; qu'elles limitaient en outre leurs remarques aux conséquences pratiques de la mise en liberté provisoire ; que l'absence de réponse en l'espèce ne saurait être interprétée comme une objection à la mise en liberté provisoire de l'accusé et que le pays hôte a été entendu comme le prévoit l'article 65 B) du Règlement,

ATTENDU que la Republika Srpska n'a pas fourni de garanties quant à sa coopération avec le Tribunal au vu d’assurer que l’accusé respectera toute condition liée à une éventuelle mise en liberté provisoire et ce, bien que la défense ait déclaré qu'elle s'efforcerait d'obtenir pareilles garanties5,

VU le caractère particulièrement grave des crimes reprochés et le rôle de l'accusé en tant que supérieur hiérarchique, tels qu'exposés dans l'acte d'accusation,

ATTENDU, en outre, que certains éléments indiquent que l'accusé a tenté de s'établir en République fédérale de Yougoslavie dans le but d'échapper à une arrestation éventuelle et que, de lourdes peines pouvant lui être infligées s'il était reconnu coupable, la Chambre de première instance n'est pas convaincue que l'accusé se représentera au procès,

ATTENDU qu'au vu de la gravité des charges qui figurent à l'acte d'accusation, la Chambre de première instance n'estime pas déraisonnable la durée de la détention préventive,

ATTENDU, enfin, qu’il incombe à la défense de satisfaire la Chambre que l’accusé comparaîtra et, s'il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne et que si l’un quelconque de ces critères n’est pas rempli la Chambre n’est pas autorisée à ordonner la mise en liberté provisoire de l’accusé6,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Demande.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre de première instance
M. le Juge Almiro Rodrigues

Fait le 27 juillet 2000,
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Audience consacrée à la Demande, 8 juin 2000, compte rendu d'audience, version en anglais («CRA») p. 108 et 128.
2. Demande, p. 2.
3. Audience consacrée à la Demande, 10 juillet 2000, CRA p. 165 à 173 et p. 178 à 180.
4. Audience consacrée à la Demande, 10 juillet 2000, CRA p. 173 à 178.
5. Requête de la défense aux fins de report de l'audience relative à la mise en liberté provisoire, 11 mai 2000, par. 4 ; Audience consacrée à la Demande, 8 juin 2000, CRA, p. 102 et 103.
6. Le Procureur c/ Zejnil Delalic et consorts, Décision relative à la Requête de l’accusé Delalic aux fins de mise en liberté provisoire, Affaire No. IT-96-21-T, 25 septembre 1996, para. 1.