Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 3 décembre 2001.)

2 (L'audience est ouverte à 14 heures 20.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, veuillez annoncer

5 l'affaire.

6 Mme Philpott (interprétation): Il s'agit de l'Affaire IT-98-29-T, le

7 Procureur contre Stanislav Galic.

8 M. le Président (interprétation): Bonjour Mesdames et Messieurs.

9 Je vais demander aux parties et d'abord à l'accusation, de se présenter.

10 M. Ierace (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

11 Juges. Je m'appelle Mark Ierace; je suis présent ici à l'audience avec

12 d'autres membres de mon équipe. Il y a M. Michael Blaxill, Morris Anyah,

13 Monika Kalra, et notre substitut d'audience Edek Guzman.

14 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ierace.

15 La défense peut-elle se présenter?

16 M. Blaxill (interprétation): Bonjour Messieurs les Juges. La défense du

17 général Galic est représentée aujourd'hui par Me Mara Pilipovic, moi-même,

18 et mon confrère Me Piletta-Zanin. Je vous remercie.

19 M. le Président (interprétation): Monsieur le Général Galic , êtes-vous en

20 mesure de suivre les débats dans une langue que vous comprenez?

21 M. Galic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, dans une langue que

22 je comprends.

23 M. le Président (interprétation): Je ne vais pas vous poser cette question

24 tous les jours, mais sitôt que se présente un problème en matière de

25 traduction, n'hésitez pas à nous le dire sur le champ.

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1 M. Galic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

2 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.

3 M. Galic (interprétation): Merci.

4 M. le Président (interprétation): Avant d'entamer ce procès, je me

5 demandais si vous aviez des problèmes de santé en ce moment ou si vous

6 êtes en bonne santé? Vous n'avez pas à vous lever chaque fois. A vous de

7 décider, bien sûr.

8 M. Galic (interprétation): Je vous remercie, merci de me poser cette

9 question, Monsieur le Président. J'ai effectivement quelques problèmes de

10 santé et j'avais espéré qu'ils seraient réglés avant le début du procès,

11 mais j'espère être en mesure de suivre les audiences, même si ce sont des

12 problèmes qui me préoccupent. J'avais des problèmes au dos et aux jambes.

13 M. le Président (interprétation): Vous pourrez peut-être me dire si vous

14 êtes en mesure de suivre les débats aujourd'hui. Nous verrons ce qu'il en

15 est de votre santé par la suite avec plus de détails.

16 Est-ce que ceci vous convient?

17 M. Galic (interprétation): Oui, merci beaucoup, tout à fait. Je peux

18 suivre les débats aujourd'hui et au fil des jours, s'il y a des problèmes,

19 je vous le ferai savoir en temps utile.

20 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Général

21 Galic.

22 Par ordonnance du Président du Tribunal en date du 30 novembre la présente

23 Chambre de première instance se compose de trois Juges. A ma droite se

24 trouve le Juge Elmahdi El Abbassi et à ma gauche se trouve le Juge Raphael

25 Nieto-Navia. Moi, je m'appelle Alphons Orie et je serais le Président de

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1 cette Chambre de première instance.

2 La Chambre de première instance tient à remercier le Juge de la mise en

3 état, le Juge Rodrigues pour avoir si bien mené la conduite de la mise en

4 état. Si je comprends bien, nos audiences commenceront à 14 heures 15 et

5 se poursuivront jusqu'à 19 heures, toute cette semaine. La semaine

6 prochaine, nous avons des contraintes provenant d'autres procès qui se

7 tiennent devant ce Tribunal. Nous n'aurons une audience que lundi, lundi

8 matin de 9 heures à 13 heures 45.

9 Je remercie le Greffe de bien vouloir nous informer des modifications de

10 façon à informer les parties et les Juges, bien entendu.

11 Monsieur Ierace, êtes-vous prêt à procéder à vos déclarations liminaires,

12 conformément à l'Article 84 du Règlement de procédure et de preuve?

13 M. Ierace (interprétation): Oui.

14 M. le Président (interprétation): :Veuillez nous dire combien de temps

15 vous avez l'intention de prendre, nous pourrons ainsi aménager des pauses.

16 M. Ierace (interprétation): Dans la mesure où je peux le prévoir, je pense

17 que je vais avoir besoin d'une heure et demie à peu près.

18 M. le Président (interprétation): Eh bien, commencez.

19 (Déclarations liminaires de M. Ierace.)

20 M. Ierace (interprétation): Le siège de Sarajevo, c'est comme cela qu'il a

21 fini par être appelé, est un épisode du conflit en ex-Yougoslavie d'une

22 telle notoriété qu'il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale pour

23 trouver un parallèle dans l'histoire de l'Europe. Depuis une armée

24 professionnelle n'avait jamais mené une campagne d'une violence incessante

25 telle contre les habitants d'une ville d'Europe, aussi incessante qu'elle

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1 ne l'a réduite à une situation de privation moyenâgeuse dans laquelle la

2 peur de la mort était constante.

3 Dans la période couverte par l'Acte d'accusation, pour un habitant de

4 Sarajevo, il n'y avait pas un seul endroit où il pouvait se sentir à

5 l'abri d'une attaque ciblée que ce soit chez lui, à l'école ou dans un

6 hôpital.

7 Pourquoi est-ce que ceci s'est passé? Parce que Sarajevo est une ville de

8 500.000 habitants, c'était le siège du gouvernement de la République

9 socialiste de Bosnie-Herzégovine, l'Unité fédérale de l'ex-Yougoslavie. La

10 composition démographique de la ville est à peu près celle-ci: 44% de

11 Musulmans ou Bosniens, 31% de Serbes et 17% de Croates.

12 En 1991, ce fut d'abord la Slovénie et puis la Croatie qui déclarèrent

13 leur indépendance et tombèrent dans un conflit ethnique violent. Au fil de

14 la désintégration de la Yougoslavie, le gouvernement a décidé d'emboîter

15 le pas à la Slovénie, à la Croatie, en déclarant son indépendance. Et, en

16 mars 1992, le gouvernement s'est déclaré être le gouvernement de la

17 République de Bosnie-Herzégovine.

18 Sarajevo était une communauté multiethnique prospère, fière de son

19 héritage culturel foisonnant et de son statut international qu'elle avait

20 acquis en tant que ville qui avait accueilli les Jeux Olympiques d'hiver

21 en 1984. Beaucoup d'habitants étaient convaincus que leur ville était bien

22 trop moderne, sophistiquée et multiethnique pour subir un tel sort.

23 La fin de la guerre est arrivée au début du mois d'avril 1992, les

24 habitants de Sarajevo avaient constaté que des forces de l'armée populaire

25 yougoslave, ou JNA, avaient effectué des exercices autour de Sarajevo. Et,

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1 quand la communauté européenne a reconnu la République le 6 avril, c'est

2 ce jour-là que les hostilités ont commencé.

3 Le lendemain, les Serbes de Bosnie se sont déclarés constituer la

4 République serbe de Bosnie-Herzégovine que l'on a connue, à partir du mois

5 d'août 1992, comme étant la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine, et a

6 revendiqué à peu près deux tiers du territoire de la République. Par la

7 suite, je parlerai de cette entité comme étant la Republika Srpska.

8 L'objectif qu'elle poursuivait par rapport à Sarajevo était devenu très

9 clair, une fois arrivé le 12 mai 1992. C'est alors que son assemblée

10 nationale a déclaré qu'elle avait pour objectif stratégique de vouloir la

11 séparation de la ville de Sarajevo en deux parties: une partie serbe et

12 une partie musulmane. Ce même jour, l'assemblée a décidé de créer l'armée

13 de la Republika Srpska, la Vojska Republika Srpska connue sous le sigle

14 VRS, transformant ainsi à toute fin pratique des unités qui restaient de

15 la JNA et d'autres forces loyales à la Republika Srpska en commandement ou

16 en unités de la nouvelle VRS.

17 Le corps de la VRS qui a été déployé à Sarajevo était le Sarajevsko

18 Romanijski Korpus, appelé aussi "Corps Romanija de Sarajevo", SRK. L'armée

19 du gouvernement de Bosnie-Herzégovine était l'Armija Bosnia Herzegovina,

20 connue sous le sigle ABiH, armée de Bosnie-Herzgovine.

21 C'est ainsi que les deux principaux protagonistes étaient le gouvernement

22 de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska dissidente qui opérait à

23 travers leurs armées respectives, à savoir l'armée de Bosnie-Herzégovine

24 et le SRK.

25 Au cours des trois années et demie qui allaient suivre, la population de

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1 Sarajevo a vécu une descente dans ce que certains ont qualifié "d'enfer

2 moyenâgeux". Les deux armées ont mené une bataille d'impasse,

3 d'opposition. Les lignes de confrontation étaient statiques. Et, vue

4 l'emprise qu'avait le SRK, la bataille est devenue le siège de Sarajevo.

5 Ceci a pu se faire parce que, bien que l'armée de Bosnie-Herzégovine ait

6 75.000 éléments engagés dans la bataille, et même si le SRK n'en avait que

7 18.000, le SRK avait en compensation un avantage en matière de territoire

8 et d'armement; elle tenait les hauteurs entourant la ville et avait bien

9 plus de moyens en artillerie.

10 Une fois arrivé le mois de janvier 1993, Sarajevo était entourée de

11 milliers de pièces d'artillerie dont des chars, des obusiers, des canons

12 antiaériens et d'autres armes, mais aucune des parties n'a pu donner à

13 l'autre le coup de grâce, mais le SRK a pu garder son engagement à

14 Sarajevo. C'est la raison pour laquelle, quand on voit le reste du théâtre

15 des opérations en Bosnie, le rapport restait 4 à 1 par rapport aux soldats

16 de l'armée de Bosnie-Herzégovine. En modulant l'intensité des attaques à

17 la fois légitimes et illégitimes sur Sarajevo, la Republika Srpska a pu

18 exercer une pression importante sur son adversaire aux moments importants.

19 Pendant de très longues périodes de temps, les citoyens de cette ville

20 européenne ont été privés d'eau, de gaz, d'électricité. Privés de ces

21 services et de ces besoins essentiels, ces habitants étaient forcés

22 régulièrement à sortir de la sécurité relative de leur habitation pour

23 faire la file au robinet public, pour aller ramasser du bois de chauffage

24 qu'ils ont fait brûler pour se chauffer, pour cuisiner dans des fourneaux

25 construits avec beaucoup d'ingéniosité. Pour ceux qui vivaient dans des

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1 immeubles résidentiels, ne pas avoir d'électricité signifiait qu'il n'y

2 avait pas d'ascenseur, pas de moyen d'apporter les besoins de première

3 nécessité.

4 Mais il y avait une dimension différente et plus sombre encore à ce

5 conflit armé. Il apparut rapidement que les civils qui décidaient de

6 rester à Sarajevo allaient devenir des cibles délibérées. A travers la

7 télévision, à travers la presse écrite, le monde a observé avec horreur

8 ces habitants de Sarajevo sur qui on tirait à volonté lorsqu'ils

9 essayaient de franchir les lignes sous la vue du SRK qui tenait les

10 collines et les immeubles résidentielles. L'âge, le métier, le sexe,

11 l'origine ethnique, avaient peu d'intérêt pour le tireur isolé; on le

12 verra. Une gamine de 3 ans a été tuée sur le seuil de sa porte, une gamine

13 de 9 ans alors qu'elle jouait dans son jardin. Les Civils étaient tués

14 dans leur maison quand ils regardaient leur télévision, buvaient du café

15 ou faisaient leur prière. Ils étaient la cible de tir à l'extérieur de

16 leur maison lorsqu'ils traversaient la rue, allaient du bois, tiraient de

17 l'eau, l'emportaient chez eux, nettoyaient devant chez eux, bavardaient ou

18 marchaient avec leurs amis; lorsqu'ils étaient en voiture, en camion, en

19 bus, en tram, en bicyclette; quand ils enterraient leurs morts. Il semble

20 qu'aucun aspect de l'activité humaine n'était trop inoffensif, trop

21 ordinaire, ni sacro-saint pour échapper à la volonté du tireur isolé.

22 Les Serbes qui ont décidé de rester n'ont pas été pardonnés. Eux aussi

23 sont devenus la cible de ces tirs, ainsi que leurs concitoyens Musulmans.

24 Afin de garder un semblant d'ordre et pour essayer de réprimer, de

25 contenir les attaques, les morts étaient enterrés la nuit quand il faisait

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1 du brouillard ou simplement dans des lopins de terre entre les bâtiments.

2 De nouvelles routes, des routes détournées, protégées par des bâtiments

3 ont été utilisées. On a érigé des barrières antitireur isolé;

4 effectivement pour se protéger. Pour cela, on a utilisé des conteneurs,

5 des bus, des camions; d'autres obstacles de ce genre qui étaient placés

6 aux carrefours pour se protéger des possessions de la RSK.

7 Les tireurs isolés ont répondu à ces nouveaux défis en tirant le meilleur

8 profit possible des interstices qu'il y avait entre ces barrages, et

9 prévoyants où les victimes seraient le plus vulnérable. Cependant, nulle

10 part on était à l'abri des bombardements.

11 L'accusation va citer des experts qui vous expliqueront que l'artillerie

12 déployait par la RSK comprenait aussi bien des armes à tir direct qu'à tir

13 indirect. Des armes à tir direct, ce sont des chars, des obusiers, des

14 canons à gros calibres, comme par exemple des canons antiaériens et des

15 canons blindés transporteurs troupes, qui en général utilisent les tirs

16 directs. Par contre des mortiers sont utilisés pour parcourir une

17 trajectoire en forme de U renversé, c'est-à-dire qu'ils tombent dans des

18 endroits que les servants de l'arme ne voient pas. De même, ils sont

19 utilisés, servis par des hommes qui sont en communication radio avec un

20 éclaireur qui va diriger le tir en fonction de la cible.

21 Un obus de mortier est conçu de façon à tuer, à amputer, à mutiler; en

22 général on n'utilise pas cette arme pour détruire des biens, en général,

23 on utilise pour causer le plus de perte. Ce qui reste en général ce sont

24 des marques sur le sol.

25 A la fin de la guerre, les rues, les sentiers, les aires de parking de

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1 Sarajevo étaient parsemés de cette structure en étoile révélatrice qui

2 montre les impacts de mortier. On les a appelées les "roses de mortier".

3 Pendant la période couverte par l'Acte d'accusation, ces mortiers étaient

4 utilisés par le SRK avec des effets dévastateurs contre les civils qui

5 vaquaient à diverses activités, qu'ils soient rassemblées à l'air libre

6 hors des lignes directes de tir de position du SRK. Par exemple s'il y

7 avait un match de football ou lorsque des gens faisaient la file pour

8 aller chercher de l'eau, des groupes d'enfants qui jouaient, des places de

9 marché pleine de monde et normalement à l'abri, des écoles, des hôpitaux,

10 des cortèges funéraires. Les annexes qui reprennent les tirs isolés en

11 sont quelques illustrations.

12 Cette campagne de tirs isolés et de bombardements délibérés contre des

13 civils constitue la base de la thèse soutenue par l'accusation, telle

14 qu'elle est consignée dans le mémoire préalable au procès, revient à dire

15 que le pilonnage, le bombardement, a été utilisé parfois dans l'intention

16 de frapper des cibles bien précises de civils, parfois à l'aveuglette sans

17 but précis. C'est-à-dire que les servants ont tiré des obus dans des lieux

18 dont on savait qu'ils étaient occupés par des civils; non pas dans

19 l'intention de toucher une cible précise, mais plutôt sachant que là où

20 l'obus allait tombé, il était probable qu'il mette en péril des civils.

21 Cette pratique est en contradiction avec le principe de la distinction

22 dont je parlerai un peu plus tard, pour parler du contexte et de la teneur

23 juridique de ceci.

24 Le monde a vu incrédule que ces auteurs ont agi avec impunité, jour après

25 jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année. La

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1 conscience du monde en a été à ce point ébranlée, qu'elle a sans doute…

2 que ceci a sans doute contribué, dans une bonne mesure, à l'établissement

3 de ce Tribunal.

4 La bataille de Sarajevo a duré à peu près 3 ans et demi. Au cours de cette

5 période, il y a eu trois commandants principaux du SRK: le second, le

6 général de division Stanislav Galic dont je… qui sera pour moi l'accusé

7 était commandant pendant la plus longue période, presque deux ans, à

8 partir du 10 septembre 1992 environ jusqu'au 10 août 1994.

9 J'ai souvent parlé jusqu'à présent de la bataille qui couvre la totalité

10 de la campagne plutôt que la période couverte par l'Acte d'accusation qui

11 concerne la période pendant laquelle l'accusé a occupé la fonction de

12 commandant du RSK.

13 Nous allons vous montrer plusieurs extraits vidéo qui datent de la période

14 antérieure à l'Acte d'accusation et qui montrent quelques événements de

15 cette période. Pourquoi? Il y a trois raisons à cela.

16 Tout d'abord, parce que nous pensons que l'accusé a hérité d'une stratégie

17 de tirs délibérée et de pilonnages de civils délibérée qui précédaient sa

18 prise de fonction.

19 L'autre raison, c'est que les caractéristiques de cette campagne avant,

20 pendant et après ses fonctions sont pratiquement identiques.

21 La troisième raison, c'est que je voudrais replacer les actes de l'accusé

22 dans leur contexte historique. Il est clair que l'accusé ne doit répondre

23 que des responsabilités qui lui incombaient en tant que commandant

24 effectif de ces forces. Et même pour ce qui est de la période couvercle

25 par l'Acte d'accusation.

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1 L'accusation ne dit pas que tous les faits répréhensibles eussent été

2 attribuables à l'accusé, ou même que tous les faits répréhensibles eussent

3 été perpétrés par le camp de l'accusé. Il est manifeste -nous avons des

4 preuves à cette fin-, il est manifeste que des civils ont été ciblés de

5 part et d'autres des lignes de confrontation, et ce serait un lieu commun

6 de faire remarquer que le comportement illicite contre des civils par les

7 adversaires de l'accusé ne l'autorisait pas à faire de même.

8 Je vais maintenant essayer de familiariser les Juges de cette Chambre avec

9 la vie et la configuration de Sarajevo.

10 (Le Procureur prend un pointeur et montre une carte.)

11 (Le Procureur s'adresse à M. l'huissier.)

12 M. le Président (interprétation): Est-ce que la défense peut voir cette

13 carte, Monsieur Ierace?

14 M. Piletta-Zanin: Merci, Monsieur le Juge, de poser la question. Comme à

15 l'accoutumée, la défense est totalement aveuglée.

16 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous voyez désormais cette

17 carte sur l'écran? Est-ce que vous avez une vue directe?

18 M. Piletta-Zanin: Votre Honneur, comme à l'accoutumée, un peu en retard.

19 M. le Président (interprétation): Merci.

20 M. Ierace (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

21 vous montre cette carte qui montre la ville de Sarajevo.

22 Vous constatez qu'il y a deux lignes vertes -une en vert clair et une en

23 vert plus sombre-, qui entourent la ville. Vous voyez que c'est une zone

24 urbanisée. Les deux lignes vertes montrent les lignes de confrontation

25 entre le SRK et l'armée de Bosnie-Herzégovine. Je vous l'ai dit, ces

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1 lignes n'ont pas beaucoup bougé: elles sont restées pratiquement statiques

2 pendant la guerre. A certains endroits, elles se rapprochent très fort

3 l'une de l'autre: parfois il y a à peine 50 mètres qui les séparent, à

4 d'autres endroits la distance est plus grande entre elles.

5 Remarquez également que, sur certains points, les lignes entrent dans la

6 ville même, dans la partie habitée. C'est vrai pour la zone de Grbavica et

7 aussi -plutôt sur la gauche de la carte-, pour Dobrinja. C'était en fait

8 le village olympique en 1984. Suite à cet événement, c'est devenu une zone

9 résidentielle d'immeubles, tout près de l'aéroport.

10 Vous voyez aussi mentionnés sur cette carte divers incidents de tirs

11 isolés, l'endroit où se trouvaient des victimes au moment où elles ont été

12 la cible de ces tirs. Vous avez les points rouges. Vous verrez qu'il y a

13 une différence entre, par exemple, le point 27 et le n°1. A côté du n°1,

14 vous avez un "U". Pourquoi? Parce que votre prédécesseur avait retiré cet

15 incident tout en permettant à l'accusation de citer des témoins à ce

16 propos.

17 Les points bleus vous indiquent les lieux où des incidents, repris dans

18 l'Acte d'accusation, ont eu lieu: A, B, C font état d'obus particuliers.

19 Vous avez un incident de pilonnage à Dobrinja où il y a eu deux obus qui

20 sont tombés très près l'un de l'autre: 1A, 1B. Et puis, vous avez le 4 où

21 il y a eu trois obus qui sont tombés.

22 Sur la carte figure également une étoile qui indique où se trouve la

23 caserne de Lukavica. Cette caserne militaire est devenue le poste de

24 commandement avancé de l'accusé. C'était son poste de commandement avancé

25 d'ailleurs pendant toute la période couverte par l'Acte d'accusation.

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1 Remarquez la proximité qu'il y a de cette caserne avec le quartier

2 résidentiel de Dobrinja.

3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je me rends bien compte qu'en

4 regardant une carte d'une zone que l'on ne connaît pas bien, il est

5 difficile de bien comprendre tout ce que cette carte vous montre mais je

6 souhaite simplement vous montrer, pour commencer, que la ville de Sarajevo

7 a une configuration assez longue et assez étroite, d'Est en Ouest.

8 Et maintenant, je vais placer un film de plastique sur cette carte pour

9 vous indiquer à quel endroit correspondront les photographies que nous

10 allons vous montrer.

11 La première photographie a été prise ici, en ce lieu, et les deux lignes

12 que l'on voit de part et d'autres vous donnent une idée de ce que vous

13 verrez sur la photographie.

14 D'abord, vous remarquerez que l'appareil photo pointait approximativement

15 vers le Nord, c'est-à-dire à partir du Sud de la ville, et par dessus la

16 ville vers le Nord. Vous pourrez donc voir sur cette photo un certain

17 nombre de bâtiments et de quartiers qui se situent à l'Ouest.

18 Parlons maintenant de la photo panoramique, vous la voyez ici. Je vais

19 attendre quelque instant pour que la caméra de la salle la montre à

20 l'écran. Je demanderai un zoom arrière à la caméra de façon à ce que l'on

21 voie la plus grande partie possible de cette photographie en même temps.

22 Vous voyez ici donc les hauteurs qui entourent la ville. C'est une

23 photographie qui a été prise de l'endroit que je vous ai montré tout à

24 l'heure sur la carte et qui vous montre une grande partie de la ville avec

25 la partie très urbanisée qui va de l'est jusqu'à l'ouest et, à l'ouest, on

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1 voit que la ville se perd dans la vallée.

2 Je vais maintenant placer le pointeur sur certains éléments importants. On

3 voit sur cette photographie que la ville suit le tracé d'une rivière. On

4 voit également que, vers l'ouest, la vallée se transforme peu à peu en

5 plaine.

6 Mais revenons maintenant à la partie est de la ville. C'est là que se

7 trouve le quartier que l'on appelle en général la "vieille ville" et,

8 s'agissant des trois communautés qui peuplaient la ville de Sarajevo,

9 c'est un quartier que l'on associe le plus fréquemment à la communauté

10 bosnienne. C'est effectivement la partie la plus ancienne de la ville.

11 Au centre de la photographie, on trouve un autre quartier qui était avant

12 la guerre l'endroit majoritairement peuplé par la communauté croate. Et

13 lorsqu'on va vers l'ouest, on voit se multiplier les bâtiments à plusieurs

14 étages, les immeubles, où la population était particulièrement mélangée.

15 C'est dans cette partie la plus moderne de la ville que l'on trouve, parmi

16 la population, la communauté serbe très bien représentée.

17 On voit également sur cette photographie, à peu près au centre, les deux

18 hôpitaux principaux qui fonctionnaient à l'époque. Je souligne que cette

19 photographie a été prise l'année dernière en 2000, mais que s'agissant des

20 arguments développés par l'accusation, les choses sont restées assez

21 inchangées depuis cette date.

22 Nous voyons donc l'hôpital de Kosevo qui se trouvait dans une région

23 surplombant légèrement la vallée, au nord de la ville, et c'était un

24 hôpital important. Le deuxième hôpital, connu actuellement sous le nom

25 d'hôpital d'Etat et quelquefois connu sous le nom d'hôpital français,

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1 apparaît ici.

2 Dans les séries de séquence vidéo que l'accusation soumettra à la Chambre,

3 vous verrez un endroit annoté comme étant "nœud de tireurs isolés". Et

4 dans cette partie de la photographie, on voit le secteur qu'il était

5 possible de voir à partir de la meurtrière d'où tiraient les tireurs

6 isolés qui avaient une bonne visibilité de la ville et qui pouvaient donc

7 voir l'hôpital en particulier.

8 Ici, nous avons la caserne. Vous entendrez des témoins parler de cette

9 caserne, s'agissant de décrire les heures les plus noires de la ville.

10 Des routes importantes longeaient la vallée, dont l'une en particulier

11 était à l'époque, et demeure aujourd'hui, la voie de communication la plus

12 importante traversant Sarajevo de part en part, d'est en ouest. Elle

13 traverse la vallée en partant de ce quartier moderne pour arriver dans la

14 partie centrale de la photographie où elle longe, pratiquement sur tout

15 son cours, la rivière. C'est ce que je vous montre en ce moment avec le

16 pointeur.

17 On voit également sur cette photographie le bâtiment de l'assemblée,

18 bâtiment qui était très important avant le conflit et où l'on peut

19 observer aujourd'hui des traces de très nombreux pilonnages.

20 Le quartier de Grbavica est ici au premier plan, mais ressort un peu du

21 secteur pris en photo sur cette photographie panoramique. Des tireurs

22 isolés ont opéré massivement dans ce secteur.

23 Je montre également, même si la caméra de la salle aura quelque difficulté

24 sans doute à l'indiquer de façon très nette, je montre ici des positions

25 qui se trouvaient dans le quartier le plus ancien de la ville, dans la

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1 vieille ville. C'est notamment le marché de Markale qui a fait l'objet

2 d'un incident survenu le 5 février 1994, incident sanglant au cours duquel

3 un obus de mortier de 120 millimètres de calibre a tué 66 personnes qui

4 faisaient leurs courses au marché ce jour-là. La direction du tir

5 approximatif indique que ce tir devait partir de la région de Markovici,

6 que la caméra… que l'appareil photographique a sans doute eu beaucoup de

7 mal à intégrer sur la photographie.

8 A gauche et à l'arrière de cette position, on a une autre position très

9 bien connue où se situait en fait la ligne de démarcation avec le Corps de

10 Sarajevo Romanija occupant les hauteurs. Un peu en dessous donc, se

11 trouvait la ligne de démarcation avec l'armée de Bosnie-Herzégovine, et

12 l'endroit que je vous ai montré est connu sous le nom de "rocher pointu".

13 L'incident impliquant le tir de tireurs isolés s'est produit dans ce

14 secteur, juste en dessous de ce lieu dit "la pierre pointue".

15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je reviens maintenant à la

16 carte recouverte par le film de plastique pour vous montrer le

17 positionnement qui correspondra à la deuxième photographie panoramique

18 dont nous parlerons dans quelques instants. Les lignes ici montrent

19 l'endroit d'où la photographie a été prise il y a quelques mois, en

20 septembre, octobre 2001. Et sur la photographie panoramique, nous verrons

21 donc un secteur où l'on trouve, entre autres, la caserne de Lukavica et le

22 lieu du troisième incident lié à un pilonnage, ainsi que les lieux où se

23 sont produits trois incidents liés à des tireurs isolés. L'appareil photo

24 était orienté approximativement Sud/Sud-Ouest.

25 Je reviens à présent à la photographie panoramique. Je demande à la caméra

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1 de la salle de zoomer le plus loin possible en arrière pour vous montrer

2 la plus grande partie possible de cette photographie. Je fais remarquer,

3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que l'on ne voit pas toute la

4 photographie. Maintenant cela va mieux.

5 Alors cette photo, elle aussi, a été prise à partir des hauteurs. Vous

6 voyez les immeubles de Dobrinja qui correspondaient au village olympique

7 en 1984 et, au premier plan, les voies de communication qui mènent à

8 l'aéroport; en tout cas certaines d'entre elles.

9 A gauche de la photographie, vous voyez l'inscription "caserne de

10 Lukavica". Et je place le pointeur actuellement sur l'ensemble des

11 bâtiments composant cette caserne, que l'on voit donc à l'arrière de cette

12 route qui apparaît en blanc sur la photographie, avec un carrefour en "T".

13 Ce carrefour en "T" est intéressant; je demande à la caméra de la salle de

14 bien le montrer. C'est là que se trouvait ce bâtiment blanc à deux étages

15 qui abritait le bureau de l'accusé dans son poste de commandement avancé.

16 Son bureau se situait à l'étage supérieur, au coin du bâtiment, sur la

17 façade que l'on voit au premier plan à droite.

18 Maintenant, je continue à montrer ce que l'on voit sur cette photographie.

19 On arrive en allant un peu plus loin sur une église. Et, un peu plus loin

20 encore, on arrive au site d'un incident de pilonnage, puis au site d'un

21 autre incident de pilonnage. Ces deux incidents portant les numéros 1 et

22 6.

23 Je reviens sur la gauche de la photographie, et bientôt, je vais vous

24 montrer un organigramme qui montre comment étaient structurées les lignes

25 de confrontation, à peu près à cet endroit.

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1 Alors le premier incident lié à un pilonnage s'est produit au niveau de ce

2 complexe que l'on voit ici, de cette résidence en fer à cheval; ce

3 bâtiment est pratiquement identique à celui que l'on voit immédiatement

4 sur sa gauche. On a donc trois façades qui regardent vers les collines où

5 se trouve l'appareil photographique. Et derrière les arbres, sur la

6 droite, on a une réplique pratiquement identique de ce bâtiment.

7 Il y avait, au moment de l'incident, un match de football qui se déroulait

8 dans un parking situé sur la droite. Et vous voyez ici l'orientation, la

9 direction suivie par les deux obus de mortier qui ont frappé ce secteur de

10 Lukavica. Comme je l'ai déjà dit, nous allons maintenant retrouver sur la

11 photographie panoramique le lieu de cet incident n°6.

12 La nature des crimes qui constituent la base du dossier de l'accusation

13 sont telle qu'il est difficile d'en parler dans un prétoire. S'agissant

14 des tirs isolés, il s'agit de personnes qui ont été abattues à l'air libre

15 dans des conditions où le tireur était caché. S'agissant des pilonnages,

16 les tirs indirects ont pour conséquence le fait que les personnes qui ont

17 été ciblées et atteintes ne pouvaient pas, en général, voir d'où venaient

18 ces obus. L'accusation est bien consciente des difficultés qu'impliquent

19 ces circonstances pour les Juges de cette Chambre de première instance;

20 difficultés à comprendre les détails du dossier de l'accusation.

21 En général, lorsqu'on parle du site d'un crime, on utilise des

22 photographies et des cartes. Ce sera fait d'ailleurs, et cela permettra en

23 partie aux Juges de cette Chambre de se retrouver dans une situation où

24 les Juges pourront imager comment le crime s'est déroulé. Mais, pour mieux

25 aider les Juges de la Chambre, l'accusation a préparé une série de vidéos,

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1 de séquences vidéos montrant les six incidents liés à des tirs et à des

2 pilonnages.

3 S'agissant des incidents liés à des tirs isolés, si les victimes ont

4 survécu et sont capables de témoigner, les victimes ont été filmées sur le

5 lieu de l'incident et montrent précisément où elles se trouvaient à

6 l'époque de l'incident. Mais si la victime a été tuée, un témoin oculaire

7 est filmé dans la séquence vidéo et indique, au mieux de son souvenir, où

8 la victime se trouvait précisément au moment où elle a été abattue.

9 Après quoi, un représentant du Bureau du Procureur est vu dans la séquence

10 vidéo en train de placer une croix de couleur jaune sur le lieu où la

11 victime a été atteinte. Après quoi, on érige un tripode sur le lieu et la

12 caméra est réglée de façon à indiquer la dimension, le point d'entrée de

13 la balle dans le corps de la victime. Un photographe professionnel a

14 ensuite pris des photos qui montrent sur un spectre de 360 degrés où se

15 trouvent ces différentes positions. Les photographes qui ont travaillé

16 avec le Bureau du Procureur ont ensuite utilisé des appareils

17 informatiques pour montrer, dans les meilleures conditions possibles, les

18 images en question avec un angle de 360 degrés et permettre l'utilisation

19 d'une souris informatique pour naviguer en haut, en bas, à gauche, à

20 droite, sur ces images.

21 Le conseil de la défense, Me Pilipovic, a pu assister au tournage de ces

22 incidents en vidéo en septembre de l'année dernière.

23 Les incidents liés à des pilonnages ont été filmés dans les mêmes

24 conditions, et tous ceux qui ont participé au tournage de ces séquences

25 seront présentés, seront cités à la barre par l'accusation pour témoigner

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1 et attester des faits qu'ils d'écrivent; attester de la véracité de ces

2 faits en confirmant ce qu'ils disent dans les séquences vidéo.

3 En temps utile, et dans les mêmes conditions, l'ensemble de ces incidents

4 filmés seront soumis à la Chambre par l'accusation en tant qu'éléments de

5 preuve. Une série de séquences figurera au dossier du procès et sera

6 communiquée à la défense. Ce montage vidéo sera donc associé à une note

7 indiquant où commence chacune des séquences, à quelle date ces séquences

8 ont été filmées, quel est l'incident particulier qui fait l'objet des

9 images qui sont montrées dans la séquence en question, ainsi que le nom

10 des personnes filmées et le rôle que ces personnes ont joué; par exemple

11 enquêteur, interprète, témoin, caméraman, etc.

12 La position du site sera répertoriée grâce à l'utilisation d'un système de

13 positionnement par satellite, ce qui permettra à chacun de se rendre

14 compte au mieux des possibilités de l'emplacement du site en question et

15 de ce que représente la séquence vidéo filmée par les caméramen.

16 La direction de la prise des images vidéo sera indiquée également et,

17 lorsque les photographies panoramiques ont été prises, je souligne

18 qu'elles sont toujours orientées Nord, vers le Nord. Donc, une série de

19 photographies sera soumise qui sont toutes prises en faisant face au Nord.

20 Je vais maintenant parler d'un incident lié à un tireur isolé, à des

21 tireurs isolés et il s'agit de l'incident n°6.

22 Nous lisons comme annotation liée à cet incident: "11 juillet 1993,

23 Zametica, Munira Zametica". Il s'agissait d'une femme âgée de 48 ans,

24 abattue alors qu'elle allait chercher de l'eau dans la Dobrinja, dans le

25 quartier de Dobrinja 2 et 3. La scène du meurtre était donc le bord de la

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1 rivière Dobrinja qui traverse le quartier de Dobrinja grâce à un canal

2 cimenté. Les habitants du quartier avaient l'habitude d'aller chercher de

3 l'eau dans ce canal puisque, à la maison, les adductions d'eau avaient été

4 coupées. Ce canal était orienté Est-Ouest à partir de la caserne de

5 Lukavica, et il était traversé à intervalles réguliers par des ponts et

6 des routes.

7 J'aimerais maintenant qu'on vous présente la deuxième carte.

8 (Intervention de l'huissier.)

9 Merci, Monsieur l'huissier.

10 Vous voyez ici un gros plan de la première carte qui a été faite par

11 moyens électroniques, ces moyens permettant donc de montrer des gros plans

12 de toute partie de la carte que l'on souhaite voir plus en détail.

13 Vous voyez ici, en rouge, le site, l'endroit où a eu lieu l'incident n°6.

14 Et j'appelle les Juges de cette Chambre à remarquer que les deux autres

15 incidents, liés à des tirs isolés, se situent très près de cet endroit. Je

16 veux parler des incidents 18 et 22.

17 On voit aussi, sur cette carte, la position d'un incident lié à un

18 pilonnage; c'est l'incident n°1 qui se trouve ici.

19 Le grand cercle rouge que je vous montre maintenant est l'endroit où se

20 trouve la photographie que vous avez vue il y a quelques instants sur la

21 photo panoramique. Sur la gauche de cette église, on voit la ligne de

22 démarcation avec, en vert clair, les positions les plus avancées de

23 l'armée de Bosnie-Herzégovine et, en vert foncé, les positions du Corps de

24 Sarajevo Romanija, SRK. La difficulté que présente cette carte, c'est que

25 l'accusation va citer à la barre des témoins qui vous diront que les

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1 incidents liés à des tirs isolés visant Dobrinja à partir de ce bâtiment

2 étaient très fréquents pendant la période la plus sombre de ces

3 événements.

4 En effet, à partir de certains immeubles de la résidence que l'on voit

5 ici, indiquée par ce point rouge, donc une partie de ces immeubles occupés

6 par le Corps de Sarajevo Romanija était à l'origine de la plupart de ces

7 tirs isolés. Les témoins vous indiqueront que la distance séparant

8 l'église et le site de l'incident n°6 était d'à peu près 900 mètres, et

9 que la distance séparant les immeubles de cette résidence et le lieu de

10 l'incident n°6 était d'à peu près 740 mètres. En bleu, ici, cette ligne

11 indique le parcours de la rivière Dobrinja avec, ici, le point plus

12 particulier que représente le canal cimenté ou bétonné.

13 Les témoins vous diront que les tireurs isolés tiraient plus

14 particulièrement sur le site du canal. Et on voit des positions multiples

15 qui semblent indiquer que le quartier résidentiel, ici, qui, comme vous le

16 savez, était traversé par plusieurs ponts -des ponts piétonniers d'une

17 part dans cette zone et ensuite, des ponts routiers-, permettait de viser

18 de façon variable le site de l'incident n°6, et tous les autres sites

19 jusqu'au site de l'incident 18. Et des barrages ont été érigés, ici, sur

20 ces ponts, à plusieurs reprises.

21 Je vous montre également le pont qui se trouve à l'arrière du site de

22 l'incident n°6, ici.

23 Tous ces endroits ont été la cible de tirs très nombreux. De nombreuses

24 victimes sont tombées également dans les zones environnant le site de

25 l'incident n°6. Il arrivait que les tireurs isolés tirent toute la journée

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1 ou plusieurs jours de suite. Cet incident a eu lieu -comme je l'ai déjà

2 dit-, juste en dessous du pont piétonnier que je vous ai montré à

3 l'instant.

4 Le 11 juillet 1993, un jour d'été, à environ 14 heures, la victime et un

5 de ses voisins, (expurgé) se sont approchés du pont pour y

6 chercher de l'eau dans le canal. Ils ont vu plusieurs personnes qui se

7 protégeaient contre le mur de béton qui était à la base du pont, et qui

8 offrait une protection temporaire par rapport aux positions d'où tiraient

9 les tireurs du SRK. Et des personnes qui se trouvaient là avant elles leur

10 ont dit que des balles avaient déjà été tirées dans l'eau.

11 Donc ce groupe cherche une protection le plus rapidement possible sur les

12 berges du pont, et cherche néanmoins à remplir ses seaux d'eau le plus

13 vite possible. Une personne s'en va, puis une autre s'approche d'un seau

14 qui est déjà rempli et, lorsque cette femme s'approche, elle est frappée à

15 la poitrine. Elle se retourne et est frappée par une autre balle à la

16 nuque, puis elle tombe. Sa fille de 16 ans, qui se trouvait tout près,

17 accourt: elle arrive, elle voit sa mère gisant face contre terre près de

18 la rive et elle, ainsi que d'autres personnes, sont empêchées de retirer

19 le corps de la victime pour l'emporter jusqu'à un endroit plus sûr par les

20 tirs qui se poursuivent.

21 La fille de la victime voit les balles qui frappent la surface de l'eau,

22 le fils de la victime arrive; il tente de s'approcher de sa mère mais ils

23 sont tous obligés de reculer en raison des tirs qui se poursuivent. Et un

24 autre voisin se fournit une corde, l'attache autour du bras de la victime

25 et est alors capable de tirer le corps jusqu'à un secteur, jusqu'à une

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1 zone plus sûre. Mais, à ce moment-là, la mère était déjà morte.

2 Sur la séquence vidéo, vous verrez, Monsieur le Président, Messieurs les

3 Juges, que la victime et sa voisine étaient accompagnées d'un certain

4 nombre de personnes jusqu'au site de l'incident -donc je parle des

5 fondations en béton de ce canal et que, donc, des personnes se trouvaient

6 à quelques mètres de la victime lorsqu'elle a été abattue.

7 Ces personnes vous parleront du lieu où l'incident s'est produit et du

8 moment précis où cette femme a été tuée. Vous verrez également une autre

9 personne sur les images vidéo qui inscrira une croix à l'endroit où elle

10 dit avoir vu la victime tomber. Cette croix est de couleur jaune. Vous

11 entendrez les propos tenus par ces personnes; vous entendrez l'enquêteur

12 parler en anglais et vous entendrez le voisin de l'enquêteur le traduire

13 en BCS.

14 (Diffusion d'une vidéo.)

15 (Sans traduction.)

16 M. Ierace (interprétation): Comme je l'ai dit précédemment, un certain

17 nombre de photographies ont été prises après que la croix ait été apposée

18 sur le sol. Ces photographes, grâce à un certain logiciel, ont été montées

19 de telle façon à ce que l'on puisse obtenir une vue à 360 degrés. Je vais

20 maintenant demander à ce que cette photographie soit maintenant présentée

21 à l'écran, afin que vous puissiez l'examiner.

22 Je vais également demander à ce que l'on donne un aperçu complet de cette

23 photographie qui couvre un angle de 360 degrés. On commence à l'Est du

24 canal, sous le pont. N'oubliez pas, Messieurs les Juges, que cela a été,

25 en fait, pris depuis l'endroit où se trouvait la victime.

Page 584

1 Maintenant, nous nous trouvons à la hauteur de la pente, nous sommes donc

2 au Sud de la rive. Nous sommes maintenant à l'Ouest, nous regardons l'aval

3 du canal, nous nous déplaçons de Lukavica, nous sommes donc à l'opposé de

4 Lukavica, nous nous approchons de l'église. Et nous sommes maintenant

5 orientés au Nord.

6 Je vais maintenant demander à ce que l'on regarde à l'Est par rapport au

7 canal. Et je demande à ce qu'il y ait un gros plan fait sur les berges du

8 canal. Nous indiquerons que le bâtiment, à droite, qui est un bâtiment

9 blanc sur l'image, est en fait le clocher ou ce qui reste de l'église.

10 Vous trouvez à gauche le bâtiment qui était occupé par les forces du SRK,

11 qui se trouve juste derrière ces buissons. Et je pense qu'il sera, au

12 cours du procès, possible d'établir précisément tous éléments qui

13 apparaissent sur les photographies. Je vous remercie.

14 M. Nieto-Navia (interprétation): Est-ce que nous disposons de cette

15 photographie?

16 M. Ierace (interprétation): Oui, nous disposons de cette photographie en

17 version papier. J'avais compris que vous disposiez de ces photographies.

18 Est-ce que les conseils de la défense disposent d'un exemplaire de cette

19 photographie? J'ai cru comprendre qu'on leur en avait donné un exemplaire,

20 de ces photographies. En tout cas, des exemples sont tout prêts à être

21 distribués.

22 (L'huissier distribue des exemplaires.)

23 On voit plus clairement sur cette photographie l'église.

24 Puisque nous avons encore sous les yeux la vue panoramique, nous allons

25 revenir brièvement sur ce qui apparaît sur cette image pour annoncer un

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1 certain nombre de points.

2 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vais indiquer l'église qui

3 apparaissait également sur la séquence vidéo, et je vais à nouveau

4 indiquer l'endroit où se trouvait la caserne de Lukavica où l'accusé avait

5 son bureau. Je vous montre qu'il y a une courte distance qui sépare le

6 bureau de l'accusé du lieu d'où les tirs étaient tirés et nous regardons

7 là le quartier de Dobrinja.

8 Nous voyons donc quel est un petit peu l'emplacement des différents lieux

9 qui nous intéressent pendant toute la période couverte par l'Acte

10 d'accusation, et nous vous soumettrons des éléments de preuve qui vous

11 permettront d'indiquer précisément ces différentes positions.

12 On a souvent fait référence à la bataille de Sarajevo comme étant un

13 siège, mais ce n'est pas un siège tel qu'il est souvent entendu dans le

14 domaine militaire, ce n'est pas non plus le terme que l'on trouvait

15 parfois dans le droit international et il ne convient pas ici d'établir

16 clairement ce que l'on entend par le terme siège. Nous ne parlons pas ici

17 de savoir pourquoi une campagne a été menée à Sarajevo, il s'agit plutôt

18 de savoir de quelle façon cette campagne a été menée.

19 Pour la première fois, ce Tribunal va entendre une affaire au cœur de

20 laquelle se trouvent des incidents qui placent exclusivement et

21 explicitement l'accent sur la conduite des hostilités. Nous allons

22 notamment parler de l'étendue de l'obligation qui incombe à un commandant

23 militaire de protéger la vie des populations civiles pendant un conflit

24 armé. Les lignes de confrontation à certains moments du conflit ont

25 traversé des zones urbaines. Nous pouvons donc partir du principe qu'il

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1 existait, dans les limites de la ville, un certain nombre de cibles

2 militaires tout à fait légitimes.

3 Par conséquent, l'accusation ne conteste pas que la campagne militaire

4 générale menée à Sarajevo était illégale, ne conteste pas non plus que

5 certaines des attaques qui ont été menées pendant la période couverte par

6 l'Acte d'accusation comprenaient un certain nombre d'activités de combat

7 légales. Cela étant dit, parallèlement à ces opérations de combat légales,

8 il apparaît clairement que des civils ont été bombardés, ont fait l'objet

9 de tirs embusqués tout à fait illégaux et que ces actes ont été perpétrés

10 sur une échelle géographique et temporelle tel qu'ils constituent une

11 campagne délibérée qui a été menée dans l'intention d'instaurer un climat

12 de terreur dont a souffert chaque habitant de la ville.

13 Dans le cours de ce procès, nous vous demanderons de vous pencher sur

14 certains principes fondateurs du droit humanitaire international, des

15 principes qui sont essentiels dès lors que l'on parle de la conduite des

16 hostilités. Ces principes de droit ont peut-être été moins pertinents dans

17 le cadre d'autres affaires qui ont été jusqu'à présent entendues par ce

18 Tribunal.

19 Le premier de ces principes est celui dit de distinction. Ce principe est

20 la pierre angulaire du droit international humanitaire et place le

21 commandant militaire sous l'obligation d'établir à tout moment une

22 distinction entre les objectifs militaires et civils. Le commandant à tout

23 moment est obligé de n'utiliser la force que contre des objectifs

24 militaires. La définition d'un objectif militaire ne fait pas l'objet d'un

25 accord, cependant, l'on peut affirmer sans nul doute que seuls des

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1 combattants constituent des objectifs légaux, les civils en aucun cas ne

2 peuvent constituer de tels objectifs. De la même façon des bâtiments, des

3 objectifs utilisés à des fins militaires peuvent être ciblés alors que les

4 bâtiments qui sont exclusivement utilisés à des fins civiles, ne peuvent

5 pas être ciblés.

6 Deuxième principe fondamental, le principe dit de proportionnalité qui

7 oblige un commandant militaire, quand il essaie de savoir s'il veut lancer

8 une attaque contre un objectif militaire légitime, de décider donc s'il

9 souhaite se livrer à un certain type de calcul, calcul par lequel il doit

10 évaluer quel est l'avantage militaire que l'on pense obtenir grâce à cet

11 acte. Est-ce que cet avantage militaire est tel peut-être qu'il l'emporte

12 sur l'étendue des pertes civiles qui en découleront certainement?

13 Une évaluation rationnelle de la proportionnalité doit donc être effectuée

14 pendant que l'attaque est menée. Elle doit également intervenir avant et

15 pendant l'attaque. Ce principe absolu est régi par la raison et c'est

16 toujours à ce principe qu'il faut se référer pendant toute la durée de

17 l'opération.

18 D'après l'accusation, les attaques menées par les forces placées sous le

19 commandement et le contrôle de l'accusé n'ont pas mené à bien ce calcul,

20 n'ont pas fait ce bilan, n'ont pas retenu la notion de raison qui doit

21 être acceptée par les commandants militaires responsables. Nous souhaitons

22 aider la Chambre de première instance à se référer à ces normes

23 fondamentales du droit humanitaire international qui doivent être

24 appliquées dans le cadre du combat armé moderne.

25 De façon très simple, nous pouvons dire que la doctrine qui sera élaborée

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1 dans le cadre de ce procès sera d'un intérêt tout particulier, sera en

2 fait un test décisif pour les forces militaires de par le monde.

3 Si nous nous penchons maintenant sur les chefs d'accusation, nous nous

4 apercevons que six des sept chefs retenus dans l'Acte d'accusation

5 traitent de l'assassinat de civils, de blessures infligées aux civils dans

6 le cadre de la campagne. Le septième chef d'accusation qui apparaît en

7 premier lieu dans l'Acte d'accusation indique que l'accusé a violé les

8 lois ou coutumes de la guerre en infligeant la terreur et des souffrances

9 mentales à la population civile de Sarajevo.

10 Je souhaiterais pour ma part m'attacher plus particulièrement à ce chef

11 d'accusation. Pendant toute la période couverte par l'Acte d'accusation,

12 le nombre de victimes civiles découlant de la campagne menée a atteint

13 plusieurs milliers, mais par opposition aux autres six chefs, les victimes

14 de ces crimes n'étaient pas seulement des habitants de Sarajevo abattus ou

15 blessés, il s'agissait également de personnes qui ont été terrorisées par

16 la conduite de cette campagne. Si l'accusé avait simplement souhaité tuer

17 autant d'habitants de Sarajevo que possible, eh bien, il n'aurait pas dû

18 s'y prendre de la sorte car il disposait des moyens lui permettant

19 d'atteindre des chiffres de victimes plus élevés. La ville était entourée

20 de collines qui fourmillaient de mortiers, de tanks, d'obusiers, de lance-

21 roquettes, d'autres pièces d'artillerie encore. Les moyens étaient là. Il

22 apparaît au vu des caractéristiques de la campagne menée sur une période

23 de temps prolongé, que l'intention n'était pas de tuer autant de civils

24 que possible. Il s'agissait plutôt d'insuffler dans l'esprit de chaque

25 citoyen l'idée que, aussi longtemps qu'ils restaient à Sarajevo, eux-mêmes

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1 et leurs proches allaient vivre dans une situation à laquelle ils ne

2 pouvaient échapper, où le risque de mort était omniprésent.

3 Ainsi que certains témoins le feront valoir, une fatalité morbide s'est

4 emparée de tous les civils de Sarajevo. Il apparaissait qu'il ne servait à

5 rien d'essayer de se protéger contre les mortiers, contre le tir des

6 tireurs embusqués. La mort les attendait à chaque tournant et la mort

7 viendrait quelles que soient les mesures prises pour s'en défendre.

8 Les soldats ont exprimé également le sentiment selon lequel ils se

9 trouvaient plus en sécurité sur le front que lorsqu'ils se trouvaient en

10 permission dans les zones civiles. Sur le front, ils savaient d'où le

11 danger pouvait venir alors que, dans les quartiers de la ville, la mort

12 pouvait survenir n'importe où, n'importe quand.

13 Comme nous l'avons dit précédemment, les témoins qui seront appelés à

14 comparaître donneront des exemples relatifs aux 26 incidents de tir

15 embusqué et aux 5 incidents de bombardement, ces incidents qui sont repris

16 dans l'Acte d'accusation. Les témoins s'exprimeront également sur d'autres

17 incidents dont ils ont été victimes, dont des voisins, dont des proches

18 ont été victimes.

19 A cette époque, un habitant de Sarajevo connaissait nombre de personnes

20 dans son entourage qui avaient été victimes de cette campagne. Grâce à ses

21 différents témoignages, la Chambre de première instance pourra prendre

22 conscience de l'étendue de la campagne, comprendra comment la société de

23 Sarajevo s'est trouvée touchée dans sa fibre même, comprendra comment,

24 bien au-delà du nombre de victimes, la campagne a réussi à insuffler ce

25 sentiment de terreur et de crainte permanente.

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1 La pression psychologique exercée sans relâche sur la population civile a

2 eu des conséquences dramatiques sur le bien-être de ladite population.

3 J'en veux pour preuve le nombre de personnes qui se sont rendues dans des

4 cliniques psychiatriques pendant et après le conflit. Des psychiatres

5 experts viendront témoigner, démontreront que la crainte qui prévalait à

6 Sarajevo pendant la période couverte par l'Acte d'accusation était

7 extrême, qu'elle était bien supérieure à celle à laquelle on serait en

8 droit de s'attendre dans le cadre d'un conflit armé. Si l'on regarde le

9 chef d'accusation qui ne traite pas de la terreur, eh bien, il apparaît

10 que nombre des civils qui se trouvaient impliqués dans ce conflit armé

11 subissaient ce climat de terreur.

12 Il est absolument traumatisant de comprendre que l'on est soi-même, que

13 les proches, que les voisins sont au cœur de la campagne, qu'il sont fait

14 la cible de la campagne, qu'il n'y a nulle part où se réfugier. La

15 souffrance des civils n'est pas un produit dérivé du conflit armé qui a eu

16 cours à Sarajevo. La souffrance des civils est en fait la conséquence

17 principale de cette campagne.

18 Si l'on regarde les faits, une conclusion s'impose. Les attaques menées

19 contre les civils de Sarajevo avaient principalement pour but, si ce n'est

20 exclusivement, de terroriser la population civile de Sarajevo.

21 Il est reconnu que le fait de répandre la terreur dans une population

22 civile est tout à fait contraire au droit coutumier international. Nous

23 notons cependant que ce type de chef d'accusation n'a jamais été jugé par

24 une instance de droit international. Les deux protocoles additionnels aux

25 Conventions de Genève de 1989, 1949 pardon, interdisent que des campagnes

Page 591

1 de terreur soient menées contre des populations civiles. L'accusé s'est

2 livré à ces actes par le biais des forces qui étaient placées sous son

3 commandement et sous son contrôle. Souvent, le fait de répandre la terreur

4 est lié à des objectifs très précis qui sont ceux de l'auteur des actes

5 et, dans ce cas, le fait de répandre la terreur est étroitement lié aux

6 objectifs plus généraux des dirigeants serbes de Bosnie.

7 Si la terreur qui a été répandue avait sapé le moral des civils ou s'il

8 avait sapé la volonté politique du gouvernement de Bosnie-Herzégovine à un

9 tel point que celui-ci aurait capitulé, alors il convient d'indiquer que

10 les objectifs plus généraux que j'évoquais tout à l'heure auraient été

11 atteints.

12 J'en viens maintenant à l'accusé. L'accusé est né le 12 mars 1943 dans le

13 village de Golesa dans la municipalité de Banja Luka. C'était un soldat de

14 carrière de la JNA; il est devenu à terme commandant de la 30e Division

15 des partisans. En mai 1992, lorsqu'il y a eu transition de… passage de la

16 JNA en armée de la Republika Srpska, l'accusé est resté au poste de

17 commandant de la division, qui s'est vue rebaptisée. Elle portait

18 désormais le nom de 30e Division d'infanterie. A ce titre, il a pris part

19 à un certain nombre d'opérations militaires dans la zone opérationnelle du

20 1e Corps de Krajina, y compris Jajce. Il a été désigné au poste de

21 commandant du Corps de Sarajevo Romanija par le Président de la Republika

22 Srpska, le Professeur Radovan Karadzic, le 31 août 1992.

23 En novembre de la même année, il a été promu du grade de colonel à celui

24 de général de division. Il est resté à ce poste jusqu'en août 1994, date à

25 laquelle il a été remplacé. Peu de temps après, il se retirait de son

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1 service d'active. Cela a été officialisé par un décret en date du 30

2 septembre 1994.

3 Par conséquent, l'on peut dire que l'accusé a assumé le commandement du

4 SRK alors qu'il était un soldat professionnel jouissant d'une grande

5 expérience. Il venait d'accomplir des missions dans d'autres secteurs

6 d'intervention de la VRS.

7 Si l'on regarde maintenant la doctrine militaire, eh bien, l'on s'aperçoit

8 que celle qui était au cœur du fonctionnement de la JNA est devenu la

9 doctrine qui était au cœur de la VRS.

10 L'accusé, ses subordonnés ont continué à suivre la même doctrine, doctrine

11 qui lui était hautement familière. Au cœur même de ce système était l'idée

12 selon laquelle chaque niveau de la structure dépendait des ordres émanant

13 des échelons supérieurs.

14 Un système de briefing régulier, la distribution de documents écrits

15 permettaient de faire descendre ces ordres le long de la chaîne de

16 commandement. Un mécanisme de transmission d'informations quotidien

17 permettait au supérieur de savoir de quel résultat les ordres avaient été

18 suivis.

19 Ainsi, le Corps agissait en tant qu'unité parfaitement intégrée,

20 opérationnelle, placée sous les ordres d'un commandant suprême.

21 Conformément à cette doctrine, le commandant est doté d'une autorité qui

22 lui permet de commander son état-major, les unités subordonnées, les

23 institutions et le personnel qui se trouvent à l'intérieur de ces

24 différentes entités. Cette doctrine établit également la responsabilité du

25 commandant réitérant le concept selon lequel certain commandant peut

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1 déléguer son autorité à des officiers subordonnés, mais il reste en tout

2 état de cause responsable des actions desdits subordonnés.

3 Peu de temps après sa formation, la Republika Srpska a adopté des

4 instruments clefs du droit international régissant le comportement des

5 forces armées. Ce faisant, la Republika Srpska a reconnu la responsabilité

6 de chaque niveau de sa structure militaire, au regard du droit

7 international qui régit les conflits armés.

8 Le commandant en chef de la VRS était le Président, le Professeur Radovan

9 Karadzic. Placé directement sous ses ordres, était le Général Ratko Mladic

10 qui était le commandant de l'état-major général de la VRS. L'état-major

11 général de la VRS avait sous ses ordres un certain nombre de Corps de la

12 VRS, parmi lesquels le SRK.

13 Si nous regardons la structure du SRK, l'on s'aperçoit qu'un certain

14 nombre d'unités la constituaient. Ce sont ces unités qui se sont livrées à

15 ces actes de tir embusqué, à ces actes de bombardement. Dans le cadre de

16 ces unités, des ressources étaient à la disposition de l'accusé qui lui

17 auraient permis de prendre des mesures de sanction.

18 Pour ce qui est du terme "tir embusqué", il est important de comprendre

19 que l'utilisation qui sera faite de ce terme dans le cadre du procès ne se

20 limite pas simplement à son acception militaire. Selon sa définition

21 militaire, un tireur embusqué est un tireur professionnel utilisant un

22 fusil et une lunette spécialisés. Nous allons utiliser ce terme dans un

23 sens plus large, et nous inclurons dans les tireurs embusqués les membres

24 de troupes régulières utilisant des armes telles que les fusils de chasse,

25 les mitrailleuses et les fusils antiaériens.

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1 Dans le montage vidéo que vous verrez dans quelques instants, vous pourrez

2 voir une mitrailleuse qui est bien connue des habitants de Sarajevo, qui a

3 été baptisée à l'époque la "grande faucheuse", qui avait été montée avec

4 une lunette télescopique. Vous verrez également un canon antiaérien placé

5 dans le nid d'un des tireurs embusqués, qui dominait l'hôpital d'Etat.

6 Je vais maintenant vous montrer un diagramme qui vous donne la structure

7 du SRK.

8 (Intervention de l'huissier.)

9 Nous allons regarder ensemble ce tableau, Monsieur le Président, Messieurs

10 les Juge.

11 Je voudrais mettre l'accent sur les chaînes de responsabilité, sur la

12 façon dont les unités d'artillerie, dont les tireurs faisaient partie des

13 troupes régulières, et donc, étaient placés sous l'autorité de leurs

14 commandants parmi lesquels se trouvait l'accusé.

15 La structure du SRK était une structure à quatre niveaux, quatre niveaux

16 de forces placées sous le commandement du commandant de Corps. Il y avait

17 l'état-major général du commandant, les brigades, les bataillons et enfin,

18 les compagnies.

19 Il y avait neuf brigades comptant environ 2.000 hommes chacune, les

20 bataillons étaient au nombre de 37 au moins, ce qui représente 37

21 bataillons comptant de 200 à 700 hommes. Et enfin, les compagnies qui

22 regroupaient chacune 50 hommes.

23 Comme nous l'avons indiqué précédemment, au coeur de la doctrine militaire

24 de la VRS, il y a l'idée qu'à chaque niveau de la structure, il y a

25 respect des ordres qui émanent de l'échelon supérieur. Pour le dire d'une

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1 autre façon, eh bien, les 18.000 hommes du SRK étaient placés sous la

2 responsabilité de l'accusé et agissaient sous ses ordres. Il revenait donc

3 à l'accusé de savoir ce qui se passait, de rythmer les activités de combat

4 et de prendre leur direction.

5 L'accusé fournissait à son état-major général des objectifs opérationnels.

6 Il revenait alors à l'état-major de concevoir un plan permettant

7 d'atteindre les objectifs fixés. Les ordres étaient donnés qui

8 permettaient la mise en oeuvre de ce plan. Ces ordres étaient ensuite

9 transmis par la chaîne de commandement.

10 L'on parlait du quartier général du Corps, ensuite on passe au quartier

11 général des brigades, donc des neuf brigades que j'ai évoquées tout à

12 l'heure. Ces neuf brigades entouraient la ville de Sarajevo.

13 Ces réunions d'information étaient tenues à chaque échelon, donc au niveau

14 des brigades, mais également au niveau des bataillons, puis au niveau des

15 compagnies. Les lignes de communication fonctionnaient dans les deux sens.

16 Il convenait également que l'échelon le plus bas de la structure puisse

17 transmettre l'information à l'échelon le plus haut, ainsi des rapports

18 quotidiens étaient envoyés qui portaient sur la mise en oeuvre des ordres

19 et des activités de combat.

20 Ce système de communication est typique de celui qui est d'application au

21 sein des forces armées modernes; c'est un moyen simple de s'assurer que

22 les forces qui se trouvent à l'échelon le plus bas comprennent ce que l'on

23 attend d'elles. C'est également un système qui permet au commandant, dans

24 le cas d'espèce l'accusé, d'être tout à fait au fait des activités menées

25 par ses forces.

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1 Grâce à ce système, le Corps agissait comme une formation intégrée qui

2 exécutait les ordres du commandant suprême, en l'occurrence l'accusé.

3 L'organigramme montre aussi qu'au sein de la structure placée sous son

4 commandement, l'accusé disposait d'unités de police militaire. Il aurait

5 pu avoir recours à ces unités de police militaire pour mener des enquêtes

6 portant sur les allégations de conduite illégale de ses troupes. Il

7 disposait donc d'un bataillon de police militaire qui était responsable

8 devant le quartier général du Corps, et puis, il disposait également au

9 sein des bataillons de compagnies de police militaire.

10 L'organigramme vous montre quelles sont les compagnies dont nous savons

11 qu'elles existaient, quelles étaient en place. L'accusation estime que

12 chaque brigade disposait de ce type d'unité de police militaire.

13 Pour ce qui est toujours de cet organigramme, je voudrais vous indiquer

14 les unités d'artillerie et les unités de tireurs embusqués. Vous avez les

15 unités d'artillerie qui apparaissent en rouge, à différents niveaux de la

16 structure du SRK.

17 J'en reviens au premier ensemble de cadres que j'ai indiqués, et je vous

18 invite à remarquer que ces unités d'artillerie étaient placées directement

19 sous le contrôle du quartier général de l'accusé. Il s'agissait donc de

20 subordonnés assez haut placés, dépendant directement de l'accusé. Au

21 niveau des brigades et des bataillons, il y avait d'autres unités

22 d'artillerie.

23 L'organigramme vous montre également -et je vous renvoie aux encadrés

24 vert…

25 M. le Président (interprétation): Monsieur Ierace, si vous me le

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1 permettez, je vais intervenir.

2 Nous avons sous les yeux un exemplaire en noir et blanc, vous faites

3 référence à des couleurs qui n'arrivent pas clairement à l'écran, donc

4 nous ne vous suivons pas aussi bien que nous le pourrions. Nous allons

5 faire une pause d'ici quelques minutes. Je propose que, pendant la pause,

6 vous veilliez à ce que la défense reçoive des exemplaires couleur et à ce

7 que les Juges reçoivent des exemplaires couleur de cet organigramme.

8 M. Ierace (interprétation): Est-ce que le moment est venu de nous

9 interrompre, Monsieur le Président?

10 M. le Président (interprétation): De combien de temps souhaitez-vous

11 disposer?

12 M. Ierace (interprétation): Au moins 20 minutes, si ce n'est 30.

13 M. le Président (interprétation): N'oublions pas que les interprètes

14 doivent se reposer. Je prends bonne note de ce que vous nous avez dit,

15 Maître.

16 Peut-être pouvez-vous conclure la partie à laquelle vous êtes en train de

17 faire référence? Disons que vous êtes tout à fait libre de vous

18 interrompre ou maintenant ou d'ici deux, trois minutes.

19 M. Ierace (interprétation): En fait, il serait bon que nous nous

20 interrompions maintenant, car j'allais passer à une autre partie de

21 l'organigramme; j'allais très rapidement vous dire un certain nombre de

22 choses et passer à autre chose.

23 M. le Président (interprétation): Très bien, j'ai un peu de mal à voir

24 l'heure exacte, il y a un reflet sur l'horloge, mais je propose que nous

25 suspendions l'audience et que nous nous retrouvions à 16 heures 15. Je

Page 598

1 vous remercie.

2 (L'audience, suspendue à 15 heures 44, est reprise à 16 heures 17.)

3 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ierace de nous avoir

4 remis des copies couleur des documents. Je demande à la défense si elle a

5 obtenu également des copies couleur?

6 (Signe affirmatif de la défense.)

7 Merci.

8 Monsieur Ierace, vous pouvez poursuivre.

9 M. Ierace (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

10 Avant de vous montrer les documents graphiques, je vais montrer sur

11 l'organigramme et sur l'écran où se trouvent les cases qui correspondent

12 aux tireurs isolés et aux pièces d'artillerie.

13 On ne voit pas à l'écran la couleur rouge qui indique la case réservée aux

14 unités d'artillerie, mais je vous les montre avec le pointeur; elles se

15 trouvent ici dans la chaîne de commandement. Je vous indique également la

16 position des sites d'où opéraient les tireurs embusqués dans toute cette

17 structure, au niveau des compagnies notamment.

18 L'organigramme vous montre également la chaîne d'information et de

19 restitution des résultats. Cette chaîne descend du haut vers le bas,

20 c'est-à-dire du quartier général du Corps jusqu'aux compagnies et remonte

21 ensuite des compagnies jusqu'à l'échelon supérieur.

22 Je vais maintenant parler de la responsabilité de l'accusé, en application

23 de l'Article 7.1 du Statut de ce Tribunal.

24 L'accusation affirme que les actes illégaux décrits dans l'Acte

25 d'accusation et notamment ce que l'on trouve dans les annexes de l'Acte

Page 599

1 d'accusation, ainsi que d'autres actes de nature similaire, ont été

2 planifiés ou ordonnés par l'accusé.

3 Les armées fonctionnent dans le respect des principes de subordination et

4 de contrôle. Les actes commis par des forces militaires sur le théâtre des

5 opérations sont dans le temps les actes ordonnés par les commandants, et

6 lorsque j'emploie le mot "ordonnés", je ne veux pas dire nécessairement

7 qu'il s'agit uniquement des actes ordonnés par écrit par un commandant.

8 Cependant, compte tenu du degré d'illégalité de la campagne, tout à fait

9 manifeste, il serait surprenant que des ordres écrits aux fins d'ordonner

10 de tels actes existent encore ou qu'ils n'aient été émis que de façon

11 verbale.

12 Le monde entier regardait ce qui se passait. L'échelle temporelle et

13 géographique de la campagne montre bien que cette campagne a constitué une

14 campagne délibérée qui a dû être le résultat d'ordres émanant à l'époque

15 du niveau suprême de commandement du SRK, c'est-à-dire de l'accusé.

16 Cette campagne n'aurait pas pu se poursuivre pendant 22 mois et se

17 déroulait un peu partout dans la ville, avec… donc de l'autre côté de la

18 ligne de démarcation par rapport à l'accusé, si cela ne s'était pas passé

19 sur les ordres de l'accusé.

20 Cette opération militaire durable n'a pas eu lieu spontanément. Elle

21 était organisée avant l'arrivée de l'accusé. Et comme le prouve à l'envi

22 la fourniture continue de munitions par l'accusé à ceux qui étaient

23 responsables de la conduite de cette campagne, l'accusé a bel et bien

24 choisi de poursuivre et de faire durer cette campagne. Le fait qu'il

25 obéissait sans doute aux ordres de ses supérieurs, c'est-à-dire du général

Page 600

1 Mladic et du Président Karadzic, lorsqu'il a émis ces ordres de poursuite

2 de la campagne, ne l'exonère pas de sa responsabilité.

3 En rapport avec l'Article 7.3 du Statut, nous disons que même si -et cela

4 serait tout à fait extraordinaire- l'accusé n'avait pas ordonné la

5 conduite de cette campagne, le droit international coutumier impose des

6 obligations très claires aux commandants militaires qui sont tenus de

7 prévenir ou de punir les actes illégaux commis par leurs subordonnés.

8 L'accusé n'a rien fait pour empêcher la poursuite de la campagne et n'a

9 pas sanctionné ceux qui étaient responsables. Ce fait confirme sa

10 responsabilité. Bien que l'accusé dans le mémoire préalable au procès le

11 nie, il ne fait aucun doute qu'il savait que des actes illégaux étaient

12 commis par ses subordonnés, compte tenu du système de restitution de

13 l'information du SRK qui avait pour but de l'informer, au quotidien, des

14 combats qui étaient en cours, immédiatement au niveau de commandement

15 inférieur.

16 Il est extraordinaire de penser que ces attaques n'aient pas été

17 communiquées tout le long de la chaîne de commandement, même si cela n'a

18 pas été fait sous forme écrite, compte tenu de leur caractère

19 particulièrement illégal.

20 A part ce système de restitution de l'information qui existait au sein du

21 Corps de Sarajevo Romanija, l'accusé et ses subordonnés les plus

22 importants au quartier général du Corps recevaient très souvent des

23 plaintes officielles relatives aux pilonnages et aux tirs isolés visant la

24 population civile, plaintes qui émanaient de nombreux observateurs

25 militaires des Nations Unies ainsi que des plus hauts responsables de la

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1 force de protection des Nations Unis qui avaient des contacts avec lui et

2 ses subordonnés les plus importants.

3 Et puis il y avait les médias, les journalistes du monde entier qui se

4 sont rendus à Sarajevo pour rendre compte de la conduite de la guerre.

5 Dans son mémoire préalable au procès, déposé devant cette Chambre il y a

6 quelques semaines, l'accusé prétend qu'aucun membre du RSK n'a jamais

7 admis devant lui avoir délibérément pris les civils pour cible de tirs

8 isolés, et que les représentants des Nations Unis ne lui ont jamais donné,

9 communiqué l'identité des auteurs de ces actes.

10 Le corollaire de ceci, semble-t-il, c'est qu'il considérait qu'il n'était

11 pas nécessaire d'ordonner une enquête tant qu'il n'était pas en possession

12 du nom du soldat qui avait tiré, qui avait utilisé le fusil pour tirer

13 dans le cadre d'un incident particulier, ou en tout cas tant qu'il ne

14 connaissait pas le nom de l'unité responsable. Donc il n'a rien fait.

15 Au minimum, l'accusé aurait dû ordonner une enquête au sujet de ces crimes

16 qui auraient pu être commis par ses subordonnés, ce qui lui faisait

17 obligation d'enquêter. Le droit international coutumier exige de

18 l'accusation de prouver simplement que l'accusé avait des raisons de

19 savoir que ses subordonnés ont commis ces actes.

20 S'agissant du tir isolé et du pilonnage délibéré des civils, au paragraphe

21 2.47, il déclare -je cite: "Il n'avait aucune connaissance de tels

22 événements". (Fin de citation.)

23 Et au paragraphe 6.32, je cite: "Qu'il n'a jamais reçu le moindre rapport

24 au sujet d'un quelconque incident individuel et qu'il n'a entrepris aucune

25 enquête s'agissant d'un tel incident". (Fin de citation.)

Page 602

1 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, au cours des deux années où

2 l'accusé a commandé le SRK, il était nécessairement la seule personne au

3 monde qui n'avait aucune connaissance des allégations très crédibles selon

4 lesquelles les résidents de Sarajevo étaient pris pour cible délibérément,

5 dans le cadre de tirs isolés et de pilonnages et ce au quotidien, tirs

6 isolés et pilonnages provenant des collines entourant la ville.

7 Les collines étaient contrôlées par ses forces et, ce qui est encore plus

8 bizarre, c'est que si l'on considère les éléments de preuve montrant qu'il

9 avait une télévision dans son bureau, au poste de commandement avancé de

10 la caserne de Lukavica, tout ceci semble très étrange. Il n'avait qu'à

11 brancher son poste de télévision.

12 Un témoin vous dira qu'en 1993 et ce n'est pas surprenant, il a vu une

13 télévision qui diffusait une émission dans le bureau de l'officier de

14 liaison de l'accusé. Et l'émission diffusée était CNN. Les pouvoirs d'un

15 commandant de Corps de l'armée de la Republika Srpska s'agissant de punir

16 sont très importants. Un témoin expert identifiera la portée exacte et la

17 nature de la responsabilité de l'accusé sur le théâtre des opérations et

18 mettra le doigt précisément sur les mesures qu'il aurait pu prendre dans

19 le cadre de ses pouvoirs.

20 Au nombre de ces mesures on peut parler de la possibilité d'éloigner les

21 personnes suspectes du front, d'émettre des ordres, de susciter des

22 améliorations au niveau de la formation et dans l'entraînement, de

23 modifier le règlement d'engagement des forces, et d'appliquer des mesures

24 disciplinaires. L'accusé a admis qu'il n'a rien fait de ce genre, qu'il

25 n'a pris aucune mesure comparable à cela s'agissant des incidents qui sont

Page 603

1 décrits dans les annexes de l'Acte d'accusation ou d'autres incidents

2 similaires.

3 A présent, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vais vous

4 montrer une série de séquences vidéos, un montage, dont la diffusion va

5 durer quelques 8 minutes et 4 secondes et ces images ont été tournées

6 durant la période de l'Acte d'accusation, c'est-à-dire avant le printemps

7 1993. Je le fais afin de montrer avec plus de forces que ne peuvent le

8 faire des mots, ce à quoi on aurait pu s'attendre et que je viens

9 d'évoquer au cours de mon propos liminaire.

10 Dans ces séquences vidéos, les vêtements portés par les gens vous seront

11 montrés et l'état de la végétation vous indiquera également quelle est la

12 saison en cours, à savoir l'été, les mois d'été de 1992, soit une période

13 ultérieure à celle où l'accusé a pris le commandement du SRK au début de

14 septembre de la même année.

15 Une note explicative préfacera chacune des séquences. Nous commencerons

16 donc par une séquence montrant des civils qui essaient d'échapper à des

17 tirs de tireurs isolés alors qu'ils traversent en courant un carrefour

18 exposé par rapport aux positions du SRK au début du conflit.

19 La deuxième séquence vous montre le même carrefour dans une période

20 comprise dans la période couverte par l'Acte d'accusation, c'est-à-dire la

21 période où des barrages destinés à protéger contre les tirs isolés avaient

22 été érigés et vous verrez donc ces barrages composés de containers empilés

23 les uns sur les autres.

24 Ensuite, vous verrez une séquence qui vous montrera des civils tentant

25 d'échapper aux tirs de tireurs isolés, parfois sans succès, ainsi que des

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1 civils en train d'aller chercher de l'eau et de ramasser du bois de

2 chauffage et ceci est en rapport avec trois incidents de pilonnage et les

3 décès à Dobrinja, à un endroit qui se situe tout près d'un parking utilisé

4 à l'époque pour les processions funéraires. Et ensuite, vous verrez dans

5 ces images vidéos la terreur qui était semée dans la population qui devait

6 échapper aux balles des tireurs isolés, aux obus et qui devait vivre tous

7 les jours en assistant à ces événements dans la ville de Sarajevo. Ces

8 personnes étaient continuellement prises pour cible et même si elles

9 n'étaient pas atteintes, elles subissaient la terreur due à cette

10 intention de les tuer.

11 Merci. Les images peuvent commencer à être diffusées.

12 (Diffusion de la séquence vidéo.)

13 M. le Président (interprétation): Dois-je comprendre que vous êtes arrivé

14 au bout de votre propos liminaire avec ces images, Monsieur Ierace?

15 M. Ierace (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

16 Monsieur le Président (interprétation): Maître Pilipovic, vous avez la

17 possibilité, à ce stade, en application de l'Article 84 du Règlement, de

18 présenter votre propre propos liminaire, mais vous pouvez –comme vous le

19 savez-, en demander le report à la fin de la présentation des éléments de

20 preuve de l'accusation. Que souhaitez-vous faire?

21 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, la défense se

22 réfère à l'Article 84 du Règlement pour demander de présenter son propos

23 liminaire après la présentation des éléments de preuve de l'accusation.

24 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

25 Maître Pilipovic, votre client souhaiterait-il s'exprimer en application

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1 de l'Article 84 bis du Règlement de procédure et de preuve?

2 Mme Pilipovic (interprétation): En ce moment même, non, Monsieur le

3 Président.

4 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Ce qui signifie que nous

5 pouvons commencer la présentation des éléments de preuve de l'accusation.

6 Monsieur Ierace, êtes-vous prêt à entendre votre premier témoin? J'ai cru

7 comprendre, d'ailleurs, qu'il serait bon que nous ayons une brève

8 suspension d'audience avant le début de l'audition du premier témoin, car

9 il faut réaménager la salle d'audience. Mais je vous demande, néanmoins,

10 si vous êtes prêt à entendre votre premier témoin.

11 M. Ierace (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

12 M. le Président (interprétation): Nous allons donc faire une pause de

13 quelque 3, 4 ou 5 minutes pour réaménager la salle d'audience.

14 (L'audience, suspendue à 15 heures 42, est reprise à 16 heures 46.)

15 M. le Président (interprétation): Maître Ierace, je vois que la salle

16 d'audience est prête. Qui est le premier témoin que vous souhaitez appeler

17 à comparaître?

18 M. Ierace (interprétation): Monsieur le Président, c'est M. Michael

19 Blaxill, mon collègue, qui va mener l'interrogatoire principal du premier

20 témoin: M. Kupusovic.

21 M. le Président (interprétation): Nous allons demander à l'huissier de

22 bien vouloir introduire le premier témoin.

23 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

24 bonjour. Je m'appelle Michael Blaxill, c'est effectivement moi qui vais

25 mener à bien l'interrogatoire principal de ce témoin. Nous allons donc

Page 606

1 appeler à la barre M. Tarik Kupusovic.

2 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Blaxill.

3 (Le témoin, M. Tarik Kupusovic, est introduit dans le prétoire.)

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Kupusovic, m'entendez-vous et

5 pouvez-vous suivre notre discussion dans une langue que vous comprenez?

6 M. Kupusovic (interprétation): Oui, je vous entends.

7 M. le Président (interprétation): Je vais maintenant vous inviter à

8 prononcer la déclaration solennelle. L'huissier vous tend le texte que

9 vous devez lire à haute voix.

10 M. Kupusovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

12 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Kupusovic.

13 Monsieur Blaxill, vous pouvez commencer l'interrogatoire principal de ce

14 témoin.

15 (Interrogatoire principal du témoin, M. Tarik Kupusovic, par M. Blaxill.)

16 M. Blaxill (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

17 Bonjour, Monsieur Kupusovic. Merci de bien vouloir décliner votre

18 identité, ainsi votre nom apparaîtra au compte rendu d'audience.

19 M. Kupusovic (interprétation): Bonjour à vous, Monsieur. Je m'appelle

20 Tarik Kupusovic.

21 Question: Pouvez-vous nous donner votre date de naissance?

22 Réponse: Je suis né le 5 décembre 1952.

23 Question: Quel est votre lieu de naissance?

24 Réponse: Je suis né à Sarajevo.

25 Question: Pourriez-vous nous dire quel a été votre parcours scolaire, et

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1 quel a été votre parcours professionnel?

2 Réponse: Je suis ingénieur civil, j'enseigne à la faculté d'ingénierie

3 civile de Sarajevo. Je suis également directeur d'un institut

4 d'ingénierie.

5 Question: Quel était votre emploi en 1992, au début de cette année?

6 Réponse: J'étais professeur à l'université, mais j'étais également membre

7 de l'assemblée municipale de Sarajevo; c'était de façon amateur, disons.

8 Question: Depuis combien de temps votre famille réside-t-elle à Sarajevo?

9 Réponse: Depuis plus de 400 ans.

10 Question: Vous avez indiqué que vous aviez pris part aux travaux de

11 l'assemblée municipale de Sarajevo. Quand avez-vous commencé à exercer un

12 rôle au sein de la municipalité?

13 Réponse: Eh bien, après les élections de 1990, j'ai été élu au conseil

14 municipal; j'en étais donc membre.

15 Question: Pourriez-vous nous décrire brièvement les fonctions d'un

16 conseiller municipal à Sarajevo?

17 Réponse: Eh bien, il en allait de même que dans toutes les autres villes

18 du monde. C'est un organe de gouvernement local qui était chargé du

19 service public et des autres choses dont la ville de Sarajevo avait besoin

20 pour fonctionner.

21 Question: Est-ce qu'il existe, au sein de Sarajevo, des municipalités

22 locales, d'autres entités donc qui jouissaient d'une certaine autorité?

23 Réponse: Oui. A l'époque, la ville de Sarajevo était constituée de 10

24 municipalités.

25 Question: Merci de bien vouloir nous donner le nom de ces municipalités.

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1 Et dites-nous, de façon assez générale, où se trouvaient ces

2 municipalités. Est-ce qu'elles étaient au Nord, au Sud de la ville?

3 Donnez-nous ce type d'indication.

4 Réponse: Eh bien, si nous commençons à l'Est, il y avait les municipalités

5 de Pale, Stari Grad Center, le nouveau Sarajevo, Novi Grad, Hadzici,

6 Ilijas, Trnovo et Vogosca.

7 Question: Combien de ces municipalités constituent-elles le centre urbain

8 de Sarajevo?

9 Réponse: Le centre urbain est constitué de quatre municipalités.

10 Question: Merci de bien vouloir nous donner le nom de ces quatre

11 municipalités.

12 Réponse: Stari Grad Center, le nouveau Sarajevo, et Novi Grad –ou ville

13 nouvelle.

14 Question: Monsieur Kupusovic, je vais vous demander de bien vouloir nous

15 parler de Sarajevo avant la guerre. Quelle était la vie que l'on menait à

16 Sarajevo avant la guerre? Dites-nous également quelle était l'activité

17 économique de Sarajevo avant 1990.

18 Réponse: Sarajevo est une ville qui a plus de 500 ans. Elle a été bâtie au

19 carrefour de deux routes, c'était un centre économique. Après la Seconde

20 Guerre mondiale, et notamment… ou disons plus précisément après les Jeux

21 Olympiques d'hiver de 1984, Sarajevo n'était pas seulement la capitale de

22 Bosnie-Herzgovine, Sarajevo était également le centre culturel et

23 économique de l'ex-Yougoslavie.

24 Sur les six plus grandes entreprises d'ingénierie et de consultants de

25 l'ex-Yougoslavie, quatre se trouvaient à Sarajevo. Pour ce qui est de la

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1 recherche universitaire, pour ce qui est de la vie culturelle, de la vie

2 musicale, eh bien, Sarajevo était une ville riche, indépendante.

3 Indépendante de Belgrade, de Zagreb, les autres centres principaux de

4 l'ex-Yougoslavie.

5 A Sarajevo, tout le monde vivait en bonne entente, personne ne se souciait

6 de l'appartenance ethnique ou religieuse.

7 Question: Avant d'aborder cette question, je vais vous poser quelques

8 questions.

9 Quelle était la population de Sarajevo en 1991/1992?

10 Réponse: Un demi million d'habitants.

11 Question: Pourriez-vous nous dire quelle était la composition ethnique de

12 cette population?

13 Réponse: Environ 40% de la population était musulmane, 32% de la

14 population étaient serbe et 8% de la population était croate. Pour ce qui

15 est du pourcentage restant, il s'agissait de mariages mixtes, de personnes

16 qui se considéraient comme étant d'abord Yougoslaves; des personnes qui se

17 considéraient comme étant des citoyens de la Yougoslavie. Et il y avait

18 également des membres d'autres groupes ethniques.

19 Question: Pourriez-vous nous parler dans le détail des rapports qui

20 existaient entre les différents groupes ethniques qui habitaient la ville?

21 Réponse: J'en ai déjà parlé, j'ai déjà dit que nous vivions en bonne

22 entente. Nous avions des rapports harmonieux et il n'y avait aucun

23 quartier de la ville, aucune institution, aucune entreprise qui soit

24 dominé par les membres d'un groupe ethnique. Les citoyens se considéraient

25 comme précisément cela: des concitoyens.

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1 Les petites différences religieuses qui existaient n'étaient en aucun cas

2 un obstacle. Les gens se rendaient visite lors de fêtes telles que Bajram,

3 se rendaient visite lors de célébrations familiales et dans le cadre

4 d'autre célébration également.

5 En tant que citoyen de Sarajevo, je peux affirmer ici qu'il s'agissait de

6 la ville la plus cosmopolite de l'ex-Yougoslavie.

7 Question: Et quand était-il des rapports existant entre les membres du

8 conseil municipal; nous parlons donc de la vie politique? Quand était-il

9 fin 1990-début 1991?

10 Réponse: Au sein du conseil municipal ou du parlement municipal, comme on

11 l'appelait, il y avait 120 députés élus, conseillés représentant

12 différents partis; il y avait 7 partis représentés. Les rapports entre les

13 différents conseillers étaient excellents.

14 Nous étions membres du conseil municipal et, en tant que tels, nous

15 cherchions à créer une atmosphère pluripartite. Il y avait la possibilité

16 de manifester son appartenance à des partis sociaux-démocrates, libéraux,

17 écologistes; toutes sortes d'idées politiques étaient représentées. Je ne

18 parle pas des trois partis nationaux qui avaient également leurs

19 représentants au sein de l'assemblée; aucun de ces trois partis

20 nationalistes n'avait d'ailleurs une majorité. Le parti auquel

21 j'appartenais avait le plus grand nombre de députés, je parle du SDA, qui

22 avait 32% des sièges.

23 Question: Vous faites référence à trois partis nationalistes. Qu'est-ce

24 que cela veut dire exactement? Est-ce que ces partis représentaient

25 différents groupes ethniques?

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1 Réponse: Oui. La plupart des membres, disons la quasi-totalité du parti

2 serbe de l'Action démocratique étaient Serbes. Tous ceux qui appartenaient

3 à l'Union démocratique croate étaient des Croates et la majorité des

4 membres du parti de l'Action démocratique étaient des Musulmans ou des

5 Bosniens.

6 Pour ce qui est des autres parties, eh bien, il s'agissait de partis

7 pluriethnique. Il n'y avait pas un groupe ethnique qui dominait par

8 rapport à autres au sein de ces autres partis politiques.

9 Question: Est-ce que ces partis auxquels vous avez fait référence étaient

10 mieux connus sous certains acronymes, et, si c'est le cas, pouvez-vous

11 nous donner les "initiales" –entre guillemets- de ces partis?

12 Réponse: Tous les partis ont un sigle. Et les trois parties les plus

13 importants étaient le SDA, donc le parti de l'Action démocratique; le HDZ,

14 l'Union démocratique croate; et le SDS, le parti démocratique serbe à la

15 tête duquel on trouvait Radovan Karadzic.

16 Question: Dans le cadre de votre carrière politique, avez-vous occupé des

17 postes publics? Est-ce que vous avez occupé ce type de postes pendant le

18 début des années 90 jusqu'en 1944-1995?

19 Réponse: Effectivement. J'étais membre de l'assemblée municipale, j'ai

20 occupé ce poste à partir des élections de 1990 jusqu'en 1994, date à

21 laquelle j'ai été nommé maire de la ville de Sarajevo. J'ai occupé ce

22 poste jusqu'en 1996.

23 Question: Monsieur Kupusovic, revenons-en à la situation qui prévalait à

24 Sarajevo avant la guerre.

25 Quels étaient les symboles de Sarajevo, quels étaient les aspects de la

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1 ville dont ses habitants étaient les plus fiers et dont ils tiraient

2 orgueil?

3 Réponse: Tous les habitants de Sarajevo étaient alors, et sont aujourd'hui

4 encore, très fiers du centre historique. Dans ce centre historique de 400

5 mètres carrés environ, il y a la vieille église orthodoxe; il y a

6 également la plus grande mosquée des Balkans, il y a la cathédrale

7 catholique et la vieille synagogue juive.

8 Par ailleurs, les habitants de Sarajevo sont particulièrement fiers des

9 structures qui ont été mises en place juste avant l'ouverture des jeux

10 olympiques d'hivers. Ces installations y ont transformé la ville. La ville

11 avait pris un certain aspect dans les années 50 et 60; elle avait connu

12 une certaine croissance sous le socialisme et le communisme, mais à partir

13 de la construction de ces installations elle est devenue une ville

14 européenne moderne grâce à ses bâtiments, grâce également à l'installation

15 de grandes infrastructures -approvisionnement d'eau, en électricité et en

16 gaz-, les structures qui ont été construites en 1980 ont vraiment donné un

17 coup de pouce à la ville. Et cela a bien sûr été construit en vue

18 d'accueillir les Jeux Olympiques.

19 Question: Pourriez-vous nous parler également du transport public à

20 Sarajevo?

21 Réponse: Eh bien, à l'époque, outre le tram qui a été construit au XIXe

22 siècle -d'ailleurs les premiers trams à circuler dans l'Empire Austro-

23 Hongrois étaient les trams de Sarajevo-, eh bien, outre ces trams il y

24 avait également des bus, il y avait également des bus qui permettaient

25 d'assurer le transport vers tous les quartiers de la ville; c'était un

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1 système de transport public qui fonctionnait particulièrement bien: qui a

2 très bien fonctionné pendant les Jeux Olympiques et qui a parfaitement

3 bien fonctionné jusqu'en 1992.

4 Question: Je vous remercie.

5 Pourriez-vous nous dire où vous résidiez au début de l'année 1992?

6 Réponse: J'avais mon domicile dans le quartier de Dobrinje qui est à

7 proximité de l'aéroport de Sarajevo.

8 Question: Avez-vous toujours habité dans ce quartier?

9 Réponse: Non. C'est un quartier résidentiel qui, au départ, avait été

10 construit pour accueillir les journalistes, les athlètes qui ont participé

11 aux Jeux Olympiques. Moi, j'ai emménagé en 1983.

12 Question: Pouvez-vous nous dire où vous habitiez au mois d'avril 1992? A

13 Dobrinje?

14 Réponse: Oui, au début du mois d'avril, j'habitais à Dobrinje. Donc juste

15 à côté de l'aéroport de Sarajevo.

16 Question: Monsieur Kupusovic, quel a été l'effet des événements qui se

17 sont produits en ex-Yougoslavie sur l'état d'esprit et sur la vie

18 quotidienne des habitants de Sarajevo, à la fin 1991?

19 Réponse: Lorsqu'il y a eu, eh bien, scission et démantèlement des

20 structures, des structures de l'ex-République socialiste fédérale de

21 Yougoslavie, d'abord avec le départ de la Slovénie puis de la Croatie, eh

22 bien, la grande majorité de la population de Bosnie-Herzégovine et la

23 grande majorité de la population de Sarajevo ont pensé qu'une solution

24 pacifique serait trouvée à cette crise qui venait d'éclater. Personne ne

25 pensait que la guerre qui avait éclaté en Croatie pouvait s'étendre à la

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1 Bosnie-Herzégovine et à Sarajevo.

2 D'ailleurs, le 1er janvier 1992, un accord de paix a été signé à Sarajevo,

3 accord de paix intervenant entre le "croupion" de la Yougoslavie -comme on

4 l'appelait à l'époque- et la Croatie.

5 D'après cet accord, il devait y avoir fin des conflits qui avaient ravagé,

6 à l'époque, Vukovar, Dubrovnik et d'autres villes encore. Nous pensions

7 que rien de tel ne pouvait se passer à Sarajevo.

8 Avant ces événements, après ces événements, les citoyens de Sarajevo

9 étaient en faveur de la paix, en faveur d'un règlement pacifique de la

10 crise; ils n'étaient pas du tout en faveur de ce qui s'est en fait passé

11 par la suite.

12 Question: Face à une telle situation, est-ce que les rapports amicaux qui

13 prévalaient jusqu'en 1992 ont changé? Est-ce que des changements se sont

14 fait jour au tout début de 1992?

15 Réponse: Non, cela n'a pas beaucoup changé. Toutefois, après la tenue du

16 référendum, le 29 de février et le 1er mars 1992, les citoyens ont dû

17 préciser s'ils souhaitaient demeurer au sein du "croupion" de Yougoslavie

18 -donc avec la Serbie-, ou déclarer s'ils souhaitaient que la Bosnie-

19 Herzégovine devienne indépendante.

20 A ce moment-là, certains membres du SDS ont établi les premiers points de

21 contrôle à Sarajevo pour manifester leur rejet des résultats du

22 référendum. Vous savez sans doute que le référendum a eu pour résultat la

23 reconnaissance et l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

24 Par la suite, lorsque la Bosnie-Herzégovine a été officiellement reconnue

25 comme Etat indépendant par l'Union européenne, il y a eu de nouvelles

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1 barricades qui ont été élevées dans la nuit du 5 au 6 avril. Mais nos

2 collègues, membres de l'assemblée municipale, qui étaient donc pour

3 certains d'entre eux membres du SDS, ont déclaré qu'ils n'avaient rien à

4 voir avec ces barricades et ces événements. Ils ont déclaré qu'ils n'y

5 avaient pas pris part, ils ont déclaré que c'étaient des groupes qui

6 échappaient à leur contrôle qui s'étaient livrés à ces actes.

7 Question: Avez-vous pu établir l'objectif visé par la construction de ces

8 barricades?

9 Réponse: Eh bien, d'après ce qu'ont dit les Présidents et vice-Présidents

10 du SDS, il était de faire état du désaccord du SDS en tant que parti. Ils

11 voulaient que l'on sache que le SDS, tel que représenté dans l'ensemble de

12 la Bosnie-Herzégovine, était contre les résultats du référendum.

13 Ces barricades sont demeurées en place pendant quelques heures, donc il y

14 a eu limitation de la liberté de mouvements. Il y a eu quelques échanges

15 de coups de feu, mais nous ne pouvions guère établir l'objectif visé par

16 tout cela. Nous ne pouvions y voir qu'une espèce de test mené par les

17 personnes qui étaient prêtes à se livrer à ce type d'activité.

18 Question: Quel était l'état d'esprit de la majeure partie de la population

19 pendant que tous ces événements avaient lieu?

20 Réponse: La population a décidé de s'organiser de façon pacifique pour

21 démanteler les barricades, et c'est biens ce qui s'est passé. Cela s'est

22 passé une première fois en mars, une deuxième fois en avril. De grands

23 groupes de citoyens -hommes, femmes, enfants-, se sont rendus sur les

24 lieux des barricades; certaines personnes se sont approchées de ceux qui

25 tenaient les barricades et qui portaient des uniformes de camouflage, des

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1 bas sur leur visage, des casquettes, et on fait en sorte que les

2 barricades soient démantelées.

3 De la même façon, le 5 avril, une énorme foule de citoyens venant de

4 Sarajevo, mais d'autres endroits de la Bosnie, ont organisé une marche

5 pacifique contre ceux qui avaient érigé ces barricades et ont essayé de

6 les convaincre de les retirer. Il y a eu quelques échanges de feux, mais

7 sporadiques.

8 Question: Monsieur Kupusovic, y avait-il, avant la guerre, une entité

9 militaire basée à Sarajevo?

10 Réponse: La JNA occupait un certain nombre de casernes à Sarajevo avant la

11 guerre. Elle disposait également d'un certain nombre d'installations dans

12 les faubourgs de la ville. Mais la seule force militaire en présence à

13 Sarajevo avant la guerre était la JNA.

14 Question: Pouvez-vous nous dire exactement où se trouvaient les locaux de

15 la JNA à Sarajevo?

16 Réponse: La caserne la plus importante était la caserne du Maréchal Tito

17 qui se trouvait au cœur même de la ville.

18 Réponse: C'est un ensemble de bâtiments très importants.

19 Par ailleurs, dans le quartier historique de la ville et dans des

20 quartiers plus modernes, il y avait des casernes de taille plus

21 restreinte, il y avait des installations qui permettaient aux soldats de

22 suivre leur formation, de se livrer à des exercices d'entraînement.

23 Question: De façon générale, quelles étaient les activités auxquelles se

24 livraient les soldats membres de la JNA qui se trouvaient dans la ville

25 avant la guerre?

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1 Réponse: Lorsque la JNA s'est retirée de la Croatie et de la Slovénie, une

2 grande partie des troupes et des équipements sont arrivés en Bosnie-

3 Herzégovine. Et une majeure partie de ces équipements et membres sont

4 arrivés à Sarajevo.

5 Le nombre de patrouilles a augmenté de façon très nette, ils

6 patrouillaient en ville dans des véhicules transporteurs de troupes, se

7 déplaçaient à bord d'autres véhicules, et bien sûr cela a eu un effet

8 négatif sur l'état d'esprit des citoyens qui voyaient une manifestation

9 d'un certain pouvoir militaire.

10 Question: Je vous interromps, si vous le permettez.

11 Avant cette période de temps, quelles étaient les activités de la JNA au

12 sein de la ville. Aviez-vous l'habitude de les voir dans les quartiers de

13 la ville?

14 Réponse: Avant 1990, les forces militaires se trouvaient au sein de la

15 ville, autour de la ville, mais les rapports avec les représentants des

16 forces militaires étaient excellents. Il y avait des sociétés culturelles

17 et des associations artistiques amateurs, les soldats se rendaient dans

18 les cafés, dans les boutiques, dans les instituts culturels dès qu'ils

19 avaient un peu de temps à eux. Et les rapports entre la population civile

20 et les soldats étaient tout à fait amicaux.

21 Question: Quelle était l'attitude de la population à l'égard des soldats

22 de la JNA? Et de quelle façon la population réagissait-elle à la présence

23 de la JNA et à ce qu'elle représentait?

24 Réponse: Avant que la guerre n'éclate en Croatie, la population de

25 Sarajevo y était tout à fait favorable. Mais, après la guerre en Slovénie

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1 et en Croatie, eh bien, le comportement de la population est devenu plus

2 neutre. Les gens disaient: "Bien sûr, il s'agit de notre armée mais elle

3 s'est livrée à certains actes qui ne recueillent pas notre accord".

4 Par conséquent, cette armée nous semblait être trop serbe. Beaucoup de

5 Slovènes, beaucoup de Croates avaient quitté les rangs de l'armée; il ne

6 s'agissait donc plus de l'armée de tous les peuples de Yougoslavie.

7 Mais, tout de même, on considérait qu'il s'agissait encore d'une force

8 armée neutre qui ne s'attacherait à défendre l'ordre constitutionnel et la

9 paix en Bosnie-Herzégovine.

10 Question: Merci.

11 Vous avez dit, il y a quelques minutes, qu'après les troubles en Croatie

12 vous avez constaté que la JNA avait augmenté le nombre de ses hommes et de

13 ses armes au voisinage de Sarajevo. Pourriez-vous nous en dire un peu, je

14 vous prie, au sujet de ce que vous avez vu dans le cadre du retour de ces

15 hommes de la JNA en ville?

16 Réponse: C'était un fait bien connu que le nombre des hommes et des armes

17 utilisés en Croatie avaient en grande partie été transférés en Bosnie-

18 Herzégovine. Et, à Sarajevo, on a pu le voir d'ailleurs à la télévision et

19 des rumeurs ont couru à ce sujet, à savoir au sujet de l'augmentation du

20 nombre des forces de la JNA aux environs de Sarajevo. Le commandant de la

21 JNA a fait savoir qu'il s'agissait de manœuvres régulières dans les

22 environs de Sarajevo; suite à quoi certains habitants de la ville se sont

23 dit effrayés, car ils ne voyaient pas très bien de quoi la JNA pouvait

24 avoir à se protéger en positionnant des armes lourdes autour de Sarajevo.

25 Moi, j'habitais à Dobrinja et il y avait un carrefour non de loin là où

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1 j'ai pu constater que la partie de la route en question avait été fermée

2 aux civils. Et puis, en même temps, des transports de troupes, des chars,

3 des canons ont été installés dans le lac de retenue de Mojmilo qui est de

4 l'autre côté de la ville, de sorte qu'on pouvait constater la présence de

5 l'armée un peu partout, et on ne voyait pas très bien contre quoi l'armée

6 devait protéger les habitants de la ville.

7 Question: Vous avez parlé du lac de retenue de Mojmilo. Pouvez-vous

8 expliquer aux Juges de quel endroit vous parlez exactement? Pouvez-vous

9 nous donner plus de détails à ce sujet?

10 Réponse: Le lac de retenue de Mojmilo est le plus grand lac de retenue de

11 Sarajevo. C'est là que l'eau est pompée pour être ensuite distribuée dans

12 des postes d'adduction d'eau plus petits, et ce sont ces postes qui

13 alimentent la ville en eau. Mojmilo est une colline qui surplombe

14 l'aéroport dans la partie nouvellement construite de la ville et qui

15 surplombe également Dobrinja, tout près de l'aéroport.

16 Question: Vous avez dit que des canons avaient été installés à cet

17 endroit. Pouvez-vous nous dire de quels canons il s'agissait exactement?

18 Pouvez-vous décrire ces canons?

19 Réponse: Non, je ne suis pas spécialiste des canons. Ce sont des canons

20 avec un tube droit, mais je ne peux pas vous en dire plus.

21 Question: Merci. Cela suffira.

22 Vous avez parlé d'autres événements survenus aux environs du début avril.

23 Y a-t-il eu un événement significatif, le 6 avril 1992 à Sarajevo?

24 Réponse: Le 6 avril est la fête de la libération de Sarajevo à la fin de

25 la Deuxième Guerre mondiale. C'est donc une fête qui est devenue la fête

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1 de la ville. Il y avait donc une cérémonie organisée au niveau de la

2 municipalité de la ville, mais cette cérémonie n'a pas eu lieu, car dans

3 la nuit du 5 au 6 avril des barrages ont été érigés. Ce qui a fait qu'une

4 partie seulement des gens qui devaient participer à cette cérémonie ont pu

5 se réunir en se frayant un chemin.

6 Moi, je suis arrivé en taxi jusqu'à un barrage, j'ai franchi le barrage à

7 pied. Puis, j'ai pris un autre taxi jusqu'au deuxième barrage et, en

8 franchissant le deuxième barrage, j'ai réussi à atteindre la mairie. Cela

9 ne m'a pas posé de problème particulier, mais je n'ai pas pu utiliser ma

10 voiture personnelle. Et, par ailleurs, il y avait au niveau des barrages

11 des gens qui portaient un masque et dont on ne connaissait pas très bien

12 le rôle.

13 Question: Vous dites que ces personnes portaient un masque. Auriez-vous pu

14 les reconnaître d'une autre façon? Est-ce que vous auriez pu savoir d'une

15 autre façon qui ils représentaient?

16 Réponse: Non, ils avaient des espèces de chaussettes placées sur la tête,

17 ils n'étaient pas en tenue militaire. Donc ils ne représentaient pas, ne

18 ressemblaient pas à des soldats ni à des policiers. Ils étaient armés et

19 ils tenaient ces barrages; ils n'empêchaient pas les gens de passer à

20 pied, mais on ne peut pas franchir cet obstacle en véhicule.

21 Mais nous savions que c'étaient des membres du SDS, parce que, à la

22 télévision, nous avions vu des images montrant les négociations entre le

23 président Izetbegovic et Karadzic qui était le Président du parti serbe.

24 Pour ce qui est de l'évacuation de ces barrages, le médiateur c'était le

25 représentant des Nations Unies à Sarajevo. C'est ce qui s'est passé en

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1 fait le lendemain. Les barrages ont été enlevés et il y a eu négociation

2 de paix, et on avait dit qu'il n'y aurait plus jamais de barrages.

3 Question: Et donc, après cela, après cet incident et après que les

4 barrages aient été enlevés, comment se présentait la situation en ville?

5 Réponse: Pendant tout le mois d'avril, la situation est restée tendue. Au

6 niveau… des efforts ont été faits par la police aussi pour trouver une

7 solution, mais il y a eu des tirs sporadiques en ville. Il y a eu des

8 incidents qui ont insufflé la peur et qui ont vraiment apeuré les gens.

9 Mais tout a continué de fonctionner: les transports publics, les services

10 d'utilité publique ont continué à fonctionner. Les gens allaient à leur

11 travail. Nous avions pour devise de dire que, en travaillant, nous

12 luttions pour la paix, parce que c'était de cette façon-là qu'on pouvait

13 enrayer le risque de la guerre.

14 Question: Vous avez évoqué plusieurs incidents, des tirs. Est-ce que vous

15 pourriez donner aux Juges de cette Chambre des faits relatifs à ces

16 incidents?

17 Réponse: Lorsqu'il y a eu ce grand rassemblement pour la paix devant

18 l'assemblée de la République socialiste, ou plutôt, de la République de

19 Bosnie-Herzégovine -c'est comme cela qu'on l'appelait déjà à l'époque-, le

20 conseil exécutif, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine… En fait, il y a

21 eu des tirs tirés depuis le Holiday Inn, un hôtel tout proche, et qui ont

22 arrêté le rassemblement; il y a eu plusieurs blessés parmi la foule.

23 Plus tard, lorsque des manifestants pour la paix se sont mis en route en

24 direction de l'école de police, c'est à ce moment-là qu'on a eu la

25 première perte civile. Cela s'est passé sur le pont, de l'autre côté de

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1 l'assemblée, quand on va vers ce quartier de la ville où se trouve l'école

2 de police. Pendant tout ce mois, il y a eu quelques jours paisibles suivis

3 de jours marqués par des tirs sporadiques, venant des plus petites

4 casernes éparpillées dans la ville. En fait, les tirs étaient le fait de

5 personnes que nous ne connaissions pas.

6 Question: Vous parlez de cette première perte civile, cette personne

7 abattue sur un pont. Est-ce que vous pouvez nous donner davantage de

8 détails? Avez-vous des informations sur l'identité de cette personne?

9 Réponse: Oui, c'était une étudiante de Sarajevo. Elle était originaire de

10 Dubrovnik, elle étudiait à Sarajevo. Elle s'appelait Suada Omerovic, c'est

11 elle qui a été la première victime de la guerre à Sarajevo. Et

12 aujourd'hui, ce pont porte son nom.

13 Question: Est-ce que cet événement a beaucoup marqué les gens à l'époque?

14 Est-ce qu'il a été très significatif?

15 Réponse: Tout à fait. Parce que c'était une jeune fille qui étudiait à

16 Sarajevo, elle voulait la paix. Et, d'une certaine façon, les gens se sont

17 sentis obligés de faire quelque chose du fait de sa mort. Ils se sont dit

18 que ces morts pouvaient se multiplier si les gens n'abandonnaient pas

19 leurs armes, n'essayaient pas de trouver une solution pacifique à toutes

20 ces méprises, à tous ces malentendus en ex-Yougoslavie.

21 Question: Est-ce que quelqu'un a établi, a découvert dans quelles

22 circonstances elle avait été abattue, d'où provenaient ces tirs, qui était

23 l'auteur de ces tirs?

24 Réponse: La police a établi que ces tirs avaient été tirés par les gardes

25 du Corps de Radovan Karadzic. C'est du moins ce qui a été publié dans les

Page 623

1 journaux. Moi, je n'ai pas de connaissance personnelle bien évidemment.

2 Question: Bien sûr. Mais est-ce que vous avez des informations quant au

3 lieu, aux coordonnées de ces gardes du corps de Karadzic au moment de ces

4 tirs? Savez-vous où ils se trouvaient?

5 Réponse: Ils se trouvaient sur deux étages de l'hôtel Holiday Inn, ainsi

6 que dans d'autres bâtiments proches. Mais c'est là que se trouvait aussi

7 le siège du SDS. Après les rassemblements, après ces événements, ils ont

8 déménagé à Pale.

9 Question: Donc, après cet événement du 6 avril, comment les choses ont-

10 elles évolué dans la ville? Je parle ici du climat qui régnait, de

11 l'atmosphère générale? Est-ce qu'elle était calme ou est-ce que l'on

12 sentait comme ça une montée des tensions?

13 Réponse: Eh bien, oui, effectivement, la tension augmentait. En effet, de

14 plus en plus de soldats commençaient à se déplacer en ville, et les

15 citoyens ont essayé de vaquer à leur vie habituelle, ont tenté de

16 s'opposer à la militarisation de la ville, à ces activités militaires de

17 leur façon. Ils ont trouvé que cela n'avait pas de sens, que cela ne

18 faisait qu'augmenter le risque d'incidents. Il y a eu des incidents

19 pendant tout le mois d'avril: des tirs, des gens blessés, même quelquefois

20 des tués.

21 M. Blaxill (interprétation): Et, dans la ville de Sarajevo, que faisaient

22 les effectifs de la JNA pendant qu'il y avait ces événements, ces

23 incidents? Est-ce qu'ils ont participé ou pas?

24 M. Kupusovic (interprétation): Eh bien, les éléments de la JNA ont joué un

25 rôle de médiateur un peu neutre, essayaient de séparer -comme ils le

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1 disait- les parties opposées. Mais il n'y avait pas de partis opposés, en

2 fait il n'y avait que le SDS. Les garçons, les jeunes hommes qui faisaient

3 partie de la milice du SDS; et puis il y avait les soldats de la JNA.

4 Il y avait aussi des groupes de jeunes hommes à Sarajevo. C'étaient des

5 citoyens qui patrouillaient les rues, mais sans avoir d'arme. Ils se

6 trouvaient aux entrées d'immeubles résidentiels; ils essayaient de

7 prévenir les crimes, ils essayaient d'éviter qu'il y ait des soldats

8 ivres, des soldats de réserve qui se livraient à des exactions en ville.

9 Ce qui veut dire qu'il y a eu une recrudescence de l'attention.

10 Et, à un niveau politique plus élevé, on ne cessait de changer d'avis

11 quant à la façon de maintenir de façon pacifique la Yougoslavie, ou encore

12 sur la façon de parvenir à un nouvel accord politique afin que la totalité

13 du territoire de l'ex-Yougoslavie se transforme en communauté pacifique

14 d'Etats fédéraux ou de confédérations.

15 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, je voulais faire une

16 petite pause d'environ 20 minutes. Est-ce que le moment se prête bien?

17 M. Blaxill (interprétation): Maintenant ou plus tard, peu importe.

18 M. le Président (interprétation): Fort bien. Courte pause. Nous

19 reprendrons à 6 heures moins 10.

20 (L'audience, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures 52.)

21 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, veuillez poursuivre,

22 mais bien sûr, il faut d'abord que le témoin revienne dans le prétoire.

23 M. Bl axill (interprétation): Oui, oui, dès qu'il sera arrivé, je

24 poursuivrai.

25 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

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1 Monsieur Kupusovic, avant la pause nous parlions des activités de la JNA à

2 l'époque, c'est-à-dire au début du mois d'avril. Est-ce que vous pourriez

3 cependant nous parler d'événements qui se seraient produits peu de temps

4 auparavant du côté de l'aéroport de Sarajevo?

5 M. Kupusovic (interprétation)): La JNA s'est emparée de l'aéroport, de

6 l'administration civile de l'aéroport, en a pris le contrôle dès le mois

7 de mars. En avril, la JNA avait le plein contrôle de l'aéroport et aussi

8 de la circulation du trafic aérien.

9 Question: Est-ce que le trafic aérien à l'aéroport inclut aussi des

10 transports civils où est-ce que c'étaient uniquement des transports

11 militaires à l'époque?

12 Réponse: Il y avait prépondérance de la circulation militaire. Moi,

13 j'habitais tout près, je voyais le décollage et l'atterrissage d'avions

14 mais il y avait aussi atterrissages d'appareils civils.

15 Question: Nous traversons le mois d'avril. Il y a ces événements autour du

16 6, mais comment est-ce que ce mois s'est poursuivi dans la ville?

17 Y a-t-il eu d'autres événements?

18 Réponse: Je ne sais pas exactement à quoi vous pensez. Je vous ai déjà

19 parlé de la reconnaissance, de la tension, des efforts déployés par les

20 civils, par les citoyens pour garder une vie normale en ville.

21 Question: Effectivement, ma question n'était pas très précise. Je vais la

22 préciser. Est-ce qu'après cela, la JNA a eu une participation plus

23 militaire avec d'autres groupes, je pense à d'éventuels conflits qui

24 auraient éclaté au cours du mois d'avril dans la ville?

25 Réponse: Il y a eu plusieurs exercices comme les ont qualifiés des

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1 commandants militaires de la JNA: des exercices qui se sont déroulés en

2 ville et autour de la ville, ce qui a accru les peurs de la population et

3 augmenté les tensions.

4 Question: Est-ce que la JNA a participé à des incidents où il y a eu des

5 tirs à un moment donné?

6 Réponse: Il y a eu des incidents de tirs. Je vous en ai déjà parlé, mais

7 moi, je ne savais pas, pas plus que d'autres d'ailleurs, qui en étaient

8 les auteurs.

9 Je me rappelle d'une déclaration faite par le général Kukanjac.

10 Il était commandant de la garnison pour la zone de Sarajevo et il a dit

11 que quand les habitants disaient que c'était la JNA qui tirait, lui

12 affirmait que la JNA était une force qui ne voulait pas écraser ne serait-

13 ce qu'une fourmi, qu'elle voulait maintenir la paix mais pourtant, il y

14 avait sans arrêt des exercices militaires, des mouvements militaires, de

15 plus en plus de tension.

16 Question: Est-ce qu'à un moment donné, il y a eu un affrontement ouvert

17 entre des gens qui se trouvaient tout près de la caserne de Tito, ceci au

18 mois d'avril?

19 Réponse: Oui, il y a eu des incidents devant la caserne mais ce n'était

20 pas vraiment une confrontation. C'était simplement la même chose que ce

21 qu'il se passait à Capljina ou à Mostar où là, il y avait même plus

22 d'effectifs qu'à Sarajevo, enfin toute proportion gardée.

23 Question: A l'époque, comment avaient évolué les rapports entre les

24 délégués de l'assemblée de la ville? Est-ce que les débats restaient aussi

25 harmonieux que ce que vous avez décrit précédemment ou est-ce que cela

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1 avait changé?

2 Réponse: Non, il n'y a pas eu de changement particulier. Nous nous

3 rencontrions, nous avions des réunions. A l'époque, j'étais déjà président

4 du club des députés de mon parti.

5 Et ces présidents se sont retrouvés, se sont rencontrés dans la volonté

6 d'apaiser les tensions, pour aussi maintenir le fonctionnement des organes

7 de la ville. Le président du SDS, du club ou du groupe de députés du SDS,

8 a participé aussi à ces réunions. Il s'appelait Bozo Popara et c'est lui

9 qui était le président du SDS de Karadzic. Lui, Popara, il était président

10 du SDS pour la ville de Sarajevo.

11 Question: Vous nous avez décrit, du fait qu'il y avait de plus en plus de

12 tension, des problèmes mais est-ce qu'il y avait eu des mouvements de

13 population, des déplacements de population à ce moment-là, nous sommes

14 toujours au mois d'avril?

15 Réponse: Oui. Une partie de la population -on parle ici peut-être de

16 quelques milliers, tout ceci au mois de mars, d'avril- était partie dans

17 des avions de la JNA et d'autres façons aussi. Ils avaient quitté la

18 ville. C'était surtout des membres de famille d'officiers de la JNA qui

19 habitaient en ville, mais ceci concernait aussi d'autres habitants.

20 Question: Et est-ce qu'il y a eu un groupe ethnique particulier dont les

21 membres sont partis en plus grand nombre que d'autres groupes?

22 Réponse: C'est bien possible. Etant donné que la plupart des officiers

23 étaient serbes, il se peut qu'il y ait eu plus de Serbes qui ont quitté la

24 ville, mais c'était vrai aussi d'autres personnes, des Croates et des

25 Musulmans. Ils envoyaient leurs femmes, leurs petits-enfants ailleurs, que

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1 ce soit sur la Côte Adriatique ou ailleurs se disant que ces personnes

2 resteraient éloignées pendant un mois ou deux en attendant que la

3 situation se calme. C'est ce que tout le monde m'a dit à l'époque, c'est

4 ce que m'ont dit ceux qui avaient envoyé leur famille à la Côte, en

5 Croatie ou en Allemagne; c'est ce qu'ils m'ont raconté.

6 Question: Nous sommes maintenant vers la mi-avril. Est-ce que l'assemblée

7 municipale a pris des mesures particulières, disons vers le 19 avril?

8 Réponse: L'assemblée n'a pas pu avoir de réunion le 6 avril à cause des

9 barrages dont nous avons parlé. De ce fait, un nombre limité de personnes,

10 de dirigeants de partis qui avaient des suppléants à l'assemblée ou qui

11 avaient des députés à l'assemblée, se sont rencontrés pour essayer de

12 trouver une solution dans la ville, pour essayer de retrouver la paix et

13 voir comment la situation allait évoluer.

14 Le 17 avril, une déclaration a été signée et publiée dans les journaux

15 locaux, déclarations des Présidents des groupes de députés, selon

16 laquelle, ce qu'ils voulaient faire, c'était préserver les biens de

17 Sarajevo ou…

18 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, je voudrais vous montrer un

19 document. Excusez-moi de vous avoir interrompu.

20 Monsieur l'huissier, est-ce que vous voulez bien présenter ce document?

21 M. le Président (interprétation): Ceci me permet, Monsieur Blaxill, de

22 vous faire une proposition s'agissant de la présentation du document, du

23 versement.

24 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, je n'ai pas l'intention de

25 demander le versement de ce document qui, en fait, est très bref et qui

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1 suit de près ce que dit ce témoin. Je vais lui demander de lire ceci pour

2 le compte rendu d'audience sans en demander le versement. Ceci étant,

3 c'est un document qui est préparé pour vous aider, Messieurs les Juges, et

4 pour aider la partie adverse, et qui a été présenté en français et en

5 anglais, pour vous aider.

6 M. le Président (interprétation): Est-ce que, Maître Pilipovic, vous avez

7 reçu une copie ou Me Piletta-Zanin?

8 M. Piletta-Zanin: Je crois que nous n'avons pas reçu de document. Je vous

9 remercie, Monsieur le Président, mais nous étions convenus, je crois, la

10 dernière fois, de surveiller de très près les problèmes de traduction. Or,

11 je saisis cette brève interruption pour indiquer que je crois avoir

12 entendu le témoin dire, tout à l'heure "malovice(?)", ce que je traduirais

13 comme étant "un peu moins", et qui n'apparaît pas en tant que tel dans la

14 transcription anglaise du texte. C'est un des problèmes de traduction que

15 nous devrons voir: comment réagir lorsque des déclarations qui sont faites

16 dans une langue n'apparaissent pas nécessairement exactement dans une

17 autre langue?

18 Cela dit, je ne crois pas que nous ayons reçu ces documents. Je ne le

19 crois pas, mais je ne sais pas très bien à quoi on fait référence, par

20 conséquent…

21 M. le Président (interprétation): Concentrons-nous d'abord sur ce

22 document, si vous le voulez bien, pour le moment. Si vous rencontrez

23 d'autres difficultés en matière de traduction, Maître, nous allons aborder

24 ces questions-là plus tard pour essayer d'y trouver une solution -dans la

25 mesure du possible.

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1 Mais s'agissant de ce document, Monsieur Blaxill, je crois comprendre que

2 nous n'avons pas de copie, pas plus que la défense, mais que nous allons

3 avoir une copie maintenant.

4 M. Blaxill (interprétation): Ce n'est pas tout à fait le cas. Nous avons

5 des copies destinées à être distribuées, qui ont été déposées ce matin.

6 Mais Mme Pilipovic avait reçu celui-ci le 26 novembre, je pense qu'on le

7 lui a remis; c'est un collègue qui le lui a remis, ce document.

8 M. le Président (interprétation): Excusez-moi, Monsieur Blaxill, juste

9 avant le début de l'audience, j'ai reçu copie. Vous en avez une, Maître

10 Pilipovic? Oui, je crois que c'est un document qui dit en anglais

11 "déclaration des représentants des parties". C'est bien de celui-là qu'on

12 parle?

13 M. Blaxill (interprétation): Tout à fait.

14 M. le Président (interprétation): Et la défense en dispose aussi?

15 M. Blaxill (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Président,

16 permettez-moi une remarque: pour ce qui est de ce commentaire de

17 traduction, que ce soit résolu parce que cela va être lu par le témoin, ce

18 sera interprété par nos interprètes, donc ce sera consigné au compte rendu

19 d'audience aussi bien en anglais qu'en français.

20 Est-ce que l'on peut remettre ce document au témoin?

21 Monsieur le Témoin, veuillez examiner ce document. Est-ce que vous le

22 reconnaissez, pouvez-vous nous dire ce qu'il représente?

23 M. Kupusovic (interprétation): Il s'agit bien du document que j'ai évoqué,

24 document qui a été publié dans les journaux. Il s'agit d'une déclaration

25 des représentants des partis parlementaires devant l'assemblée municipale

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1 de Sarajevo.

2 Question: Ayez l'obligeance nous lire ce document.

3 Réponse: Bien sûr. Le document portait le titre suivant: "La ville est

4 indivisible".

5 Et le texte se lit comme suit: "A l'occasion d'une réunion de l'assemblée

6 municipale de Sarajevo, qui s'est déroulée le 19 avril 1992, réunion à

7 laquelle assistaient des représentants de tous les partis parlementaires,

8 dont les délégués qui constituent ladite assemblée, et qui était présidée

9 par le Président de l'assemblée municipale, Muhamed Kresevljakovic; le

10 communiqué conjoint ci-après a été adopté et signé.

11 Aucune personne représentant la ville, la République ou l'Europe n'a le

12 droit de négocier la division de Sarajevo au nom de ses habitants.

13 La ville de Sarajevo, avec plus de cinq siècles d'Histoire marquée par la

14 coexistence d'une communauté pluriculturelle, pluriconfessionnelle et

15 plurinationale est indivisible.

16 Un concept de la ville moderne des populations civiles en Europe est

17 défendu à Sarajevo. Sarajevo est la capitale de la République de Bosnie-

18 Herzégovine où tous les droits de l'homme et toutes les libertés sont

19 respectés, et de ce fait, nous affirmons que personne n'a le droit de

20 mettre en danger les vies, la paix et les biens des résidents, ou son

21 héritage culturel et historique ainsi que ces ressources naturelles.

22 Les signataires de ce document sont: Miodrag Jankovic, Alliance des forces

23 réformatrices; Bozidar Popara, parti démocratique serbe; Tarik Kupusovic,

24 parti d'action démocratique, SDA; Anto Zelic, parti démocratique croate,

25 HDIZ; Slobodan Primorac, SDP, parti du changement démocratique socialiste;

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1 Esad Afgan, MBO, organistion des Musulmans de Bosnie; Nijaz Nurkovic,

2 libéraux; Ibrahim Spahic, DSS, parti démocratique des socialistes; et

3 Muhamed Kresevljakovic, maire de Sarajevo." (Fin de citation.)

4 Donc tous les Présidents des partis au niveau municipal ont signé ce

5 document, y compris Bozidar Popara et moi-même qui, à l'époque, présidait

6 le groupe parlementaire du SDA. J'ai signé ce document.

7 Question: Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il y a effectivement

8 un petit point de traduction qui se pose à ce stade.

9 Vous avez parlé de "l'Alliance des forces réformatrices". Or, sur le

10 texte, il apparaît que c'est Miodrag Jankovic qui préside ce parti. Mais

11 moi, on m'a dit qu'il présidait le parti radical serbe. Alors, est-ce que

12 c'est une seule et même chose, ou y a-t-il une erreur qui s'est glissée

13 quelque part?

14 Réponse: L'alliance des forces réformatrices est un parti qui a commencé

15 18… ou qui a vu le jour 18 mois après la période dont nous parlons

16 maintenant.

17 Question: Ce document est rédigé en quel alphabet, et dans quel alphabet

18 a-t-il été publié?

19 Réponse: Il est écrit en cyrillique, l'écriture cyrillique.

20 Question: Est-ce que le fait qu'il a été publié en cyrillique a une

21 importance particulière?

22 Réponse: Non. Les quotidiens étaient publiés un jour en cyrillique et un

23 jour en alphabet latin. Donc c'était une répartition équitable entre les

24 deux alphabets. Nous avions les moyens techniques de publier dans les deux

25 alphabets, et nous voulions absolument protéger cette égalité

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1 d'utilisation des deux alphabets, cyrillique et latin. C'est une

2 coïncidence que ce document ait été publié en cyrillique.

3 Question: Nous avons parlé des incidents violents qui s'étaient produits

4 au mois d'avril. Est-ce qu'il est arrivé un moment où la situation a

5 changé? Où la situation a vraiment passé le cap de la violence? Est-ce

6 qu'il y a eu multiplication des incidents violents, des incidents de tirs?

7 Réponse: En avril, la situation était très tendue. Et le 2 mai, eh bien,

8 les choses ont explosé.

9 Question: Vous dites que la situation a véritablement explosé.

10 Qu'entendez-vous par là?

11 Réponse: Une colonne constituée de véhicules transporteurs de troupes et

12 de tanks s'est dirigée vers le siège de la présidence de Bosnie-

13 Herzégovine.

14 Parallèlement, le centre militaire qui se trouvait dans le centre de

15 Sarajevo, à côté du bâtiment de la présidence, a été évacué. Des tirs ont

16 pu être entendus.

17 Il y a donc eu explosion, c'est bien ce que je disais: on a mis le feu a

18 des trams, il y a eu des meurtres, et c'est à ce moment-là que la guerre a

19 vraiment éclaté à Sarajevo.

20 Voilà un petit peu quelle a été l'épopée de la ville.

21 Question: Monsieur Kupusovic, ces véhicules transporteurs de troupes, ces

22 tanks, à qui appartenaient-ils?

23 Réponse: Ils appartenaient à la JNA.

24 Question: Vous dites qu'ils se dirigeaient vers le siège de la présidence,

25 mais où ces véhicules se sont-ils rendus en fin de compte?

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1 Réponse: Ils ont été interceptés au niveau du pont qui se trouve en face

2 de l'assemblée municipale. L'assemblée qui se trouve elle-même juste à

3 côté du siège de la présidence. Les véhicules ont été interceptés par les

4 gardes de la présidence et les gardes de l'assemblée municipale. Il

5 s'agissait donc d'unités de la police régulière. Il y a eu des

6 affrontements.

7 Puisque des négociations étaient en cours au même moment à Lisbonne,

8 négociations portant sur la mise en oeuvre du résultat du référendum, eh

9 bien, on a pensé à ce moment-là qu'il s'agissait d'une tentative de coup

10 d'état.

11 Question: Après que ces véhicules transporteurs de troupes, que ces tanks

12 ont été interceptés par des gardes à ce point précis de la ville, que

13 s'est-il passé: est-ce que les véhicules sont restés sur place, est-ce

14 qu'ils se sont retirés? Qu'est-il advenu de cette colonne de véhicules?

15 Réponse: Un certain nombre de véhicules ont été détruits, les autres sont

16 repartis mais je le répète, parallèlement un certain nombre de trams ont

17 été incendiés, des voitures également. Il y a eu des échanges de coups de

18 feu en ville. La situation était très perturbée, il y a eu des émeutes et

19 cela a vraiment marqué le début de la guerre à Sarajevo.

20 Question: Pourriez-vous nous dire, Monsieur, quels étaient les autres

21 individus qui ont pris part à ces incidents, à ces émeutes dont vous

22 parlez? Est-ce que des groupes ont pris une part active à tout cela?

23 Réponse: Il y avait donc les unités de police, les unités de police de

24 réserve qui protégeaient le bâtiment de la présidence qui symbolisait la

25 Bosnie-Herzégovine et sa souveraineté. Il y avait également des groupes de

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1 jeunes gens organisés qui apportaient leur aide à ces troupes de police.

2 Ces groupes s'appelaient eux-mêmes "bosna".

3 Question: Vous dites que ces groupes s'appelaient les groupes "bosna".

4 Est-ce qu'ils représentaient un parti politique en particulier,

5 représentaient-ils un groupe ethnique particulier?

6 Réponse: Non, il s'agissait de jeunes hommes, habitants de Sarajevo, qui

7 estimaient que la situation était grave. Ils étaient constitués en

8 plusieurs groupes, ils étaient plusieurs centaines et ils apportaient leur

9 aide aux officiers de police; ils essayaient de les aider à maintenir

10 l'ordre, la stabilité à Sarajevo en mars, en avril, mais ils étaient en

11 civil. Ils agissaient en tant que citoyens, citoyens qui joignaient leurs

12 forces à celles des forces de police de réserve.

13 Question: Que s'est-il ensuite produit dans la ville?

14 Réponse: La ville a été bombardée.

15 Peu de temps après, la Vjetnitza(?) a été incendiée, la bibliothèque de

16 l'université, la gare, la poste, un certain nombre de bâtiments clés de la

17 ville ont été lourdement bombardés et pilonnés.

18 Question: Pourriez-vous nous donner la date approximative du début de ces

19 pilonnages et bombardements?

20 Réponse: Cela s'est produit le 2 ou 3 mai, et la situation est restée la

21 même pendant environ deux ou trois semaines.

22 Il y avait bien sûr des interruptions, mais un jour sur deux; nous

23 subissions des chocs terribles. Le gymnase olympique a été détruit,

24 beaucoup d'immeubles ont été endommagés, la gare a été détruite, et cette

25 situation, -je le répète-, a duré pendant toutes les semaines et les mois

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1 qui ont suivi.

2 Question: Je vais vous poser quelques questions plus détaillées sur ces

3 événements.

4 Lorsque les premiers obus sont tombés sur la ville, est-ce que vous

5 pourriez nous préciser les quartiers de la ville qui ont été atteints?

6 Pouvez-vous nous dire un petit peu de quelle façon les choses se

7 présentaient?

8 Réponse: Les bâtiments que j'ai cités se trouvent dans différents

9 quartiers de la ville. On ne peut pas dire que c'est une partie

10 particulière de la ville qui a été ciblée. Les bâtiments touchés étaient

11 tous des symboles de la ville. Cela c'est très clair. C'étaient des

12 bâtiments qui étaient essentiels au fonctionnement de la ville puisque

13 nous parlons de la poste, du gymnase, de la gare.

14 Question: Est-ce qu'à l'époque ces bâtiments ont été les seuls à être

15 touchés, ou bien est-ce que d'autres immeubles ont également été pilonnés?

16 Réponse: Non, plusieurs immeubles ont été atteints. Il y avait beaucoup

17 d'immeubles à plusieurs étages. Il y avait des appartements qui

18 flambaient. Le quartier de la ville où j'avais résidé jusqu'alors,

19 Dobrinja, jusqu'à côté de l'aéroport, le quartier donc où se trouvait la

20 JNA, est un quartier où la moitié des appartements ont été incendiés. J'ai

21 appris cela d'un voisin qui se trouvait là au moment des faits. Cela s'est

22 passé le 2 mai.

23 Moi, je me trouvais justement en centre ville. J'étais dans l'appartement

24 de mes beaux-parents. Vingt jours plus tard, les lignes téléphoniques ont

25 été coupées parce que le bâtiment de la poste a été incendié; on ne

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1 pouvait donc plus utiliser les téléphones.

2 Question: Monsieur Kupusovic, vous avez expliqué que vous aviez pendant un

3 temps habité le quartier de Dobrinja. Est-ce que vous avez vous pu

4 retourner chez vous à cette époque?

5 Réponse: Non. A 11 heures 15, lorsque les émeutes ont commencé aux

6 alentours du bâtiment de la présidence, moi, je me trouvais dans la rue.

7 Et, lorsque j'ai entendu les premiers coups de feu, je me trouvais avec

8 mes enfants. Donc je suis reparti vers l'appartement de mes beaux-parents.

9 Et, au lieu de prendre le tramway pour aller à Dobrinja où nous pensions

10 nous rendre, nous sommes allés chez mes beaux-parents. Nous avons passé

11 les deux mois et demi qui ont suivi dans l'appartement de mes beaux-

12 parents, parce que nous ne pouvions plus nous rende à Dobrinja; le tramway

13 ne le desservait plus.

14 Lorsque j'ai appelé ma voisine à Dobrinje, nous avons appris que nous

15 n'avions plus d'endroit où nous rendre parce que l'appartement avait été

16 incendié. Il apparaissait, par ailleurs, qu'il n'y avait plus de transport

17 public, tout était bloqué; il était absolument impossible de se déplacer

18 dans la ville: depuis la caserne du Maréchal Tito, des coups de feu

19 étaient tirés dans toutes les directions.

20 Question: Qui occupait la caserne du Maréchal Tito à ce moment-là?

21 Réponse: La JNA.

22 Question: Vous dites que des coups de feu ont été tirés. Pourriez-vous

23 préciser de quels types de coups de feu il s'agissait? C'étaient des coups

24 tirés avec quelle arme: des petites armes à feu ou, au contraire, était-ce

25 des coups d'armes plus lourdes qui étaient tirés?

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1 Réponse: Eh bien, c'étaient des coups de fusil, d'armes légères. Et puis,

2 il y avait également le Zolja, un lance-roquette à main qui était utilisé.

3 C'est ce type d'arme qui était utilisée pour détruire les appartements.

4 Question: Pouvez-vous nous décrire un petit peu le type de quartier qui

5 était visé par ces tirs, qui provenaient des baraques du maréchal Tito?

6 Réponse: Tous les quartiers de la ville étaient visés, tous les quartiers

7 de la ville qui pouvaient être atteints depuis les casernes évidemment.

8 Mais les tirs étaient tirés dans toutes les directions.

9 Question: Ces tirs, quel a été l'impact de ces tirs sur la capacité de la

10 population de Sarajevo à se déplacer dans la ville, et à mener sa vie

11 quotidienne?

12 Réponse: Je le répète, la caserne se trouve au centre-ville; il s'agit

13 d'un ensemble de bâtiments assez importants. Les tirs provenaient de la

14 caserne, donc il n'y avait aucune communication possible entre les deux

15 parties de la ville, les parties qui se trouvaient de part et d'autre des

16 casernes.

17 Question: Quand vous dites des "parties de la ville qui se trouvaient de

18 part et d'autre de la caserne", vous faites référence aux parties Nord et

19 Sud de la ville ou aux partie Est et Ouest?

20 Réponse: Au Nord et au Sud et à l'Est et à l'Ouest, parce que les axes

21 routiers principaux se trouvent de part et d'autre de la caserne, ces axes

22 ne pouvaient plus être empruntés. Et puis, pour ce qui est des directions

23 Nord et Sud, eh bien, on ne pouvait pas non plus s'y déplacer, parce que

24 c'étaient également des zones qui étaient visées par les tireurs de la

25 caserne.

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1 Question: Est-ce que des personnes ont été blessées, tuées par ces tirs

2 qui provenaient de ces casernes?

3 Réponse: Oui. La télévision fonctionnait encore, il y avait de

4 l'électricité. A de nombreuses reprises, nous avons vu des images qui

5 montraient des femmes, des enfants, des hommes se faire blesser ou se

6 faire tuer. Nous avons entendu des reportages sur ce type d'incident, des

7 individus qui se trouvaient dans la ligne de mire de ceux qui tiraient, de

8 ces soldats sans doute qui tiraient depuis la caserne.

9 Question: Pouvez-vous nous répéter, une fois encore, combien de temps

10 cette situation a duré?

11 Réponse: Cela s'est prolongé pendant plusieurs semaines, jusqu'à ce qu'un

12 accord soit passé selon lequel la JNA devait se retirer vers la Serbie,

13 donc ce qui restait de la Yougoslavie; un accord a été passé pour que la

14 caserne soit évacuée. Cela a dû se produire un mois et demi environ après

15 le début des incidents.

16 Question: Est-ce que des groupes d'individus se sont regroupés de façon

17 officielle, dirais-je, pour combattre la JNA, pour faire opposition à ses

18 activités?

19 Réponse: Dans les ex-Républiques socialistes de la Yougoslavie, il

20 existait ce que l'on appelait la Défense territoriale, qui était une

21 organisation locale de la République. Et, au début du mois de mai -mais

22 officiellement à la mi-mai-, la Défense territoriale a été mobilisée. Et

23 la Défense territoriale, aux côtés des forces de police de réserve, des

24 forces de police d'active et des groupes de jeunes hommes dont j'ai parlé

25 plus tard qui, par la suite, sont devenus des forces de l'armée de Bosnie-

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1 Herzégovine, voilà un petit peu la force qui s'est constituée pour faire

2 opposition à la JNA. Ce sont ces forces qui ont essayé de protéger la

3 ville, de protéger les civils de ces attaques.

4 Question: Pendant toute cette période de temps où la JNA occupait la

5 caserne, où les tirs étaient tirés depuis la caserne, que se passait-il?

6 Est-ce que la ville était pilonnée, bombardée?

7 Réponse: Oui, elle était bombardée depuis des positions occupées aux

8 alentours de Sarajevo. Mais il y avait également des bombardements qui

9 provenaient de la caserne qui, je le répète, se trouvait dans la ville.

10 Question: Mais, pour autant que vous le sachiez, est-ce que des obus sont

11 jamais tombés sur les casernes de la JNA à cette époque?

12 Réponse: Je n'ai pas connaissance d'un incident où un obus serait tombé

13 sur la caserne. Mais, ce qui est certain, c'est que ces jeunes hommes de

14 la police ne disposaient pas d'armes avec lesquelles ils auraient pu

15 pilonner la caserne. Il n'y avait pas d'armes lourdes qui se trouvaient

16 entre les mains de ces jeunes hommes.

17 Question: Est-ce que vous vous souvenez si certains des obus provenant de

18 l'extérieur de la ville ont atteint la caserne de Tito?

19 Réponse: Mais c'était la même armée qui se trouvait à l'intérieur de la

20 caserne et autour de la ville.

21 Question: Je vais poser la question de façon différente: avez-vous eu

22 l'occasion d'observer, personnellement, la caserne de Tito pendant cette

23 période de temps, ou bien, est-ce que vous ne vous rendiez pas dans ce

24 quartier en particulier?

25 Réponse: Je ne me rendais pas dans les quartiers avoisinants, la caserne,

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1 il était très difficile d'atteindre ces quartiers. Mais, depuis

2 l'appartement qui se trouvait derrière le Holiday Inn, nous pouvions

3 apercevoir les murs de la caserne. En fait, on pouvait y voir la caserne

4 depuis à peu près n'importe quel quartier de la ville, parce que c'était

5 un ensemble de bâtiments très importants.

6 Question: Donc, depuis ces points d'observation, est-ce que vous avez pu

7 remarquer si des dégâts étaient infligés à la caserne, notamment au cours

8 du mois de mai? Avez-vous le souvenir d'avoir fait de telles observations?

9 Réponse: Non, je n'ai rien vu de ce genre.

10 Question: Vous nous avez décrit les conditions qui prévalaient dans la

11 ville. Comment est-ce que l'assemblée municipale fonctionnait pendant

12 toute cette période?

13 Réponse: L'assemblée municipale n'avait pas pu se réunir depuis le mois

14 d'avril. Jamais le quorum ne pouvait être atteint. Nous ne pouvions donc

15 pas prendre de décision.

16 La législation en vigueur prévoyait qu'il fallait que la présidence de la

17 ville prenne en main le fonctionnement de l'assemblée municipale. Et il y

18 avait donc le maire, le premier adjoint et le commandant de la défense

19 civile, ainsi que le chef de la police municipale qui se retrouvaient donc

20 au sein de la présidence. La présidence a commencé à exercer ses fonctions

21 au mois de juin parce que, au mois de mai, il n'était toujours pas

22 possible de se déplacer; la situation était très dangereuse.

23 A partir du début du mois de juin jusqu'en janvier ou février 1994, c'est

24 la présidence de la ville qui a assumé les fonctions de l'assemblée

25 municipale, parce que la présidence était la plus haute manifestation de

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1 l'autorité civile en ville.

2 Question: Un petit peu plus tard nous reviendrons dans le détail sur ce

3 que vous venez de dire. Mais je voudrais vous poser pour l'instant la

4 question suivante: apparteniez-vous, vous-même, à la présidence?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Je vous remercie.

7 Donc ce changement intervient dans le cadre de l'administration civile,

8 c'est une chose. Mais vous avez également fait référence à une période de

9 temps pendant laquelle la JNA a évacué la caserne de Tito. Est-ce que vous

10 pouvez nous donner les circonstances qui ont finalement abouti à cette

11 évacuation? Et pouvez-vous nous dire où la JNA s'est rendue?

12 Réponse: Eh bien, quand la Bosnie-Herzégovine a été reçue au sein des

13 Nations Unies en temps qu'Etat souverain, à l'issue de pourparlers menés

14 par des responsables politiques de haut niveau, il a été convenu que la

15 JNA allait quitter la Bosnie-Herzégovine et donc Sarajevo également, et

16 plus précisément la caserne du maréchal Tito.

17 La JNA est donc partie sous contrôle des Nations Unies. Elle était censée

18 laisser derrière elle les armes lourdes qui devaient être utilisées par

19 l'armée de Bosnie-Herzégovine, et ne partir qu'avec des armes légères.

20 Au moment du départ de la JNA, une partie de cette armée est restée à

21 Grbavica, qui est un quartier qui se trouve de l'autre côté de la rivière.

22 Et comme je l'ai déjà dit, la télévision fonctionnait à l'époque. On

23 regardait aussi bien sur la télévision de Belgrade et de Zagreb.

24 Et les jeunes gens qui faisaient leur service militaire à la JNA sont

25 effectivement partis pour Belgrade, donc rentrés au sein de leur famille.

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1 Mais il était tout à fait évident que la majorité des hommes de la JNA -je

2 parle des soldats et des officiers, mais aussi des armements- sont restés

3 à Sarajevo pour devenir l'armée des Serbes de Karadzic et, plus tard,

4 l'armée de la Republika Srpska, VRS.

5 Question: Donc, à cette époque-là, y a-t-il eu des endroits ou des zones

6 dans la ville qui ont été créés et dont on aurait pu dire que ces zones,

7 ou ces endroits, répondaient au nom de "fronts étant occupés par des

8 soldats"?

9 Réponse: Eh bien, en avril et en mai, donc tout à fait au début, il n'y

10 avait pas encore de lignes constituées, de fronts constitués. On ne

11 pouvait pas utiliser ce terme. Mais les quartiers urbanisés, les endroits

12 où les gens habitaient ont commencé à être gardés par des patrouilles de

13 la police de réserve et des unités de la Défense territoriale composées

14 donc, entre autres, de volontaires qui patrouillaient pour défendre les

15 maisons et les appartements dans lesquels ils habitaient.

16 Et puis, je ne me rappelle plus exactement la date, mais, à un certain

17 moment, l'état de guerre a été déclaré. L'armée de Bosnie-Herzégovine a

18 été créée officiellement et la mobilisation générale a été déclarée, ce

19 qui, pour la ville de Sarajevo, signifiait que l'armée était

20 officiellement chargée de défendre la ville. Et c'est seulement à

21 l'automne, c'est-à-dire depuis le mois de septembre et octobre, que l'on

22 peut parler de création de lignes de front, à savoir depuis le moment où

23 des tranchées ont commencé à être creusées dans certaines parties de la

24 ville, ces tranchées étant considérées comme des moyens de défense.

25 Question: Merci.

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1 Donc, au mois de mai, la situation que vous décrivez n'a manifestement pas

2 débouché sur un affrontement ouvert. Vous avez parlé également de

3 mobilisation. Quand cette mobilisation a-t-elle eu lieu? Quand a-t-elle

4 été déclarée dans le but de mettre en action la force de défense?

5 Réponse: La présidence de la Bosnie-Herzégovine a décrété la mobilisation

6 et demandé aux jeunes gens en âge de combattre de se faire connaître

7 auprès des instances responsables de la mobilisation. C'est de cette façon

8 que l'organisation de l'armée a commencé. Et le premier commandant de

9 l'armée a été, en fait, le commandant de la Défense territoriale qui,

10 encore à l'époque de l'ex-Yougoslavie, donc à l'époque où la JNA

11 contrôlait la ville pratiquement sur le plan militaire, était le

12 commandant de la Défense territoriale. Il avait déclaré sa fidélité aux

13 autorités de la Bosnie-Herzégovine devenue souveraine, et par la suite, il

14 a été remplacé à son poste.

15 Cette mobilisation s'est effectuée quartier par quartier, ou municipalité

16 par municipalité, mais, en fait, elle se résumait à avoir des jeunes gens

17 se faire connaître, car à à cette époque-là, il y avait encore très peu

18 d'armement et très peu d'uniformes; le potentiel militaire utilisable par

19 ces nouvelles unités n'existait pratiquement pas encore à l'époque.

20 Quant à l'arsenal contenant les armes et l'équipement militaire, en

21 périphérie de la ville, la JNA a déplacé tout cela dans la nuit, donc a

22 emporté tout cela ailleurs, et ces équipements ne pouvaient plus servir à

23 l'armée régulière de la Bosnie-Herzégovine. Cela s'est passé à Faletici.

24 Question: La présidence de votre ville a-t-elle joué un rôle quelconque du

25 point de vue militaire, dans la défense de votre ville?

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1 M. Kupusovic (interprétation): (Inaudible.)

2 M. Blaxill (interprétation): Vous avez dit que, dans cette période, la

3 ville a subi des pilonnages. Pouvez-vous nous dire si ces pilonnages ont

4 entraîné des pertes humaines?

5 Excusez-moi, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vois au compte

6 rendu d'audience en anglais que ma dernière question au sujet du rôle

7 éventuel de la présidence n'a pas reçu de réponse.

8 M. le Président (interprétation): Je crois comprendre que la réponse à la

9 question a été: pas d'interprétation. Mais j'ai cru entendre néanmoins une

10 réponse prononcée par le témoin.

11 M. Blaxill (interprétation): J'ai cru que le témoin avait dit "non".

12 M. le Président (interprétation): C'est une réponse très courte, elle a

13 peut-être été manquée.

14 M. Blaxill (interprétation): Puis-je reposer la question?

15 M. le Président (interprétation): Je vous en prie.

16 M. Blaxill (interprétation): Monsieur, je vous ai demandé si la présidence

17 de votre ville a joué un rôle quelconque du point de vue militaire dans la

18 défense de la ville. Pouvez-vous répondre à nouveau pour que votre réponse

19 soit consignée au compte rendu d'audience.

20 M. Kupusovic (interprétation): Non, elle n'a joué aucun rôle du point de

21 vue militaire dans la défense de la ville.

22 Question: Merci beaucoup.

23 Il y a à peine un instant, Monsieur Kupusovic, je vous ai demandé s'il y

24 avait eu des pertes humaines suite aux pilonnages subie par la ville,

25 pilonnages qui ont commencé à ce moment-là et se sont poursuivis

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1 sporadiquement jusqu'au mois de mai 1992. Pouvez-vous nous dire si vous

2 avez une quelconque information à ce sujet?

3 Réponse: Oui, il y a eu des pertes nombreuses. Nous avons entendu très

4 souvent la sirène des ambulances qui transportaient les blessés. En

5 moyenne, il y avait 10 à 15 personnes qui tombaient chaque jour.

6 Question: Vous rappelez-vous, ou bien savez-vous si ces victimes étaient

7 des civils ou des personnes engagées dans des activités hostiles de

8 quelque nature que ce soit?

9 Réponse: C'étaient des civils. Bien entendu, il y avait ici ou là aussi

10 des représentants de la police ou des autres groupes qui défendaient la

11 ville. Question: Connaissez-vous, Monsieur Kupusovic, le rapport entre ces

12 deux groupes? Lequel de ces deux groupes, des civils ou des représentants

13 de la police, ont subi les pertes les plus importantes?

14 Réponse: 95% de ces victimes étaient des civils, le reste revenant aux

15 forces de police et aux autres groupes chargés de la défense de la ville.

16 Question: Parmi ces victimes, n'y a-t-il eu que des victimes des

17 pilonnages subie par la ville, ou bien y a-t-il eu d'autres moyens par

18 lesquels ces personnes ont été tuées?

19 Réponse: Les tirs étaient nombreux en provenance d'armes d'infanterie,

20 d'armes légères que la population a commencé à désigner sous le nom de

21 "fusils de tireurs embusqués". Ces fusils de tireurs embusqués ont fait de

22 nombreuses victimes dans les rues ou aux carrefours parmi les civils; des

23 gens étaient tués et blessés.

24 Question: Mais alors, les gens qui se trouvaient à un carrefour par

25 exemple, ou ailleurs dans la ville, qu'ont-ils commencé à faire pour

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1 essayer de se défendre contre ces coups de feu qu'ils désignaient sous le

2 nom de "coups de feu de tireurs embusqués"?

3 Réponse: Dès le début, après le 2 mai, la majorité de la population s'est

4 abritée dans les caves en craignant de sortir dans les rues. Mais il

5 fallait néanmoins sortir de temps en temps pour aller acheter du pain ou

6 faire quelque chose, rencontrer des amis ou rendre visite à un blessé par

7 exemple.

8 Et donc, pour franchir ces carrefours, il fallait en faire le tour; à

9 moins de marcher dans une rue plus étroite que les autres où le danger

10 était moins important. Ou alors, on traversait l'endroit en question avec

11 le risque d'être touché s'il n'y avait pas d'autre issue. Et cela arrivait

12 aussi lorsu'on voulait traverser quelques fois une rue.

13 Question: J'aimerais vous interroger plus en détail au sujet de la nature

14 de ces tirs. Ceci était-il le cas de gens qui étaient très proches de ceux

15 qu'on aurait pu appeler des "groupes militaires"? Ou bien, ces personnes

16 étaient-elles frappées d'une façon différente, à partir d'une distance

17 plus éloignée ou par des gens qu'ils ne pouvaient pas voir?

18 Réponse: Les gens qui circulaient dans les rues étaient, pour l'essentiel,

19 des civils. Et les coups de feu venaient du Mont Trebevic, aux environs de

20 Sarajevo, depuis la forêt ou depuis d'autres endroits périphériques de la

21 ville.

22 Et, pour ma part, à la mi-mai, j'ai passé une demi-heure avec ma fille à

23 attendre avant de traverser pour passer de l'autre côté de la rue. Je

24 n'arrêtais pas de me dire: "Est-ce que je rentre à la maison ou est-ce que

25 je traverse?". A un certain moment, les coups de feu ont cessé à l'endroit

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1 où nous étions; donc nous avons traversé la rue en courant. Et, au retour,

2 nous avons cherché un itinéraire de contournement.

3 Mon épouse, bien sûr, était très fâchée que j'ai ainsi mis en danger ma

4 vie à moi et la vie de ma fille. Mais, plus tard, elle a fait exactement

5 la même chose, elle aussi, car il était impossible de passer toute sa vie

6 dans la cave en attendant que la situation trouve une solution.

7 Il fallait bien s'organiser au niveau de la famille, il fallait organiser

8 notre existence malgré ces dangers d'être blessés par un tireur embusqué

9 ou par un obus.

10 Question: Donc, Monsieur Kupusovic, ce genre de chose se passait-elle

11 régulièrement? Je veux parler des coups de feu tirés par les tireurs

12 embusqués.

13 Réponse: C'était assez imprévisible en fait. Il arrivait que, pendant

14 quelques heures, le calme règne. Après quoi, les coups de feu

15 recommençaient puis s'arrêtaient de nouveau. Donc, c'était très

16 irrégulier, tout à fait irrégulier, sans qu'il existe la moindre raison

17 manifeste justifiant le début des coups de feu ou la fin des coups de feu.

18 Question: Vous venez de nous parler d'une expérience personnelle que vous

19 avez vécue en rapport avec ces tireurs embusqués. Pouvez-vous nous dire,

20 je vous prie, où, vous-même et votre fille, avez pris ce risque en

21 traversant la rue?

22 Réponse: C'était entre Skenderija et le centre de santé, au centre de la

23 ville, un endroit qui est assez ouvert en direction de Trebevic.

24 Question: Pouvez-vous nous dire ce qui vous permet de dire d'où

25 provenaient les coups de feu à partir de l'endroit où vous vous trouviez?

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1 Réponse: C'était tout à fait évident, parce qu'il y avait des arbres très

2 hauts à cet endroit-là, et on voyait bien une balle par exemple qui

3 arrivait, qui traversait le feuillage et qui frappait l'asphalte ou une

4 personne. C'était tout à fait visible; on voyait que les coups de feu

5 étaient tirés à partir de la colline, en fait, à partir du mont qui se

6 trouve à une centaine de mètres derrière Skenderija.

7 Question: Je crois vous avoir entendu dire que, très logiquement, il y

8 avait d'autres endroits ou la même chose se produisait. Quelle était la

9 caractéristique des endroits où ces coups de feu ont eu lieu? En d'autres

10 termes, y avait-il quelque chose de particulier dans tel ou tel secteur

11 qui rendait ce secteur plus vulnérable aux coups de feu des tireurs

12 embusqués?

13 Réponse: Au centre ville, les rues sont plus larges et traversent assez

14 souvent toute la ville. Donc elles sont ouvertes par rapport aux environs

15 de la ville. Et c'est là que, tout particulièrement, les coups de feu de

16 tireurs embusqués se produisaient. Ces rues étaient très dangereuses à

17 traverser, les gens essayaient d'en faire le tour, de les contourner. On

18 peut dire la même chose des rues qui se trouvent le long des deux rives de

19 la Miljacka, puisque, à ces endroits-là, il n'y avait pas la protection de

20 ces bâtiments, la rue n'ayant qu'une seule rangée de bâtiments. Là aussi

21 il était dangereux de traverser mais, dans les rues plus étroites ainsi

22 que dans les rues plus denses en bâtiments, la situation était plus sûre.

23 Donc, pendant quelques semaines, les gens ont passé leur temps à se

24 transmettre des informations au sujet des rues qu'ils considéraient comme

25 plus dangereuses et des rues qu'ils considéraient comme moins dangereuses.

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1 Quant à moi, j'ai parlé surtout des rues du centre ville dans les rues

2 entourant l'assemblée municipale, l'hôtel Holiday In, la caserne. Quand la

3 caserne a été occupée, elle était de nouveau vulnérable mais, cette fois-

4 ci, les coups de feu étaient tirés par la partie adverse; c'est-à-dire par

5 les Serbes de Karadzic, autrement dit l'armée de la Republika Srpska.

6 Contre la caserne.

7 Question: La présidence de la ville avait-elle une quelconque

8 responsabilité dans le sens de la sécurité publique ou de prendre des

9 mesures destinées à assurer la sécurité des habitants de Sarajevo, de la

10 population, à cette époque?

11 Réponse: S'agissant des services publics, la présidence avait compétence

12 exclusive, donc elle avait la responsabilité exclusive également. Mais

13 s'agissant d'assurer la sécurité en rapport avec les tireurs embusqués,

14 les obus, la présidence n'avait aucune responsabilité directe, mais elle

15 était chargée de la sécurité des habitants dans le sens où elle était

16 censée améliorer les possibilités de communication ou, en d'autres termes,

17 permettre, dans la mesure du possible, la circulation des gens compte tenu

18 des circonstances.

19 Question: La présidence dont vous étiez membre a-t-elle eu un rôle

20 quelconque dans ces conditions, s'agissant de contacter d'autres personnes

21 pour discuter de la défense des citoyens contre les coups de feu de

22 tireurs embusqués?

23 Réponse: La défense civile relevait du conseil de la République, d'après

24 les textes qui ont présidé à sa création.

25 Donc, le commandant venait de l'état-major de la République, mais la

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1 défense civile de la ville était commandée par un membre de la présidence

2 municipale. Et elle se faisait selon les instructions de cette présidence

3 municipale, en rapport avec la nécessité de contribuer au maintien de

4 l'infrastructure de la ville.

5 Question: Dans votre souvenir, cette protection civile a-t-elle fait quoi

6 que ce soit pour défendre les civils contre les coups de feu des tireurs

7 embusqués?

8 Réponse: Oui. Au début, les organisations locales chargées de la

9 protection civile ont établi des barrages constitués de containers ou de

10 camions et de tramways ou d'autobus incendiés, parce qu'il y avait parfois

11 des incendies; donc on mettait tous ces véhicules les uns sur les autres,

12 et cela était fait à l'initiative de ces organisations locales pour

13 faciliter la circulation des habitants.

14 Plus tard, la ville s'est organisée et la protection civile a accumulé des

15 containers de grande taille, qui venaient des wagons paralysés sur les

16 voies de chemin de fer de Sarajevo pour fournir une meilleure protection

17 contre les tirs de tireurs embusqués et les armes légères. Bien entendu,

18 des machines ont dû être utilisées pour placer ces containers les uns sur

19 les autres. On ne pouvait pas le faire à la main.

20 Donc des grues ont été proposées par des entreprises recrutées à cette fin

21 pour placer les containers les uns sur les autres, et ce travail a été

22 fait de nuit.

23 Question: Quelles mesures ont commencé à être prises à Sarajevo,

24 s'agissant d'organiser des barrages organisés contre les tirs de tireurs

25 embusqués?

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1 Réponse: Ceci a commencé au mois de mai. Je parle de la protection

2 organisée par la population sur sa propre initiative.

3 Plus tard, cette protection, cette défense a été organisée par la

4 présidence de la ville et a impliqué la protection civile, ainsi que les

5 entreprises qui pouvaient apporter une aide en déplaçant ces gros

6 containers par exemple.

7 Question: Vous avez utilisé l'expression "sur l'initiative de la

8 population". Que voulez-vous dire par là? Parlez-vous d'une action au

9 niveau communal, local, des habitants d'un quartier par exemple?

10 Réponse: Oui, Sarajevo était organisée et divisée en 120 communautés

11 locales. Il s'agissait d'organisations locales, donc faisant partie de la

12 municipalité et de son pouvoir municipal. Il y avait quelques rues, ou

13 quelques immeubles qui étaient regroupés. Et les habitants logeant dans

14 ces rues ou dans ces immeubles constituaient une communauté locale. Il y

15 avait un petit centre administratif et un employé, une secrétaire par

16 exemple, ou d'autres personnes décidaient de se rassembler et d'organiser

17 le placement de plusieurs containers les uns sur les autres au bout d'une

18 rue qu'ils avaient choisie afin de réduire le risque par rapport aux

19 tireurs embusqués.

20 Donc il s'agissait d'organisations spontanées individuelles qui n'étaient

21 commandées par aucun organisme ou aucune personne officielle. C'était

22 quelque chose qui se faisait au niveau local, la population essayait de se

23 défendre.

24 Question: Vous avez dit ensuite que les autorités se sont engagées dans ce

25 travail. Quels étaient les critères appliqués pour choisir les endroits où

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1 ces barrages étaient érigés, car la demande devait être très importante?

2 Mais quel était le critère qui présidait au choix où un barrage se créait?

3 Réponse: Au début du mois de juin, quand la présidence s'est occupée de

4 cela, et jusqu'à ce que le bureau du maire donc s'engage dans ce travail

5 -parce que le maire était informé de l'identité des gens qui avaient été

6 blessés ou tués par des tireurs embusqués-, donc connaissant ces éléments

7 de façon générale, il avait une vague idée où le danger était plus

8 important. Et si, à un carrefour particulier par exemple, il y avait déjà

9 eu pas mal de blessés et de tués, eh bien, on décidait de créer à cet

10 endroit, d'ériger à cet endroit un barrage de défense passive. Cela

11 impliquait un très gros travail. Il fallait mobiliser des camions, trouver

12 des containers, les déplacer de façon à créer un endroit qui serait un peu

13 plus sûr par rapport aux tireurs embusqués.

14 Ainsi, au carrefour dont je parlais tout à l'heure, où je me suis trouvé

15 moi-même et où j'ai vécu ce que j'ai dit tout à l'heure, deux étages de

16 containers ont été placés l'un sur l'autre pour organiser la défense,

17 parce que c'était un endroit où pas mal d'habitants avaient déjà été

18 blessés ou tués. Et on était au centre ville où beaucoup de gens

19 circulaient.

20 Question: Pourrez-vous nous parler d'autres lieux importants où très tôt

21 des barrages ont été érigés, mis à part cet endroit où il y a eu cet

22 incident?

23 Ce carrefour où vous avez vécu cet incident?

24 M. Kupusovic (interprétation): Il y a eu des barrages anti-tireurs

25 embusqués devant le bâtiment Energo Invest là où il y avait une avenue

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1 assez large, et peu à peu, dans toutes les rues qui étaient exposées, qui

2 étaient proches de ces lignes, au pourtour de la ville, là où il avait des

3 tirs. On a vu Novi Grad, il y en avait un sur la route principale qui

4 allait Ilidza, mais aussi dans la vieille ville, à Bascarsija qui le vieux

5 centre de la ville; là il y a une grande place où il avait plusieurs

6 rangées de barrage anti-tireurs embusqués.

7 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, est-ce que le moment

8 se prête bien à une pause? Nous devons terminer à 19 heures à moins que

9 vous n'ayez une toute petite question à poser à ce témoin.

10 M. Blaxill (interprétation): C'est la raison pour laquelle nous avions un

11 petit conciliabule.

12 M. le Président (interprétation): C'est bien ce que je pensais.

13 M. Blaxill (interprétation): J'ai d'autres questions à poser, mais je

14 pense que le moment se prête bien à une pose.

15 M. le Président (interprétation): Je vous remercie Monsieur Blaxill. La

16 Chambre de première instance a l'intention une fois l'interrogatoire

17 principal, le contre-interrogatoire et l'interrogatoire supplémentaire

18 terminés de procéder à une courte conférence de mise en état pour voir

19 s'il y a des problèmes, si on peut les régler.

20 Je ne sais pas si ce sera possible dès demain, ou si ce sera plutôt après

21 demain, mais nous reprendrons nos travaux à 14 heures 15 demain.

22 (L'audience est levée à 19 heures.)

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