Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mercredi 9 janvier 2002)

2 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

3 (L'audience est ouverte à 14 heures 23.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, vous pouvez

6 présenter l'affaire, s'il vous plaît?

7 Mme Chen (interprétation): Oui. Il s'agit du numéro d'affaire IT-98-29-PT,

8 le Procureur contre Galic.

9 M. le Président (interprétation): Merci, Madame la Greffière.

10 Bonjour à tous dans ce prétoire.

11 Bonjour, Monsieur l'accusé Galic. Bien que je comprenne que les

12 circonstances pour vous ont été très difficiles, néanmoins j'espère que

13 vous avez pu profiter des fêtes de Noël et de Nouvel An, et je vous

14 souhaite à tous, bien sûr dans la pleine compréhension des problèmes que

15 vous avez eus, Monsieur le Général Galic, je tiens à vous présenter mes

16 vœux pour l'année qui commence.

17 Bien. Alors, avant de reprendre nos délibérations et le contre-

18 interrogatoire de M. Nakas, je voudrais faire le point sur un certain

19 nombre de questions.

20 (Questions relatives à la procédure.)

21 La première question est la suivante: le 6 décembre, la Chambre a invité

22 l'accusation à donner des informations complémentaires concernant la

23 demande de mesures de protection pour certains témoins, pour trois

24 témoins. La Chambre n'a pas encore reçu d'informations complémentaires

25 pour l'instant. Donc voilà, nous attendons de voir ce qui va se passer.

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1 La deuxième question que je voulais poser à votre attention est la

2 suivante: il s'agit d'une requête du 30 octobre 2001 concernant un témoin

3 pour lequel un pseudonyme a été demandé. Cette requête a été accordée pour

4 ce qui est du pseudonyme, mais aucune décision n'a été prise concernant

5 d'autres requêtes en la matière et nous n'avons pas reçu d'informations

6 supplémentaires sur le sujet.

7 Permettez-moi de compléter, et ensuite je vous passerai la parole.

8 Troisièmement, je voudrais attirer votre attention, et là je m'adresse

9 tout particulièrement à la défense: le 10 décembre, la Chambre,

10 provisoirement, a admis les documents de l'accusation suivants: 1601,

11 3369, 3369.1, 2794, 2795, 2506, 2183, 2795, 3573, 3573.1, 2265, 2272 et

12 2272.1 qui ont été admis à titre provisoire, donc.

13 J'inviterai la défense, si elle a des objections à faire, à les soulever

14 pas plus tard qu'aujourd'hui même.

15 A moins qu'il n'y ait d'autres points spécifiques, de remarques

16 spécifiques sur ce que je viens de donner, je passe la parole à la

17 défense.

18 Madame Pilipovic, vous souhaitez faire une remarque à ce sujet?

19 Mme Pilipovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je vous

20 remercie.

21 L'objection de la défense aux documents médicaux que la Chambre de

22 première instance a admis de manière provisoire, nous avons une objection

23 concernant l'authenticité compte tenu du fait qu'il s'agit de photocopies.

24 La défense considère que sans avoir la possibilité de voir les originaux,

25 elle ne peut pas accepter l'authenticité des documents qui ont été soumis,

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1 surtout compte tenu du fait que l'identité de ces documents n'a pas été

2 confirmée par les organes compétents.

3 D'après les dires du témoin, M. Nakas, ces documents ont été simplement

4 confirmés par le biais du sceau de l'hôpital. Le témoin, au cours de sa

5 déposition, a dit que lesdits documents ont leurs originaux qui se

6 trouvent dans les archives de l'hôpital et que, par le biais du sceau,

7 ceci confirme que les photocopies sont conformes aux originaux.

8 Quant aux certificats indiquant qu'il s'agit des photocopies conformes aux

9 originaux, cette procédure dans l'ex-Yougoslavie et dans la Yougoslavie

10 d'aujourd'hui -et je suppose que tel est le cas en Bosnie-Herzégovine-,

11 l'instance qui est compétente pour émettre ce genre de certificat, ce sont

12 les autorités municipales ou le Tribunal compétent.

13 Or, ce certificat émanant de l'hôpital ne peut pas être admis en tant

14 qu'authentique, aussi compte tenu du fait que les formes des documents ne

15 sont souvent pas conformes à la législation et que les documents ne

16 contiennent pas toujours la signature du médecin. C'est pour cela que j'ai

17 informé l'accusation que la défense n'accepte pas l'authenticité de ces

18 documents, et que la défense se réserve le droit de se prononcer sur

19 l'authenticité de ces documents après avoir vu les originaux de ces

20 documents et après qu'une expertise aura eu lieu suivant les méthodes

21 physico-chimiques et graphologiques.

22 M. le Président (interprétation): Merci, Madame Pilipovic. Vous

23 comprendrez que la Chambre doit étudier vos objections. Je ne pense pas

24 que cela doit être fait maintenant, car l'interrogatoire principal est

25 maintenant terminé, mais nous allons étudier votre objection et

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1 l'admission reste provisoire, comme elle l'était d'ailleurs auparavant.

2 Maintenant, pour ce qui est de l'accusation, le Procureur souhaite-t-il

3 formuler des remarques concernant les points que j'ai évoqués tout à

4 l'heure?

5 M. Blaxill (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

6 Mesdames et Messieurs, bonjour. Excusez-moi, j'ai des problèmes de voix

7 aujourd'hui; je crois avoir pris un petit coup de froid, donc ma voix a un

8 petit peu changé. Toutes mes excuses.

9 Messieurs les Juges, pour ce qui est de la première question, vous avez

10 parlé de mesures de protection concernant les témoins. Nous avons en fait

11 préparé une requête qui est prête à être déposée. La raison qui fait que

12 nous avons attendu aussi longtemps est imputable au fait que le dernier

13 des témoins pour lequel nous avons dû procéder à d'autres investigations

14 n'a pu être vu que ce week-end, le week-end qui vient de s'écouler, à

15 Sarajevo et je n'ai reçu les informations nécessaires à vous qu'hier, qui

16 sont préparées et qui seront déposées dès que nous pourrons le faire

17 physiquement. Ce sera fait, c'est-à-dire demain matin. Bien sûr, le témoin

18 n'apparaîtra pas, ne comparaîtra pas avant un certain temps.

19 Je ne sais pas si vous souhaitez que je fasse des commentaires

20 complémentaires concernant les éléments de preuve et les documents.

21 M. le Président (interprétation): Mais permettez-moi d'en parler à mes

22 collègues. Un instant, s'il vous plaît.

23 (Les Juges se consultent sur le siège.)

24 Oui, Monsieur Blaxill, nous souhaiterions entendre votre position

25 concernant les objections concernant l'admission des éléments de preuve.

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1 M. Blaxill (interprétation): Eh bien, Messieurs les Juges, je ne peux pas

2 comme ça vous donner une référence exhaustive concernant l'interrogatoire

3 principal du témoin, de M. Nakas, mais je me rappelle qu'il a donné des

4 preuves pour dire qu'il a été officiellement autorisé à procéder à

5 l'identification de documents pour l'hôpital où il travaille; je me

6 rappelle qu'il a fait cette déclaration. Nous recherchons l'exactitude des

7 termes.

8 Je crois que Monsieur Ierace a trouvé le document en question. Oui, en

9 fait, il s'agit de la page 1135 du transcript encore non officiel, non

10 corrigé. Et à la ligne 6, j'ai posé la question de savoir quelle était son

11 autorité pour ce qui est de l'émission de copies, de rapports sur des

12 patients, à la demande de patients, de parties tierces. Il m'a dit: "Oui,

13 à la demande de parties tierces j'ai l'autorisation de faire émettre une

14 copie de rapport", et donc les documentations lui étaient présentées pour

15 qu'ils les authentifie.

16 Alors, un certain nombre de références ont été faites par la défense, pour

17 sa position pour ce qui est des canaux supposés officiels qui doivent être

18 utilisés pour obtenir des documents, mais je puis vous dire que d'après

19 les preuves données par M. Nakas, il avait l'autorisation. En fait, si une

20 personne autorisée peut comparer les copies par rapport à l'original au

21 sein de leur institution et qu'ils sont autorisés à dire oui, c'est une

22 copie qui est authentifiée. C'est cela dont il s'agit en matière

23 d'authentification.

24 D'après ce que j'ai compris de ce qu'a dit la défense, elle souhaiterait

25 faire un point qui porte plus que sur le contenu et qui porterait peut-

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1 être sur des éléments portant sur les expertises médico-légales, et je ne

2 pense pas que l'on puisse remettre en cause l'authentification qui

3 pourrait être faite par une personne comme M. Nakas.

4 Bien sûr on pourrait aussi remettre en question, parce que nous n'avons

5 rien pour indiquer, pour dire que tel est le cas, si certaines procédures

6 dans l'ex-Yougoslavie en tant qu'Etat central n'étaient pas suivies, ça ne

7 veut pas dire pour autant qu'elles n'étaient pas acceptables ou

8 inadmissibles ou impropres. Si l'on reçoit des preuves d'une autre

9 procédure qui est utilisée, la procédure courante actuelle du pays est

10 celle qui fait foi. Je pense que voilà ce que je souhaitais vous dire.

11 Je souhaiterais m'entretenir avec mes collègues, si vous me le permettez.

12 Je vais m'en tenir là pour mes remarques, pour l'instant.

13 M. le Président (interprétation): Madame Pilipovic, souhaitez-vous

14 répondre à la position du Procureur en la matière?

15 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, je veux simplement

16 me référer à l'affaire qui est toujours en cours devant ce Tribunal, à

17 savoir l'affaire concernant l'accusé Vasiljevic. La Chambre de première

18 instance a pris la décision selon laquelle tous les documents médicaux que

19 la défense a proposés devaient être vérifiés par un expert et la défense,

20 dans l'affaire présente, se réfère à cette décision-là également. Et nous

21 réservons notre droit de nous prononcer sur l'authenticité de ces

22 documents, seulement suite à cette expertise.

23 M. le Président (interprétation): Merci, Madame Pilipovic.

24 Y a-t-il d'autres observations de la part du Procureur?

25 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, je ne pense pas que

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1 cette approche empêche l'acceptation, le versement des pièces au dossier.

2 Il se peut que certaines pièces qui en découlent aboutissent à d'autres

3 investigations, mais je ne pense pas que pour ce qui est de

4 l'investigation médico-légale nous soyons empêchés de recevoir ces pièces

5 au dossier.

6 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Blaxill.

7 M. Blaxill (interprétation): Je souhaite m'entretenir avec mes collègues

8 pour un instant. Merci.

9 (Le banc de l'accusation se consulte.)

10 Oui, mon éminent collègue me rappelle qu'il y a aussi le véhicule par

11 lequel une pièce est présentée à la Cour. Il y a une différence entre les

12 documents qui sont présentés, versés sans témoin à la clef, mais dans ce

13 cas nous avons un témoin qui est disponible pour le contre-interrogatoire

14 sur cette question-là et sur d'autres questions, ce qui fait l'objet

15 d'autorité responsable, donc je ne suis pas tout à fait sûr des

16 circonstances concernant ces éléments qui ont été présentés par ma

17 collègue de la défense tout à l'heure.

18 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Blaxill.

19 Bien, je pense que nous en sommes maintenant au stade où nous pouvons

20 reprendre avec le contre-interrogatoire du docteur Nakas.

21 Je voudrais rappeler à la défense les éléments spécifiques concernant le

22 contre-interrogatoire et les intentions de la Chambre. Ce n'est pas une

23 règle qui figure dans le Règlement de preuve, mais qui s'appliquera ici.

24 Et les limites dans le temps, pour ce qui est du contre-interrogatoire,

25 sont telles que le contre-interrogatoire ne doit pas être plus long que

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1 l'interrogatoire principal et ça, c'est un maximum; ce n'est pas pour vous

2 encourager à utiliser autant de temps. J'insiste sur le fait qu'il ne faut

3 pas dépasser le temps d'interrogatoire principal et à cet égard, je peux

4 vous dire que l'interrogatoire principal, je l'ai écrit quelque part…

5 Enfin bref, je vais vérifier, je l'ai écrit quelque part mais je crois que

6 jusqu'à présent, vous avez déjà consacré 10 minutes au contre-

7 interrogatoire.

8 S'il est possible de faire entrer, s'il vous plaît, le témoin dans le

9 prétoire?

10 (Le témoin, M. Bakir Nakas, est introduit dans le prétoire.)

11 Monsieur Nakas, est-ce que vous me comprenez? Est-ce que vous m'entendez

12 dans une langue que vous comprenez?

13 M. Nakas (interprétation): Oui.

14 M. le Président (interprétation): Vous êtes encore tenu par le serment que

15 vous avez prêté lorsque vous avez été examiné dans le cadre du contre-

16 interrogatoire principal, donc vous êtes encore tenu sous le sceau de ce

17 serment.

18 Je vous prie de bien vouloir vous asseoir.

19 Madame Pilipovic, vous pouvez procéder.

20 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Bakir Nakas, par Me Pilipovic.)

21 Mme Pilipovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

22 Monsieur Nakas, bonjour.

23 M. Nakas (interprétation): Bonjour.

24 Question: En date du 10 décembre, nous avons interrompu notre contre-

25 interrogatoire et, pour autant que je m'en souvienne, nous étions en page

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1 1136 du compte rendu d'audience où vous aviez dit que vous étiez revenu à

2 l'hôpital en date du 10 mai.

3 Réponse: Oui.

4 Question: Quelle est la fonction que vous avez occupée? Pouvez-vous nous

5 expliquer?

6 Réponse: Le 10 mai, lorsque l'armée populaire yougoslave a quitté

7 l'hôpital militaire de l'époque, je suis revenu vers 10 heures et j'ai

8 trouvé mes collègues qui se trouvaient dans cet hôpital et qui y

9 travaillaient. Ils étaient une quarantaine, patients compris, et ils

10 avaient été surtout appelés à intervenir en matière de chirurgie, ce qui

11 fait que le groupe qui était chargé de prendre soin des activités de

12 l'hôpital avait estimé qu'il serait une bonne chose que de me voir

13 m'occuper des affaires administratives dans l'hôpital dans l'attente de la

14 régularisation de la situation de la part du ministère compétent.

15 Question: Merci. Je voudrais savoir si vous étiez membre du parti SDA.

16 Réponse: Non, j'avais été membre de la Ligue des communistes de

17 Yougoslavie jusqu'en 1990, et depuis 1990 je n'ai été membre de quelque

18 parti que ce soit.

19 Question: D'après vos déclarations faites auprès des enquêteurs du

20 Tribunal, vous avez affirmé que vous aviez quitté l'hôpital en date du 8

21 et que vous étiez revenu le 10 mai, et que vous étiez bien informé de tout

22 ce qui se passait au niveau de l'hôpital, et ce, par le biais de votre

23 frère qui lui aussi travaillait dans l'hôpital. Est-ce bien exact?

24 Réponse: Oui, c'est cela.

25 Question: En vous entretenant avec votre frère, ce dernier vous aurait-il

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1 dit que pendant le mois où vous vous étiez absenté, l'hôpital avait été

2 pilonné?

3 Réponse: Au cours de ce mois-là, il n'y a pas eu d'information de ce

4 genre. Par contre, j'ai ouï dire qu'une fois, l'hôpital avait été touché.

5 Mais ce n'est pas par son biais à lui, mais par le biais d'un entretien

6 téléphonique.

7 Question: Est-ce que votre frère vous a informé du fait que des bonbonnes

8 d'oxygène avaient disparu de l'hôpital?

9 Réponse: Non, il n'y a pas eu d'entretien de ce type et il n'y a pas pu y

10 avoir d'entretien de ce type.

11 Question: Au moment où vous êtes arrivé à l'hôpital, combien de patients y

12 avait-il à l'hôpital?

13 Réponse: Si mes souvenirs sont bons, je crois qu'ils devaient être au

14 nombre de 50, à peu près.

15 Question: Lors de la poursuite de vos activités, est-ce que le nombre de

16 patients venait à augmenter ou à diminuer?

17 Réponse: Voyez-vous, l'ex-hôpital militaire avait une fort bonne

18 réputation dans la ville de Sarajevo. Cela avait été un des rares

19 établissements qui comportaient une liste d'attente pour les patients,

20 pour ce qui est de se faire soigner là-bas.

21 Entre le mois d'avril et le mois de mai, la réputation avait été ruinée.

22 La plupart des patients qui avaient été blessés ou traumatisés avaient été

23 soignés au centre médical universitaire, à savoir le centre clinique de

24 l'université de Sarajevo actuellement, ce qui fait que les secours

25 d'urgence ou les l'ambulances n'emmenaient pas de patients à l'ex-hôpital

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1 militaire jusqu'au 10 mai.

2 Par la suite, après le 10 mai, on a commencé à recevoir à l'hôpital des

3 victimes, victimes qui ont été acheminées là par des particuliers et par

4 des ambulances, ce qui fait que le nombre de blessés, de patients,

5 augmentait de jour en jour.

6 Question: Si vous arrivez à vous rappeler de cette année 1992, pouvez-vous

7 nous dire quel est le mois -ou la période- où vous avez eu le plus de

8 patients? Et s'agissant de patients, quand on dit "le plus de patients",

9 combien étaient-ils?

10 Réponse: Je crois que c'était en 1993 ou plutôt fin 1992, vers le mois

11 d'été et le début des activités.

12 Le nombre n'était pas si grand. L'hiver venu, les patients étaient plus

13 nombreux et c'est en juin 1993 que nous avons eu un mois -il me semble que

14 c'était le mois de juin 1993-, où nous avions plus de 500 patients

15 -j'entends là des blessés, je ne parle pas de patients qui venaient pour

16 des cas de maladies autres, et ces patients-là n'étaient pas peu nombreux

17 non plus.

18 Question: Mais en cette année 1992, pouvez-vous nous dire combien de

19 patients vous aviez, au maximum, dans cette période, donc, allant jusqu'à

20 la fin de l'année 1992?

21 Réponse: Je crois que le nombre de patients variait entre 150 et 200.

22 Question: Est-ce que, parmi les patients admis, il y avait des soldats?

23 Réponse: Absolument. Il y avait des civils et des soldats blessés parce

24 que nous étions un hôpital ouvert au public, c'est-à-dire il n'y avait pas

25 de limitation ou de restriction quelconque s'agissant de soldats ou de

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1 civils.

2 Question: Lorsque vous admettiez des patients à l'hôpital, est-ce que vous

3 inscriviez toujours s'il s'agissait d'un civil ou d'un soldat?

4 Réponse: La fois passée, au mois de décembre, j'ai dit que le protocole

5 qui avait été tenu à jour avait été hérité de l'ex-hôpital militaire, et

6 il y avait là-bas des rubriques qui disaient: "civils", "assurés

7 militaires", "ayants droit d'un soldat ou d'un officier", et c'est la

8 façon dont nous avons continué de procéder, sans instruction de quelque

9 nature que ce soit de l'extérieur. Nous avons donc reçu des patients sans

10 tenir compte du fait s'ils avaient une assurance militaire ou civile, et

11 sans tenir compte du fait de savoir s'ils avaient été blessés pendant une

12 action militaire ou dans la vie quotidienne. La catégorisation des

13 patients avait donc été faite seulement par le type d'assurance maladie

14 dont ils bénéficiaient.

15 Question: Vous inscriviez cela probablement pour la raison qui consistait

16 à pouvoir facturer, par la suite, vos services?

17 Réponse: Ecoutez, je vous dis que nous avions un système auparavant qui

18 nous faisait facturer nos services aux civils, et nous avons continué à

19 procéder ainsi sans nous attendre pour autant à ce que nos services soient

20 payés de façon adéquate.

21 Question: Quand vous preniez une anamnèse des personnes blessées ou des

22 personnes traumatisées arrivant à l'hôpital, est-ce que, dans l'anamnèse

23 que vous rédigiez, vous inscriviez en vous entretenant avec le patient en

24 question l'endroit et la façon dont ils ont été blessés?

25 Réponse: Voyez-vous, en raison du grand nombre de blessés et du grand

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1 nombre de personnels qui devait être de permanence et du nombre de

2 personnels qui devait intervenir chirurgicalement, donc en bloc

3 opératoire, et qui devaient tenir compte des patients qui étaient alités,

4 le système administratif, et le volume des renseignements liés à

5 l'anamnèse et recueillis auprès des patients s'était vu abrégé, ce qui

6 fait que nous ne prenions que des renseignements qui étaient importants

7 pour la gravité de la maladie ou qui revêtaient de l'importance pour ce

8 qui est des réactions allergiques, pour ce qui est de savoir s'ils

9 supportaient tel ou tel autre médicament, et savoir si tel médicament

10 était susceptible d'avoir des conséquences négatives.

11 Il arrivait souvent que des patients amenés chez nous ne soient pas en

12 mesure de nous fournir les renseignements liés à leur propre anamnèse en

13 raison de leur état de conscience, et nous recueillions ces informations

14 de la part des personnes qui les accompagnaient. Et si cela n'était pas

15 possible, l'historique des maladies de tout un chacun se terminait au

16 niveau des constatations faites par le médecin sur place, une fois le

17 patient amené sur les lieux.

18 Dans le cas où des informations pouvaient concerner la localité et la

19 façon dont la blessure avait été portée, ces informations étaient portées

20 dans l'histoire de la maladie, mais il n'était pas obligatoire de les

21 porter sur le registre des informations de ce type.

22 Question: Donc lorsque vous aviez un patient, vous récupériez une

23 anamnèse; est-ce que vous étiez tenus de déclarer de tels cas?

24 Réponse: Compte tenu de la situation qui prévalait dans la ville de

25 Sarajevo à compter du mois d'avril, ou plutôt du mois de mai, date à

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1 laquelle je me suis chargé de l'administration de cet hôpital, il n'y a

2 pas eu d'obligation de déclaration de ces patients, sauf l'obligation de

3 déclarer les personnes blessées qui avaient été amenées à l'hôpital. Et

4 ces personnes blessées avaient été déclarées au quartier général de la

5 République chargé de la protection médicale, mais cela n'était pas une

6 déclaration ou un recensement de tous les détails, mais seulement des

7 blessés qui avaient été soignés tel ou tel autre jour.

8 Question: Vous nous avez dit que vous communiquiez des renseignements

9 concernant les personnes blessées à ce quartier général de la République.

10 Pouvez-vous nous expliquer quelle avait été la fonction de ce quartier

11 général de la République et quelle est la période que vous deviez

12 respecter pour communiquer de tels rapports? Et à votre connaissance, est-

13 ce que ces rapports ont été recensés ou enregistrés à quelque endroit ce

14 que ce soit?

15 Réponse: Ce quartier général de la République avait existé avant le mois

16 d'avril 1992; je crois qu'il avait été constitué en avril 1991 parce qu'il

17 y avait déjà eu certaines difficultés avec la Croatie, notamment en ce qui

18 concernait l'expédition d'une aide médicale et de matériel médical. Et ce

19 quartier général de la République avait été constitué par un autre

20 quartier général chargé de la coordination de la politique en matière de

21 santé et des activités médicales au niveau de la République. On

22 s'attendait du moins à ce que cela concerne la République entière, mais

23 cela s'est réduit au niveau de la ville de Sarajevo, pour ce qui est des

24 information que nous pouvions recueillir dans le cadre de la ville de

25 Sarajevo.

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1 Tous les établissements de santé communiquaient quotidiennement des

2 informations relatives au nombre de blessés et ces informations étaient

3 traitées au sein du quartier général de la République pour être publiées

4 par la suite dans des documents appropriés, documents publiés par

5 l'établissement de la République chargé de la protection médicale.

6 En même temps, cette institution-là avait été une institution qui

7 communiquait à l'institution UNHCR et autres institutions de la communauté

8 internationale des informations concernant l'état de santé, les besoins

9 médicaux, et ce type d'informations étaient en quelque sorte une sorte de

10 critère ou d'éléments qui avaient influé sur la distribution de

11 l'assistance médicale vers les établissements de santé qui avaient des

12 besoins plus ou moins importants, en fonction du nombre de blessés ou de

13 patients qu'ils devaient traiter.

14 Question: Lors de votre interrogatoire en date du 10 décembre, on vous

15 avait montré une documentation, documentation que vous aviez apportée

16 vous-même. Vous avez dit que vous aviez confirmé par votre sceau que les

17 copies communiquées au Tribunal correspondaient aux originaux et que les

18 originaux, eux, se trouvaient, si mes souvenirs sont bons, à l'hôpital.

19 Est-ce que la documentation que vous avez montrée et qui a été versée au

20 dossier est, à votre avis, une documentation complète, avec les anamnèses

21 appropriées?

22 Réponse: S'agissant de la documentation que j'ai reconnue au mois de

23 décembre comme étant la documentation qui avait été photocopiée, les

24 originaux se trouvant à l'hôpital général de Sarajevo représentent une

25 coupe de la documentation ou un aperçu de la documentation qui avait été

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1 tenue à jour et qui comporte tous les formulaires portant l'histoire de la

2 maladie, de la liste des températures que l'on a mesurées sur les patients

3 jusqu'à la liste des protocoles.

4 J'estime que dans la période allant de 1992 à 1995, l'administration a dû

5 être restreinte et par conséquent, il se peut que l'on retrouve certaines

6 lacunes dans ces documents. Mais compte tenu du temps et du champ de

7 manœuvre que nous avions à disposition, c'était le maximum de

8 documentations que nous pouvions tenir à jour à l'époque.

9 Question: Pouvez-vous nous expliquer ce que contient l'historique d'une

10 maladie, et si tout patient dispose d'un historique de sa maladie?

11 Réponse: Eh bien, cet historique de maladie est un document officiel où

12 l'on porte tous les renseignements personnels de l'ayant droit ou de

13 l'assuré médical qui a été admis dans un établissement de santé.

14 La première page comporte des rubriques avec nom, prénom, âge, date de

15 naissance, adresse, type d'assurance maladie, numéro de téléphone pour cas

16 de nécessité, code de diagnostic, la date d'admission, date de sortie et

17 la procédure qui a été suivie au niveau de l'hôpital; cela englobait

18 également les recommandations données pour ce qui est des traitements à

19 appliquer après son départ de l'hôpital. Cette fiche-là était signée par

20 le médecin du département, et cela comportait des renseignements qui,

21 jusqu'en 1992, avaient été codés pour ce qui est de savoir quel type de

22 maladie cela englobait, et ces codes étaient établis par le secrétariat

23 fédéral à la défense nationale.

24 Il y a un historique de la maladie qui était porté à la main ou à la

25 machine à écrire avec des renseignements relatifs aux informations

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1 communiquées verbalement par le patient ou par ses accompagnateurs pour ce

2 qui est de ces maladies antérieures, pour ce qui est de ce dont il a

3 souffert, et l'on procédait de façon classique auparavant où l'on donnait

4 une description de l'état général et où l'on donnait, par exemple, une

5 description de la peau du patient et de tous ces autres aspects où l'on

6 dit pourquoi il a été admis à l'hôpital et si...

7 Question: Merci, Docteur.

8 Réponse: Excusez-moi si j'ai été trop ample dans ma réponse.

9 Question: Dites-nous: qui remplit la première page de cet historique de la

10 maladie?

11 Réponse: C'est un technicien qui le fait, le technicien qui travaille au

12 département.

13 Pour ce qui est de la page intérieure, elle concerne le département

14 médical proprement dit, et cela est complété par le médecin qui a admis le

15 patient.

16 En dernière page, il y a l'épi crise, à savoir la conclusion. Et c'est

17 rempli, complété par le médecin qui complète la fiche de sortie; c'est lui

18 qui rédige le diagnostic final et qui signe tous les éléments qui doivent

19 être signés.

20 Il y a donc la partie administrative qui est complétée par un technicien,

21 un infirmier, et les autres rubriques sont complétées par des médecins.

22 Question: Est-ce que chaque patient a un historique de sa maladie?

23 Réponse: Tout patient admis à l'hôpital a un numéro de matricule et un

24 historique de la maladie qui est enregistré et qui est tenu à jour au

25 département d'accueil. Cela va, par la suite, avec le reste de la

Page 1180

1 documentation, aux archives.

2 Maintenant, pour ce qui est des patients qui ont été traités en

3 infirmerie, il n'y a pas d'historique de la maladie mais ces

4 renseignements-là peuvent être retrouvés au niveau des protocoles, et ces

5 protocoles sont archivés en fin de chaque année.

6 Question: Qui tient à jour ce protocole?

7 Réponse: Ces protocoles, au niveau des infirmeries, sont tenus par des

8 infirmiers, des techniciens. Et s'agissant de la partie concernant le nom,

9 le prénom, le numéro de matricule, le sexe, la date de naissance et le

10 reste, ce sont les infirmiers alors que les diagnostics, c'est le médecin

11 qui complète ou c'est le médecin qui dicte à l'infirmière ce qu'elle doit

12 apporter, si jamais ses mains sont prises par son intervention. Mais

13 habituellement, le diagnostic, le traitement et les recommandations sont

14 inscrits dans ce protocole par le médecin traitant, celui qui a vu le

15 patient et s'il n'est pas en mesure de le faire, c'est sur ordre de ce

16 médecin que cela est fait par un infirmier, un technicien.

17 Mme Pilipovic (interprétation): Je voudrais vous montrer, Docteur, une

18 documentation que vous avez déjà eu l'opportunité de voir. Je voudrais

19 seulement que vous la voyiez une fois de plus et que vous nous disiez s'il

20 s'agit de la documentation complète qui concerne les personnes qui ont été

21 admises dans votre hôpital, compte tenu des faits que vous avez cités, que

22 vous avez avancés lors de l'entretien que nous avons eu, vous et moi, tout

23 à l'heure.

24 M. le Président (interprétation): Le document que vous êtes en train de

25 montrer au témoin est...

Page 1181

1 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, je voudrais peut-être

2 suggérer que des copies soient distribuées vers le témoin et les autres

3 parties.

4 M. le Président (interprétation): Oui. Je suis d'accord avec vous, mais

5 pour donner la copie au témoin, il faudrait que nous ayons sa cote.

6 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, je ne suis pas en

7 mesure de vous dire maintenant quelle est la cote en question. Peut-être

8 mes collègues du Bureau du Procureur seraient-ils en mesure de nous aider?

9 M. le Président (interprétation): Si j'ai bien compris, vous avez reçu une

10 liste avec les numéros des pièces à conviction, du moins c'est ce que m'a

11 dit le Greffe.

12 Mme Pilipovic (interprétation): Il s'agit de la pièce à conviction 5. Il

13 s'agirait du P2506, et le numéro du document est 00267861. Et il y a, au

14 coin droit, un autre numéro qui est le 25065. J'ai le 252265, aussi.

15 M. Nieto Navia (interprétation): Je crois que le premier, c'est le 2506 et

16 non pas le 25065.

17 Mme Pilipovic (interprétation): C'est bien ce que j'ai dit "2506" et

18 "2265".

19 Mme Pilipovic (interprétation): Docteur, vous avez les documents sous les

20 yeux?

21 M. Nakas (interprétation): Oui. Le 2265 est celui-ci.

22 Question: Veuillez nous dire si, à votre avis, cela constitue les rapports

23 complets et l'historique de la maladie en entier, conformément aux règles

24 respectées par l'établissement à la tête duquel vous vous trouviez.

25 Du point de vue médical et administratif, est-ce que pour vous des

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1 documents de ce genre se trouvent être acceptables?

2 Réponse: Une partie de ces documents constituent des copies de

3 constatations enregistrées au protocole de l'hôpital général, de l'hôpital

4 d'Etat de Sarajevo, de ses services d'urgence. Et la deuxième partie

5 constitue des photocopies de documents qui ont été délivrés à des patients

6 traités en infirmerie pendant une période donnée. Il ne s'agit pas de

7 l'historique de certaines maladies, il s'agit seulement de constats émis

8 par des spécialistes à l'intention des patients, lorsqu'ils sont adressés

9 vers une infirmerie ou un cabinet de spécialistes et au cas où ils ne

10 seraient pas hospitalisés. Donc, il y a des numéros de protocole, nom,

11 prénom, le diagnostic et les recommandations émises à l'intention du

12 patient avec la signature et le sceau du médecin qui a fait l'admission ou

13 qui a procédé à l'examen du patient. Mais du point de vue d'un

14 spécialiste, c'est pratiquement une documentation complète, étant donné

15 qu'il ne s'agit pas ici d'un historique de la maladie.

16 Question: Mais est-ce que vous pouvez m'expliquer où se trouve au juste le

17 numéro du protocole?

18 Réponse: Dans cette première partie, c'est le 775, le numéro 775 qui

19 figure au coin gauche, en haut.

20 Question: Mais pour ce qui est du 7861, 7862, 7863, 7864, il n'y a pas de

21 sceau non plus?

22 Réponse: Je ne vois pas ici ces documents.

23 Question: Mais avez-vous devant vous…?

24 Réponse: J'ai ici le 86… 886, 863, 887, 876, 863 une fois de plus et le

25 premier… On ne voit pas bien, mais je vois, oui, 775.

Page 1183

1 Question: Monsieur le Président, moi j'ai d'autre numéros, des numéros

2 tout à fait différents qui m'ont été communiqués par nos confrères. Je

3 voudrais qu'il soit procédé à une comparaison. 2265… Je suis en train de

4 lire les numéros de page; je ne voudrais pas donner lecture des noms de

5 personnes, je crois que cela nous facilite la tâche.

6 Ecoutez, limitons-nous seulement au 52265.

7 (Maître Pilipovic montre le document.)

8 Je donne lecture des trois derniers numéros, 464, je crois que cela nous

9 facilitera la tâche.

10 Réponse: Nous ne sommes pas en train de lire les numéros qui sont des

11 numéros de protocole. Le numéro de protocole, c'est ici le numéro en haut

12 à gauche.

13 Question: Vous parlez de ce numéro-là?

14 Réponse: Oui, mais ça, ce sont des numéros d'enregistrement des feuilles.

15 On peut en donner lecture.

16 Question: Non, ce n'est pas nécessaire. Dites-nous si seulement, dans

17 votre protocole d'hôpital, il y a, en plus de ce qui est enregistré ici,

18 d'autres renseignements?

19 Réponse: Non, il y a juste ce protocole.

20 Question: Et ce protocole existe au niveau de l'hôpital?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Merci.

23 Veuillez me répondre une fois de plus, je vous prie, maintenant: toutes

24 les personnes qui ont ce type de document n'ont pas d'historique de la

25 maladie?

Page 1184

1 Réponse: Ce sont des personnes qui ont été soignées en infirmerie; donc

2 pour eux, pratiquement, ce qui figure ici est tout ce qu'ils ont reçu.

3 Maintenant, si l'on suit les numéros du protocole et les ordonnances, nous

4 vous pouvons voir éventuellement que certains de ces patients ont été

5 hospitalisés par la suite.

6 Si vous me le permettez, le 1068464, le médecin a recommandé qu'il soit

7 hospitalisé, donc le patient a été hospitalisé et forcément, il doit

8 exister un historique de sa maladie. Ici, ce n'est pas un historique de la

9 maladie, c'est une copie du constat du spécialiste.

10 Si on voit le 522, par exemple, le 5 février, la date en question, on

11 pourrait retrouver l'historique de sa maladie.

12 Question: Merci. Vous nous avez dit que vous êtes arrivé à l'hôpital le 10

13 mai. Suite à votre arrivée, pouvez-vous nous dire, selon le meilleur de

14 vos souvenirs, quand est-ce que l'hôpital a été pilonné pour la première

15 fois? Vous avez dit que l'hôpital avait été pilonné.

16 Réponse: La première fois, c'est le 13 mai que l'hôpital a été pilonné,

17 dans l'après-midi et la soirée, et cette date m'est restée gravée dans la

18 mémoire. D'autres dates sont restées gravées en raison d'autres événements

19 mais la première fois, c'était ce jour-là.

20 Question: Vous nous aviez dit que vous aviez placé un drapeau de la Croix-

21 Rouge à l'hôpital et que ce drapeau est resté à cet endroit-là pendant 6 à

22 9 mois?

23 Réponse: Oui.

24 Mme Pilipovic (interprétation): Je me propose de vous montrer une

25 photographie, une photographie que la défense a obtenue de la part du

Page 1185

1 Bureau du Procureur, et je voudrais que vous vous penchiez sur la

2 photographie en question pour nous dire de quelle date, ou de quand date

3 cette photographie.

4 M. le Président (interprétation): Avez-vous l'intention de demander le

5 versement au dossier de cette photographie, Madame Pilipovic?

6 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, si le témoin

7 identifie la photographie et s'il est en mesure de nous fournir quelques

8 explications, la défense se proposerait en effet de la verser au dossier,

9 si le témoin est en mesure toutefois d'identifier la période où la

10 photographie a été prise.

11 M. le Président (interprétation): Merci. Il faudrait donc dire que vous

12 avez l'intention de verser la photographie au dossier. Avez-vous une

13 numérotation préalable?

14 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, il s'agirait du D9,

15 si mes souvenirs sont bons.

16 M. le Président (interprétation): D9? Merci.

17 M. Blaxill (interprétation): Est-ce que nous pourrions obtenir ce document

18 aussi?

19 M. le Président (interprétation): En effet, je crois que vous avez reçu ce

20 document, mais l'accusation doit savoir de quel document il s'agit.

21 M. Blaxill (interprétation): Oui, en effet, il faudrait que nous sachions

22 de quelle photographie notre éminente confrère est en train de parler; il

23 faudrait que nous puissions le savoir

24 M. le Président (interprétation): En effet, il faudrait peut-être mieux

25 placer la photographie sur le rétroprojecteur pour ne pas perdre trop de

Page 1186

1 temps.

2 Est-ce que cette photographie vous suffit, Monsieur Blaxill, pour savoir

3 de quoi il s'agit?

4 M. Blaxill (interprétation): Oui, Monsieur le Président, nous

5 reconnaissons les lieux pris sur la photographie.

6 M. le Président (interprétation): Merci. Veuillez continuer, Madame

7 Pilipovic.

8 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur Nakas, voyez-vous la

9 photographie?

10 M. Nakas (interprétation): Oui.

11 Question: Pouvez-vous nous dire de quand date cette photographie?

12 Réponse: D'après l'apparence des choses, cela devait être en été ou en

13 automne de l'année 1992.

14 Question: Merci.

15 Réponse: Je n'arrive pas à vous situer une date exacte.

16 Mme Pilipovic (interprétation): Etant donné que la photographie se trouve

17 sous vos yeux, veuillez nous indiquer à quel étage se trouvaient vos

18 bureaux et dans quelle direction, sur quoi ils donnaient.

19 M. Nakas (interprétation): La partie qui est montrée par la photographie

20 représente une partie de l'hôpital, celle où sont installés les patients.

21 M. Blaxill (interprétation): J'hésitais à interrompre, Monsieur le

22 Président, mais nous ne voyons plus sur l'écran la photographie entière.

23 M. le Président (interprétation): Je demanderai de déplacer la

24 photographie mais pour ce qui me concerne, je ne vois plus rien sur

25 l'écran.

Page 1187

1 (Intervention de l'huissier.)

2 Je ne sais pas si ça peut nous aider, si les techniciens pourraient

3 vérifier si le graphoscope fonctionne ou pas mais entre-temps, peut-être,

4 le Procureur pourrait examiner la photographie?

5 M. Blaxill (interprétation): Je connais effectivement cette photographie,

6 donc il n'y a pas de problème de notre point de vue. Mais apparemment, il

7 y a des difficultés avec le graphoscope, le rétroprojecteur.

8 M. le Président (interprétation): J'ai l'impression que c'est mon écran…

9 Ah non, je vois, maintenant; la photographie apparaît de nouveau sur mon

10 écran. Est-ce que tout le monde voit la photographie sur l'écran,

11 maintenant?

12 Veuillez poursuivre, s'il vous plaît, Madame Pilipovic.

13 Mme Pilipovic (interprétation): Docteur, dites-nous, s'il vous plaît, où

14 se trouvaient vos bureaux.

15 M. Nakas (interprétation): Si l'on regarde cette photographie, nous

16 pouvons voir un immeuble à 12 étages; il s'agit de la partie centrale de

17 l'hôpital où les malades étaient traités avant, c'était cette partie-là et

18 ici était la partie destinée aux traitements opérationnels, mais la partie

19 où j'étais situé moi-même ne se voit pas sur cette photographie. Ceci se

20 trouvait à droite, et une partie de cette partie est recouverte par un

21 immeuble résidentiel, si je ne me trompe, puisque la photographie a été

22 prise de la rue.

23 A droite, nous voyons l'immeuble résidentiel de "Sarajevo-Stan"; donc, cet

24 immeuble cache une partie de l'immeuble et tout un autre immeuble de trois

25 étages où était situé mon bureau. Donc, nous ne pouvons pas voir cela sur

Page 1188

1 cette photographie.

2 Question: Depuis vos locaux, est-ce qu'il était possible de voir la

3 mosquée de Magribija?

4 Réponse: Depuis les locaux dans lesquels je me trouvais, tout comme depuis

5 toutes les autres fenêtres de cet immeuble de 12 étages, il était possible

6 très bien de voir la mosquée de Magribija. Elle est tout à fait visible

7 puisqu'elle est très dominante, dans la première partie qui se trouve

8 directement face à l'hôpital. Et par la suite, elle a été minée.

9 Question: Est-ce que vous pourriez me dire exactement à quel moment elle a

10 été minée?

11 Réponse: Je ne suis pas sûr, mais je pense que c'est au cours de l'année

12 1992 qu'elle a été touchée par un obus. C'était au début du conflit.

13 Question: Vous dites "au début du conflit", c'est-à-dire en mai ou en

14 juin?

15 Réponse: Non, non, je parle du début de l'année 1992. Elle a été détruite

16 vers la fin de l'année 1992. Elle a été coupée en deux.

17 Question: Est-ce que vous vous souvenez si, à proximité de la mosquée, il

18 y a eu des victimes provoquées par le pilonnage?

19 Réponse: Je me souviens que deux ou trois fois, nous avons reçu des

20 personnes qui ont été blessées près de la mosquée Magribija. Et puis une

21 autre fois, dans cette partie-ci où l'on voit une voiture, il y avait

22 également un groupe de personnes blessées et moi-même, je suis sorti sur

23 le balcon afin de regarder ce qui se passait dans la rue et le hasard a

24 voulu que j'ai pu voir ces personnes blessées. J'ai pu voir lorsqu'on les

25 a fait entrer à l'hôpital.

Page 1189

1 Question: Donc vous avez pu voir le moment où ces personnes ont été

2 blessées au cours de ce pilonnage?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Et est-ce que vous avez tenu des notes concernant les pilonnages

5 de l'hôpital et de la partie autour de l'hôpital?

6 Réponse: En ce qui concerne les notes portant sur le pilonnage, je n'en ai

7 pas eu par rapport aux incidents concrets du pilonnage de l'hôpital. Nous

8 ne pouvions pas tenir un registre concernant cela.

9 Question: Pour autant que vous vous en souveniez, lorsque de tels

10 incidents se produisaient, est-ce que quelqu'un portait plainte? Est-ce

11 que quelqu'un soumettait un rapport concernant cela auprès des autorités

12 compétentes? Et est-ce que les autorités compétentes se sont jamais

13 rendues sur le terrain afin d'établir les dégâts et les séquelles de ces

14 incidents qui ont parfois provoqué des victimes?

15 Réponse: Au début du conflit, en juin, jusqu'en août 1992, nous avons

16 soumis des rapports à l'ancien centre de sécurité de la ville de Sarajevo;

17 je ne suis pas tout à fait sûr du titre officiel de cette institution.

18 Donc au cours des premiers mois, quelqu'un venait de temps en temps afin

19 d'établir les dégâts mais il n'y avait pas de registres qui auraient été

20 tenus. Mais par la suite, nous avons pris l'habitude d'être touchés par

21 des obus pratiquement tous les jours et donc eux, ils ne venaient plus.

22 Nous-mêmes, nous avons arrêté de soumettre des rapports au sujet de cela

23 parce que ceci a commencé à se produire de manière quotidienne.

24 Question: Est-ce que les représentants de la Forpronu se rendaient à

25 l'hôpital?

Page 1190

1 Réponse: Je dois dire que l'hôpital a été placé entre les mains des

2 autorités légalement élues de la Bosnie-Herzégovine par le biais d'un

3 accord signé par la présidence de la Bosnie-Herzégovine, le représentant

4 de la JNA, le reprenant de la Forpronu et la Croix-Rouge internationale.

5 La Croix-Rouge internationale avait l'obligation de s'occuper de

6 l'administration de l'hôpital. Malheureusement, cet accord n'a jamais été

7 réalisé puisque la Croix-Rouge internationale a quitté la ville de

8 Sarajevo après qu'un convoi humanitaire qui s'approchait de Sarajevo a été

9 attaqué, et leur chauffeur a été tué.

10 Au bout d'environ 7 à 10 jours, l'administration en matière de santé, ou

11 plutôt le ministère de la santé a décidé d'organiser un hôpital en ces

12 lieux. Ils ont nommé les personnes qui devaient faire partie du conseil

13 administratif et par la suite, les représentants de la Forpronu nous

14 rendaient visite de manière régulière. Au début, lors des premiers

15 pilonnages, ils enregistraient les dégâts provoqués et par la suite, au

16 moment où le pont aérien a été établi, la plupart des fois ils venaient

17 afin d'apporter de l'aide médicale ou afin d'examiner un certain nombre de

18 patients qui devaient être évacués en dehors de la ville, ou bien afin

19 d'escorter des officiels qui se rendaient à cet hôpital. Entre autres, le

20 feu Président Mitterrand s'y est rendu lors de sa visite dans la ville de

21 Sarajevo; il y est allé avec les représentants de la Forpronu.

22 Question: S'il vous plaît, est-ce que les représentants de la Forpronu qui

23 se sont rendus à l'hôpital ont constaté et ont écrit des procès-verbaux

24 sur la base des rapports portant sur la question de savoir de quelle

25 position l'hôpital avait été pilonné, et de quelle manière ceci s'était

Page 1191

1 produit?

2 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, ils établissaient ce genre de

3 procès-verbaux pour leurs propres fins, mais l'hôpital n'a jamais eu à sa

4 disposition ce genre de rapports. Et d'ailleurs, ceci se produisait

5 seulement au début.

6 Question: Est-ce que vous savez si près de l'hôpital se trouvait un point

7 d'observation des Nations Unies? Et si oui, est-ce que vous sauriez nous

8 dire où celui-ci se trouvait?

9 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, les Nations Unies n'avaient

10 pas un point d'observation permanent mais leurs patrouilles patrouillaient

11 les rues régulièrement et surveillaient toute la région. Mais en ce qui

12 concerne un point d'observation officiel, il n'y en a pas eu. Il y a tout

13 simplement eu des points qui servaient à se protéger face aux tirs dans la

14 rue Tijenska, mais ceci n'avait rien à voir avec l'hôpital.

15 En ce qui concerne l'accord que j'ai mentionné tout à l'heure, il faut

16 savoir que la Forpronu, au terme de cet accord, était obligée de protéger

17 l'hôpital suite au départ de la JNA des alentours. Cependant, la Forpronu

18 n'a jamais réalisé cette protection. Donc, les représentants de la

19 Forpronu venaient toujours en tant qu'invités, mais jamais afin de

20 protéger l'hôpital.

21 Question: Est-ce que vous savez la chose suivante? Vous avez dit que des

22 observateurs des Nations Unies patrouillaient dans les rues autour de

23 l'hôpital. Est-ce que vous savez si eux-mêmes se rendaient suite aux

24 rapports soumis portant sur les incidents du pilonnage de l'hôpital, qu'il

25 s'agisse de l'hôpital lui-même ou des alentours de l'hôpital? Et si oui,

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1 est-ce qu'eux-mêmes rédigeaient des rapports à ce sujet-là?

2 Réponse: Pour autant que je m'en souvienne, ils venaient de temps en

3 temps, ils rédigeaient un rapport. Mais moi, en tant que dirigeant de mon

4 service, je n'ai jamais reçu de tels rapports. Et puis, dès que nous

5 avions un grand groupe de patients qui arrivait à l'hôpital, nous étions

6 dans l'obligation de recevoir les représentants de la Forpronu et de leur

7 remettre les informations concernant le nombre de victimes, etc., et puis

8 également lors des opérations d'escorte qu'ils fournissaient aux personnes

9 qui devaient être évacuées de l'hôpital, ils étaient au courant de toutes

10 les informations concernant le patient en question.

11 Question: Donc, si j'ai bien compris, lorsque les membres de la Forpronu

12 rendaient visite à l'hôpital, ils rédigeaient des rapports concernant les

13 événements qui se produisaient et ceci était rédigé en votre présence?

14 Réponse: Pour la plupart, les rapports ont été rédigés en présence de la

15 personne qui était de permanence dans le service d'urgence. Mais en ce qui

16 concerne ces documents, ils n'ont jamais été montrés à quelque membre que

17 ce soit du personnel de l'hôpital, et le personnel ne devait pas du tout

18 les signer. Ces documents appartenaient à la Forpronu et nous n'avions

19 rien à voir avec eux.

20 Question: Lorsque le Procureur vous a posé des questions, vous avez dit

21 que l'hôpital a été pilonné surtout depuis Vrace et Trebevic?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Puisque vous pouvez voir la photographie devant vous maintenant,

24 est-ce que vous pouvez nous dire si, selon vous, la partie inférieure de

25 l'hôpital peut être touchée directement en tirant depuis Vrace et

Page 1193

1 Trebevic, compte tenu justement des alentours de l'hôpital?

2 Réponse: Sur la base de la photographie que nous voyons ici, il est

3 visible qu'il existe un couloir devant l'hôpital, à savoir la rue qui

4 s'appelle aujourd'hui Donja et avant, c'était la rue Albanska. Donc, en ce

5 qui concerne la partie juste devant l'hôpital il n'y a rien mais à gauche

6 et à droite de l'hôpital, cette partie-là était mieux protégée compte tenu

7 des immeubles qui se trouvent à cet endroit. Donc, cette partie-là de

8 l'immeuble se trouve pratiquement au début ou à la fin de la rue Albanska

9 et donc, il n'y a pas d'entrave visible entre Vrace ou Trebevic et cet

10 immeuble.

11 Question: Vous êtes un militaire?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Je suppose que vous vous y connaissez un peu en ce qui concerne

14 les armes. Donc veuillez nous dire, si possible, quelles étaient les armes

15 employées afin de viser l'hôpital?

16 Réponse: Sur la base des fragments d'obus que nous trouvions dans les

17 chambres de patients, dans des ascenseurs, dans des couloirs, nous

18 pouvions voir qu'il s'agissait des obus de chars et d'autres sortes

19 d'armes d'artillerie, aussi d'obus à blindage; c'est ce qu'on m'a

20 expliqué. Moi, en tant qu'officier de l'ancienne JNA, je connais mieux les

21 armes d'infanterie, les fusils et les revolvers, et en ce qui concerne le

22 reste mes connaissances sont un peu plus faibles.

23 Question: Merci. Et est-ce que vous pourriez nous dire dans quelle partie

24 l'hôpital a été touché par un obus de char?

25 Réponse: Il est très difficile de le dire; dans cette partie-là. Peut-être

Page 1194

1 la plupart de ces traces d'obus étaient des obus de chars. Je pense qu'un

2 obus de char est tombé directement ici, au dixième étage. Voilà.

3 Question: Lorsque vous avez fourni votre déclaration à l'accusation, vous

4 avez exprimé une analyse concernant le nombre de civils et le nombre de

5 militaires en 1992, 1993, 1994 et 1995. Au total, selon vous, 8105

6 personnes ont été admises à l'hôpital, dont 3698 étaient des civils et

7 4407 des militaires. Est-ce que votre position est qu'il s'agit là d'un

8 rapport d'environ 50% entre les militaires et les civils?

9 Réponse: D'après mon expérience, je peux dire que visiblement il

10 s'agissait d'un rapport de moitié-moitié.

11 Question: Et ces données, vous les avez constituées selon vos propres

12 registres?

13 Réponse: Ces données se fondent sur les rapports journaliers que le

14 service des urgences de l'hôpital m'envoyait tous les jours.

15 Question: En ce qui concerne les documents médicaux dont nous disposons

16 ici, est-ce que vous pourriez me dire si ces documents se trouvent dans

17 les archives de la Bosnie-Herzégovine?

18 Réponse: Oui. C'est-à-dire, je pense pas que ceci ne se trouve pas dans

19 les archives de la Bosnie-Herzégovine; c'est seulement maintenant que les

20 archives historiques de la ville de Sarajevo nous ont fait une telle

21 requête. Pour le moment, nous n'avons pas reçu une requête par écrit mais

22 seulement verbalement et selon cette requête, tous les documents

23 recouvrant la période entre 1992 et 1995 devraient être remis aux archives

24 historiques et les photocopies de tous ces documents devraient être faites

25 et maintenues à l'hôpital, alors que tous les originaux devraient être

Page 1195

1 remis aux archives historiques de la ville de Sarajevo. Et la même chose

2 devrait se passer en ce qui concerne tous les autres hôpitaux mais, pour

3 autant que je le sache, c'est seulement l'hôpital de Dobrinja qui a remis

4 tous ces documents aux archives historiques de la ville de Sarajevo,

5 puisque cet hôpital a été fermé entre-temps.

6 Question: Vous nous avez dit que vous avez été autorisé à émettre des

7 photocopies certifiées aux personnes autorisées, des photocopies

8 certifiées des documents de l'hôpital?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Pourriez-vous me dire qui confirme que la photocopie est

11 conforme à l'original? Est-ce que c'est vous ou bien est-ce que c'est le

12 Tribunal ou la municipalité, etc.? C'est vous qui êtes autorisé?

13 Réponse: Oui, devant l'hôpital.

14 Question: Et c'est vous qui devez confirmer que la photocopie est conforme

15 à l'original?

16 Réponse: Oui, puisque j'ai été autorisé par le Tribunal numéro 1, je

17 pense, de Sarajevo, en tant que personne qui certifie que tous les

18 documents contenant ma signature sont authentiques.

19 Question: Et quand cette signature, votre signature, a-t-elle été déposée

20 dans cette forme?

21 Réponse: Ceci a été fait, je pense, au début de mon mandat mais là,

22 récemment, j'ai été réélu au cours de l'année dernière.

23 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai plus de

24 questions à poser.

25 M. le Président (interprétation): Merci, Madame Pilipovic.

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1 Je ne sais pas si mes collègues ont des questions supplémentaires avant

2 les questions supplémentaires du Procureur. Non?

3 (Questions au témoin, M. Nakas, par le M. le Président.)

4 Monsieur Nakas, j'ai une question, moi-même. Vous nous avez parlé de

5 l'assurance, qu'il s'agisse de l'assurance militaire ou non militaire. Si

6 les assurances militaires payaient pour le traitement d'un patient, est-ce

7 que ceci impliquerait que le patient était un militaire, ou bien est-ce

8 qu'il pouvait s'agir également d'une femme ou d'un enfant, etc.? Est-ce

9 que vous pourriez nous expliquer cela?

10 M. Nakas (interprétation): Jusqu'en 1992, dans le système de santé de la

11 Bosnie-Herzégovine il existait deux systèmes d'assurance. D'un côté, il y

12 avait les assurances civiles recouvertes par le réseau des institutions

13 publiques et deuxièmement, il y avait les assurances militaires portant

14 sur tous les membres des forces armées yougoslaves et de tous les membres

15 de leur famille. A l'époque, l'armée bénéficiait de ses propres assurances

16 dans leurs casernes, dans les garnisons et dans les hôpitaux militaires et

17 c'est ainsi que, sur la base du budget, l'armée couvrait l'ensemble des

18 assurances de ses membres et de leur famille et couvrait également les

19 frais du traitement de personnel militaire si celui-ci devait effectuer un

20 mandat dans les institutions civiles. De même, par le biais du système des

21 assurances civiles, les civils pouvaient être envoyés aux hôpitaux

22 militaires et ensuite, ceci devait être payé par les assurances civiles.

23 Nous avons automatiquement poursuivi ce système et nous avons donc

24 classifié nos patients en tant que personnels militaires ou civils. Et

25 lorsque je dis "personnels militaires", je parle aussi des membres de la

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1 famille de ces militaires.

2 M. le Président (interprétation): Monsieur Nakas, je ne m'intéresse pas

3 tout particulièrement au paiement, mais à la question de savoir ce que le

4 terme "militaire" impliquait dans ce sens. Monsieur Blaxill?

5 M. Blaxill (interprétation): Oui, j'aurais quelques questions à poser.

6 M. le Président (interprétation): Peut-être vous pourriez nous dire

7 combien de temps il vous faudrait. Peut-être vous pourrez poser juste des

8 questions les plus pertinentes au témoin.

9 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Bakir Nakas, par M.

10 Blaxill.)

11 M. Blaxill (interprétation): Je pense qu'il me suffira juste de quelques

12 minutes.

13 Monsieur Nakas, en ce qui concerne les assurances militaires, tout d'abord

14 je souhaite savoir si celles-ci portaient seulement sur les membres actifs

15 des forces armées ou bien aussi sur les personnes retraitées et les

16 membres de leur famille en retraite.

17 M. Nakas (interprétation): Tous les membres du personnel militaire, qu'il

18 s'agisse des membres d'active ou des personnes retraitées et leur famille,

19 ils étaient tous couverts par l'assurance.

20 Question: Et si par exemple un patient venait à l'hôpital, et si

21 clairement il s'agissait d'un civil qui dépendait d'un militaire, est-ce

22 que ce sont les assurances militaires qui couvraient quand même les frais,

23 dans ce cas-là?

24 Réponse: Oui.

25 Question: Et dans ce cas-là, quelle pouvait être la taille de la famille

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1 qui pouvait être, qui pouvait bénéficier de ce genre de couverture de

2 frais? Est-ce qu'il s'agissait de la famille la plus proche, ou bien est-

3 ce qu'il s'agissait d'autres cousins?

4 Réponse: Les assurances portaient sur la personne qui en bénéficiait: la

5 femme, les enfants et toutes les autres personnes qui dépendaient du

6 militaire en question, qu'il s'agisse des parents ou d'autres personnes

7 qui dépendaient de la personne en question et qui ne bénéficiaient pas

8 d'autres formes d'assurance médicale.

9 Question: Je souhaite vous poser une seule question encore au sujet de

10 cela. Vous nous avez donné des chiffres; vous nous avez dit que sur la

11 base des assurances militaires et civiles, vous diriez que le rapport

12 entre les patients civils et militaires était de 50-50%. Mais compte tenu

13 de tout ce qui a été dit, est-ce que nous pouvons constater que, parmi les

14 patients militaires, il y avait également les membres de la famille des

15 militaires qui était en fait des civils, des femmes ou des enfants?

16 Réponse: Oui.

17 M. Blaxill (interprétation): Merci, je n'ai plus de question à poser.

18 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Blaxill.

19 Monsieur Nakas, c'est ainsi que se termine votre déposition devant ce

20 tribunal. Je vous remercie vivement, non pas seulement d'être venu, mais

21 d'être venu deux fois. Nous sommes vraiment navrés du fait que vous avez

22 dû revenir au bout de plusieurs semaines. Nous aurions souhaité terminer

23 votre déposition dès le mois de décembre mais sur le plan pratique, ceci

24 n'était pas du tout possible. Donc, merci beaucoup d'être revenu

25 aujourd'hui.

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1 Je demanderai à l'huissier d'escorter le témoin à l'extérieur du prétoire.

2 M. Nakas (interprétation): Merci à vous, Monsieur le Président.

3 (Le témoin, M. Bakir Nakas, est reconduit hors du prétoire.)

4 (Questions relatives à la procédure.)

5 M. le Président (interprétation): Je pense que c'est maintenant que nous

6 allons avoir une pause d'environ une demi-heure et nous allons donc

7 reprendre à 16 heures 15, à moins que qui que ce soit s'y oppose.

8 M. Blaxill (interprétation): J'ai un point pratique à soulever.

9 Le témoin suivant, M. Ashton, on lui a montré un certain nombre de pièces

10 à conviction qui avaient été employées par mon collègue Me Ierace et,

11 entre-temps, ceci a reçu la cote MFI 885(?). Il s'agit des séquences

12 vidéo.

13 Donc, je propose que l'on visionne cela demain. Cependant, ces séquences

14 vidéo ne figurent pas sur les listes de témoins ou les listes de pièces à

15 conviction.

16 M. le Président (interprétation): Vous avez parlé de M. Ashton, M. Ashton

17 étant le prochain témoin?

18 M. Blaxill (interprétation): Oui. En fait, nous avons pu éviter d'appeler

19 la femme qui s'appelait Milka Kelinovic et je crois que la Cour en a été

20 informée, et j'espère que vous accepterez nos excuses. Mais nous avons

21 bien sûr prévenu la défense.

22 M. le Président (interprétation): Oui, je n'étais pas moi-même au courant

23 mais bon, il y a peut-être quelque chose qui m'a échappé.

24 Juste avant que nous fassions la pause, Mme Pilipovic aimerait ajouter

25 quelque chose, mais je voudrais aussi vous demander ce que vous comptez

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1 faire des photographies que vous avez montrées au docteur Nakas, parce que

2 vous aviez dit qu'en fonction de ce qu'il allait dire, ce serait versé et

3 que ce serait marqué en vue d'une identification; c'est ce que vous

4 souhaitez?

5 Mme Pilipovic (interprétation): Oui, le nombre est D9.

6 M. le Président (interprétation): Oui. Pour ce qui est de

7 l'identification, je crois que le Greffe était

8 Merci. Nous allons reprendre… Pardon. Madame Pilipovic?

9 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, je voulais faire

10 une déclaration au nom de la défense, si vous me le permettez, portant sur

11 le fait que mes collègues aient décidé de ne pas entendre le témoin, les

12 déclarations du témoin. Je n'ai été informée qu'hier et je voudrais aussi

13 moi-même demander à mes collègues de nous mettre au courant le plus

14 rapidement possible parce que moi, j'ai passé beaucoup de temps à préparer

15 un interrogatoire de ce témoin, donc j'espère qu'ils en tiendront compte.

16 M. Blaxill (interprétation): L'information a été transmise lundi, après

17 que la décision a été prise dimanche.

18 M. le Président (interprétation): Merci. Je suis d'accord avec Me

19 Pilipovic pour dire que ce type d'information doit être transmis le plus

20 rapidement possible. Je n'ai aucune raison de croire que ça n'a pas été

21 fait en le cas d'espèce, mais je pense qu'il faut essayer d'éviter toute

22 perte de temps pour l'autre partie.

23 Bien. Quoi qu'il en soit, nous reprenons nos travaux -je crois que c'est

24 la cinquième fois que je le dis maintenant-, à 16 heures 15.

25 (L'audience, suspendue à 15 heures 48, est reprise à 16 heures 17.)

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1 M. le Président (interprétation): Alors, je pense que cela va nous prendre

2 un petit peu temps pour nous habituer à la pratique que j'essaie de mettre

3 en avant dans ce prétoire.

4 Je voudrais rappeler à la défense que le contre-interrogatoire a pris 70

5 minutes alors que l'interrogatoire principal n'avait pris que 63 minutes,

6 donc 7 minutes de trop. Je tiens à le réitérer, le maximum ne doit pas

7 dépasser l'interrogatoire principal. Même si vous pouviez être plus brefs,

8 ce serait mieux. Voilà. J'avais les yeux rivés sur la montre.

9 Monsieur Blaxill, vous allez nous annoncer le prochain témoin.

10 M. Blaxill (interprétation): Il s'agit de M. John Ashton, Président.

11 M. le Président (interprétation): Pouvez-vous faire entrer le témoin, s'il

12 vous plaît?

13 (Le témoin, M. John Ashton, est introduit dans le prétoire.)

14 Bonjour, Monsieur. Vous avez été appelé à déposer comme témoin dans cette

15 affaire.

16 Je voudrais tout d'abord vous inviter à me répondre: entendez-vous une

17 langue que vous comprenez? Je pense que ce n'est pas un problème, mais

18 vous devez aussi prêter serment.

19 La déclaration, le texte va vous être donné par l'huissier.

20 Je vais vous demander de prêter serment en levant la main droite.

21 M. Ashton (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

22 vérité, toute la vérité et rien d'autre que la vérité.

23 M. le Président (interprétation): Merci.

24 (Interrogatoire principal du témoin, M. John Ashton, par M. Blaxill.)

25 M. Blaxill (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

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1 Monsieur Ashton, bonjour.

2 Pouvez-vous nous dire quel est votre nom, et la date de votre naissance?

3 M. Ashton (interprétation): Je m'appelle John Ashton, je suis né le 30

4 septembre 1965.

5 Question: Quel est votre poste actuel?

6 Réponse: Je suis directeur exécutif d'une agence humanitaire.

7 Question: Cette agence s'occupe de quoi?

8 Réponse: Distribution de médicaments dans des zones sinistrées.

9 M. Blaxill (interprétation): Monsieur Ashton, pour revenir un petit peu en

10 arrière, pouvez-vous nous donner des détails sur votre enfance?

11 M. Ashton (interprétation): J'ai grandi dans une famille de militaires,

12 une famille de marins, dans un centre où travaillait mon père, un centre

13 de la marine où travaillaient mon père et mon frère.

14 M. le Président (interprétation): Si vous le permettez Monsieur Blaxill,

15 Monsieur Ashton, est-ce que vous pouvez suivre au moins d'un œil le

16 transcript qui figure devant vous sur l'écran?

17 M. Ashton (interprétation): Je n'ai pas d'écran, ou du moins l'écran est

18 noir. Ah voilà, ça y est j'ai le transcript.

19 M. le Président (interprétation): Vous savez qu'il y a une interprétation

20 et les interprètes ont besoin de traduire les questions et les réponses,

21 donc je vous demanderai d'attendre juste un instant après que la question

22 vous a été posée, que vous la voyez sur le transcript. Sinon, nous

23 risquons d'avoir des petits problèmes.

24 M. Blaxill (interprétation): Lorsque vous étiez enfant, est-ce que vous

25 intéressiez à tout ce qui était militaire ou est-ce que cela ne vous

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1 intéressait pas plus que cela?

2 M. Ashton (interprétation): Oui, j'étais très intéressé par les choses

3 militaires. J'ai étudié les armes, les systèmes d'armes, en particulier

4 les avions de combat parce que je pensais à un moment donné que je ferais

5 une carrière militaire, et d'ailleurs j'ai commencé comme ça parce que

6 j'ai commencé dans les garde-côtes.

7 Question: Quand vous êtes entré dans les garde-côtes?

8 Réponse: En 1973, après la fin de mes études.

9 Question: Vous voulez dire les garde-côtes américains?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Combien de temps avez-vous servi en tant que garde-côtes?

12 Réponse: Pendant trois ans.

13 Question: Dans le courant de ces trois ans, vous êtes vous rendu dans

14 d'autres pays?

15 Réponse: Je suis allé pendant la guerre du Vietnam: à l'époque, j'ai été

16 formé pour gérer le système d'armes dans l'armée américaine parce que les

17 garde-côtes géraient les patrouilles sur les rivières au Vietnam. Donc je

18 connaissais bien les tactiques militaires, j'ai étudié les systèmes

19 d'armes soviétiques.

20 Question: Vous avez dit que vous vous aviez servi jusqu'en 1976. Qu'avez-

21 vous fait à partir de 1976?

22 Réponse: Lorsque j'ai quitté les gardes-côtes, j'ai commencé à travailler

23 comme photo-journaliste. Je me suis rendu dans différents endroit pour

24 couvrir différents événements.

25 En fait, en 1976 je suis allé à Beyrouth, au Liban; ça été une de mes

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1 premières missions pour United Press International, et j'ai couvert le

2 conflit au Liban.

3 Question: Est-ce que vous pouvez nous faire état d'autres zones de conflit

4 où vous vous êtes rendu durant votre carrière?

5 Réponse: Oui. Fin 1977, j'étais en Erythrée. Je suis allé aussi en

6 Afghanistan en 1980/81; je travaillais avec un comité qui s'appelle

7 "Committee for Free Afghanistan", basé à Washington. J'ai pu aller en

8 Afghanistan, aider les Afghans pendant l'occupation soviétique.

9 Question: Y a-t-il d'autres endroits dont vous pouvez nous faire état, où

10 vous êtes rendu avant 1992?

11 Réponse: Je suis allé en Afrique plusieurs fois. Je suis allé en Somalie,

12 je suis allé au Soudan, je suis allé comme je le disais en Erythrée, aussi

13 au Maroc.

14 Question: Et en temps que photo-journaliste, est-ce que ces missions vous

15 plaçaient tout près de la réalité de la zone de combats? Etiez-vous exposé

16 aux tirs?

17 Réponse: Dans tous les cas de figure, j'étais exposé aux combats, étant

18 donné ma profession; j'étais là comme photographe pour couvrir des

19 conflits, donc j'étais tout à fait exposé et je me suis rendu plusieurs

20 fois, de nombreuses fois sur les lignes de front.

21 Question: Alors, pour poursuivre, vous avez parlé des années 80. Après

22 cela, vous êtes rentré dans d'autres domaines, ou avez-vous continué à

23 travailler comme photo-journaliste jusqu'en 1992?

24 Réponse: Oui, à New York, j'ai travaillé aussi comme photo-journaliste. Je

25 suis allé à l'université pour prendre des cours, mais je n'ai pas terminé

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1 mes études.

2 Question: Pouvez-vous nous dire quels cours vous avez pris?

3 Réponse: J'ai pris des cours d'histoire, histoire des religions, sciences

4 politiques et cours de psychologie.

5 Question: A un moment donné, dans le cadre de vos occupations diverses,

6 avez-vous eu une formation en médical?

7 Réponse: Oui, j'ai étudié des cours de préparation médicale à l'Institut

8 national de Washington de la santé, et j'ai eu la possibilité d'avoir une

9 formation poussée dans le domaine pharmaceutique.

10 Question: Venons en maintenant à l'année 1992, si vous me le permettez.

11 Vers le milieu de l'année, est-ce que vous pouvez nous dire où vous vous

12 êtes rendu et ce que vous faisiez, et en quelle qualité?

13 Réponse: Oui, je travaillais à New York en tant que photographe et j'ai

14 été invité à me rendre en Europe pour une mission. Lorsque je suis arrivé

15 en Europe, j'ai rencontré quelqu'un que j'avais rencontré auparavant dans

16 le courant du conflit libanais en 1976, qui travaillait pour les Nations

17 Unies et qui m'a demandé si je pouvais venir en Yougoslavie pendant deux

18 semaines pour prendre des photographies pour le compte des Nations Unies.

19 J'ai donné mon accord pour deux jours.

20 Question: Vous vous rappelez quand exactement vous êtes arrivé, et où?

21 Quelle est la ville où vous êtes arrivé?

22 Réponse: Oui. Au départ, je me suis rendu à Zagreb en Croatie avec le HCR.

23 Ils ont prévu un déplacement pour Sarajevo avec un vol des Nations Unies,

24 puis à Split, Croatie, la première fois le 5 juillet 1992. Et ensuite, je

25 suis reparti et j'y suis revenu le 7 juillet 1992.

Page 1206

1 Question: Est-ce que vous êtes resté, à ce moment-là, à Sarajevo pendant

2 un certain temps?

3 Réponse: Oui. Comme je l'ai dit dans ma déclaration initiale, je n'avais

4 prévu de ne rester que deux jours et en fait, j'ai été coincé à l'hôpital

5 de Sarajevo à cause de bombardements très importants. Et lorsque je suis

6 arrivé à Sarajevo, j'ai décidé de prendre des photographies sur la

7 situation qui prévalait à l'hôpital et lorsque j'ai vu ce qui se passait,

8 je me suis rendu compte que j'allais y passer la nuit. Donc, j'ai commencé

9 à aider à l'hôpital à ce moment-là et je me suis rendu compte que je

10 n'arriverais pas non plus à tout faire en une journée.

11 Je suis donc allé au quartier général des Nations Unies qui a préparé mon

12 départ, mais je suis resté une journée de plus pour aider l'hôpital à

13 obtenir du matériel médical dont il avait besoin par le biais des Nations

14 Unies, et c'est là que j'ai décidé que j'allais rester deux semaines de

15 plus.

16 Question: Y a-t-il des événements qui se sont passés, ultérieurement à

17 juillet 1992, qui vous ont amené à quitter la ville de Sarajevo pendant un

18 certain temps?

19 Réponse: Oui. Pendant cette période, j'ai essayé de faire un certain

20 nombre de choses et je me suis rendu compte de la complexité des choses,

21 en particulier du fait que la ville était coupée de l'aide humanitaire et

22 qu'à l'aéroport, seule une aide infime arrivait et que les hôpitaux

23 avaient vraiment besoin d'aide. Donc, j'ai décidé de continuer une

24 troisième semaine.

25 A la fin de cette période, je prenais des photographies avec un groupe

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1 d'amis croates et bosniaques, et à ce moment-là, j'ai été blessé par des

2 tirs dans le bras et dans la jambe, par des tirs embusqués serbes.

3 Question: Pouvez-vous nous dire d'où vous avez été blessé et ce qui s'est

4 passé?

5 Réponse: J'étais à Otes, c'est de la gare, tout près de Ilidza, qu'on m'a

6 tiré dessus.

7 Question: Comment est-ce que vous savez, comment est-ce que vous pouvez

8 déduire la source des tirs?

9 Réponse: C'est parce que nous avons dû traverser les lignes de front.

10 En fait, c'est très intéressant. Nous avons pu parler à un certain nombre

11 de Serbes; les Croates et les Bosniaques avec lesquels je marchais avaient

12 des parents de l'autre côté. Et, bon, cela avait l'air très calme à ce

13 moment-là. Et ensuite, nous sommes arrivés dans une zone où il y avait des

14 gens qui étaient des Serbes et qui parlaient avec des Croates.

15 Ensuite on nous a déplacés, on a été dans un autre endroit; c'était un

16 pont de chemin de fer et là, il a fallu traverser une route et on m'a dit

17 que c'était un endroit très dangereux, parce que les soldats de la JNA

18 connaissaient cet endroit. Alors on m'a dit qu'il allait falloir courir.

19 Et lorsqu'on est arrivé dans la rue en question, 4 personnes devant moi

20 ont couru et moi, j'ai pas couru assez vite et j'ai vu 4 hommes le long

21 des rails de chemin de fer.

22 Donc un s'est levé, a pris son fusil, a visé et a tiré une balle qui m'a

23 atteint une première fois, enfin, qui m'a passé juste devant le visage, et

24 ensuite il a tiré un second coup. J'avais commencé à courir et je suis

25 tombé. Je ne m'étais pas rendu compte qu'il m'avait tiré dessus. Ensuite,

Page 1208

1 il a tiré un troisième coup qui m'a raté et qui est tombé à côté de moi

2 sur la route. Ensuite, je me suis rendu compte que j'avais la jambe

3 complètement broyée.

4 Question: Bien. Alors, maintenant que vous avez parlé de ces 4 personnes

5 qui étaient proches des rails de chemin de fer, vous pouvez nous dire ce

6 qu'ils portaient?

7 Réponse: Ils portaient des uniformes verts. D'après ce dont je me

8 souviens, il y en a 3 qui étaient debout et je pouvais assez bien les

9 voir, le quatrième était debout, mais entièrement et là je le voyais très,

10 très clairement. Mais tout cela s'est passé très, très vite, en l'espace

11 de quelques secondes et les personnes qui étaient avec moi, à ce moment-

12 là, ont eu le temps de répliquer.

13 Les 4 hommes se sont ensuite accroupis derrière les voies de chemin de

14 fer.

15 Question: Est-ce que vous aviez pu voir, ou est-ce qu'on vous a donné des

16 informations qui ont permis de mieux identifier les personnes qui étaient

17 sur la voie de chemin de fer et qui vous avaient tiré dessus?

18 Réponse: Oui, ultérieurement, après que je sois revenu d'Allemagne et que

19 j'aie commencé à travailler du côté serbe, il y a un des commandants

20 serbes qui m'a proposé de me présenter la personne qui m'avait tiré

21 dessus, et j'ai décliné.

22 Question: Vous venez de faire référence à un commandant serbe qui vous

23 avait fait cette offre. Est-ce que vous pouvez dire au Tribunal à quelle

24 formation militaire ce commandant serbe appartenait?

25 Réponse: Oui, il appartenait au corps Romanja d'Ilidza.

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1 Question: Bon, le "Romanja Corps", est-ce le nom intégral de cette

2 formation militaire, d'après vous, ou est-ce que le nom est peut être un

3 peu plus long?

4 Réponse: Eh bien, il s'appelle lui-même "l'armée de Republika Srpska".

5 Question: Le nom de cette formation, le Corps Romanja…

6 Lorsqu'on vous a tiré dessus, vous étiez accompagné d'un groupe de

7 personnes, disiez-vous. Quels étaient ces gens, et que portaient-ils?

8 Comment étaient-ils vêtus?

9 Réponse: Deux d'entre eux portaient des uniformes militaires et pour le

10 reste, ils étaient vêtus de vêtements civils. 5, en fait, étaient des

11 personnes qui travaillaient pour la ville de Sarajevo, qui étaient

12 policiers, qui m'escortaient car l'un d'entre eux était un ami avec lequel

13 je m'étais lié la première semaine.

14 Question: Que portiez-vous, vous-même?

15 Réponse: Une paire de jeans et une veste bleu ciel à manches courtes, mais

16 j'avais des caméras avec moi et on m'a dit que, à ce moment-là, la

17 publicité ou la presse qui était faite du côté serbe était tellement

18 mauvaise qu'on leur payait l'équivalent de 319 marks pour tirer sur des

19 journalistes. Bon, c'est une remarque que je n'ai pas forcément prise au

20 sérieux, mais je l'ai appris à mes dépens.

21 Question: Monsieur Ashton, vous avez fait référence à l'Allemagne.

22 Avez-vous dû quitter Sarajevo, suite à ces blessures?

23 Réponse: Oui, 10 jours plus tard on m'a fait venir en avion militaire des

24 Nations Unies à Rhein-Mein en Allemagne et j'étais hospitalisé à l'hôpital

25 militaire qui n'a pas pu soigner ma jambe convenablement. Ensuite, je suis

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1 allé à Munich, à un hôpital privé où les médecins ont dit qu'ils pouvaient

2 me soigner gracieusement. Et à ce moment, au moment de mon séjour, j'ai

3 entendu parler de la situation médicale à Sarajevo. C'est là que j'ai

4 décidé l'approvisionnement de médicaments à Sarajevo.

5 Question: Et après l'administration des soins, êtes-vous revenu à

6 Sarajevo?

7 Réponse: Oui, le 22 août ou autour du 22 août. Je ne me rappelle plus bien

8 de la date.

9 Question: Etes-vous resté à Sarajevo jusqu'à la fin de l'année 1992?

10 Réponse: Oui, je suis juste parti le week-end pour voir autre chose, pour

11 me changer les idées, mais je revenais à l'aéroport avec les vols des

12 Nations Unies à la fin des week-ends, le dimanche ou le lundi.

13 Question: Avez-vous assumé d'autres postes, au moment où vous étiez à

14 Sarajevo?

15 Réponse: Eh bien, le contexte était tellement mauvais dans les hôpitaux à

16 Sarajevo dans les cliniques médicales, le HCR des Nations Unies m'avait

17 demandé de travailler pour le HCR donc, et qu'on m'avait demandé

18 d'apporter mon aide car le bureau du HCR avait dû quitter, pardon, parce

19 que l'OMS avaient du quitter Sarajevo au moment du conflit début avril, et

20 donc on m'a demandé de faire des évaluations pour les hôpitaux.

21 Le HCR m'avait demandé si je pouvais travailler pour lui, et le 1er

22 octobre j'ai commencé à travailler en tant que membre des Nations Unies.

23 Question: Combien de temps avez-vous assumé ce poste?

24 Réponse: Jusqu'à la fin du mois de novembre. J'étais un petite peu déçu de

25 la manière dont l'aide humanitaire était gérée et là, j'ai décidé de

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1 travailler avec des Allemands que j'avais rencontrés en Allemagne pour

2 mettre en place une agence d'aide médicale qui fournirait des médicaments

3 qui n'arrivaient pas, jusqu'à présent, dans la ville et dans la région.

4 Question: Avez-vous réussi?

5 Réponse: Oui. Lancer le projet n'a pas été un problème; nous avons appelé

6 l'agence EMRA, "Emergency Medical Response Agency", qui a été créée en

7 Allemagne au début du mois de mars 1993. Dans l'intervalle, j'ai acheminé

8 des médicaments par le biais du système onusien, la Forpronu, le HCR, et à

9 ce moment-là l'Oms avait pu revenir dans l'intervalle, et donc j'ai

10 commencé à travailler à proprement parler à Sarajevo.

11 Question: Vous avez brièvement évoqué la situation début 1992, enfin en

12 août, à Sarajevo, en juillet. Pouvez-vous rapidement raconter au Tribunal

13 ce qui se passait dans la ville au moment où vous êtes arrivé, en juillet

14 1992?

15 Réponse: Lorsque je suis arrivé pour la première fois en juillet 1992,

16 j'ai vraiment été frappé par l'étendue de la violence qui était faite aux

17 civils. Je m'étais rendu dans plusieurs pays qui étaient en guerre

18 auparavant, je l'ai dit dans mes précédentes déclarations, et dans le cas

19 d'espèce j'étais très alarmé parce que je n'avais jamais vu autant de

20 blessés civils tous les jours arriver à l'hôpital, et qui étaient vraiment

21 ciblés. Dans la plupart des conflits que j'avais connus, il y avait bien

22 sûr des blessés civils, mais pas aussi graves qu'à Sarajevo, parce qu'en

23 général c'étaient des militaires qui tiraient sur des militaires.

24 Question: Sur la base de ce que vous venez de dire, vous avez parlé de

25 l'importance des victimes civiles, est-ce que vous avez pu assister aux

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1 circonstances pendant lesquelles ces civils sont devenus des victimes?

2 Réponse: Oui. D'ailleurs, j'ai pris des risques pour venir en aide à des

3 gens qui avaient été blessés devant moi, ou blessés par des bombardements.

4 J'ai vu à plusieurs occasions… Bien sûr, j'ai aussi photographié des gens

5 qui avaient été blessés sous mes yeux, ou même tués.

6 Question: Et étant donné les diverses expériences dont vous avez déjà fait

7 état devant ce Tribunal, est-ce que vous avez décidé de prendre des

8 mesures pour essayer de savoir avec certitude d'où venaient les sources de

9 ces tirs par bombardements, par obus ou par tirs embusqués?

10 Réponse: Oui. Lorsque je logeais à l'Holiday Inn -parce que c'est là que

11 je logeais le premier mois, jusqu'à ce que je sois moi-même blessé-, là il

12 avait un contingent canadien de la Forpronu, donc la Force de protection

13 des Nations Unies, qui apportait la nourriture pour les forces militaires.

14 J'ai rencontré un certain nombre de militaires canadiens et lorsque je me

15 suis rendu dans les étages supérieurs de l'Holiday Inn, eh bien, j'ai pu

16 voir de mes propres yeux les bombardements qui arrivaient sur la ville et

17 je pouvais voir, étant donné, de par le bruit, d'où venaient ces

18 bombardements et j'ai pu voir qu'il y avait des activités d'artillerie et

19 de chars qui se déplaçaient, qui allaient et venaient.

20 Je voyais aussi, le soir, les lumières et le matin, c'était très facile

21 d'identifier d'où venaient ces tirs.

22 Question: Et de la part, sur la base de ces observations, est-ce que vous

23 pouvez nous dire quel est le territoire d'où venaient ces tirs? Autrement

24 dit, sous le contrôle de qui ces territoires se trouvaient-ils?

25 M. Blaxill (interprétation): Oui, c'était facile à dire; je l'ai dit

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1 d'ailleurs aux canadiens et à d'autres personnes qui étaient là pour CBS

2 News, des journalistes italiens… Ils ont pu filmer. Il y avait aussi une

3 équipe grecque de journalistes qui était très bonne. Ils ont pu filmer une

4 position de char; le lendemain, nous avons vu d'où ça venait, près de

5 Grbavica.

6 M. Ashton (interprétation): Vous pouvez nous donner quelques exemples des

7 positions que vous évoquiez et nous dire maintenant, à peu près, où est-ce

8 qu'elles se trouvaient, ces positions? Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest

9 de la ville? Est-ce que vous pouvez nous donner quelques exemples

10 d'endroits que vous avez pu localiser?

11 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, la défense soulève

12 une objection à la question qui a été posée par mon honorable collègue.

13 Il s'agit d'expliquer les positions, et le témoin ne nous a pas dit qu'il

14 connaissait les positions en question et les moments où cela s'est

15 produit. Il s'agit d'une question fort générale; nous ne savons pas de

16 quelles positions il s'agit et sous le contrôle de qui elles étaient. Je

17 pense que mon collègue doit être plus spécifique, et savoir aussi quels

18 territoires. Je ne sais pas quels sont les territoires qui sont visés par

19 mon collègue.

20 M. le Président (interprétation): Madame Pilipovic, je voudrais essayer de

21 clarifier la situation. Je crois que la réponse figure aux lignes 1642 à

22 48. Le témoin nous dit: "J'ai vu une position de char et qui a été filmée,

23 d'ailleurs". Donc, si j'ai bien compris, la question fait référence à la

24 position qui a été évoquée par le témoin.

25 Mme Pilipovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, mais quelle

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1 position? Nous ne savons pas ce qu'on entend par ces positions. Le témoin

2 a juste dit: "J'ai vu des positions". Si mon collègue peut préciser sa

3 question, je lui en serais gré.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, êtes-vous d'accord

5 pour préciser les choses?

6 M. Blaxill (interprétation): Oui, je vais essayer de reformuler… Je ne

7 suis pas d'accord avec l'objection, mais je vais essayer de reformuler la

8 question.

9 Je vous avais demandé si vous aviez fait des observations pour essayer de

10 déterminer les endroits d'où provenaient les tirs ou les pilonnages sur la

11 ville. Vous avez mentionné un certain nombre d'endroits, vous avez parlé

12 d'un endroit où se trouvait un char, des positions de tirs, etc..

13 Donc ce que j'aimerais que vous fassiez, Monsieur Ashton, c'est nous dire

14 où se trouvent ces positions que vous avez évoquées, l'endroit où se

15 trouvaient premièrement le char et l'autre poste de tirs. Et ce qui serait

16 bien, c'est de nous dire où ils se trouvent par rapport à la ville de

17 Sarajevo.

18 M. Ashton (interprétation): Eh bien, c'est de… L'une des positions se

19 trouvait au-dessus de Grbavica, mais je ne me souviens pas de quel côté de

20 la ville cela se trouve; ouest, nord-est, je ne sais pas.

21 Mais Grbavica… Il y avait Trebevic; juste au-dessous du tire-fesses, du

22 téléski. Là, j'ai vu qu'il y avait quelqu'un qui tirait à partir de cet

23 endroit. Et puis il y avait Grbavica. J'y suis allé, d'ailleurs, sur

24 place, et j'ai vu le char qui se trouvait au-dessus de la colline, à cet

25 endroit-là.

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1 Question: Et connaissez-vous le nom de cette autre colline?

2 Réponse: Il y a un monument, là, qui est consacré… Enfin, un monument au-

3 dessus de cette ville, la ville de Vrace(?). Je ne connais pas, je ne

4 connais plus le terme serbo-croate, je l'ai oublié. "Vinci"(?), quelque

5 chose comme ça.

6 Question: On reviendra sur ces lieux plus précisément un peu plus tard.

7 Monsieur Ashton, vous avez parlé de bombardements, de tirs sur la ville,

8 de tirs sur la ville, de tirs embusqués à cette époque. Est-ce que vous

9 pouvez nous donner une idée de l'importance, de la fréquence des

10 pilonnages ainsi que des tirs embusqués tels que vous les avez observés en

11 juillet 1992? Et je sais bien que c'est la période du début, donc soyons

12 brefs.

13 Réponse: Eh bien, en juillet 1992, en octobre, septembre, peu importe,

14 c'était à peu près la même chose. Mais en tout cas, en juillet 1992 il y

15 avait beaucoup de pilonnages, le matin, à midi et en début de soirée. Mais

16 ceci s'est poursuivi pendant toute la guerre, d'après ce que j'ai vu. Il y

17 avait beaucoup de tirs embusqués le matin, dans divers endroits. Mais ça

18 dépendait des jours, parce qu'il y avait des jours où il y avait beaucoup

19 de tirs et d'autres moins. Il n'y avait pas de… Ce n'était pas très

20 régulier, en dehors du fait qu'il y avait des périodes qui revenaient sans

21 cesse où il y avait des bombardements très intensifs sur la ville.

22 Question: Quand vous êtes revenu à Sarajevo, vous venez d'ailleurs de nous

23 parler de septembre mais quand vous êtes revenu à Sarajevo, quelle était

24 la situation.? Nous sommes donc là au mois de septembre, à la fin

25 septembre.

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1 Réponse: Quand je suis revenu au début du mois de septembre à mon retour

2 d'Allemagne, et puis ensuite en septembre et en octobre; la situation

3 était catastrophique à Sarajevo. Je suis resté un petit peu au bâtiment

4 des PTT avant d'aller au centre-ville, mais les bombardements étaient

5 tels, étaient tellement importants au centre-ville que les forces des

6 Nations Unies obéissaient au code rouge, ce qu'ils appelaient le "code

7 rouge", c'est-à-dire on nous faisait savoir qu'il était très dangereux de

8 se déplacer. On voyait les obus s'écraser sur les civils qui marchaient

9 sur le boulevard principal. Donc, les tirs étaient très intenses.

10 Et nous, la Forpronu nous a fait savoir à nous, au sein du HCR, des

11 Nations Unies, qu'il ne fallait pas sortir, parce que… Pour empêcher tout

12 le monde d'aller à l'aéroport. C'était le commandant de Republika Srpska

13 qui nous avait dit cela. Ils essayaient également de toucher les immeubles

14 d'habitations dans cette zone. Donc, tirs extrêmement intenses pendant

15 tout ce mois d'octobre, jusqu'à la fin octobre.

16 Question: Ceci étant dit, est-ce que vous vous souvenez avoir circulé dans

17 la ville de Sarajevo pendant cette période?

18 Réponse: Oui, je sortais tous les jours. Quoi qu'il arrive, j'allais dans

19 les hôpitaux, j'allais voir des gens.

20 Question: Et de ce fait, est-ce que vous avez pu voir quel était l'impact

21 des obus dans la ville?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Et à cette époque-là, fin septembre, début octobre 1992 et aussi

24 pendant l'hiver de 1992, est-ce que vous pouvez dire aux Juges quelles

25 semblaient être les cibles visées et touchées par ces obus?

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1 Réponse: Il y a eu plusieurs incidents que j'ai vus. J'étais sur la route,

2 par exemple, un soir. Je me souviens, il y avait des équipes de télévision

3 locales et internationales et ils ont délibérément tiré sur un immeuble

4 d'habitations qui ensuite s'est enflammé. Ça, je l'ai constaté à plusieurs

5 reprises, mais je m'en rappelle très bien parce que les gens essayaient de

6 sortir de l'immeuble en flammes et on tirait sur cet immeuble depuis la

7 zone de Grbavica.

8 J'ai assisté à plusieurs incidents. Lorsque je traversais en voiture un

9 quartier, j'ai pu constater que des maisons recevaient des obus. J'étais à

10 l'Holiday Inn un jour et j'ai vu un char tirer sur un quartier où, à ma

11 connaissance, il n'y avait pas d'activité militaire. Il y avait même des

12 civils qui étaient dans les rue. On peut dire donc que le pilonnage était

13 très important, était souvent sporadique et aléatoire.

14 Question: Quand vous avez assisté à ce type d'incidents, quand vous avez

15 vu ces obus tomber sur ces maisons, ces immeubles d'habitation, est-ce que

16 vous avez constaté qu'il y avait là des militaires sur place, des armes,

17 des troupes, etc.?

18 Réponse: J'ai rarement vu les forces bosniaques, sauf lorsque j'allais sur

19 leurs positions. Mais il faut savoir qu'ils avaient peu d'armes, sauf

20 celles qui étaient sur la ligne de front, et qu'ils les transmettaient à

21 ceux qui les relevaient sur la ligne. Mais il n'y avait pas, sinon, de

22 char de leur côté car ils n'avaient l'équipement militaire lourd dont

23 disposaient les Serbes.

24 Question: Est-ce qu'à un moment quelconque vous avez pu voir les faits de

25 tirs d'obus sur d'autres cibles commerciales ou militaires, etc.?

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1 Réponse: Oui, je me souviens qu'il y a eu une attaque qui a duré près

2 d'une heure près du bâtiment des PTT. Cela a touché une usine, les

3 pompiers sont sortis pour éteindre les flammes. Les pilonnages se sont

4 arrêtés mais dès que les pompiers sont arrivés, ils ont commencé à leur

5 tirer dessus.

6 L'hôpital d'Etat a été touché, j'étais sur place à ce moment-là,

7 j'assistais en dessous de l'hôpital de Kosevo à un enterrement et j'ai pu

8 constater en me retournant qu'on tirait sur l'hôpital et pendant que

9 j'étais encore au cimetière, j'ai pu constater que des obus tombaient sur

10 le cimetière. Et d'ailleurs, il y 6 ou 7 obus qui sont tombés directement

11 à l'endroit où se trouvait, où avait lieu l'enterrement.

12 M. Blaxill (interprétation): Et pouvez-vous nous dire quand cela s'est

13 produit?

14 M. Ashton (interprétation): Cela produit en deux reprises, en octobre -je

15 m'en souviens très bien- et puis aussi en juillet, lorsque je suis allé à

16 l'enterrement d'un ami que j'avais rencontré à Sarajevo.

17 M. le Président (interprétation): Madame Pilipovic, vous vous êtes levée?

18 Mme Pilipovic (interprétation): Le témoin nous fait part d'événements qui

19 ont lieu avant la période qui est couverte par l'Acte d'accusation, et

20 ceci depuis maintenant plus d'une heure. Je souhaiterais demander à mon

21 éminent confrère de l'accusation de nous expliquer en quoi toutes ces

22 questions sont pertinentes, en quoi il est nécessaire pour le témoin de

23 passer plus d'une heure et de nous parler de juillet et d'août puisque

24 ceci est une période de temps qui précède celle qui est couverte par

25 l'Acte d'accusation.

Page 1219

1 Je souhaiterais que notre collègue nous explique pourquoi il est

2 nécessaire de ce faire.

3 M. le Président (interprétation): Veuillez répondre, s'il vous plaît,

4 Monsieur Blaxill.

5 M. Blaxill (interprétation): Il s'agissait pour moi de poser des questions

6 générales relatives au séjour du témoin à Sarajevo et si je pose des

7 questions qui ont trait à des événements qui ont eu lieu avant la période

8 l'Acte d'accusation, je pense que cela peut être intéressant pour

9 identifier un certain nombre de lieux qui vont ensuite être importants

10 pour ce que le témoin va nous dire au sujet des années 1993 et 1994.

11 Cela nous donne une sorte de contexte; nous dressons ainsi le tableau de

12 la situation. C'est pourquoi je vous demande votre indulgence et la

13 permission de le faire.

14 M. le Président (interprétation): Vous pouvez poursuivre, Monsieur

15 Blaxill. L'objection est rejetée.

16 Un instant, je vous prie.

17 M. Blaxill (interprétation): Une chose que je souhaiterais évoquer avec

18 vous: vous avez fait référence à une position de tirs en dessous du mont

19 Trebevic. Je voudrais savoir s'il y a un eu un incident précis qui a eu

20 lieu en 1992, incident qui vous a permis d'identifier cette position de

21 tirs, quelque chose qui se serait produit en juin 1992?

22 Réponse: Bien… En juillet 1992, en 1992 il s'est passé beaucoup de choses.

23 Je me souviens que j'étais à l'hôpital et aussi à l'Holiday Inn quand il y

24 a eu des pilonnages depuis cette position de Trebevic, et j'ai pu voir

25 d'où venaient les obus, surtout le soir à la nuit tombée quand ils

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1 continuaient à tirer.

2 Je me souviens par exemple qu'un véhicule a été touché alors qu'il passait

3 devant l'Holiday Inn sur le boulevard principal. Au cours de cet incident,

4 une femme a été soit blessée très gravement, grièvement, soit tuée. Elle

5 n'est pas sortie alors que le chauffeur, lui, est sorti de la voiture.

6 Je me souviens d'un incident à l'hôpital au cours duquel plusieurs

7 personnes ont été blessées en juillet de la même année. Les obus étaient

8 tirés depuis la même position. On pouvait entendre les obus arriver.

9 Question: Est-ce qu'il y a une zone près de l'Holiday Inn qui vous a

10 permis, d'après l'impact de l'obus, d'identifier ceci de Trebevic?

11 Réponse: J'essaie de remémorer un incident précis mais il y a tellement de

12 choses qui se sont passées pendant ce mois de juillet… A ce stade, j'ai

13 vraiment du mal à me souvenir de quelque chose de précis.

14 Question: Vous avez fait référence à un téléphérique qui avait un site à

15 cet endroit. Est-ce que vous vous souvenez de ce site?

16 Réponse: Je ne m'en souviens à l'instant.

17 Question: Même si vous ne vous souvenez pas de ce site, du nom de ce site,

18 est-ce cet endroit que vous avez identifié à distance?

19 Réponse: Permettez-moi, s'il vous plaît, de me reprendre, de me corriger.

20 En ce qui concerne ce téléphérique sur le mont Trebevic, j'ai dit que

21 c'était là où trouvait une des positions. Oui, d'ailleurs je suis même

22 allé sur cette position plus tard et les hommes qui s'y trouvaient, les

23 soldats qui s'y trouvaient m'ont dit que c'était de là qu'ils avaient un

24 des meilleurs point de vue pour toucher la ville et la zone de la

25 présidence à Alipasino Polje(?).

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1 Question: Vous nous dites qu'ultérieurement, vous vous êtes rendu à cet

2 endroit. Est-ce que c'était après septembre 1992?

3 Réponse: C'était en 1993, en mars 1993.

4 Question: Est-ce que vous vous êtes rendu ultérieurement, après mars 1993?

5 Réponse: Oui, je me suis rendu sur le front dans la Republika Srpska, et

6 c'est un des endroits où je me suis rendu.

7 Question: Est-ce qu'il y avait un lieu qui se trouvait à côté de l'Holiday

8 Inn où vous avez été en mesure de tirer des conclusions relatives à des

9 tirs embusqués? Je ne parle plus de pilonnages.

10 Réponse: Oui, je me souviens qu'une femme a été touchée juste devant moi;

11 j'ai essayé de la sauver. Un incident absolument atroce. Elle a essayé de

12 traverser la rue en courant devant l'ancien bâtiment de la Croix-Rouge au

13 coin de la rue, à deux rues de la présidence, parce qu'il y avait là entre

14 l'hôtel et la présidence un carrefour qui était une cible de prédilection

15 des tireurs embusqués…

16 Un homme avait été touché à la main; j'ai essayé de l'aider, j'ai commencé

17 à lui apporter les premiers soins, et ensuite un deuxième tir a résonné,

18 elle a été touchée à la jambe. J'ai couru vers elle pour essayer de

19 l'aider mais ils ont continué à tirer depuis Trebevic. Les balles

20 continuaient à s'écraser autour de nous dans la rue. J'ai donc tiré cette

21 femme vers moi, et puis il y a eu un nouveau tir, elle a été touchée à ce

22 moment-là au niveau du cou et à la gorge. Elle est morte. Je ne pouvais

23 plus rien faire pour elle, et j'ai essayé de partir le plus rapidement

24 possible de cet endroit.

25 Question: Est-ce que vous avez pu voir quelque chose qui vous permette de

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1 déterminer d'où venaient ces tirs?

2 Réponse: Oui, parce qu'ils utilisaient des balles traçantes.

3 Question: Qu'avez-vous pu observer exactement?

4 Réponse: Cela venait d'un endroit qui se trouvait au-dessus du cimetière

5 juif. On pouvait déterminer l'angle d'arrivée des balles et on voyait où

6 les balles s'écrasaient dans la rue, on voyait le point d'impact, etc.

7 Cela permettait de déterminer que les balles étaient tirées d'une position

8 très élevée.

9 Question: Et cet incident, quand est-ce qu'il a eu lieu?

10 Réponse: Je ne me souviens pas de la date de cet incident.

11 Question: Est-ce que vous pouvez me donner la saison de l'année pendant

12 laquelle cela c'est produit?

13 Réponse: Cet incident a eu lieu au début du printemps 1993.

14 Question: Mais à côté de l'Holiday Inn, est-ce que vous avez pu, là, faire

15 des observations relatives à la position de tireurs embusqués?

16 Réponse: Pas directement, sauf qu'il y avait des tirs qui venaient de

17 l'autre côté de la rivière de Grbavica, entre les bâtiments près de

18 l'université, près de l'Holiday Inn, près du musée. Après, j'ai appris des

19 personnes que j'ai rencontrées à Grbavica que c'est de là qu'ils tiraient

20 sur les gens qui traversaient les rues.

21 Question: Vous nous dites: "c'est là qu'ils avaient leur ligne de front,

22 qu'ils tiraient sur les gens". A qui faites-vous référence?

23 Réponse: Je fais référence aux Serbes.

24 Question: Vous voulez parler de Republika Srpska, les militaires?

25 Réponse: Oui, des militaires. On m'a permis de visiter un certain nombre

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1 de ces endroits et j'ai pu voir les lignes de front. Je suis allé dans

2 certains des bâtiments où il y avait des sacs de sable qui étaient

3 installés.

4 Question: Et quand est-ce que ces incidents ont eu lieu?

5 Réponse: Eh bien, la première fois je suis allé à Grbavica en juin 1993,

6 et puis ensuite j'ai continué à me rendre à la pharmacie pour y chercher

7 des fournitures médicales et à plusieurs reprises, j'ai été invité par les

8 Serbes à rester là boire un verre, et puis j'ai pu regarder ce qui se

9 passait autour de moi.

10 Question: Et ces endroits que vous avez vus, là où vous avez vu les

11 impacts des tirs, je voudrais savoir si vous y avez constaté la présence

12 d'éléments militaires, que ce soient des équipements, des troupes, etc.

13 Réponse: Oui. Mais est-ce que je pourrais revenir à une question que vous

14 avez posée il y a quelques instants?

15 M. Blaxill (interprétation): Oui, allez-y.

16 M. Ashton (interprétation): Oui, parce qu'il y a un incident très frappant

17 dont je me souviens. Nous étions à la présidence avec les autres

18 journalistes et nous étions quelques journalistes, CNN, etc., et moi-même,

19 à revenir à pied vers l'Holiday Inn et j'ai entendu les tirs de mortier.

20 M. le Président (interprétation): Vous avez entendu la demande qui vous a

21 été faite par les interprètes. Veuillez, s'il vous plaît, suivre le cours

22 du curseur sur le moniteur et ne commencer que lorsque celui-ci s'est

23 arrêté.

24 M. Ashton (interprétation): OK. Je vais reprendre cet incident: nous

25 revenions de la présidence après une conférences de presse.

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1 M. Blaxill (interprétation): Et cela s'est passé quand?

2 M. Ashton (interprétation): Eh bien, c'était en octobre 1993. Je venais

3 juste de revenir d'Allemagne.

4 Je me suis engagé dans une petite ruelle entre l'hôpital d'Etat et la

5 présidence, parce que j'avais décidé d'emprunter des ruelles lorsqu'il y

6 avait beaucoup de tireurs embusqués et c'était le cas. Un obus, cinq

7 minutes auparavant un obus était tombé, il était tombé à côté d'une

8 Mercedes à côté de la présidence; l'automobile avait été renversée, ses

9 deux occupants tués. Je me suis arrêté quelques instants afin de faire une

10 photographie de cela, j'ai poursuivi ensuite mon chemin et ce moment-là,

11 mon collègue de la "Free Press", "Detroit Free Press" m'a suivi et j'ai

12 tourné dans une petite ruelle. En fait, ça se trouvait à côté d'une

13 mosquée qui avait été détruite par les tirs d'artillerie précédemment.

14 Alors, au moment où je suis arrivé à l'angle de la rue pour arriver sur la

15 place, j'ai vu des gens qui étaient en train de discuter, des vieux, des

16 jeunes qui étaient en train de discuter sur cette petite place à côté d'un

17 immeuble d'habitations. J'ai entendu l'impact du mortier, ensuite un bruit

18 extrêmement fort et à ce moment-là, cette place, tous les gens qui se

19 trouvaient sur cette place sont tombés à terre. Moi, je n'ai rien eu parce

20 que j'étais protégé par un mur.

21 Ils encore tiré deux fois. Les projectiles n'ont pas atterri immédiatement

22 à cet endroit mais à côté de l'hôpital, mais un peu plus loin de ce petit

23 square. Je me suis retourné et j'ai pu constater qu'ils tiraient depuis

24 Trebevic. Je m'en souviens très, très bien parce que le silence régnait à

25 part cela, et j'entendais très bien le bruit caractéristique fait au

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1 moment du tir des mortiers. A ce moment-là, j'ai posé mon appareil photo,

2 mais le photographe qui m'accompagnait, lui, a pris des photographies.

3 J'ai commencé à aider les gens, à trier un peu les blessés.

4 J'ai commencé à m'occuper d'une petite fille qui avait perdu la jambe, qui

5 avait été très grièvement blessée au bras, on l'a emmenée à Nakac, à

6 l'hôpital qui a décidé qu'il fallait lui amputer le bras et j'ai découvert

7 que le père c'était un des gens que j'avais essayé d'aider mais il avait

8 été touché par des éclats d'obus et il est ensuite décédé. Il y a d'autres

9 personnes qui sont mortes qui se trouvaient donc sur cette place. En tout,

10 je me souviens qu'il est tombé cinq obus, ensuite ça s'est s'arrêté.

11 Question: Merci. Monsieur Ashton, nous avons évoqué un certain nombre de

12 lieux, vous nous les avez nommés, des endroits tenus par les Serbes de

13 Bosnie avec des pièces d'artillerie et ce genre de choses. Est-ce que vous

14 vous souvenez du nom de Bistrik Kula? Un lieu à Sarajevo?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Et où se trouvait Bistrik Kula?

17 Réponse: Cela se trouve dans la zone de Trebevic, vers le téléphérique.

18 Question: Et est-ce qu'il y a des raisons précises qui vous ont incité à

19 remarquer cet endroit?

20 Réponse: Oui, parce qu'il y avait la position d'un canon, à cet endroit.

21 Question: Est-ce que vous vous souvenez du type d'armes qui tiraient

22 depuis cet endroit?

23 Réponse: Il y avait un canon antiaérien ainsi ce qu'ils appelaient une

24 "Daska" de calibre 12 millimètres, et plus tard je me suis rendu sur ce

25 lieu.

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1 Question: Pouvez-vous nous dire quand, à peu près, vous vous êtes rendu à

2 cet endroit?

3 Réponse: C'était après juin 1993 parce qu'en mars, j'ai commencé à me

4 rendre à Pale pour amener des médicaments à l'hôpital de Pale. Je me

5 rendais également à Grbavica, d'autres endroits qui étaient territoires

6 contrôlés par les Serbes, afin de voir quels étaient leurs besoins en

7 médical et puis on m'a arrêté au point de contrôle. Quand les soldats

8 serbes voyaient que j'avais des médicaments, ils me demandaient de l'aide

9 pour leurs familles. On a commencé à faire connaissance, on allait boire

10 le café et un coup de Slibovic, etc., puis ils m'invitaient ensuite à

11 venir discuter quelques instants, à m'asseoir avec eux; c'est comme ça que

12 j'ai connu ces gens, que j'ai pu me rendre sur ces positions.

13 Question: Nous entrerons dans les détails ultérieurement, mais est-ce que

14 vous pouvez déjà nous dire, Monsieur Ashton, sur combien de positions de

15 ce style vous vous êtes rendu au cours de l'année 1993, à l'automne 1993

16 et au début 1994?

17 Réponse: Au moins 10 positions. Il y a d'autres endroits que j'ai vus mais

18 qui n'étaient pas très importants mais en tout cas, en ce qui concerne ces

19 positions de tirs, ces positions où il y avait des canons, etc., j'en ai

20 vu au moins 10, dont six que je connais très bien.

21 Question: Monsieur Asthon, je viens de remarquer quelque chose. Vous avez

22 parlé de ce dernier incident, vous avez parlé d'octobre 1993, vous avez

23 parlé de retour d'Allemagne; est-ce que vous nous avez bien donné les

24 dates exactes?

25 Réponse: De quel incident parlez-vous?

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1 Question: Quand vous avez parlé de la femme?

2 Réponse: Je suis rentré au cours, enfin à la fin août.

3 Question: De quelle année?

4 Réponse: 1992.

5 Question: Vous avez fait référence à l'incident qui a eu lieu en octobre,

6 après votre retour d'Allemagne; donc, c'était en 1992 ou en 1993?

7 Réponse: 1992

8 Question: 1992?

9 Réponse: 1992.

10 Question: Merci.

11 Au cours de l'hiver 1992/93, avant que vous ne mettiez sur pied cette ONG

12 médicale, je voudrais savoir ce qu'il en était de la situation en matière

13 de tirs embusqués, en matière de bombardements, dans la ville de Sarajevo

14 au cours de l'hiver.

15 Réponse: Eh bien, en 1992/93 nous avons vu des tirs intensifs, aussi bien

16 des tirs embusqués que des pilonnages. Il y a eu quelques jours très rares

17 où la situation était calme mais le plus souvent, les tirs étaient très

18 importants. Mais on ne pouvait jamais déterminer quand cela allait se

19 produire.

20 Comme je l'ai déjà dit précédemment, il y avait des moments dans la

21 journée où les tirs étaient très, très intensifs, par exemple de 7 heures

22 à 9 heures du matin et aussi vers 13 heures et le soir, mais il arrivait

23 aussi que pendant certaines journées il y ait des bombardements pendant

24 toute la journée, et des tirs embusqués pendant toute la journée. Mais

25 plus tard, fin 1993, début 1994, plusieurs accords ont été conclus aux

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1 fins de cessez-le-feu. Il y a eu quelques semaines en 1994 pendant

2 lesquelles la situation était très calme.

3 Question: Et en ce qui concerne les pilonnages pendant cette période, je

4 voudrais savoir quelle impression vous avez eue quand vous avez vu toutes

5 ces cibles visées et touchées par les obus et les tireurs embusqués.

6 Réponse: La majorité des cibles que j'ai pu identifier étaient des cibles

7 civiles. J'ai vu des gens sortir pour aller chercher de l'eau. C'étaient

8 des cibles très précises. J'ai vu des gens qui essayaient de couper des

9 arbres, j'ai vu des tireurs embusqués tirer sur ces gens-là. Nous avons un

10 groupe de gens devant les bâtiments des PTT qui ont essayé d'abattre des

11 arbres à la fin octobre, début décembre, une période où il a commencé à

12 faire très froid. Ensuite, ils sont revenus pour essayer de trouver, de

13 chercher du bois.

14 Question: Excusez-moi de vous interrompre. Vous nous dites qu'un groupe de

15 gens à l'extérieur du bâtiment des PTT… De qui s'agissait-il? Est-ce que

16 c'était des hommes, des femmes?

17 Réponse: La majorité, c'étaient des personnes âgées. On voyait beaucoup de

18 femmes âgées, d'hommes âgés avec des haches, et puis aussi des enfants qui

19 allaient chercher du bois pour leur famille, je pense. Je me souviens

20 qu'il y a eu un pilonnage à l'extérieur du bâtiment des PTT; 3 personnes

21 ont trouvé la mort, 2 autres ont été blessées alors qu'elles portaient le

22 bois qu'ils venaient de couper. Plusieurs personnes du HCR, des Nations

23 Unies de la Forpronu ont assisté à cela et finalement, les Français sont

24 sortis pour aider ces gens.

25 Question: Vous est-il arrivé de voir des soldats avec ces gens?

Page 1229

1 Réponse: Non, il n'y avait aucun soldat à cet endroit lors de ce pilonnage

2 .

3 Question: Ou bien des gens qui portaient des vêtements militaires?

4 Réponse: Non, non il n'y avait pas de soldats à cet endroit.

5 Et un autre événement que je voudrais mentionner, ou plutôt quelque chose

6 que je voudrais mentionner au sujet de cet incident, c'est la tentative de

7 contact entre la Forpronu et l'officier serbe de liaison, un certain

8 commandant Brane, pour lui demander de faire cesser le feu. Il avait

9 promis de faire son possible, mais les pilonnages ont continué tout au

10 long de la soirée.

11 Question: Pouvez-vous vous souvenir de la date à laquelle cela est arrivé,

12 l'incident est arrivé?

13 Réponse: L'incident est survenu en 1993, mais je ne saurais vous donner

14 une date précise.

15 Question: Je vous avais demandé auparavant de nous parler de l'hiver

16 1992/1993 et vous venez de parler du mois de décembre. Est-ce que vous

17 êtes sûr que vous parlez du mois de décembre 1993? Ou de quel mois de

18 décembre, au juste?

19 Réponse: Je parlais du mois de décembre 1992, et je me rectifie.

20 Question: Le fait de couper les arbres, cela avait eu lieu de jour ou à

21 une autre période de la journée?

22 Réponse: C'était une journée très froide avec beaucoup de nuages, beaucoup

23 de brouillard. Cela devait se passer une heure avant la tombée de la nuit

24 mais on voyait encore clairement, on pouvait encore distinguer les

25 collines autour de la ville.

Page 1230

1 Question: Et lorsque les gens essayaient de sortir la nuit pour couper du

2 bois, qu'arrivait-il?

3 Réponse: Il arrivait que des femmes soient amenées à hôpital parce

4 qu'elles avaient essayé de sortir pour couper du bois le soir et elles

5 avaient été touchées. Je leur posais des questions pour savoir comment

6 cela leur était arrivé. La réponse avait consisté à dire que les soldats

7 serbes avaient des équipements de vision pendant la nuit et pouvaient

8 cibler même la nuit.

9 Question: Avez-vous observé ou vu des gens qui avaient coupé des arbres la

10 nuit?

11 Réponse: Oui, tout le long du boulevard, le long du bâtiment des PTT.

12 Question: Est-ce que vous avez vu ces gens-là et est-ce vous avez pu

13 distinguer s'il s'agissait de civils ou de militaires?

14 Réponse: Oui. Une fois de plus, je précise qu'il s'agissait de civils,

15 essentiellement des personnes âgées qui ne pouvaient se déplacer

16 rapidement et pensaient risquer moins s'ils sortaient le soir.

17 Question: Est-ce vous avez pu observer vous-même des gens qui ont péri

18 dans une situation analogue en allant couper du bois?

19 Réponse: Je suis une fois sorti du véhicule dans lequel je me trouvais

20 pour aider les gens qui avaient été touchés.

21 Question: Est-ce que, dans des événements nocturnes de ce type, vous avez

22 pu voir la présence de soldats, d'armes ou de militaires, de véhicules

23 militaires qui pouvaient légitimement attirer le feu vers ces endroits-là?

24 Réponse: Non, c'était généralement pendant le couvre-feu à Sarajevo. Il

25 n'y avait pas, à ce moment-là, de soldats car à certains moments les

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1 soldats se trouvaient, à certains moments seulement, dans la journée, là-

2 bas. Ces forces-là ne pouvaient pas en général être vues dans la ville

3 elle-même.

4 Question: Je vous prie de m'excuser une seconde, voulez-vous bien?

5 Quand vous avez parlé de ces événements nocturnes où les gens allaient

6 couper du bois, et vous arrêtiez votre Land Rover pour aider quelqu'un,

7 est-ce que vous pouvez nous dire quand est-ce que cela est survenu? Quelle

8 période de l'année?

9 Réponse: Janvier 1993.

10 Question: Merci.

11 Réponse: J'avais emmené une victime vers l'hôpital d'Etat.

12 Question: Merci.

13 Monsieur Ashton, je voudrais que nous parlions brièvement maintenant de

14 cet hôpital d'Etat.

15 Pouvez-vous nous dire où êtes vous resté à Sarajevo lorsque vous êtes

16 retourné d'Allemagne après votre traitement?

17 Réponse: Une fois revenu, je suis allé directement à l'hôpital d'Etat pour

18 dire aux médecins que des médecins allemands souhaitaient leur envoyer des

19 médicaments.

20 J'avais rencontré Abdulah et Bakir Nakas une fois de plus. Je les avais

21 rencontrés déjà lorsque je suis allé là-bas pour la première fois. Ils

22 m'avaient demandé de rester à l'hôpital et si besoin était, ils m'avaient

23 même proposé une chambre. J'avais aussi une option: rester au bâtiment des

24 PTT, mais j'ai préféré rester au bâtiment de l'hôpital parce qu'il m'était

25 plus facile de me rendre de là à l'hôpital de Kosevo pour voir quels

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1 étaient les besoins de cet hôpital.

2 Question: Quelle était la situation à l'hôpital, compte tenu des

3 pilonnages et des tirs de tireurs embusqués en direction de l'hôpital

4 d'Etat, étant donné que vous vous trouviez là-bas pendant la fin 1992 et

5 le début de 1993?

6 Réponse: Cet hôpital d'Etat a été considérablement endommagé en fin 1992

7 et en début 1993. Quotidiennement, on tirait un obus vers l'hôpital. Il

8 s'agissait d'un obus antiaérien ou d'un obus d'artillerie lourde et nous

9 n'étions pas sûrs pour ce qui était de savoir si c'étaient des tirs

10 délibérés ou des projectiles égarés, mais un, pratiquement tous les matins

11 vers 7 heures, il arrivait qu'un obus atteigne l'hôpital en provenance de

12 Trebevic et il arrivait que des obus atteignent directement la façade de

13 l'hôpital. Il apparaît avec évidence que l'objectif a été de cibler

14 l'hôpital directement.

15 Question: Pouvez-nous nous situer dans le temps quand cela est survenu,

16 quand vous avez été témoin de la chose? Je parle de la période après

17 septembre 1992.

18 Réponse: Un incident particulier dont je me souviens est survenu en date

19 du 23 septembre, lorsque l'hôpital a été touché deux fois. L'un des tirs

20 était venu de face et l'autre de l'arrière, en provenance ou en direction

21 de Pale. Et ce jour-là, il y avait beaucoup de gens qui étaient venus de

22 l'extérieur, dès que cela est arrivé; il fallait ressortir pour en faire

23 venir d'autres.

24 Question: Vous vous étiez référé à la partie est, la façade avant de

25 l'hôpital. Est-ce que vous savez quel le coté où est tourné l'hôpital?

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1 Réponse: La façade principale de l'hôpital fait face à Grbavica, au

2 cimetière juif.

3 Question: Pouvez-vous nous dire quelles étaient les forces qui avaient

4 contrôlé la région du cimetière juif et quelles étaient les forces qui

5 avaient exercé le contrôle sur Grbavica?

6 Réponse: Il y avait, au-dessous de ce cimetière juif, les force bosniennes

7 et au-dessus, il y avait la ligne à partir de laquelle on tirait en

8 direction de l'hôpital.

9 Question: Vous avez assisté personnellement à cela et vous avez vu cela de

10 vos propres yeux?

11 Réponse: Oui.

12 Question: Pouvez-vous nous dire à quelle distance de l'hôpital se trouvait

13 la région qui se trouvait sous le contrôle des Bosniens, c'est-à-dire la

14 partie basse du cimetière?

15 Réponse: Le territoire contrôlé par les forces bosniennes se trouvait sous

16 un angle, sous la colline à droite de l'hôpital. Le territoire contrôlé

17 par les Bosniens longeait la rivière.

18 Question: A quelle distance de l'hôpital cela se trouvait-il?

19 Réponse: Peut-être à 100 mètres, 110 mètres.

20 Question: Et à quelle distance au-delà de l'hôpital, vers les lignes de

21 front, quelle est la distance qui vous séparait?

22 Réponse: Environ 400 mètres, je dirais.

23 Question: Mais au-delà de ces 400 mètres, le territoire se trouvait sous

24 le contrôle de la Republika Srpska?

25 Réponse: Oui, sous le contrôle de la Republika Srpska.

Page 1234

1 M. Blaxill (interprétation): Vous avez été témoin de ces pilonnages.

2 Pouvez-vous nous parler brièvement d'un autre incident qui a eu lieu au

3 mois de septembre 1992?

4 M. Ashton (interprétation): Eh bien, s'agissant des incidents au mois de

5 septembre, je dirais, je parlerais de celui du 23 septembre qui a été l'un

6 des plus sérieux parce que…

7 M. le Président (interprétation): Si je puis interférer, je vois que vous

8 êtes allé une fois de plus très rapidement. Même le compte rendu

9 d'audience n'arrive plus à vous suivre.

10 Monsieur Blaxill, je voudrais vous demander de reprendre votre question de

11 la ligne 172433 afin que la question puisse être entendue et que l'on

12 puisse se reprendre.

13 M. Blaxill (interprétation): Oui.

14 A ce point-là, je vous avais demandé si, au delà de ce point-là, au-delà

15 des 400 mètres de l'hôpital où se trouvaient les premières troupes de la

16 Republika Srpska, s'agissait-il du territoire qui se trouvait sous le

17 contrôle de la Republika Srpska? Et je crois que vous aviez répondu par

18 l'affirmative en disant qu'il s'agissait de territoires sous le contrôle

19 de la Republika Srpska?

20 M. Ashton (interprétation): Oui.

21 Question: Je crois que c'est effectivement là que nous nous étions

22 arrêtés. Après, je vous ai demandé s'il y avait eu un autre incident dans

23 le courant du mois de septembre. Et je crois que maintenant, tout a été

24 repris par le compte rendu d'audience. Il semblerait en effet que nous

25 ayons été un peu trop vite.

Page 1235

1 Je m'excuse, je suis en train de relire votre réponse et je crois que vous

2 avez dit que l'incident des plus graves que vous ayez pu voir, c'est celui

3 du 23 septembre où on a emmené beaucoup de blessés?

4 Réponse: Oui. Il y avait 40 blessés qui ont été emmenés à l'hôpital

5 d'Etat, et d'autres ont été emmenés vers l'hôpital de Kosevo.

6 Je me souviens d'un couple, Sandra et son petit ami, qui avaient été

7 blessés tous les deux. Ils avaient été gravement blessés, gravement

8 blessés aux jambes. J'ai commencé à traiter sa blessure à elle; je lui ai

9 coupé le pantalon et son petit ami était lui aussi gravement blessé. Ils

10 ont tous les deux eu les jambes amputées.

11 Et une autre femme là-bas avait, était en train d'attendre un autocar

12 parce que le gouvernement à Sarajevo avait décidé de remettre en

13 fonctionnement les autocars, enfin le service, le réseau de transports en

14 commun pour redonner une apparence normale de la vie dans la ville, et

15 c'est là qu'il y a eu beaucoup de victimes parce que Sandra et son petit

16 ami s'étaient arrêtés pour aider cette femme, et ils étaient conscients du

17 risque encouru, à savoir du risque qu'il y avait d'avoir d'autres obus

18 après les deux premiers obus qui sont tombés.

19 Cette femme s'était tournée vers eux et la jeune fille a dit qu'il fallait

20 l'aider, et pendant qu'ils le faisaient un quatrième et un cinquième obus

21 sont tombés.

22 M. Blaxill (interprétation): Et pendant que vous vous trouviez à l'hôpital

23 d'Etat, avez-vous fait quoi que ce soit pour essayer d'identifier les

24 endroits d'où provenaient les tirs?

25 M. Ashton (interprétation): Auparavant, lorsque tout cela avait commencé,

Page 1236

1 je me trouvais au quatrième étage; je venais de me lever, en fait, de

2 sortir du lit. Et ce que j'ai pu voir, c'est situer la provenance des tirs

3 d'artillerie; cela venait… c'était du mortier, c'était de l'artillerie et

4 cela venait de Pale.

5 J'ai fait ce que je faisais habituellement lorsque j'entendais des tirs

6 d'artillerie, je comptais les secondes parce qu'il fallait environ 30

7 secondes entre la détonation du coup de feu et la détonation de l'obus

8 arrivant à destination, et c'est ainsi que j'ai réussi à déterminer où se

9 trouvaient les positions d'où venaient les tirs, et ce n'est qu'en 1993

10 que j'ai en fait pu voir les emplacements d'où venaient les tirs en

11 provenance de la Republika Srpska.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, si vous avez un bon

13 moment, je crois qu'il serait nécessaire de faire une petite pause.

14 M. Blaxill (interprétation): Nous avons peut-être encore quelques

15 questions, et nous arriverons à un endroit propice pour une pause,

16 Monsieur le Président.

17 Monsieur Ashton, vous nous avez décrit ce qui s'était passé. Est-ce que

18 vous seriez en mesure de nous décrire l'emplacement particulier?

19 M. Ashton (interprétation): Oui. Je suis incapable de vous donner le nom

20 de l'endroit, mais je peux vous le montrer sur une carte. C'est très

21 facilement repérable par la route en provenance de Pale.

22 Question: Avez-vous visité cet endroit?

23 Réponse: Oui, je l'ai visité.

24 Question: Et vous l'avez vu à plusieurs reprises?

25 Réponse: 1993. Mais en 1994, je me souviens que, en fait, l'armée serbe

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1 avait dit de ne pas nous arrêter là, mais je m'étais arrêté à proximité

2 d'un village qui se trouvait là-bas et j'avais trouvé des gens qui

3 m'avaient indiqué les emplacements des canons.

4 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, je crois que le moment

5 serait opportun pour procéder à une pause.

6 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Monsieur Blaxill, nous

7 allons maintenant faire une pause jusqu'à 6 heures moins 10, donc ce sera

8 une pause de 20 minutes.

9 (L'audience, suspendue à 17 heures 32, est reprise à 17 heures 53.)

10 (Questions relatives à la procédure.)

11 M. le Président (interprétation): Nous allons patienter. Attendons que le

12 témoin soit amené dans le prétoire, Monsieur Blaxill.

13 M. Blaxill (interprétation): Je m'excuse, Monsieur le Président, en effet.

14 M. le Président (interprétation): Oui, je disais que nous allions attendre

15 le témoin et qu'ensuite vous pourrez reprendre, Monsieur Blaxill.

16 Mme Pilipovic (interprétation): Monsieur le Président, avec votre

17 permission je voudrais informer la Chambre et lui faire savoir que nous

18 avons reçu de la part de nos éminents confrères deux dépositions qui ont

19 été recueillies en 1996 et 1998.

20 Il s'agit de témoins qui seront interrogés et ce n'est que maintenant que

21 j'ai reçu ces dépositions, et malgré toute la compréhension que je puis

22 avoir pour les problèmes et les difficultés de traduction, je demanderai à

23 mes confrères d'être tout de même un peu plus efficaces parce que la

24 défense n'est pas placée dans une position des plus défavorables par cette

25 façon de faire.

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1 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill?

2 M. Blaxill (interprétation): Monsieur le Président, nous venions de

3 recevoir ces traductions de la part du service de traduction dans la

4 langue de l'accusé. Etant donné que nous venions de recevoir cela, nous

5 avons transmis immédiatement et étant donné que les dépositions régionales

6 étaient dans des langues officielles, à savoir en anglais, il y a eu

7 communications antérieure mais les traductions avaient été attendues

8 jusqu'à présent.

9 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Piletta-Zanin?

10 M. Piletta-Zanin: Pour certaines pièces, pratiquement plus de trois ans et

11 demi c'est largement suffisant, ou cela devrait être largement suffisant

12 pour permettre d'obtenir des traductions. Et la défense constate

13 uniquement qu'il n'est pas possible pour elle d'organiser cette défense

14 puisque les pièces n'ont tout simplement pas pu être soumises à l'accusé.

15 Je crois que le but, c'est que l'accusé -et non pas ses conseils- puisse

16 voir ces éléments. Je pense que nous les soumettre en audience n'est pas

17 tout à fait compatible avec les règles que nous devrions tous suivre.

18 M. le Président (interprétation): Nous savons tous que ce Tribunal

19 rencontre de graves problèmes de traduction. Je crains que je ne puisse

20 pas changer cela d'ici demain mais en même temps, je souhaite m'assurer

21 que les droits de l'accusé ne soient pas lésés plus que cela.

22 Est-ce que vous savez, Monsieur Blaxill, à quel moment le témoin va être

23 cité à la barre, puisque les déclarations ont été fournies au service de

24 traduction récemment?

25 (Le témoin, M. John Ashton, est introduit dans le prétoire.)

Page 1239

1 M. Blaxill (interprétation): En fait, les informations qui ont été remises

2 à la défense portent sur le témoin qui devrait témoigner après le témoin

3 qui déposera après M. Ashton. Un autre témoin qui a été mentionné est le

4 témoin qui a déposé, qui a fourni sa déclaration il y a longtemps en

5 anglais, et je suppose que nous n'allons pas citer à la barre cette

6 personne jusqu'à au moins d'ici une semaine. Donc, je pense que la défense

7 a suffisamment de temps pour permettre à l'accusé de lire cela dans sa

8 langue maternelle.

9 Un autre document qui a été fourni avec sa traduction est un document d'un

10 psychiatre qui va déposer d'ici deux semaines. Et puis finalement, nous

11 avons un document qui est la traduction des annotations brèves sur une

12 carte qui a été dévoilée et qui est liée à la déposition de M. Ashton. Le

13 document a été traduit en BCS. Donc, ceci est notre point de vue en ce qui

14 concerne ces documents.

15 Comme je l'ai déjà dit, nous avons fait tout ce que nous avons pu faire

16 dès que possible, dès que nous avons reçu les documents du service des

17 traducteurs.

18 M. le Président (interprétation): Oui?

19 M. Piletta-Zanin: Nous avons reçu ce soir à 18 heures des documents que

20 l'accusé n'a pas pu voir ou examiner, et dont on sait qu'il ne pourra pas

21 en parler avec ses conseils pour une audition de témoin qui aura lieu

22 demain; est-ce que c'est bien cela que je dois comprendre? S'agissant de

23 documents dont vous êtes en possession depuis bientôt quatre ans, 1996? Ou

24 ai-je mal compris?

25 Notez que je suis prêt à passer, s'il le faut, ma première nuit en prison

Page 1240

1 mais il faudrait encore qu'on m'y autorise.

2 (Le banc de l'accusation se consulte.)

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Blaxill, veuillez répondre à

4 cette question, à cette objection qui vient d'être répétée.

5 M. Blaxill (interprétation): La carte en question -je pense que mon

6 collègue de la défense parle de la carte qui sera présentée demain dans la

7 déposition de M. Ashton-, cette carte a été établie lorsqu'il a terminé sa

8 déposition pour nous en novembre, le 14 novembre 2001. Et c'est dès qu'il

9 a terminé la déclaration de novembre 2001 que cette carte et la

10 déclaration ont été soumises au service de traduction.

11 En ce qui concerne ces annotations, comme je l'ai déjà dit, elles sont

12 extrêmement brèves. Il s'agit en fait d'un document que M. Ashton pourrait

13 simplement lire pour le compte rendu d'audience et ceci vous permettra

14 d'avoir une traduction tout à fait parfaite.

15 M. le Président (interprétation): Maître Piletta-Zanin, tout d'abord je

16 souhaite vous poser une question: est-ce que vous lisez l'anglais?

17 M. Piletta-Zanin: Puis-je répondre à cette question en français, Monsieur

18 le Président? Parfaitement.

19 M. le Président: Mais la question restera la même!

20 M. Piletta-Zanin: Parfaitement. La réponse a été: parfaitement. Mais j'y

21 ajoute, je sais que l'accusé ne lit pas l'anglais, pas plus qu'il ne lit

22 le français, et je défends ici non pas les droits de la défense, mais ceux

23 de l'accusé qui ne parle aucune des deux langues du Tribunal. Il

24 appartient à tout le monde de respecter ce droit qui est celui de l'accusé

25 -et non pas d'une défense polyglotte ou non- de comprendre les documents

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1 qu'on lui soumet. Merci.

2 M. le Président (interprétation): Monsieur Piletta-Zanin, je vous ai posé

3 cette question parce que je souhaite savoir dans quelle mesure vous

4 pourriez fournir des services supplémentaires pour garantir les droits de

5 l'accusé, parce que je pense également que ceci fait partie du travail de

6 la défense afin de pouvoir informer le témoin de ce qui se passe au cours

7 de la procédure, même si ceci ne peut pas se faire de manière parfaite en

8 ce moment.

9 Donc, je souhaitais simplement savoir si la défense n'a absolument aucune

10 issue en tant que la défense, en tant qu'équipe. Et si je peux dire que

11 l'équipe de la défense est constituée de l'accusé et des deux avocats de

12 la défense, est-ce que nous pouvons constater que l'ensemble de cette

13 équipe serait bloquée en raison du manque de traduction, ou bien peut-être

14 juste une partie de cette équipe de la défense?

15 Deuxièmement, je souhaite donner au Procureur la possibilité de poursuivre

16 mais à chaque fois que vous souhaiterez discuter, ne serait-ce que

17 brièvement, avec votre client d'un certain point, nous allons vous donner

18 l'opportunité de le faire.

19 M. Piletta-Zanin: Monsieur le Président, je remercie la Chambre pour cette

20 opinion.

21 Ce que je voulais dire, et que je dois répéter ici, c'est simplement ceci:

22 il se peut qu'il y ait dans ces documents –que, pour ma part, je découvre

23 aussi en anglais depuis très peu- des choses qui amèneraient à des

24 questions que seul l'accusé pourrait soulever parce que lui-même a une

25 connaissance précise des éléments que ses avocats n'ont pas. Or, si je ne

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1 peux pas lui soumettre dans la langue qu'il comprend -et c'est la raison

2 d'ailleurs de cette Règle qui figure dans le Règlement que nous devons

3 suivre-, je ne sais pas quelles questions je devrais poser et sur quels

4 points je pourrais intervenir. C'est cela que je défends et ce n'est rien

5 d'autre, ce n'est pas de ma part une volonté de faire un blocage culturel

6 sur une langue ou sur une autre, mais c'est la nécessité pour tout le

7 monde -défense, accusation et, je crois, la Chambre-, de faire en sorte

8 que l'accusé puisse préparer sa défense, même si c'est ma mission et

9 j'essaie de m'y employer, de l'aider dans le cheminement inter ou intra

10 textuel que nous devons tous essayer de faire ici.

11 M. le Président (interprétation): Monsieur Piletta-Zanin, et maintenant je

12 m'adresse à la fois à la défense et au Procureur… Bien sûr que la Chambre

13 de première instance n'est pas satisfaite de cette situation où l'accusé

14 ne reçoit pas toujours les traductions et bien sûr, je souligne encore une

15 fois que les choses ne devraient pas fonctionner ainsi.

16 Il est évident que si la défense, par la suite, après que l'accusé aura pu

17 lire ces documents, si la défense, à ce moment-là, souhaite reparler d'un

18 certain nombre de ces points, je pense qu'elle pourra obtenir de notre

19 part une telle opportunité. Je comprends que c'est plus compliqué parce

20 qu'il est plus facile de se préparer dès le début, mais essayons de faire

21 de notre mieux. Je vais également demander à l'accusé d'essayer de lire

22 les traductions dès que possible pour que vous puissez soulever ces points

23 dès que possible, lorsque ce sera nécessaire.

24 M. Piletta-Zanin: Je vous remercie, Monsieur le Président, si lors du

25 contre-interrogatoire, contrairement à l'usage, ce contre-interrogatoire

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1 peut être conduit par les deux avocats de la défense puisqu'il y a ce

2 problème linguistique qui n'est pas de notre fait, et je pars du principe

3 que votre Chambre nous y autorisera. Merci.

4 M. le Président (interprétation): La Chambre vous donne la permission de

5 procéder de cette manière.

6 Monsieur Blaxill, vous poursuivre l'interrogatoire principal de ce témoin,

7 maintenant.

8 (Interrogatoire principal du témoin, M. John Ashton, par M. Blaxill.)

9 M. Blaxill (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

10 Monsieur Ashton, nous étions en train de parler d'un certain nombre

11 d'observations de votre part concernant l'hôpital, observations que vous

12 avez faites en hiver 1992, début 1993. Vous avez parlé du pilonnage venant

13 de l'est, de la direction de Pale. Est-ce que, depuis cet hôpital, vous

14 avez fait un certain nombre d'observations indiquant que c'étaient

15 d'autres sources de tir dont l'hôpital étaient la cible?

16 M. Ashton (interprétation): Le 23 septembre 1993, il y a eu un incident où

17 la ville a fait l'objet de tirs d'artillerie lourde venant de l'est, et ça

18 s'est passé dans la matinée, je m'en souviens.

19 Question: Et en ce qui concerne les tirs visant la partie frontale du

20 bâtiment, la partie tournée vers Grbavica, est-ce que vous avez pu

21 déterminer quelle était la source de ces tirs?

22 Réponse: Oui, j'ai pu les identifier et ceci montre que ceci provenait de

23 Grbavica.

24 Question: A quel moment avez-vous fait ces observations-là?

25 Réponse: Au début, en janvier pour la première fois.

Page 1244

1 Question: Mais ensuite, lorsque vous dites "juillet", il s'agit de quelle

2 année?

3 Réponse: 1992.

4 Question: Par la suite, est-ce vous avez eu d'autres observations?

5 Réponse: Oui, septembre 1992, octobre 1992, décembre 1992 et janvier 1993.

6 Question: Et quelles étaient les observations que vous avez faites à ce

7 moment-là qui vous ont permis de déterminer d'où provenaient les tirs?

8 Réponse: J'ai pu voir tout d'abord le déplacement des pièces d'artillerie

9 à d'autres positions.

10 Question: Est-ce que vous pourriez nous dire avec autant de précision que

11 possible quelles étaient les dates lors desquelles vous avez vu le

12 déplacement de ces pièces d'artillerie, et où?

13 Réponse: Il m'est très difficile de me souvenir des dates avec exactitude.

14 Je me souviens, en ce qui concerne Grbavica, que ceci s'est passé… Il y a

15 un eu un incident en octobre avec un char.

16 Question: Octobre 1992?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Qu'avez-vous observé avec un char?

19 Réponse: Il y avait un char au-dessus de Grbavica qui allait vers Pale et

20 qui a tiré vers l'hôpital et dès que j'ai entendu le premier tir, j'ai

21 souhaité que quelqu'un de la Forpronu y aille pour prendre des

22 photographies. Lorsque j'étais assis là-bas, j'ai entendu le deuxième tir,

23 je ne l'ai pas vu. Et en ce qui concerne le troisième tir, au moment du

24 troisième tir j'ai pu voir directement l'endroit où se trouvait le char.

25 Question: C'était où?

Page 1245

1 Réponse: C'était en haut de la colline, derrière un certain nombre de

2 rochers.

3 Question: Et où est-ce que ceci se situait par rapport aux positions, aux

4 lignes de front à Grbavica?

5 Réponse: Moi, j'ai pu constater que c'était sur la route de Pale, donc au-

6 dessus de Grbavica, dans les profondeurs du territoire contrôlé par les

7 Serbes de la Republika Srpska.

8 Question: Avez-vous observé une telle action avec un char une autre fois?

9 Réponse: Oui, plutôt en juillet. J'ai vu un char qui a tiré vers un groupe

10 de maisons se trouvant près du cimetière juif. Le char est sorti et moi,

11 j'ai pu constater qu'il y avait des journalistes de CBS avec un cameraman;

12 ils étaient sur place pendant que moi je prenais des photographies.

13 Je souhaite également dire que moi, j'ai eu un appareil photographique

14 avec des lentilles de 300 millimètres, et donc il me permettait de prendre

15 des photographies extrêmement précises. Donc, j'ai pu identifier d'où

16 provenaient les tirs et quelle était la position exacte du char.

17 Question: Et mis à part l'endroit où se trouvait le char, est-ce qu'il y

18 avait autre chose qui aurait été indiqué pour vous permettre d'identifier

19 à qui appartenait le char?

20 Réponse: Simplement, l'endroit où le char se situait m'indiquait à qui il

21 appartenait. C'était le seul élément d'identification.

22 Question: Je pense que vous avez dit qu'en octobre 1992 vous avez vu un

23 char et plutôt également en juillet. Par la suite, est-ce que vous en avez

24 revu?

25 Réponse: Il m'est très difficile de parler de ce char en particulier, mais

Page 1246

1 j'ai pu constater qu'il y en avait exactement sur les mêmes positions que

2 les positions mentionnées liées à l'incident au mois de juillet.

3 Question: Et après octobre, est-ce qu'il y au eu d'autres incidents?

4 Réponse: Oui, il y en a eu un après octobre, en février 1993.

5 Question: Et qu'avez-vous observé, à ce moment-là?

6 Réponse: Le char est apparu de nouveau. Moi-même, j'étais à l'hôpital et

7 le char a tiré vers la région autour de l'Holiday Inn, près du musée.

8 Question: Est-ce que vous avez vu des activités militaires, des troupes,

9 des armes, des véhicules de ce genre à ce moment-là?

10 Réponse: Non, il n'y avait aucune activité militaire. Cependant, il y

11 avait des civils qui traversaient la rue et à l'époque, j'ai pu voir

12 également des troupes de la Forpronu, des troupes ukrainiennes et

13 françaises.

14 Question: Est-ce que vous avez vu des troupes actives dans la défense de

15 Sarajevo, l'armée de Bosnie-Herzégovine?

16 Réponse: Non, aucune troupe de défense de Sarajevo. Il n'y avait que des

17 civils, à ce moment-là.

18 Question: Combien d'obus ont été tirés?

19 Réponse: 3, pour autant que je m'en souvienne.

20 Question: 3 lors de cet incident?

21 Réponse: A ce moment-là, je suis parti de la région puisque moi-même je

22 m'y trouvais.

23 Question: Et après que ces 3 obus ont été tirés, est-ce que vous avez

24 observé autre chose par rapport à ce char?

25 Réponse: Non, je n'ai pas remarqué ce qui se passait en ce qui concerne ce

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1 char parce que, comme je l'ai dit, de temps en temps j'étais dans la

2 région de l'hôpital et je pouvais prendre des photographies et regarder à

3 travers la fenêtre mais d'habitude, si jamais je me tenais à la fenêtre

4 pendant trop longtemps, je risquais d'être touché par des tirs de tireurs

5 embusqués.

6 Question: Vous avez parlé de tireurs embusqués. Est-ce que vous pouvez

7 nous parler des incidents de ce genre?

8 Réponse: Il n'y a pas eu un tel incident cette fois-ci mais avant, si.

9 Question: Est-ce que vous pouvez nous parler de ces incidents qui se sont

10 produits préalablement?

11 Réponse: Oui, un tireur embusqué a tiré sur moi depuis la fenêtre de

12 l'Holiday Inn.

13 Question: Quand?

14 Réponse: Juillet 1992.

15 Question: Et combien de tirs ont été tirés?

16 Réponse: 2 tirs. Et en fait, un cameraman a été blessé par l'un de ces

17 tirs.

18 Question: Et où est-ce que vous vous trouviez au moment où l'on a tiré

19 depuis Holiday Inn?

20 Réponse: Moi, j'étais dans la pièce. C'était le même soir que celui où le

21 char tirait sur les maisons en face de Grbavica, au-dessous de Bistrik,

22 près du cimetière juif. Nous avons attendu et nous regardions une maison

23 qui brûlait et ensuite la nuit est tombée et le char a tiré encore

24 quelques tirs, surtout vers la région de ces maisons. Et moi, je suis

25 sorti de la pièce, je suis allé dans le couloir de l'Holiday Inn et le

Page 1248

1 cameraman italien est venu avec moi. Je lui ai expliqué ce qui se passait.

2 Il y avait un homme qui fumait, je lui ai dit d'éteindre sa cigarette; il

3 ne l'a pas fait, et je suppose que c'est ce qui a permis au tireur

4 embusqué de détecter où on était et de tirer vers cette fenêtre.

5 Question: Est-ce que vous pouvez nous dire vers quelle heure ça s'est

6 passé?

7 Réponse: Peu après que la nuit est tombée, probablement vers 8 heures ou 8

8 heures et demie.

9 Question: Est-ce que vous pouvez nous rappeler quelle était la date?

10 Réponse: Juillet. Je ne sais pas quelle était la date exacte.

11 Question: Est-ce que vous pourriez nous parler d'autres expériences où

12 vous avez fait l'objet de tirs des tireurs embusqués, après septembre

13 1992?

14 Réponse: Oui, je me tenais à la fenêtre de l'hôpital et je prenais des

15 photographies. Je pensais que j'étais en sécurité puisque j'ai été un

16 petit peu plus loin dans la pièce, mais j'étais dans une pièce dont le mur

17 a été détruit par un obus d'artillerie. Donc, probablement, quelqu'un a pu

18 me voir lorsque je me déplaçais dans la pièce.

19 Question: Est-ce que vous pourriez nous dire où vous étiez? A l'hôpital

20 d'Etat?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Ou étiez-vous dans l'hôpital?

23 Réponse: Cinquième étage.

24 Question: Quelle partie du bâtiment?

25 Réponse: Face à Grbavica.

Page 1249

1 Question: En ce qui concerne la date?

2 Réponse: Septembre.

3 Question: L'année?

4 Réponse: 1992.

5 Question: Au début ou vers la fin de septembre?

6 Réponse: C'était au début du mois de septembre, ça s'est passé encore une

7 fois.

8 M. Blaxill (interprétation): Et combien de tirs ont été tirés?

9 M. Ashton (interprétation): Il y a eu juste un tir, et la balle est passée

10 tout près de moi.

11 M. le Président (interprétation): Veuillez tenir compte du fait que vous

12 posez beaucoup de difficultés aux interprètes, Monsieur Blaxill, vous

13 aussi.

14 M. Blaxill (interprétation): Oui, vous savez, il nous est difficile,

15 puisque nous parlons la même langue… Mais je vais essayer de tenir compte

16 de cela.

17 Monsieur Ashton, est-ce que vous pourriez nous dire à quel moment avez-

18 vous fait l'objet des tirs de tireurs embusqués, par la suite?

19 M. Ashton (interprétation): Je dois faire une correction par rapport à ce

20 que j'ai dit préalablement. Ai-je le droit de le faire?

21 Question: Oui. Si vous souhaitez apporter une correction, vous pouvez le

22 faire.

23 Réponse: En ce qui concerne l'incident lié aux tireurs embusqués, je me

24 souviens de l'incident qui s'est passé lorsqu'il y avait un chien qui a

25 perdu sa jambe, et puis il y avait un père qui a été tué; c'était en

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1 juillet, non pas octobre.

2 Question: Juillet de quelle année?

3 Réponse: Juillet 1992.

4 Question: Très bien.

5 Réponse: Je me souviens de cela puisque je me suis rappelé d'un autre

6 incident qui s'est passé près de Holiday Inn, un incident lié aux tireurs

7 embusqués et moi-même j'y ai participé, d'une certaine manière.

8 M. Blaxill (interprétation): Quand?

9 M. Ashton (interprétation): Ça s'est passé en septembre, début septembre

10 1992.

11 M. le Président (interprétation): Vraiment, je dois répéter ce que j'ai

12 déjà dit: vous devez lire le compte rendu d'audience, Monsieur Ashton, en

13 attendant que l'ensemble de la question soit rédigée, qu'elle apparaisse.

14 M. Ashton (interprétation): Je m'excuse.

15 M. Blaxill (interprétation): Nous pouvons passer à autre chose, peut-être.

16 Vous avez mentionné septembre 1992, début septembre. Lorsque vous parlez

17 de début septembre, vous parlez approximativement de quelle date?

18 M. Ashton (interprétation): Je suppose que ça s'est passé vers la mi-

19 septembre.

20 Question: Très bien. Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui s'est

21 passé, cette fois-ci?

22 Réponse: Je suis sorti de Holiday Inn afin d'aller à la présidence, ce que

23 je faisais tous les jours. C'était tôt dans la matinée, vers 8 heures du

24 matin. J'ai dû courir à travers la porte principale puisqu'un tireur

25 embusqué tirait de temps en temps sur les maisons, sur les immeubles à

Page 1251

1 Grbavica, sur des journalistes ou quelque autre personne que ce soit qui

2 sortait de l'hôtel Holiday Inn. Et lorsque je suis sorti par la porte,

3 j'ai couru en longeant les piliers devant la porte et ensuite, j'ai

4 entendu des tirs et j'ai entendu cela en provenance de Grbavica(?), rue

5 derrière Holiday Inn.

6 Il y avait des tirs là-bas tous les jours et des gens avaient été blessés

7 et tués par un tireur embusqué. J'ai vu une femme âgée et une jeune femme;

8 par la suite, il s'est avéré que la jeune femme était sa fille. Elle

9 essayait de traverser la rue et la femme âgée s'est arrêtée au milieu de

10 la rue. Ensuite, un autre coup a été tiré. Il s'agissait d'une balle de

11 grand calibre. Il y avait une grande étincelle bleue dans la rue. J'ai

12 posé mon appareil photographique par terre. J'ai entendu la fille crier en

13 disant à sa mère de courir et moi, j'ai couru, je l'ai saisie et je l'ai

14 tirée à l'extérieur en dehors de la rue. Ensuite, encore un coup a été

15 tiré sur nous deux, mais ceci est passé à un mètre de nous.

16 Question: Vous parlez du troisième tir. Est-ce qu'il s'agissait encore une

17 fois d'un tir de grand calibre?

18 Réponse: Oui, grand calibre. J'ai dit à l'unité canadienne de la Forpronu,

19 qui était stationnée à l'Holiday Inn, tout de suite après, ce qui s'était

20 passé. Ils ont apporté un véhicule transport de troupes depuis l'aéroport

21 et l'ont placé dans la rue.

22 Je suis rentré cet après-midi-là puisque les tirs avaient cessé, et j'ai

23 appris que le véhicule transport de troupes, enfin, je me suis appuyé sur

24 le véhicule transport de troupes et je me suis retourné, je me suis tourné

25 vers l'un des hommes qui étaient dans ce véhicule et à ce moment-là, un

Page 1252

1 coup de feu a été tiré sur la partie devant le véhicule transport de

2 troupes. Un soldat canadien qui se trouvait dans le véhicule s'est tourné

3 vers Trebevic pendant que moi, je courais en m'éloignant du véhicule. A ce

4 moment-là, un autre coup de feu a été tiré et le véhicule transport de

5 troupes s'est tourné vers Trebevic dans la direction de la rue vers

6 Bistrik et Kula. Moi, j'ai continué à faire mes observations.

7 A ce moment-là, encore un coup a été tiré près du véhicule transport de

8 troupes. Par la suite, j'ai appris que les Canadiens avaient identifié

9 d'où provenaient les tirs, mais ils n'ont pas riposté.

10 Question: Merci. Et vous avez parlé d'un véhicule transport de troupes.

11 Quelle était sa couleur?

12 Réponse: Il y avait des insignes de l'ONU. Le véhicule était grand

13 d'environ 1 mètre.

14 Question: Et les soldats, dans le véhicule, est-ce qu'ils portaient des

15 couvres-chef particuliers?

16 Réponse: Oui, des casques bleus.

17 Question: Merci. Vous avez dit qu'il y avait une femme âgée, sa fille qui

18 traversait la rue. Est-ce que vous pouvez nous parler de cela avec plus de

19 précision? Où est-ce que cela s'est passé?

20 Réponse: Si je vois une carte géographique je retrouverai, mais je ne me

21 souviens pas comme cela. Mais ceci était entre l'hôpital d'Etat de

22 Sarajevo et Holiday Inn. Il s'agissait d'une petite rue.

23 Question: Vous avez parlé du fait qu'un tireur embusqué tirait depuis

24 Grbavica. Est-ce que vous pouvez encore une fois nous dire sur la base de

25 quoi vous avez pu identifier quels étaient les immeubles qui faisaient

Page 1253

1 l'objet de ces tirs?

2 Réponse: Les Canadiens sont venus avec une équipe des personnes chargées

3 de faire face contre les tireurs embusqués. Lorsque le coup de feu a été

4 tiré depuis cet immeuble, un camion de l'ONU conduit par 2 soldats

5 canadiens était là. Encore une fois, le véhicule transport de troupes a

6 été amené depuis l'aéroport. Les soldats sont sortis de ce véhicule et ils

7 sont allés à Holiday Inn, à un étage élevé. Ils ont attendu pendant

8 plusieurs heures et le tireur embusqué a tiré encore une fois. Et ce soir-

9 là, le tireur embusqué a tiré encore une fois sur les journalistes qui

10 sortaient par la porte principale, des journalistes de la BBC, et les

11 Canadiens ont riposté.

12 Question: Est-ce que vous pourriez nous dire à quel moment ça s'est passé?

13 Réponse: Septembre 1992.

14 Question: A quel moment du mois de septembre?

15 Réponse: C'était vers la fin du mois de septembre; un jour avant mon

16 anniversaire, en fait.

17 Question: Pouvez-vous nous donner d'autres exemples de tirs embusqués dont

18 vous auriez été témoin au cours de l'hiver et jusqu'au printemps 1993,

19 avant que vous ne mettiez sur pied votre organisation non gouvernementale?

20 Réponse: Moi, j'ai encore vu des gens qui s'efforçaient de traverser les

21 ponts au-dessus de la rivière au centre de Sarajevo, en particulier à Novo

22 Sarajevo. Je les voyais ces gens, je les voyais qui s'arrêtaient, qui se

23 cachaient soit derrière les parapets soit derrière les arbres et qui

24 soudain se mettaient à courir très rapidement. Et là, on entendait les

25 tirs résonner. J'ai vu aussi un carrefour très important près du bâtiment

Page 1254

1 Energo Invest où il y avait beaucoup de tirs embusqués. Et il y avait un

2 coin, là, un carrefour qui faisait l'objet de tirs de tireurs embusqués

3 tous les jours.

4 Question: N'allez pas trop vite.

5 Réponse: Et j'ai vu plus d'une fois des femmes et des enfants être touchés

6 par des tirs à cet endroit, à ce carrefour, et un homme aussi, je m'en

7 souviens très bien.

8 Question: Et pouvez-vous nous donner des dates, des dates exactes?

9 Réponse: Je me souviens que le mois de janvier a été plutôt mauvais en ce

10 qui concerne ce carrefour. Je me souviens plusieurs fois être arrivé à ce

11 carrefour et j'ai vu qu'il y avait là des conteneurs qui se trouvaient à

12 cet endroit et moi aussi, j'étais obligé de courir parce qu'on me tirait

13 dessus.

14 Question: Et de quelle sorte de tirs s'agissait-il? Avez-vous été en

15 mesure de le déterminer, de déterminer le calibre des armes? Est-ce qu'il

16 s'agissait d'armes légères ou…?

17 Réponse: Je dirais des armes de calibre 12 millimètres; 12,5, 50

18 millimètres.

19 Question: Parlez-nous, s'il vous plaît, de la fréquence des tirs lors de

20 ces incidents. Est-ce que c'étaient des tirs en rafales ou des tirs

21 individuels?

22 Réponse: En ce qui concerne les tirs des tireurs embusqués, on peut dire

23 que le plus souvent il s'agissait de tirs individuels, de tirs uniques. Il

24 était évident que quelqu'un visait avec soin, et pour essayer d'atteindre

25 la cible. Il était rare que les tireurs, il était rare d'arriver sur un

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1 carrefour et d'être l'objet d'une rafale. Ça arrivait parfois aux

2 véhicules, parfois quand on empruntait la rue principale qui allait de la

3 présidence et qui descendait la colline, ça arrivait.

4 Question: Est-ce que vous pouvez nous donner des dates, nous dire quand

5 vous avez essuyé ce type de tirs par rafales et automatiques à cet

6 endroit?

7 Réponse: Il y a un incident dont je me souviens très bien, c'est octobre.

8 Question: De quelle année?

9 Réponse: 1992. Je me souviens également de décembre. Mon tir a essuyé des

10 feux. J'étais dans un véhicule du HCR des Nations Unies qui portait des

11 signes très distinctifs. Une fois encore, en décembre, nous avons fait

12 l'objet de tirs.

13 Question: Et vous nous avez dit que dans ce cas-là, c'étaient des tirs

14 d'armes automatiques ou des tirs individuels, ou des tirs séparés?

15 Réponse: Je me souviens qu'en octobre, nos véhicules ont essuyé plusieurs

16 tirs. J'ai vu 2 balles qui touchaient la rue et j'en ai vu une s'écraser

17 dans un mur à côté de moi.

18 Question: Et quand vous avez été victime de ces tirs embusqués, est-ce que

19 vous avez pu voir des gens autour?

20 Réponse: Le jour où on m'a tiré dessus en octobre, il y avait déjà des

21 tirs embusqués qui avaient commencé depuis le début de la journée. Donc il

22 n'y avait pas beaucoup de gens qui se promenaient dans les rues. Lorsque,

23 pendant une journée, vous aviez des tirs réguliers, systématiques, de

24 tireurs embusqués, les gens ne sortaient pas dans la rue.

25 Question: Il y a quelques instants, Monsieur, vous avez fait référence à

Page 1256

1 des tirs embusqués qui ont visé un certain nombre de femmes ainsi qu'un

2 homme. Est-ce que vous pourriez nous parler un peu plus longuement de cet

3 homme?

4 Réponse: Oui, cet homme, je m'en souviens très bien. Et la raison pour

5 laquelle j'ai évoqué cet homme, c'est parce qu'il était complètement

6 échevelé; c'était un homme d'âge mûr, ce n'était pas un homme très, très

7 jeune ni très vieux non plus. Mais j'ai eu l'impression qu'il semblait un

8 peu perdu. Une fois qu'on lui a tiré dessus, il tremblait, il parlait tout

9 seul. J'ai traversé le carrefour, on m'a tiré dessus. Je me suis arrêté

10 pour lui demander s'il allait bien et il s'est mis à pleurer. Il m'a

11 imploré et il m'a dit: "Pourquoi est-ce qu'il font cela? Qu'est-ce que je

12 leur ai fait?"

13 Question: Quand cet incident s'est produit, est-ce que vous avez été en

14 mesure de déterminer d'où venaient les tirs? J'espère que je ne me répète

15 pas?

16 Réponse: Je n'étais pas en mesure de déterminer d'où venait le tir

17 exactement, mais vu l'angle, parce que les jours où c'était calme, je

18 pouvais traverser les barrières métalliques, il s'agit de conteneurs qu'on

19 met normalement sur des cargos. Et l'ambassadeur américain, à l'époque

20 Jakovic, ça m'intéressait d'ailleurs cela, m'avait indiqué comment il

21 fallait, comment on pouvait déterminer d'où venaient les tirs. Il fallait

22 se placer derrière les conteneurs et essayer de voir les angles des tirs.

23 Et de cette façon, j'ai pu déterminer que tous ces tirs venaient de

24 positions élevées.

25 Lui, il a fait entrer quelqu'un dans un de ces conteneurs devant la

Page 1257

1 présidence, quelqu'un qui venait de la présidence ou plutôt devant la

2 présidence, pour essayer de déterminer exactement d'où venaient les tirs

3 et ils ont déterminé que ça venait de Bistrik, Kula.

4 (Le banc de l'accusation se consulte.)

5 Question: Monsieur Ashton, je sais que nous avons déjà évoqué cet incident

6 lorsque nous avons parlé de cette dame, mais est-ce que vous pouvez nous

7 dire où, à quel carrefour l'incident dont vous venez de parler a eu lieu,

8 cet incident avec cet homme?

9 Réponse: Je me répète, il faudrait que je vois la rue pour déterminer le

10 nom de la rue. C'était un détour que nous prenions pour aller depuis le

11 Holiday Inn ou le centre-ville jusqu'au bâtiment des PTT. Parce que si on

12 passait par la voie, le chemin direct, c'était beaucoup trop dangereux. Il

13 y avait beaucoup de tireurs embusqués, mais c'était tout à côté du

14 bâtiment Energo Invest.

15 Question: En étant dans cette rue, on se trouvait face à quoi si on

16 allait, si on se plaçait face à la direction d'origine des feux?

17 Réponse: Une zone élevée.

18 (L'interprète n'a pas été en mesure d'entendre le nom.)

19 Question: Et ces endroits que vous nous mentionnez, sur quel territoire se

20 situent-ils?

21 Réponse: C'était le grand stade de sport de Republika Srpska, à droite,

22 sur la ligne de front. C'est là d'où venaient les tirs.

23 Question: Vous nous dites que c'est la zone qui se trouvait derrière le

24 stade?

25 Réponse: Oui, derrière le stade, sur une colline escarpée, vous aviez des

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1 maisons.

2 Question: Et est-ce que vous pouvez nous donner une idée de l'altitude de

3 cette position? Est-ce que c'était une très haute altitude?

4 Réponse: En tout cas, c'était une altitude, une élévation tout à fait

5 favorable pour pouvoir tirer en dessous et au niveau de ce carrefour.

6 Question: Vous nous avez expliqué comment les Américains ont essayé de

7 déterminer d'où venaient les tirs en utilisant des ficelles, etc.. Pouvez-

8 vous nous dire exactement quand ça s'est fait et où?

9 Réponse: Au début 1993, après les tirs sur le Holiday Inn, Jakovic et le

10 personnel de l'ambassade, lorsqu'ils ont rouvert l'ambassade à Sarajevo,

11 au début ils travaillaient dans le Holiday Inn. Et un jour, des obus sont

12 tombés à côté des pièces où se trouvaient les Américains. Et il y avait

13 aussi des tirs intenses, des tirs de tireurs embusqués. Et Jakovic et son

14 assistante Jennifer ont parlé de quelqu'un qui travaillait avec eux, je ne

15 sais pas si c'était un militaire ou… Je ne sais pas exactement quel était

16 son poste, mais en tout cas ils ont dit qu'il allait commencer, il venait

17 d'arriver à Sarajevo, qu'il allait commencer à étudier un peu la question,

18 c'est-à-dire qu'il allait essayer de déterminer quelles étaient les armes

19 utilisées.

20 Question: Est-ce que vous vous souvenez si cette recherche, cette étude

21 avec ces ficelles, etc., était réalisée sur les conteneurs se trouvant à

22 l'endroit que vous nous avez indiqué, là où cet incident a eu lieu avec

23 cet homme?

24 Réponse: Oui, on a fait ça devant la présidence et puis aussi à 3 endroits

25 sur le front, entre le musée, l'université et le Holiday Inn.

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1 Question: Et ceci a été fait au même moment?

2 Réponse: Je sais qu'à ce moment-là, ils ont fait prendre toutes ces

3 mesures, mais en tout cas je sais qu'ils ont continué à le faire plus tard

4 en coordination avec les Français.

5 Question: Pouvez vous nous rappeler, s'il vous plaît, de la date de

6 l'incident impliquant cet homme?

7 Réponse: C'était soit en janvier soit en décembre parce qu'il faisait

8 très, très froid, je me souviens.

9 Question: En 1992?

10 Réponse: 1992/1993, au moment de Noël.

11 Question: Je reviens aux incidents que vous avez mentionnés, et notamment

12 ceux qui ont eu lieu sur les ponts. Pouvez-vous nous dire combien des

13 ponts sur la rivière étaient utilisables ou étaient utilisés pour

14 traverser par la population vers la fin 1992, au début 1993?

15 Réponse: Je dirais que je connais au moins 5 ponts.

16 Question: Est-ce que ces ponts se trouvaient à un endroit précis de la

17 ville ou…?

18 Réponse: Il y en avait 3 qui étaient dans la vieille ville et 2 qui

19 étaient à Novo Sarajevo.

20 Question: Et approximativement à quelle distance se trouve la vieille

21 ville de Novo Sarajevo?

22 Réponse: Eh bien, presque 1.500 mètres.

23 Question: Et est-ce qu'il a été possible, d'une manière ou d'une autre, de

24 déterminer d'où provenaient les tirs qui atteignaient ces ponts?

25 Réponse: Moi, personnellement non.

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1 Question: A quelle distance du front se trouvaient ces pompes?

2 Réponse: En ce qui concerne trois de ces ponts, ils se trouvaient, disons,

3 à 800 mètres dans la vieille ville. Celui qui se trouvait près de Trg

4 Heroja en était probablement à 500 mètres et du coin de la ligne de front

5 de Grbavica et Trg Heroja.

6 Question: Je tiens à m'excuser, je suis un peu enroué. Monsieur Ashton,

7 quand vous étiez dans l'hôpital d'Etat, vous êtes resté un certain temps -

8 j'essaie d'en terminer avec cette période que vous avez passée à Sarajevo-

9 donc, si je ne me trompe, vous nous avez dit que vous avez essayé

10 d'évaluer les besoins dans le cadre de votre projet ultérieurement de

11 fournir du matériel médical. Je voudrais savoir si ce faisant vous avez eu

12 de nombreux contacts avec les patients à l'hôpital?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Et avec le personnel de l'hôpital?

15 Réponse: Je me rendais à l'hôpital tous les jours. Je rencontrai Abdulah

16 Nakas, le docteur Abdulah Nakas. Il m'est arrivé de rencontrer Bakir

17 Nakas, le directeur de l'hôpital. Mais c'est surtout les généralistes qui

18 travaillaient dans le service des urgences que j'ai rencontré. Et je

19 faisais des visites avec les médecins afin de déterminer quels étaient les

20 besoins les plus pressants. Et ceci pratiquement tous les jours. Ce qui

21 m'a donné la possibilité de m'entretenir avec les patients, de parler de

22 leurs blessures, de ce dont ils avaient besoin et dans le cadre de ces

23 conversations, je demandai communément aux gens où ils avaient été

24 blessés? De quelle manière. Qui les avait amenés, etc.? Donc toutes ces

25 informations, j'ai pu les obtenir de la part des patients.

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1 Question: Vu ces contacts fréquents avec les patients, pouvez-vous nous

2 dire si pendant cette période de l'hiver 1992-1993, s'il y avait à cet

3 endroit des patients militaires, ou plutôt des civils, des anciens

4 soldats, etc. quelle était la proportion et qu'en était-il des enfants et

5 des femmes?

6 Réponse: J'ai fait une évaluation que j'ai communiquée à l'OMS pendant une

7 période de un mois, de 30 jours. J'ai constaté que la majorité des

8 patients, c'est-à-dire 80% à 5% près étaient des victimes civiles qui

9 n'étaient pas armées. On comptait très peu d'hommes parmi ces blessés. La

10 plupart d'entre eux étaient des femmes et des enfants. Et sur ce

11 pourcentage, disons qu'il y avait 70% de femmes et d'enfants.

12 Question: Est-ce que ces proportions ont évolué de manière importante à

13 votre connaissance dans le cadre de vos contacts avec l'hôpital et avec

14 les patients et le personnel?

15 Réponse: Non, il n'y a jamais eu de modifications significatives. Un jour,

16 j'ai posé la question à un médecin au sujet des victimes militaires et il

17 m'a dit que les forces étaient très éparpillées, les hommes étaient très

18 éparpillés et qu'ils avaient des antennes chirurgicales qui leur

19 permettaient de faire face aux blessures, aux traumatismes, etc. sur la

20 ligne de front mais qu'il n'y en avait pas beaucoup.

21 Question: Veuillez nous dire, s'il vous plaît, quand vous avez réalisé

22 cette évaluation pour l'OMS?

23 Réponse: J'essaie de m'en souvenir. Ce devait être vers la fin décembre

24 1992 parce que Margaret était toujours là, elle était suédoise, elle était

25 représentante de l'OMS. Et elle a reconnu que mes chiffres étaient exacts

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1 parce qu'elle a dit que c'était très élevé mais qu'elle-même avait à deux

2 reprises constaté la même chose.

3 Question: Lorsque vous avez fait cette évaluation, vous l'avez faite

4 pendant une période donnée?

5 Réponse: Trente jours.

6 Question: Trente jours. Est-ce que vous vous souvenez de quelle période il

7 s'agissait, exactement?

8 Réponse: C'était au mois de décembre et j'ai fini en janvier 1993.

9 Question: Vous nous avez parlé des dégâts au niveau de l'état de l'hôpital

10 d'Etat. Est-ce que vous avez eu la possibilité de vous rendre dans

11 d'autres hôpitaux à Sarajevo?

12 Réponse: Oui. Oui, je suis allé au centre hospitalier de Kosevo. Je m'y

13 rendais au moins deux fois par semaine et je parlais avec les médecins de

14 leurs besoins en matière de fournitures et d'équipements.

15 Question: Et pendant quelle période avez-vous effectué ces visites?

16 Réponse: Pendant toute la période que j'ai passée sur place de 1992 à fin

17 1995.

18 Question: Et justement, ça me permet de vous poser une question. Je

19 voudrais savoir quand vous avez fini par quitter Sarajevo, Monsieur

20 Ashton?

21 Réponse: A la fin 1995, en octobre 1995. Je me suis également rendu à

22 l'hôpital de Dobrinja qui était à peine un hôpital. C'est un bâtiment

23 quelconque qui avait été transformé en hôpital parce que la nécessité l'a

24 voulu. Au début de la guerre, il n'a pas été possible de transporter les

25 blessés ailleurs depuis Dobrinja. Ce n'est qu'ensuite, en 1993, qu'il a

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1 été sûr qu'on a pu transporter les gens depuis Dobrinja jusqu'à un autre

2 hôpital en ville. Je me suis également rendu dans des hôpitaux en

3 Republika Srpska à Lukavica ainsi qu'à Blazuj et je me suis également

4 rendu à l'hôpital serbe de Pale.

5 Question: Est-ce que vous avez réalisé le même type d'évaluation dont vous

6 nous avez parlé précédemment dans d'autres hôpitaux?

7 Réponse: Non, non, pas dans les autres hôpitaux, bien que du côté serbe,

8 j'ai pu constater que les problèmes venaient, ou plutôt les patients

9 souffraient de maladies. Mais dans les hôpitaux serbes, je n'ai vu que

10 très peu de victimes. J'ai rencontré quelques soldats à Pale, dans

11 l'hôpital de Pale qui avaient été blessés sur la ligne de front. On les

12 avait amenés après qu'ils aient été traités plus près de la ligne de front

13 sinon c'était trop loin.

14 Question: Dernière chose au sujet de l'évaluation que vous avez réalisée.

15 Est-ce que vous pouvez nous dire le nombre de victimes sur lequel vous

16 avez basé votre statistique?

17 Réponse: Je suis désolé. Un instant, s'il vous plaît.

18 Je ne suis pas très sûr d'avoir bien compris votre question.

19 Question: Sans doute parce qu'elle a été posée un peu maladroitement. Je

20 voudrais savoir sur combien de victimes en tout vous vous êtes basé pour

21 réaliser vos statistiques?

22 Réponse: Eh bien, à peu près 400.

23 Question: Vous avez parlé d'autres hôpitaux dans lesquels vous vous êtes

24 rendu et très rapidement à ce stade des débats, je voudrais évoquer les

25 hôpitaux serbes à Pale, "Blazuj"?

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1 Réponse: Blazuj.

2 Question: Et pouvez-vous nous donner en ce qui concerne ces hôpitaux le

3 pourcentage de personnes qui étaient hospitalisées suite à une maladie et

4 de ceux qui étaient hospitalisés suite à des blessures dues à des actes de

5 violence?

6 Réponse: Oui. Les deux médecins, ou trois médecins, que j'ai rencontrés ou

7 appelés dans les hôpitaux sur le territoire serbe m'ont fait preuve d'un

8 grand esprit de coopération. Ils m'ont permis de rencontrer leurs patients

9 et d'avoir accès à leurs chiffres. Et en ce qui concerne les chiffres des

10 victimes de guerre, ces chiffres s'élevaient de 4 à 5%.

11 Question: Mais 4 ou 5% de quoi?

12 Réponse: De leurs patients, du nombre total de leurs patients.

13 Question: Donc du nombre de personnes admises à l'hôpital?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Et sur ces 4 ou 5% de victimes, des blessés, est-ce qu'ils vous

16 ont dit combien parmi eux il y avait de victimes civiles ou militaires?

17 Réponse: Ils ne me l'ont pas vraiment dit, mais en fait ils m'ont expliqué

18 que ces victimes, pour la plupart, c'étaient des soldats qui avaient été

19 blessés sur la ligne de front. Mais ils m'ont dit que parfois on amenait à

20 l'hôpital quelqu'un de Pale ou de Grbavica ou d'ailleurs en ville. Une

21 femme ou un civil… il arrivait qu'on amène ces gens à l'hôpital mais ils

22 m'ont dit que ces chiffres, ces personnes étaient très rares et moi

23 d'ailleurs j'ai vu très peu dans ces hôpitaux de patients civils qui

24 avaient blessés par des tirs d'artillerie ou par des tirs.

25 Question: Maintenant, je voudrais revenir aux hôpitaux de Sarajevo. En ce

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1 qui concerne vos visites à l'hôpital de Kosevo, je voudrais savoir si, à

2 la fin de l'année 1992 et au début 1993, donc pour commencer par cette

3 période, est-ce que vous avez vu des signes indicatifs, des signes de

4 dégâts provoqués par la guerre dans ce centre hospitalier?

5 Réponse: Oui, un jour que je m'y trouvais, il y a deux obus qui sont

6 tombés sur cet hôpital et qui ont endommagé deux bâtiments.

7 Question: A quel moment?

8 Réponse: En 1992, en octobre 1992, j'étais là avec "Médecins sans

9 frontière".

10 Question: Et où ces obus ont-ils atterri?

11 Réponse: Moi, je me trouvais dans un bâtiment qui se trouvait près de

12 l'entrée sud de l'hôpital.

13 Question: Et qu'avez-vous pu voir de vos yeux à ce moment-là?

14 Réponse: Nous avons entendu une explosion, des gens sont venus se réfugier

15 dans le bâtiment parce que nous étions à un étage qui était d'un côté

16 enterré en partie.

17 Question: Vous parlez d'explosion, je pense que vous parlez de...

18 Réponse: Il s'agissait de tirs d'artillerie.

19 Question: Poursuivez, s'il vous plaît.

20 Réponse: Eh bien, je suis sorti vers l'hôpital principal, et en sortant,

21 j'ai vu des gens qui sortaient d'un bâtiment, et qui couraient aussi vers

22 l'hôpital principal, et ils m'ont dit que le bâtiment où ils se trouvaient

23 avait été touché. C'était le bâtiment le plus bas sur l'ensemble du

24 complexe hospitalier, c'était le bâtiment qui se trouvait en bas de la

25 colline vers le cimetière Lion qui avait été touché.

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1 Question: Est-ce que vous avez vu des victimes à ce moment-là?

2 Réponse: Non, pas ce jour-là.

3 Question: Est-ce que vous avez été victime... Est-ce que vous avez assisté

4 à d'autres types d'événements de ce genre?

5 Réponse: Devant l'hôpital d'Etat, j'ai vu des gens de l'hôpital qui

6 s'occupaient des patients.

7 Question: Et quand cela?

8 Réponse: Au début 1993, je ne me rappelle plus du mois ni du jour, je

9 crois que c'était en mars.

10 Question: Quelle était la cause de leurs blessures?

11 Réponse: Eh bien, premièrement la cause c'était qu'il y avait des tirs qui

12 avaient touché le cinquième étage de l'hôpital, devant l'hôpital.

13 Question: Pouvez-vous nous dire quelle était la nature des blessures de la

14 personne concernée?

15 Réponse: La personne concernée qui était membre de l'hôpital avait été

16 touchée aussi bien à la jambe qu'au bras.

17 Question: Oui, je vous avais demandé à quel type d'incident vous aviez

18 été, dont vous aviez été témoin? Je pensais par exemple à l'hôpital de

19 Kosevo, je voudrais savoir si vous avez assisté à d'autres pilonnages?

20 Réponse: Oui, il m'est arrivé d'être sur place au moment où des obus

21 tombent sur le complexe hospitalier.

22 Question: Pouvez-vous nous dire à quel moment cela s'est passé? A quel

23 moment vous avez assisté à cela?

24 Réponse: Disons à la mi 1994. Je sais qu'à la fin 1993, il y a eu

25 plusieurs prises, des tirs dirigés expressément sur le centre hospitalier

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1 de Kosevo.

2 Question: Vous êtes sûr que c'est la fin 1993?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Merci.

5 Réponse: Parce que j'ai reçu une plainte de la part d'un médecin, j'étais

6 au quartier général des Nations Unies, j'ai répondu au téléphone au HR des

7 Nations Unies, et il voulait déposer une plainte officielle auprès de la

8 Forpronu, mais il m'a dit que les Français ne répondaient pas au

9 téléphone, qu'ils refusaient de répondre à ses appels. Il cherchait Tony

10 Land et il s'est plaint du fait qu'on tirait délibérément sur l'hôpital

11 avec des obus.

12 Question: En ce qui concerne ces deux incidents que vous venez de relater,

13 pouvez-vous nous dire si vous avez été en mesure de déterminer d'où

14 provenaient les tirs, je parle des obus qui ont été tirés sur l'hôpital?

15 Réponse: Eh bien, en ce qui concerne le premier incident, l'origine des

16 tirs n'a pu être évaluée que par les gens qui se trouvaient à l'extérieur

17 au moment où ça a eu lieu. Il y a quelqu'un qui se trouvait devant la

18 morgue et il a dit que ça venait d'une position qui se trouvait au-dessus

19 du zoo. Une position serbe qui faisait face à l'hôpital et qui donnait sur

20 le cimetière et sur le centre de Sarajevo, mais moi-même je ne l'ai pas vu

21 de mes yeux.

22 Question: Et lors de ce premier incident, est-ce que vous pouvez nous dire

23 de quel type d'obus il s'agissait? C'était tiré par un char ou un tir

24 d'artillerie, etc.?

25 Réponse: Je ne peux pas vous dire parce que j'étais à l'intérieur du

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1 bâtiment quand ça a eu lieu, mais en tout cas c'était une explosion

2 extrêmement forte. Donc moi, je dirai que c'était un tir d'artillerie.

3 Question: Et en ce qui concerne le deuxième incident à l'hôpital Kosevo,

4 pouvez-vous nous donner des indications en ce qui concerne le type d'armes

5 utilisées et le type de munitions utilisées?

6 Réponse: Je pense que c'étaient des tirs de mortier parce que c'était plus

7 réduit, et on les a entendu arriver.

8 Question: Par curiosité, je vais profiter de votre expérience en la

9 matière. Comment peut-on savoir qu'on entend arriver un tir de mortier ou

10 un tir d'artillerie?

11 Réponse: Eh bien, il y a une grande différence entre les tirs de mortier

12 et les tirs d'artillerie, surtout quand on est la cible concernée. En ce

13 qui concerne les tirs de mortier, eh bien, il faut savoir que les mortiers

14 font un bruit au moment où ils sont tirés, comme un coup. Le projectile va

15 vers le haut, est tiré vers le haut et descend. Et quand le mortier

16 arrive, quand le projectile arrive, si on est dans les, mettons, 30/40

17 mètres, on entend comme une bouteille qui s'ouvre ou une boîte de coca-

18 cola qui s'ouvre, ensuite l'impact suit tout de suite après, pratiquement.

19 En ce qui concerne les tirs d'artillerie et bien, ce que l'on entend c'est

20 un boom très fort et le projectile met plus de temps pour arriver. Au

21 moment où le projectile arrive à mille mètres, il commence à envoyer un

22 champ sonore et on entend une sorte de sifflet, deux ou trois secondes

23 avant l'arrivée du projectile, parfois neuf secondes.

24 M. Piletta-Zanin: Nous posons là des questions d'expert, je sais pas si

25 monsieur est un expert mais je pense que l'on va un peu loin dans la

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1 description.

2 M. Blaxill (interprétation): Messieurs les Juges, nous avons parlé de la

3 formation de M. Ashton, de ce dont il a fait, et nous savons qu'il a eu

4 beaucoup d'expériences dans ce domaine, il nous parle de ce qu'il a vu

5 lui-même et donc il peut nous dire qu'on entend tel ou tel son quand telle

6 ou telle chose se produit, donc c'est pourquoi, moi, je pense qu'il peut

7 tout à fait nous communiquer ces informations. Il ne parle pas ici en tant

8 qu'expert, il parle en tant que quelqu'un qui s'est trouvé sous les tirs

9 d'obus, sous les tirs de mortier.

10 M. Ashton (interprétation): Et à ce sujet, je dois dire que j'ai beaucoup

11 d'expérience en matière de...

12 M. le Président (interprétation): Un instant, s'il vous plaît. Il

13 appartient aux parties de décider si l'objection qui a été soulevée est

14 recevable ou non.

15 (Les Juges se consultent.)

16 (Le banc de l'accusation se consulte.)

17 M. le Président (interprétation): L'objection est rejetée. Mais je me

18 propose de vous expliquer pourquoi, Monsieur Piletta-Zanin. Le témoin est

19 en train de répondre à des questions qui cherchent à savoir, qui visent à

20 faire savoir si les projectiles étaient des projectiles de mortier ou

21 d'artillerie. Ensuite, on lui avait demandé d'expliquer comment il faisait

22 la différence entre les deux. Et la Chambre est tombée d'accord avec vous

23 pour dire que, quoi qu'il s'agisse de faits et d'explications lui

24 permettant de nous fournir des réponses, nous sommes en train de toucher

25 les limites d'un domaine qui deviendrait peut-être une expertise. Mais il

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1 est 7 heures passées déjà, Monsieur Blaxill, et je ne sais pas si vous

2 avez peut-être une question ou deux, je ne sais pas si les interprètes

3 seraient d'accord pour travailler quelques secondes encore.

4 M. Blaxill (interprétation): J'ai seulement quelques questions a poser

5 encore et, comme je l'ai dit, cet homme n'est pas un témoin expert, mais

6 pour ce qui est de la question de savoir, au niveau des détonations,

7 laquelle appartenait à laquelle, je crois qu'il faudrait peut-être mieux

8 arrêter ici et continuer demain.

9 M. le Président (interprétation): Oui en effet. Je crois que nous avons

10 dépassé de 5 minutes les 19 heures et nous allons reprendre demain.

11 (L'audience est levée à 19 heures 05.)

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