ACTE D’ACCUSATION

LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

AFFAIRE n° IT-01-45-I

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL
CONTRE
ANTE GOTOVINA

 

ACTE D’ACCUSATION

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 18 du Statut du Tribunal, accuse :

ANTE GOTOVINA

de CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ et de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, tels qu’exposés ci-dessous :

L’ACCUSÉ

Ante GOTOVINA

1. Ante GOTOVINA est né le 12 octobre 1955 sur l’île de Pasman, municipalité de Zadar, en République de Croatie, anciennement République socialiste fédérative de Yougoslavie.

2. Ante GOTOVINA est militaire de carrière et a fait partie de la Légion étrangère française. Après son retour en Croatie en 1990, il a été nommé commandant de la 1re Brigade de la garde. De février à avril 1992, il était commandant en second de l’unité spéciale de l’État-major général de l’armée croate (Hrvatska vojska, ci-après la «HV»), et d’avril à octobre 1992, il était affecté au Conseil de défense croate (Hrvatsko vijece obrane, ci-après le «HVO»).

3. Le 9 octobre 1992, Ante GOTOVINA, alors général de brigade (brigadir), a été nommé commandant du District militaire de Split, poste qu’il a occupé jusqu’au mois de mars 1996. Le District militaire de Split faisait partie de la région de la Krajina et englobait les municipalités de Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Gracac, Knin, Korenica, Obrovac, Sibenik, Sinj et Zadar. Ce District était situé dans le secteur Sud de l’ancienne zone placée sous protection des Nations Unies (ci-après «zone protégée»). En novembre 1994, il a été promu au grade de général de division. Le 4 ou 5 août 1995, il a été nommé général de corps d’armée.

4. Le 4 août 1995, la Croatie a lancé une offensive militaire connue sous le nom d’Oluja («Tempête»), dont l’objectif était de reprendre la région de la Krajina. Bien que le gouvernement croate ait annoncé le 7 août 1995 que l’opération avait été couronnée de succès, certains aspects se sont poursuivis jusqu’aux alentours du 15 novembre 1995. Ante GOTOVINA avait le commandement opérationnel des parties de l’opération Oluja qui se sont déroulées dans le secteur Sud de la zone protégée. À ce titre, et en sa qualité de commandant du District militaire de Split, Ante GOTOVINA a exerçé de jure et de facto le commandement et le contrôle sur toutes les forces croates du 4 août au 15 novembre 1995 (dans le présent acte d’accusation le terme «forces croates» englobe la HV, l’armée de l’air croate ou Hrvatsko ratno zrakoplovstvo, également connue sous le sigle de «HRZ», ainsi que la police spéciale et la police militaire de la République de Croatie, qui ont participé à l’opération Oluja dans le secteur Sud de la zone protégée).

5. Suite à la prise de Knin, capitale de la région de la Krajina, Ante GOTOVINA y a établi son quartier général.

6. Le 12 mars 1996, Ante GOTOVINA a été nommé chef de l’Inspection de la HV par le Président de la Croatie, Franjo Tudjman. Le 29 septembre 2000, Stipe Mesic, Président de la République de Croatie, l’a rayé des cadres de l’armée.

RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE

7. Durant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, Ante GOTOVINA a dirigé au premier chef l’offensive Oluja dans le secteur Sud de la zone protégée et commandé le District militaire de Knin. À ce titre, il avait la responsabilité d’ensemble des forces croates placées sous sa direction et son contrôle qui participaient à l’opération. Dans le cadre de ses fonctions et responsabilités, il devait, entre autres, nommer et révoquer les commandants, déployer les forces et l’artillerie placées sous son commandement et leur donner des ordres. Ante GOTOVINA avait également le devoir de rétablir l’ordre public et la sécurité et de veiller à leur maintien.

8. Le commandement et le contrôle exercés par Ante GOTOVINA dans le cadre de l’armée consistaient notamment à organiser les forces croates déployées dans le secteur Sud de l’ancienne zone protégée pendant l’offensive Oluja, à nommer et révoquer les commandants, à déployer les forces placées sous son commandement et à leur donner des ordres, et à participer à des négociations et des réunions avec des membres de la communauté internationale, y compris des fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies.

9. Durant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, Ante GOTOVINA avait, en sa qualité de commandant, des raisons de savoir que des subordonnés placés sous son contrôle commettaient des violations graves du droit international humanitaire. En outre, des représentants d’organisations internationales l’avaient informé de tels actes. En vertu de sa position et de son autorité de jure et de facto, Ante GOTOVINA avait le pouvoir, l’autorité et la responsabilité d’empêcher les forces croates de commettre des violations graves du droit international humanitaire pendant et après l’offensive Oluja, ou de punir les auteurs de pareilles violations. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces violations graves du droit international humanitaire ne soient commises ou en punir les auteurs.

ALLÉGATIONS GÉNÉRALES

10. Durant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, la région de la Krajina en République de Croatie, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, était le théâtre d’un conflit armé.

11. Durant toute la période couverte par le présent acte d’accusation, l’accusé Ante GOTOVINA était tenu de se conformer aux lois et coutumes régissant la conduite de la guerre, y compris l’article 3 commun des Conventions de Genève de 1949.

12. Tous les actes et omissions allégués, constitutifs de crimes contre l’humanité sanctionnés par l’article 5 du Statut du Tribunal, s’inscrivaient dans le cadre d’une offensive généralisée et systématique dirigée contre une population civile.

13. Entre le 17 juillet 1995 et le 15 novembre 1995, Ante GOTOVINA, individuellement et/ou de concert avec d’autres, notamment le Président Franjo Tuđman, a planifié, incité ŕ commettre, ordonné, commis ou de toute autre manicre aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes allégués ci-après, pendant et après l’offensive Oluja. Ante GOTOVINA est individuellement responsable des crimes retenus contre lui dans le présent acte d’accusation, en vertu de l’article 7 1) du Statut du Tribunal. Voit sa responsabilité pénale individuelle engagée quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé la planification, la préparation ou l’exécution de tout crime visé aux articles 2 à 5 du Statut.

14. En sa qualité de supérieur hiérarchique, tel qu’il est exposé aux paragraphes ci-dessus, Ante GOTOVINA est également, ou subsidiairement, pénalement responsable en tant que commandant des actes commis par ses subordonnés, en vertu de l’article 7 3) du Statut du Tribunal. Un supérieur hiérarchique est pénalement responsable des actes de ses subordonnés s’il savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre ces actes ou les avaient commis, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

15. Les allégations générales contenues aux paragraphes 10 à 14 sont reprises et incorporées dans chacun des chefs d’accusation ci-après.

ACCUSATIONS

CHEF D’ACCUSATION 1
(PERSÉCUTIONS)

16. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, un grand nombre de Serbes de Krajina ont fui ou ont été contraints à fuir en Bosnie-Herzégovine ou en Serbie. Certains qui n’ont pas fui pour cause de maladie, d’infirmité ou en raison de leur âge, ont été victimes de harcèlements systématiques et/ou de meurtres illicites. Les biens des Serbes de Krajina ont été pillés. Ante GOTOVINA, individuellement et/ou de concert avec d’autres, notamment le Président Franjo Tudjman, a planifié, incité ë commettre, ordonné, commis ou de toute autre manicre aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter des actes de persécution contre la population serbe de Krajina.

Le crime de persécution a été commis à travers les actes suivants :

Meurtre

17. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont commis de nombreuses violations du droit international humanitaire, notamment le meurtre illicite d’au moins 150 Serbes de Krajina et la disparition de plusieurs centaines d’autres. Des exemples précis de pareils meurtres illicites figurent à l’annexe 1.

Pillage de biens publics ou privés

18. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont pillé des biens publics ou privés, notamment des maisons, dépendances et granges et du bétail appartenant aux Serbes de Krajina. Des exemples précis de pareils pillages de biens publics ou privés figurent à l’annexe 2.

Destruction de biens

19. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont détruit sans motif, par le feu et par d’autres moyens, les villages, maisons, dépendances, granges et le bétail des Serbes de Krajina qui avaient fui et de ceux qui étaient restés. Des exemples précis de pareilles destructions figurent à l’annexe 2.

Expulsion/déplacement forcé

20. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, ceux qui sont restés chez eux, ou qui y sont retournés pendant les semaines qui ont suivi l’offensive, ont finalement été contraints à fuir la région devant la persistance des meurtre, incendies criminels, pillages, harcèlements, campagnes de terreur et menaces d’atteintes physiques aux personnes et aux biens, commis par les forces croates. L’accumulation de ces actes illicites s’est soldée par l’expulsion et/ou le déplacement à grande échelle d’environ 150 000 à 200 000 Serbes de Kajina vers la Bosnie-Herzégovine et la Serbie.

Autres actes inhumains

21. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont soumis les Serbes de Krajina à des traitements inhumains, et systématiquement humiliants et dégradants.

22. Les persécutions à l’encontre des Serbes de Krajina ont atteint une telle ampleur que la population serbe s’est considérablement réduite dans les municipalités de Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Gracac, Knin, Korenica, Obrovac, Sibenik, Sinj et Zadar.

23. Subsidiairement, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits aux paragraphes 17 à 22 susvisés, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Par ces actes ou ces omissions, Ante GOTOVINA s’est rendu coupable de :

Chef d’accusation 1 : persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ sanctionné par l’article 5 h) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec les articles 7 1) et 7 3).

CHEFS D’ACCUSATION 2 et 3
(MEURTRE)

24. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont illicitement tué au moins 150 Serbes de Krajina, qui ont été exécutés par balle ou à l’arme blanche, ou qui ont péri par les flammes.

Des exemples précis de pareils meurtres illicites figurent à l'annexe 1.

25. Entre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits au paragraphe 24 susvisé, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Par ces actes et omissions, Ante GOTOVINA s’est rendu coupable de :

Chef d’accusation 2 : assassinat, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par l’article 5 a) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec l’article 7 3).

Chef d’accusation 3 : meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, reconnue par l’article 3 1) a) commun des Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par l’article 3 du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec l’article 7 3).

CHEF D’ACCUSATION 4
(PILLAGE DE BIENS)

26. Entre le 5 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates se sont approprié par la force des biens, y compris du bétail, des maisons, dépendances et granges appartenant aux Serbes de Krajina qui avaient fui et à ceux qui étaient restés. Ante GOTOVINA, individuellement et/ou de concert avec d’autres, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ces actes de pillage de biens publics ou privés.

Des exemples précis de pareils pillages de biens publics ou privés figurent à l'annexe 2.

27. Subsidiairement, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits au paragraphe 26 susvisé, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Par ces actes et omissions, Ante GOTOVINA s’est rendu coupable de :

Chef d’accusation 4 : pillage de biens publics ou privés, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, sanctionnée par l’article 3 e) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec les articles 7 1) et 7 3).

CHEF D’ACCUSATION 5
(DESTRUCTION SANS MOTIF DE VILLES ET DE VILLAGES)

28. Entre le 5 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont incendié et détruit sans motif des villages, maisons, dépendances et granges, ainsi que du bétail appartenant aux Serbes de Krajina qui avaient fui et à ceux qui étaient restés. Ante GOTOVINA, individuellement et/ou de concert avec d’autres, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ces actes de destructions sans motif de villes et de villages.

Des exemples précis de pareilles destructions sans motif figurent à l’annexe 2.

29. Subsidiairement, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits au paragraphe 28 susvisé, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Par ces actes et omissions, Ante GOTOVINA s’est rendu coupable de :

Chef d’accusation 5 : destruction sans motif de villes et de villages, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, sanctionnée par l’article 3 b) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec les articles 7 1) et 7 3).

CHEFS D’ACCUSATION 6 ET 7
(EXPULSION ET DÉPLACEMENT FORCÉ)

30. Entre le 5 août 1995 et le 15 novembre 1995, des forces croates ont commis de nombreux meurtres, incendies criminels, pillages, harcèlements, actes de terreur et menaces d’atteintes physiques aux personnes et aux biens. Par ces actes d’intimidation, des forces croates ont contraint les Serbes de Krajina à quitter leur village, leur hameau, leur foyer. Ante GOTOVINA, individuellement et/ou de concert avec d’autres, notamment le président Franjo Tuđman, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre maničre aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ces expulsions et déplacements forcés de la population serbe de Krajina.

31. Ces crimes, dont le meurtre illicite de Serbes de Krajina qui n’avaient pas fui, l’incendie, la destruction et le pillage de villages et de biens serbes, notamment de maisons, dépendances, granges et du bétail, ont continué à être commis à grande échelle pendant au moins trois mois après que les autorités croates ont repris le contrôle de la région. L’accumulation de ces actes des forces croates a abouti au déplacement à grande échelle d’environ 150 000 à 200 000 Serbes de Krajina vers la Bosnie-Herzégovine et la Serbie.

32. Le déplacement forcé de Serbes de Krajina a considérablement réduit la population civile serbe des municipalités de Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Gracac, Knin, Korenica, Obrovac, Sibenik, Sinj et Zadar. Des mesures ont également été prises afin d’empęcher les personnes qui avaient fui de revenir ou de les en dissuader.

33. Subsidiairement, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits aux paragraphes 30 à 32 susvisés, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Par ces actes et omissions, Ante GOTOVINA s’est rendu coupable de :

Chef d’accusation 6 : expulsion, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par l’article 5 d) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec les articles 7 1) et 7 3).

Chef d’accusation 7 : autres actes inhumains (déplacement forcé), un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par l’article 5 i) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec les articles 7 1) et 7 3).

CHEF D’ACCUSATION 8
(AUTRES ACTES INHUMAINS)

34. Entre le 5 août 1995 et le 15 novembre 1995, au moyen de coups et blessures et de violences, des forces croates ont infligé aux Serbes de Krajina des traitements inhumains, humiliants et dégradants.

35. Entre le 5 août 1995 et le 15 novembre 1995, Ante GOTOVINA savait ou avait des raisons de savoir que des forces croates placées sous son commandement, sa direction et/ou son contrôle, ou qui lui étaient subordonnées, commettaient ou avaient commis les actes décrits au paragraphe 34 susvisé, puisque des représentants de la communauté internationale l’en avaient informé. Ante GOTOVINA n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

Chef d’accusation 8 : autres actes inhumains, un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, sanctionné par l’article 5 i) du Statut du Tribunal, lu en conjonction avec l’article 7 3).

FAITS SUPPLÉMENTAIRES

36. La Croatie a déclaré son indépendance le 25 juin 1991, date à laquelle un conflit armé opposait déjà les Serbes de Croatie aux forces croates. En septembre 1991, le gouvernement croate déclarait que les Serbes de Croatie et l’Armée populaire yougoslave (la «JNA») contrôlaient environ un tiers du territoire de la Croatie.

37. Le 19 décembre 1991, l’Assemblée de la Région autonome serbe de la Krajina, de concert avec des Serbes habitant d’autres régions de la Croatie, déclarait officiellement son indépendance vis-à-vis de la Croatie et créait une nouvelle entité appelée la Republika srpska krajina (la République de la Krajina Serbe, ci-après la «RSK») dotée de sa propre force militaire, la Srpska vojska krajine (l’Armée serbe de la Krajina, ou «SVK»).

38. La région de la Krajina, comprenant les secteurs Sud et Nord des anciennes zones protégées, était située dans la RSK et couvrait, sans s’y limiter, les municipalités de Benkovac, Donji Lapac, Drnis, Gracac, Knin, Korenica, Obrovac, Sibenik, Sinj et Zadar.

39. En février 1992, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies établissait, sous son autorité, comme le prévoyait la plan Vance, une Force de protection des Nations Unies (ci-après la «FORPRONU») qui devait être déployée dans les zones protégées en Croatie. Il s’agissait de zones où les Serbes étaient en majorité ou constituaient une minorité importante, et où les tensions entre les deux communautés avaient déjà débouché sur un conflit armé. Les zones protégées étaient au nombre de quatre : les secteurs Nord, Sud, Est et Ouest.

40. Dès 1992, l’armée croate élaborait des plans pour reprendre par la force le territoire de la RSK, ou région de la Krajina. En 1992, 1993 et 1995, les forces croates ont lancé plusieurs opérations militaires à cette fin.

41. Ces opérations ont été lancées contre les zones protégées ou contre les «zones roses» limitrophes : en juin 1992, contre le Plateau de Miljevacki ; en janvier 1993, contre la zone du pont de Maslenica dans le nord de la Dalmatie ; en septembre 1993, contre la poche de Medak ; en mai 1995, l’opération Bljesak («Éclair»), en Slavonie occidentale, et en août 1995, l’opération Oluja.

42. Le 4 août 1995, les forces croates ont lancé l’offensive militaire Oluja en vue de reprendre la région de la Krajina, qui était sous le contrôle des Serbes de Krajina depuis 1991. L’offensive Oluja s’est soldée par le déplacement d’environ 150 000 à 200 000 Serbes de Krajina, qui ont fui ou ont été contraints à le faire pendant et après l’offensive en question.

43. L’offensive Oluja lancée par les forces croates, constituées de 150 000 hommes, a été menée dans la zone des anciens secteurs Nord et Sud sous protection des Nations Unies, couvrant une surface d’environ 10 500 kilomètres carrés. Pendant cette offensive, les villes et les villages peuplés de Serbes de la région de la Krajina ont été pilonnés à l’artillerie lourde, par la HV avec l’appui aérien de l’armée de l’air croate (Hrvatsko ratno zrakoplovstvo, ou «HRZ»).

44. Les 4 et 5 août 1995, les forces croates ont lancé une attaque d’artillerie massive contre Knin. Les bombardements étaient également dirigés contre des cibles civiles, dans les villes de Benkovac, Obrovac, Drnis, Vrginmost, Vojnic, Glina, Petrinja et de nombreux villages de la région de la Krajina.

Le Procureur
_____________
Carla Del Ponte

[Sceau du Bureau du Procureur]

Fait le 21 mai 2001
La Haye (Pays-Bas)

LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

AFFAIRE N° IT-01-45-I

ANNEXE 1 À L’ACTE D’ACCUSATION

Chefs d’accusation 2 et 3

VILLAGE/

HAMEAU

DATE

NOM DES VICTIMES

SEXE

ÂGE

CAUSE DU

DÉCÈS

Municipalité de Benkovac

 

 

 

 

 

1. Kakma

9 août 95

Non identifié

M

 

Tué par balle

2. Brgud

12 sept 95

Milica Graovac

F

 

Tuée par balle

 

 

Prénom inconnu
Graovac

F

 

Tuée par balle

Municipalité de Gracac

 

 

 

 

 

3. Palanka

8 août 95

Dusan Brkic

M

69 ans

Tué par balle

4. Gudura

29 sept 95

Milan Marcetic

M

 

Tué par balle

 

 

Dusan Suica

M

 

Tué par balle

Municipalité de Knin

 

 

 

 

 

5. Durić

4 août 95

Sava Duric

M

 

Tué par balle

6. Ville de Knin

5 août 95

16 personnes non identifiées

 

 

Tuées par balle

7. Vrbnik

5 août 95

Dusko Vukadin

M

55 ans

Torturé et tué par balle

8. Pont Atlagic

5 août 95

Zivko Stojakov

M

 

Tué par balle

9. Kovacic

5 août 95

Nikola Dragicevic

M

60 ans

Tué par balle

 

 

Mile Dragicevic

M

62 ans

Tué par balle

 

 

Svao Ceko

M

 

Tué par balle

10. Sarena Jezera

5 août 95

Milos Borjan

M

 

Tué par balle

 

 

Non identifié

M

 

Tué par balle

 

 

Non identifié

M

 

Tué par balle

 

 

Non identifié

M

 

Tué par balle

 

 

Non identifié

M

 

Tué par balle

 

 

Non identifié

M

 

Tué par balle

11. Biskupija /Civljane

5 août 95

Cinq soldats de RSK

 

 

Tués par balle

12. Golubić

5/6 août 95

Branko Radinovic

M

70 ans

Tué par balle

 

 

Nikica Radosko

M

60 ans

Tué par balle

 

 

Masa Radosko

F

55 ans

Tuée par balle

 

 

Vaso Vacic

M

77 ans

Tué par balle

 

 

Nikica Panica

M

60 ans

Tué par balle

13. Zagrovic

5/12 août 95

Milka Petko

F

70 ans

Tuée par balle

 

 

Ilija Petko

M

45 ans

Tué par balle

 

 

Dmitar Rasuo

M

81 ans

Tué par balle

 

 

Djuro Rasuo

M

40 ans

Tué par balle

 

 

Non identifié

 

 

Tué par balle

14. Uzdolje

6 août 95

Sava Sare

F

 

Brûlée

15. Uzdolje

6/7 août 95

Milica Sare

F

 

Tuée par balle

 

 

Stevo Beric

M

62 ans

Tué par balle

 

 

Janja Beric

F

62 ans

Tuée par balle

 

 

Bosiljka Beric

F

 

Tuée par balle

 

 

Mirjana Beric

F

 

Tuée par balle

 

 

Djuka Beric

F

75 ans

Tuée par balle

 

 

Krsta Sare

F

 

Tuée par balle

16. Mokro Polje

7 août 95

Stana Popovic

F

 

Tuée par balle

 

 

Mirko Popovic

M

 

Tué par balle

17. Mizdrakovac

8 août 95

Jovanka Mizdrak

F

 

Tuée par balle

18. Kakanj

10/18 août 95

Danica Saric

F

 

Non précisée

 

 

Uros Saric

M

 

Tué par balle

 

 

Uros Ognjenovic

M

 

Tué par balle

19. Ville de Knin

11 août 95

Ilija Milivojevic

M

 

Tué par balle

 

 

Mile Milivojevic

M

 

Tué par balle

20. Orlić

13 août 95

Tode Maric

M

 

Tué par balle

21. Oton

18 août 95

Marta Vujonic

F

85 ans

Tuée par balle

22. Grubori

25 août 95

Milos Grubor

M

80 ans

Tué par balle

 

 

Jovo Grubor

M

65 ans

Tué par balle/ égorgé

 

 

Marija Grubor

F

90 ans

Brûlée

 

 

Mika Grubor

F

51 ans

Tuée par balle

 

 

Duro Karanovic

M

45 ans

Battu/ Tué par balle

23. Gosić

27 août 95

Dusan Borak

M

55 ans

Tué par balle

 

 

Gordana Borak

F

72 ans

Tuée par balle

 

 

Kosa Borak

F

69 ans

Tuée par balle

 

 

Marija Borak

F

83 ans

Tuée par balle

 

 

Milka Borak

F

76 ans

Tuée par balle

 

 

Savo Borak

M

70 ans

Tué par balle

 

 

Vasilj Borak

M

69 ans

Tué par balle

 

 

Gojko Lezajic

M

65 ans

Tué par balle

24. Mala Polača

29 août 95

Mika Crnogorac

M

 

Non précisée

25. Mokro Polje

4 sept 95

Sava Babic

F

82 ans

Tuée par balle

26. Varivode

28 sept 95

Spiro Beric

M

55 ans

Tué par balle

 

 

Jovan Beric

M

75 ans

Tué par balle

 

 

Jovo Beric

M

60 ans

Tué par balle

 

 

Marko Beric

M

80 ans

Tué par balle

 

 

Milka Beric

F

71 ans

Tuée par balle

 

 

Marija Beric

F

69 ans

Tuée par balle

 

 

Radivoj Beric

M

69 ans

Tué par balle

 

 

Mirko Beric

M

 

Tué par balle

 

 

Dusan Djukic

M

 

Tué par balle

Municipalité de Korenica

 

 

 

 

 

27. Komic

12 août 95

Petar-Pejo Lavrnic

M

62 ans

Tué par balle

 

 

Sava Lavrnic

F

92 ans

Tuée par balle

 

 

Rade Mirkovic

M

 

Tué par balle

 

 

Mika Pavlica

F

91 ans

Tuée par balle

 

 

Mara Ugarkovic

F

74 ans

Tuée par balle

28. Poljice

12 août 95

Rade Sunjako

M

 

Non précisée

 

LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL

POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

AFFAIRE N° IT-01-45-I

ANNEXE 2 À L’ACTE D’ACCUSATION

Chefs d’accusation 4 et 5

 

Actes de pillage et/ou de destruction complets ou partiels de biens commis entre le 4 août et le 15 novembre 1995.

Municipalité de Benkovac

Environ 1 300 habitations réparties dans 14 villages et hameaux

Municipalité de Donji Lapac

Environ 600 habitations réparties dans 37 villages et hameaux

Municipalité de Drnis

Environ 750 habitations réparties dans 29 villages et hameaux

Municipalité de Gracac

Environ 700 habitations réparties dans 40 villages et hameaux

Municipalité de Knin

Environ 3 000 habitations réparties dans 83 villages et hameaux

Municipalité de Korenica

Environ 4 700 habitations réparties dans 52 villages et hameaux

Municipalité d’Obrovac

Environ 200 habitations réparties dans 7 villages et hameaux

Municipalité de Sibenik

Environ 250 habitations réparties dans 8 villages et hameaux

Municipalité de Sinj

Environ 600 habitations réparties dans 14 villages et hameaux

Municipalité de Zadar

Environ 130 habitations réparties dans 3 villages et hameaux